Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro<br />
<strong>de</strong> la Prensa-Basm Öz<strong>et</strong>i<br />
"Nous n'aimons pas qu'on évoque notre ville <strong>de</strong><br />
c<strong>et</strong>tefaçon", disent-ils, en laissant percer leur<br />
hostilité. Même les femmes la détestent <strong>et</strong> protestent<br />
contre ses arrll'Dlations : "Now ne<br />
sommes pas vendue.s comme du bétail. • Elles<br />
savent que dire le contraire entraiDerait une<br />
punition.<br />
"J'ai dQendu l'idée <strong>de</strong> la ri/orme agraire, <strong>de</strong>s<br />
droits <strong>de</strong>s.femme$, explique Hfllya.rai dénonœ<br />
la pratiqru <strong>de</strong> la bigamie (interdite par la loi<br />
turqru/. Maigri lu réactions, je suU allie jwqu'à<br />
Istanbul, jwqu'àAnkaro. La rél.wite, pour<br />
moi, consistait àfaire enteTldre ma voix. Pour<br />
qu'e'f/fn on me compre1l1leI<br />
- Comment ont réagi lu autru jeunesjUlu <strong>de</strong><br />
ton village?<br />
- Au début, elJa l'ont mal pris. L'année <strong>de</strong>rnière,<br />
il y avait <strong>de</strong>s coun d'alphabétisation pour<br />
adultes. Il y a eu seulement 12participantes,<br />
dont moi-même. On ne voulait pas qu'on y<br />
assiste. Mais cellu qui now critiquaient sont<br />
venues d'elles-mêmes c<strong>et</strong>te année, en ach<strong>et</strong>ant<br />
leurs cahien <strong>et</strong> leurs crayons. Maintenant, elles<br />
aussi commencent à s'ouvrir. Elles sont prêtes<br />
à parler comme moi, <strong>de</strong>vant lu caméras, si les<br />
équipes <strong>de</strong> télé viennent par ici.<br />
- Le fait que tu as parlé ne posera pas <strong>de</strong> problèmes<br />
pour ton mariage?<br />
- Je ne le crois pas. Les carulid.aß se multiplient.<br />
Mais la plupart sont <strong>de</strong>s hommes déjà mariés<br />
à <strong>de</strong>ux ou trois femmes!<br />
- Que dit ton père ?<br />
- n s'est trouvé dans une position diJJjcile. Mais<br />
il a eu également <strong>de</strong>s éloges.<br />
- Quelque chose a-t-il changé après tes dénonciations<br />
?<br />
- Les jeunes filles sont plw conscientes, maintenant.<br />
L'argent est versé directement à la<br />
mariée. Sinon, elle le réclame. Avant, elles<br />
avaient honte <strong>de</strong> le réclamer à leur famille <strong>et</strong>,<br />
quand elles partaient vivre dans lafamille <strong>de</strong><br />
leur mari, elles étaient humiliées.<br />
- Et toi, tu vas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'argent pour te<br />
marier?<br />
- Je ne peux pas faire autrement. Je l'accepterai,<br />
mais, au moins, je poUlTYJiutiliser c<strong>et</strong> argent<br />
UN.~ILLIS<br />
Les femmes du clan <strong>de</strong>s SIya, tournant<br />
pour moi-même, pour ma maison, pour ach<strong>et</strong>er<br />
<strong>de</strong>s bijoux.<br />
se frappent la poitrine.<br />
- Pourquoi ne t'opposes-tu pas à c<strong>et</strong>te pratique que tu vois dans l'encre, lis ton avenir!" Le<br />
lait davantage, elle ne pourrait pas en payer le ment. Bon, on est à Urfa. Les gens se moquent<br />
prix. De même si elle apprenait davantage ... <strong>de</strong> moi <strong>et</strong> me crient: 'Monsieur! Mister!' Mais,<br />
Lefait <strong>de</strong> ne pas pouvoir vivre tout ce qu'elle l'autre jour, quand je me suis montré avec un<br />
aura appris luiferait <strong>de</strong> la peine; elle le sait." chalwar [pantalon bouffant] <strong>et</strong> bardé d'annes,<br />
Après un nouveau battement d'ailes, nous ça a beaucoup plu à tout le mon<strong>de</strong>. Je pense qu'ils<br />
nous trouvons face à un autre visage, celui <strong>de</strong> s'habituent à moi quand même."<br />
Murat Badilli, fils d'un chef <strong>de</strong> elan, ex-étu- Son père, Kemal Badilli, était l'homme le<br />
diant à la Sorbonne. Il a fini par revenir sur plus puissant d'Urfa. Lorsque Murat l'a perdu,<br />
ses terres, qui l'ont arraché à l'ivresse <strong>de</strong>s à 16ans, il ne savait rien <strong>de</strong> lui. Il n'a appris que<br />
rêves où il était plongé, là-bas, à <strong>Paris</strong>. La plus tard que son père était membre du Parti <strong>de</strong><br />
colombe se pose silencieusement sur les dalles la nouvelle Thrquie, fondé par MmeBehice Bo<strong>de</strong><br />
pierre <strong>de</strong> la cour.<br />
ran [sociologue d'Istanbul, qui a ensuite diri-<br />
C'était une autre époque. Le père tenait le gé le Parti ouvrier <strong>de</strong><br />
bras <strong>de</strong> son fils. Tous <strong>de</strong>ux étaient silencieux. Thrquie, <strong>de</strong> tendance<br />
L'homme avait sorti d'un vieux tiroir un flaron marxiste).Il a également<br />
d'encre bleue. Tout était très lent, très pesant. appris que son père était<br />
Le garçon regardait son père avec <strong>de</strong> grands passionné d'astrologie <strong>et</strong><br />
yeux. Celui-ci riait, sans rien dire. Et puis, qu'il avait écrit plusieurs<br />
l'homme a pris le pouce <strong>de</strong> son fils<strong>et</strong> y a déposé livres sur les étoiles <strong>et</strong><br />
une goutte d'encre bleue. L'enfant a-t-il pris les constellations, ainsi<br />
peur? Le père lui a <strong>de</strong>mandé:<br />
que la première gram-<br />
en rond,<br />
<strong>de</strong> vente <strong>de</strong> lafemme ?<br />
garçon y a vu <strong>de</strong>s pays lointains; il a vu une ville<br />
- C'est une tradition. immense avec une tOllr au milieu, <strong>de</strong>s jolies<br />
- Tu vas continuer ta formation jwqu'à quel filles, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s rues <strong>et</strong> <strong>de</strong>s amours volages.<br />
niveau?<br />
Mais,avant qu'il puisse voir davantage, la goutte<br />
- Je vais arrêter après le lycée. Ici, on ne peut a coulé <strong>de</strong> son doigt.<br />
pasfaire d'étu<strong>de</strong>s, vous savez. D'ailleurs, moi- "Mon père m'afait lire mon avenir ce jourmême,<br />
je n'ai pas envie <strong>de</strong> continuer.<br />
là", raconte Murat Badilli. Il sait maintenant<br />
- Tu sembles lasse, maintenant. que le pays lointain vu dans l'enrre était la<br />
- Je suisfatiguée, oui. J'ai beaucoup parlé, beau- France. "Pourmoi, ça a été une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vagacoup<br />
trop. Aux autres, maintenant, <strong>de</strong> prendre bOlUÙlge.J'ai changé d'école plu.çieursfois <strong>et</strong> j'ai<br />
la relève. "<br />
passé quelques années à la Sorbonne. " Le voilà<br />
Hillya,arrachée à son village par la presse, <strong>de</strong> nouveau sur ses terres, à Urfa. Bienqu'il ait<br />
puis rendue, non pas telle quelle, mais avec voulu ne plus jamais y revenir, bien qu'il ait<br />
une lour<strong>de</strong> facture à payer, n'a plus <strong>de</strong> rage <strong>et</strong> plusieurs fois envisagé <strong>de</strong> vendre toutes ses<br />
<strong>de</strong> joie dans les yeux. Pourtant, l'an <strong>de</strong>rnier, terres <strong>et</strong> aller s'installer à Istanbul ou à <strong>Paris</strong>.<br />
sa mère a été élue "mère <strong>de</strong> l'année", <strong>et</strong> la "Avant, je n'avais aucun but dans la vie. AJainpresse<br />
s'est penchée sur la vie d'Hülya, consi- tenant, p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it, je vois <strong>de</strong>s choses àfaire. J'ai<br />
dérée comme un "cas intéressant". Et main- fait relier mon village au réseau d'électricité,par<br />
tenant? La colombe bat <strong>de</strong>s ailes: "Si elle par- . e~'emple. Et j'essaie <strong>de</strong>faire venir l'eau, égale-<br />
maire <strong>de</strong> langue kur<strong>de</strong>. Et,qu'au moment <strong>de</strong> sa<br />
mort, il travaillait sur un dictionnaire kur<strong>de</strong>.<br />
Murat n'a plus que sa solitu<strong>de</strong>, maintenant. Sa<br />
solitu<strong>de</strong> <strong>et</strong> 1000 hectares <strong>de</strong> terres héritées <strong>de</strong><br />
son père. S'il ne s'est toujours pas marié, c'est<br />
qu'il a laissé son cœur en France. Seul fils <strong>de</strong> la<br />
famille, les pressions du clan l'ont empêché<br />
d'épouser la Française qu'il avait aimée là-bas.<br />
Maintenant, toute la famille se mobilise pour le<br />
voir enfin casé. Ils ne le font pas ouvertement,<br />
mais en essayant la magie. Lui s'en moque.<br />
Après la vie tumultueuse qu'i! a vécue, ce qui<br />
lui rend la solitu<strong>de</strong> slIpporlahlt'. ("l'sI qll'il ''l'<br />
rapproche ainsi <strong>de</strong> la trajectoire <strong>de</strong> son père.<br />
Chaque foisqu'il se rend au village, il achète un<br />
grand sac <strong>de</strong> bonbons pour les distribuer aux<br />
enfants, comme faisait son père. Et il s'occupe<br />
<strong>de</strong> ses terres. "Combien <strong>de</strong>fois ai-je essayé <strong>de</strong> les<br />
vendre, soupire-t-il, mais ces terres ne m'ont pas<br />
lâché. Et je pense que ça continuera ainsi. "<br />
"La terre est le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s gens. lei, chacun a<br />
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