Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris
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Mais alors que l’art <strong>de</strong> l’estampe jouit d’une<br />
certaine liberté d’expression, les autorités commencent<br />
à se raidir et exercent une censure <strong>de</strong><br />
plus en plus sévère. On interdit les estampes<br />
érotiques, la mention du nom <strong>de</strong>s courtisanes<br />
représentées ou les portraits en buste. Les<br />
artistes continuent à représenter <strong>de</strong>s portraits<br />
mais ils ne peignent plus que <strong>de</strong>s personnages<br />
historiques, héroïques ou légendaires. L’art <strong>de</strong><br />
l’estampe s’enlise et peine à se renouveler.<br />
C’est dans ce contexte que Hokusai (1760 ‐<br />
1849) et Hiroshige (1797‐1858) fon<strong>de</strong>nt un<br />
genre nouveau qui va redonner un second<br />
soufe à l’art <strong>de</strong> l’ukiyo‐e : le paysage.<br />
Alors que jusque‐là le paysage sert <strong>de</strong><br />
décor et d’arrière‐plan au traitement d’une<br />
scène narrative, il <strong>de</strong>vient le sujet principal <strong>de</strong><br />
l’estampe. Le succès est au ren<strong>de</strong>z‐vous : les<br />
éditeurs comman<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nombreuses séries<br />
aux artistes et le public adhère tout <strong>de</strong> suite<br />
à ces représentations <strong>de</strong> sites pittoresques et<br />
spectaculaires. Si l’engouement pour ce nouveau<br />
genre pictural est si important et immédiat, c’est<br />
qu’il rejoint les aspirations <strong>de</strong> la société japonaise<br />
du début du XIX e siècle : en effet, les Tokugawa,<br />
particulièrement Tokugawa Tsunayoshi, élèvent<br />
la pensée néo‐confucianiste au rang <strong>de</strong> doctrine<br />
nationale.<br />
Parallèlement, le concept bouddhique du muj,<br />
l’« impermanence » <strong>de</strong>s choses, la disparition<br />
inévitable <strong>de</strong> ce qui existe, est accepté dans la<br />
plupart <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> la pensée japonaise. La<br />
contemplation d’un cerisier en eur, <strong>de</strong> la neige<br />
qui tombe ou encore d’une ne pluie brumeuse<br />
provoque une émotion mélancolique, liée à la<br />
prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’évolution constante du<br />
mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa disparition pressentie. La notion<br />
<strong>de</strong> muj est un héritage <strong>de</strong> la n <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong><br />
Heian (XIII e siècle). Le bouddhisme, jusqu’alors<br />
pratiqué <strong>de</strong> façon ésotérique et accessible aux<br />
seuls initiés, se diffuse dans la société grâce à<br />
l’arrivée <strong>de</strong> l’amidisme et aux conteurs itinérants<br />
(souvent <strong>de</strong>s moines aveugles qui narrent <strong>de</strong>s<br />
fables moralisatrices). Thème central d’épopées<br />
comme le Heike Monogatari, le muj, entre<br />
autres principes, frappe les consciences dans<br />
un contexte <strong>de</strong> peur millénariste : la société<br />
<strong>de</strong> Heian, gée <strong>de</strong>puis quatre siècles dans ses<br />
rituels immuables, s’écroule. La ville impériale<br />
elle-même est ravagée par les ammes pendant<br />
que s’affrontent les clans rivaux. Et alors que le<br />
clergé bouddhiste annonce l’arrivée du mapp,<br />
la n <strong>de</strong> la Loi, une succession <strong>de</strong> sécheresses,<br />
tremblements <strong>de</strong> terre et épidémies décime la<br />
population.<br />
La mise en place <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce alternée<br />
pousse le gouvernement à entreprendre <strong>de</strong><br />
grands travaux pour créer <strong>de</strong> nouvelles routes<br />
facilitant les déplacements <strong>de</strong>s daimy vers Edo.<br />
Des villages-relais se développent le long <strong>de</strong>s<br />
routes les plus empruntées, offrant tout le confort<br />
nécessaire aux voyageurs (auberges, maisons<br />
closes, pharmacies, restaurants, etc.). Le tourisme<br />
intérieur se développe, facilité par ces routes<br />
plus sûres et mieux aménagées. Les pèlerinages<br />
vers les sanctuaires et les visites <strong>de</strong> sites célèbres<br />
se multiplient, suite au succès d’À pied sur le<br />
Tkaid et <strong>de</strong>s séries d’estampes <strong>de</strong> paysage.<br />
Cette mobilité permet aux Japonais <strong>de</strong> découvrir<br />
une plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur territoire et <strong>de</strong> se<br />
penser comme une véritable nation, mais elle leur<br />
permet également une échappatoire à l’asphyxie<br />
ambiante, due à la fermeture du pays.<br />
Les gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> voyage, et bientôt les carnets<br />
<strong>de</strong> voyage, garnis d’estampes <strong>de</strong> paysage, rencontrent<br />
un grand succès. Facile d’accès, le paysage<br />
ne nécessite pas <strong>de</strong> connaissances sur l’art classique<br />
ou la littérature pour être compris, c’est<br />
pourquoi il est apprécié par toutes les classes<br />
<strong>de</strong> la population, même les plus mo<strong>de</strong>stes. Les<br />
loisirs du peuple ne se situent plus exclusivement<br />
dans les quartiers réservés <strong>de</strong> la capitale mais<br />
au contact <strong>de</strong> la nature, dans son observation<br />
et sa contemplation durant <strong>de</strong> longues promena<strong>de</strong>s.<br />
Les Japonais développent une spiritualité<br />
contemplative que l’on retrouve parfaitement<br />
dans l’art <strong>de</strong> l’ukiyo-e <strong>de</strong> paysage.<br />
Mais, alors que l’estampe <strong>de</strong> paysage connaît<br />
un succès croissant, l’ouverture soudaine du<br />
pays à la culture occi<strong>de</strong>ntale et, notamment, la<br />
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