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Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris

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Gaieté, consolation et nature<br />

Dau<strong>de</strong>t et l’art japonais, aux yeux <strong>de</strong> Van Gogh<br />

pour qui la consolation est le but le plus élevé<br />

<strong>de</strong> l’art, ont l’avantage d’être simples et gais, et<br />

en tant que tels, « consolants 4 ». Cette recherche<br />

<strong>de</strong> consolation, à la fois pour sa production et<br />

dans ses choix littéraires, l’engage durant les <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie à lire <strong>de</strong> moins en<br />

moins souvent <strong>de</strong>s œuvres réalistes pures, et<br />

<strong>de</strong> plus en plus à se tourner vers une littérature<br />

d’évasion. De Zola et Goncourt, il passe à Jules<br />

Verne et Pierre Loti, peut-être avec Guy <strong>de</strong><br />

Maupassant comme maillon entre ces <strong>de</strong>ux<br />

pôles littéraires.<br />

L’année durant laquelle Vincent mûrit sa<br />

décision <strong>de</strong> quitter <strong>Paris</strong> et <strong>de</strong> s’installer dans<br />

le Sud <strong>de</strong> la France, 1887, est aussi celle <strong>de</strong> la<br />

publication <strong>de</strong> Madame Chrysanthème <strong>de</strong> Pierre<br />

Loti. Cependant, Van Gogh ne lira cette œuvre<br />

qu’en juin 1888 et se contentera d’en dire, assez<br />

laconiquement, que ce livre contient <strong>de</strong>s notes<br />

intéressantes sur le Japon. Il n’en tirera pas <strong>de</strong><br />

bien gran<strong>de</strong>s leçons et il ne serait pas justié <strong>de</strong><br />

dire que sa façon <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la réalité du Midi<br />

ait été, <strong>de</strong> quelque façon qu’il fût, conditionnée<br />

par le contenu <strong>de</strong> cet ouvrage. En revanche, il<br />

en tire la conrmation <strong>de</strong> ce qu’il pensait déjà,<br />

que l’art japonais est synonyme <strong>de</strong> simplicité et<br />

<strong>de</strong> simplication :<br />

Est-ce que tu as lu Mme Chrysantême, cela m’a<br />

bien donné à penser que les vrais japonais n’ont<br />

rien sur les murs. La <strong>de</strong>scription du cloitre ou <strong>de</strong> la<br />

pago<strong>de</strong> où il n’y a rien (les <strong>de</strong>ssins, curiosités, sont<br />

cachés dans <strong>de</strong>s tiroirs). Ah c’est donc comme ça<br />

qu’il faut regar<strong>de</strong>r une japonaiserie – dans une<br />

piece bien claire, toute nue, ouverte sur le paysage.<br />

Veux tu en faire l’épreuve avec ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins<br />

<strong>de</strong> la Crau et <strong>de</strong>s bords du Rhône qui n’ont pas l’air<br />

japonais et qui peutêtre le sont plus que d’autres<br />

réellement. Regar<strong>de</strong>s les dans un café bien clair où<br />

il n’y ait rien d’autre en tableaux – ou <strong>de</strong>hors. Il y<br />

faudrait peutêtre une bordure <strong>de</strong> roseau comme<br />

une baguette. Ici je travaille moi dans un intérieur<br />

nu, 4 murs blancs et <strong>de</strong>s pavés rouges par terre.<br />

Si j’insiste que tu regar<strong>de</strong>s ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins ainsi<br />

c’est que je voudrais tant te donner une idée vraie<br />

<strong>de</strong> la simplicité <strong>de</strong> la nature d’ici.<br />

Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />

vers le 13 juillet 1888, lettre 639<br />

Fidèle à son habitu<strong>de</strong>, Van Gogh voit dans<br />

l’ouvrage ce qu’il a envie d’y voir. En effet, la<br />

<strong>de</strong>scription d’une pago<strong>de</strong> où il n’y a « rien sur<br />

les murs » se trouve au chapitre XL du livre, et<br />

s’il y est bien question <strong>de</strong> la nudité <strong>de</strong>s pièces et<br />

du regret que les intérieurs occi<strong>de</strong>ntaux soient<br />

si encombrés <strong>de</strong> bibelots, il y est aussi question<br />

d’esquisses <strong>de</strong> maîtres suspendues aux murs. Ce<br />

que Van Gogh ne relève pas, par contre, c’est<br />

le mépris maladif pour le Japon, sa culture et<br />

ses habitants, qui suinte à grosses gouttes <strong>de</strong><br />

chaque chapitre du livre <strong>de</strong> Loti. Les Japonais<br />

y sont qualiés <strong>de</strong> « singesques », tout au Japon<br />

est jugé « mesquin », tout est irritant, au pire<br />

médiocre et au mieux risible. De plus, il s’agit,<br />

avant d’être un récit <strong>de</strong> voyage douteux, d’un<br />

manuel <strong>de</strong> tourisme sexuel pour tout Occi<strong>de</strong>ntal<br />

désireux <strong>de</strong> trouver une compagne adolescente,<br />

une « mousmé », le temps d’une escale orientale.<br />

Cet aspect aujourd’hui dérangeant offre une<br />

possibilité d’interprétation érotique d’un tableau<br />

pourtant tout en retenue, La Mousmé, peint par<br />

Van Gogh en juillet, soit quelques semaines à<br />

peine après sa lecture <strong>de</strong> Madame Chrysanthème.<br />

De la même manière, cet ouvrage offre un angle<br />

d’interprétation intéressant pour L’Autoportrait<br />

dédié à Paul Gauguin, peint en octobre et envoyé<br />

à Paul Gauguin dans le cadre d’un échange<br />

d’autoportraits.<br />

Les bonzes <strong>de</strong> Loti, dans Madame Chrysanthème,<br />

sont bien davantage que <strong>de</strong>s « simples adorateurs<br />

du Bhoudda éternel »,tel que Van Gogh l’écrit<br />

dans une lettre à Gauguin 5 . Ce sont aussi <strong>de</strong>s<br />

personnages gais, qui aiment les femmes et<br />

l’alcool. Ces <strong>de</strong>ux réalités, spirituelle et matérielle,<br />

ne s’excluent cependant pas. À Émile Bernard,<br />

le 26 juin, soit vraisemblablement pendant qu’il<br />

4. Pour le thème <strong>de</strong> la consolation chez Van Gogh, voir Leo JANSEN, « Vincent van Gogh’s belief in art as consolation », Stolwijk, in Van<br />

HEUGTEN, JANSEN et BLUHM (éds.), Van Gogh’s imaginary museum : Exploring the artist’s inner world, Van Gogh Museum, Amsterdam,<br />

2003, pp. 13-23..<br />

5. Vincent van Gogh à Paul Gauguin, Arles, 3 octobre 1888, lettre 695<br />

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