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JANINAFIALKOWSKA<br />
COMMUNIQUER L’ÉMOTION DU COMPOSITEUR<br />
Lucie Renaud<br />
Sonorité chaleureuse, phrasé<br />
poétique, intimité quasi palpable<br />
avec le public, Janina<br />
Fialkowska semble posséder<br />
nombre d’atouts qui lui permettent<br />
de transmettre les subtilités des<br />
pages de Chopin. Après tout, le compositeur<br />
l’habite depuis presque un demisiècle<br />
déjà, alors qu’à l’âge de 12 ans, elle<br />
découvrait le Concerto en mi mineur sous<br />
les doigts de celui qui allait devenir son<br />
mentor. « Bien sûr, ce que Rubinstein faisait<br />
était fantastique, confie-t-elle dans<br />
un français fluide de sa résidence du<br />
Connecticut, mais ce soir-là, quand j’ai<br />
entendu Chopin, j’ai compris que pour<br />
cette raison, on devenait musicien, que<br />
cette musique permettait de toucher les<br />
gens. C’est avec Chopin que je suis devenue<br />
musicienne; avant, je ne faisais que<br />
jouer du piano. »<br />
Au coup de foudre a succédé un<br />
amour assumé, non dénué d’une certaine<br />
tendresse: «Au fil des années, j’ai aussi<br />
reconnu la profondeur et la complexité<br />
de Chopin, ses innovations, compris qu’il<br />
avait écrit pour le piano peut-être mieux<br />
que n’importe qui. Je trouve tout dans<br />
Chopin: l’émotion, la stimulation intellectuelle,<br />
le côté aristocrate, le raffinement de la<br />
musique, l’esprit polonais, français. Il y a<br />
aussi cette base rythmique que j’adore, ces<br />
rythmes de jeunesse qu’il inscrit dans presque<br />
toutes ses œuvres. Par la suite, j’ai abordé l’aspect<br />
du chant. Tout est mélodique, tout est<br />
chanté chez Chopin, même les passages très<br />
rapides. De plus, comme chez Mozart,<br />
chaque note a une importance.»<br />
Janina Fialkowska profite des célébrations<br />
entourant le bicentenaire de la naissance du<br />
compositeur polonais pour le jouer dans<br />
toutes les grandes villes du Canada, comme<br />
soliste ou en récital. « J’aime Chopin de plus<br />
en plus, avoue-t-elle avec un trouble presque<br />
adolescent. Si on met l’accent sur le compositeur,<br />
si on le comprend bien, si on a lu sur<br />
lui comme je l’ai fait, sur ce que les autres ont<br />
dit de son jeu, dépourvu de sentimentalité,<br />
direct, noble, élégant, sans rien de superflu,<br />
on le perçoit autrement. J’essaie de montrer<br />
la grandeur de Chopin, sa profondeur. On ne<br />
parle pas de musique de dessert, mais d’un<br />
plat principal. »<br />
Cette comparaison ne s’avère pas fortuite<br />
puisque Janina Fialkowska, qui adore cuisiner<br />
en compagnie de son mari et agent Harry<br />
Oesterle, admet penser un programme de<br />
concert comme le menu d’un repas équilibré.<br />
PHOTO : PETER SCHAFF<br />
Son récital montréalais, présenté sous les auspices<br />
de Pro Musica, n’y fera pas exception.<br />
Après une première partie sous le thème de la<br />
théâtralité, qui comprendra la Fantaisie en do<br />
mineur de Mozart et le Carnaval de Vienne de<br />
Schumann (dont on souligne également l’anniversaire),<br />
la pianiste propose un deuxième<br />
segment entièrement consacré à Chopin.<br />
Celui-ci s’amorcera par la Polonaise opus 26 n o<br />
1. «J’aime beaucoup commencer par une polonaise,<br />
dit la pianiste, parce que celle-ci ouvre<br />
toujours le bal polonais… J’ai choisi celle-ci<br />
parce qu’elle est moins jouée et que je la considère<br />
comme un véritable miracle.» Elle enchaînera<br />
avec deux valses: «Plusieurs pensent que<br />
les valses sont de la musique d’ameublement.<br />
Pourtant, il y a tant de choses qui se passent<br />
dans ces pages.» Elle proposera en entremets le<br />
Nocturne opus 62 n o 1, en si majeur, une œuvre<br />
tardive, polyphonique, l’une de ses préférées,<br />
avant de plonger dans la noirceur et l’agitation<br />
d’un prélude, bientôt tempérées par la mélancolie<br />
d’un second. Le repas cinq services se<br />
conclura par le flamboyant Deuxième Scherzo,<br />
«l’un des meilleurs morceaux de concert écrits<br />
dans l’histoire de la musique, qui comprend<br />
l’essence même de Chopin et termine fantastiquement<br />
bien un récital». Quelques mignardises<br />
pourraient bien être servies aux gourmands<br />
après cette pièce montée<br />
pyrotechnique : « Quand je joue<br />
Chopin, mon espoir demeure que les<br />
gens quittent la salle et trouvent<br />
l’œuvre que j’ai interprétée extraordinaire.<br />
Après seulement, s’ils le veulent,<br />
ils peuvent dire: Janina a très bien<br />
joué!»<br />
<strong>La</strong> pianiste montréalaise travaille<br />
ces jours-ci assidument à une autobiographie,<br />
amorcée lors de son combat<br />
mené contre le cancer en 2002.<br />
Fréquentant le circuit international<br />
depuis une trentaine d’années, elle ne<br />
s’émeut pas des cris d’alarme lancés<br />
par une industrie en apparente déroute.<br />
«Il y a toujours eu un trou dans le<br />
public âgé de 20 à 45 ou 50 ans; cela<br />
peut s’expliquer très facilement,<br />
explique-t-elle placidement. À ce<br />
moment-là, les gens n’ont pas assez<br />
d’argent pour aller au concert, ils élèvent<br />
leur famille, assument des hypothèques,<br />
ils travaillent. C’est seulement<br />
après que les enfants sont partis<br />
qu’ils peuvent songer à aller de nouveau<br />
au concert. Quand j’ai commencé<br />
à jouer dans les années 1970, on<br />
parlait déjà d’un public vieillissant!»<br />
Consciente de la nécessité de<br />
rejoindre le public là où il se trouve<br />
et non seulement dans les grands centres, la<br />
musicienne sillonne le Canada grâce à l’organisation<br />
Piano Plus, qui a pris il y a quelques<br />
années la relève de Piano Six, fondée par la<br />
pianiste en 1993. Nullement blasée, elle<br />
continue de s’émerveiller des moments prodigieux<br />
qui ponctuent son parcours. « Cela<br />
peut exister dans les endroits les plus inattendus.<br />
Par exemple, l’année dernière, j’ai donné<br />
à l’île Manitoulin l’un des meilleurs récitals<br />
de ma carrière. Peut-être était-ce le recueillement<br />
du public, son silence parfait, mais<br />
pour moi, l’instant a été magique, magnifique.<br />
Si nous sommes, le public et moi, en<br />
communion et que je suis sur la même longueur<br />
d’onde que le compositeur, tout peut<br />
arriver. » Avec une certaine fébrilité, elle<br />
retourne une dernière fois vers Chopin :<br />
«Quand on joue sa musique, on creuse dans<br />
le cerveau de cet homme-là, dans ses émotions<br />
et on y trouve toutes sortes de choses.<br />
Je pense que c’est mon travail de partager<br />
mes trouvailles avec le public. C’est une<br />
question de communication, de projeter la<br />
complexité des émotions. Si je peux transmettre<br />
ce qui fait de Chopin un si grand<br />
compositeur, alors j’ai réussi. » ■<br />
Société Pro Musica, lundi 10 mai, Théâtre Maisonneuve.<br />
Détails au www.promusica.qc.ca<br />
24 Mai 2010 May