Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Baszn Öz<strong>et</strong>i<br />
ft1Ron<strong>de</strong><br />
30 OCTOBRE 2002<br />
LA PEUR<br />
Et que dire <strong>de</strong> ses dizaines <strong>de</strong> palais aux<br />
allures <strong>de</strong> forteresses? Par-<strong>de</strong>là les tourelles<br />
<strong>et</strong> les miradors, on les <strong>de</strong>vine immenses,<br />
entourés <strong>de</strong> parcs luxuriants.<br />
Hussein le bâtisseur, l'homme qui a fait<br />
reconstruire le site <strong>de</strong> Babylone en y glissant<br />
<strong>de</strong>s briques gravées à son nom, n'hésite<br />
plus à Se placer dans la lignée d'Hammourabi<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> Nabuchodonosor, les rois<br />
. qui ont tant marqué les civilisationsanciennes.<br />
Mais il se réfère également à <strong>de</strong>s<br />
modèles plus récents, dont Joseph Staline.<br />
Par endroits, Bagdad l'orientale ressemble<br />
d'ailleurs au Moscou d'autrefois; les avenues<br />
sont larges, les immeubles gri~ <strong>et</strong><br />
froids. CertaÎI}estoiles exposées au Centre<br />
<strong>de</strong>s arts rappellent les affiches soviétiques<br />
<strong>de</strong>s années 1940. Le dictateur y apparaît .<br />
entouré d'enfants aux bras chargés <strong>de</strong><br />
fleurs. A l'heure <strong>de</strong> notre visite, les salles<br />
sont désertes, peuplées <strong>de</strong>s seuls portraits<br />
du mai'tre, comme dans ces cauchemars<br />
où le même visage se répète à l'infini. Une<br />
fois, <strong>de</strong>ux fois, cent fois Saddam.<br />
-'<br />
Derrière un unanimisme<br />
'CIMENT<br />
DELA<br />
DICTATURE<br />
N jour, Saddam Hus-<br />
tombera. Dans usein<br />
sixmo!s, dans dix ans,<br />
nul ne sait ni quand ni<br />
comment, mais c'est<br />
le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s dictateurs,<br />
La .plupart <strong>de</strong><br />
ses compatriotes s'accrochent<br />
à c<strong>et</strong> espoir. Dans les moments<br />
d'optimisme, <strong>et</strong> ils se font rares dans ce<br />
pays meurtri, ils iniaginent Bagdad en<br />
fête.:. Dans les bureaux, les boutiques, ses<br />
photos seront arrachées, puis j<strong>et</strong>ées au feu<br />
par une foule en liesse. Ses statues seront<br />
détruites à coups <strong>de</strong> masse ou emportées<br />
vers d'obscurs entrepôts. Ils paraîtront<br />
soudain ridicules, ces géants d,ebronze ou<br />
<strong>de</strong> marbre qui veillaient sur tant <strong>de</strong> places, .<br />
<strong>de</strong> parcs, <strong>de</strong> ministères IViendra ensuite le<br />
tour <strong>de</strong>s tableaux, ces milliers <strong>de</strong> tolles<br />
représentant un homme gonflé d'orgueil,<br />
<strong>de</strong> faça<strong>de</strong> vantant<br />
son intelligence <strong>et</strong> sa gran<strong>de</strong>ur, Saddam Hussein<br />
inspire la crainte à une population<br />
les écoutes <strong>et</strong> la délation jusqu'au<br />
qui redoute<br />
sein <strong>de</strong> la famille<br />
en costume, en uniforme, coiffé d'un keffieh,<br />
d'un casque militaire ou d'uri chapeau<br />
tyrolien. fi sera alors temps <strong>de</strong> débaptiser<br />
l'aéroport Saddam-Hussein, la tour<br />
Saddam-Hussein, le centre commercial<br />
Saddam-Hussein ... Et, surtout, d'apprendre<br />
à vivre.sans « lui ».<br />
Pour l'instant, les 24 millions d'Irakiens<br />
en sont loin. Leur prési<strong>de</strong>nt vacille <strong>de</strong>vant<br />
les Nations unies, mais règne sur ses terres,<br />
imposant au peuple.ses outrances pharaoniq1,les.Il<br />
se dit qu'à Tikrit, sa villenatale,<br />
ses proches vivent en vase clos, dans<br />
une oasis d'opulence interdite à toute personne<br />
extérieure au clan. A Bagdad, où<br />
<strong>de</strong>ux immenses mosquées sont en construction,<br />
ses ministres le présentent volontiers<br />
comme un <strong>de</strong>scendant du Prophète.<br />
Partout, on ne compte plus les monuments,les<br />
bustes, les mosaïques à la gloire<br />
<strong>de</strong> ce «lea<strong>de</strong>r» prétendument « adoré ».<br />
V .OYAG~R<br />
en Irak revient à<br />
abor<strong>de</strong>r un univers étrange,<br />
. . entre passé <strong>et</strong> présent, fiction<br />
<strong>et</strong> réalité. Un pays sous bUlle,<br />
soumis à un huis clos oppressant,<br />
où les pires archaïsmes peuvent<br />
côtoyer une mo<strong>de</strong>rnité déroutante. Une<br />
société complexe, repliée sur elle-même.<br />
Une mosaïque <strong>de</strong> peuples (Arabes, Kur<strong>de</strong>s,<br />
Assyriens, Chaldéens...) où les équilibres<br />
sociaux <strong>et</strong> politiques sont affaire <strong>de</strong><br />
clans, <strong>de</strong> tribus <strong>et</strong> <strong>de</strong> religions (islam,christianisme).<br />
«C'est comme .dans le film<br />
Matrix, il faut le co<strong>de</strong> pour pénétrer la<br />
machine », confie un étudiant <strong>de</strong> Bagdad.<br />
Seulle prési<strong>de</strong>nt possè<strong>de</strong> les clefsdu système.<br />
Quoi que l'on fasse, où que l'on aille,<br />
tout ramène à lui. Après vingt-trois ans<br />
d'exercice du pouvoir, il reste omniprésent,<br />
sur les écrans <strong>de</strong> télévision comme<br />
dans les esprits. Ses fameux portraits, affichés<br />
par millions,n'évoquent-ils pas le Big<br />
Brother du roinan 1984<strong>de</strong> George Orwell,<br />
c<strong>et</strong> « œil »d'inquisiteur auquel nul ne saurait<br />
se soustraire? .<br />
Certes, il compte encore <strong>de</strong>s fidèles.Une<br />
puissante minorité d'adorateurs, que le<br />
régime tient sous contt:ôle psychologique<br />
<strong>et</strong> financier. Ils veulent se souvenir que<br />
Saddam a contribué à l'essor économique<br />
<strong>de</strong> la nation, dans les années 1970,<strong>et</strong> mené<br />
ensuite le combat contre l'Iran <strong>de</strong>s ayatollahs.<br />
Mais <strong>de</strong>puis? « Le culte <strong>de</strong> fa personnalité<br />
a tout emporté, .le mal a effacé le<br />
bien », regr<strong>et</strong>te un enseignant à la r<strong>et</strong>raite.<br />
Ce « mal », personne n'ose en parler. Les<br />
Irakiens ont appris à se taire. Ou à mentir.<br />
Tant <strong>de</strong> choses relèvent <strong>de</strong> la propagan<strong>de</strong>,<br />
dans ce pays, qu'il est difficile<strong>de</strong> distinguer<br />
le vrai du faux. La population passe<br />
donc son temps à faire semblant. Semblant<br />
<strong>de</strong> vivre en démocratie. Semblant<br />
d'admirer le chef <strong>de</strong> l'Etat. Semblant <strong>de</strong> le<br />
soutenir en préparant <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>roles<br />
« J'aime Saddam ». Ces jeux <strong>de</strong> rôle,<br />
orchestrés par un parti Baas bien implanté<br />
dans les classes moyennes, confinent parfois<br />
au conditionnement. Par exemple à<br />
Samarra, une ville située à cent quarante<br />
kilomètres au nord <strong>de</strong> Bagdad, le long du<br />
Tigre...<br />
Nous sommes le 15 octobre, le jour du<br />
référendum prési<strong>de</strong>ntiel qui donnera -<br />
c'est déjà écrit dans la presse du matin -<br />
112