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Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris

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l’innovation, pratiquant un art qui, selon Vincent,<br />

a une longueur d’avance sur la peinture, ont tenu<br />

contre vents et marées et ont ni par <strong>de</strong>venir<br />

« quelqu’un qui avait fait quelque chose. » La<br />

carrière <strong>de</strong> Vincent, sur le point d’éclore, est à<br />

considérer sous cet angle, dans la continuité <strong>de</strong><br />

la voie montrée par les Goncourt : <strong>de</strong>ux frères<br />

férus d’art japonais, engagés corps et âme dans la<br />

production d’une œuvre innovante, audacieuse,<br />

ouverte à l’histoire <strong>de</strong> l’art et au mon<strong>de</strong>.<br />

Mo<strong>de</strong>rnité et simplicité<br />

On a pu lire que Van Gogh suit une mo<strong>de</strong>, respire<br />

l’air du temps et rencontre un japonisme bien<br />

installé à <strong>Paris</strong> lorsqu’il vient y vivre en 1886.<br />

Or, comme bien souvent, on ne prend pas en<br />

compte le choix que Vincent opère. L’offre<br />

culturelle japonisante à <strong>Paris</strong> en 1886 ‐1887 n’est<br />

pas aussi orissante que l’on veut bien l’imaginer,<br />

et les auteurs qui se sont lancés à sa recherche<br />

ont rarement été récompensés <strong>de</strong> leurs efforts. Il<br />

serait plus aisé <strong>de</strong> décrire, pour ces années, l’offre<br />

massive <strong>de</strong> produits russes, persans, égyptiens ou<br />

même chinois. La mo<strong>de</strong> japonisante est passée,<br />

l’activité économique qui lui est associée est<br />

moribon<strong>de</strong>, connée à quelques échoppes et<br />

<strong>de</strong> rares publications. Bien sûr, Samuel Bing fait<br />

son possible pour promouvoir ce qui fait son<br />

fonds <strong>de</strong> commerce, et bien entendu, un cercle<br />

restreint d’artistes et d’amateurs y trouve plus<br />

ou moins son compte, mais l’offre n’en <strong>de</strong>meure<br />

pas moins éparse et inorganisée. Cette situation<br />

fait à la fois le bonheur et le malheur <strong>de</strong> Vincent.<br />

Convaincu que la peinture a <strong>de</strong>s décennies <strong>de</strong><br />

retard sur la littérature, et prenant exemple sur<br />

les Goncourt, il ne doute pas que l’avenir <strong>de</strong> la<br />

peinture française mo<strong>de</strong>rne est à trouver du côté<br />

<strong>de</strong> l’art japonais. Mais où se procurer les supports<br />

<strong>de</strong> cet art ? Les informations sur les conditions<br />

<strong>de</strong> production <strong>de</strong> l’art japonais sont inaccessibles,<br />

voire inexistantes, surtout au moment où Van<br />

Gogh s’installe à Anvers à la n 1885, juste après<br />

la lecture <strong>de</strong> la préface <strong>de</strong> Chérie.<br />

Ainsi, lorsque le peintre, armé <strong>de</strong> sa volonté<br />

imperturbable <strong>de</strong> peser dans le mon<strong>de</strong> et<br />

l’histoire <strong>de</strong> l’ar t, prend possession d’un<br />

appartement mo<strong>de</strong>ste rue <strong>de</strong>s Images 2 à Anvers,<br />

il le décore avec <strong>de</strong>s estampes japonaises, dont il<br />

n’est malheureusement pas possible aujourd’hui<br />

<strong>de</strong> retracer l’origine. En tout cas, il y a fort à<br />

parier que cette décoration n’a pas pour seul but<br />

d’enjoliver les murs <strong>de</strong> son atelier, mais bien <strong>de</strong> le<br />

stimuler dans sa démarche créatrice, comme un<br />

rappel quotidien à la mo<strong>de</strong>rnité qui lui permettra<br />

<strong>de</strong> suivre l’exemple donné par la littérature <strong>de</strong><br />

ses contemporains en général, et les Goncourt<br />

en particulier.<br />

C’est par conséquent en parfait dilettante que<br />

Van Gogh constitue, à Anvers en 1885, un début<br />

<strong>de</strong> collection qu’il complétera à <strong>Paris</strong> durant les<br />

années suivantes. Il semblerait que cet intérêt<br />

était surtout d’ordre formel. Il ne savait rien,<br />

ou presque, <strong>de</strong>s artistes japonais ou <strong>de</strong> leur<br />

culture, et restait libre <strong>de</strong> se construire un Japon<br />

imaginaire, idéal 3 . C’est à <strong>Paris</strong> que Van Gogh<br />

peindra une toile s’inscrivant remarquablement<br />

dans cette triple perspective – son goût pour la<br />

littérature mo<strong>de</strong>rne, un japonisme tout personnel<br />

et l’afrmation d’une culture propre – et brisant<br />

les co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la représentation bourgeoise :<br />

Nature morte avec trois livres. Cette œuvre <strong>de</strong><br />

forme ovale est réalisée sur un panneau <strong>de</strong> bois<br />

au dos duquel se trouvent <strong>de</strong>s traces d’écriture<br />

japonaise. Ces idéogrammes ne sont pas <strong>de</strong> la<br />

main <strong>de</strong> Vincent, mais étaient préalablement<br />

apposés sur <strong>de</strong>s planches <strong>de</strong> bois provenant d’une<br />

caisse venue du Japon, avant d’être recyclées en<br />

support pour œuvre d’art. Deux <strong>de</strong>s livres ont<br />

au recto la couverture jaune caractéristique <strong>de</strong>s<br />

livres « mo<strong>de</strong>rnes » dont Vincent parsème son<br />

œuvre, ce qui afrme sa volonté <strong>de</strong> rester dans<br />

une dynamique sans cesse innovante, ainsi que<br />

sa conscience <strong>de</strong> faire partie d’une histoire <strong>de</strong><br />

l’art en perpétuelle évolution. Le support nous<br />

montre que Van Gogh allait se fournir en produits<br />

importés du Japon directement à la source.<br />

2. Van Gogh emménage au 224 <strong>de</strong> la Lange Beel<strong>de</strong>kensstraat. En néerlandais, beeld signie « image ».<br />

3. « His interest in Japanese prints was primarily formal – he was attracted to their brilliant at color, simplied forms, incicive drawigng,<br />

and compositional daring. His ignorance of their cultural context helped foster an i<strong>de</strong>alized conception of Japan as a repository of<br />

superior emotional, moral and aesthetic values. », in Douglas DRUICK et Peter KORT ZEGERS, Van Gogh and Gauguin, The Studio of the<br />

South, Art Institute, Chicago, 2001, pp. 74-75.<br />

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