ARBRE_PALABRE N° 10 - Association des Revues Plurielles

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DUNIA ARTS ET CULTURES Dossier M YNCRÉTISME ESSIANISME S R ELIGION Le Kimbanguisme en France un cas de rapport religion/ethnicité et d’intégration d’une Église africaine indépendante en France 1. Jean-Claude Froelich, Nouveaux dieux d’Afrique, Paris, Éd. de l’Orante, 1969, p. 63. 2. Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Paris, PUF, 1991. 3. Martial Sinda, Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Paris, Éd. Payot, 1972. 4. Susan Asch, L’Église du prophète Simon Kimbangu, de ses origines à son rôle actuel au Zaïre, Paris, Éd. Karthala, 1984 5. Marie-Louise Martin, Simon Kimbangu, un prohpète et son Église, Lausanne, Éd. du Soc, 1981.215 p. Précisons que Marie-Louise Martin a été la doyenne de la Faculté de Théologie Kimbanguiste jusqu’en 1994, date de sa mort. * prépare une thèse de Doctorat sur le Kimbanguisme Parmi les églises africaines de type prophétique et messianique classique, en réaction contre la domination coloniale, la plus remarquable est, sans conteste, le kimbanguisme 1 . En effet, il y a plus de soixante-dix ans s’élevait en plein cœur de l’Afrique, précisément dans le sud-ouest de l’ex-Congo belge, un mouvement messianique et prophétique dont l’ampleur allait attirer l’attention de nombreux chercheurs. Les travaux de Georges Balandier 2 ont placé ce phénomène dans son contexte colonial ; ceux de l’historien congolais Martial Sinda 3 , de la sociologue américaine Susan Asch 4 ont retracé l’évolution du kimbanguisme de sa genèse jusqu’aux années quatre-vingts. Marie-Louise Martin 5 , théologienne et missiologue suisse, tente de présenter, tout en y adhérant, le kimbanguisme dans une perspective théologique. Mon étude vient en quelque sorte contribuer à l’observation du phénomène kimbanguiste en se fondant plutôt sur le rapport des kimbanguistes à leur identité noire, ainsi que sur leur intégration en France. Trois parties composent cet article. La première est d’ordre biographique et historique. J’y exposerai en quelques mots le contexte socio-historique d’émergence du mouvement déclenché par Simon Kimbangu, en abordant aussi les sources de la théologie kimbanguiste. La seconde partie porte sur l’analyse du phénomène kimbanguiste dans le rapport qu’il établit AURÉLIEN MOKOKO GAMPIOT* entre religion et ethnicité, ou mieux, dans son rapport à l’identité noire. La dernière partie analyse l’intégration des fidèles kimbanguistes en France. BREF RAPPEL HISTORIQ ORIQUE Il semble nécessaire, avant tout, de situer la genèse du kimbanguisme dans l’ensemble des mouvements messianiques africains. En effet le phénomène messianique africain le plus lointain fut lancé en 1704 par Kimpa Vita, plus connue en Occident de son nom de baptême Dona Béatrice. À cette époque, le commerce colonial que se disputaient le Portugal et la Hollande était à la base de l’occupation du territoire congolais, alors appelé le royaume du Congo, qui regroupait le Congo portugais (l’actuel Angola), le Congo belge (Congo-démocratique) et le Congo français (Congo-Brazzaville). La Hollande, qui était à la tête d’un empire colonial (la côte de l’Afrique occidentale) et cherchait une main d’œuvre servile au Congo, se heurtait au refus du Portugal qui se réclamait de droit propriétaire du royaume du Congo. Ce conflit d’intérêts, engendrant une guerre froide entre les deux nations européennes, n’alla pas sans provoquer la décadence du paysage politique, économique et culturel congolais. Au tournant du XVIIe siècle, les historiens évoquent un climat de crise généralisée (on parle de guerre civile, d’épidémie, de famine, 10 l’arbre à Palabres # 10 - Décembre 2001

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

Dossier<br />

M<br />

YNCRÉTISME<br />

ESSIANISME<br />

S R<br />

ELIGION<br />

Le<br />

Kimbanguisme<br />

en France<br />

un cas de rapport religion/ethnicité et d’intégration<br />

d’une Église africaine indépendante en France<br />

1. Jean-Claude Froelich, Nouveaux dieux<br />

d’Afrique, Paris, Éd. de l’Orante, 1969, p. 63.<br />

2. Georges Balandier, Sociologie actuelle de<br />

l’Afrique Noire, Paris, PUF, 1991.<br />

3. Martial Sinda, Le messianisme congolais et<br />

ses incidences politiques, Paris, Éd. Payot, 1972.<br />

4. Susan Asch, L’Église du prophète Simon<br />

Kimbangu, de ses origines à son rôle actuel au<br />

Zaïre, Paris, Éd. Karthala, 1984<br />

5. Marie-Louise Martin, Simon Kimbangu,<br />

un prohpète et son Église, Lausanne, Éd. du Soc,<br />

1981.215 p. Précisons que Marie-Louise<br />

Martin a été la doyenne de la Faculté de<br />

Théologie Kimbanguiste jusqu’en 1994,<br />

date de sa mort.<br />

* prépare une thèse de Doctorat sur<br />

le Kimbanguisme<br />

Parmi les églises africaines de type<br />

prophétique et messianique<br />

classique, en réaction contre la<br />

domination coloniale, la plus remarquable<br />

est, sans conteste, le kimbanguisme 1 .<br />

En effet, il y a plus de soixante-dix ans<br />

s’élevait en plein cœur de l’Afrique, précisément<br />

dans le sud-ouest de l’ex-Congo<br />

belge, un mouvement messianique et<br />

prophétique dont l’ampleur allait attirer<br />

l’attention de nombreux chercheurs. Les<br />

travaux de Georges Balandier 2 ont placé<br />

ce phénomène dans son contexte colonial<br />

; ceux de l’historien congolais Martial<br />

Sinda 3 , de la sociologue américaine<br />

Susan Asch 4 ont retracé l’évolution du<br />

kimbanguisme de sa genèse jusqu’aux années<br />

quatre-vingts. Marie-Louise Martin<br />

5<br />

, théologienne et missiologue suisse, tente<br />

de présenter, tout en y adhérant, le<br />

kimbanguisme dans une perspective<br />

théologique. Mon étude vient en<br />

quelque sorte contribuer à l’observation<br />

du phénomène kimbanguiste en se fondant<br />

plutôt sur le rapport <strong>des</strong> kimbanguistes<br />

à leur identité noire, ainsi que sur<br />

leur intégration en France.<br />

Trois parties composent cet article. La<br />

première est d’ordre biographique et historique.<br />

J’y exposerai en quelques mots le<br />

contexte socio-historique d’émergence<br />

du mouvement déclenché par Simon<br />

Kimbangu, en abordant aussi les sources<br />

de la théologie kimbanguiste. La seconde<br />

partie porte sur l’analyse du phénomène<br />

kimbanguiste dans le rapport qu’il établit<br />

AURÉLIEN MOKOKO GAMPIOT*<br />

entre religion et ethnicité, ou mieux,<br />

dans son rapport à l’identité noire. La<br />

dernière partie analyse l’intégration <strong>des</strong><br />

fidèles kimbanguistes en France.<br />

BREF RAPPEL<br />

HISTORIQ<br />

ORIQUE<br />

Il semble nécessaire, avant tout, de situer<br />

la genèse du kimbanguisme dans<br />

l’ensemble <strong>des</strong> mouvements messianiques<br />

africains. En effet le phénomène<br />

messianique africain le plus lointain fut<br />

lancé en 1704 par Kimpa Vita, plus<br />

connue en Occident de son nom de baptême<br />

Dona Béatrice. À cette époque, le<br />

commerce colonial que se disputaient le<br />

Portugal et la Hollande était à la base de<br />

l’occupation du territoire congolais, alors<br />

appelé le royaume du Congo, qui regroupait<br />

le Congo portugais (l’actuel Angola),<br />

le Congo belge (Congo-démocratique)<br />

et le Congo français (Congo-Brazzaville).<br />

La Hollande, qui était à la tête<br />

d’un empire colonial (la côte de l’Afrique<br />

occidentale) et cherchait une main<br />

d’œuvre servile au Congo, se heurtait au<br />

refus du Portugal qui se réclamait de<br />

droit propriétaire du royaume du Congo.<br />

Ce conflit d’intérêts, engendrant une<br />

guerre froide entre les deux nations européennes,<br />

n’alla pas sans provoquer la décadence<br />

du paysage politique, économique<br />

et culturel congolais. Au tournant<br />

du XVIIe siècle, les historiens évoquent<br />

un climat de crise généralisée (on parle<br />

de guerre civile, d’épidémie, de famine,<br />

<strong>10</strong> l’arbre à Palabres<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

ARTS<br />

DUNIA<br />

ET CULTURES<br />

d’inexistence de l’État ) au Congo, provoquée<br />

d’abord par les puissances européennes<br />

qui se disputaient les intérêts<br />

économiques, ensuite par les candidats<br />

au trône du royaume.<br />

C’est dans ce contexte de crise qu’une<br />

prophétesse appelée Kimpa Vita, ou Dona<br />

Béatrice de son nom chrétien, déclencha<br />

un mouvement d’éveil spirituel et<br />

nationaliste qu’on qualifie de mouvement<br />

<strong>des</strong> Saint-Antoniens. Avec un discours<br />

adapté à la mentalité et aux attentes de<br />

ses compatriotes, elle réussit à les mobiliser<br />

pour la restauration nationale. Elle affirme<br />

avoir reçu la mission de Dieu, par<br />

l’intermédiaire de Saint Antoine, d’apaiser<br />

les souffrances de son peuple. Sa prédication<br />

est dirigée aussi bien contre les<br />

missionnaires portugais – qui représentaient<br />

à ses yeux un déséquilibre pour<br />

l’œuvre de restauration – que contre la<br />

sorcellerie et les pratiques fétichistes traditionnelles.<br />

Le témoignage le plus ancien<br />

de cette époque est celui du père capucin<br />

Bernado De Gallo : l’événement<br />

arriva ainsi disait-elle : étant malade et au<br />

moment de mourir, à l’agonie, un frère habillé<br />

comme un capucin lui apparut. Il lui<br />

dit être Saint Antoine, envoyé par Dieu<br />

dans sa tête pour prêcher au peuple et annoncer<br />

la restauration du royaume. Ainsi<br />

la prophétesse Dona Béatrice commença-t-elle<br />

à proclamer l’imminence du jugement<br />

de Dieu. Sa prédication, selon<br />

Marie-Louise Martin, s’articulait autour<br />

de trois axes 6 : d’abord, la réaction contre<br />

la croix et les images de Christ qui représentaient<br />

aux yeux de beaucoup d’Africains<br />

un nouveau fétiche plus puissant,<br />

se substituant au matériel fétichiste et<br />

magique traditionnel. Ensuite, la prophétesse<br />

fait apparaître pour la première<br />

fois l’idée d’un Christ noir qui allait venir<br />

délivrer de leur servitude les peuples<br />

opprimés. Enfin, elle annonçait l’imminence<br />

du rétablissement de l’ancien<br />

royaume 7 et, avec lui, le retour de la<br />

prospérité.<br />

Ainsi Dona Béatrice, convaincue de sa<br />

mission, contacta le roi Pedro IV qui,<br />

avec beaucoup de ses sujets, avait trouvé<br />

refuge au mont Kimbangou à cause de la<br />

guerre qui secouait le royaume. Elle lui<br />

proposa un projet de restauration du<br />

royaume et de l’unité nationale : entre<br />

autres, le roi et les populations réfugiées<br />

avec lui devaient retourner à Saõ Salvador<br />

pour mettre fin aux conflits internes<br />

qui y régnaient.<br />

Plus loin, le père capucin nous aide à<br />

prendre connaissance de l’attitude nationaliste<br />

qui apparaît à travers l’un <strong>des</strong><br />

hymnes qu’enseignait cette dernière :<br />

…Saint Antoine est celui qui a pitié.<br />

Saint Antoine est notre remède. Saint Antoine<br />

est le restaurateur du royaume du<br />

Congo. Saint Antoine est le consolateur du<br />

royaume du ciel. Saint Antoine est lui la<br />

porte du ciel. Saint Antoine tient les clefs<br />

du ciel. Saint Antoine est au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong><br />

Anges et de la Vierge Marie… 8 On voit<br />

bien, à travers ce chant, la foi nationaliste<br />

que suscitait Dona Béatrice et une tentative<br />

de congolisation de la religion chrétienne<br />

telle qu’elle a été livrée aux<br />

Congolais. Dona Béatrice, souligne Martial<br />

Sinda, tente de fonder une église congolaise<br />

imitée de cette Eglise catholique qu'elle<br />

combat énergiquement en raison de l’influence<br />

que celle-ci exerce sur le personnel<br />

politique du royaume. Chrétienne, Dona<br />

Béatrice entend créer une Église nationale<br />

libérée de tous les antagonismes susceptibles<br />

de diviser la société politique du royaume. 9<br />

Finalement, en juillet 1706, la prophétesse<br />

congolaise, mère d’un garçon alors<br />

qu’elle se prétendait vierge (pour reprendre<br />

les termes du Père De Gallo), fut<br />

condamnée par un tribunal ecclésiastique<br />

et brûlée vive avec son enfant. Son<br />

mouvement, à en croire certains historiens,<br />

semble avoir échoué, puisqu’après<br />

sa mort, nombre de ses partisans dont le<br />

roi candidat au trône périrent dans <strong>des</strong><br />

luttes acharnées et fratrici<strong>des</strong>.<br />

Le second exemple est celui <strong>des</strong><br />

Églises noires d’Afrique du sud, qui se répartissent<br />

en deux groupes : il s’agit<br />

d’une part <strong>des</strong> Églises éthiopiennes et<br />

d’autre part, <strong>des</strong> églises sionistes. Les premières<br />

sont nées du rapport inter-ethnique.<br />

Un pasteur méthodiste africain<br />

6. Marie-Louise Martin, op. Cit., pp. 33-34.<br />

7. Le Congo Brazzaville, Le Congo Démocratique<br />

et l’Angola formaient à l’époque précoloniale<br />

un seul territoire appelé Royaume du<br />

Congo (ou Kongo).<br />

8. Martial Sinda, op. Cit., p. 47<br />

9. Ibid., p. 48-49<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

11


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

<strong>10</strong>. Jean-Claude Froelich, op. Cit., p. 86<br />

11. « Les gens lui dirent « Quand tu seras parti,<br />

qui nous montrera ? - L’homme blanc vous<br />

montrera, c’est pour cela que je donne le travail<br />

aux clers. Attendez l’homme de la Bible, si<br />

l’homme blanc vient et ne montre pas la Bible,<br />

ce sera un menteur » Extrait du livre de René Bureau,<br />

le prophète de la lagune. Les harristes de Côte<br />

d’Ivoire, Paris, Karthala, 1996, p. 25<br />

appelé Mangena Mokono se retira <strong>des</strong><br />

églises européennes pour créer une église<br />

africaine indépendante en 1892. De celle-ci<br />

naquirent plusieurs autres mouvements<br />

religieux éthiopiens, dont la doctrine<br />

prêchait la délivrance du peuple<br />

éthiopien de l’esclavage et de la servitude.<br />

Les secon<strong>des</strong>, originaires d’Afrique australe,<br />

sont <strong>des</strong> églises syncrétistes qui<br />

tiennent leur appellation de l’Église afroaméricaine<br />

de Daniel Bryant : The Christian<br />

Catholic Church in Zion <strong>10</strong> . Ces<br />

églises mettent l’accent sur un dogme qui<br />

fait de Jésus-Christ un Noir et un Zoulou.<br />

Un autre phénomène messianique qui<br />

retient l’attention <strong>des</strong> chercheurs est le<br />

mouvement harriste, initié par William<br />

Harris à la frontière du Libéria et de la<br />

Côte d’Ivoire. Né vers 1850, W. Harris<br />

reçut son instruction religieuse à l’American<br />

Protestant Episcopal Mission. En<br />

19<strong>10</strong>, ayant participé au soulèvement de<br />

sa tribu grébo contre l’autorité libérienne,<br />

il fut emprisonné. C’est en prison<br />

qu’il reçut la visite de l’ange Gabriel qui<br />

lui confia la mission de convertir les<br />

païens. Harris lutta contre la sorcellerie<br />

et la magie, publia un décalogue adapté<br />

aux pratiques culturelles africaines — autorisant<br />

la polygamie et condamnant<br />

l’adultère — et annonça l’âge d’or avec la<br />

venue <strong>des</strong> missionnaires blancs 11 .<br />

Le mouvement kimbanguiste qui<br />

nous intéresse particulièrement, fut lancé<br />

par Simon Kimbangu, un catéchiste baptiste.<br />

Celui-ci naquit en 1887, deux ans<br />

après la conférence internationale de Berlin<br />

à l’issue de laquelle le Congo fit l’objet<br />

d’un partage entre les puissances européennes.<br />

Il reçut son éducation à la<br />

mission baptiste de Gombé Loutété, située<br />

dans le sud-ouest du Congo belge<br />

(actuel Congo démocratique). Marié et<br />

père de trois garçons, Kimbangu devint catéchiste<br />

en 1918 ; c’est en cette année qu’il<br />

entendit la voix de Christ qui lui ordonnait<br />

de convertir ses compatriotes. Se croyant<br />

indigne, Kimbangu rejeta cet appel. Celuici<br />

persista jusqu’en avril 1921, où il finit<br />

par déclencher un mouvement d'éveil spirituel<br />

<strong>des</strong> populations congolaises.<br />

Si aux yeux de Max Weber, un prophète<br />

est un personnage caractéristique <strong>des</strong> pério<strong>des</strong><br />

de crise, Simon Kimbangu, à l’instar<br />

de son prédécesseur Kimpa Vita, bénéficiait<br />

de toutes les conditions requises<br />

pour mobiliser ses compatriotes à travers<br />

une action prophétique. En effet, ces<br />

derniers subissaient l’oppression coloniale<br />

belge, française et portugaise. Par<br />

ailleurs, le taux de mortalité augmentait à<br />

la suite d’une épidémie de grippe espagnole<br />

qui ravageait les populations locales.<br />

Enfin, l’analphabétisme <strong>des</strong><br />

Congolais les empêchait d’accéder au<br />

message chrétien ou à la Bible.<br />

Le point de départ fut la guérison miraculeuse<br />

d’une jeune femme agonisante<br />

appelée Nkiantondo, suscitant la foi <strong>des</strong><br />

populations qui se mobilisèrent autour<br />

de leur leader. Mais très vite, l’action de<br />

Kimbangu changea de sens et d’orientation.<br />

En effet, dans ses tournées apostoliques,<br />

il ne guérissait pas seulement mais<br />

prêchait en combattant la sorcellerie et<br />

en luttant contre l’ordre colonial. Après<br />

cinq mois de sensibilisation, il fut arrêté<br />

par les autorités coloniales belges et incarcéré<br />

pendant trente ans dans une cellule<br />

de 1,20 m sur 0,80 m. Pendant ce<br />

temps, grâce à sa femme Muilu Marie, le<br />

mouvement continua de se développer<br />

dans la clan<strong>des</strong>tinité, jusqu’à sa reconnaissance<br />

officielle. Le 24 décembre<br />

1959, le mouvement kimbanguiste devint<br />

une église chrétienne africaine indépendante<br />

reconnue par le gouvernement<br />

belge et admise au Conseil Œcuménique<br />

<strong>des</strong> églises.<br />

Il faudrait dire que Kimbangu est<br />

considéré, non seulement par ses fidèles<br />

mais aussi par tous les Congolais, comme<br />

l’éveilleur de conscience <strong>des</strong> populations<br />

africaines. Car son expérience, qui est<br />

avant tout personnelle, fait prendre<br />

conscience <strong>des</strong> problèmes réels et réveille<br />

toutes les insatisfactions sociales <strong>des</strong><br />

Congolais : l’oppression, la misère, l’inaptitude<br />

à concurrencer les Blancs en<br />

matière d’inventions scientifiques. Kimbangu<br />

est considéré comme un libérateur<br />

chargé d’apporter la paix, la prospérité, le<br />

12<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

bonheur, mais aussi une science plus<br />

puissante que celle du colonisateur. Bientôt<br />

l’espoir d’un peuple s’exprime en<br />

termes de salut d’une race. Georges Balandier<br />

reprend dans son livre un extrait<br />

<strong>des</strong> discours kimbanguistes : Dieu nous a<br />

promis de verser son Esprit-Saint sur notre<br />

pays. Nous l’avons supplié et il nous a envoyé<br />

un sauveur de la race noire : Simon<br />

Kimbangu. Il est le chef et le sauveur de<br />

tous les Noirs, au même titre que les sauveurs<br />

<strong>des</strong> autres races : Moïse, Jésus-Christ,<br />

Mahomet et Bouddha 12 . Et J.C Froelich<br />

de souligner que Kimbangu profita de son<br />

succès pour prêcher le message du Christ<br />

d’une façon très teintée de millénarisme :<br />

‘le Christ va bientôt venir, les morts ressusciteront,<br />

les Noirs deviendront très<br />

heureux, plus même que les Blancs’ ; un<br />

‘âge d’or’ s’instaurera sur la terre dont bénéficieront<br />

les Noirs” 13 .<br />

Ainsi, le discours de Kimbangu est celui<br />

d’un nationaliste, mais aussi celui<br />

d’un Noir qui prend conscience de la différence<br />

et du fossé de progrès qui séparent<br />

les siens <strong>des</strong> Blancs . Il épouse bien<br />

les attentes de ses compatriotes et leur assure<br />

qu’au temps fixé par le Seigneur le<br />

Blanc deviendra Noir et le Noir deviendra<br />

Blanc, l’une <strong>des</strong> phrases qui lui coûta<br />

l’emprisonnement à vie et qui est interprétée<br />

par son successeur comme étant<br />

l’annonce <strong>des</strong> indépendances africaines<br />

14<br />

. Dès lors, la prise de conscience de la situation<br />

coloniale suscite un mouvement<br />

nationaliste et anticolonialiste non seulement<br />

chez les Congolais du Congo belge,<br />

mais aussi chez ceux du Congo français<br />

et de l’Angola. Celui-ci s’exprime aussi<br />

bien en termes de nations que de races. “<br />

Le n’gouzisme* (appellation du kimbanguisme<br />

à Brazzaville), mouvement politico-religieux,<br />

a posé la question de la race et<br />

crée la conscience du nationalisme au<br />

Congo. L’idée qui oppose le Blanc et le Noir<br />

et revendique l’Afrique pour les Africains,<br />

est entrée si profondement dans l'âme <strong>des</strong><br />

indigènes, qu’elle semble devoir y rester toujours<br />

15 . Bien que le mouvement religieux<br />

n’ait, à sa naissance, abordé les problèmes<br />

politiques que dans l’imprécis <strong>des</strong> formules<br />

bibliques souligne Martial Sinda, le nationalisme<br />

de la nouvelle église s’exprime<br />

bientôt en termes violents :<br />

Le pays, oui, le pays changera, en vérité.<br />

Les apôtres de cette idée se lèveront au jour<br />

assigné par le Sauveur. Les Blancs ont le<br />

signe de l’autorité. Le pouvoir nous appartient<br />

désormais, il ne leur appartient plus. 16<br />

Par-delà ce message politique, le kimbanguisme<br />

se nourrit aussi <strong>des</strong> trois<br />

sources de sa théologie : la Bible, les messages<br />

prophétiques du chef spirituel Papa<br />

Diangienda (fils cadet de Kimbangu) et<br />

les cantiques inspirés.<br />

La Bible, chez les kimbanguistes, est<br />

l’unique livre de référence. Elle a été recommandée<br />

par Simon Kimbangu luimême<br />

peu avant son arrestation : L’Esprit<br />

m’a révélé que le temps de me livrer aux<br />

autorités est arrivé… Je ne vous laisse rien<br />

que la Bible. Lisez-la en toute circonstance<br />

de temps et de lieu, mettez en pratique sans<br />

défaillance les commandements de Dieu 17 .<br />

On peut toutefois dire que la Bible dans<br />

la religion kimbanguiste est vidée de son<br />

contenu occidental et adaptée à la recomposition<br />

identitaire <strong>des</strong> fidèles 18 .<br />

À côté de la Bible, il y a ce que les<br />

kimbanguistes eux-mêmes appellent les<br />

cantiques inspirés et que certains spécialistes<br />

ont appelé les chants du ciel : ils désignent<br />

l’instruction reçue de Dieu ou<br />

<strong>des</strong> anges par l’intermédiaire <strong>des</strong> personnes<br />

inspirées. Ces personnes sont<br />

choisies et utilisées comme instruments<br />

par Dieu lui-même pour qu’il passe son<br />

message et cela, sans critère de sexe, de<br />

niveau d’instruction, de nationalité ou<br />

d’âge. Ces cantiques furent suscités par<br />

Kimbangu lui-même lorsqu’il fut défié<br />

par Jennings 19 . Les paroles du premier<br />

cantique reçu par Kimbangu semblent<br />

être une directive donnée à ses fidèles :<br />

chantez les chants <strong>des</strong> anges, vous accueillerez<br />

toutes les Nations, promesse suprême de<br />

Jésus, ne le perdez point de vue.<br />

Les thèmes commentés par ces chants<br />

sont multiples : ils annoncent la Bonne<br />

Nouvelle du Christ, parlent <strong>des</strong> âmes à<br />

sauver, de la gloire de l’au-delà et surtout<br />

de la question noire. Ces chants sont par-<br />

* Le phonème OU est traduit chez les Bakongo<br />

par le U. En conséquence, N’gouzisme<br />

s’écrira N’gUnzisme comme le OU de KimbangU<br />

(NLDR).<br />

12. Georges Balandier, Sociologie actuelle de<br />

l’Afrique Noire, Op. Cit., p. 431<br />

13. Jean Claude Froelich, Op. Cit., p. 64<br />

14. Diangenda Kuntima, « Aujourd’hui<br />

nous sommes encore persécutés, mais au temps<br />

fixé par le Seigneur, les Blancs deviendront <strong>des</strong><br />

Noirs et les Noirs deviendront <strong>des</strong> Blancs ;<br />

c’est-à-dire que nous assumerons les fonctions<br />

que ceux-ci exercent chez nous aujourd’hui,<br />

tandis qu’ils se verrons contraints de se soumetttre<br />

à nos décisions. Nous serons les maîtres<br />

chez nous comme ils le sont chez eux. » (Joseph<br />

Diangenda, L’histoire du kimbanguisme, Kinshasa,<br />

Éd. Kimbanguistes, 1984 p. 82).<br />

15. Jaffré, dans le journal de la communauté<br />

du petit seminaire de M’bamou (Congo<br />

Brazzaville), 1930.<br />

16. Martial Sinda, Op. Cit., p. 65<br />

17. Joseph Diangenda, Ibid.<br />

18. « Le recours à la Bible, écrit Georges Balandier,<br />

favorise les constructions utopiques, la<br />

croyance en un salut de la race noire guidée par<br />

ses prophètes qui sont les fondateurs <strong>des</strong> églises<br />

», Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Op. Cit.,<br />

p. 425.<br />

19. Voir le dialogue entre Simon et un<br />

missionnaire appelé Jennings qui, constatant<br />

que le chœur entourant Simon<br />

Kimbangu entonnait <strong>des</strong> chants exclusivement<br />

baptistes, s’approcha de celui-ci et le<br />

défia en ces termes : “Ainsi Jésus qui t’a<br />

donné la force et le pouvoir de ressusciter<br />

les morts t’a privé <strong>des</strong> cantiques au point<br />

de recourir aux nôtres ?”. Pour toute<br />

réponse, Simon Kimbangu s’écarta un<br />

moment de la foule et se mit discrètement<br />

à prier. Quelques instants après, il<br />

revint et enseigna un cantique tout nouveau<br />

aux choristes. C’était le premier cantique<br />

kimbanguiste. C’est depuis lors que<br />

les kimbanguistes disposent <strong>des</strong> cantiques<br />

qui sont exclusivement leurs” (cf.<br />

Diangienda Kuntima, p.45).<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

13


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

22. Roger Bastide, préface à l’ouvrage de<br />

Martial Sinda, Le messianisme congolais et ses incidences<br />

politiques, Paris, Payot, 1972, p. 11.<br />

23. Jean-Claude Froelich, Op. Cit., p. 68<br />

fois <strong>des</strong> révélations du passé, <strong>des</strong> prophéties,<br />

parfois <strong>des</strong> menaces, <strong>des</strong> avertissements<br />

voire <strong>des</strong> ultimatums 20 .<br />

Les messages prophétiques de Son<br />

21<br />

Éminence Diangienda Kuntima,<br />

constituent la troisième source de la<br />

théologie kimbanguiste. Né en 1918 et<br />

fils cadet de Simon Kimbangu, il a été le<br />

premier chef spirituel de l’église kimbanguiste,<br />

depuis la reconnaissance officielle<br />

de celle-ci en 1959 jusqu’à sa mort en<br />

juillet 1992, sa succession ayant été assurée<br />

d’abord par son frère Dialungana,<br />

jusqu’à la mort de celui-ci en août 2001,<br />

puis par le fils aîné de ce dernier, Simon<br />

Kimbangu Kiangani, désigné en octobre<br />

2001. En réalité, les messages de Joseph<br />

Diangienda – qui sont <strong>des</strong> allocutions<br />

orales – constituent l’ancrage même de la<br />

théologie kimbanguiste. Ces paroles, tenues<br />

pour sacrées et intégrées à l’interprétation<br />

de la Bible et <strong>des</strong> cantiques inspirés,<br />

sont devenues la propre parole et la<br />

mémoire de la communauté. Comme les<br />

chants, ces paroles consistent à révéler le<br />

passé, à comprendre et interpréter le présent,<br />

à annoncer l’avenir. L’ensemble de<br />

ces messages sont à la base de la recomposition<br />

identitaire noire telle qu’elle se<br />

réalise chez les kimbanguistes.<br />

La question reste donc de savoir comment<br />

se pose aujourd’hui pour les kimbanguistes<br />

le problème noir : que reste-til<br />

de l’élan messianique originel dans<br />

leurs revendications actuelles ?<br />

Dans sa genèse, le Kimbanguisme<br />

s’inscrivait dans le refus de l’ordre colonial.<br />

Celui-ci disparu, cette religion devint<br />

un espace libéré dans lequel les fidèles<br />

se reconstituent dans leur identité<br />

noire. Si la genèse du kimbanguisme<br />

semble être celle de l’affirmation identitaire<br />

bakongo-lari telle que l’ont décrite<br />

Georges Balandier et Martial Sinda, son<br />

visage actuel laisse percevoir une profonde<br />

revendication d’identité noire. Roger<br />

Bastide le soulignait déjà en ces termes :<br />

Ce qui nous frappe particulièrement c’est<br />

que désormais le messianisme va être refoulé<br />

par le prophétisme, c’est-à-dire que la négritude<br />

un moment refoulée, va remonter<br />

dans les sectes nouvelles qui se font jour 22 .<br />

Et Jean-Claude Froelich écrit dans le même<br />

sens : C’est à Joseph Diangienda qu’on<br />

doit l’aspect nettement et profondément religieux<br />

qu’a pris le mouvement très révolutionnaire<br />

et anti-blanc à ses débuts. Sur l’enseignement<br />

baptiste il a greffé les révélations<br />

de son père, Simon : il s’agit donc d’une Église<br />

protestante très africanisée, mais à tendance<br />

moderniste et même occidentale 23 .<br />

Ainsi la prise de conscience de l’identité<br />

noire prend-elle une grande importance<br />

dans l’univers <strong>des</strong> représentations<br />

kimbanguistes.<br />

LE RAPPORT À L’IDENTITÉ NOIRE<br />

En effet, le Kimbanguisme, en tant<br />

que religion d’origine négro-africaine,<br />

intervient à la fois comme vecteur d’attestation<br />

identitaire et comme instrument<br />

de fabrication d’une nouvelle identité.<br />

Le point de départ de la renaissance<br />

identitaire chez les Kimbanguistes est<br />

leur prise de conscience de la négritude<br />

et de leur situation minoritaire. Ceci a<br />

permis une stratégie identitaire double :<br />

la négation de soi dans le cas d’une identité<br />

négative et l’affirmation de soi dans<br />

le cas d’une identité positive.<br />

Ce double aspect identitaire apparaît<br />

comme une séquelle de l’histoire coloniale<br />

et renvoie à cette situation d’oppression,<br />

dans laquelle les Kimbanguistes colonisés<br />

ne pouvaient s’exprimer que dans<br />

le cadre <strong>des</strong> clichés de race imposés par le<br />

colonisateur. De sorte que les minorités<br />

noires kimbanguistes, en fonction <strong>des</strong> représentations<br />

qu’elles avaient de la situation<br />

coloniale – à une époque où les<br />

considérations raciales occupaient une<br />

place bien assise dans l’imaginaire <strong>des</strong> colonisateurs<br />

autant que <strong>des</strong> colonisés – et<br />

du caractère tragique de leur histoire, ont<br />

tenté de récupérer le statut minoritaire<br />

<strong>des</strong> Noirs en général et de s’approprier le<br />

message chrétien, pour ainsi construire<br />

<strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’identification sur la base<br />

d’un syncrétisme qui, selon Roger Bastide,<br />

se définit comme réinterprétation à<br />

travers l’intelligence et la sensibilité africaines<br />

du message chrétien 24 .<br />

14<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

Le kimbanguisme en tant que religion<br />

porte donc les marques de l’ethnicité.<br />

L’identité kimbanguiste, passant par la<br />

réinterprétation du message chrétien, révise<br />

tous les paramètres déterminants de<br />

l’identité chrétienne.<br />

En premier lieu, les ancêtres mythiques<br />

de la Bible : Adam et Ève – qui<br />

ont été durant l’évangélisation blanche<br />

présentés comme <strong>des</strong> Blancs – sont ici<br />

perçus comme <strong>des</strong> Noirs. De cette façon,<br />

la sorcellerie, élément culturel incontournable<br />

en Afrique noire, est récupérée et<br />

désignée comme étant le péché originel,<br />

la cause même du problème noir. La malédiction<br />

biblique <strong>des</strong> Noirs (Genèse :<br />

9/24-27) propagée par les idéologies<br />

chrétiennes, est reprise et redéfinie par les<br />

Kimbanguistes selon leur propre stratégie<br />

identitaire. Cette malédiction se vérifierait<br />

notamment par l’absence de participation<br />

<strong>des</strong> Noirs aux découvertes et aux<br />

inventions de tous les âges, par l’oppression<br />

et la réduction à l’insignifiance dont<br />

les Noirs seraient victimes de la part de<br />

l’Autre dominant.<br />

Si, par ailleurs, Adam et Ève sont perçus<br />

comme étant Noirs, il est normal<br />

qu’ils leur attribuent une langue et un<br />

territoire africains. Ainsi, un triptyque<br />

territorial de leur imaginaire se <strong>des</strong>sine-til<br />

: l’Afrique perçue comme mère patrie ;<br />

le Congo-Brazzaville, le Congo-Kinshasa<br />

et l’Angola sont à leurs yeux les jalons du<br />

monde, appelés à se réunifier pour reformer<br />

l’ancien royaume du Kongo et ainsi<br />

constituer une piste d’atterrissage du<br />

Royaume de Dieu ; enfin, N’Kamba, village<br />

natal de Simon Kimbangu est, quant<br />

à lui, vu comme le jardin d’Eden, le lieu<br />

même où Dieu, prenant la poussière du<br />

sol pour façonner l’homme, aurait laissé<br />

l’empreinte de ses doigts.<br />

Enfin, la langue kongo, langue maternelle<br />

de Simon Kimbangu, est considérée<br />

– avec plus ou moins de conviction selon<br />

les fidèles – comme la langue d’avant la<br />

Tour de Babel et celle du futur, de sorte<br />

qu’elle serait vouée à l’universalité. Cette<br />

conception n’est pas explicitée officiellement<br />

et semble ne pas faire l’unanimité<br />

dans la communauté, qui intègre en son<br />

sein <strong>des</strong> groupes linguistiques hétérogènes.<br />

En effet, la langue étant, dans de<br />

nombreux cas, un élément extrêmement<br />

important de l’ethnicité, un facteur très<br />

fort de maintien du sentiment d’appartenance<br />

à une collectivité particulière et de<br />

séparation d’avec les autres 25 , en désignant<br />

la langue kongo comme langue<br />

originelle, on contribue à sa valorisation<br />

et, de ce fait, on se ferme à l’égard <strong>des</strong><br />

autres groupes ethniques et linguistiques,<br />

ce qui fragilise l’unité communautaire<br />

réalisée et jalousement préservée par Son<br />

Éminence Joseph Diangienda.<br />

Parmi les personnes d’origine nationale<br />

et linguistique non kongo auprès <strong>des</strong>quelles<br />

nous avons enquêté, nous avons<br />

recueilli le scepticisme ou le silence<br />

concernant cette conception. Son Éminence<br />

Joseph Diangienda, chef spirituel<br />

de l’Église kimbanguiste (aujourd’hui défunt)<br />

semble avoir compris cet aspect. Ni<br />

dans les messages adressés aux fidèles, ni<br />

dans les chants kimbanguistes, il ne s’est<br />

arrêté sur cette question.<br />

Par ailleurs, il faut également souligner<br />

que l’identité noire chez les Kimbanguistes<br />

se construit dans la confrontation<br />

de l’identique et de l’altérité, de la similitude<br />

et de la différence. Si, dans bien<br />

<strong>des</strong> cas, l’Autre est l’inconnu, chez les<br />

kimbanguistes, l’Autre est connu et se<br />

nomme Mundélé c’est-à-dire le Blanc. On<br />

peut interpréter ce fait de deux manières<br />

: l’une y trouvant justification dans la<br />

pauvreté du vocabulaire africain pour <strong>des</strong>igner<br />

les races, l’autre y voyant la marque<br />

d’un renforcement identitaire, jouant sur<br />

un registre autre que celui de la classification<br />

raciale.<br />

Il y a autant de classifications raciales<br />

que de classificateurs 26 , note P.-J. Simon.<br />

Le kimbanguisme se place lui aussi dans<br />

la logique de la classification <strong>des</strong> races.<br />

De l’analyse <strong>des</strong> discours, <strong>des</strong> chants, <strong>des</strong><br />

messages du chef spirituel adressés aux fidèles,<br />

il ressort deux races : mundélé c’està-dire<br />

le Blanc, moyindo c’est-à-dire le<br />

Noir (en lingala). De cette façon, l’identité<br />

kimbanguiste se construit à la fois fa-<br />

24. Roger Bastide, Op. Cit., p. 11<br />

25. Pierre-Jean Simon, Éléments de la bretonnité,<br />

cours de maîtrise de sociologie, Univer-<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

15


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

26. Pierre-Jean Simon, Race, analyse d’un<br />

mythe, cours de licence en sociologie, Université<br />

Rennes 2, 1995/1996.<br />

27. Marie-France Briselance souligne que le<br />

«débat n’est pas encore tranché. Que la palme<br />

de l’ancienneté revienne à la Tanzanie pour Oldoway<br />

ou à l’Éthiopie pour Lucy, il reste une<br />

certitude : c’est bien en Afrique que se situe le<br />

berceau de l’humanité » (Histoire de l’Afrique,<br />

Tome I, les grands royaumes : <strong>des</strong> origines de<br />

l’homme à l’an <strong>10</strong>00, Paris, Éd. Jeune Afrique<br />

Livres, 1988, p. 23)<br />

28. Dans sa réponse au pasteur français<br />

Jacques Marion de l’Église de l’Unification du<br />

Révérend Moon, son Éminence Diagenda s’est<br />

exprimé en ces termes : « pour rendre ma voix<br />

plus puissante, vous êtes arrivés vous, grâce à<br />

vos rapports avec Dieu à faire de telles réalisations<br />

(parlant du micro), mais nous autres,<br />

nous souffrons de cette grande privation... Estce<br />

que nous manquons d’intelligence, non,<br />

mais il nous manque quelque chose : la liaison<br />

spirituelle c’est ça que nous voulons récupérer...<br />

non par la force, mais nous devons nous incliner<br />

pour que le Seigneur nous la remette », Extrait<br />

du message du 17 mai 1992.<br />

29. Matondo Mbiyeyi Joseph dans un article<br />

intitulé « La pré<strong>des</strong>tinée de l’homme noir à travers<br />

l’Église kimbanguiste, religion d’inspiration<br />

mixte chrétienne et négro-africaine », in<br />

Les religions africaines, Paris, L’Harmattan,<br />

1999, p. 55.<br />

30. Son Éminence Diagenda, extrait du<br />

message adressé aux fidèles à N’kamba durant<br />

cinq mois de retraite dite « soirée spirituelle »<br />

du 28 décembre 1988 au 28 mai 1989.<br />

31. Georges Balandier (Op. Cit.) souligne à<br />

ce propos « nous avons dit de Kimbangu qu’il<br />

est essentiellement le Gounza (expression liée<br />

au symbolisme de la trinité et exprimant le caractère<br />

divin de sa personne) et le sauveur (qualification<br />

affirmant son rôle de libérateur vis-àvis<br />

de l'ethnie Kongo). Ce sont les deux qualités<br />

majeures qui montrent comment les buts religieux<br />

et les buts politiques restent étroitement<br />

associés. Un document belge établi ultérieurement<br />

ne sépare pas, et avec juste raison, les aspirations<br />

de la mise en place d’une ‘ Église<br />

congolaise ’ de celle tendant à la création d’un ‘<br />

État congolais ’ détaché de l’emprise européenne<br />

».<br />

ce au Blanc et contre lui ; parler du<br />

Blanc, c’est une façon de parler du Noir.<br />

On peut dégager de leur imaginaire trois<br />

images : le Blanc <strong>des</strong>cendant ou frère du<br />

Noir, le Blanc béni de Dieu, et le Blanc<br />

divorcé d’avec Dieu.<br />

L’image du Blanc <strong>des</strong>cendant ou frère<br />

du Noir se dégage par opposition ou<br />

confrontation avec le Noir créé de la<br />

main de Dieu ou Fils aîné de Dieu, c’està-dire<br />

le premier homme Adam. Son<br />

Éminence Diangienda, chef spirituel défunt,<br />

dit à ce sujet : l’homme noir est à<br />

l’origine <strong>des</strong> autres hommes, c’est lui qui a<br />

donné naissance aux autres races. Avec cette<br />

vision de l’autre, le kimbanguisme<br />

entre consciemment ou inconsciemment<br />

dans la logique <strong>des</strong> classements sociaux.<br />

Toutefois, chez les kimbanguistes la supériorité<br />

revendiquée ne va pas dans le<br />

sens d’une valeur humaine mais d’une<br />

antériorité noire. Le mythe de l’Afrique<br />

berceau de l’humanité, qui fait couler<br />

tant d’encre et de salive parmi les savants,<br />

27<br />

figure en bonne position dans leur univers<br />

de représentation.<br />

L’image du Blanc béni est, quant à elle,<br />

confrontée à celle du Noir maudit. Là,<br />

le récit biblique du rachat du droit d’aînesse<br />

et de l’usurpation de la bénédiction<br />

paternelle d’Esaü par Jacob, Genèse<br />

25/23, justifie la mise à l’écart <strong>des</strong> Noirs<br />

de la révolution technologique et la démarcation<br />

<strong>des</strong> deux races 28 . Les écrits<br />

d’un chercheur kimbanguiste révèlent<br />

avec clarté la conception qui est faite de<br />

ce récit : c’est par Isaac que vinrent sur terre<br />

‘les deux peuples’ – entendons les deux<br />

races principales de l’espèce humaine –<br />

deux jumeaux dont Dieu dit que le plus<br />

grand, Esaü le roux (le noir) sera assujetti<br />

au plus petit, Jacob, le supplanteur parce<br />

qu’à leur naissance sa main tenait le talon<br />

d’Esaü. Un signe de domination qui était<br />

annoncée 29 .<br />

Le Blanc divorcé d’avec Dieu est la<br />

troisième image qui se dégage de l’imaginaire<br />

kimbanguiste. À ce Blanc, on attribue<br />

la sorcellerie mais dans sa forme modernisée<br />

: La sorcellerie, c’est nous qui<br />

l’avons héritée, le Blanc l’a transformée : il<br />

est devenu magicien, rosicrucien, francmaçon,<br />

il sait bien que son divorce avec<br />

Dieu est déjà fait. 30 De cette façon, l’image<br />

que les kimbanguistes se font est celle<br />

du Blanc qui s’égare, qui se trompe de<br />

chemin, qui a consommé son divorce<br />

d’avec Dieu.<br />

Ainsi l’image que les kimbanguistes<br />

projettent sur le Blanc est ambiguë, car<br />

être Blanc dans cette optique, c’est être à<br />

la fois <strong>des</strong>cendant et frère cadet du Noir<br />

(créé de Dieu ou Fils aîné d’Isaac) ; c’est<br />

être béni (du fait <strong>des</strong> inventions scientifiques<br />

et progrès techniques) mais aussi<br />

maudit de Dieu (à cause de la sorcellerie<br />

qu’il se serait réappropriée) ; c’est être lié<br />

mais aussi délié par rapport au divin.<br />

À cela s’ajoutent les croyances et<br />

dogmes de l’Église. Simon Kimbangu est<br />

tenu aussi bien pour émissaire divin et<br />

rédempteur <strong>des</strong> Noirs que pour Dieu le<br />

Saint-Esprit 31 ; la communauté kimbanguiste<br />

est vue comme peuple élu de Dieu<br />

sur le modèle de l’identification avec le<br />

peuple juif, et un âge d’or doit venir, qui,<br />

à leurs yeux, attribuera une nouvelle<br />

identité ou un nouveau statut aux Noirs:<br />

ceux-ci inventeront, sous l’action du<br />

Saint-Esprit, <strong>des</strong> choses non encore inventées<br />

et se verront débarrassés de toute<br />

forme d’oppression et d’aliénation.<br />

De cette façon, être kimbanguiste,<br />

c’est être Noir ; et être Noir dans l’optique<br />

kimbanguiste, c’est vivre dans un<br />

statut minoritaire imposé par la malédiction<br />

divine, c’est donc être dans un élan<br />

de progrès, freiné par la sorcellerie. Etre<br />

Noir, pour un Kimbanguiste, c’est encore<br />

croire, sous peine d’incomplétude grave,<br />

en Simon Kimbangu comme rédempteur<br />

et à la religion kimbanguiste<br />

comme thérapie appropriée.<br />

Si l’on se place à un autre niveau<br />

d’analyse, nous pouvons dire que la négritude<br />

telle que la pensent les Kimbanguistes<br />

est plus qu’une couleur de peau ;<br />

même si ce trait physique est pris en<br />

compte dans leur théologie, celui-ci<br />

fonctionne comme le véhicule de leurs<br />

insatisfactions sociales ; car il laisse apparaître<br />

en filigrane la désignation de l’op-<br />

16<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

pression, de la sorcellerie et de l’absence<br />

de participation <strong>des</strong> Noirs aux découvertes<br />

et inventions de tous les âges. Si les<br />

considérations raciales n’avaient pas été<br />

imposées par la colonisation, les kimbanguistes<br />

auraient sûrement trouvé une<br />

autre stratégie pour pallier la détérioration<br />

de leur identité.<br />

Car si on compare le kimbanguisme à<br />

d’autres mouvements prophétiques et<br />

messianiques africains qui lui ressemblent,<br />

qu’il s’agisse du mouvement <strong>des</strong><br />

Saints Antoniens déclenché en 1704 par<br />

Dona Béatrice à Saõ Salvador (Angola),<br />

<strong>des</strong> Eglises éthiopiennes et sionistes ou<br />

du mouvement harriste 32 (même si ce<br />

dernier, aux yeux de nombreux chercheurs,<br />

ne s’est pas inscrit dans la lutte<br />

contre la colonisation), nous dirons qu’ils<br />

reposent tous – par-delà leurs spécificités<br />

historiques et dogmatiques – sur<br />

un fond commun : l’identité noire détériorée.<br />

Ce qui est fondamental, souligne<br />

Roger Bastide, ce n’est pas le contenu<br />

changeant de ces mouvements, c’est leur finalité<br />

partout identique: le désir de restaurer<br />

une conscience de groupe compromise<br />

par l’irruption d’une culture étrangère supérieure<br />

– ceci grâce à l’évidence massive<br />

d’un apport culturel propre 33 . De cette façon,<br />

on retrouve partout, dans ces mouvements<br />

messianiques ou prophétiques<br />

africains, le dualisme Noir/Blanc hérité<br />

de la colonisation, la lutte contre le fétichisme<br />

et la sorcellerie, la quête d’une<br />

nouvelle identité. Dominique Zahan<br />

écrit avec raison, que ce n’est pas pour<br />

plaire à Dieu ou par amour pour lui que<br />

l’Africain prie, implore ou accomplit <strong>des</strong><br />

sacrifices, mais pour devenir soi-même et<br />

réaliser l’ordre dans lequel il est impliqué 34 .<br />

LE RAPPORT À LA SOCIÉTÉ D’ORIGINE<br />

Au lendemain <strong>des</strong> indépendances, la<br />

question-clef du moment est l’autonomisation<br />

du politique, qui en lui-même est<br />

issu du religieux, puisqu’engendré par le<br />

processus et le dispositif religieux en tant<br />

que mode de croire mis en place par les<br />

mouvements nationalistes religieux. La<br />

question devient donc de savoir quelle<br />

part prend le religieux à la gestion de la<br />

chose publique, dans ce contexte d’autonomie<br />

nationale.<br />

Si le politique, au départ, a bénéficié<br />

d’une légitimation accordée de l’intérieur<br />

par les populations locales (souvent à<br />

proportion de leur représentation ethnique)<br />

et de l’extérieur par <strong>des</strong> protecteurs<br />

occidentaux, il a, en revanche, une<br />

légitimation minimale dans le monde religieux,<br />

qui ne la lui accorde souvent qu’à<br />

contre-cœur.<br />

Au Congo belge, l’arrivée de Kassavoubou<br />

au pouvoir s’est faite par un levier<br />

ethnico-religieux; à en croire Susan<br />

Asch, le kimbanguisme a entretenu <strong>des</strong><br />

liens étroits avec l’ABAKO (<strong>Association</strong><br />

pour le perfectionnement, l’unification et la<br />

propagation de la langue kikongo), première<br />

force politique du Congo dirigée par le<br />

président Kassavubu. Par la suite il lui a<br />

servi de succursale… L’expansion du kimbanguisme,<br />

après la disparition du prophète,<br />

coïncide avec l’avènement et le triomphe<br />

du mobutisme : Diangienda (fils et successeur<br />

du prophète) a assuré le pouvoir de<br />

Mobutu de son soutien apolitique en<br />

échange d’une tolérance bienveillante. 35<br />

Au Congo-Brazzaville, durant le règne<br />

de l’idéologie marxiste, le parti congolais<br />

du travail (P.C.T) parti unique au pouvoir<br />

de 1969 à 1991, adoptant les lois visant<br />

à éradiquer les sectes, a reconnu le<br />

kimbanguisme sur un pied d’égalité avec<br />

les églises catholique, évangélique et salutiste.<br />

Si, comme l’a souligné Susan Asch,<br />

le kimbanguisme officiel est aujourd’hui<br />

devenu le support de l’idéologie du parti au<br />

pouvoir, ce soutien au politique – non seulement<br />

le régime de Mobutu mais les différents<br />

régimes – de la région congolaise ne se<br />

dément pas aux yeux <strong>des</strong> kimbanguistes et<br />

se justifie par la première recommandation<br />

de l’église qui est la soumission aux autorités<br />

étatiques. La maxime populaire qui<br />

dit qu’on ne jette pas le bébé avec l’eau de<br />

bain pourrait tenir lieu d’explication au<br />

rapport du Kimbanguisme avec le politique.<br />

Le bébé représenterait l’indépendance<br />

nationale, acquise à leurs yeux par<br />

l’autorité divine à travers Simon Kim-<br />

32. Selon René Bureau (Op. Cit., p. 34) «<br />

Harris se présentait comme l’initiateur d’une<br />

compétition entre le monde noir et le monde<br />

blanc : un Noir avait entièrement pris à son<br />

compte et porté à ses frères une vérité qui était<br />

celle de l’explication de la puissance extraordinaire<br />

<strong>des</strong> Blancs. Il suffisait de le suivre pour accéder<br />

au niveau de la puissance économique,<br />

politique et culturelle <strong>des</strong> colonisateurs et combler<br />

ainsi le retard dû aux vissicitu<strong>des</strong> de l’histoire<br />

du salut : le Christ n’avait pas pu aborder<br />

lui-même aux rivages du monde africain ».<br />

33. Roger Bastide, Le sacré sauvage, Paris,<br />

Payot, 1975, p. 154.<br />

34. Dominique Zahan, Religion, spiritualité<br />

et pensées africaines, Paris, Payot, Coll. Bibliothèque<br />

scientifique, 1970.<br />

35. Susan Asch, Op. Cit., p. 64<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

17


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

36. Message adressé aux fidèles du<br />

4/02/1990 au district de N’gabé (au Nord de<br />

Brazzaville (Congo) NDLR).<br />

37. J.-D. Gandoulou, Entre Paris et Bacongo,<br />

Paris, Éd. Centre Georges Pompidou.<br />

38. G. Boudimbou, Les mo<strong>des</strong> d’habiter <strong>des</strong><br />

immigrés africains, L’Harmattan, Paris, 1990.<br />

39. Officiellement dénommée «Église de Jésus-Christ<br />

sur la terre par son envoyé spécial Simon<br />

Kimbangu », l’appellation « église kimbanguiste<br />

» lui a vite été attribuée.<br />

40. L’Express, numéro spécial XXIème<br />

siècle, n° 2374, 2 janvier 1997.<br />

bangu ; et l’eau du bain, la souillure politique<br />

<strong>des</strong> régimes qui se succèdent. Encourageant<br />

les fidèles du Congo-Brazzaville<br />

à se soumettre aux autorités étatiques,<br />

Son Éminence Diangienda s’est<br />

exprimé en ces termes : en 1921, Papa<br />

Simon Kimbangu avait dit que le ‘Noir<br />

deviendra blanc et le Blanc deviendra<br />

noir’, cela a été mal interprété…Le président<br />

Sassou est un Noir, soyons fiers. 36<br />

Après trente ans d’errance identitaire,<br />

clôturés par l’effondrement du communisme<br />

et du mobutisme, le défi auquel se<br />

trouve actuellement soumis le politique<br />

au Congo semble être la quête d’un passé<br />

ou d’une histoire qui soit fournisseur<br />

de normes et de valeurs idéologiques ; le<br />

kimbanguisme apparaît – à travers les<br />

comportements <strong>des</strong> acteurs politiques –<br />

comme un instrument de ré-idéologisation<br />

susceptible de gérer les incertitu<strong>des</strong><br />

et de procurer une redéfinition de la centralité<br />

identitaire, nécessaire pour penser<br />

la nation congolaise.<br />

LE KIMBANGUISME EN FRANCE<br />

Rappel historique. L’étude de la présence<br />

kimbanguiste en France occupe une<br />

place restreinte dans la littérature se rapportant<br />

à l’analyse sociologique de l’immigration<br />

congolaise en France. Les<br />

Congolais n’y apparaissant le plus souvent<br />

que comme sapeurs 37 ou à travers<br />

les modèles d’habiter 38 , l’aspect religieux<br />

en est quasiment absent. Et pourtant<br />

depuis déjà vingt-cinq ans, une Eglise<br />

africaine indépendante d’origine congolaise<br />

plus connue sous le nom d’Église<br />

kimbanguiste 39 , exerce légalement son<br />

culte en France.<br />

En effet, en France où l'on compte désormais<br />

la présence de fortes minorités<br />

juives, musulmanes et bouddhistes, perçues<br />

comme porteuses de valeurs différentes,<br />

on connaît peu les religions <strong>des</strong> immigrés<br />

africains noirs, à l’exception <strong>des</strong><br />

musulmans d'Afrique subsaharienne. Les<br />

rares minorités religieuses noires africaines<br />

institutionnalisées en France, parmi lesquelles<br />

le kimbanguisme, sont si invisibles<br />

qu’elles n’ont que la couleur de la peau<br />

pour se différencier. Le reportage paru<br />

dans l’Express Magazine 40 , qui présentait<br />

le kimbanguisme comme la religion africaine<br />

la plus célèbre, portait un titre assez<br />

explicite pour dévoiler la présence <strong>des</strong> minorités<br />

religieuses noires en France : Les<br />

ferveurs noires en banlieue parisienne. La<br />

question concernant la connaissance du<br />

kimbanguisme se pose ici, en France, mais<br />

ne se pose pas en Afrique noire, notamment<br />

au Congo-Brazzaville, au Congo-<br />

Kinshasa et en Angola, où ce dernier jouit<br />

d’une certaine notoriété à côté <strong>des</strong> majorités<br />

catholiques.<br />

Être kimbanguiste en France, c’est<br />

opérer un énorme changement entre la<br />

sortie de pays qui constituent le berceau<br />

de la foi et dans lesquels concordent les<br />

valeurs kimbanguistes et celles de l’environnement,<br />

et l’existence dans un pays<br />

d’accueil où se dresse une sorte de mur<br />

méfiance/indifférence fondé sur <strong>des</strong> valeurs<br />

opposées et définies par une foi dominante.<br />

Le mouvement associatif, né en 1901,<br />

est à la base de la loi 1901 qui permit la<br />

création <strong>des</strong> associations françaises<br />

laïques mais aussi l’organisation <strong>des</strong> communautés<br />

religieuses étrangères, fussentelles<br />

musulmanes ou bouddhistes. Grâce<br />

à cette loi, la communauté kimbanguiste,<br />

qui est placée sur un pied d’égalité avec le<br />

catholicisme ou le protestantisme par le<br />

Conseil Œcuménique <strong>des</strong> Églises Chrétiennes,<br />

à qui incombe la classification<br />

<strong>des</strong> mouvements religieux en sectes ou<br />

églises reconnues, a pu s’installer en<br />

France avec l’autorisation du ministère<br />

de l’Intérieur. Cependant, si les kimbanguistes<br />

ont profité du contexte associatif<br />

français pour pratiquer légalement leur<br />

religion en France, ils n’en sont pas<br />

moins confrontés aux autochtones, pour<br />

qui tout ce qui n’est pas catholique est<br />

considéré comme une secte suspecte ou<br />

tout simplement inconnue. C’est donc<br />

ce déficit de légitimité qui introduit toute<br />

une série de soupçons quant à la loyauté,<br />

l’allégeance et les objectifs <strong>des</strong> pratiquants<br />

kimbanguistes vivant en France.<br />

En France, l’immigration congolaise<br />

18<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIEER DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

kimbanguiste a un statut particulier en<br />

ce qu’elle fut strictement étudiante à<br />

l’origine. Tout a commencé en 1975,<br />

quand les jeunes Kimbanguistes étudiants,<br />

venus majoritairement du<br />

Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa,<br />

se trouvant disséminés dans divers<br />

pays d’Europe (France, Suisse, Belgique,<br />

Espagne), eurent, à l’instigation du chef<br />

spirituel, premier adjoint et fils aîné de<br />

Simon Kimbangu, Kisolékélé Lukelo<br />

Charles, alors en contrôle médical en<br />

Suisse, l’idée de se retrouver à Paris pour<br />

fêter Noël.<br />

De ces premières retrouvailles naquit<br />

le Cercle International Kimbanguiste<br />

(CIK), dont l’objectif était d’être un organe<br />

de liaison, d’une part entre les étudiants<br />

kimbanguistes expatriés en Europe<br />

– spécialement ceux de France, de<br />

Belgique et de Suisse – et d’autre part<br />

entre ces étudiants et la direction de l’Église<br />

kimbanguiste au Congo (ex-Zaïre).<br />

Une autre raison tout aussi importante<br />

se trouve dans la disette spirituelle <strong>des</strong><br />

étudiants kimbanguistes vivant en Europe,<br />

qui, devant fréquenter les églises catholiques<br />

et les temples protestants aux<br />

côtés de personnes âgées plutôt que de<br />

jeunes, y écoutaient <strong>des</strong> sermons où les<br />

pasteurs et les prêtres évitaient ingénieusement<br />

de traiter les problèmes de fond<br />

de la morale chrétienne, tels la liberté<br />

sexuelle, qui y était tabou. Le Cercle International<br />

Kimbanguiste est donc né<br />

aussi de la nécessité de disposer d’un<br />

cadre de vie susceptible de permettre<br />

l’auto-application <strong>des</strong> principes chrétiens<br />

tels qu’ils sont mis en œuvre dans l’Église<br />

kimbanguiste.<br />

La vitalité du CIK est devenue telle<br />

qu’on a éprouvé le besoin d’enseigner le<br />

catéchisme kimbanguiste à <strong>des</strong> étudiants<br />

non membres de l’Église kimbanguiste et<br />

désireux de le devenir ; de baptiser les catéchumènes<br />

qu’on venait de former ;<br />

d’entrer en dialogue œcuménique avec<br />

les responsables <strong>des</strong> églises établies pour<br />

négocier l’utilisation de leurs lieux de<br />

culte ; d’exercer légalement le culte kimbanguiste<br />

en France. C’est ainsi qu’avec<br />

le concours du pasteur protestant Jacques<br />

Maury, alors président de la Fédération<br />

protestante de France – aujourd’hui retraité<br />

–, le CIK devait faire l’objet d’une<br />

reconnaissance légale en France en 1984.<br />

La communauté kimbanguiste, depuis<br />

son installation en France vers l’année<br />

1975, s’y est désormais stabilisée.<br />

L’arrivée d’autres kimbanguistes venus<br />

<strong>des</strong> pays d’origine, l’adhésion à la communauté<br />

d’autres Congolais établis en<br />

France et les naissances d’enfants sur le<br />

sol français sont devenus <strong>des</strong> facteurs<br />

d’augmentation de cette population. Actuellement,<br />

on estime à environ deux<br />

mille 41 , le nombre total <strong>des</strong> kimbanguistes<br />

en France, majoritairement originaires<br />

<strong>des</strong> trois pays mentionnés :<br />

Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa,<br />

Angola. L’analyse de la composition de la<br />

communauté kimbanguiste fait ressortir<br />

la prédominance <strong>des</strong> populations provenant<br />

de la République Démocratique du<br />

Congo (ex-Zaïre). En revanche, les ressortissants<br />

de l’ex-Zaïre ne représentent<br />

qu’une fraction infime de la population<br />

étudiante kimbanguiste. C’est ce que<br />

souligne Alain Moïse Mahouahoua, l’exreprésentant<br />

légal de l’Église kimbanguiste<br />

de France : Au départ, nous, originaires<br />

du Congo, étions majoritaires vu<br />

que le cercle n’était constitué que <strong>des</strong> étudiants<br />

et qu’il n’y avait pas assez de Zaïrois<br />

à venir étudier en France. Ce n’est qu’après<br />

que d’autres kimbanguistes, venus pour<br />

d’autres raisons que les étu<strong>des</strong>, se sont joints<br />

à nous que les Zaïrois sont devenus majoritaires.<br />

Les kimbanguistes reproduisent les<br />

formes d’organisation et de sociabilité<br />

plus ou moins traditionnelles importées<br />

de leurs pays d’origine. La communauté<br />

représente une sorte de pont dressé entre<br />

le pays d’origine et la société d’accueil.<br />

C’est autant leur foi, leur spécificité identitaire,<br />

que leur condition d’immigrés<br />

qui les a réunis dans le pays d’immigration,<br />

les conduisant à reproduire la communauté<br />

kimbanguiste de façon conforme<br />

à celle <strong>des</strong> pays d’origine. D’autant<br />

que les kimbanguistes immigrés en Fran-<br />

41. Ce chiffre reste provisoire, car la<br />

dissémination <strong>des</strong> kimbanguistes et les<br />

motifs liés à l’immigration clan<strong>des</strong>tine rendent<br />

tout dénombrement difficile.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

19


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

ce ne peuvent compter sur d’autre support<br />

que celui du réseau communautaire,<br />

mobilisant les énergies vers la société<br />

d’origine et reproduisant la structure hiérarchique<br />

traditionnelle.<br />

ORGANISATION COMMUNAUTAIRE<br />

La hiérarchie. Ainsi, la communauté<br />

kimbanguiste de France se présente de la<br />

manière suivante : au sommet, on trouve<br />

le comité de pilotage, dont Joseph Mpassi<br />

est l’actuel représentant légal. Autour de<br />

lui gravitent les principaux pasteurs,<br />

pour la plupart kimbanguistes depuis<br />

leurs pays d’origine. Leur rôle est de<br />

conseiller et d’animer spirituellement la<br />

communauté. Ils contribuent à résoudre<br />

<strong>des</strong> problèmes moraux, spirituels, voire<br />

sociaux auxquels sont confrontés les<br />

membres et la communauté. Ils donnent<br />

les sacrements de baptême, de mariage et<br />

d’ordination. Ensuite viennent les<br />

diacres et diaconesses, dont le rôle est<br />

d’administrer les fonds de la communauté.<br />

Les catéchistes, enfin, sont chargés<br />

d’enseigner la foi et la morale chrétiennes,<br />

selon la doctrine kimbanguiste,<br />

aux enfants en âge d’apprendre et aux<br />

nouveaux convertis.<br />

En outre, un fait s’offre à l’observation<br />

: l’administration ecclésiastique<br />

kimbanguiste se double d’un ordre hiérarchique<br />

plus ou moins perçu comme<br />

sacré, à savoir la progéniture de Simon<br />

Kimbangu. Rappelons que la succession<br />

de Simon Kimbangu, fondateur du kimbanguisme,<br />

a été assurée par son fils cadet<br />

Joseph Diangienda Kuntima, entouré<br />

de ses frères aînés Kisolékélé Lukelo et<br />

Dialungana Kiangani. L’ère <strong>des</strong> fils de Simon<br />

Kimbangu étant désormais révolue,<br />

c’est à présent l’aîné <strong>des</strong> fils de ceux-ci<br />

qui a repris le flambeau, entouré <strong>des</strong><br />

vingt-cinq autres petits-fils et petitesfilles<br />

du fondateur. Il est l’autorité suprême<br />

et préside le Conseil International de<br />

l’Église dont le siège est N’kamba, dite<br />

Nouvelle Jérusalem, en République Démocratique<br />

du Congo.<br />

Certains de ces nouveaux chefs spirituels<br />

habitent l’Europe et notamment la<br />

France. Ils continuent d’incarner la présence<br />

de leurs pères au sein de la communauté<br />

de France, et cette transmission<br />

de pouvoirs est reconnue avec plus ou<br />

moins de conviction par les fidèles. C’est<br />

ainsi que l’organisation ecclésiastique<br />

kimbanguiste, perçue – plus ou moins –<br />

comme profane est confrontée à une<br />

autre organisation hiérarchique, perçue –<br />

plus ou moins – comme sacrée et bien<br />

connue dans le jargon kimbanguiste en<br />

termes de <strong>des</strong>cendance. Mais avec la disparition<br />

du dernier survivant <strong>des</strong> fils de<br />

Kimbangu, une nouvelle idéologie se fait<br />

jour : la lignée se dénomme à présent les<br />

Kimbangu, par opposition aux fidèles qui<br />

sont, eux, kimbanguistes. Cela montre à<br />

quel point l’idéologie de la filiation<br />

compte en milieu kimbanguiste.<br />

La communauté. Pour décrire l’église<br />

kimbanguiste dans sa complexité, il faut<br />

ainsi tenir compte d’un certain nombre<br />

de facteurs, dont l’organisation de la famille.<br />

En effet, l’organisation sociale chez<br />

les Congolais est, comme partout en<br />

Afrique noire, fondée sur la cellule<br />

constitutive qui est la famille. Celle-ci est<br />

en général régie par les systèmes de parenté:<br />

c’est le lignage, se définissant comme<br />

groupe social à filiation matrilinéaire<br />

ou patrilinéaire, qui relie les individus à<br />

un aïeul ou un ancêtre commun.<br />

La définition de la communauté kimbanguiste<br />

par un certain nombre de traits<br />

familiaux, constitutifs de l’ethnicité,<br />

nous paraît être utile à l’étude <strong>des</strong> kimbanguistes<br />

en France. En effet, l’analyse<br />

de la communauté kimbanguiste en<br />

France fait ressortir la coexistence <strong>des</strong><br />

deux groupes ethniques, originaires du<br />

Congo-Brazzaville, du Congo-Kinshasa<br />

et de l’Angola : les Ba-Kongos, plus nombreux,<br />

et les Bangalas, numériquement<br />

minoritaires.<br />

Dans la communauté kimbanguiste,<br />

les familles forment de gran<strong>des</strong> catégories<br />

de personnes qui se situent suivant une<br />

hiérarchie donnée. Cette hiérarchie met<br />

au premier rang, comme nous l’avons déjà<br />

mentionné, les <strong>des</strong>cendants de Simon<br />

20<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

ARTS<br />

DUNIA<br />

ET CULTURES<br />

Kimbangu, non seulement en leur donnant<br />

du prestige, mais aussi en leur accordant<br />

<strong>des</strong> privilèges d’ordre divin,<br />

puisque Simon Kimbangu, dans l’imaginaire<br />

kimbanguiste, est considéré comme<br />

Dieu le Saint-Esprit qui s’est rapproché<br />

<strong>des</strong> hommes en léguant au monde une<br />

progéniture humaine sacrée. De ce fait,<br />

l’appartenance à la galaxie familiale de<br />

Simon Kimbangu fournit un critère de<br />

stratification délimitant une aristocratie<br />

dont la conséquence est une certaine différenciation<br />

avec les autres familles de la<br />

communauté. De cette façon, la hiérarchie<br />

de la <strong>des</strong>cendance est fondée sur un<br />

sentiment religieux.<br />

De même, une certaine noblesse est<br />

conférée aux <strong>des</strong>cendants <strong>des</strong> familles qui<br />

ont joué un rôle historique important<br />

dans la genèse de l’Église : la famille de<br />

Mikala Madombe, la collaboratrice sacerdotale<br />

du chef spirituel de l’Église et<br />

dernière survivante <strong>des</strong> apôtres de Simon<br />

Kimbangu, qui s’est éteinte en mai<br />

2001 ; les <strong>des</strong>cendants <strong>des</strong> 37 000 familles<br />

martyrisées au temps de la colonisation,<br />

souvent appelés dans le jargon<br />

kimbanguiste Bana Kole c’est-à-dire enfants<br />

<strong>des</strong> sacrifices ; les <strong>des</strong>cendants <strong>des</strong><br />

premiers pasteurs de l’Église, dits Dzala<br />

Bula littéralement Dzala : désir ou quête,<br />

bula : sacré, spirituel, donc désir du sacré<br />

ou quête de la spiritualité. Toutefois, la<br />

hiérarchie dans cette catégorie ne correspond<br />

pas à une certaine dévotion,<br />

contrairement au cas <strong>des</strong> <strong>des</strong>cendants de<br />

Simon Kimbangu. Elle est simplement<br />

nominative car certains noms, surtout<br />

ceux <strong>des</strong> pasteurs défunts, résonnent avec<br />

un certain prestige.<br />

En outre, la communauté kimbanguiste<br />

se déploie en un important réseau<br />

communautaire composé de <strong>10</strong> paroisses,<br />

à savoir : les paroisses établies<br />

dans la région parisienne (Saint-Denis,<br />

Viroflay, Chartres, Laumière, Creil) et en<br />

province, à Lille, Lyon, Orléans, Nancy,<br />

Rouen et Rennes. Notre enquête a spécialement<br />

porté sur les régions parisienne<br />

et rennaise.<br />

On compte environ 2000 fidèles répartis<br />

en paroisses, et chaque paroisse compte<br />

<strong>des</strong> groupes ou chorales: le Groupe<br />

Théâtral Kimbanguiste (GTKI), la Chorale<br />

<strong>des</strong> Dirigeants Kimbanguistes<br />

(CDK), la Chorale <strong>des</strong> Enfants Kimbanguistes<br />

(CHOREKI), la Chorale Papa Kisolékélé<br />

(CPK), le Groupe Flûtiste Kimbanguiste<br />

(CFKI), la Fanfare Kimbanguiste<br />

(FAKI), le Mouvement <strong>des</strong> Surveillants<br />

Kimbanguistes (MSK), le Mouvement<br />

<strong>des</strong> Eclaireurs Kimbanguistes<br />

(MEKI), l’<strong>Association</strong> <strong>des</strong> Femmes Kimbanguistes<br />

(AFKI) et l’<strong>Association</strong> <strong>des</strong> Papas<br />

Kimbanguistes (ASPKI). Ainsi se présente<br />

la répartition kimbanguiste en fonction<br />

<strong>des</strong> groupes et du sexe.<br />

Ce faisant, les kimbanguistes, séparés<br />

du milieu originel par plusieurs années<br />

d’immigration en France, prennent<br />

conscience que leur sensibilité et leurs valeurs<br />

communes perdurent malgré l’éloignement<br />

géographique et culturel. Leur<br />

sens communautaire, qui évoque le souvenir<br />

<strong>des</strong> premières années de leur immigration<br />

en France, gomme relativement<br />

les différences nationales en vigueur dans<br />

le pays d’accueil et se substitue même au<br />

sentiment d’une même appartenance nationale.<br />

Le réseau <strong>des</strong> relations ainsi établies<br />

va franchir les frontières nationales<br />

pour faire fonctionner la parenté sociale<br />

ou spirituelle entre tous les kimbanguistes<br />

se réclamant d’un ancêtre commun<br />

– ici Adam et Eve, considérés comme<br />

<strong>des</strong> Noirs. En ce sens, l’affirmation de<br />

l’âme noire figure en bonne place dans la<br />

présentation collective de soi.<br />

Si, comme le souligne Marco Martiniello,<br />

l’aspect religieux de l’ethnicité ferait<br />

en quelque sorte du groupe ethnique une<br />

communauté sacrée 42 , l’on pourrait dire<br />

que l’aspect ethnique de la communauté<br />

kimbanguiste fait que celle-ci se représente<br />

comme le peuple élu de Dieu, unie<br />

par <strong>des</strong> liens sacrés avec Dieu – ici Kimbangu<br />

– à l’instar du peuple juif. C’est ce<br />

que fait remarquer Louis-Vincent Thomas<br />

: Le processus messianique joua sur sur<br />

un double tableau ; il eut d’abord recours<br />

au mythe d’identification. Kimbangu s’est<br />

assimilé au Christ en tant que messager de<br />

42. Marco Martiniello, L’ethnicité<br />

dans les sciences sociales contemporaines,<br />

P.U.F., Paris (coll. “ Que sais-je ? ”), 1995.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001 l’arbre à Palabres 21


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

43. Louis-Vincent Thomas, Les<br />

Mythes africains d’hier et d’aujourd’hui, in<br />

Rencontres <strong>des</strong> religions, Paris, Ed. Les<br />

Belles Lettres, 1986, p. 91.<br />

44. Diangienda Kuntima, L’histoire<br />

du kimbanguisme, Ed. Kimbanguiste,<br />

Kinshasa, 1984, p. 167.<br />

Dieu tandis que le groupe de ses fidèles devenait<br />

le peuple élu de Dieu 43 .<br />

Par ailleurs, il faut également spécifier<br />

que le sens communautaire kimbanguiste,<br />

c’est aussi le sens de l’unité entre les<br />

membres. Si les Musulmans utilisent le<br />

vocable ummâ pour évoquer leur solidarité<br />

de croyants, les kimbanguistes ont<br />

aussi un mot très évocateur pour exprimer<br />

l’unité entre eux : Kintwadi, un mot<br />

kikongo qui veut dire ensemble.<br />

Voici la signification du mot Kintwadi,<br />

donnée par le catéchisme kimbanguiste<br />

: Que signifie Kintwadi ? Réponse :<br />

Kintwadi est la communauté <strong>des</strong> hommes<br />

qui pensent la même chose et qui s’aiment<br />

parce que Dieu leur a dit qu’ils doivent<br />

s’aimer. Le premier chef spirituel de l’Église<br />

kimbanguiste, Son Éminence Diangienda<br />

Kuntima le confirme en ces<br />

termes : À Kinshasa, le kimbanguisme fut<br />

aussi connu sous le pseudonyme de Kintwadi<br />

qui signifie en commun. 44<br />

Les types de pratiquants<br />

C’est pourquoi il y a en tout kimbanguiste<br />

une prise de conscience de l’unité<br />

et de la haute valeur de la communauté.<br />

Toutefois, il est possible de distinguer<br />

trois catégories de kimbanguistes, qui se<br />

différencient par rapport à la communauté<br />

: la première et la plus importante<br />

est celle constituée par ce que nous appelons<br />

ici les kimbanguistes pratiquants actifs.<br />

L’expression ainsi présentée renvoie<br />

de façon générale aux kimbanguistes qui<br />

non seulement manifestent un certain<br />

dynamisme dans la fréquentation du culte<br />

et la vie communautaire, mais aussi y<br />

trouvent une garantie de vie sociale par et<br />

dans la communauté. Leur adhésion ou<br />

participation s’inscrit avant tout dans<br />

une logique fonctionnelle. Il s’agit pour<br />

eux de participer et de répondre présent à<br />

toutes les retrouvailles kimbanguistes.<br />

Plus nombreux que les non-pratiquants<br />

et les sympathisants, les kimbanguistes<br />

pratiquants actifs se caractérisent par leur<br />

stabilité cultuelle, fondée essentiellement<br />

sur le partage <strong>des</strong> activités religieuses et<br />

du temps. Ils contribuent à activer la vie<br />

religieuse et s’emparent de celle-ci selon<br />

une logique de la vie en communauté. Ils<br />

donnent l’impression d’être plus engagés<br />

que les autres kimbanguistes. Voici en<br />

quels termes s’expriment les enquêtés :<br />

Le kimbanguisme, c’est tout ce que je sais<br />

faire (A., Bac+4 en droit, 25ans, Cergy)<br />

L’Église kimbanguiste, c’est comme ma<br />

deuxième famille (E., Bac+2, 41ans, Paris)<br />

Le seul endroit où je me sens vraiment à l’aise,<br />

c’est le milieu kimbanguiste (N., Cours<br />

d’alphabétisation, 28 ans, Bobigny)<br />

La deuxième catégorie est constituée<br />

de ce que nous appelons kimbanguistes<br />

non pratiquants ou passifs, et la troisième<br />

comprend les sympathisants (conjoints<br />

ou parents de fidèles ou de pasteurs kimbanguistes).<br />

Moins nombreux que les<br />

pratiquants actifs, les non-pratiquants se<br />

distinguent aussi par leur mode d’inscription<br />

dans la communauté kimbanguiste.<br />

Quasiment absents de la vie religieuse,<br />

ils se révèlent par une présence<br />

occasionnelle au culte ; plus ou moins<br />

connus <strong>des</strong> autres kimbanguistes, ils se<br />

caractérisent aussi bien par un faible degré<br />

d’intégration dans la vie communautaire<br />

que par un avenir statutaire beaucoup<br />

plus incertain, en ce sens qu’ils ont<br />

un pied dans la communauté et un autre<br />

dehors. Ceci peut les conduire soit à<br />

changer de statut en devenant actifs, soit<br />

à quitter la communauté. Ils restent toutefois<br />

fiers d’appartenir à la communauté<br />

kimbanguiste. Les enquêtés rencontrés<br />

plus ou moins par hasard ont mis en évidence<br />

<strong>des</strong> conceptions communautaires<br />

divergentes : Moi, j’allais à l’église, je<br />

chantais, j’ai même en mémoire certaines<br />

chansons, mais je n’y vais plus parce que<br />

j’ai perdu la foi...mais je sais que ça viendra<br />

(J.H., 22 ans, étudiant en restauration,<br />

Rennes).<br />

Car, au-delà d’une conscience ethnique<br />

à résonance mythique, il y a prise<br />

de conscience du groupe comme cadre<br />

de vie sociale, avec une structure interne<br />

de communication et de relations et une<br />

solidarité traditionnelle où la conscience<br />

collective prédomine sur la conscience individuelle,<br />

et où s’exerce un contrôle so-<br />

22<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

cial de la communauté, qui pèse sur ses<br />

membres avec tout le poids de la morale<br />

et <strong>des</strong> interdits.<br />

Le rapport à la société française<br />

Pour rendre compte du rapport <strong>des</strong><br />

kimbanguistes à la société française, il<br />

semble nécessaire de rappeler un peu<br />

d’histoire franco-africaine. Nous nous<br />

sommes appuyés sur l’étude de l’historien<br />

Philippe Dewitte 45 qui nous offre<br />

quelques éléments permettant de brosser<br />

à grands traits un tableau d’ensemble <strong>des</strong><br />

rapports franco-africains de la France de<br />

l’après-guerre.<br />

Dans un premier temps, P. Dewitte<br />

relate l’attitude à l’égard <strong>des</strong> Noirs <strong>des</strong><br />

autorités françaises, pour qui les besoins<br />

de main-d’œuvre dûs aux pertes de guerre<br />

et à la dénatalité les obligent à s’accommoder<br />

de l’arrivée massive –<br />

quoique strictement réglementée par<br />

rapport au flux migratoire en provenance<br />

d’Europe – <strong>des</strong> travailleurs africains. À la<br />

fin de la Première Guerre mondiale, certains<br />

contingents de travailleurs immigrés<br />

sont conservés alors que les Africains<br />

sont exclus. Ceci pour diverses raisons :<br />

préférence d’une population européenne<br />

qui poserait moins de problèmes d’assimilation,<br />

refus d’employer les travailleurs<br />

africains, jugés indolents par les employeurs<br />

et utilisation <strong>des</strong> Africains dans<br />

les chantiers de l’Empire (les travaux de<br />

chemin de fer Congo-Océan en A.E.F.,<br />

l’office du Niger en A.O.F. etc.) obligea<br />

les autorités à freiner l’immigration <strong>des</strong><br />

indigènes. Pascal Blanchard et Nicolas<br />

Bancel abondent dans ce sens : Les seuls<br />

immigrés acceptables sont exclusivement les<br />

Européens... ainsi, à l’heure de l’apogée coloniale,<br />

au moment où le mythe sur l’indigène<br />

se fixe dans les consciences et dans les<br />

pratiques politiques, tout l’imaginaire sur<br />

l’immigration non désirée est déjà intimement<br />

liée à celui sur les populations coloniales<br />

46 . Hubert Deschamps, quant à lui,<br />

fait état de ces clichés du Noir anthropophage<br />

qui apparaissent à travers le dialogue<br />

entre le Pape Léon XIII et Monseigneur<br />

Augouard. 47 Ces stéréotypes n’allaient<br />

pas sans <strong>des</strong> accents racistes et paternalistes.<br />

Mais, à partir <strong>des</strong> années<br />

1920, ce paternalisme était teinté d’un<br />

début de réhabilitation de l’Afrique et de<br />

ses ressortissants. C’est ainsi que le terme<br />

primitif, qui avait <strong>des</strong> connotations nettement<br />

dévalorisantes en fin de siècle dernier,<br />

confère une aura d’authenticité s’opposant à<br />

la spontanéité perdue par les Occidentaux,<br />

inhibés par la vie moderne 48 . Ainsi, l’image<br />

et l’attitude de ces derniers commencent<br />

à changer par rapport à leur définition<br />

antérieure du Noir, faite d’animalité,<br />

de sauvagerie, de barbarie, bien que<br />

l’Afrique ne soit pas encore à cette<br />

époque reconnue au rang <strong>des</strong> civilisations<br />

du monde.<br />

Et P. Dewitte pense que ce sont les<br />

troupes noires ou tirailleurs sénégalais stationnés<br />

en France et faisant désormais<br />

partie du paysage français qui ont contribué<br />

à ce changement d’attitude. Il prend<br />

à témoin Lucie Cousturier 49 qui, refusant<br />

d’utiliser le mot nègre à cause <strong>des</strong><br />

connotations fortement péjoratives attachées<br />

à ce terme, traduit la culpabilité<br />

naissante <strong>des</strong> Français qui va les conduire<br />

à recourir au mot Noir en apparence<br />

plus neutre, puis au ridicule et euphémique<br />

homme de couleur.<br />

C’est donc dans la dialectique <strong>des</strong> stéréotypes,<br />

préjugés et attitu<strong>des</strong> du passé<br />

franco-africain que nous pouvons saisir<br />

l’attitude de rejet et d’exclusion de la<br />

France contemporaine à l’endroit <strong>des</strong><br />

Africains. Ceci étant, on comprend que<br />

le portrait-robot <strong>des</strong> Africains : grands<br />

enfants, sauvages, primitifs, demeure encore<br />

présent dans l’imaginaire social français<br />

et atteint son point d’achèvement<br />

avec les sans-papiers ou les clan<strong>des</strong>tins.<br />

L’image <strong>des</strong> tirailleurs sénégalais semble<br />

céder la place à celle <strong>des</strong> clan<strong>des</strong>tins maliens.<br />

Autant dire pour conclure à ce sujet<br />

que le discours global, qui revient<br />

souvent pour désigner les Africains, est<br />

celui <strong>des</strong> hommes de couleur, ces gens-là.<br />

En 1996, l’expression utilisée dans les<br />

discours politiques médiatisés, abondaient<br />

en termes <strong>des</strong> faibles, pour désigner<br />

les occupants de l’église Saint-Ber-<br />

45. Philippe Dewitte, Les mouvements<br />

nègres en France, 1919-1939, Paris, Éd.<br />

L’Harmattan, 1985.<br />

46. Pascal Blanchard et Nicolas<br />

Bancel, De l’indigène à l’immigré, Éd.<br />

Gallimard 1998, p. 35.<br />

47. Au Congo français les pères du Saint<br />

Esprit s’installèrent de bonne heure. L’un<br />

d’eux, Augouard, qui était en poste au Gabon,<br />

partit pour le Congo dès que Brazza y fut parvenu.<br />

Explorateur, bâtisseur, évêque <strong>des</strong><br />

anthropophages, il ne cessait de circuler le<br />

long du fleuve, dans les marécages et la forêt<br />

vierge. Est-il vrai, lui demandait Léon XIII,<br />

que vos diocésains mangent de la chair<br />

humaine ? - Oui, très Saint Père, et tous les<br />

jours. - Il est curieux que parmi les saints<br />

martyrs, aucun n’ait été mangé. - Eh bien,<br />

Saint Père, je tâcherai de commencer. -<br />

Gardez-vous-en bien, répliqua le pape, nous<br />

n’aurions pas de reliques ! Hubert<br />

Deschamps, Les religions de l’Afrique Noire,<br />

P.U.F., 1960, p.<strong>10</strong>6.<br />

48. P. Dewitte, op.cit.,p. 46.<br />

49. Lucie Cousturier, Des inconnus<br />

chez moi , 1920.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

23


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

50. Mohand Khellil, L’intégration <strong>des</strong><br />

maghrébins en France, Paris, PUF, 1991<br />

51. Selon ce dernier, le mot nationalité,<br />

désigne à la fois un groupement humain<br />

qu’unit une communauté de culture et<br />

d’histoire et cette communauté historicoculturelle<br />

elle-même, en tant qu’elle manifeste<br />

l’existence du groupement. Dans la<br />

communauté ethnique en tant que telle – à<br />

la différence de la nationalité – la dimension<br />

historico-politique est absente... Pour passer à<br />

la nationalité, il faudrait quelque chose en<br />

plus : l’accession à l’historicité et l’action du<br />

groupe en tant que tel dans le champ politique.<br />

La nationalité, comme appartenance<br />

de fait et aussi généralement de sentiments, à<br />

un peuple, à une communauté de langue, de<br />

culture et d’histoire, doit être distinguée de la<br />

citoyenneté qui est proprement l’appartenance<br />

juridique à un ensemble politique. Ce qui<br />

pour le plus grand nombre se ramène généralement<br />

à une sujétion à (les devoirs) et une<br />

protection par (les droits) un État (et plus<br />

rarement participation effective à cet État)<br />

Pour reprendre les termes de Catherine<br />

Neveu, la nationalité sera alors ici considérée<br />

sous deux angles : d’une part en tant<br />

qu’elle permet la circulation au niveau international<br />

(elle fournit les documents de voyage),<br />

d’autre part en tant qu’elle est, en plus de<br />

ses dimensions utilitaires, point de cristallisation<br />

et de focalisation symbole d’une communauté<br />

nationale et l’appartenance à celleci.<br />

nard. Et que dire du vocable Black qui<br />

semble réhabiliter les Noirs avec un accent<br />

passablement neutre ? C’est donc<br />

dans cette dialectique entre les stéréotypes<br />

du passé et les préjugés du présent<br />

que les immigrés noirs en général et les<br />

Africains en particulier s’intègrent en<br />

France.<br />

D’autant plus que l’homme noir en<br />

général, l’Africain en particulier, semble<br />

incarner la caricature médiatisée de l’immigré<br />

négatif ou du sans-papiers : “<br />

l’image de l’immigré est encore singularisée<br />

par les caricaturistes qui représentent dans<br />

la presse les immigrés en sombre (les autochtones<br />

en clair) et avec <strong>des</strong> frisettes.<br />

L’assimilation <strong>des</strong> immigrés à <strong>des</strong> gens de<br />

couleur correspond à une certaine réalité<br />

sociale dans la mesure où ce sont les Nord-<br />

Africains et les Africains Noirs qui semblent<br />

gêner 50 . On peut parler du rejet qui<br />

s’exprime par l’exclusion, la discrimination<br />

et le racisme, aussi bien de la part<br />

<strong>des</strong> agents détenteurs <strong>des</strong> leviers de commande<br />

policiers ou administratifs, que<br />

<strong>des</strong> autochtones côtoyés dans les transports<br />

en commun, dans la rue, dans les<br />

écoles, etc., qui figent l’immigré dans son<br />

statut d’étranger. Ainsi, Les kimbanguistes<br />

en situation migratoire, rencontrent<br />

les barrières dréssées par la société<br />

dite d’accueil. Voici en quels termes s’expriment<br />

les enquêtés à ce sujet :<br />

Ici il y a toujours quelque chose qui me<br />

rappelle que je ne suis pas chez moi, il y a<br />

<strong>des</strong> contraintes administratives telles que le<br />

renouvellement <strong>des</strong> cartes de séjour, le fait<br />

de préciser, dans certains documents, qu’on<br />

est étranger, le fait de ne pas bénéficier d’un<br />

certain nombre de privilèges, parfois le regard<br />

<strong>des</strong> autres, tout me force à accepter que<br />

je ne suis pas chez moi ” (S., étudiant en licence<br />

de droit, 30 ans, Paris).<br />

C’est très difficile ici surtout quand on<br />

n’a pas de papiers ; on se promène avec inquiétude,<br />

on croit être intercepté par la police<br />

et renvoyé au pays. Quand je pense<br />

qu’au pays j’étais libre, je me baladais comme<br />

je voulais, je rentrais à n’importe quelle<br />

heure. Mais ici comme c’est un pays<br />

étranger, c’est très difficile de vivre la vie<br />

qu’on vivait au pays (N. Nourrice, cours<br />

d’alphabétisation, 28 ans, Bobigny).<br />

Il semble que les kimbanguistes en<br />

France se soient organisés sur la base<br />

d’une affirmation identitaire laissant apparaître<br />

une sorte d’identitarisme communautaire<br />

qui balance entre la sauvegarde<br />

d’identité religieuse, ethnique et nationale.<br />

Comment dès lors s’exprime le rapport<br />

<strong>des</strong> kimbanguistes à l’ethnicité et à<br />

la citoyenneté et /ou à la nationalité? Un<br />

kimbanguiste peut-il être intégré à la société<br />

Française, ou au contraire est-il porteur<br />

de valeurs qui contredisent celles <strong>des</strong><br />

pays d’accueil et par conséquent empêchent<br />

son insertion ? Nous avons privilégié<br />

ici deux perspectives: en saisissant<br />

l’intégration <strong>des</strong> kimbanguistes à partir<br />

de la société d’accueil, dans la mesure où<br />

celle-ci accepte ou non de les intégrer. En<br />

essayant de montrer d’autre part comment<br />

les kimbanguistes sont intégrés à<br />

leur communauté – perçue comme une<br />

unité totale vouée à l’universalité – empêchant<br />

de ce fait l’intégration à la société<br />

d’accueil.<br />

Évoquer la question de la nationalité,<br />

cela entend aussi la citoyenneté, de sorte<br />

qu’il n’y a pas une coupure tranchée<br />

entre ces notions d’autant que la tradition<br />

politique française les associe intimement.<br />

Mais la distinction que fait<br />

Pierre-Jean Simon entre les deux notions<br />

nous semble pertinente pour saisir le rapport<br />

<strong>des</strong> collectivités étrangères, notamment<br />

les kimbanguistes, à la citoyenneté<br />

et/ou à la nationalité françaises. 51<br />

En effet, l’intégration <strong>des</strong> kimbanguistes<br />

en France, bien qu’entamée, reste<br />

freinée par la politique migratoire du<br />

pays d’accueil. Il n’empêche que leur pratique<br />

associative laisse percevoir une sorte<br />

de citoyenneté. Si être citoyen, c’est aussi<br />

agir collectivement dans <strong>des</strong> regroupements<br />

volontaires 52 , on note chez les kimbanguistes<br />

une forme de citoyenneté qui<br />

est exercée dans le cadre dans leur église.<br />

La communauté <strong>des</strong> immigrants kimbanguistes<br />

étant une structure organisée,<br />

elle prend en charge <strong>des</strong> activités diverses<br />

aussi bien tournées vers le pays d’origine<br />

24<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

et la communauté que vers le pays d’accueil<br />

par exemple l’entraide, la participation<br />

à certaines festivités organisées par<br />

les communes ou mairies, l’aide à l’intégration<br />

<strong>des</strong> nouveaux venus. Susan Asch,<br />

la sociologue américaine, constate dans<br />

son étude que le code de comportement<br />

kimbanguiste constitue un apport considérable<br />

sur le plan moral, en milieu urbain<br />

comme en milieu rural. Conséquence de la<br />

crise globale sévissant au Zaïre, la décadence<br />

<strong>des</strong> moeurs en milieu urbain...est nettement<br />

condamnée par le Kimbanguisme.<br />

Les Kimbanguistes ne fréquentent ni bars,<br />

ni boîtes de nuit, ni bordels. Ils condamnent<br />

l’adultère, l’oisiveté, le vol, la danse,<br />

l’alcool, le mensonge et même la colère.<br />

Dans une société avide de gain, ces principes<br />

ne sont pas négligeables 53 . Aussi, en<br />

condamnant par son code moral, la violence<br />

le vol, l’alcool, la drogue…l’église<br />

pourrait faciliter son intégration au sein<br />

de la société.<br />

Les observations que j’ai menées dans<br />

l’ensemble <strong>des</strong> lieux de culte kimbanguistes<br />

– qu’il s’agisse de la paroisse de<br />

Saint-Denis, de diverses autres disséminées<br />

dans Paris et sa banlieue ou de l’église<br />

catholique Saint-Marc pour les fidèles<br />

de Rennes – permettent de mettre en lumière<br />

les mo<strong>des</strong> d’accommodation kimbanguistes<br />

à la terre d’accueil. J’ai pu<br />

constater que les églises ou lieux de culte<br />

interviennent chez les kimbanguistes<br />

dans le processus de mobilisation communautaire.<br />

c’est autour d’eux que s’organise<br />

une part de vie religieuse et sociale<br />

: réunions administratives, assemblées<br />

générales, mariages, funérailles et célébration<br />

de différentes fêtes. Pour bien <strong>des</strong><br />

fidèles, soucieux en général de garder le<br />

caractère traditionnel et de conserver les<br />

formes de sociabilité et convivialité antérieures,<br />

le lieu de culte joue un rôle d’accompagnement<br />

social et représente un<br />

point d’attache sécurisant. Mais la réalité<br />

de leur vie religieuse et quotidienne se<br />

heurte de plus en plus souvent aux difficultés<br />

d’adaptation au pays d’accueil : la<br />

méconnaissance du kimbanguisme, l’absence<br />

de lieux de culte spécifiquement<br />

kimbanguistes, la rupture entre le système<br />

de valeurs de leurs pays d’origine et<br />

celui du pays d’accueil.<br />

LES MOMENTS<br />

DE CÉLÉBRATION KIMBANGUISTE<br />

En effet, les kimbanguistes en France<br />

se sont d’un seul coup trouvés dans<br />

l’obligation de gérer matériellement et<br />

symboliquement la question de la méconnaissance<br />

<strong>des</strong> Français de leur religion<br />

et celle de l’absence de lieux de culte.<br />

Originaires de pays où ils sont bien<br />

installés avec leurs terrains et leurs<br />

temples, les kimbanguistes établis en<br />

France sont désormais obligés de louer<br />

<strong>des</strong> salles – souvent à contrecœur<br />

car elles sont perçues comme impures –<br />

au prix de grands efforts financiers. De<br />

cette façon, leur projet tient en priorité<br />

de l’achat d’un temple ou d’un terrain.<br />

De même, originaire de pays où le kimbanguisme<br />

jouit d’une crédibilité aux côtés<br />

<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> églises instituées, les kimbanguistes<br />

en terre d’immigration se<br />

trouve désormais confrontée au problème<br />

de leur méconnaissance et de leur minorisation.<br />

Ainsi, les kimbanguistes semblent<br />

orienter leurs actions vers une sorte de<br />

négociation avec les autochtones qui leur<br />

permettrait de bénéficier d’un statut social<br />

noble en France. Bien que reconnue<br />

officiellement par l’État français selon le<br />

principe de la laïcité de la loi 1901 et faisant<br />

partie de la communauté chrétienne<br />

internationale, la communauté kimbanguiste<br />

semble se heurter à un mur dressé<br />

par l’indifférence de la société d’accueil.<br />

Si, dans ses pays d’origine, l’Église kimbanguiste<br />

est souvent conviée et associée<br />

aux événements de haute portée nationale<br />

– tels que commémoration <strong>des</strong> dates<br />

d’indépendance, deuil national et autres<br />

activités culturelles et religieuses – en terre<br />

d’immigration, en revanche, elle<br />

souffre d’un déficit de légitimité. Et cela a<br />

<strong>des</strong> répercussions sur l’accommodation<br />

<strong>des</strong> kimbanguistes au milieu physique du<br />

pays d’accueil.<br />

Être kimbanguiste en France, c’est<br />

52. Albano Cordeiro, Pratiques associatives,<br />

pratiques citoyennes, in Jacques<br />

Barrou (dir.), Immigrés en Europe : le défi<br />

citoyen, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 92.<br />

53. Susan Asch, op.cit., p. 190.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

25


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

aussi vivre au rythme de diverses cérémonies<br />

qui ponctuent la vie religieuse. Les<br />

cérémonies sur lesquelles a porté notre<br />

observation sont les baptêmes, les mariages,<br />

les veillées funèbres et les différentes<br />

fêtes d’anniversaire.<br />

Le baptême<br />

L’Église kimbanguiste pratique ce<br />

qu’elle appelle le baptême par le Saint-<br />

Esprit dont parlait Jean-Baptiste avant le<br />

ministère du Christ : Moi, je vous ai baptisés<br />

d’eau, lui il vous baptisera du Saint-<br />

Esprit (Marc 1 :8). L’on ne devient kimbanguiste<br />

qu’après avoir été baptisé. Il<br />

n’y a pas de baptême d’enfants, mais une<br />

présentation d’enfants. Lors d’un culte le<br />

dimanche, les parents s’avancent avec<br />

leurs enfants devant les pasteurs qui leur<br />

demande dans une formule indicative de<br />

les élever dans la crainte de Dieu, en leur<br />

montrant un bon exemple chrétien et le<br />

pasteur (ou les pasteurs au cas où il y<br />

beaucoup d’enfants) bénit en récitant<br />

cette formule : Que la grâce de Notre Seigneur<br />

Jésus-Christ, l’amour de Dieu notre<br />

Père et la communion du Saint-Esprit<br />

soient avec nous aux siècles <strong>des</strong> siècles<br />

Amen. Après avoir reçu un enseignement<br />

qui l’aura préparé au baptême du Saint-<br />

Esprit, l’enfant, en âge de décision, est<br />

baptisé et devient membre de la communauté.<br />

Le baptême kimbanguiste est aussi<br />

exigé pour toute personne non kimbanguiste<br />

désirant le devenir. Elle doit alors<br />

passer par le catéchuménat avant d’être<br />

baptisée. Mais à ceux ou celles qui ont<br />

antérieurement été baptisés dans une<br />

autre Église chrétienne, la communauté<br />

kimbanguiste refuse d’administrer un second<br />

baptême car elle reconnaît la validité<br />

du baptême exercé par les autres<br />

Églises. Dans ce cas, il y a tout simplement<br />

une forme de reconnaissance qui<br />

est un rite de passage d’une autre Église à<br />

la communauté kimbanguiste. La pratique<br />

baptismale de l’Église kimbanguiste<br />

se fait par la prière et l’imposition <strong>des</strong><br />

mains. Nous avons eu l’occasion d’assister<br />

à une cérémonie de baptême à la paroisse<br />

de Viroflay. Les catéchumènes sont<br />

disposés par ordre, à genoux devant une<br />

ligne de pasteurs appelés à les baptiser. Le<br />

pasteur superviseur ouvre la cérémonie<br />

par une prière improvisée et lit ensuite les<br />

textes de circonstance et fait les commentaires<br />

appropriés. Au moment où est<br />

faite la prière baptismale, chaque pasteur<br />

impose les mains sur le catéchumène à<br />

genoux devant lui. Dès la fin de la prière<br />

baptismale, chaque pasteur serre la main<br />

de la personne nouvellement baptisée et<br />

l’aide à se lever comme pour symboliser<br />

la réception du nouveau membre dans la<br />

communauté.<br />

Le mariage<br />

Le mariage, est un événement de haute<br />

importance chez les kimbanguistes.<br />

L’annonce du mariage se fait généralement<br />

trois ou cinq mois à l’avance pour<br />

permettre à la communauté et aux<br />

groupes qui la constituent de se préparer.<br />

La communauté est toujours prête à se<br />

déplacer pour aller fêter le mariage d’un<br />

<strong>des</strong> siens dans les provinces de France ou<br />

dans d’autres pays d’Europe (en Belgique,<br />

en Suisse, en Allemagne ou en Espagne).<br />

La cérémonie s’annonce par l’entrée<br />

<strong>des</strong> mariés escortés par les filles d’honneur<br />

aux pas rythmés de la fanfare. Ensuite,<br />

un chant d’ensemble ouvre la cérémonie<br />

accompagnée d’une prière par une<br />

maman. Le pasteur chargé d’animer la<br />

cérémonie lit un passage biblique et fait<br />

une petite prédication à l’issue de laquelle<br />

il administre le sacrement selon le rituel<br />

de l’Église. La prière finale qui est dite<br />

se termine par ces mots : Que la grâce<br />

de notre Seigneur Jésus-Christ, l’amour de<br />

Dieu notre Père et la communion du<br />

Saint-Esprit soient avec les mariés et avec<br />

nous tous aux siècles <strong>des</strong> siècles Amen.<br />

Ensuite vient la deuxième partie qui<br />

est celle <strong>des</strong> salutations <strong>des</strong> divers invités<br />

de marque présents au mariage et <strong>des</strong> dignitaires<br />

de l’Église, à l’issue de laquelle<br />

le responsable de l’Église en France ou le<br />

pasteur délégué prend la parole pour féliciter<br />

les mariés en leur offrant une Bible<br />

26<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

au nom de la communauté et un diplôme<br />

de célébration de mariage. Ce geste<br />

est fait souvent aussi par l’un <strong>des</strong> <strong>des</strong>cendants<br />

de Simon Kimbangu s’il est présent<br />

au moment de la cérémonie. Enfin vient<br />

la dernière partie, c’est la plus attendue.<br />

Elle consiste essentiellement à la remise<br />

<strong>des</strong> dons en nature et en espèces au rythme<br />

de la fanfare. La ferveur <strong>des</strong> participants<br />

et la réussite de la célébration du<br />

mariage dépendent en partie de l’appartenance<br />

<strong>des</strong> mariés ou de l’un d’eux à tel<br />

ou tel groupe ou chorale : la famille<br />

n’étant pas au complet, le groupe se substitue<br />

à la famille.<br />

Cette solidarité qu’on observe lors <strong>des</strong><br />

cérémonies de mariage se remarque aussi<br />

dans l’organisation <strong>des</strong> veillées funèbres.<br />

Les veillées funèbres<br />

Chez les Congolais en général, note<br />

Guy Boundimbou : la veillée funèbre n’est<br />

qu’une pratique parmi celles qui constituent<br />

l’ensemble <strong>des</strong> rites funéraires, euxmêmes<br />

déterminés par la conception de la<br />

mort et, par extension, du monde 54 .<br />

Lorsqu’un décès survient chez les kimbanguistes<br />

de France, les membres de la<br />

communauté vont spontanément par réflexe<br />

communautaire assister la famille<br />

éprouvée. À l’appartement mortuaire, ils<br />

se livrent au chant, à la prière et à la lecture<br />

de passages bibliques. À minuit, une<br />

prédication est faite par un pasteur ou<br />

autre personne habilitée. De cette façon,<br />

ils entourent de leur affection la famille<br />

du défunt, et cela pendant toute la nuit<br />

jusqu’au matin. De son côté, la famille<br />

en deuil qui est guidée par le groupe ou<br />

la chorale à laquelle elle appartient, prépare<br />

tout ce qu’il faut pour garder les<br />

gens jusqu’au matin : boissons, cacahuètes,<br />

beignets, haricots, poulet et semoule,<br />

etc. Vers 5 heures, un thé ou un<br />

café sont offerts. Et cela dure tout le<br />

temps qui précède l’ensevelissement et<br />

n’a pas la même importance selon que le<br />

défunt habitait en France ou non. Si le<br />

défunt habitait dans son pays d’origine,<br />

c’est une cérémonie plus que simplifiée où<br />

l’expression de la douleur est totalement absente<br />

(...) la mort est loin, ses rites également<br />

55 . Mais si le défunt vivait en France,<br />

il y a un certain retentissement.<br />

L’émotion est très forte et les pleurs, collectifs<br />

car les parents et amis se sentent<br />

plus concernés. Dans ce cas, une collecte<br />

est organisée pour le rapatriement du<br />

corps qui coûte très cher. Lorsque le défunt<br />

était compté parmi les responsables<br />

de l’Église, on loue une salle pour organiser<br />

la veillée mortuaire. Ce fut le cas de<br />

la veillée mortuaire de Diangienda Mvete,<br />

épouse du chef spirituel défunt, qui<br />

s’est tenue en avril 1998 à la grande salle<br />

de Saint-Denis-La Briche et a réuni tous<br />

les kimbanguistes de France, comme cela<br />

fut le cas lors du décès de la dernière<br />

apôtre de Simon Kimbangu, Mikala<br />

Mandombe (mai 2001), de l’épouse de<br />

Dialungana, et de ce dernier enfin, survenus<br />

en août 2001. Ainsi en est-il également<br />

<strong>des</strong> différentes fêtes religieuses qui<br />

rassemblent les membres de la communauté.<br />

Les fêtes, ou le calendrier liturgique<br />

Chez les kimbanguistes, ce sont les<br />

fêtes de Noël et de Pâques ou mieux de<br />

l’anniversaire du premier miracle de Simon<br />

Kimbangu – le 6 avril, considéré<br />

comme la date de la fondation de l’Église<br />

– qui règlent les autres dans le calendrier<br />

kimbanguiste car elles entraînent<br />

dans leur cortège treize autres fêtes suivant<br />

les dates auxquelles tombent ces<br />

fêtes. Le 6 avril est, comme nous venons<br />

de le dire, l’anniversaire de l’Église. C’est<br />

cette date qui ouvre le calendrier <strong>des</strong> fêtes<br />

kimbanguistes, notamment : le 27 avril,<br />

qui est la date anniversaire de la mort de<br />

Muilu Marie, l’épouse de Simon Kimbangu,<br />

décédée le 27 avril 1959 ; le 25<br />

mai, c’est la date anniversaire de la naissance<br />

de Dialungana, second fils de Simon<br />

Kimbangu, né le 25 mai 1916 (cette<br />

date a acquis depuis l’an 2000 une<br />

nouvelle dimension, Dialungana ne faisant<br />

qu’un avec le Christ dans l’optique<br />

kimbanguiste, et remplace désormais officiellement<br />

le 25 décembre pour célébrer<br />

Noël) ; le 6 juin considéré comme la da-<br />

54. Guy Boundimbou, Habitat et<br />

mode de vie <strong>des</strong> immigrés africains en<br />

France, Paris, Ed. L’Harmattan, 1994<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

27


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

56. Diangienda Kuntima, op. cit., p. 82.<br />

te de l’arrestation manquée de Simon<br />

Kimbangu par les autorités coloniales<br />

belges ; le 30 juin, qui est la date anniversaire<br />

de l’indépendance de la République<br />

Démocratique du Congo est aussi<br />

célébrée par les kimbanguistes, car cette<br />

date est perçue comme la réalisation<br />

d’une <strong>des</strong> prophéties de Simon Kimbangu,<br />

à savoir : Au temps fixé par le Seigneur,<br />

les Blancs deviendront <strong>des</strong> Noirs et<br />

les Noirs <strong>des</strong> Blancs ; c’est-à-dire que nous<br />

(les Noirs) assumerons les fonctions que<br />

ceux-ci exercent encore chez nous aujourd’hui<br />

(...) Nous serons les maîtres chez nous<br />

comme ils le sont chez eux 56 ; le 8 juillet,<br />

date anniversaire de la mort de Diangienda<br />

Kuntima (décédé le 8 juillet<br />

1992) est célébrée avec faste. A cette occasion,<br />

beaucoup de Kimbanguistes se<br />

rendent à N’Kamba, la Mecque kimbanguiste,<br />

pour fêter cet anniversaire avec<br />

ceux <strong>des</strong> pays d’origine.<br />

Le 29 juillet 1959, Diangienda Kuntina<br />

a été victime d’un accident de circulation<br />

à Lukulu (sud-ouest du Zaïre), peu<br />

avant qu’il devienne chef spirituel de l’Église.<br />

Et cet accident est interprêté dans<br />

l’imaginaire kimbanguiste comme la passation<br />

de service entre Simon Kimbangu,<br />

son père, et ce dernier. De cette façon,<br />

chaque 29 juillet une fête est organisée<br />

en souvenir de cet événement. Le 4 août<br />

1951, Diangienda était censé avoir une<br />

vision de son père Kimbangu qui lui<br />

montra d’innombrables jeunes disciples<br />

qui seraient appelés à servir Dieu sous sa<br />

direction. Ainsi cette date est considérée<br />

comme date de la jeunesse kimbanguiste.<br />

Il y a à cette occasion anniversaire <strong>des</strong> retrouvailles<br />

entre les jeunes kimbanguistes.<br />

Soulignons au passage que la notion<br />

de jeunesse, dans les schémas de<br />

pensée kimbanguistes, désigne toute personne,<br />

quel que soit son âge, qui n’est pas<br />

encore père ou mère.<br />

Le 12 septembre rappelle, chez les<br />

kimbanguistes, à la fois la naissance de<br />

Simon Kimbangu, son arrestation et sa<br />

réhabilitation par l’État zaïrois. Nous<br />

avons assisté à un culte anniversaire qui a<br />

eu lieu le 12 septembre dernier. Le 3 octobre<br />

1921, Simon Kimbangu fut<br />

condamné à mort par un tribunal militaire<br />

belge, mais l’exécution de la peine<br />

de mort prévue pour le 4 octobre fut<br />

commuée en prison à vie. Le 12 octobre<br />

1951, Simon Kimbangu mourut après<br />

trente ans passés en cellule, à la prison<br />

d’Élisabethville. Le 24 décembre 1959, le<br />

Kimbanguisme fut officiellement reconnu<br />

par l’État belge sous l’appellation<br />

Église de Jésus-Christ par son prophète<br />

Simon Kimbangu (E.J.C.S.K.), l’appellation<br />

prophète étant aujourd’hui remplacée<br />

pour <strong>des</strong> raisons idéologiques – nous<br />

l’avons montré dans mémoire de maîtrise<br />

– par envoyé spécial de Jésus-Christ.<br />

C’est à cette date encore (le 24 décembre<br />

1992) que les kimbanguistes ont procédé<br />

à une cérémonie de demande de pardon<br />

à Dieu pour le péché d’Adam et Eve<br />

(nous l’avions déjà mentionné dans la<br />

précédente étude). Les kimbanguistes se<br />

retrouvent à cette date pour fêter ces<br />

deux événements, Noël étant déplacé au<br />

25 mai. Le 12 février 1914, c’est la date<br />

de naissance du fils aîné de Simon Kimbangu,<br />

Kisolékélé Lukelo ; le 17 mars,<br />

c’est celle de sa mort et le 22 mars 1918,<br />

c’est la date de naissance de Diangienda<br />

Kuntima, fils cadet de Kimbangu et premier<br />

chef spirituel de l’Église kimbanguiste.<br />

Ainsi se ferme le calendrier kimbanguiste<br />

sans vraiment être fermé car il<br />

dépend d’autres événements qui surviendront.<br />

Depuis le 16 août 2001, la date de<br />

la mort de Dialungana Kiangani est ainsi<br />

entrée dans le calendrier liturgique.<br />

Cependant, toutes ces fêtes ne sont pas<br />

célébrées à cause du manque de local<br />

proprement kimbanguiste mais aussi à<br />

cause du salariat. De ce fait, deux ou trois<br />

sont cumulées en un seul jour selon l’importance<br />

qu’on accorde à telle ou telle<br />

autre date et parfois repoussées au dimanche,<br />

jour de culte. Certains kimbanguistes<br />

n’hésitent pas à rentrer au pays<br />

d’origine pour fêter un souvenir jugé important.<br />

Malgré ces célébrations en France, la<br />

plupart <strong>des</strong> Français méconnaissent le<br />

kimbanguisme. Les fidèles se trouvent<br />

28<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

ainsi dans la situation de devoir justifier<br />

sans cesse tant leur identité kimbanguiste<br />

que les conduites qu’elle implique<br />

dans la vie publique, par l’observation<br />

<strong>des</strong> préceptes religieux. Voici comment<br />

s’exprime une personne arrivée en France<br />

depuis bientôt une année :<br />

- Ici, ce n’est pas comme chez moi ; je<br />

n’avais pas à justifier mon comportement.<br />

Dès qu’on savait que j’étais kimbanguiste,<br />

on savait automatiquement pourquoi je ne<br />

danse pas. Or ici, c’est difficile par exemple<br />

d’expliquer à une copine ou à un copain<br />

pourquoi je ne danse pas, l’Église n’étant<br />

pas assez répandue et connue. (T., lycéenne,<br />

18 ans, Cergy)<br />

Cette méconnaissance amène aussi les<br />

fidèlesà élaborer certaines stratégies, excepté<br />

ceux qui font preuve d’un certain<br />

prosélytisme. D’autres, par crainte d’être<br />

assimilés à <strong>des</strong> adeptes d’une secte, se<br />

font passer pour <strong>des</strong> catholiques ou protestants<br />

afin d’être mieux perçus par la<br />

société d’accueil :<br />

- La première fois, à la cantine, j’ai refusé<br />

de manger du porc, mes copines ont<br />

cherché à savoir si j’étais musulmane, j’ai<br />

répondu non ; elles ont insisté et je leur ai<br />

dit que j’étais protestante. Etant donné que<br />

l’Église protestante est plus connue, c’est<br />

plus simple pour éviter d’être perçue comme<br />

membre d’une secte. (T., lycéenne,18ans,<br />

Cergy)<br />

Une autre enquêtée, quant à elle, affiche<br />

l’identité catholique pour mieux<br />

s’intégrer sur le plan professionnel : Ma<br />

patronne est une catholique très pratiquante,<br />

je n’avais pas d’autre choix que de me<br />

présenter comme catholique pour garder ses<br />

enfants. Si j’avais dit que je suis kimbanguiste,<br />

non seulement elle ne connaît pas<br />

cette religion mais aussi elle allait me<br />

prendre pour l’adepte d’une quelconque<br />

secte. (E., Bac+2, 41ans, Paris)<br />

Toutefois, cette façon de paraître n’entame<br />

pas le sentiment d’appartenance<br />

kimbanguiste. Si l’intégration suppose<br />

l’intégration d’un corpus de valeurs suffisamment<br />

significatives pour que leur partage<br />

soit créateur d’un sens d’identité sans que<br />

le processus contraigne certains participants<br />

à renoncer à <strong>des</strong> valeurs primordiales, la<br />

voie kimbanguiste semble ne pas y<br />

conduire. Car l’intégration <strong>des</strong> kimbanguistes<br />

à la société globale passe par un<br />

refus à travers lequel ils résistent en revalorisant<br />

ce qui leur paraît être les bases<br />

culturelles et religieuses de leur identité.<br />

Mais cela ne se passe pas à l’abri du processus<br />

d’acculturation qui est le troisième<br />

niveau d’insertion et désigne selon Selim<br />

Abou l’ensemble <strong>des</strong> interférences culturelles<br />

que les immigrés et leurs enfants subissent,<br />

à tous les niveaux de l’adaptation<br />

et de l’intégration par suite de la confrontation<br />

constante de leur culture d’origine<br />

avec celle de la société d’accueil 57 .<br />

En effet, les comportements individuels<br />

et collectifs kimbanguistes révèlent<br />

toujours une présence <strong>des</strong> références au<br />

kimbanguisme. La contradiction entre<br />

les deux systèmes de valeurs est d’autant<br />

plus flagrante que tout kimbanguiste<br />

perçoit les différences. Ici aussi on note<br />

une crise d’identité qui est ambivalente<br />

en sorte qu’elle conduit le fidèle soit à<br />

perdre sa foi, soit à la retrouver :<br />

- La vie ici et au pays n’est pas pareille.<br />

Ma foi a beaucoup changé ici par rapport<br />

au pays, c’est vrai qu’à Brazza je commettais<br />

aussi <strong>des</strong> péchés mais ici c’est trop. À<br />

Brazza, je n’ai jamais mangé du porc mais<br />

ici c’est probable que j’ai déjà mangé du<br />

porc, non pas de ma propre volonté, simplement<br />

ce qu’on trouve au restaurant c’est<br />

difficile de savoir ce qui est porc et ce qui ne<br />

l’est pas. Par exemple, j’opte pour la salade<br />

de riz mais en mangeant je m’aperçois qu’il<br />

y a <strong>des</strong> lardons. À Brazza je n’avais jamais<br />

consommé d’alcool mais ici j’en ai pris en<br />

mangeant du chocolat. À Brazza, je ne volais<br />

pas, ici je vole non pas dans les supermarchés<br />

mais je fraude dans les bus, les métros<br />

et les trains, je ne paie pas de tickets. À<br />

Brazza je ne quittais pas mon foulard de<br />

tête que ce soit à la maison ou à l’Église<br />

mais ici je ne le porte plus. Je porte le pantalon<br />

durant tout l’hiver, chose que je ne<br />

faisais pas à Brazzaville. À Brazza, je<br />

n’achetais pas les dimanches, mais ici je ne<br />

sais pas ce qui me pousse à acheter les dimanches,<br />

c’est peut-être le fait que je me re-<br />

57. Selim Abou, op. cit.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

29


DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

DOSSIER<br />

58. Susan Asch, op.cit., p. 190.<br />

trouve devant le distributeur à friandises.<br />

À Brazza, je faisais mes courses pour dimanche<br />

le samedi, mais ici avec le froid,<br />

quand je suis déjà rentrée, je remets tout à<br />

demain.<br />

Cet exemple parmi bien d’autres révèle<br />

assez bien un affaiblissement <strong>des</strong> repères<br />

identitaires et religieux dus à une<br />

véritable dénivellation culturelle entre les<br />

pays d’origine et les pays d’accueil. Le déracinement<br />

et les formes d’acculturation<br />

subies, intervenues sous l’effet <strong>des</strong> changements<br />

rapi<strong>des</strong> dans les mo<strong>des</strong> de vie, et<br />

les habitu<strong>des</strong> alimentaires ainsi que du<br />

contact interculturel ou inter-ethnique<br />

vont entraîner beaucoup d’incompréhensions<br />

voire <strong>des</strong> doutes quant aux valeurs<br />

prônées par l’Église :<br />

- Je suis kimbanguiste de naissance, j’ai<br />

été baptisé à N’Kamba dès l’âge de 12 ans,<br />

je partais à l’Église sans me poser de questions.<br />

Depuis que je suis en France, j’avoue<br />

que je suis quand même déboussolé, j’assiste<br />

à <strong>des</strong> conférences, j’apprends le point de<br />

vue <strong>des</strong> autres, je côtoie les gens que je côtoyais<br />

pas chez moi. Tout cela engendre <strong>des</strong><br />

doutes en moi, je me pose pas mal de questions.<br />

(J., docteur ès lettres, 42 ans, Paris)<br />

Dans cette logique, l’observation faite<br />

par Susan Asch disant : En principe il est<br />

impensable d’envisager l’existence d’un<br />

kimbanguiste non-pratiquant comme un<br />

catholique ou un protestant 58 est contredite<br />

en France par la présence remarquable<br />

<strong>des</strong> kimbanguistes non-pratiquants. Par<br />

ailleurs, si le climat déstabilisant de la société<br />

d’accueil fait perdre la foi à certains<br />

kimbanguistes, en revanche il permet à<br />

d’autres de donner sens à leurs valeurs et<br />

comportements religieux :<br />

Le fait de vivre dans la société française<br />

entraîne certains à opérer un choix<br />

de façon délibérée entre la foi et la vie en<br />

France :<br />

- Ce n’est pas le fait de boire du vin qui<br />

est un péché mais c’est tout simplement les<br />

effets indésirables de l’alcool qui peuvent<br />

induire en erreur. Qu’importe que je boive<br />

du vin, pourvu que je ne perde pas le<br />

contrôle de moi. (W. étudiante, 27ans,<br />

Rennes)<br />

- C’est vrai que c’est difficile de vivre sa<br />

foi ici en France, mais un kimbanguiste véritable<br />

c’est celui qui perce là où c’est difficile,<br />

c’est en persistant dans ma foi qui je<br />

me sens véritablement kimbanguiste. (G,<br />

médecin, 42 ans, Creil)<br />

On voit bien que la vie en France agit<br />

de façon ambivalente sur l’identité kimbanguiste.<br />

D’un côté, elle provoque la<br />

perte <strong>des</strong> repères religieux ou de la foi, de<br />

l’autre elle incite au retour du religieux.<br />

Et cette ambivalence traduit la contradiction<br />

que les kimbanguistes ressentent<br />

entre la nécessité d’intégration et leur désir<br />

de conserver les valeurs collectives.<br />

Toutefois, les kimbanguistes ne subissent<br />

pas de façon passive les contraintes<br />

de la société d’accueil ; leurs comportements<br />

laissent percevoir les processus de<br />

reconstruction <strong>des</strong> modèles culturels et<br />

religieux d’origine. L’exemple de certaines<br />

familles kimbanguistes qui règlent<br />

leur prière quotidienne au rythme de<br />

l’horloge - puisque la morale kimbanguiste<br />

recommande les heures de prière<br />

aux fidèles- du pays d’origine plutôt que<br />

du pays d’accueil est très illustratif, à plus<br />

forte raison, les cérémonies (mariage,<br />

culte, baptême, fêtes, veillée funèbre)<br />

montrent bien que les modèles de fonctionnement<br />

<strong>des</strong> kimbanguistes en France<br />

gardent assez de solidité et de cohérence<br />

pour tenter de se reconstituer à l’identique<br />

dans la société d’accueil.<br />

Par ailleurs, on peut aussi spécifier que<br />

toutes les difficultés d’une intégration à<br />

la société globale sont apaisées par l’intégration<br />

à la micro-société; ce qu’il<br />

convient d’appeler le repli communautaire<br />

devient le régulateur de toute<br />

conduite en situation migratoire. Il faut<br />

donc croire, dit Sélim Abou, que le retour<br />

à l’ethnicité, loin d’être une régression de<br />

type pathologique, se pose comme un repli<br />

stratégique permettant aux individus de retrouver,<br />

dans la communauté ethnique, la<br />

reconnaissance que la société nationale étatique,<br />

telle qu’elle conçoit ses tâches dans<br />

cette deuxième moitié du XXe siècle, ne<br />

peut plus leur fournir 59 .<br />

La communauté kimbanguiste, à<br />

30<br />

l’arbre à Palabres # <strong>10</strong> - Décembre 2001


DOSSIER<br />

DUNIA<br />

ARTS ET CULTURES<br />

l’instar <strong>des</strong> autres réseaux communautaires,<br />

constitue une micro-société cohérente.<br />

La solidarité fonctionne comme<br />

une valeur primordiale. Autant dire que<br />

là où la société globale a échoué, la communauté<br />

kimbanguiste semble réussir ;<br />

puisque c’est dans la communauté que<br />

tout kimbanguiste se soulage du rejet de<br />

la société d’accueil. C’est là qu’il peut<br />

parler en langues congolaises sans être<br />

sanctionné par le regard d’autrui, c’est là<br />

qu’il bénéficie <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> matérielles (dons<br />

ou prêts en nature ou en espèces). C’est<br />

là aussi que tous les stéréotypes et préjugés<br />

en cours dans la société d’accueil sont<br />

récupérés et deviennent <strong>des</strong> stratégies<br />

utiles à la recomposition identitaire. De<br />

cette façon, le rejet et le racisme ressentis<br />

sont bien amortis et justifiés théologiquement.<br />

Voici en quels termes parle un<br />

pasteur que nous avons interrogé :<br />

Il m’arrive parfois d’être pris pour un<br />

moins que rien par un jeune Blanc dans un<br />

café ; ce n’est que lorsqu’il apprend que je<br />

suis docteur en philosophie qu’il essaie de<br />

s’identifier à moi. On a beau avoir <strong>des</strong> diplômes<br />

dans ce pays mais on ne peut obtenir<br />

de vrais emplois. Tout cela parce que je<br />

suis le fils aîné de Dieu, j’avais perdu (nous<br />

avons montré plus haut l’idée que le kimbanguiste<br />

se fait du Noir : fils aîné créé par<br />

Dieu ou fils aîné d’Isaac) comme on le dit<br />

en lingala Yo mokolo o sali bozoba, obebisi<br />

bomengo ya tata, biso nionso tokomi<br />

na mpassi, littéralement toi, l’aîné tu<br />

as fais l’idiotie, tu as dilapidé l’héritage<br />

du père, voilà que nous sommes tous<br />

dans la souffrance ; j’ai de quoi manger, je<br />

te donne pas, à la rigueur je te donne <strong>des</strong><br />

miettes. Voilà.(Pasteur Nzakimuena, docteur<br />

en philosophie, 43 ans Saint-Denis )<br />

Du côté kimbanguiste, nous pouvons<br />

dire que le repli communautaire est renforcé<br />

par le caractère du message religieux.<br />

La nécessité de restaurer l’identité<br />

noire et de sauvegarder les modalités de<br />

participation à la vie religieuse et communautaire<br />

trace une frontière raciale et<br />

se ferme aux autres groupes ethniques.<br />

La communauté kimbanguiste en France,<br />

parce qu’elle est porteuse d’une culture<br />

différente, condamne le kimbanguisme<br />

à manifester un conservatisme de repli,<br />

qui consiste en un refus <strong>des</strong> valeurs dominantes<br />

de la société d’accueil. Le kimbanguisme,<br />

qui est de plusieurs façons<br />

l’archétype de la religion indépendante<br />

africaine, s’exprime en terre d’accueil<br />

comme le symbole de l’altérité, le creuset<br />

où les fidèles, pratiquants ou non, se reconstituent<br />

dans leur identité nationale,<br />

ethnique et culturelle. ❐<br />

Lire à Propos du<br />

Kimbanguisme<br />

Aucune autre religion africaine n’a<br />

suscité autant de controverses pour<br />

retrouver une multitude d’écrits à<br />

son sujet. Nous ne donnons ici<br />

que quelques-uns en dehors de<br />

ceux déjà cités dans l’article et c’est<br />

loin d’être exhaustif.<br />

Joset (P. E.) Quelques mouvements<br />

religieux au Bas-Congo et dans l’ex<br />

Afrique Équatoriale Française,<br />

Journal Of Religion in Africa<br />

(Leyde).<br />

Irvine Cecilia The birth of the<br />

Kimbanguist Movement in the Bas-<br />

Zaïre (1921), Journal of Religion<br />

in Africa, Vol. VI, fasc. I,<br />

University of Aberdeen, U.K.,<br />

1972.<br />

Feci Damasco Vie cachée et vie<br />

publique de Simon Kimbangu,<br />

selon la littérature coloniale et missionnaire<br />

belge. Les Cahiers du<br />

CEDAF, N° 9, septembre 1972, 7<br />

Place Royale, <strong>10</strong>00 Bruxelles.<br />

Fehderau (H. W.) Kimbanguism<br />

Prophetic Christianity in Congo,<br />

Practical Anthology, 9, 1962, N°<br />

4, 157-178.<br />

Fernandez (J. W.) African<br />

Religious Movements, Types and<br />

Dynamics, Journal of Modern<br />

African Studies, 1964, N° 2, 131-<br />

149.<br />

59. Sélim Abou, L’identité culturelle.<br />

Relations inter-ethniques et problèmes<br />

d’acculturation, Paris, Éd. Anthropos,<br />

1981.<br />

Fullerton (W. Y.) The Christ of the<br />

Congo River, Londres, The Carcy<br />

Press, 1928.<br />

Frames (W. B.) Prophets in the<br />

Lower Congo, South African<br />

Outlook (Lovedale), 52, N° 615,<br />

1 er février 1922, 36-38.<br />

L’Église kimbanguiste admise au<br />

COE, La Documentation<br />

Catholique, N° 1547, septembre<br />

1969, p. 830.<br />

L’Église kimbanguiste africaine et<br />

non violente, Cahiers de la<br />

Reconciliation, 1966, Nos 5-6<br />

(numéro spécial), 52 p.<br />

Comhaire (J.) Sociétés secrètes et<br />

Mouvements prophétiques au Congo<br />

belge, Africa (Londres), 25, 1955,<br />

N° 1, 54-58 (Repris dans la revue<br />

coloniale belge, <strong>10</strong>, N° 230, 1955,<br />

292-294).<br />

De Cocker (M.) Essai de parallélisme<br />

biblico-congolais, Zaïre<br />

(Bruxelles), 4, 1950, N° 3, 277-<br />

298.<br />

D’anna (A.) Da Cristo a<br />

Kimbangu. Chiese Nere e secretismi<br />

paganocristiani in Africa, Bologne,<br />

Éd. Nigrizia, 1964, 158 p.<br />

(Quaderni Nigrizia, 5).<br />

Choffat (F.) Notes sur le<br />

Kimbanguisme, Cahiers de la<br />

Reconciliation, 1966, Nos 5-6, 3-<br />

15.<br />

# <strong>10</strong> - Décembre 2001<br />

l’arbre à Palabres<br />

31

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