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JAZZ<br />
Depuis les premiers balbutiements<br />
du jazz jusqu’à aujourd’hui, personne<br />
ne s’entend sur une définition<br />
satisfaisante, cette tâche devenant<br />
même impossible à la lumière<br />
des croisements stylistiques actuels.<br />
Pourtant, cela n’a pas empêché historiens<br />
et journalistes d’émettre des propositions<br />
susceptibles de saisir l’essence de cette<br />
musique. Deux d’entre elles sont particulièrement<br />
intéressantes en ce qu’elles posent des<br />
points limites :<br />
» Le jazz comme la musique classique de<br />
l’Amérique. (Marshall Stearns)<br />
» Le jazz comme le son de la<br />
surprise. (Whitney Balliett)<br />
Pour sa troisième table ronde annuelle, <strong>La</strong><br />
<strong>Scena</strong> <strong>Musicale</strong> a sollicité les avis d’un musicien<br />
enseignant, deux<br />
musiciens interprètes<br />
à temps<br />
plein ainsi<br />
qu’un journaliste/historien,<br />
b<br />
question de<br />
savoir si l’une<br />
ou l’autre de<br />
ces propositions<br />
convient mieux<br />
au jazz.<br />
`<br />
b COAT COOKE<br />
Vancouver<br />
Saxophoniste et directeur<br />
artistique du NOW<br />
Orchestra<br />
Ces deux définitions<br />
me<br />
posent problème,<br />
quoique pour des<br />
raisons différentes.<br />
J’aime la<br />
seconde, car elle<br />
évoque un certain<br />
sens d’excitation que je<br />
recherche, mais elle est<br />
vague—au point d’être<br />
naïve, sinon péjorative, en<br />
réduisant sa valeur à la seule impulsivité.<br />
Le jazz comporte des dimensions culturelles,<br />
sociales et historiques. Pour décrire un<br />
aspect particulier, ça va mais pas comme<br />
définition.<br />
En ce qui concerne celle de Stearns.<br />
le dictionnaire définit le mot « classique<br />
» comme quelque chose de<br />
« sérieux » à laquelle on attache un certain<br />
air d’importance . Le jazz a son<br />
importance aussi, mais cela ne signifie<br />
pas qu’il soit «classique ». <strong>La</strong> musique<br />
classique peut être reproduite intégralement<br />
partout dans le monde et en tout<br />
temps, contrairement au jazz qui est du<br />
moment. Depuis le bop, l’expression<br />
individuelle a vraiment pris le dessus.<br />
Les écoles enseignent comment jouer un<br />
solo de Cannonball Adderley, mais ce<br />
n’est pas l’esprit du jazz. parce qu’on ne<br />
peut pas le réduire à un langage musical codifié.<br />
c<br />
RENO DE STEFANO<br />
Montréal<br />
Guitariste et éducateur, programme<br />
d’études de jazz, Université de<br />
Montréal<br />
TABLE<br />
RONDE<br />
DEUX VUES<br />
SUR LE JAZZ<br />
c<br />
Il est toujours problématique<br />
de définir le jazz parce<br />
qu’il est évolution constante. Toute<br />
définition doit donc être assez générale et<br />
englobante. <strong>La</strong> définition de Stearns essaie<br />
d’éclairer en stipulant que le jazz a atteint une<br />
légitimité comparable à la musique classique.<br />
Comme le jazz s’est développé aux États-<br />
Unis, il est à l’Amérique ce que la musique<br />
classique est à l’Europe : l’un et l’autre ont<br />
évolué stylistiquement au fil du temps.<br />
En considérant les contributions des grands,<br />
il ne fait aucun doute que le langage a tellement<br />
changé qu’il est de plus en plus difficile de<br />
le définir adéquatement. On peut<br />
apprécier la définition de<br />
Balliett à la lumière des<br />
innovations de musiciens<br />
de chaque nouvelle<br />
génération.<br />
L’individualisme de<br />
la sonorité d’un<br />
musicien et son<br />
expression personnelle<br />
sont les<br />
traits les plus<br />
distinctifs du<br />
jazz par<br />
rapport à la<br />
musique<br />
classique. Le<br />
jazz est un art<br />
consacré, donc<br />
classique, mais il<br />
peut toujours surprendre!<br />
d CHRISTINE JENSEN Montréal<br />
Saxophoniste alto, dirige ses formations, dont un big band<br />
Je m’interroge sur la situation actuelle du<br />
jazz. Je m’aperçois qu’il est en concurrence<br />
féroce avec d’autres genres. À cause de cela, il<br />
y a un besoin pressant de créer un public plus<br />
jeune que celui encore attaché au jazz du<br />
passé. Outre une baisse dans les assistances<br />
aux concerts. je constate une chute très nette<br />
dans les ventes de disques et un manque d’accès<br />
à des moyens de promotion.<br />
Définir le jazz est une question épineuse<br />
en raison de son évolution, accélérée par l’arrivée<br />
d’un si grand nombre de jeunes musiciens<br />
et de moyens technologiques. Je ne vois<br />
pas le jazz comme « musique classique américaine<br />
». Le terme « classique » stigmatise. Le<br />
musicien improvisateur crée la musique dans<br />
le moment, ce qui va à l’encontre de la<br />
musique classique. L’artiste de jazz est<br />
moins inhibé par la recherche de nouvelles<br />
structures et de moyens de lier<br />
composition et improvisation et je<br />
souhaiterais donc que la phrase de<br />
Balliett soit le résultat. Le jazz est<br />
une musique du<br />
monde<br />
d’en être une<br />
de l’Amérique.<br />
eMARK MILLER<br />
Toronto<br />
Ancien journaliste au<br />
Globe and Mail et auteur<br />
de plusieurs ouvrages sur<br />
l’histoire du jazz canadien et<br />
international<br />
avant<br />
Ces deux définitions me paraissent<br />
insatisfaisantes, mais si on m’obligeait à<br />
en choisir une, je préfère la seconde jiste<br />
parce qu’elle moins problématique. J’ai toujours<br />
rejeté toute définition « classiciste » du<br />
jazz visant à créer une hiérarchie suivant<br />
laquelle le jazz aspire à être élevé au rang du<br />
classique : le jazz se quantifie et se qualifie<br />
uniquement en ses propres termes.<br />
Si l’exercice consiste à désigner les<br />
Armstrong, Ellington et Parker comme les<br />
Bach, Beethoven et Bartok de l’Amérique, le<br />
jeu est peut-être assez innocent en soi, mais<br />
invalide comme définition.<br />
Cela contredit la réalité<br />
historique et évanescente<br />
du jazz en figeant son<br />
esthétique, excluant<br />
ainsi tout potentiel<br />
d<br />
e<br />
d’évolution, une<br />
supposition dangereuse<br />
pour une<br />
musique en mutation<br />
constante.<br />
Le jazz comme son de<br />
la surprise est une proposition<br />
plus heureuse, mais pas<br />
plus adéquate (d’autres musiques peuvent<br />
surprendre); elle est au moins plus ouverte en<br />
ne posant pas de limites stylistiques, culturelles<br />
ou géopolitiques. ■<br />
N.B. Le mois prochain, le nouvel ouvrage de Miller,<br />
Herbie Nichols – A Jazzist’s Life – sera recensé dans<br />
cette section.<br />
See complete transcripts of contributors’ comments at<br />
www.scena.org/blog/jazz<br />
28 Novembre 2009 November