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La rose rouge - Association des Revues Plurielles

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L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

THEÂTRE<br />

•<br />

<strong>La</strong> <strong>rose</strong> <strong>rouge</strong><br />

ou le conte en scène<br />

par<br />

Soumya Ammar Khodja<br />

En septembre, il s'est joué au Théâtre de l'Espace, scène<br />

nationale de Besançon, une pièce intitulée <strong>La</strong> Rose Rouge<br />

d'après un conte de Rabah Belamri, adapté par Rafik<br />

Harbaoui. Celui-ci en est le comédien principal. <strong>La</strong> pièce<br />

continuera sa tournée, en octobre, novembre et décembre 97<br />

à Bethencourt, Amiens et dans <strong>des</strong> villes de Franche-Comté,<br />

Besançon, Vesoul, Belfort, Lons-Le-Saunier. Elle figure dans<br />

le programme de "L'Année Européenne contre le Racisme".<br />

Fraîcheur, émotion, poésie sont<br />

les premiers mots qui viennent aux<br />

lèvres à propos de ce spectacle.<br />

Mais avant d'en développer<br />

quelques aspects importants, nous<br />

voudrions présenter Rafik Harbaoui.<br />

Il naît à Beauvais en 1959, vit à<br />

Biskra de 5 à 9 ans. Depuis 1968, il<br />

réside en France. De 1981 à 1986, il<br />

travaille dans le cadre de l'ARETE,<br />

association interculturelle, avec<br />

Madjid Meddouche, metteur en<br />

scène. C'est là qu'il s'initie à la<br />

pratique théâtrale et que grandit en<br />

lui ce qui va devenir, peu à peu, une<br />

passion. Il se souvient encore du<br />

rôle d'Ali dans Le Dérangé où il<br />

incarna un personnage fou, pris<br />

entre deux mon<strong>des</strong>, déstructuré par<br />

l'exil. <strong>La</strong> grande aventure<br />

commence en 1986, date de<br />

naissance de sa Compagnie, "<strong>La</strong><br />

Boutique du Conte". "Il faut avoir<br />

un grain de folie pour pouvoir<br />

continuer", dit-il en riant. Et il<br />

ajoute : "Je comprends l'inquiétude<br />

<strong>des</strong> parents qui préfèrent voir leurs<br />

enfants se diriger vers <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

débouchant sur <strong>des</strong> métiers plus<br />

sûrs..."<br />

Rafik devient conteur et il prouve<br />

que cette expression permet l'ouverture<br />

<strong>des</strong> espaces, les rencontres, les<br />

brassages. Il circule dans plusieurs<br />

villes de France, raconte dans les<br />

bibliothèques, les écoles, devant les<br />

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ALGERIE LITTERATURE / ACTION<br />

publics d'associations, <strong>des</strong> M.P.T,<br />

<strong>des</strong> M.J.C...<br />

Il propose aussi <strong>des</strong> initiations à<br />

la pratique théâtrale en milieu<br />

scolaire et associatif. S'agissant du<br />

conte en tant que pédagogie, il est<br />

assez déçu du manque d'attention du<br />

Rectorat et de l'Académie. "Un<br />

conte ne peut pas seulement être<br />

enseigné en tant que texte de<br />

français. Si sa nature propre n'est<br />

pas ignorée mais au contraire mise<br />

en activité, il devient l'occasion<br />

d'un rassemblement, d'une écoute,<br />

d'un voyage dans l'imaginaire,<br />

d'une découverte. Il est don et<br />

partage. Pour que cela soit, il faut<br />

aussi l'adhésion et la complicité de<br />

l'enseignant, il faut qu'il soit un<br />

élément moteur..."<br />

Rafik Harbaoui<br />

et<br />

"<strong>La</strong> Boutique du Conte"<br />

Il retrouve sa passion du théâtre<br />

en mettant en scène <strong>des</strong> contes. En<br />

liaison avec d'autres équipes, il crée<br />

un certain nombre de spectacles :<br />

Les Quarante Ogres d'après Rabah<br />

Belamri en 1990 (230 représentations<br />

en France et en Suisse); <strong>La</strong><br />

Déesse Bastet, tirée d'une légende<br />

égyptienne du temps <strong>des</strong> Pharaons,<br />

montée avec Amid Beriouni, la<br />

même année, a moins de succès. Au<br />

fil du temps et <strong>des</strong> représentations,<br />

la Compagnie de "<strong>La</strong> Boutique du<br />

Conte" se fait connaître. Son carnet<br />

va s'enrichir de comman<strong>des</strong>.<br />

L'année 1991 est celle de la<br />

production du Trésor du Figuier,<br />

mise en scène par Amel Riahi (100<br />

représentations). L'Arbre du Désert<br />

mis en scène par Amid Beriouni est<br />

présenté à Paris, à l'Institut du<br />

Monde Arabe, à la Maison Jacques<br />

Prévert (Savigny-le-Temple) et au<br />

Festival de Lons-le-Saunier. <strong>La</strong> nuit<br />

du Bossu est créé à partir <strong>des</strong> Mille<br />

et Une nuits de R. Khawam et mis<br />

en scène par Mohamed Guellati<br />

en 1992. 1993 voit la création et la<br />

diffusion du spectacle Le Puits <strong>des</strong><br />

Djinns, la mise en scène est d'Amel<br />

Riahi. Il sera sélectionné au Festival<br />

d'Avignon en 1995 dans le cadre de<br />

l'opération Franche-Comté en<br />

Avignon..<br />

Toujours en ce qui concerne<br />

l'année 1993, il faut signaler la<br />

production du spectacle L'ogresse<br />

aveugle de Nacer Khémir. 1994<br />

retient la création du Petit Poisson<br />

d'Or d'Alexandre Pouchkine avec<br />

une mise en scène de J.C. Leportier<br />

(65 représentations).1995 est celle<br />

de la production artistique du<br />

spectacle Oro d'après Les poissons<br />

volants d'Henri Gougaud, adapté<br />

par Marcel K. Djondo, mis en scène<br />

par M. Guellati. 1996 est l'année de<br />

la création de <strong>La</strong> Rose Rouge et<br />

d'une tournée au Maroc du spectacle<br />

Le Puits <strong>des</strong> Djinns.<br />

Rafik Harbaoui est le créateur de<br />

ces titres cités et l'acteur. Il lui est<br />

arrivé de jouer en solo; s'adaptant<br />

au temps, comme il le dit lui-même,<br />

il élargit le jeu à deux, puis à trois<br />

acteurs.<br />

Les sources <strong>des</strong> contes sont<br />

maghrébines, africaines, orientales,<br />

égyptiennes, russes. Les éléments<br />

2


L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

utilisés rendent compte d'une véritable<br />

recherche esthétique,<br />

amplifiant ainsi le plaisir du regard<br />

et de l'écoute. Les décors, à travers<br />

l'économie <strong>des</strong> moyens, sont nets,<br />

précis, affinés, travaillés. Masques,<br />

marionnettes, marottes, danses,<br />

chants, jeux d'ombres et lumières,<br />

s'ils ont pour fonction d'exploiter<br />

toutes les possibilités théâtrales,<br />

renvoient également à <strong>des</strong> référents<br />

culturels diversifiés, décloisonnent<br />

les conceptions un peu trop "centralistes"<br />

et narcissiques. C'est ainsi<br />

que, par ailleurs, langue arabe et<br />

langue française coexistent, notamment<br />

par le biais de poèmes et de<br />

chansons. Cette démarche est<br />

encore plus approfondie dans<br />

certaines pièces où <strong>des</strong> scènes sont<br />

jouées simultanément dans les deux<br />

langues. Elan vers les autres, petits<br />

et grands, tel est le mouvement qui<br />

fait courir Rafik Harbaoui. Est-il<br />

besoin de dire que ses conditions de<br />

travail ne sont pas toujours idéales,<br />

qu'il joue souvent plusieurs rôles à<br />

la fois : celui de la scène bien sûr,<br />

d'administrateur, de secrétaire...,<br />

qu'il doit avoir le talent d'étirer le<br />

temps pour pouvoir répéter, être<br />

doué du don d'ubiquité... Est-ce<br />

consolant de savoir que de<br />

nombreux créateurs-acteurs de<br />

Compagnies vivent les mêmes<br />

contraintes de ce métier si dur? Il ne<br />

se décourage pas, même si la fatigue<br />

est après tout humaine, se bat,<br />

travaille, produit, réfléchit aux<br />

formes les plus conviviales d'accueil<br />

<strong>des</strong> spectateurs : tapis, coussins, thé,<br />

gâteaux, interpellation. Venir au<br />

théâtre n'est pas toujours un acte<br />

acquis dans les milieux issus de<br />

l'immigration. "Il n'y a aucun<br />

problème pour qu'une fête de<br />

mariage réunisse une cinquantaine,<br />

voire une centaine de personnes;<br />

<strong>des</strong> idées sont peut-être à piocher<br />

de ce côté-ci. Dire, par exemple,<br />

que Khaled chante à la fin du<br />

spectacle..." (rires). Trouver les<br />

moyens qui fassent se déplacer les<br />

gens pour regarder, entendre, et<br />

aimer une pièce de théâtre, c'est un<br />

<strong>des</strong> soucis constants de cet homme.<br />

<strong>La</strong> peau<br />

qui chante…<br />

Mais venons-en à <strong>La</strong> Rose Rouge.<br />

Elle a été montée pour honorer la<br />

mémoire de Rabah Belamri, disparu<br />

en 1995, et par attachement à<br />

l'Algérie. Le conte est une passerelle<br />

vers le réel. Dans le soigneux livret<br />

de présentation consacré à la pièce,<br />

Harbaoui écrit : "Les résonances<br />

poétiques du conte naissent de la<br />

disproportion entre la simplicité <strong>des</strong><br />

causes (une <strong>rose</strong>) et la puissance<br />

<strong>des</strong> effets (un meurtre et une<br />

dénoncia-tion magique).On<br />

retrouve d'ailleurs les mêmes<br />

versions dans la tradition<br />

européenne sous le titre de L'Os qui<br />

chante (Poitou) ou <strong>La</strong> Rose<br />

Pimprenelle (Vendée). <strong>La</strong> pièce<br />

raconte la mort de Gézira la plus<br />

jeune <strong>des</strong> sept filles, tuée par la<br />

jalousie de ses cinq soeurs. Ce<br />

drame survient en l'absence de leur<br />

père (en pèlerinage à la Mecque).<br />

Par amour de sa petite soeur, la<br />

3


ALGERIE LITTERATURE / ACTION<br />

sixième fille se rend en secret sur sa<br />

tombe, la déterre, lui retire sa peau<br />

qu'elle sèche au soleil. Grâce à la<br />

dénonciation de cette "peau qui<br />

chante", le père découvre la vérité.<br />

Pris de folie, il égorge les cinq<br />

perfi<strong>des</strong>. Notre adaptation ménage<br />

une conclusion différente : au<br />

moment où le père va accomplir<br />

l'irréparable, l'âme de sa fille lui<br />

apparaît et l'en empêche."<br />

<strong>La</strong> fin peut paraître morale et<br />

naïve. C'est le paradoxe — et<br />

l'intérêt — du conte : cette supposée<br />

naïveté ne l'empêche pas d'être "le<br />

miroir d'un paroxysme". Ce ne sont<br />

là que <strong>des</strong> sentiments exigeants,<br />

violemment humains, deman<strong>des</strong> de<br />

preuves d'amour. Le père, conseillé<br />

par Boussaadia, "troubadour, jongleur<br />

de mots, à la fois guérisseur,<br />

musicien, devin, héraut" (A.<br />

Sehaba), engage ses filles à planter<br />

un rosier; celle qui aura la plus belle<br />

<strong>rose</strong> sera la plus aimante : jalousie,<br />

cruauté, désir meurtrier de se faire<br />

aimer… Miroir d'un paroxysme et<br />

peut-être rappel d'une vérité, terrible<br />

et simple. Gézira est le symbole de<br />

la terre. Possédant une infinie<br />

capacité d'absorber les larmes et le<br />

sang, qui peut donner l'eau,<br />

promesse de résurrection, d'espoir<br />

de l'espoir… Cette image de la terre<br />

qui absorbe est-elle suggestion de la<br />

nécessité de l'oubli, du pardon?<br />

C'est une question que l'on peut se<br />

poser.<br />

Amin Sehaba, metteur en scène et<br />

chorégraphe de cette pièce, affirme :<br />

"<strong>La</strong> Rose Rouge ne défend la<br />

couleur d'aucun parti. Sinon celui<br />

de la paix malgré tout, avant tout,<br />

presque à tout prix (...) Lorsque<br />

Rafik m'a présenté le texte, il m'a<br />

dit combien il voulait parler de<br />

l'Algérie actuelle. J'ai accepté d'en<br />

parler au moins autant que lui, à<br />

condition qu'on n'en dise pas un<br />

mot dans la pièce... car beaucoup<br />

d'autres peuples sont en droit de s'y<br />

reconnaître!"<br />

<strong>La</strong> difficulté était de préserver la<br />

magie du conte. Danses, musiques,<br />

masques, costumes, sons et couleurs<br />

se déploient sur la scène d'un patio :<br />

lieu de l'intrigue, <strong>des</strong><br />

chuchotements, de la fête, du deuil.<br />

Il y a un subtil alliage <strong>des</strong> apports<br />

traditionnels et de créations<br />

ouvertes sur une modernité. Danse<br />

chaouia, figures composées,<br />

musique de Batna, du Gourara, aux<br />

confluences Maroc-Algérie,<br />

chanson du retour <strong>des</strong> pèlerins... <strong>La</strong><br />

Rose est jouée par trois acteurs:<br />

Rafik Harbaoui (deux rôles :<br />

Boussaadia, le père), Nathalie<br />

Sartous (deux rôles, également :<br />

Saliha, l'instiga-trice de l'assassinat,<br />

et Gézira), Sylvie Levadoux (Safia,<br />

la pure comme son nom l'indique,<br />

qui s'opposera au complot sans<br />

pouvoir l'annuler, c'est elle qui<br />

récupérera la peau de sa soeur).<br />

Rafik Harbaoui prévoit la création<br />

du personnage de Djeha, "qui n'est<br />

pas un simple bouffon mais un être<br />

ambigu, à la fois naïf et rusé;<br />

mahboul, fou venu de Dieu, subtil".<br />

Il rêve de monter Cléopâtre de<br />

Tewfik El Hakim, auteur égyptien,<br />

pièce de théâtre à deux acteurs.<br />

4


L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

En attendant, les programmateurs<br />

seraient les bienvenus. Qu'ils<br />

viennent voir <strong>La</strong> Rose, entendre la<br />

"bonne nouvelle" — pour la porter<br />

vers d'autres horizons —, clamée<br />

par Boussaadia, appelant au<br />

spectacle : "O gens je suis venu voir<br />

mes bien-aimés/Depuis une route<br />

lointaine, je marche/Sortez vos<br />

aumônes, vos enfants/Voici mon<br />

sac, voici mon bendir/Boussaadia<br />

est arrivé, bonne nouvelle!"<br />

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