Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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•Le Monde - samedi, 12 avril 1997 •Le Monde - samedi, 12 avril 1997
Lesponts ne sont pas coupés avec le gouvernement
BONN
de notre correspondant
Les plus hautes autorités de Téhéran
sont directement impliquées
dans certaines actions terroristes
commises hors du territoire iranien.
C'est sur cette conclusion
que la justice allemande a décidé
de clore, jeudi 10avril à Berlin, le
«procès Mykonos» - du nom du
restaurant berlinois où furent assassinés
quatre opposants au régime
iranien en septembre 1992.
Ce verdict confirme le réquisitoire
du procureur fédéral de novembre
1996: il existe bien un
«terrorisme d'Etat» à Téhéran,
dont l'Objectif est de «liquider»
des opposants politiques. C'est la
première fois que la justice d'un
pays occidental dénonce aussi clairement
les agissements de la République
islamique.
En septembre 1992, les tueurs
avaient été chargés de supprimer
les dirigeants du Parti démocratique
du Kurdistan iranien, qui se
trouvaient à Berlin à l'occasion
d'un congrès. Un commerçant iranien
et un Libanais ont été
condamnés à la détention à perpétuité,
et deux de leurs compliceslibanais
à de lourdes peines de prison
(cinq et onze ans).
VERDICT EXEMPLAIRE
Sans citer le nom des commanditaires,
la justice allemande a mis
en cause un « comité des opérations
spéciales », dont font partie le président
de la République iranienne,
Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, et
le Guide de la République, Ali Khameneï,
la plus haute autorité religieuse
et politique.
Rendu sous surveillance policière
renforcée, le verdict est
exemplaire à plus d'un titre: outre
qu'il illustre de manière spectaculaire
l'indépendance de la justice
allemande, il permet de mettre en
lumière les méthodes de gouvernement
de la République islamique
et renforce son isolement international.
Dès l'annonce du verdict, les autorités
allemandes ont annoncé
qu'elles mettaient un terme, «pour
l'instant », au «dialogue critique»
avec Téhéran. Parallèlement, la
présidence néerlandaise de l'Union
européenne (UE) invitait les quatorze
autres Etats membres à suspendre
ledit dialogue et à rappeler
leurs ambassadeurs pour des
« consultations coordonnées ». L'Allemagne
a par ailleurs prié quatre
membres d'organismes iraniens à
quitter le pays.
A Téhéran, le verdict était attendu
avec nervosité: depuis l'automne
1996,des pressions plus ou
moins directes ont été tentées
pour dissuader la justice allemande
de suivre son cours. A Bonn, Bernd
Schmidbauer -l'homme chargé de
Washington demande des sanctions
Le gouvernement américain s'est féUdté, jeudi 10 avril, du verdict
du tribunal de BerUn et a Invité l'AUemagne et l'Union européenne à
en tirer les conclusions qui s'Imposent. Les Etats-Unis «saluent le
courage du procureur allemand, des juges allemands et des témoins ».
« Nous sommes convaincus que le verdict est ba5é sur l'évaluation objective
des /rIits », a déclaré le porte-parole du département d'Etat,
Nicholas Burns. «Le verdict du tribunal corrobore la conviction que
nous avons de longue date que le parrainage du terrorisme par l'Iran a
reçu l'assentiment des niveaux supérieurs du gouvernement iranien »,
a-t-Il ajouté. «Les autorités allemandes, estime le département
d'Etat, devront maintenant tirer leurs conclusions quant ci la manière
dont elles souhaitent traiter avec l'Iran après ce verdict sans ambiguité
». «Les Etats-Unis maintiendront leurs propres sanctions contre
l'Iran et nous encourageons vivement nos partenaires européens à/aire
de même », a encore dit M. Burns.
la coordination des services de
renseignement auprès du chancelier
Kohl- a récemment reconnu
que le ministre iranien des renseignements,
Ali Fallahian,était intervenu
auprès de lui pour tenter
d'empêcher la tenue du procès.
Le parquet fédéral avait déjà délivré
un mandat d'arrêt international
contre le même Fallahian, en
1996,à propos du «procès Mykonos
». Accusé d'activités d'espionnage
au profit de l'Allemagne, un
écrivain iranien indépendant, Faraj
Sarkouhi, est toujours séquestré
dans son pays.
Un porte-parole du ministère
des affaires étrangères iranien a
qualifié le jugement du tribunal de
Berlin de « politique, tendancieux et
sans fondement », en soulignant
qu'il avait été délivré sur la foi de
témoignages d'origine suspecte
(on se souvient notamment de
l'importance dans toute cette affaire
de la déposition faite par un
fameux «témoin C», ancien collaborateur
des services secrets iraniens).
Toujours d'après le ministère des
affaires étrangères iranien, des
« explications» ont été demandées
à Bonn, assorties de dénonciations
habituelles. visant «les
forces contre-révolutionnaires et sionistes»
supposées être à l'œuvre
derrière ce jugement.
Pas de représailles spectaculaires
cependant: Téhéran n'a pas décidé
pour l'instant d'aller plus loin que
ne l'exigent les conventions diplOmatiques.
L'ambassadeur d'Iran en
Allemagne a été rappelé «pour
consultation» et quatre diplomates
allemands ont été priés de quitter
Téhéran.
Pour éviter d'éventuels débordements,
d'importantes forces de
l'ordre ont pris place autour de
l'ambassade d'Allemagne à Téhéran.
En novembre 1996,le réquisitoire
du procureur fédéral avait
provoqué de vives émeutes anti-allemandes
à Téhéran et dans la ville
de Qom. Malgré les craintes de
Bonn, un scénario du type de celui
des mollahs
auquel on avait assisté à Téhéran
en 1979 avec la prise d'assaut de
l'ambassade des Etats-Unis, ne
semble pas se dessiner pour l'instant.
Des deux cOtés,on s'efforce manifestement
de minimiser la portée
de l'événement. Certes, la suspen,-
sion du «dialogue critique»
marque un net refroidissement
entre l'UE et la République isla..:
mique. Mais ce geste était quasi
annoncé. Déjà, en novembre, le
ministre des affaires étrangères allemand
avait fait savoir que ledit
dialogue ferait place à une polltique
plus prudente d'« influence
active» auprès de Téhéran.
CONTACTS PRéSERWS
L'Allemagne et l'UE n'ont pas
l'intention de couper les ponts
avec l'Iran. A l'approche de l'élection
présidentielle en Iran, préwe
fin mai, elles gardent un espoir de
démocratisation lente du régime
iranien.
Le gouvernement de Bonn n'a
pas empêché la justice de suivre
son cours. Mais des contacts ont
eu lieu entre le gouvernement et le
prOcureur fédéral. Ces contacts ont
sans doute permis que le nom de
hautes personnalités iraniennes ne
soit pas cité dans le jugement final:
si la justice allemande avait
directement cité le nom du Guide,
la crise aurait sans doute été bien
plus grave. En novembre, le chancelier
Helmut Kohl avait adressé
une lettre au président iranien
pour préciser que l'Allemagne ne
cherchait pas à «blesser les sentiments
religieux et la direction spirituelle
» du peuple iranien.
Tout indique que le maintien de
contacts officiels avec l'Iran est important
pour l'Allemagne, dont les
intérêts ne sont pas tant économiques
que politiques. Alors que
les exportations vers l'Iran ne représentent
qu'un très faible volume
de son commerce extérieur,
Bonn tient à avoir la possibilité de
jouer un certain rOle dans les affaires
du Proche-Orient.
Lucas Delattre
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