La Turquie entre l'Europe et l'Asie* - Association des Revues Plurielles
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IN OLUþUM/GENÈSE N° 42<br />
<strong>La</strong> <strong>Turquie</strong> <strong>entre</strong> l’Europe <strong>et</strong> l’Asie *<br />
A h m e t T a n e r K I Þ L A L I<br />
• • • • • • • • •<br />
* Texte issu de la<br />
conférence du 17 mars<br />
1995 à Faculté de Droit<br />
de Nancy<br />
Pour comprendre la <strong>Turquie</strong><br />
d’aujourd’hui, il faut comprendre la<br />
large synthèse culturelle de quatre<br />
composantes : l’héritage de l’Asie centrale,<br />
l’influence islamique, l’héritage <strong>des</strong> civilisations<br />
anatoliennes, <strong>et</strong> la révolution kémaliste.<br />
HÉRITAGE DE L’ASIE CENTRALE<br />
En Asie centrale, la majorité <strong>des</strong> Turcs<br />
étaient <strong>des</strong> noma<strong>des</strong>, à cause <strong>des</strong> conditions<br />
géographiques, qui rendaient impossible de<br />
vivre de l’agriculture en grand nombre.<br />
Par manque de pâturages <strong>et</strong> d’eaux suffisants,<br />
ils vivaient par p<strong>et</strong>ites tribus <strong>et</strong> ne se<br />
réunissaient qu’en temps de guerre ou de<br />
chasse de longue durée.<br />
A ce moment-là, ils élisaient un chef militaire<br />
ou un président de chasse, tous les deux<br />
temporaires.<br />
Les conditions très difficiles de la vie<br />
nomade, rendaient impossible l’existence<br />
d’une aristocratie politique.<br />
Tout le monde devait travailler <strong>et</strong> pouvait<br />
participer à la prise de décision concernant<br />
la vie commune. Il s’agissait d’une sorte de<br />
démocratie primitive <strong>et</strong> spontanée.<br />
Dans c<strong>et</strong>te démocratie spontanée, la<br />
femme turque était socialement égale à<br />
l’homme, contrairement à la démocratie antique<br />
d’Athènes. Dans le Chamanisme qui était<br />
la religion de nos ancêtres d’Asie centrale, la<br />
femme était considérée comme sacrée, à l’inverse<br />
de l’ancienne religion iranienne de Zarathoustra,<br />
qui considérait la femme comme<br />
symbole du sale <strong>et</strong> du mauvais.<br />
<strong>La</strong> famille turque d’autrefois était monogame.<br />
<strong>La</strong> femme avait le droit de choisir son<br />
mari, <strong>et</strong> avait le même droit sur les biens de<br />
la famille <strong>et</strong> les enfants que l’homme.<br />
Elle participait à la guerre, assistait aux<br />
festins officiels, <strong>et</strong> pouvait devenir commandant<br />
de forteresse, gouverneur, ambassadeur<br />
<strong>et</strong> même chef d’Etat.<br />
Les premières femmes chefs d’Etat furent<br />
<strong>des</strong> Turques : tels que Raziye Sultan (sultane<br />
turque de Delhi, qui régna de 1236 à 1240)<br />
<strong>et</strong> Türkan Hatoun (sultane de l’Etat de Koutlouk<br />
à Kirman - en Iran, qui régna de 1269 à<br />
1282). Il y eut aussi Souyoum Bike (dernier<br />
khan de Kazan- Tataristan, qui régna au XVI ème<br />
siècle) dont le mari était le khan de Kirime.<br />
Un décr<strong>et</strong>-loi ne pouvait <strong>entre</strong>r en vigueur<br />
qu’avec la signature de l’épouse (Hatoun) du<br />
chef d’Etat (Hakan), dont la signature seule<br />
ne suffisait pas.<br />
INFLUENCE ISLAMIQUE<br />
C’est à la fin du X ème siècle que les Turcs<br />
commencèrent à se convertir à l’Islam.<br />
L’Islam a surtout exercé une influence sur<br />
le statut social de la femme.<br />
Avant l’Islam, la situation de la femme<br />
arabe était déplorable. Par exemple, le chameau<br />
était souvent considéré plus précieux<br />
qu’une femme. Il était fréquent qu’on laisse<br />
mourir les p<strong>et</strong>ites filles, même qu’on les<br />
58<br />
OLUSUM/GENESE N° 100<br />
,
enterre vivantes.<br />
<strong>La</strong> femme pouvait être vendue comme un<br />
obj<strong>et</strong>, <strong>et</strong> faisait partie de l’héritage.<br />
L’homme, libre d’épouser autant de<br />
femmes qu’il voulait, pouvait les quitter à sa<br />
guise.<br />
L’Islam fut le salut de<br />
la femme arabe. Grâce à<br />
lui, elle a commencé à<br />
être traitée comme un être<br />
humain. C’est l’Islam qui<br />
a interdit de tuer les filles,<br />
d’épouser plus de quatre<br />
femmes, <strong>et</strong> de divorcer<br />
sans aucune restriction.<br />
C’est l’Islam qui a<br />
obligé l’homme à traiter sa<br />
femme de bonne manière,<br />
<strong>et</strong> l’enfant à respecter aussi<br />
sa mère. Même en tant que<br />
citoyen de second ordre, la situation sociale<br />
de la femme arabe <strong>et</strong> iranienne, fut incomparablement<br />
meilleure à celle d’avant l’Islam.<br />
Quant à la femme turque, ce fut l’inverse.<br />
Malgré l’influence de l’Islam <strong>et</strong> de la culture<br />
arabo-iranienne, la tradition égalitaire à<br />
l’égard de la femme turque n’a pas disparu<br />
complètement, surtout dans la campagne <strong>et</strong><br />
plus encore dans la vie <strong>des</strong> noma<strong>des</strong>.<br />
D’après les écrits de M. Klavia, l’ambassadeur<br />
de Kastilia d’Espagne, au festin qu’avait<br />
donné Timour à Samarkand, les femmes<br />
avaient été présentes avec les hommes (en<br />
1404, c’est-à-dire plus de quatre siècles après<br />
l’adoption de l’Islam). Et d’après le témoignage<br />
du turcologue hongrois, M. Vambery,<br />
même en 1860, en Asie centrale, les femmes<br />
turques ne se cachaient pas <strong>des</strong> hommes.<br />
Ahmed Yesevi, l’homme le plus respecté<br />
en Turkistan après Mohammed, qui a vécu<br />
au XII ème siècle, soutenait la présence <strong>des</strong><br />
femmes <strong>et</strong> <strong>des</strong> hommes ensemble « dans la<br />
société <strong>et</strong> dans les cérémonies religieuses ».<br />
Il faut ajouter que c’est au contact de<br />
Byzance <strong>et</strong> après la conquête d’Istanbul que<br />
la femme turque a commencé à porter le<br />
voile. <strong>La</strong> polygamie <strong>et</strong> le harem ne sont entrés<br />
dans la tradition qu’au niveau surtout <strong>des</strong><br />
milieux aristocratiques.<br />
Après l’adoption de l’Islam, la culture<br />
arabo-iranienne a surtout influencé les milieux<br />
du palais <strong>et</strong> les intellectuels ottomans ; d’où<br />
découle l’écart grandissant <strong>entre</strong> la langue <strong>et</strong><br />
Il existe encore aujourd’hui <strong>des</strong><br />
minorités turques, chrétiennes<br />
<strong>et</strong> juives. Les Gagaouzs qui<br />
sont chrétiens forment un état<br />
autonome sur les territoires de<br />
Moldavie <strong>et</strong> leur nombre s’élève<br />
à 400 000. Quant aux Turcs<br />
juifs, ils sont deux groupes : les<br />
Karaims <strong>et</strong> les Kirimcheks, qui<br />
sont environ 3 à 4 000 environ<br />
<strong>et</strong> vivent dispersés en Russie,<br />
Lituanie <strong>et</strong> Pologne.<br />
la culture de l’intelligentsia <strong>et</strong> celles du peuple.<br />
Avant la révolution kémaliste, les masses ne<br />
pouvaient plus comprendre la langue littéraire<br />
<strong>et</strong> écrite.<br />
HÉRITAGE DES CIVILI-<br />
SATIONS ANATOLIENNES<br />
Du IX ème au XII ème siècle,<br />
le nombre <strong>des</strong> Turcs venus<br />
en Anatolie s’élevait de 800<br />
000 à 1 200 000 d’après<br />
les estimations. Or, la population<br />
anatolienne à la<br />
même période était dix fois<br />
plus nombreuse. Et, les<br />
nouveaux venus, peu à peu,<br />
s’étaient mêlés à ces peuples<br />
d’Asie mineure. Au<br />
cours de longs siècles, ce<br />
n’est pas seulement une synthèse de races<br />
<strong>et</strong> d’<strong>et</strong>hnies qui s’est formée mais, en même<br />
temps, une formidable synthèse de cultures.<br />
C’est pourquoi, la conception culturelle<br />
de M. Kemal Atatürk considère la <strong>Turquie</strong><br />
contemporaine comme l’héritier historique <strong>et</strong><br />
naturel de toutes les civilisations anatoliennes<br />
du passé.<br />
Pour pouvoir exister, la démocratie a<br />
besoin d’une culture de tolérance <strong>et</strong> de conciliation.<br />
<strong>La</strong> tolérance <strong>et</strong> la conciliation qui en<br />
découle, ne se développent qu’avec le fait<br />
de s’habituer à ce qui est différent. L’Anatolie<br />
qui était sur le passage d’innombrables civilisations,<br />
était un cadre naturel pour que s’y<br />
développe une culture de tolérance. Le fait de<br />
vivre avec <strong>des</strong> gens de langues différentes,<br />
de coutumes différentes, <strong>et</strong> surtout de croyances<br />
différentes, faisait développer par la suite,<br />
un comportement, habitué à la différence <strong>et</strong> à<br />
la tolérance.<br />
A la base de l’Islam de l’Arabie ou de<br />
l’Iran, c’est la « peur de Dieu » qui domine.<br />
Par contre, les sectes islamiques anatoliennes<br />
(Mevlevi, Bektasi, Babai) sont basées<br />
sur l’amour de Dieu. Il n’est ainsi pas possible<br />
de comparer l’Alévi d’Anatolie au Chiite d’Iran<br />
; pourtant ils sont tous les deux de même origine<br />
religieuse. Autant le Chiite en question<br />
est rigide <strong>et</strong> sans tolérance, autant l’Alévite<br />
est tolérant.<br />
L’Empire ottoman est un <strong>des</strong> meilleurs<br />
exemples historiques où la tolérance reli-<br />
N° 100 OLUSUM/GENESE<br />
,<br />
59
gieuse est institutionnalisée. Tous les groupes<br />
religieux jouissaient d’une autonomie assez<br />
large dans les domaines économiques, juridiques,<br />
<strong>et</strong> éducatifs. Dans le protocole, le<br />
patriarche grec orthodoxe, le patriarche arménien,<br />
<strong>et</strong> le grand rabbin juif<br />
avaient leurs places aux<br />
premiers rangs. Les monastères<br />
profitaient d’une<br />
immunité fiscale. Mais la<br />
tolérance que l’Empire<br />
montrait envers les nonmusulmans<br />
n’existait guère<br />
pour les musulmans non<br />
orthodoxes.<br />
Les Turcs seldjouki<strong>des</strong><br />
qui avaient fondé un état<br />
en Anatolie, avant les Ottomans,<br />
n’avaient pas une<br />
conception d’Etat basée sur<br />
la religion. Les Ottomans, eux aussi, avaient<br />
séparé dans la pratique, les affaires religieuses<br />
de celles de l’Etat. C’est le Seyhülislam qui<br />
s’occupait <strong>des</strong> affaires religieuses, <strong>et</strong> quant<br />
aux affaires d’Etat, c’est le grand vizir (Sadrazam)<br />
qui s’en chargeait.<br />
Même quand les sultans ottomans commencèrent<br />
à porter le titre de Khalif, c’est<br />
encore le Seyhülislam qui signait le décr<strong>et</strong><br />
religieux pour donner une approbation qui<br />
pendant <strong>des</strong> siècles n’était qu’une formalité.<br />
Jusqu’au XVI ème siècle le chef <strong>des</strong> affaires religieuses<br />
(c’est-à-dire le Seyhülislam) ne pouvait<br />
se mêler ni <strong>des</strong> affaires d’Etat ni du<br />
domaine réservé au droit<br />
coutumier. C’est un fait historique<br />
que les sultans faisaient<br />
parfois décapiter les<br />
Seyhülislams qui refusaient<br />
de donner leur approbation<br />
pour un décr<strong>et</strong> royal.<br />
Sous l’Empire ottoman,<br />
dans le domaine social<br />
<strong>et</strong> les affaires de l’Etat,<br />
c’était davantage les règles<br />
posées par le pouvoir politique<br />
qui étaient en vigueur<br />
que les règles religieuses.<br />
Depuis le Sultan Mehm<strong>et</strong>,<br />
conquérant de Constantinople, qui avait préparé<br />
le fameux code nommé sous son nom,<br />
jusqu’à Süleyman le Magnifique qui est surnommé<br />
chez nous « Kanuni », ce qui veut dire<br />
<strong>La</strong> Faculté de médecine de<br />
l’Université d’Egée a réalisé<br />
une recherche afin de déceler<br />
le type physique du Turc<br />
d’Anatolie. Après six ans<br />
années d’efforts, les chercheurs<br />
ont fini par accepter<br />
qu’un tel type n’éxistait pas<br />
à cause du fort mélange de<br />
races.<br />
Les dirigeants de l’Empire<br />
ottoman ne se déclaraient<br />
jamais Turcs mais Ottomans.<br />
Même à partir de la conquête<br />
de Constantinople en 1453,<br />
les sultans ont systématiquement<br />
écarté les Turcs de la<br />
direction de l’Empire.<br />
« poseur de loi », plusieurs sultans ottomans<br />
édictèrent <strong>des</strong> lois sans lien direct avec la<br />
religion.<br />
Les sultans ottomans, contrairement à certains<br />
politiciens d’aujourd’hui, ne visitaient<br />
jamais la Mecque. Les lois<br />
qui réglementaient les affaires<br />
d’Etat <strong>et</strong> les questions<br />
agricoles, n’étaient point<br />
conformes au code religieux.<br />
A l’époque glorieuse de<br />
l’Empire ottoman, le pouvoir<br />
religieux dépendait du<br />
pouvoir politique, c’est-àdire<br />
du sultan. Mais avec<br />
le temps, la situation s’est<br />
inversée : les forces religieuses,<br />
en profitant de<br />
la dégradation du pouvoir<br />
politique, ont gagné du terrain. <strong>La</strong> religion est<br />
venue ainsi, comme une institution barrant<br />
la route à la société, s’accommoder à l’ère<br />
moderne.<br />
Par exemple, c’est quelques années après<br />
Gutenberg que la première imprimerie a été<br />
installée à Istanbul. Mais on n’a donné la permission<br />
de l’utiliser que pour les Juifs <strong>et</strong> Chrétiens.<br />
En 1666, Ni Bey, le traducteur en chef<br />
du sultan avait traduit l’Ancien <strong>et</strong> le Nouveau<br />
Testament en turc populaire. Mais le peuple<br />
musulman de l’Anatolie fut obligé d’attendre<br />
la fondation de la République laïque, afin<br />
de lire <strong>et</strong> de comprendre le Coran dans sa<br />
propre langue.<br />
RÉVOLUTION KÉMA-<br />
LISTE<br />
L’Etat ottoman qui voulait<br />
stopper la dégradation<br />
de l’Empire <strong>et</strong> les défaites<br />
militaires, a pris <strong>des</strong> mesures<br />
dans deux domaines :<br />
il a réformé les écoles militaires<br />
<strong>et</strong> le système juridique.<br />
En 1850, avec l’entrée<br />
en vigueur de la loi sur le<br />
commerce, la différence de religion fut abolie<br />
dans les contentieux commerciaux, <strong>et</strong> l’intérêt<br />
est devenu légal. Un an après, cela a été<br />
le tour du code pénal devenu laïc. Et <strong>entre</strong><br />
60<br />
OLUSUM/GENESE N° 100<br />
,
1871 <strong>et</strong> 1878, le peuple non-musulman de<br />
l’empire a obtenu le droit de participer aux<br />
élections municipales.<br />
En 1908 la polygamie fut interdite <strong>et</strong> la<br />
femme a obtenu le droit au divorce. D’ailleurs<br />
une recherche effectuée par les Français dans<br />
le pays, montrait que la polygamie n’était<br />
qu’exceptionnelle : seulement 5 % à Istanbul<br />
<strong>et</strong> 8 % en général.<br />
En même temps que les changements<br />
dans le système juridique, les écoles laïques<br />
commençaient à naître à côté <strong>des</strong> écoles<br />
traditionnelles.<br />
Ce qui est certain c’est que la révolution<br />
kémaliste, telle qu’elle fut, n’aurait pas réussie<br />
dans un autre pays musulman. C’est c<strong>et</strong>te<br />
composition culturelle, issue d’un long passé<br />
multidimensionnel, qui a offert à M. Kemal un<br />
terrain plus ou moins propice pour réaliser sa<br />
révolution. Mais cela n’empêche pas la révolution<br />
kémaliste, d’être une <strong>des</strong> plus hardie de<br />
l’histoire.<br />
<strong>La</strong> principale ressource <strong>des</strong> pays sousdéveloppés,<br />
<strong>et</strong> donc pauvres, est humaine.<br />
On ne peut mobiliser les autres ressources<br />
qu’en mobilisant l’homme.<br />
C’est pourquoi, les révolutions dans ces<br />
pays doivent être, avant tout, <strong>des</strong> révolutions<br />
culturelles en vue de changer l’homme, de<br />
créer « le nouvel homme » qui doit être la<br />
force motrice du changement social, pour<br />
accélérer le déroulement historique, <strong>et</strong> diminuer<br />
ainsi l’écart avec les pays avancés.<br />
<strong>La</strong> réussite <strong>des</strong> révolutionnaires <strong>des</strong> pays<br />
sous-développés, dépend étroitement de la<br />
création de ce « nouvel homme ».<br />
M. Kemal a changé l’alphab<strong>et</strong> (c’est une<br />
chose que Mao n’a pas pu réussir), remplacé<br />
la langue ottomane par un turc purifié, aboli<br />
le califat <strong>et</strong> le droit canonique, rétabli l’égalité<br />
<strong>des</strong> sexes au moins sur le plan juridique,<br />
créé un système d’éducation moderne, laïc <strong>et</strong><br />
démocratique <strong>et</strong>c.<br />
<strong>La</strong> femme turque a obtenu les droits politiques<br />
en 1934, bien avant la femme européenne<br />
occidentale dans certains pays, y<br />
compris la femme française. Le fait d’avoir<br />
un premier ministre femme, qui est en même<br />
temps le chef d’un parti conservateur, n’est<br />
que l’issue d’un long processus historique.<br />
Ce qui est peut-être encore plus significatif,<br />
c’est le pourcentage de femme parmi les<br />
enseignants d’université qui s’élève à 30 %,<br />
contre 1 % en Allemagne. <strong>La</strong> fameuse firme<br />
IBM, dans le monde entier, compte 20 % de<br />
femmes parmi ses employés. Par contre, ce<br />
pourcentage arrive à 41 % en <strong>Turquie</strong>.<br />
L’interdiction de porter le fez peut paraître<br />
aujourd’hui insensée <strong>et</strong> même ridicule. Mais<br />
dans les conditions de l’époque, peut-on nier<br />
que cela avait un sens pour la création du<br />
« nouvel homme » ! Car c’est d’abord dans<br />
les esprits <strong>des</strong> gens que doit germer la conviction<br />
du changement, <strong>et</strong> les changements<br />
dans l’aspect extérieur influent certes sur l’esprit.<br />
Pour former une mentalité nouvelle, M.<br />
Kemal Atatürk attachait beaucoup d’importance<br />
à l’histoire <strong>et</strong> à la langue. Afin de créer<br />
une nation au sens moderne du terme, il fallait<br />
donner au peuple, une conscience <strong>et</strong> une<br />
confiance nationale qui ont été délibérément<br />
négligées au temps de l’Empire. Il fallait donc<br />
revoir <strong>et</strong> même refaire, à la limite, l’histoire<br />
<strong>des</strong> Turcs d’un côté, <strong>et</strong> purifier la langue de<br />
l’hégémonie arabo-iranienne de l’autre.<br />
C’est c<strong>et</strong>te révolution culturelle qui a créé<br />
une nation jeune sur les ruines d’un vieil<br />
empire qui lui, avait fait oublier sa langue <strong>et</strong><br />
son histoire, <strong>et</strong> lui avait enlevé sa confiance<br />
en elle. Aujourd’hui il n’est pas facile d’imaginer<br />
combien c<strong>et</strong>te tache fut difficile à réaliser.<br />
C’est ainsi que, « l’homme malade du<br />
Bosphore » est devenu le « nouvel homme »<br />
digne, courageux, tourné vers la civilisation<br />
contemporaine.<br />
M. Kemal avait deux buts : d’abord l’indépendance<br />
nationale, ensuite la modernisation<br />
sociale. Il avait été profondément influencé<br />
par la Révolution française, d’où son attachement<br />
à la démocratie pluraliste, <strong>et</strong> trois de ses<br />
six principes idéologiques en découlaient :<br />
nationalisme, républicanisme, <strong>et</strong> laïcité. Quant<br />
aux trois autres principes, ils ont été inspirés<br />
plutôt par le socialisme : étatisme, populisme<br />
<strong>et</strong> réformisme (ou révolutionnarisme).<br />
Le premier but du nationalisme kémaliste,<br />
était de former une nation contemporaine, non<br />
basée sur la race <strong>et</strong> la religion. Pour M. Kemal,<br />
les éléments fondamentaux de la nation, sont<br />
l’histoire commune, la langue commune qui<br />
est issue de ce passé, <strong>et</strong> par conséquent la<br />
culture commune. Pour lui le Turc, c’est le<br />
nom <strong>des</strong> hommes d’Anatolie solidaires « pour<br />
le meilleur <strong>et</strong> le pire ».<br />
En 1935, la définition officielle de la nation<br />
N° 100 OLUSUM/GENESE<br />
,<br />
61
était : « <strong>La</strong> nation est un ensemble politique<br />
<strong>et</strong> social, composée de citoyens attachés les<br />
uns aux autres par la langue, la culture, <strong>et</strong><br />
l’idéal. » Les Turcs qui vivaient encore en Asie<br />
centrale ne faisaient pas partie de ce concept<br />
de nation turque. Par contre, tous les hommes<br />
de l’Anatolie, quelles que soient leurs origines<br />
<strong>et</strong>hniques, étaient considérés comme Turcs.<br />
Dans le contexte kémaliste, être républicain<br />
voulait dire être démocrate.<br />
M. Kemal Atatürk le disait sans ambiguïté<br />
: « Le régime républicain veut dire<br />
le mode d’Etat démocratique. Nous avons<br />
établi la République il y a dix ans, elle<br />
devrait m<strong>et</strong>tre en application toutes les conditions<br />
de la démocratie, chacune à son<br />
tour. (...) Dans la République de <strong>Turquie</strong>, les<br />
partis politiques naîtront afin de se contrôler<br />
mutuellement. »<br />
M. Kemal a toujours critiqué les régimes<br />
politiques dictatoriaux qui étaient dans le vent<br />
dans les années 1930 en Europe. Il a pris<br />
soin de souligner que les régimes nazis, communistes,<br />
ou corporatifs basés sur les représentations<br />
<strong>des</strong> professions, n’étaient en aucun<br />
cas souhaitables pour la <strong>Turquie</strong>. Pourtant il y<br />
avait pas mal d’hommes autour de lui qui se<br />
laissaient inspirer par les modèles fascistes<br />
ou nazis.<br />
Pour M. Kemal, la démocratie était, avant<br />
tout, une question de liberté.<br />
Il s’exprimait ainsi :<br />
« <strong>La</strong> démocratie n’est pas un système<br />
d’aide sociale ou d’organisation économique.<br />
Le démocratie n’est<br />
pas non plus une question<br />
de bien-être matériel.<br />
Un tel point de vue n’a<br />
d’autre but qu’endormir le<br />
besoin de liberté politique<br />
du citoyen. <strong>La</strong> démocratie<br />
turque a suivi la voie que la<br />
Révolution française avait<br />
ouverte, mais elle s’est<br />
développée d’une manière<br />
propre à elle-même. Car<br />
toute nation réalise sa révolution<br />
conformément aux<br />
besoins <strong>et</strong> à la pression du milieu social. (... )<br />
Les libertés <strong>des</strong> individus qui composent une<br />
nation, doivent être garanties. »<br />
Quant au parti unique de Mustafa Kemal,<br />
M. Maurice Duverger le décrit ainsi :<br />
Les changements de l’alphab<strong>et</strong>,<br />
la gratuité de l’éducation,<br />
les efforts en vue de<br />
rapprocher la langue écrite<br />
<strong>et</strong> la langue parlée, ainsi<br />
que l’effort du développement<br />
<strong>des</strong> campagnes font<br />
partie du populisme kémaliste.<br />
« Le parti unique turc n’avait rien de<br />
totalitaire dans sa structure. L’adhésion était<br />
ouverte, le mécanisme d’expulsion <strong>et</strong> de<br />
purge n’existait pas, il n’y avait ni uniformes,<br />
ni défilés, -ni discipline rigide. En fait, la démocratie<br />
intérieure de parti, semble avoir été<br />
assez développée. Officiellement, tous ses<br />
dirigeants, à tous les degrés, étaient élus pratiquement,<br />
l’élection ne parait guère avoir été<br />
plus « dirigée » que dans les partis <strong>des</strong> régimes<br />
pluralistes. Il est remarquable aussi que<br />
<strong>des</strong> fonctions assez nombreuses aient pu se<br />
constituer autour de personnalités influentes,<br />
sans ‘liquidation’ suivant les métho<strong>des</strong> fascistes.<br />
Par exemple, la rivalité d’Ism<strong>et</strong> Inönü <strong>et</strong><br />
de Celal Bayar a pris naissance à l’intérieur<br />
du parti unique. Celui-ci devient un simple<br />
cadre qui limite les rivalités politiques sans<br />
les détruire : prohibé à l’extérieur, le pluralisme<br />
renaît à l’intérieur du parti, où il peut<br />
jouer le même rôle. »<br />
Le populisme kémaliste a un caractère n<strong>et</strong><br />
d’anti-élitisme qui vise à surmonter le dualisme<br />
peuple-élite, fruit de la tradition ottomane. A<br />
la place de l’opposition bourgeois-prolétaire,<br />
c’est l’opposition Etat-masse qui était très prononcée<br />
en Empire ottoman.<br />
Le principe kémaliste de la révolution a<br />
deux aspects : d’un côté Atatürk voulait changer<br />
les institutions vieilles de l’ancien régime ;<br />
<strong>et</strong> de l’autre côté, il voulait empêcher que ces<br />
réformes ne deviennent <strong>des</strong> dogmes. Le principe<br />
du révolutionnarisme avait été adopté<br />
afin d’empêcher la sclérose, pour que, à leur<br />
tour, les institutions issues<br />
de la révolution ne deviennent<br />
un jour <strong>des</strong> entraves<br />
pour le changement social.<br />
L’étatisme économique<br />
du kémalisme était une<br />
nécessité plutôt qu’un choix<br />
idéologique. M. Kemal ne<br />
croyait pas dans le communisme,<br />
<strong>et</strong> la <strong>Turquie</strong> <strong>des</strong><br />
années 1920, qui manque<br />
de capital <strong>et</strong> de capitalistes,<br />
n’avait aucun moyen<br />
pour suivre la voie du capitalisme.<br />
<strong>La</strong> Révolution kémaliste a décidé de<br />
suivre une troisième voie : c’est l’Etat qui allait<br />
réaliser l’industrialisation dans un souci de<br />
justice sociale, <strong>et</strong> dans le respect de l’initiative<br />
privée.<br />
62<br />
OLUSUM/GENESE N° 100<br />
,
Le programme du parti unique de 1935<br />
le précisait ainsi : « Le devoir de l’Etat dans<br />
les affaires économiques n’est pas seulement<br />
d’investir <strong>et</strong> de réaliser, mais en même temps<br />
d’encourager les <strong>entre</strong>prises privées <strong>et</strong> de les<br />
contrôler ».<br />
Dans la première période, la <strong>Turquie</strong> a<br />
profité de c<strong>et</strong> étatisme économique de deux<br />
façons : d’un côté un développement économique<br />
considérable grâce aux investissements<br />
dans l’infrastructure <strong>et</strong> l’industrie. De<br />
l’autre côté, comme c’est l’Etat qui réalisait<br />
l’industrialisation, la classe ouvrière turque n’a<br />
pas été exploitée comme cela était le cas en<br />
Europe occidentale.<br />
Entre 1929-1939, la croissance du produit<br />
industriel mondial a augmenté de 19 %.<br />
Or, dans la même période, le taux de croissance<br />
industrielle en <strong>Turquie</strong> atteignait 96 %.<br />
A part le Japon <strong>et</strong> l’URSS, aucun autre pays<br />
n’a pu réaliser une telle performance. En plus,<br />
la classe ouvrière turque n’a fait aucun sacrifice<br />
pour obtenir <strong>des</strong> droits sociaux <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />
conditions humaines de travail, ni d’ailleurs<br />
pour les droits politiques.<br />
Le dernier <strong>des</strong> principes kémalistes est la<br />
laïcité. Le Kémalisme étant une idéologie de<br />
modernisation, la laïcité fut pour lui la condition<br />
préalable, à la fois de la démocratie,<br />
du nationalisme, du réformisme <strong>et</strong> même du<br />
populisme.<br />
Sans la laïcité, une vraie liberté de la<br />
pensée, donc une vraie démocratie n’était pas<br />
possible, dans un pays comme la <strong>Turquie</strong>.<br />
Sans la laïcité, il n’était pas possible non plus<br />
de former une nation moderne, parce que l’Islam<br />
prévoyait la communauté <strong>des</strong> croyants<br />
<strong>et</strong> non la communauté nationale. Sans la laïcité,<br />
le réformisme n’était pas possible, parce<br />
que dans une société musulmane non laïque,<br />
il ne serait même pas possible de discuter<br />
librement du changement <strong>des</strong> institutions traditionnelles<br />
restées en arrière par rapport aux<br />
conditions contemporaines. Enfin la laïcité<br />
était une condition préalable pour le populisme,<br />
parce que dans un Etat basé sur la religion,<br />
ce n’est pas le peuple mais le clergé qui<br />
a de l’importance.<br />
Atatürk n’était pas contre la religion. Il<br />
disait ceci :<br />
« <strong>La</strong> religion est une institution nécessaire.<br />
Une nation sans religion ne peut pas survivre.<br />
Mais, la religion est un lien <strong>entre</strong> Dieu <strong>et</strong> l’individu.<br />
On ne doit pas perm<strong>et</strong>tre à la classe religieuse<br />
d’exploiter les sentiments religieux.<br />
(...) Ce qui est conforme à la raison <strong>et</strong> à<br />
l’intelligence humaine ; sachez qu’il est conforme<br />
aussi à notre religion. »<br />
Malgré l’attitude parfois farouchement<br />
hostile d’une partie de l’intelligentsia proislamique<br />
arabo-iranienne, le Cheik Abbas,<br />
le chef moral <strong>des</strong> musulmans en France qui<br />
est mort l’année dernière, voit M. Kemal d’un<br />
autre oeil :<br />
« Dans la chute de l’Empire ottoman, les<br />
religieux ont joué <strong>des</strong> rôles très négatifs. C’est<br />
parce que M. Kemal avait bien compris leurs<br />
fautes <strong>et</strong> les dangers qu’ils ont créé qu’il a<br />
commencé sa révolution par eux. L’Islam que<br />
ces religieux représentaient, était très loin de<br />
l’Islam réel. Atatürk n’a pas combattu l’Islam,<br />
il a combattu l’ignorance. »<br />
Le chef iranien de l’Organisation <strong>des</strong> combattants<br />
du peuple, Mesout Racavi, a déclaré<br />
à un journaliste turc ceci : « Est-ce que je ne<br />
voudrais pas que l’Iran devienne un pays laïc<br />
de musulmans comme la <strong>Turquie</strong> ? Mais mon<br />
pays est resté plusieurs siècles en arrière<br />
par rapport à vous. Il nous fallait un leader<br />
comme Atatürk, mais c’est un Chah qui est<br />
venu. Vous avez de la chance. »<br />
Le Kémalisme comme idéologie, faisait à<br />
sa manière, la synthèse du libéralisme <strong>et</strong> du<br />
socialisme. Comme on l’avait expliqué plus<br />
haut, les six principes kémalistes avaient été<br />
inspirés, par moitié, par les deux grands courants<br />
idéologiques. A peu près tout ce que<br />
les partis socialistes de l’Europe occidentale<br />
ont pu réaliser au cours de longues années,<br />
a été réalisé par le Kémalisme en <strong>Turquie</strong> :<br />
du droit de vote jusqu’au droit à la grève, en<br />
passant par toute sorte de droits sociaux <strong>et</strong><br />
syndicaux, ainsi que les sécurités sociales,<br />
l’enseignement gratuit, <strong>et</strong> l’université libre.<br />
Après le Kémalisme même, ce sont les<br />
kémalistes qui ont toujours combattu pour la<br />
démocratisation du système politique contre<br />
les forces conservatrices. Ainsi faut-il souligner<br />
à c<strong>et</strong>te occasion que, la Constitution de<br />
1961, très avancée sur les droits humains <strong>et</strong><br />
sociaux, avait été préparée par les kémalistes.<br />
L’APRÈS KÉMALISME<br />
Les 40 dernières années de la <strong>Turquie</strong><br />
N° 100 OLUSUM/GENESE<br />
,<br />
63
portent les traces d’une sorte de contre-révolution<br />
timide, marquée par les courants politiques<br />
qui disent « oui à Mustafa Kemal Atatürk,<br />
non au kémalisme ! » Dans c<strong>et</strong>te période,<br />
c’est surtout la laïcité qui a reçu <strong>des</strong> coups<br />
très sévères.<br />
C’est après les élections libres que, le<br />
Parti républicain du peuple, parti unique de M.<br />
Kemal, a quitté le pouvoir en 1950. Faut-il dire<br />
que, c’est un cas tout à fait exceptionnel dans<br />
l’histoire politique, mais conforme à l’idéologie<br />
kémaliste.<br />
Tous les pôles d’opposition qui s’étaient<br />
formés au cours de 27 ans de pouvoir du<br />
parti unique se sont réunis autour du Parti<br />
démocrate. Les forces religieuses, elles aussi,<br />
étaient dans le même front. Les concessions<br />
ont commencé par le r<strong>et</strong>our du rappel à la<br />
prière en arabe. Les couvents qui avaient été<br />
interdits après la révolution furent ré-ouverts.<br />
Mais ce qui est le plus important, ce sont<br />
les concessions données sur l’enseignement<br />
laïc. Les écoles religieuses qui étaient prévues<br />
par M. Kemal pour former les futurs hommes<br />
religieux modernes, ont commencé à remplacer<br />
les écoles laïques. A l’heure actuelle, il<br />
existe 476 175 élèves dans les 515 lycées<br />
religieux. Tandis que, au cours de 20 dernières<br />
années, le nombre d’élèves <strong>des</strong> écoles<br />
laïques a été multiplié par 3, celui <strong>des</strong> écoles<br />
religieuses a été multiplié par 14.<br />
Parmi les diplômés de ces écoles religieuses<br />
rares sont ceux qui exercent le<br />
métier religieux. D’après les chiffres bien<br />
établis, près de 90 % s’orientent vers <strong>des</strong><br />
professions qui n’ont rien à voir avec la religion.<br />
De plus en plus, il y a <strong>des</strong> procureurs,<br />
<strong>des</strong> juges, <strong>des</strong> préf<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> même <strong>des</strong> ministres<br />
munis de diplômes d’étu<strong>des</strong> religieuses.<br />
Les tentatives de loi en vue d’ouvrir les<br />
portes <strong>des</strong> écoles militaires à ceux venus<br />
<strong>des</strong> écoles religieuses, n’ont échoué que<br />
grâce à la réaction de l’Armée.<br />
A partir de 1974 où le Parti du salut<br />
national de tendance religieuse a participé<br />
au gouvernement, les cadres pro-religieux ont<br />
commencé à pénétrer dans les ministères,<br />
surtout dans le ministère de l’éducation nationale<br />
<strong>et</strong> celui de l’intérieur.<br />
Il existe aujourd’hui une « armée » de fondations<br />
<strong>et</strong> d’associations pro-religieuses qui<br />
sont bien installées dans tous les coins de<br />
la <strong>Turquie</strong>. Riche d’aide financière extérieure<br />
<strong>et</strong> intérieure, elle se charge de faciliter l’orientation<br />
<strong>des</strong> enfants <strong>des</strong> familles mo<strong>des</strong>tes ou<br />
pauvres, en leur offrant <strong>des</strong> foyers <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />
étu<strong>des</strong> gratuites. D’où aussi en augmentation<br />
le nombre de jeunes filles à se couvrir les<br />
cheveux.<br />
<strong>La</strong> montée <strong>des</strong> forces religieuses est<br />
devenue trop flagrante après le coup d’Etat<br />
du 12 Septembre 1980. <strong>La</strong> junte militaire<br />
qui était sous l’influence américaine, n’a pas<br />
trop hésité à adopter la stratégie américaine<br />
de « la ceinture verte » contre « le péril<br />
rouge ». C’est à c<strong>et</strong>te période que le kémalisme<br />
fut quasi officiellement remplacé par<br />
l’idéologie de « la synthèse turco-islamique<br />
». Une fois que la décision d’utiliser l’Islam<br />
contre le communisme avait été prise, il était<br />
déjà trop tard pour contrôler les forces religieuses.<br />
C’est sous le gouvernement militaire que<br />
les leçons religieuses sont devenues obligatoires<br />
par la Constitution elle même. Les<br />
universités furent confiées aux professeurs<br />
pro-religieux. Les relations de la <strong>Turquie</strong> furent<br />
renouées avec le monde islamique.<br />
D’après les derniers sondages d’opinion,<br />
le Parti de la prospérité qui a remplacé le Parti<br />
du salut national, a un soutien de 20 % de<br />
l’électorat. Dans c<strong>et</strong>te montée en flèche, il y a<br />
plusieurs facteurs qui interviennent : d’abord,<br />
le soutien indirect de l’Etat, par la propagation<br />
de l’éducation religieuse ; ensuite, les fonds<br />
versés (de l’extérieur <strong>et</strong> de l’intérieur) qui sont<br />
estimés énormes. Et enfin, la crise économico-sociale<br />
qui pèse lourd est à la base de<br />
l’immigration de la campagne vers les gran<strong>des</strong><br />
villes.<br />
Pourquoi 20 % de l’électorat voteraient-ils<br />
pour un parti pro-religion ?<br />
Les recherches montrent que 8 à 9<br />
% seulement auraient voulu voir établir un<br />
régime islamique. Ce sont <strong>des</strong> voix protestataires,<br />
<strong>et</strong> c’est le Parti républicain du<br />
peuple d’Atatürk qui avait ramassé ces voix<br />
là dans les années 1970, réaction à l’injustice<br />
sociale, réaction à un monde qui ne<br />
les accepte pas, réaction à l’attitude <strong>des</strong><br />
Occidentaux en Bosnie. Le régime militaire<br />
a écrasé toute sorte de gauche, <strong>et</strong> laissé le<br />
drapeau de « l’opposition sociale » à l’ordre<br />
existant aux mains <strong>des</strong> forces religieuses.<br />
Aujourd’hui nous en récoltons les fruits<br />
« amers ». r<br />
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OLUSUM/GENESE N° 100<br />
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