Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris
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est en train <strong>de</strong> lire Madame Chrysanthème,<br />
il écrit qu’il vit comme « un moine qui va au<br />
bor<strong>de</strong>l une fois par quinzaine » ; c’est également<br />
le programme qu’il propose à Paul Gauguin,<br />
pour donner le cadre <strong>de</strong> leur cohabitation et<br />
<strong>de</strong> leur collaboration envisagées. Enn, c’est un<br />
idéal qu’il juge naturel ; tout comme les artistes<br />
japonais, qui, dans son imagination, vivent d’une<br />
façon naturelle.<br />
Si on etudie l’art japonais alors on voit un<br />
homme incontestablement sage et philosophe et<br />
intelligent qui passe son temps – à quoi – à étudier<br />
la distance <strong>de</strong> la terre à la lune – non, à étudier la<br />
politique <strong>de</strong> Bismarck – non, il etudie un seul brin<br />
d’herbe. Mais ce brin d’herbe lui porte à <strong>de</strong>ssiner<br />
toutes les plantes – ensuite les saisons, les grands<br />
aspects <strong>de</strong>s paysages, enn les animaux, puis la<br />
gure humaine. Il passe ainsi sa vie, et la vie est<br />
trop courte, à faire le tout.<br />
Voyons cela, n’est ce pas presque une vraie<br />
religion ce que nous enseignent ces japonais si<br />
simples et qui vivent dans la nature comme si eux<br />
memes étaient <strong>de</strong>s eurs.<br />
Et on ne saurait etudier l’art japonais, il me<br />
semble, sans <strong>de</strong>venir beaucoup plus gai et plus<br />
heureux et cela nous fait revenir à la nature malgré<br />
notre education et notre travail dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
convention.<br />
Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles, 23<br />
ou 24 septembre 1888, lettre 686<br />
Avant <strong>de</strong> lire l’ouvrage <strong>de</strong> Loti, en mai <strong>de</strong> la<br />
même année, cet idéal avait déjà été formulé<br />
en d’autres termes, tout aussi poétiques : On se<br />
sait cheval <strong>de</strong> acre et on sait que ce sera encore<br />
au même acre qu’on va s’atteler. – Et alors on<br />
n’en a pas envie et on préférerait vivre dans une<br />
prairie avec un soleil, une rivière, la compagnie<br />
d’autres chevaux également libres, et l’acte <strong>de</strong> la<br />
génération.<br />
Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />
vers le 20 mai 1888, lettre 611<br />
Les différents aspects liés à la littérature et<br />
à l’art du Japon exposés ci-<strong>de</strong>ssus, dans leurs<br />
interconnections et leurs différences, démontrent<br />
que la vision personnelle que Van Gogh a du<br />
Japon <strong>de</strong>vient progressivement un ingrédient<br />
fondamental <strong>de</strong> sa métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa pratique.<br />
Si la volonté <strong>de</strong> Vincent d’arriver à une gran<strong>de</strong><br />
simplicité est antérieure à sa découverte <strong>de</strong> l’art<br />
japonais, la caution <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnité qu’apportent<br />
les Goncourt, via la préface <strong>de</strong> Chérie, vient<br />
compléter le triangle « art japonais – littérature<br />
– peinture » et permet à Van Gogh <strong>de</strong> cheminer<br />
sereinement sur la voie <strong>de</strong> l’innovation<br />
créatrice et du progrès <strong>de</strong> l’art, tout en se<br />
sachant assuré d’une justication intellectuelle<br />
parfaitement défendable. Par effet <strong>de</strong> miroir,<br />
et par le truchement d’une lecture partielle<br />
et biaisée <strong>de</strong> Madame Chrysanthème, cette<br />
vision se transforme au contact <strong>de</strong>s références<br />
à Dau<strong>de</strong>t en un optimisme forcé et en une<br />
volonté farouche <strong>de</strong> voir une gaieté imaginée,<br />
typique d’un Midi pittoresque qui n’existe pas :<br />
un « Japon français » qu’il fera vivre sur ses toiles,<br />
ses <strong>de</strong>ssins, et parfois dans ses lettres. Le Japon<br />
lu par Van Gogh, curieusement, c’est donc Arles<br />
et ses environs, tels qu’il les avait imaginés<br />
auparavant à travers Les Lettres <strong>de</strong> mon moulin<br />
et Tartarin <strong>de</strong> Tarascon, vision qu’il complète puis<br />
confronte au récit <strong>de</strong> Loti. Un vaste programme,<br />
une recette improbable, mais dont le résultat<br />
dépasse l’enten<strong>de</strong>ment, et le rendra immortel.<br />
Bien entendu, l’art japonais et la littérature<br />
française <strong>de</strong> son temps ne sont pas les seuls<br />
facteurs pouvant éclairer notre compréhension<br />
<strong>de</strong> l’œuvre immense du peintre du Champ <strong>de</strong><br />
blé aux corbeaux et il serait vain <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong><br />
l’expliquer dans son ensemble et sa complexité<br />
en quelques pages seulement. Heureusement,<br />
l’essentiel <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> Vincent rési<strong>de</strong> dans le plaisir<br />
<strong>de</strong> sa contemplation, et le premier à avoir eu<br />
cette conscience était le peintre lui-même :<br />
Eh bien vraiment, nous ne pouvons faire parler<br />
que nos tableaux. 6<br />
6. Brouillon <strong>de</strong> lettre <strong>de</strong> Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Auvers-sur-Oise, 23 juillet 1890, lettre RM25.<br />
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