Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

Revue de Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro de la Prensa-Baszn Özeti
-Le Monde - samedi, 12 avril 1997 -Le Monde - samedi, 12 avril 1997
Les scandales révélant des liens entre politiciens, mafia
et services de sécurité éclaboussent fa droite turque
DE PLUSEN PLUScontestée,le
vice-premier ministre tutc, Tansu
Ciller et son mari özer, sont au
centre d'un' «Watergate» à la
tutque qui éclabousse depuis six
mois \a classe politique, fragilise
la coalition gouvernementale et
fait abondamment gloser la
presse.
L'affaire commence dans la nuit
du 3 novembre 1996, lorsque, sur
une route, non loin de la paisible
bourgade de Susurluk, à l'ouest de
la 1\n'quie, une Mercedes roulant
à vive allure percute de plein
fouet un camion. Dans la voitute
accidentée gisent les corps d'Abdullah
CatIi, un mafieux, «centurion»
des «loups gris» O'organisation
de jeunesse du Parti de
l'action nationaliste ou MHP), celui
d'Hüseyin Kocadag, adjoint de
la sOreté d'Istanbul et celui d'une
ancienne «reine de beauté »,
Gonca Uz - dont un juge révélera,
début avril à la revue Tempo,
qu'ayant survécu à l'accident, elle
aurait été «liquidée ensuite dans
la voiture ». Assis à l'arrière, à côté
de la femme, le propriétaire de la
Mercedes, Sedat 'Bucak, député
du Parti de la juste voie (DYP)de
Tansu Ciller,s'en tire,lui, avec une
jambe cassée et des contusions.
Dans le coffre, on trouve des faux
papiers, des armes, des munitions,
des silencieux « enregistréscomme
propriété du département général
de la sécurité », lequel n'a pu, ensuite
selon la commission d'enquête
parlementaire, «fournir des
explications satisfaisantes à leur
présence darJ1:cevéhicule1».
Après quatre mois d'investigations;
la commission - dite
«commission d'enqu€te de Susurluk»
- a récemment rendu publiques
ses conclusions. Celles-ci,
qualifiées de «décevantes» par la
presse, font état de «pressions»
exercées «par le gouvernement»
pour «emp€cher les auditions de
M"'< Cilleret son mari ». Pourtant,
révèle le Turkish Daily News du
5 avril «plusieurs membres du Mlf
(les services secrets tutcs), auditionnés
par la commission, ont cité
avec insistance les noms» du vicepremier
ministre et de son époux.
• L'nAY INFlU'IÉ • .
Dans ses attendus, la commission
stipule que «des organisations
illégalesont infiltré l'Etat pes
membres des forces de sécurité et
despoliticiens ont des liensavec des
organisations hors-la-loi que l'on
pourrait appeler mafia ou gangs »
et cite douze noms, dont ceux des
deux principaux protagonistes de
«l'affaire de Susurluk»: Mehmet
Agar, l'ancien ministre de l'intérieur,
une étoile montante du Parti
de la juste voie (OW) de M- Ciller,
et Sedak ,Bucak, un Aga (chef
de clan kurde) à la tête d'une milice
de 2 000 hommes et également
député du DYP, dont les
liens avec la mafia apparaissent
comme patents.
cc Opérations spéciales» et héroïne
Le financement d'« opérations spéciales It par l'argent de la
drogue, dont fait état la presse turqUe, avait déjà été évoqué par rObservatolre
géopoUtique des drogues (OGD), dans' sa Déplche internationole
des drogues (bulletin no 61,ParIs, novembre 1996): «D'1lpI'ès
les dkltmltions Ill'OGD de cer1llins militaires turcs "kimillistes" tenant
Ilrester anonymes, plusieurs centaines de kilos d'héroïne cmiflsquis OlllfKIls
déclarés par l'tlTlIIée) lors d'opérations contre le PKK [PartI des tnvalDeun
du Kurdistan, marxlste-lénlnJste, en rébellion armée contre
Ankara depuis 1984] sont systématiquement remis aux risetnuc constitués
de sympathiSllnts d'extrême droite des "loups gril' et débarqués
plusieurs fois par an dans des ports espagnols. En Ancrtolie, une prime
ojJide~ de 1000 dollars le kilo est offerte par les militaires et toute personne
indiquant une ClIChed'opium ou d'héroïne. A ce prix, il est évident
que la "marchandise" est rarement détruite. »
Dans un document annexe, la
Cour de sOreté de l'Etat dÎlstanbul
requiert dix-neuf ans de réclusion
pour Mehmet Agar et onze ans
pour Sedat Bucak, sous réserve
évidemment de la levée de leur
immunité parlementaire. Les deux
députés du DYP sont accusés
d'avoir «créé une organisation armée
à des fins délictueuses» et
«protégé des personnes recherchées
». Mehmet Agar, qui fut en
son temps chef de la sécurité, est
en outre accusé d'avoir délivré de
vrais-faux papiers - carte de police,
passeport diplomatique et
permis de port d'arme - à Abdullah
CatIi, un membre des « loups
gris» recherché par la police
tutque et par Interpol depuis dixhuit
ans pour meurtres et trafic de
drogue.
Les parlementaires s'efforcent
de minimiser l'affaire, mais la
presse est intarissable. «L'existence
de commandos anti-guérilla
JI> parrainés par des politiciens
et les diverses forces de sécurité
au nom de la lutte contre les «ennemis
de l'unité» de la Turquie
.sont souvent évoqués. Ces
commandos, financés au moyen
de la drogue, de l'héroine essentiellement,
seraient à l'origine des
milliers de disparitions et «xécutions
extra-judiciaires» perpétrées,
surtout dans le Sud-Est ana~
toHen, ces dernières années. C'est
d'ailleurs sous l'inculpation de
«trafic d'héroine It (quatre kilos)
.qu'Abdullah Catli -le «centu-
.rion It recherché par Interpol et
qui périt dans l'accident de Susurlut
- fut condamné à sept ans
d'emprisonnement par le tribunal
de Bâle en juillet 1989. En
JlMrs1990. après une éVl"ion rocambolesque
du pénitencier de
Bostadel où il était incarcéré, Abdullah
Catli regagne la 1\1tqtïie
avec un laissez-passer en règle au
nom de Mehmet Özbay...
Dix ans auparavant, c'est égaIement
CatIi qui avait fourni, dans
le cadre de la préparation de l'attentat
perpétré contre le pape
Jean Paul Il, le 13 mai 1981, un
vrai-faux passeport à Ali Agça Oui
aussi évadé mystérieusement
en 1979 de Kartal Maltepe, une
des prisons les plus sOres de 1\n'-.
quie où"il purgeait une peine pour
l'assassinat du rédacteur en chef
de Milliyet, Abdi lpekçl) comme le
rappelle Jean-Marie Stoerkel dans
son ouvrage Les loups de Saint-
Pierre (Plon, 1996).
C'est encore Abdullah CatIi qui
aurait, selon Dogu Perincek, le
chef du Parti ouvrier (IP), orchestré
en mars 1995 l'organisation
d'une tentative de renversement
du président azerbaidjanais,
Gueidar Allev, dont l'épicentre
aurait été l'ambassade de 1\n'quie
à Bakou...
Après l'accident de Susurluk, on
fit à ce personnage, ancien chef de
la section des « loups gris » d'Ankara,
des funérailles nationales en
présence de milliers de personnes,
dont de nombreux babas (parrains).
Lors d'une réunion de son
groupe parlementaire, Tansu Ciller
lui rendit hommage en ces
termes: «J'ignore s'il était coupable
ou non, néanmoins cewe qui
ont tiré ou qui ont été touchés par
des baUes au nom de l'Etat sont
commémorés avec tous les honneurs.
Ils nous inspirent le plus
grand respect ».
Mariellxo
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