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Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris

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<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong>


SOMMAIRE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

HIROSHIGE, L’ART DU VOYAGE<br />

Page<br />

3<br />

CONTEXTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

CHRONOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

HIROSHIGE, UNE APPROCHE POÉTIQUE DE LA NATURE . . . . . . . . . . . . . .<br />

LA ROUTE DU TKAID . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

LA TECHNIQUE DE L’ESTAMPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

4<br />

7<br />

9<br />

11<br />

12<br />

14<br />

VAN GOGH, RÊVES DE JAPON<br />

BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

UN AUTRE REGARD SUR LE JAPONISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

LE JAPON LU PAR VINCENT VAN GOGH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />

VINCENT VAN GOGH ET LE JAPON : UNE HISTOIRE D’AMOUR . . . . . . . . .<br />

LES INFLUENCES RÉCIPROQUES DES ARTS OCCIDENTAL ET JAPONAIS . . .<br />

16<br />

17<br />

21<br />

25<br />

29<br />

32<br />

ANALYSES D’ŒUVRES<br />

33<br />

PISTES PÉDAGOGIQUES<br />

36<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

40<br />

2


Hiroshige, l’art du voyage<br />

3


CONTEXTE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

C’est durant l’époque d’Edo que l’art <strong>de</strong> l’estampe<br />

se développa au Japon.<br />

L’époque d’Edo (1603‐1868) correspond<br />

au règne <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>sTokugawa.<br />

Cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> paix survient après <strong>de</strong><br />

longs siècles <strong>de</strong> guerres civiles, où les daimy 1<br />

(seigneurs) s’affrontent pour étendre leur<br />

pouvoir. À la suite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chefs militaires<br />

très puissants, Oda Nobunaga (1534 ‐1582) et<br />

Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi (1536 ‐1598), Tokugawa<br />

Ieyasu unie le Japon et est nommé shogun en<br />

1603.<br />

À cette époque, l’empereur attribue le titre<br />

<strong>de</strong> shogun au plus puissant <strong>de</strong>s chefs militaires<br />

du pays, mais n’a pas <strong>de</strong> réel pouvoir politique.<br />

C’est donc le shogun qui gouverne le Japon.<br />

Dès sa nomination, Ieyasu fait du village d’Edo,<br />

où il avait établi ses quartiers généraux, la nouvelle<br />

capitale, qui remplace Kyoto. Edo <strong>de</strong>vient<br />

Tokyo à partir <strong>de</strong> l’ère Meiji (1868 ‐1912).<br />

Le Japon entre dans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> paix<br />

et <strong>de</strong> prospérité. Déjà en contact avec l’Occi<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong>puis l’arrivée <strong>de</strong> marchands portugais<br />

en 1543, les Japonais entretiennent <strong>de</strong>s relations<br />

commerciales avec certains pays d’Europe. Des<br />

comptoirs commerciaux apparaissent dans tout<br />

le pays et, avec eux, s’installent <strong>de</strong>s missionnaires<br />

catholiques qui tentent <strong>de</strong> convertir la population<br />

locale.<br />

Tokugawa Iemitsu (1604 ‐1651), troisième<br />

shogun <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>sTokugawa, voit le<br />

développement <strong>de</strong> cette religion comme une<br />

menace contre son régime, il expulse donc<br />

tous les missionnaires du Japon et promulgue<br />

<strong>de</strong> nombreuses lois contre les catholiques<br />

japonais. Victimes <strong>de</strong>s persécutions du régime,<br />

ces <strong>de</strong>rniers se rebellent à Shimabara en 1637.<br />

Suite à ce soulèvement, réprimé très violemment<br />

par le shogun, Iemitsu adopte à partir <strong>de</strong> 1639<br />

une politique d’isolement du pays. En effet, il<br />

promulgue plusieurs lois interdisant la présence<br />

d’étrangers sur le territoire japonais et également<br />

aux Japonais toute sortie du territoire.<br />

Seuls les Hollandais et les Chinois sont autorisés<br />

à continuer les échanges commerciaux avec<br />

le Japon sur l’île articielle <strong>de</strong> Dejima, au large<br />

<strong>de</strong> Nagasaki. Alliés <strong>de</strong>s Tokugawa <strong>de</strong>puis la n <strong>de</strong><br />

la pério<strong>de</strong> médiévale, les Hollandais fournissent<br />

à Ieyasu les fameux tepp (mousquets) lors <strong>de</strong><br />

sa campagne contre Toyotomi Hi<strong>de</strong>yori (le ls<br />

<strong>de</strong> Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi). Ces armes, jusqu’alors<br />

absentes <strong>de</strong>s batailles, donnent aux Tokugawa une<br />

supériorité stratégique indéniable, jusqu’à nalement<br />

leur apporter la victoire lors <strong>de</strong> la bataille<br />

<strong>de</strong> Sekigahara qui voit la défaite <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong><br />

Hi<strong>de</strong>yori et l’instauration du shogunat Tokugawa.<br />

Le fait que les Hollandais soient protestants joue<br />

également un rôle dans ce choix : le shogunat<br />

soupçonne en effet les jésuites portugais d’avoir<br />

fomenté le soulèvement <strong>de</strong> Shimabara et souhaite<br />

donc tenir les nations catholiques à l’écart<br />

du Japon.<br />

Le pays va ainsi se fermer à toute inuence<br />

étrangère durant plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents ans. En 1635,<br />

Iemitsu s’assure également <strong>de</strong> l’obéissance <strong>de</strong>s<br />

daimy du pays (environ <strong>de</strong>ux cent cinquante<br />

seigneurs), en instaurant un système <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce<br />

alternée. Ce système les oblige à séjourner une<br />

année sur <strong>de</strong>ux à Edo et à y laisser leur famille<br />

en otage lorsqu’ils retournent sur leurs terres.<br />

Par ce système, le shogun s’assure la loyauté <strong>de</strong>s<br />

daimy mais c’est également un moyen d’affaiblir<br />

nancièrement les seigneurs, car ils doivent<br />

nancer eux-mêmes leurs déplacements, qui se<br />

font souvent en gran<strong>de</strong> pompe, avec une escorte<br />

d’une centaine <strong>de</strong> samouraïs, serviteurs, etc.<br />

1. La langue japonaise comporte <strong>de</strong>s voyelles dites « longues ». Le système <strong>de</strong> transcription ofciel Hepburn (d’après le nom du<br />

linguiste qui l’a mis en place) matérialise cet allongement <strong>de</strong>s sons [o] et [u] par l’utilisation d’un « macron » placé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />

voyelles o et u : et . Pour le son [e] et le son [i], l’allongement sera respectivement matérialisé par ei et ii : gakk (école), kki (air),<br />

keizai (économie), chiisai (petit).<br />

4


Ce principe <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce alternée aura plusieurs<br />

conséquences sur le pays : tout d’abord, la<br />

ville d’Edo va se développer considérablement<br />

pour accueillir les daimy et leur escorte. Au<br />

début du XVII e siècle, Edo compte un million<br />

d’habitants, ce qui fait d’elle la ville la plus peuplée<br />

du mon<strong>de</strong>.<br />

La moitié <strong>de</strong> la population d’Edo est alors<br />

composée <strong>de</strong> samouraïs (guerriers) qui sont<br />

venus accompagner leur maître pour leur séjour<br />

forcé. On assiste donc à la création <strong>de</strong> lieux <strong>de</strong><br />

plaisirs et <strong>de</strong> divertissements pour occuper les<br />

guerriers forcés à l’inaction (la paix étant installée)<br />

et pour répondre à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la classe<br />

moyenne enrichie (marchands et commerçants)<br />

en quête <strong>de</strong> loisirs. Des quartiers réservés aux<br />

divertissements voient le jour dans les gran<strong>de</strong>s<br />

villes. À Edo, <strong>de</strong>ux quartiers <strong>de</strong>viennent les pôles<br />

d’attraction : le quartier <strong>de</strong>s théâtres et le quartier<br />

<strong>de</strong>s plaisirs (Yoshiwara), où l’on peut se divertir<br />

auprès <strong>de</strong>s courtisanes et <strong>de</strong>s geishas.<br />

Le kabuki, forme <strong>de</strong> théâtre dansé joué exclusivement<br />

par les hommes, rencontre un très<br />

grand succès. Les acteurs <strong>de</strong> kabuki <strong>de</strong>viennent<br />

<strong>de</strong> véritables stars au Japon. Les directeurs <strong>de</strong><br />

théâtre cherchent à développer leur communication<br />

et se tournent rapi<strong>de</strong>ment vers un nouveau<br />

support publicitaire : l’estampe. En effet, ce média<br />

a <strong>de</strong> nombreux avantages : il permet une gran<strong>de</strong><br />

diffusion, car l’on peut produire <strong>de</strong> nombreuses<br />

images en un délai très court, et il est très bon<br />

marché. D’abord utilisées comme afches ou<br />

programmes <strong>de</strong> spectacle, les estampes envahissent<br />

très rapi<strong>de</strong>ment les étals <strong>de</strong>s marchés, où<br />

elles sont achetées par les citadins qui souhaitent<br />

gar<strong>de</strong>r un souvenir <strong>de</strong> leurs loisirs ou tout simplement<br />

décorer leur intérieur. Les scènes <strong>de</strong> la<br />

vie quotidienne, les acteurs et les courtisanes<br />

sont les sujets principaux <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> la n<br />

du XVII e siècle.<br />

En parallèle, l’édition connaît un développement<br />

sans précé<strong>de</strong>nt et contribue à l’essor <strong>de</strong><br />

l’art <strong>de</strong> l’estampe. En effet, au début du XVIII e<br />

siècle, 85 % <strong>de</strong> la population masculine d’Edo est<br />

lettrée et les Japonais raffolent <strong>de</strong>s livres illustrés<br />

qui paraissent sur les quartiers <strong>de</strong> plaisirs d’Edo<br />

ou les chroniques <strong>de</strong> la vie quotidienne <strong>de</strong> la ville<br />

en plein développement.<br />

Fin XVIII e , les habitants d’Edo renforcent<br />

encore la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en estampes avec la diffusion<br />

dans les couches urbaines plus populaires<br />

<strong>de</strong> la pratique consistant à accrocher dans un<br />

tokonoma (alcôve) une peinture agrémentée<br />

d’un poème <strong>de</strong> saison. Cette tradition implique<br />

un certain niveau économique car il s’agit <strong>de</strong><br />

changer l’œuvre très régulièrement an <strong>de</strong> suivre<br />

le déroulement <strong>de</strong>s saisons. La prospérité<br />

économique et les techniques <strong>de</strong> gravure moins<br />

onéreuses permettant l’acquisition d’estampes<br />

à moindres frais, nous assistons alors avec la<br />

propagation <strong>de</strong> cette pratique à l’âge d’or <strong>de</strong><br />

l’ukiyo-e (l’estampe).<br />

Ukiyo-e<br />

Ukiyo-e : terme japonais signifiant « image<br />

du mon<strong>de</strong> flottant ». Il désigne un mouvement<br />

artistique japonais <strong>de</strong> l’époque<br />

d’Edo (1603-1868). L’expression <strong>de</strong><br />

« mon<strong>de</strong> ottant », ukiyo, apparaît au Moyen<br />

Âge dans le vocabulaire bouddhique pour<br />

désigner le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> douleur qu’est la vie<br />

humaine avec tout ce qu’elle a <strong>de</strong> transitoire<br />

et <strong>de</strong> non permanent. En effet, le cycle <strong>de</strong><br />

la vie quotidienne et sa suite <strong>de</strong> plaisirs terrestres<br />

ne sont que <strong>de</strong>s images qui s’offrent<br />

au regard un beau jour pour s’effacer le len<strong>de</strong>main.<br />

Les artistes <strong>de</strong> l’ukiyo-e s’attachent<br />

à décrire la vie et les mœurs du temps, les<br />

portraits <strong>de</strong>s courtisanes et <strong>de</strong>s acteurs, le<br />

passage <strong>de</strong>s saisons, etc.<br />

5


Mais alors que l’art <strong>de</strong> l’estampe jouit d’une<br />

certaine liberté d’expression, les autorités commencent<br />

à se raidir et exercent une censure <strong>de</strong><br />

plus en plus sévère. On interdit les estampes<br />

érotiques, la mention du nom <strong>de</strong>s courtisanes<br />

représentées ou les portraits en buste. Les<br />

artistes continuent à représenter <strong>de</strong>s portraits<br />

mais ils ne peignent plus que <strong>de</strong>s personnages<br />

historiques, héroïques ou légendaires. L’art <strong>de</strong><br />

l’estampe s’enlise et peine à se renouveler.<br />

C’est dans ce contexte que Hokusai (1760 ‐<br />

1849) et Hiroshige (1797‐1858) fon<strong>de</strong>nt un<br />

genre nouveau qui va redonner un second<br />

soufe à l’art <strong>de</strong> l’ukiyo‐e : le paysage.<br />

Alors que jusque‐là le paysage sert <strong>de</strong><br />

décor et d’arrière‐plan au traitement d’une<br />

scène narrative, il <strong>de</strong>vient le sujet principal <strong>de</strong><br />

l’estampe. Le succès est au ren<strong>de</strong>z‐vous : les<br />

éditeurs comman<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nombreuses séries<br />

aux artistes et le public adhère tout <strong>de</strong> suite<br />

à ces représentations <strong>de</strong> sites pittoresques et<br />

spectaculaires. Si l’engouement pour ce nouveau<br />

genre pictural est si important et immédiat, c’est<br />

qu’il rejoint les aspirations <strong>de</strong> la société japonaise<br />

du début du XIX e siècle : en effet, les Tokugawa,<br />

particulièrement Tokugawa Tsunayoshi, élèvent<br />

la pensée néo‐confucianiste au rang <strong>de</strong> doctrine<br />

nationale.<br />

Parallèlement, le concept bouddhique du muj,<br />

l’« impermanence » <strong>de</strong>s choses, la disparition<br />

inévitable <strong>de</strong> ce qui existe, est accepté dans la<br />

plupart <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> la pensée japonaise. La<br />

contemplation d’un cerisier en eur, <strong>de</strong> la neige<br />

qui tombe ou encore d’une ne pluie brumeuse<br />

provoque une émotion mélancolique, liée à la<br />

prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’évolution constante du<br />

mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa disparition pressentie. La notion<br />

<strong>de</strong> muj est un héritage <strong>de</strong> la n <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong><br />

Heian (XIII e siècle). Le bouddhisme, jusqu’alors<br />

pratiqué <strong>de</strong> façon ésotérique et accessible aux<br />

seuls initiés, se diffuse dans la société grâce à<br />

l’arrivée <strong>de</strong> l’amidisme et aux conteurs itinérants<br />

(souvent <strong>de</strong>s moines aveugles qui narrent <strong>de</strong>s<br />

fables moralisatrices). Thème central d’épopées<br />

comme le Heike Monogatari, le muj, entre<br />

autres principes, frappe les consciences dans<br />

un contexte <strong>de</strong> peur millénariste : la société<br />

<strong>de</strong> Heian, gée <strong>de</strong>puis quatre siècles dans ses<br />

rituels immuables, s’écroule. La ville impériale<br />

elle-même est ravagée par les ammes pendant<br />

que s’affrontent les clans rivaux. Et alors que le<br />

clergé bouddhiste annonce l’arrivée du mapp,<br />

la n <strong>de</strong> la Loi, une succession <strong>de</strong> sécheresses,<br />

tremblements <strong>de</strong> terre et épidémies décime la<br />

population.<br />

La mise en place <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce alternée<br />

pousse le gouvernement à entreprendre <strong>de</strong><br />

grands travaux pour créer <strong>de</strong> nouvelles routes<br />

facilitant les déplacements <strong>de</strong>s daimy vers Edo.<br />

Des villages-relais se développent le long <strong>de</strong>s<br />

routes les plus empruntées, offrant tout le confort<br />

nécessaire aux voyageurs (auberges, maisons<br />

closes, pharmacies, restaurants, etc.). Le tourisme<br />

intérieur se développe, facilité par ces routes<br />

plus sûres et mieux aménagées. Les pèlerinages<br />

vers les sanctuaires et les visites <strong>de</strong> sites célèbres<br />

se multiplient, suite au succès d’À pied sur le<br />

Tkaid et <strong>de</strong>s séries d’estampes <strong>de</strong> paysage.<br />

Cette mobilité permet aux Japonais <strong>de</strong> découvrir<br />

une plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur territoire et <strong>de</strong> se<br />

penser comme une véritable nation, mais elle leur<br />

permet également une échappatoire à l’asphyxie<br />

ambiante, due à la fermeture du pays.<br />

Les gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> voyage, et bientôt les carnets<br />

<strong>de</strong> voyage, garnis d’estampes <strong>de</strong> paysage, rencontrent<br />

un grand succès. Facile d’accès, le paysage<br />

ne nécessite pas <strong>de</strong> connaissances sur l’art classique<br />

ou la littérature pour être compris, c’est<br />

pourquoi il est apprécié par toutes les classes<br />

<strong>de</strong> la population, même les plus mo<strong>de</strong>stes. Les<br />

loisirs du peuple ne se situent plus exclusivement<br />

dans les quartiers réservés <strong>de</strong> la capitale mais<br />

au contact <strong>de</strong> la nature, dans son observation<br />

et sa contemplation durant <strong>de</strong> longues promena<strong>de</strong>s.<br />

Les Japonais développent une spiritualité<br />

contemplative que l’on retrouve parfaitement<br />

dans l’art <strong>de</strong> l’ukiyo-e <strong>de</strong> paysage.<br />

Mais, alors que l’estampe <strong>de</strong> paysage connaît<br />

un succès croissant, l’ouverture soudaine du<br />

pays à la culture occi<strong>de</strong>ntale et, notamment, la<br />

6


découverte <strong>de</strong> la photographie et <strong>de</strong>s caricatures,<br />

vont sonner le glas <strong>de</strong> l’ukiyo‐e. En effet, au milieu<br />

du XIX e siècle, le pays subit <strong>de</strong>s pressions croissantes<br />

au large <strong>de</strong> ses côtes : les Russes au nord,<br />

les Britanniques au sud et les Américains à l’est<br />

tentent <strong>de</strong> rentrer en contact avec le Japon. Les<br />

Américains et les Anglais cherchent avant tout un<br />

port d’escale sur la route commerciale reliant la<br />

côte ouest américaine nouvellement développée,<br />

les comptoirs <strong>de</strong> Shanghai et les pays producteurs<br />

du Sud‐Est asiatique.<br />

Le 8 juillet 1853, les vaisseaux du commodore<br />

Perry entrent dans la baie d’Uraga. Son message<br />

est clair : soit le Japon entretient <strong>de</strong>s rapports<br />

commerciaux avec les États‐Unis, soit les États‐<br />

Unis entrent en guerre contre le Japon. Les armes<br />

et la otte japonaises n’ont pas évolué <strong>de</strong>puis la<br />

fermeture du pays aux étrangers <strong>de</strong>ux cents ans<br />

plus tôt, elles sont donc obsolètes comparées<br />

à celles <strong>de</strong>s Américains. Le shogun ne peut pas<br />

lutter, il cè<strong>de</strong> donc en 1854 en ratiant un traité<br />

commercial avec les États‐Unis.<br />

Très rapi<strong>de</strong>ment, d’autres pays suivent et le<br />

Japon, si longtemps fermé à tout contact venu <strong>de</strong><br />

l’extérieur, connaît une rapi<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntalisation.<br />

En effet, il s’agit pour le pays <strong>de</strong> se mo<strong>de</strong>rniser<br />

et <strong>de</strong> s’industrialiser au plus vite pour éviter <strong>de</strong><br />

tomber sous la domination occi<strong>de</strong>ntale. Le Japon<br />

change <strong>de</strong> visage, les mo<strong>de</strong>s et les passions d’hier<br />

tombent dans la désuétu<strong>de</strong> la plus complète.<br />

L’ukiyo-e, rapi<strong>de</strong>ment supplanté par la photographie,<br />

passe <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> au Japon et, parallèlement,<br />

la découverte <strong>de</strong>s estampes japonaises<br />

par les artistes occi<strong>de</strong>ntaux, notamment lors <strong>de</strong><br />

l’Exposition universelle <strong>de</strong> 1876, va révolutionner<br />

la peinture mo<strong>de</strong>rne européenne.<br />

CHRONOLOGIE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

- 1543 : <strong>de</strong>s marchands portugais débarquent au Japon.<br />

- 1543 : naissance <strong>de</strong> Tokugawa Ieyasu.<br />

- 1545 : François Xavier débarque au Japon. Arrivée du christianisme.<br />

- 1590 : Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi réunie le Japon.<br />

- 1600 : bataille <strong>de</strong> Sekigahara, victoire <strong>de</strong> Tokugawa Ieyasu.<br />

- 1603 : l’empereur donne le titre <strong>de</strong> shogun à Tokugawa Ieyasu.<br />

- 1612 : interdiction par Tokugawa Ieyasu <strong>de</strong>s cultes chrétiens.<br />

- 1617 : création <strong>de</strong> quartiers réservés à Edo (Yoshiwara).<br />

- 1635 : interdiction pour les Japonais <strong>de</strong> voyager à l’étranger. Établissement du système du sankin<br />

ktai (séjours réguliers <strong>de</strong>s daimy à Edo).<br />

- 1637-1638 : révolte <strong>de</strong>s catholiques <strong>de</strong> Shimabara.<br />

- 1639 : fermeture du pays aux Occi<strong>de</strong>ntaux. Les Hollandais sont les seuls Européens autorisés<br />

à pénétrer au Japon.<br />

- 1657 : grand incendie à Edo.<br />

- 1740 : premières tentatives d’adaptation <strong>de</strong> la perspective linéaire occi<strong>de</strong>ntale au Japon.<br />

- 1760 : naissance <strong>de</strong> Hokusai.<br />

- 1797 : naissance <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

7


- 1802 -1822 : Jippensha Ikku publie Tkaidch Hizakurige (À pied sur le Tkaid) en douze parties.<br />

- 1814 -1819 : publication <strong>de</strong>s manga <strong>de</strong> Hokusai, volumes 1-10.<br />

- 1829 : le pigment bleu <strong>de</strong> Prusse est utilisé à Edo.<br />

- 1832 : famine et insurrections au Japon.<br />

- 1831-1834 : publication <strong>de</strong>s Trente-six vues du mont Fuji <strong>de</strong> Hokusai.<br />

- 1831-1832 : publication <strong>de</strong> Lieux célèbres <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

- 1833 -1834 : publication <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

- 1834 -1842 : publication <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

- 1842 -1843 : réforme <strong>de</strong> l’ère Tenp : cachet <strong>de</strong> censure sur les estampes.<br />

- 1849 : mort <strong>de</strong> Hokusai.<br />

- 1853 : les vaisseaux du commodore Perry débarquent au Japon. Naissance <strong>de</strong> Vincent Willem<br />

van Gogh.<br />

- 1854 : traité autorisant le commerce entre le Japon et les États-Unis.<br />

- 1855 : grand tremblement <strong>de</strong> terre à Edo.<br />

- 1856 : Hiroshige prend la tonsure, il <strong>de</strong>vient moine bouddhiste.<br />

- 1856 -1858 : publication <strong>de</strong>s Cent vues <strong>de</strong>s sites célèbres d’Edo <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

- 1858 : mort <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

- 1860 : la classe <strong>de</strong>s samouraïs est dissoute. Publication <strong>de</strong> The Narrative of the Earl of Elgin’s Mission<br />

to China and Japan in the years 1857, ’58, ’59 <strong>de</strong> Laurence Oliphant.<br />

- 1862 : première mission shogunale en Occi<strong>de</strong>nt : arrivée à <strong>Paris</strong> <strong>de</strong> la première ambassa<strong>de</strong> japonaise.<br />

Ouverture à <strong>Paris</strong> <strong>de</strong> la boutique La Porte Chinoise.<br />

- 1866 : publication <strong>de</strong> Manette Salomon <strong>de</strong>s Frères Goncourt.<br />

- 1867 : première participation du Japon à l’Exposition universelle qui se tient à <strong>Paris</strong>. Fondation <strong>de</strong> la<br />

société secrète du Jing-Lar à Sèvres.<br />

- 1868 : n du Shogunat Tokugawa, début <strong>de</strong> l’ère Meji (1868 -1912).<br />

- 1869 : exposition d’estampes japonaises à <strong>Paris</strong>.<br />

- 1874 : publication <strong>de</strong> L’Usurpateur par Judith Gautier.<br />

- 1883 : publication <strong>de</strong> L’Art japonais <strong>de</strong> Louis Gonse.<br />

- 1885 -1886 : Van Gogh achète à La Haye <strong>de</strong>s estampes japonaises.<br />

- 1887 : exposition d’estampes japonaises au café Le Tambourin organisée par Van Gogh. <strong>Paris</strong> illustré<br />

consacre un numéro double au Japon. Publication <strong>de</strong> Madame Chrysanthème, roman <strong>de</strong><br />

Pierre Loti.<br />

- 1888 : publication du premier numéro du Japon Artistique <strong>de</strong> Samuel Bing.<br />

- 1890 : exposition De la gravure japonaise à l’École <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>. Mort <strong>de</strong> Van Gogh<br />

à Auvers-sur-Oise.<br />

- 1893 : ouverture d’une section extrême-orientale au Louvre.<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

8


BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE D’UTAGAWA HIROSHIGE (1797 – 1858)<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

1797 : naissance <strong>de</strong> Ando Hiroshige à Edo<br />

(ancien nom <strong>de</strong> Tokyo). Son père est un samouraï<br />

employé dans une briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> pompier. En 1809,<br />

sa mère décè<strong>de</strong>. Son père lui cone alors sa<br />

charge héréditaire <strong>de</strong> pompier puis meurt l’année<br />

suivante. Hiroshige est désormais orphelin.<br />

Très tôt, il s’intéresse au <strong>de</strong>ssin et s’initie avec un<br />

ami, Rinsai Okajima, à la peinture <strong>de</strong> paysage et<br />

à la technique <strong>de</strong> l’estampe.<br />

1811‐1830 : les années <strong>de</strong> formation<br />

En 1811, Hiroshige entre dans l’atelier d’Utagawa<br />

Toyohiro, an <strong>de</strong> se former au <strong>de</strong>ssin et à l’art<br />

<strong>de</strong> l’estampe. Toyohiro lui aurait donné son nom<br />

d’artiste dès 1812 : Hiroshige joint le caractère<br />

hiro (<strong>de</strong>rnière partie du nom du maître) à son<br />

nom d’artiste shige.<br />

Les premiers <strong>de</strong>ssins connus <strong>de</strong> Hiroshige<br />

datent <strong>de</strong> 1818. Il se consacre essentiellement<br />

à l’estampe <strong>de</strong> personnage dans la tradition <strong>de</strong><br />

ses maîtres ; il produit <strong>de</strong>s portraits d’acteurs, <strong>de</strong><br />

courtisanes et <strong>de</strong> guerriers, <strong>de</strong>s illustrations <strong>de</strong><br />

livres et <strong>de</strong>s surimono (estampes luxueuses) illustrant<br />

un recueil <strong>de</strong> poèmes. En 1821, Hiroshige<br />

se marie et, en 1827, il transmet à son ls âgé<br />

d’une dizaine d’années sa charge <strong>de</strong> pompier<br />

an <strong>de</strong> se consacrer à son art.<br />

Années 1830 : les séries du Tkaid et<br />

du Kisokaid<br />

Hiroshige se tourne vers le paysage, à la suite<br />

<strong>de</strong> Hokusai. L’éditeur Kawaguchi Shz lui comman<strong>de</strong><br />

une série <strong>de</strong> dix vues d’Edo, imprimée<br />

avec peu <strong>de</strong> couleurs : bleu et rose avec <strong>de</strong>s<br />

touches <strong>de</strong> brun et <strong>de</strong> vert. Cette comman<strong>de</strong> est<br />

stimulée par la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> touristes souhaitant<br />

ramener une estampe en souvenir <strong>de</strong> leur visite<br />

dans la capitale Edo. Hiroshige se spécialise dans<br />

ces « estampes-souvenirs » <strong>de</strong> vues urbaines<br />

d’Edo.<br />

Il publie en 1833 sa série <strong>de</strong>s Cinquante-trois<br />

étapes du Tkaid grâce à un éditeur inconnu<br />

jusqu’alors, Takenouchi Magohachi, <strong>de</strong> la maison<br />

Hoeid. Cette série est un grand succès,<br />

Hiroshige <strong>de</strong>vient un artiste reconnu. Fort<br />

<strong>de</strong> cette réputation <strong>de</strong> peintre <strong>de</strong> paysage, il<br />

abandonne dès 1833 la réalisation <strong>de</strong> portraits,<br />

nourrissant <strong>de</strong>s projets ambitieux. Il continue à<br />

<strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s lieux célèbres d’Edo, thématique<br />

qu’il adapte également à Kyoto et Osaka.<br />

Entre les années 1834 et 1836, une grave<br />

crise économique secoue le Japon et affecte également<br />

le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’édition. Juste avant cette<br />

crise, l’éditeur Takenouchi a souhaité lancer une<br />

comman<strong>de</strong> d’estampes représentant la route,<br />

plus longue, du Kisokaid, reliant Edo et Kyoto.<br />

Les premières vues sont réalisées par Keisai Eisen<br />

mais en raison <strong>de</strong> la crise le projet est racheté<br />

en 1838 par la maison d’édition Kinjud, qui fait<br />

appel à Hiroshige pour l’achever.<br />

1840-1858 : la série <strong>de</strong>s Cent vues d’Edo<br />

et les <strong>de</strong>rnières années<br />

À partir <strong>de</strong> 1840, Hiroshige travaille sur différents<br />

projets <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> envergure, parfois en collaboration<br />

avec <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong> l’école Utagawa,<br />

comme Kuniyoshi et Kunisada. Il réalise un grand<br />

nombre <strong>de</strong> livres illustrés, développe <strong>de</strong> petites<br />

séries sur le Tkaid. Il publie, <strong>de</strong> 1853 à 1856,<br />

une suite <strong>de</strong> soixante-dix planches, les Vues <strong>de</strong>s<br />

sites célèbres <strong>de</strong>s soixante et quelques provinces<br />

du Japon. De 1856 à 1859, Hiroshige réalise son<br />

<strong>de</strong>rnier grand projet dédié, une nouvelle fois,<br />

à <strong>de</strong>s vues <strong>de</strong> la capitale : la série <strong>de</strong>s Cent vues<br />

<strong>de</strong>s lieux célèbres d’Edo. Au total, la série comprend<br />

cent dix-neuf <strong>de</strong>ssins plus la table <strong>de</strong>s<br />

matières et le format choisi est la composition<br />

verticale. Cette série est l’une <strong>de</strong>s plus luxueuses<br />

réalisées par Hiroshige, en collaboration avec<br />

son ls adoptif, Utagawa Hiroshige II. En 1856,<br />

Hiroshige <strong>de</strong>vient prêtre bouddhiste puis, atteint<br />

du choléra, il décè<strong>de</strong> au mois <strong>de</strong> septembre<br />

1858. Au cours <strong>de</strong> sa vie, il a réalisé plus <strong>de</strong> dix<br />

mille sujets (hors illustrations <strong>de</strong> livres). Il a eu<br />

peu <strong>de</strong> disciples, mais <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses « ls adoptifs »<br />

ainsi qu’un troisième artiste ont adopté le nom<br />

<strong>de</strong> Hiroshige. Cependant, ses successeurs les plus<br />

connus sont, à l’ère Meiji, Kobayasahi Kiyochika<br />

et Yoshida Hiroshi.<br />

9


Bleu <strong>de</strong> Prusse<br />

Les premières gravures réalisées au Japon<br />

sont imprimées uniquement en noir, mais peu<br />

à peu, les artistes d’Edo conçoivent <strong>de</strong>s techniques<br />

permettant <strong>de</strong>s tirages en couleurs à<br />

faible coût. Les éditeurs utilisent alors une<br />

gamme réduite <strong>de</strong> couleurs végétales (noir,<br />

ocre, rose <strong>de</strong> cochenille, jaune <strong>de</strong> curcuma,<br />

rouge millepertuis et le vert olive). L’emploi<br />

du bleu, issu <strong>de</strong> l’indigo, est rare car très onéreux.<br />

De plus, ces bleus sont instables, virant<br />

souvent au brunâtre. Mais dans les années<br />

1820, un nouveau pigment venu d’Occi<strong>de</strong>nt,<br />

le bleu <strong>de</strong> Prusse, révolutionne l’esthétique<br />

<strong>de</strong>s estampes et contribue au succès <strong>de</strong> l’estampe<br />

<strong>de</strong> paysage. Cette couleur chimique et<br />

synthétique est importée <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, via l’île<br />

<strong>de</strong> Dejima et utilisée à Edo à partir <strong>de</strong> 1829<br />

par les artistes japonais. Le bleu <strong>de</strong> Prusse est<br />

intense, profond et offre <strong>de</strong>s nuances innies<br />

avec une seule planche <strong>de</strong> couleur. Il s’accor<strong>de</strong><br />

parfaitement avec la palette <strong>de</strong> couleurs et la<br />

sensibilité <strong>de</strong>s nouveaux maîtres <strong>de</strong> l’ukiyo-e :<br />

Hiroshige fait du bleu <strong>de</strong> Prusse un usage<br />

intensif et l’utilise dans presque toutes ses<br />

estampes <strong>de</strong> paysage.<br />

Utagawa Hiroshige Porte d’entrée du sanctuaire <strong>de</strong> Sann à Nagatababa. Série <strong>de</strong>s Lieux célèbres <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Est, 1832-1835,<br />

nishiki-e (estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. : 24,7 x 37 cm. © Museum Volkenkun<strong>de</strong>,<br />

Lei<strong>de</strong>n / Musée national d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 1353 -398<br />

10


HIROSHIGE, UNE APPROCHE POÉTIQUE DE LA NATURE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

« Mon intention est surtout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s paysages<br />

tels que l’on peut les voir aujourd’hui <strong>de</strong> ses propres yeux. »<br />

Hiroshige, Souvenirs illustrés d’Edo, 1850<br />

Ce qui compte pour Hiroshige, c’est évoquer<br />

l’idée d’un paysage et transmettre une certaine<br />

vision. Il ne se limite pas à reproduire la réalité ;<br />

il la transgure, souligne la poésie <strong>de</strong>s paysages<br />

et interprète la nature avec une profon<strong>de</strong> sensibilité.<br />

L’art <strong>de</strong> Hiroshige se caractérise par son<br />

approche poétique <strong>de</strong> la nature. Privilégiant les<br />

effets d’atmosphère, les phénomènes climatiques,<br />

la lumière, il suggère avec lyrisme la saison, gure<br />

les intempéries (pluie <strong>de</strong> printemps, orage, vent,<br />

neige, brouillard) ou encore les moments <strong>de</strong><br />

la journée (aube dans la brume, lever <strong>de</strong> soleil,<br />

crépuscule du soir, clair <strong>de</strong> lune, obscurité <strong>de</strong><br />

la nuit).<br />

À travers les caprices du temps, la oraison<br />

<strong>de</strong>s cerisiers ou la chute soudaine <strong>de</strong>s eurs, il<br />

évoque avec nostalgie la brièveté <strong>de</strong> la vie et<br />

les plaisirs fugitifs. Attentif aux manifestations <strong>de</strong><br />

l’« impermanence » et <strong>de</strong> l’éphémère, observateur<br />

enthousiaste et parfois mélancolique <strong>de</strong> la<br />

nature, sensible à sa beauté, à sa fragilité et à ses<br />

variations, il cherche à en saisir les impressions<br />

instantanées et changeantes, précurseur en ce<br />

sens <strong>de</strong>s impressionnistes sur qui il exercera une<br />

inuence très nette. Le maître parvient à représenter<br />

un site réel <strong>de</strong> façon i<strong>de</strong>ntiable, tout en le<br />

baignant <strong>de</strong> cette aura poétique et mystérieuse<br />

inhérente à la nature. Hiroshige est un véritable<br />

« portraitiste » <strong>de</strong> la nature.<br />

Au contraire <strong>de</strong> Hokusai qui privilégie l’activité<br />

humaine dans un paysage qui sert <strong>de</strong> décor,<br />

Hiroshige privilégie d’abord le paysage puis intègre<br />

au premier plan <strong>de</strong> ses estampes <strong>de</strong>s personnages.<br />

Suivant la tradition <strong>de</strong>s meisho‐e (peintures<br />

japonaises <strong>de</strong> « vues célèbres »), il immortalise<br />

<strong>de</strong>s sites fameux ainsi que <strong>de</strong>s vues urbaines :<br />

ponts, rivières, casca<strong>de</strong>s, lacs, côtes, montagnes,<br />

rizières, temples, sanctuaires, théâtres, maisons<br />

<strong>de</strong> thé, auberges ou boutiques. Il saisit également<br />

sur le vif <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> genre : <strong>de</strong>s foules<br />

bigarrées, <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> toutes conditions,<br />

voyageurs, marchands, artisans, paysans, pèlerins,<br />

moines, geishas et samouraïs. Ces gures anonymes,<br />

représentées <strong>de</strong> manière synthétique et<br />

souvent avec humour, se fon<strong>de</strong>nt dans le paysage<br />

; inuencé par les principes du shintoïsme,<br />

Hiroshige les représente en symbiose avec<br />

une nature gloriée, qu’il dévoile sous tous ses<br />

aspects saisonniers.<br />

Ses compositions reposent fréquemment<br />

sur l’opposition entre le premier et l’arrièreplan,<br />

entre le mouvement et l’immobilité, entre<br />

l’agitation humaine et le statisme du paysage. Il<br />

attache la même importance que Hokusai à la<br />

construction géométrique <strong>de</strong> l’estampe : un étagement<br />

<strong>de</strong> plans colorés, <strong>de</strong>s courbes et <strong>de</strong>s<br />

lignes droites (horizontales, diagonales, verticales)<br />

rythment la composition, structurent l’espace et<br />

orientent le regard. Hiroshige place souvent un<br />

sujet particulier au tout premier plan, l’exagère<br />

et l’isole du reste du paysage.<br />

11


LA ROUTE DU TKAID<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

La route du Tkaid, « route <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong><br />

l’Est », est l’une <strong>de</strong>s cinq artères majeures du<br />

Japon d’alors. Ces cinq routes ont été créées<br />

ou se sont développées pendant l’époque d’Edo<br />

(1603‐1868), les Tokugawa souhaitant faciliter les<br />

déplacements <strong>de</strong>s Japonais, et améliorer leur<br />

contrôle sur le pays.<br />

Cette artère permet <strong>de</strong> relier Edo (capitale<br />

shogunale) à Kyoto (rési<strong>de</strong>nce impériale) en passant<br />

par le littoral. La distance était <strong>de</strong> 488 km,<br />

parcourus en <strong>de</strong>ux semaines environ.<br />

Les voyageurs, en fonction <strong>de</strong> leur place dans<br />

la société, effectuaient ce voyage à pied (à l’ai<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> sandales <strong>de</strong> paille qui ne duraient généralement<br />

pas plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours), en palanquin, en<br />

logette <strong>de</strong> bambou tressé, en chaise à porteur<br />

ou à cheval.<br />

Le tracé initial du Tkaid remonte au XI e<br />

siècle, mais la route ne prend <strong>de</strong> l’importance<br />

qu’à partir <strong>de</strong> 1603, à la suite du déplacement<br />

<strong>de</strong> la capitale shogunale à Edo. Il débute au pont<br />

Nihonbashi, aux portes d’Edo, et aboutit au pont<br />

Sanj à Kyoto. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que,<br />

l’empereur n’ayant jamais été déchu, Kyoto reste<br />

ofciellement la capitale politique du pays. Dès<br />

lors, la route <strong>de</strong>vrait débuter au pont Sanj et<br />

se terminer au Nihonbashi, à Edo. Faire débuter<br />

la route à Edo et choisir le terme nihon pour<br />

désigner le Japon, plutôt que le terme yamato,<br />

montre une volonté <strong>de</strong> se couper du pouvoir<br />

impérial shintoïste en faveur d’une liation plus<br />

chinoise, entre autre par la reconnaissance du<br />

néo‐confucianisme comme religion d’État. Les<br />

cinquante trois relais sont distants entre eux <strong>de</strong><br />

quatre ri, une unité <strong>de</strong> mesure qui correspond<br />

à environ <strong>de</strong>ux kilomètres.<br />

À l’époque d’Edo, elle est fréquentée avant<br />

tout par les daimy (seigneurs féodaux) ; pour<br />

éviter les tentatives <strong>de</strong> rébellion, les daimy<br />

sont astreints à une rési<strong>de</strong>nce alternée (sankin<br />

ktai), dans la capitale auprès du shogun et sur<br />

leurs terres. Ils doivent donc emprunter cette<br />

route pour se rendre à Edo avec leur suite, et<br />

ne retournent dans leur ef qu’en laissant leur<br />

famille en « otage ». La suite d’un daimy peut<br />

compter plus <strong>de</strong> mille personnes.<br />

De plus en plus <strong>de</strong> personnes <strong>de</strong> toutes<br />

conditions sillonnent également les routes du<br />

pays afin <strong>de</strong> contempler l’infinie variété <strong>de</strong>s<br />

paysages, <strong>de</strong> visiter les sites célèbres ou <strong>de</strong> se<br />

rendre en pèlerinage dans les sanctuaires ; la<br />

nature participe davantage <strong>de</strong> l’environnement<br />

familier. L’obtention <strong>de</strong> permis <strong>de</strong> voyage s’assouplit<br />

progressivement dans le courant du XIX e<br />

siècle, permettant ainsi le développement rapi<strong>de</strong><br />

du tourisme intérieur et la fréquentation <strong>de</strong>s<br />

gran<strong>de</strong>s routes comme le Tkaid.<br />

Ainsi, la route est très empruntée : daimy et<br />

leur suite, bonzes, messagers, marchands, pèlerins<br />

et touristes. Des pins sont plantés le long <strong>de</strong> la<br />

route pour offrir <strong>de</strong> l’ombre aux voyageurs. Des<br />

relais, nommés shukuba, sont aménagés pour les<br />

ravitaillements (auberges, restaurants, maisons <strong>de</strong><br />

thé, commerces avec <strong>de</strong>s produits artisanaux et<br />

locaux, écuries, etc.). Ils sont souvent situés dans<br />

<strong>de</strong>s sites pittoresques, près <strong>de</strong> sanctuaires shintoïstes<br />

ou <strong>de</strong> temples bouddhiques.<br />

Concernant le parcours, la route du Tkaid<br />

est partiellement littorale : elle longe la baie <strong>de</strong><br />

Tokyo, puis la baie <strong>de</strong> Sagami jusqu’à Hakone.<br />

Elle quitte le littoral pour passer la chaîne <strong>de</strong><br />

montagnes <strong>de</strong> Hakone, avant <strong>de</strong> le retrouver<br />

dans la baie <strong>de</strong> Suruga, au sud du mont Fuji. Les<br />

voyageurs <strong>de</strong>vaient par la suite traverser les différents<br />

euves qui se jettent dans la mer, représentés<br />

avec attention par Hiroshige ; <strong>de</strong> nombreux<br />

passages se font en barque. Après le quarantequatrième<br />

relais, la route pénètre dans les terres,<br />

avant <strong>de</strong> rejoindre Kyoto.<br />

Le Tkaid est aujourd’hui la voie principale<br />

<strong>de</strong> l’immense mégalopole du même nom, qui<br />

englobe Tokyo, Yokohama et Nagoya, regroupant<br />

plus <strong>de</strong> cinquante millions d’habitants.<br />

Une ligne <strong>de</strong> train suit le tracé initial <strong>de</strong> la route<br />

(Shinkansen).<br />

12


Utagawa Hiroshige. Un pèlerin avec un large masque Sarutahiko sur les rives du euve Kano. Série <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid, 1833-1834,<br />

nishiki-e (estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. 23,9 x 35,7 cm. © Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n/Musée national<br />

d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 1353-25-13<br />

Les estampes <strong>de</strong> Hiroshige<br />

La série <strong>de</strong>s Cinquante‐trois étapes du Tkaid<br />

Jusqu’à très récemment, on pensait que<br />

Hiroshige avait effectué ses esquisses lors d’un<br />

voyage en 1832 sur la route du Tkaid, alors<br />

qu’il accompagnait le cortège du shogun qui se<br />

rendait à Kyoto pour offrir <strong>de</strong>s chevaux à l’empereur.<br />

Mais cette version est aujourd’hui contestée,<br />

et ce pour plusieurs raisons (il n’aurait effectué<br />

qu’une semaine <strong>de</strong> voyage sur le Tkaid, et<br />

n’aurait pas dépassé la station 19) :<br />

• ce voyage n’est mentionné nulle part dans les<br />

archives <strong>de</strong> la famille ou les autres sources littéraires<br />

sur la vie <strong>de</strong> Hiroshige ;<br />

• si Hiroshige a réellement effectué ce voyage,<br />

il n’a sans doute jamais dépassé la province <strong>de</strong><br />

Sugura : la majorité <strong>de</strong>s étapes suivantes s’appuient<br />

certainement sur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions d’un<br />

gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> voyage, le Tkaid meisho zue. Cet<br />

ouvrage illustré donne également <strong>de</strong> très nombreuses<br />

<strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong>s stations, du paysage, <strong>de</strong>s<br />

spécialités culinaires, etc. ;<br />

• l’autre source littéraire est le Tkaidch hizakurige,<br />

« À pied sur le Tkaid », roman <strong>de</strong> Jippensha<br />

Ikku publié en 1802, qui a rencontré un vrai<br />

succès : certaines scènes du livre sont évoquées<br />

dans la série <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

La série est publiée en 1833‐1834 grâce<br />

à un éditeur inconnu jusqu’alors, Takenouchi<br />

Magohachi, et remporte aussitôt un immense<br />

succès ; les retirages sont nombreux. Hiroshige<br />

a publié au total plus d’une trentaine <strong>de</strong> séries<br />

ayant la route du Tkaid pour sujet, la plupart<br />

représentant la totalité <strong>de</strong>s cinquante‐trois étapes.<br />

Certaines séries sont réalisées en collaboration<br />

avec d’autres artistes tels que Kunisada, Kuniyoshi<br />

et Eisen. Pour cette première édition, les dégradés<br />

et les coloris sont particulièrement soignés.<br />

13


LA TECHNIQUE DE L’ESTAMPE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Une estampe est le résultat <strong>de</strong> la collaboration<br />

<strong>de</strong> quatre personnes : l’éditeur, qui coordonne<br />

le travail ; l’artiste, qui réalise le <strong>de</strong>ssin ; le<br />

graveur, qui épargne le bois ; et l’imprimeur, qui<br />

procè<strong>de</strong> au tirage.<br />

L’éditeur, qui en général nance l’opération,<br />

comman<strong>de</strong> le <strong>de</strong>ssin à l’artiste qui le réalise au<br />

pinceau et à l’encre <strong>de</strong> Chine sur un papier presque<br />

transparent.<br />

Le graveur va ensuite graver plusieurs planches<br />

<strong>de</strong> bois pour procé<strong>de</strong>r à l’impression.<br />

Il commence par faire une planche <strong>de</strong> trait<br />

(les traits <strong>de</strong>s contours noirs) : il colle la feuille<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin donnée par l’artiste sur une planche, la<br />

face <strong>de</strong>ssinée contre le bois. La nesse du papier<br />

lui permet <strong>de</strong> voir le <strong>de</strong>ssin par transparence.<br />

Il évi<strong>de</strong> la planche en préservant seulement le<br />

tracé et les aplats noirs.<br />

Après avoir gravé la planche <strong>de</strong> trait, l’artisan<br />

l’encre et imprime plusieurs feuilles transparentes<br />

(il en tire autant d’exemplaires que <strong>de</strong> couleurs<br />

envisagées).<br />

Une fois en possession <strong>de</strong> toutes les épreuves<br />

<strong>de</strong> trait nécessaires, imprimées sur papier<br />

transparent, le graveur les colle chacune sur une<br />

planche différente et grave les éléments associés<br />

à chaque couleur.<br />

Il obtient une planche gravée pour chacune<br />

d’entre elles, utilisant les bois recto‐verso par<br />

souci d’économie et <strong>de</strong> rangement.<br />

Ainsi, pour produire certaines estampes, il faut<br />

graver plus <strong>de</strong> quinze planches différentes.<br />

Une fois la planche <strong>de</strong> trait et les planches <strong>de</strong><br />

couleur gravées, l’imprimeur peut – en accord<br />

avec l’artiste, qui choisit les couleurs, indique les<br />

dégradés et les divers effets à obtenir – commencer<br />

le travail <strong>de</strong> tirage.<br />

Il applique l’encre sur la planche <strong>de</strong> trait à<br />

l’ai<strong>de</strong> d’une brosse à poils courts et pose la feuille<br />

<strong>de</strong>ssus, il utilise ensuite un baren, tampon circulaire,<br />

pour exercer une pression répartie uniformément<br />

sur la feuille.<br />

Il place cette épreuve <strong>de</strong> trait sur la première<br />

planche <strong>de</strong> couleur en se servant d’encoches<br />

<strong>de</strong> repérage placées sur la planche pour caler<br />

la feuille et éviter les décalages. Il exerce une<br />

pression sur la feuille à l’ai<strong>de</strong> du baren pour que<br />

l’encre adhère bien au papier et répète cette<br />

opération autant <strong>de</strong> fois qu’il y a <strong>de</strong> planches.<br />

Un imprimeur habile obtient <strong>de</strong>s dégradés<br />

subtils, en essuyant l’encre avec une petite<br />

éponge. Il se sert également <strong>de</strong>s bres du bois,<br />

exerce <strong>de</strong>s pressions différentes pour obtenir<br />

<strong>de</strong>s variations d’intensité : la qualité <strong>de</strong> l’estampe<br />

dépend beaucoup du talent <strong>de</strong> l’imprimeur.<br />

Les couleurs étaient fabriquées à partir <strong>de</strong><br />

pigments d’origine végétale ou minérale.<br />

Le bleu <strong>de</strong> Prusse (<strong>de</strong> composition chimique)<br />

importé <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong> apparaît seulement au XIX e<br />

siècle et sera abondamment utilisé, notamment<br />

pour les paysages.<br />

La feuille imprimée se présente dans le même<br />

sens que le <strong>de</strong>ssin original. La qualité <strong>de</strong> l’épreuve<br />

est aussi très différente selon le nombre d’exemplaires<br />

imprimés. Les cent premières épreuves<br />

sont tirées avec soin, sur du papier <strong>de</strong> qualité ;<br />

d’un prix élevé, elles s’adressent à une clientèle<br />

choisie.<br />

Ensuite <strong>de</strong> très nombreuses épreuves peuvent<br />

être imprimées pour le grand public, sur un<br />

papier <strong>de</strong> moindre qualité avec plus ou moins<br />

<strong>de</strong> soin, selon le prix <strong>de</strong>mandé.<br />

Les estampes sont alors vendues en librairie,<br />

par colportage ou sur les marchés en fonction<br />

du public visé et du prix pratiqué.<br />

14


Utagawa Hiroshige Hommes allumant leur pipe <strong>de</strong>vant le mont Asama Série <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid, 1838-1842, nishiki-e<br />

(estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. 25,3 x 35,7 cm.<br />

© Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n/Musée national d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 2751-19<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

15


Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon<br />

16


BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE DE VINCENT VAN GOGH (1853 – 1890)<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

30 mars 1853 : naissance <strong>de</strong> Vincent Willem<br />

van Gogh dans le village <strong>de</strong> Groot-Zun<strong>de</strong>rt<br />

(Brabant septentrional, Pays-Bas), exactement<br />

un an après le décès <strong>de</strong> son grand frère Vincent<br />

Willem, mort-né. Van Gogh est l’aîné d’une<br />

famille <strong>de</strong> six enfants. Son père est pasteur <strong>de</strong> la<br />

communauté réformée <strong>de</strong>s Pays-Bas et sa mère<br />

est lle d’un relieur <strong>de</strong> La Haye. En 1857, naît son<br />

frère Theodorus (dit Theo).<br />

Il passe son enfance à la campagne et grandit<br />

entouré <strong>de</strong> livres. À l’âge <strong>de</strong> 11 ans, ses parents<br />

l’envoient en pension où il apprend le français,<br />

l’allemand et l’anglais. Van Gogh réalise ses premiers<br />

<strong>de</strong>ssins.<br />

1869 : Van Gogh entre en apprentissage à<br />

la galerie Goupil & Cie <strong>de</strong> son oncle à La Haye.<br />

Il y vend <strong>de</strong>s reproductions et <strong>de</strong>s originaux<br />

d’artistes célèbres.<br />

1872 : début <strong>de</strong> la correspondance entre<br />

Vincent et son frère Theo.<br />

1873 : sur recommandation <strong>de</strong> son oncle,<br />

il est envoyé en janvier 1873 à la succursale<br />

<strong>de</strong> la galerie Goupil & Cie à Bruxelles, puis en<br />

mai à celle <strong>de</strong> Londres. Avant <strong>de</strong> s’embarquer<br />

pour l’Angleterre, il s’arrête à <strong>Paris</strong>, où il visite le<br />

Louvre. Van Gogh reste une année à Londres :<br />

il visite les musées et découvre les peintres<br />

Constable et Turner. Van Gogh s’éprend <strong>de</strong> la lle<br />

<strong>de</strong> sa logeuse, Ursula, mais est éconduit. Déçu, il<br />

passe <strong>de</strong>s vacances en famille en 1874. De retour<br />

à Londres, il néglige son travail.<br />

1875 : Van Gogh est muté à la galerie Goupil<br />

& Cie <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> où il développe un dégoût pour<br />

le commerce <strong>de</strong> l’art et un intérêt croissant pour<br />

la chose religieuse. Il lit quotidiennement la Bible<br />

mais visite également les musées et galeries d’art,<br />

où il s’enthousiasme pour Corot et les maîtres<br />

hollandais du XVII e siècle.<br />

1876 : il quitte son emploi et retourne vivre<br />

avec ses parents désormais installés à Etten,<br />

près <strong>de</strong> Breda. Vincent retourne peu <strong>de</strong> temps<br />

après en Angleterre où il <strong>de</strong>vient instituteur puis<br />

prédicateur.<br />

1877 : Van Gogh part à Amsterdam an <strong>de</strong><br />

préparer les examens d’entrée à la faculté <strong>de</strong><br />

théologie (échec) puis à Bruxelles en 1878 pour<br />

suivre <strong>de</strong>s cours an <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir prédicateur laïc<br />

(nouvel échec).<br />

1879 : il obtient une mission d’évangéliste<br />

<strong>de</strong> six mois en Belgique, auprès <strong>de</strong>s mineurs<br />

<strong>de</strong> charbon du Borinage, dans la région <strong>de</strong><br />

Mons. Vincent s’engage avec zèle et vit dans une<br />

extrême pauvreté (il dort sur la paille) ; cette attitu<strong>de</strong><br />

déplaît à ses supérieurs qui ne renouvellent<br />

pas sa charge, cependant il poursuit son apostolat<br />

à titre personnel sans être payé jusqu’en juillet<br />

1880. Il réalise <strong>de</strong> nombreux croquis et <strong>de</strong>ssins<br />

<strong>de</strong>s mineurs et lit intensément Dickens, Hugo et<br />

Shakespeare. Van Gogh traverse une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

crise et d’incertitu<strong>de</strong>s.<br />

1880 : Van Gogh déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir artistepeintre<br />

et s’exerce à peindre <strong>de</strong>s paysages, <strong>de</strong>s<br />

vues urbaines et apprend à <strong>de</strong>ssiner d’après un<br />

modèle. Il s’inscrit à l’Académie <strong>de</strong>s beaux-arts<br />

<strong>de</strong> Bruxelles, mais préfère travailler <strong>de</strong> manière<br />

indépendante. Il admire et copie les artistes tels<br />

que Damier, Millet et Rembrandt. Van Gogh rencontre<br />

le peintre Rid<strong>de</strong>r van Rappart avec qui<br />

il partage son goût pour la peinture <strong>de</strong> paysans<br />

et <strong>de</strong> travaux dans les champs.<br />

1881 : son frère Theo travaille désormais au<br />

siège <strong>de</strong> la maison Goupil & Cie à <strong>Paris</strong> et déci<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> subvenir aux besoins <strong>de</strong> Vincent. Après un<br />

passage à Etten dans sa famille où il tombe amoureux<br />

<strong>de</strong> sa cousine, il séjourne chez son cousin<br />

par alliance, le peintre paysagiste Anton Mauve<br />

à La Haye.<br />

17


1882 : suite à une dispute avec son père,<br />

Vincent déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’installer à La Haye, chez<br />

Mauve, pour étudier. Van Gogh peint pour la<br />

première fois <strong>de</strong>s natures mortes à l’huile ainsi<br />

que <strong>de</strong>s aquarelles. Sa relation avec Sien, une<br />

prostituée alcoolique enceinte, mécontente sa<br />

famille et Vincent se brouille avec Mauve. Il peint<br />

et <strong>de</strong>ssine <strong>de</strong>s paysages d’après nature, réalise<br />

<strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> gens du peuple, <strong>de</strong> vieillards et<br />

<strong>de</strong> Sien avec son nouveau‐né. Ses lectures, par<br />

exemple Émile Zola, enrichissent sa vision du<br />

mon<strong>de</strong> et renforcent ses convictions sociales.<br />

1883 : Vincent se sépare <strong>de</strong> Sien et va vivre<br />

seul dans la province <strong>de</strong> la Drenthe, dans le<br />

Nord <strong>de</strong>s Pays‐Bas. Il peint et <strong>de</strong>ssine les paysans<br />

<strong>de</strong> la région au cœur <strong>de</strong> paysages sombres<br />

et tourbiers. Au mois <strong>de</strong> décembre, il retourne<br />

habiter avec ses parents désormais installés à<br />

Nuenen (dans le Brabant).<br />

1883‐1885 : Nuenen. Pendant ces <strong>de</strong>ux<br />

années, Van Gogh se consacre au <strong>de</strong>ssin et à la<br />

peinture. Il réalise environ <strong>de</strong>ux cents toiles aux<br />

tonalités terreuses et sombres et aux coups <strong>de</strong><br />

brosse expressifs. Il représente la campagne environnante,<br />

<strong>de</strong>s paysans au travail, <strong>de</strong>s tisserands.<br />

Van Gogh peint une quarantaine d’étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

têtes <strong>de</strong> paysans et <strong>de</strong> paysannes ; cette série<br />

constitue l’amorce <strong>de</strong> son premier grand tableau :<br />

Les Mangeurs <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre (qu’il réalise<br />

en avril 1885).<br />

1885‐1886 : le père <strong>de</strong> Vincent meurt.<br />

En novembre, il se rend à Anvers afin <strong>de</strong> se<br />

perfectionner dans la peinture <strong>de</strong> personnage.<br />

Van Gogh entre en contact avec <strong>de</strong>s artistes et<br />

essaye <strong>de</strong> vendre <strong>de</strong>s toiles. Il s’intéresse au peintre<br />

Rubens, découvre et achète <strong>de</strong>s estampes<br />

japonaises. Enn, il suit quelques cours à l’École<br />

<strong>de</strong>s beaux‐arts.<br />

1886‐1888 : <strong>Paris</strong>. En février, Van Gogh<br />

s’installe chez son frère Theo dans le quartier <strong>de</strong><br />

Montmartre à <strong>Paris</strong>, alors en pleine effervescence<br />

artistique. Il découvre les peintres impressionnistes<br />

et postimpressionnistes et se lie avec certains<br />

d’entre eux : Paul Gauguin, Émile Bernard, Henri<br />

<strong>de</strong> Toulouse‐Lautrec, Paul Signac et Georges<br />

Seurat. Vincent étudie dans l’atelier du peintre<br />

académique Fernand Cormon mais n’y reste<br />

que peu <strong>de</strong> temps, préférant travailler seul. Avec<br />

une palette beaucoup plus claire qu’à Nuenen, il<br />

peint la vie parisienne (Montmartre, les Grands<br />

Boulevards, Le Moulin <strong>de</strong> la Galette, Le Tambourin),<br />

<strong>de</strong>s eurs et au moins vingt‐cinq autoportraits,<br />

faute <strong>de</strong> pouvoir se payer <strong>de</strong>s modèles. Sous<br />

l’inuence du néo‐impressionnisme, il compose<br />

alors ses tableaux à partir <strong>de</strong> petits points et<br />

<strong>de</strong> petits traits exécutés dans <strong>de</strong>s tons vifs et<br />

clairs. Van Gogh est inuencé par les estampes<br />

japonaises qu’il achète dans la boutique <strong>de</strong><br />

Samuel Bing ; il organise une exposition <strong>de</strong> sa<br />

collection dans le cabaret Le Tambourin en mars<br />

1887. Il copie même trois estampes (dont <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong> Hiroshige) et en intègre dans ses tableaux (par<br />

exemple : Le Père Tanguy, 1887). L’inuence <strong>de</strong>s<br />

artistes japonais est également visible dans son<br />

choix <strong>de</strong> compositions singulières aux couleurs<br />

puissantes et aux contours marqués.<br />

1888–1889 : Arles. En février, Van Gogh,<br />

fatigué <strong>de</strong> sa vie parisienne, s’installe dans le<br />

Sud <strong>de</strong> la France, à Arles. Bien qu’il arrive en<br />

plein hiver, la lumière provençale va bouleverser<br />

son travail. « [...] le pays me parait aussi beau<br />

que le Japon pour la limpidité <strong>de</strong> l’atmosphère<br />

et les effets <strong>de</strong> couleur gaie », dit‐il dans une<br />

lettre à Émile Bernard. Il peint <strong>de</strong>s paysages<br />

(vergers en eur, ponts, champs), <strong>de</strong>s natures<br />

mortes (fleurs) et quelques portraits. Dans<br />

ses toiles, Van Gogh accentue l’opposition <strong>de</strong>s<br />

couleurs complémentaires : rouge /vert, bleu /<br />

orange ou jaune /violet. Il réinvente la Provence<br />

et lui donne <strong>de</strong> nouvelles teintes ; il applique <strong>de</strong><br />

lour<strong>de</strong>s couches <strong>de</strong> peinture sur ses toiles et<br />

laisse apparaître l’épaisseur <strong>de</strong> la peinture en<br />

superposant les couches.<br />

Cependant, Van Gogh a du mal à s’intégrer ;<br />

il se sent seul et visite peu la région, mais passe<br />

tout <strong>de</strong> même cinq jours aux Saintes‐Maries<strong>de</strong>‐la‐Mer<br />

(30 mai‐3 juin). Dans la Maison Jaune,<br />

qu’il loue <strong>de</strong>puis mai 1888, Van Gogh souhaite<br />

fon<strong>de</strong>r une colonie d’artistes avec son ami Paul<br />

Gauguin et quelques autres peintres. Gauguin<br />

arrive seulement à la n du mois d’octobre 1888.<br />

18


Mais très vite, <strong>de</strong>s conits naissent entre les <strong>de</strong>ux<br />

artistes et n décembre, Van Gogh menace son<br />

ami avec un couteau puis, pris d’un accès <strong>de</strong><br />

colère, se coupe un morceau d’oreille. Après<br />

une hospitalisation <strong>de</strong> plusieurs jours, il rentre à<br />

la Maison Jaune et se remet à peindre mais, en<br />

proie à <strong>de</strong>s hallucinations, il se fait interner au<br />

début du mois <strong>de</strong> février.<br />

Van Gogh est perçu comme un danger public<br />

et une pétition circule <strong>de</strong>mandant l’internement<br />

ou l’expulsion du peintre <strong>de</strong> la ville. Au mois <strong>de</strong><br />

mai 1889, et en accord avec le docteur Rey, il se<br />

fait interner à l’asile <strong>de</strong> Saint‐Paul‐<strong>de</strong>‐Mausole<br />

à Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence. Durant son séjour à<br />

Arles, Vincent a réalisé plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents toiles,<br />

une centaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins et écrit plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

cents lettres.<br />

1889‐1890 : asile <strong>de</strong> Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence.<br />

Le docteur Peyron lui permet <strong>de</strong> continuer à travailler.<br />

Van Gogh peint les couloirs, les chambres,<br />

le jardin et la vue qu’il a <strong>de</strong> sa fenêtre. Lorsque sa<br />

santé le permet, il peut même sortir et travailler<br />

à l’extérieur <strong>de</strong> l’hôpital. Il réalise <strong>de</strong>s paysages<br />

peuplés <strong>de</strong> champs, <strong>de</strong> cyprès et d’oliviers. Sa<br />

touche est empâtée, vive, tourmentée : tout suggère<br />

le mouvement (spirales, vagues, remous).<br />

N’ayant pas <strong>de</strong> modèle à sa disposition, il copie les<br />

grands maîtres (Rembrandt, Millet, Gustave Doré,<br />

Delacroix) an <strong>de</strong> travailler la gure humaine. En<br />

janvier 1890, Van Gogh vend sa première toile, La<br />

Vigne rouge et un article élogieux d’Albert Aurier<br />

paraît dans le Mercure <strong>de</strong> France. Désireux <strong>de</strong> le<br />

voir quitter l’asile <strong>de</strong> Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence,<br />

Theo prépare la venue <strong>de</strong> son frère près <strong>de</strong> <strong>Paris</strong><br />

en rencontrant le docteur Gachet qui soigne les<br />

maladies nerveuses à Auvers‐sur‐Oise.<br />

1890 : Auvers‐sur‐Oise. Après un bref séjour<br />

à <strong>Paris</strong>, Vincent s’installe à Auvers‐sur‐Oise, un<br />

village proche <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> attirant beaucoup d’artistes<br />

(Cézanne, Pissarro, Sisley, Monet). Le docteur<br />

Gachet est également un peintre et un collectionneur.<br />

Les <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong>viennent amis et<br />

outre les conseils d’ordre médical, le docteur lui<br />

apprend la technique <strong>de</strong> la gravure. Séduit par<br />

son environnement qui lui rappelle son pays natal,<br />

il est très productif, peignant une à trois toiles<br />

par jour. Il se consacre à la peinture <strong>de</strong> vignes, <strong>de</strong><br />

vieilles maisons au toit <strong>de</strong> chaume, <strong>de</strong> champs <strong>de</strong><br />

blé et exécute quelques portraits ; il réalise un<br />

grand nombre <strong>de</strong> tableaux et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins, dont<br />

quelques grands paysages horizontaux, comme le<br />

Champ <strong>de</strong> blé avec vol <strong>de</strong> corbeaux. Peu à peu, les<br />

personnages disparaissent <strong>de</strong>s toiles. Sa touche<br />

est spontanée, expressive, épaisse, pâteuse. Les<br />

traces <strong>de</strong> brosse sont <strong>de</strong> plus en plus visibles et<br />

le noir, le violet et le gris dominent.<br />

27 juillet 1890 : Van Gogh se tire une balle<br />

dans la poitrine et succombe <strong>de</strong>ux jours plus<br />

tard à ses blessures.<br />

Van Gogh ne connaîtra pas la gloire <strong>de</strong> son<br />

vivant car sa peinture n’intéresse pas les acheteurs<br />

et les galeristes, qui la considèrent comme<br />

désordonnée et confuse. Cependant, beaucoup<br />

d’artistes qui lui sont contemporains apprécient<br />

et respectent son travail. Ce n’est qu’après sa<br />

mort, et grâce à la veuve <strong>de</strong> son frère Theo,<br />

Johanna Bonger, que Van Gogh va être découvert<br />

par un plus large public. La peinture <strong>de</strong> Van<br />

Gogh laisse son empreinte auprès <strong>de</strong> courants<br />

artistiques du XX e siècle tels que l’expressionnisme<br />

et le fauvisme. En effet, les expressionnistes<br />

considèrent Van Gogh comme un modèle. Ils<br />

utilisent la peinture pour dire leur perception <strong>de</strong><br />

la réalité, exprimer <strong>de</strong>s sensations et sentiments,<br />

ou encore traduire leur vision individuelle du<br />

mon<strong>de</strong>. Ils s’inspirent <strong>de</strong> la touche nerveuse et<br />

<strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> la couleur <strong>de</strong> Van Gogh pour<br />

dépeindre <strong>de</strong>s émotions. Concernant les artistes<br />

fauves, tels que Derain et Matisse, ils s’inspirent<br />

<strong>de</strong>s recherches chromatiques <strong>de</strong> Van Gogh et <strong>de</strong><br />

son utilisation non conventionnelle <strong>de</strong> la couleur<br />

(juxtaposition <strong>de</strong> teintes complémentaires, aplats<br />

<strong>de</strong> couleurs, etc.).<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

19


Autoportraits<br />

Van Gogh a réalisé plus <strong>de</strong> quarante‐trois<br />

autoportraits, peints ou <strong>de</strong>ssinés, au cours<br />

<strong>de</strong> sa carrière artistique. Beaucoup <strong>de</strong> ses<br />

toiles sont <strong>de</strong> petite dimension : ces essais lui<br />

permettent d’expérimenter les techniques<br />

artistiques qu’il découvre. Ainsi, on peut suivre<br />

ses recherches picturales, ses ambitions<br />

artistiques, ses inuences mais également<br />

les années qui passent. Il réalise son premier<br />

autoportrait à <strong>Paris</strong> en 1886 et c’est dans<br />

cette ville qu’il en exécutera la majorité.<br />

Dans ses autoportraits, Van Gogh se met en<br />

scène, se représentant en tenue <strong>de</strong> peintre<br />

ou en costume, avec ou sans barbe, avec<br />

différents chapeaux, fumant la pipe, avec son<br />

bandage à l’oreille, etc. Ses peintures varient<br />

en intensité et en couleur, et les fonds sont<br />

comme un reet <strong>de</strong> ses états d’âmes et <strong>de</strong><br />

ses tourments. Il s’observe sans complaisance<br />

et s’intéresse moins à la réalité extérieure<br />

qu’à la représentation <strong>de</strong> ses sentiments<br />

intérieurs. Van Gogh écrit à sa sœur : « Je<br />

recherche une ressemblance plus profon<strong>de</strong><br />

que celle qu’obtient le photographe. » Et plus<br />

tard à son frère : « On dit – et je le crois fort<br />

volontiers – qu’il est difcile <strong>de</strong> se connaitre<br />

soi‐même – mais il n’est pas aisé non plus <strong>de</strong><br />

se peindre soi‐même. »<br />

Vincent Van Gogh Le Semeur c. 17-28 juin 1888, huile sur toile, 64,2 x 80,3 cm. Signée en bas à gauche : Vincent<br />

© Collection Kröller-Müller Museum, Otterlo, The Netherlands<br />

20


UN AUTRE REGARD SUR LE JAPONISME 1<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Fascination pour le japonisme :<br />

les années 1860<br />

Dans les années 1860, le Japon <strong>de</strong>vient à son<br />

tour une source d’inspiration majeure pour les<br />

peintres français. En effet, les relations entre les<br />

<strong>de</strong>ux pays s’intensient suite à la restauration <strong>de</strong><br />

Meiji. Les artistes européens font connaissance<br />

avec les estampes ukiyo‐e par le biais d’expositions<br />

(Londres 1862, <strong>Paris</strong> 1867, 1878, 1889) ou<br />

<strong>de</strong> collectionneurs privés, tels que Samuel Bing<br />

ou Felix Bracquemond.<br />

Ce moyen d’expression exotique <strong>de</strong>vient vite<br />

une source d’inspiration, grâce aux estampes <strong>de</strong><br />

Hiroshige, Hokusai ou Utamaro : les impressionnistes<br />

revoient les règles académiques <strong>de</strong> la composition,<br />

<strong>de</strong> la lumière ou <strong>de</strong> la perspective, en<br />

introduisant une conception nouvelle <strong>de</strong> l’esthétique<br />

basée sur <strong>de</strong>s pivots « peu conventionnels »<br />

– perspective inclinée, mise un évi<strong>de</strong>nce d’un<br />

élément peu important, haute ligne d’horizon,<br />

etc. En 1872, le collectionneur Philippe Burty<br />

donne un nom à cet ensemble <strong>de</strong> nouveaux<br />

concepts, en parlant <strong>de</strong> « japonisme » dans un<br />

<strong>de</strong> ses articles. Ce terme désigne alors l’intérêt<br />

pour tout ce qui provient du Japon : art, objets,<br />

décors, etc.<br />

En 1969, une exposition est présentée au<br />

musée oriental <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>, où <strong>de</strong>s objets japonais<br />

<strong>de</strong> toutes sortes sont mis en parallèle avec <strong>de</strong>s<br />

pièces similaires provenant d’autres cultures<br />

asiatiques. Cette exposition, qui est largement<br />

commentée dans la presse quotidienne, donne<br />

<strong>de</strong> précieuses indications sur les différentes<br />

façons dont les objets japonais s’intègrent dans<br />

la culture artistique parisienne. Le public intéressé<br />

peut désormais en examiner une gran<strong>de</strong><br />

variété, et la rapidité avec laquelle les collections<br />

se constituent alors va apporter <strong>de</strong>s changements<br />

importants dans l’art et la culture <strong>de</strong><br />

toute l’Europe. Cette inuence est déjà manifeste<br />

dans le Portrait <strong>de</strong> Madame Camus (1869) par<br />

Degas, qui y peint l’épouse d’un riche mé<strong>de</strong>cin<br />

et porte ainsi l’enthousiasme pour le Japon à un<br />

niveau supérieur. Certes, Madame Camus tient<br />

un éventail japonais à la main, ce qui pourrait<br />

n’être qu’un simple hommage à la culture nippone,<br />

mais Degas témoigne ici d’une déférence<br />

encore plus profon<strong>de</strong> envers l’art japonais et ses<br />

objets quotidiens. En effet, en plaçant le modèle<br />

sur le côté <strong>de</strong> la toile, <strong>de</strong> prol, il ne cherche<br />

pas tant à représenter un contexte anecdotique<br />

qu’à révéler les éléments <strong>de</strong> l’esthétique japonaise<br />

susceptibles <strong>de</strong> modier les conventions<br />

artistiques occi<strong>de</strong>ntales. Dans cette œuvre,<br />

Degas anticipe les éléments <strong>de</strong> composition et<br />

<strong>de</strong> traitement <strong>de</strong> l’espace qui vont inuencer<br />

la conception picturale durant les décennies à<br />

venir – un aspect fort important du début <strong>de</strong> la<br />

fascination pour le Japon.<br />

D’autres artistes renommés introduisent<br />

<strong>de</strong>s éléments japonisants dans leurs tableaux<br />

– Olympia, dans la peinture éponyme d’Édouard<br />

Manet (1863), est placée dans un environnement<br />

oriental ; le peintre introduit également un paravent<br />

japonais et une estampe dans son Portrait<br />

d’Émile Zola, prouvant ainsi que le japonisme<br />

est présent dans les milieux littéraires. Manet<br />

est inuencé par les techniques <strong>de</strong> l’ukiyo‐e, qu’il<br />

reproduit notamment dans son œuvre En bateau<br />

(1874) ou encore dans Le Chemin <strong>de</strong> fer (1873).<br />

Henri <strong>de</strong> Toulouse‐Lautrec reçoit une inuence<br />

similaire, s’inspirant même <strong>de</strong>s sceaux japonais<br />

que l’on trouve sur les estampes pour sa signature.<br />

Clau<strong>de</strong> Monet possè<strong>de</strong> une collection <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux cent cinquante estampes japonaises dans<br />

sa maison <strong>de</strong> Giverny. Il représente le petit pont<br />

<strong>de</strong> style japonais enjambant son étang dans les<br />

couleurs <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> Hiroshige. Il a également<br />

peint La Japonaise (1876) en représentant<br />

sa femme dans un kimono.<br />

1. D’après Dr Gabriel P. WEISBERG, « Un autre regard sur le japonisme », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions<br />

<strong>de</strong> la <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012, pp. 8‐21.<br />

21


Le japonisme et l’impressionnisme<br />

Dès 1874, les expositions impressionnistes<br />

<strong>de</strong>viennent le point <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>s<br />

expérimentations visuelles suscitées par la<br />

découverte <strong>de</strong> l’art du Japon. Tous les ans, les<br />

membres du groupe envoient <strong>de</strong>s toiles qui<br />

témoignent soit <strong>de</strong> l’engouement pour les<br />

objets japonais, soit <strong>de</strong>s différentes assimilations<br />

<strong>de</strong>s conventions plastiques <strong>de</strong>s estampes<br />

japonaises : forme sans mo<strong>de</strong>lé, asymétrie<br />

<strong>de</strong> la composition et perspective en vue<br />

plongeante. Cette première phase d’inuence<br />

artistique donne notamment lieu à la gran<strong>de</strong><br />

toile <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Monet, La Japonaise. Présentée<br />

à la <strong>de</strong>uxième exposition impressionniste <strong>de</strong><br />

1876, cette composition s’inscrit pleinement<br />

dans le style du Salon tout en recréant un<br />

environnement pseudo‐japonais, comme en<br />

témoignent les nombreux éventails xés au<br />

mur <strong>de</strong> l’arrière‐plan. Monet veut <strong>de</strong> cette<br />

manière reproduire l’atmosphère régnant dans<br />

<strong>de</strong> nombreuses maisons et ateliers parisiens<br />

– peut‐être ceux <strong>de</strong> ses amis impressionnistes.<br />

Le mouvement du japonisme <strong>de</strong>venant <strong>de</strong><br />

plus en plus populaire, <strong>de</strong> nombreux artistes, par<br />

divers moyens, développent leur collection d’objets<br />

japonais tandis que les critiques d’art publient<br />

<strong>de</strong>s articles sur ce tout nouvel engouement.<br />

Le Japon en France : Cézanne et Gauguin<br />

On a longtemps considéré que Paul Cézanne n’a<br />

pas montré le moindre intérêt pour l’art japonais,<br />

mais <strong>de</strong>s éléments prouvant le contraire<br />

se font jour <strong>de</strong>puis plusieurs années. En réalité,<br />

il apprécie les estampes japonaises au point <strong>de</strong><br />

transposer <strong>de</strong>s vues du Japon dans <strong>de</strong>s paysages<br />

du Sud <strong>de</strong> la France où il vit 2 .<br />

Il est donc fort possible que Cézanne ait étudié<br />

<strong>de</strong>s estampes japonaises pour comprendre<br />

comment traiter <strong>de</strong>s formes planes et simplier<br />

ses compositions, mais cela reste <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong><br />

l’hypothèse tant il est difcile d’i<strong>de</strong>ntier <strong>de</strong> quels<br />

ukiyo‐e il se serait inspiré. Aujourd’hui, rien ne<br />

permet d’afrmer non plus que Cézanne collectionne<br />

les estampes ; et il reste exclu qu’Émile<br />

Zola, avec qui il s’était lié d’amitié durant leur<br />

adolescence à Aix‐en‐Provence, ait pu partager<br />

avec lui son intérêt pour le japonisme, puisque<br />

les <strong>de</strong>ux artistes ne se fréquentent déjà plus à<br />

cette pério<strong>de</strong>.<br />

Cependant, les trente‐six vues qu’il peint <strong>de</strong><br />

la montagne Sainte‐Victoire – l’énorme massif<br />

dominant la campagne aixoise – au tout début <strong>de</strong><br />

sa carrière, accrédite la possibilité <strong>de</strong> l’inuence<br />

<strong>de</strong>s estampes japonaises sur son œuvre. Il ne<br />

fait aucun doute qu’il s’est inspiré ici <strong>de</strong>s nombreuses<br />

estampes <strong>de</strong> Hokusai représentant le<br />

mont Fuji, et qu’il ait été inuencé par le traitement<br />

du même thème par d’autres graveurs.<br />

En s’intéressant à la masse <strong>de</strong> la montagne et à<br />

ses différents aspects sous différentes lumières,<br />

Cézanne adopte les représentations <strong>de</strong>s artistes<br />

japonais – notamment Hokusai – à tel point<br />

que le karma du cône volcanique japonais vient<br />

habiter la montagne Sainte‐Victoire, au cœur <strong>de</strong><br />

la Provence.<br />

Le japonisme est aussi à l’origine <strong>de</strong> ce que<br />

Paul Gauguin, autre artiste qui expose avec les<br />

impressionnistes, considère comme sa première<br />

toile traitant d’un thème religieux : La Vision après<br />

le sermon (La Lutte <strong>de</strong> Jacob avec l’ange). Cette<br />

peinture joue un rôle clé dans le nouveau style<br />

adopté par Gauguin, et lui permet <strong>de</strong> se distinguer<br />

au point <strong>de</strong> servir <strong>de</strong> modèle à <strong>de</strong> nombreux<br />

jeunes artistes <strong>de</strong> Bretagne et <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>, particulièrement<br />

au sein du groupe connu sous le nom<br />

<strong>de</strong> Nabis. Le point capital <strong>de</strong> cette œuvre rési<strong>de</strong><br />

dans la façon dont Gauguin assimile les sources<br />

japonaises qui, en 1888, sont exceptionnellement<br />

bien documentées et connues. Que Gauguin ait<br />

utilisé <strong>de</strong>ux lutteurs d’une page <strong>de</strong>s manga <strong>de</strong><br />

Hokusai ou d’autres images japonaises parues<br />

dans le magazine inuent <strong>de</strong> Siegfried Bing, Le<br />

Japon artistique, il reste que ces représentations<br />

sont <strong>de</strong> véritables catalyseurs pour l’imagination<br />

créatrice du peintre. Cette œuvre, achevée juste<br />

avant que Gauguin n’aille rejoindre Van Gogh à<br />

Arles, laisse également présager <strong>de</strong> la teneur<br />

2. Hi<strong>de</strong>michi TANAKA, « Cézanne and Japonisme », in Artibus et historiae 22, n° 44, 2001, pp. 201‐220. Cette analyse originale <strong>de</strong> la<br />

conception que Cézanne a du japonisme est soutenue par la gigantesque exposition sur le japonisme organisée par Geneviève<br />

Lacambre en 1988 – qui comprend un tableau <strong>de</strong> Cézanne.<br />

22


<strong>de</strong>s discussions entre les <strong>de</strong>ux peintres à propos<br />

<strong>de</strong> l’art japonais durant la pério<strong>de</strong> où ils<br />

séjournent ensemble dans le Sud <strong>de</strong> la France.<br />

Vincent est en étroite relation avec le marchand<br />

d’art et collectionneur Siegfried Bing, qu’il ai<strong>de</strong><br />

notamment à vendre <strong>de</strong>s estampes japonaises<br />

aux artistes. Vincent a ainsi <strong>de</strong> nombreuses<br />

opportunités d’étudier <strong>de</strong>s centaines d’estampes<br />

dans le grenier <strong>de</strong> la boutique <strong>de</strong> Bing au<br />

19, rue Chauchat. Les positions communes <strong>de</strong><br />

Van Gogh et <strong>de</strong> Gauguin à propos du Japon se<br />

fon<strong>de</strong>nt sur la conviction que l’art japonais était<br />

capable <strong>de</strong> libérer le leur <strong>de</strong> la dépendance <strong>de</strong>s<br />

représentations naturalistes.<br />

Du japonisme à l’abstraction<br />

Au début <strong>de</strong>s années 1890, même si le japonisme<br />

reste populaire et que la fascination pour les<br />

objets nippons considérés comme chics ne se<br />

dément pas, le mouvement prend <strong>de</strong>s orientations<br />

plus sérieuses. Dans le mon<strong>de</strong> entier, on<br />

collectionne aussi bien les céramiques japonaises<br />

que les estampes ukiyo‐e et d’importantes expositions<br />

encouragent cette appréciation grandissante.<br />

Parmi celles‐ci, citons la vaste présentation<br />

d’estampes japonaises qui se tient à l’École <strong>de</strong>s<br />

beaux‐arts en 1890, où les œuvres d’Utamaro<br />

et <strong>de</strong> Sharaku côtoient notamment celles <strong>de</strong><br />

Hokusai et <strong>de</strong> Hiroshige. Elle est à l’origine <strong>de</strong><br />

l’idée selon laquelle toutes les formes artistiques<br />

japonaises, <strong>de</strong> la peinture aux arts appliqués, ont<br />

le même <strong>de</strong>gré d’importance dans la mesure où<br />

elles proviennent du Japon.<br />

La simplication <strong>de</strong>s formes et l’utilisation<br />

<strong>de</strong> couleurs en aplat, que Gauguin intègre dans<br />

son œuvre dès 1888, <strong>de</strong>viennent le credo d’une<br />

jeune génération <strong>de</strong> peintres. Des Nabis comme<br />

Maurice Denis, Pierre Bonnard et Félix Vallotton,<br />

tous collectionneurs d’estampes japonaises, s’inspirent<br />

avec ferveur <strong>de</strong> cet art. Le Bain au soir<br />

d’été <strong>de</strong> Vallotton (1892‐1893) est une interprétation<br />

<strong>de</strong> Femmes au bain public <strong>de</strong> Kiyonaga ; il<br />

y ajoute seulement un plus grand nombre <strong>de</strong><br />

gures apposées selon un dispositif décoratif an<br />

<strong>de</strong> renforcer les principes bidimensionnels <strong>de</strong> la<br />

surface plane.<br />

Après le tournant du siècle, l’art japonais continue<br />

à exercer une énorme inuence, surtout<br />

hors <strong>de</strong> France. À Vienne, dans les peintures <strong>de</strong><br />

Gustav Klimt, les éléments japonais sont si profondément<br />

assimilés qu’il <strong>de</strong>vient compliqué <strong>de</strong><br />

dénir exactement d’où provient telle ou telle<br />

inuence, notamment dans ses portraits. Ainsi,<br />

dans son portrait majestueux d’A<strong>de</strong>le Bloch<br />

Bauer, la robe représentée comme une étendue<br />

plane ainsi que les nombreux éléments décoratifs<br />

qui l’ornent rappellent aussi bien <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong><br />

batiks javanais que <strong>de</strong>s motifs empruntés aux<br />

kimonos japonais. La composition (à l’exception<br />

<strong>de</strong> ses mains) prouve que les portraits ne sont<br />

plus considérés comme <strong>de</strong>vant être <strong>de</strong>s représentations<br />

réalistes <strong>de</strong> leur modèle. L’abstraction<br />

s’impose désormais comme le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> créativité<br />

approprié et l’assimilation <strong>de</strong> l’art japonais<br />

– notamment <strong>de</strong>s estampes – conduit les artistes<br />

<strong>de</strong> tous les pays à repenser la façon dont ils<br />

représentent le mon<strong>de</strong> naturel, loin <strong>de</strong> l’esthétique<br />

naturaliste traditionnelle toujours en vogue<br />

en Occi<strong>de</strong>nt.<br />

D’autres façons <strong>de</strong> voir le japonisme<br />

L’obsession pour le Japon affecte différemment<br />

d’autres artistes. Certains, éprouvant la nécessité<br />

d’obtenir <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong> première<br />

main sur ce pays, s’en remettent à l’utilisation<br />

<strong>de</strong> l’appareil photographique pour gar<strong>de</strong>r trace<br />

<strong>de</strong>s gens et <strong>de</strong>s lieux. Intrigué par les premières<br />

photographies du Japon, notamment celles <strong>de</strong><br />

Felice Beato (1832‐1909), le peintre américain<br />

Robert Blum s’y rend dans les années 1890<br />

an <strong>de</strong> se confronter aux réalités du pays et <strong>de</strong><br />

s’éloigner du mon<strong>de</strong> fantaisiste élaboré par tant<br />

<strong>de</strong> japonistes. Blum prend <strong>de</strong> très nombreuses<br />

photographies <strong>de</strong> la vie quotidienne, qu’il utilise<br />

dans la composition <strong>de</strong> ses propres <strong>de</strong>ssins et<br />

peintures. Durant son voyage au Japon, Blum est<br />

accompagné <strong>de</strong> Shugio Hiromichi, <strong>de</strong> la Première<br />

Compagnie <strong>de</strong> commerce et <strong>de</strong> manufacture<br />

japonaise, grâce à qui il peut être présenté à<br />

<strong>de</strong>s personnalités importantes – dont Hayashi<br />

Tadamasa, grand défenseur du japonisme en<br />

France qui soutient également <strong>de</strong> nombreux<br />

peintres japonais contemporains. Se déplacer<br />

librement amène Blum à photographier <strong>de</strong>s lieux<br />

inhabituels dont certains sont reproduits sous la<br />

forme <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins dans le Scribner’s Magazine, un<br />

23


<strong>de</strong>s périodiques les plus prestigieux et populaires<br />

<strong>de</strong> l’époque, qui sponsorise également ce voyage.<br />

Profondément enraciné dans le contexte <strong>de</strong>s<br />

débats artistiques <strong>de</strong> l’époque, le japonisme <strong>de</strong><br />

Blum révèle une tendance à un réalisme intensié,<br />

dans une pério<strong>de</strong> où les artistes, avec l’ai<strong>de</strong><br />

d’un outil mécanique, défen<strong>de</strong>nt l’illusion <strong>de</strong> la<br />

réalité comme nalité artistique en soi.<br />

En dépit <strong>de</strong> grands efforts pour mieux connaître<br />

le Japon et sa culture, cet intérêt va <strong>de</strong> pair<br />

avec une gran<strong>de</strong> confusion sur ce que sont le<br />

japonisme et le Japon. Dans l’esprit <strong>de</strong> certains<br />

créateurs, et certainement du public en général,<br />

les distinctions entre la Chine et le Japon restent<br />

très oues. Peu au fait <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art<br />

japonais, les collectionneurs ne peuvent souvent<br />

distinguer les objets japonais <strong>de</strong>s objets chinois,<br />

et certains artistes tournent en dérision ce type<br />

<strong>de</strong> confusion.<br />

Le japonisme a trop souvent été considéré<br />

comme un mouvement né avec l’apparition <strong>de</strong><br />

motifs japonais dans l’art par un processus d’emprunt<br />

direct, qui aurait abouti à l’assimilation à<br />

une gran<strong>de</strong> échelle <strong>de</strong> conceptions décoratives<br />

permettant aux artistes occi<strong>de</strong>ntaux <strong>de</strong> créer un<br />

« nouveau » langage plastique fondé sur l’abstraction.<br />

Certes, c’est en gran<strong>de</strong> partie exact, mais le<br />

japonisme a également évolué et a inuencé <strong>de</strong>s<br />

créateurs <strong>de</strong> bien d’autres manières. Il semble<br />

important d’envisager le japonisme sous l’angle<br />

<strong>de</strong>s préoccupations sociétales et politiques, et<br />

d’étudier les implications psychologiques <strong>de</strong><br />

cette fascination – en se penchant notamment<br />

sur les raisons expliquant pourquoi le Japon et<br />

les Japonais sont universellement admirés par<br />

les voyageurs qui visitent ce pays. Enn, il sera<br />

nécessaire d’essayer <strong>de</strong> comprendre pourquoi<br />

l’Occi<strong>de</strong>nt se passionne tant pour le Japon plutôt<br />

que pour la Chine et les autres pays d’Extrême‐Orient.<br />

De cette manière, les étu<strong>de</strong>s sur<br />

le japonisme se détacheront <strong>de</strong> considérations<br />

purement formalistes pour mieux comprendre<br />

les raisons profon<strong>de</strong>s qui ont induit un mouvement<br />

si riche <strong>de</strong> conséquences.<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

24


LE JAPON LU PAR VINCENT VAN GOGH (EXTRAITS) 1<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Émancipation intellectuelle et rencontre<br />

avec le Japon<br />

La rencontre avec le Japon, dans la littérature<br />

consultée par Van Gogh, a lieu en 1885, dans la<br />

préface d’un ouvrage d’Edmond <strong>de</strong> Goncourt,<br />

Chérie. Vincent est alors à Nuenen et vit dans<br />

une annexe <strong>de</strong> la maison parentale. Vers le 10<br />

octobre, il écrit à Theo qu’il est en train <strong>de</strong> lire<br />

l’ouvrage – qu’il promet d’envoyer sous peu –, et<br />

qu’il est charmé par la qualité <strong>de</strong> son écriture.<br />

« T’enverrai bientôt aussi un livre <strong>de</strong> Goncourt<br />

– Chérie –. Goncourt est toujours beau et sa façon<br />

<strong>de</strong> travailler est si dèle et c’est toujours tellement<br />

bien fait. » Vincent van Gogh à Theo van Gogh,<br />

Nuenen, vers le 10 octobre 1885, lettre 534<br />

Chérie est un roman français mo<strong>de</strong>rne par<br />

excellence, le chant du cygne d’Edmond <strong>de</strong><br />

Goncourt, qui l’annonce comme son <strong>de</strong>rnier<br />

ouvrage. L’auteur, dont l’inséparable frère Jules<br />

est alors décédé, revient dans sa préface sur<br />

l’apport que constitue l’œuvre du duo à la<br />

littérature <strong>de</strong>s décennies passées. Il en prote<br />

pour régler ses comptes avec Zola, entre autres,<br />

et avec ce naturalisme dont le nom lui semble<br />

plus bassement politique que méthodologique.<br />

Il évoque aussi la réussite et les nouveautés<br />

appor tées par leurs travaux et énumère<br />

trois points essentiels, sous la forme d’une<br />

réminiscence d’une promena<strong>de</strong> faite avec son<br />

frère mourant, au bois <strong>de</strong> Boulogne :<br />

Tout à coup brusquement mon frère s’arrêta,<br />

et me dit : « Ça ne fait rien, vois‐tu, on nous niera<br />

tant qu’on voudra. Il faudra bien reconnaître un<br />

jour que nous avons fait GERMINIE LACERTEUX...<br />

et que Germinie Lacerteux » est le livre‐type qui<br />

a servi <strong>de</strong> modèle à tout ce qui a été fabriqué<br />

<strong>de</strong>puis nous, sous le nom <strong>de</strong> réalisme, naturalisme,<br />

etc. Et d’un ! Maintenant, par les écrits, par la<br />

parole, par les achats... qu’est‐ce qui a imposé à<br />

la génération aux commo<strong>de</strong>s d’acajou, le goût<br />

<strong>de</strong> l’art et du mobilier du XVIII e siècle ?... Où est<br />

celui qui osera dire que ce n’est pas nous ? Et<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ! « Enn cette <strong>de</strong>scription d’un salon<br />

parisien meublé <strong>de</strong> japonaiseries, publiée dans<br />

notre premier roman, dans notre roman d’EN<br />

18..., paru en 1851... Oui, en 1851... – qu’on me<br />

montre les japonisants <strong>de</strong> ce temps‐là... – et<br />

nos acquisitions <strong>de</strong> bronzes et <strong>de</strong> laques <strong>de</strong><br />

ces années chez Mallinet et un peu plus tard<br />

chez M me Desoye... et la découverte en 1860,<br />

à La Porte chinoise, du premier album japonais<br />

connu à <strong>Paris</strong>... connu au moins du mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s littérateurs et <strong>de</strong>s peintres...et les pages<br />

consacrées aux choses du Japon dans MANETTE<br />

SALOMON, dans IDÉES ET SENSATIONS...<br />

ne font‐ils pas <strong>de</strong> nous les premiers propagateurs<br />

<strong>de</strong> cet art... <strong>de</strong> cet art en train, sans qu’on s’en<br />

doute, <strong>de</strong> révolutionner l’optique <strong>de</strong>s peuples<br />

occi<strong>de</strong>ntaux ? Et <strong>de</strong> trois ! [...] Or la recherche<br />

du vrai en littérature, la résurrection <strong>de</strong> l’art du<br />

XVIII e siècle, la victoire du japonisme : ce sont,<br />

sais‐tu, – ajouta‐ t‐il après un silence, et avec un<br />

réveil <strong>de</strong> la vie intelligente dans l’œil –, ce sont les<br />

trois grands mouvements littéraires et artistiques<br />

<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle... et nous<br />

les aurons menés, ces trois mouvements... nous,<br />

pauvres obscurs. Eh bien ! Quand on a fait cela...<br />

c’est vraiment difcile <strong>de</strong> n’être pas quelqu’un<br />

dans l’avenir. »<br />

Ce passage fait écho à l’incroyable ambition<br />

<strong>de</strong> Vincent van Gogh à un moment <strong>de</strong> sa vie où<br />

sa principale contribution à l’histoire <strong>de</strong> l’art n’est<br />

encore que sa gran<strong>de</strong> composition <strong>de</strong>s Mangeurs<br />

<strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre, qui attendra encore bien<br />

longtemps avant d’être considérée comme une<br />

œuvre majeure. Vincent voit dans la collaboration<br />

si fécon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s frères Goncourt un exemple à<br />

suivre et une voie possible. Ces champions <strong>de</strong><br />

1. Wouter van <strong>de</strong>r VEEN, « Le Japon lu par Vincent Van Gogh », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions <strong>de</strong> la<br />

<strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>,2012, pp. 22-33.<br />

25


l’innovation, pratiquant un art qui, selon Vincent,<br />

a une longueur d’avance sur la peinture, ont tenu<br />

contre vents et marées et ont ni par <strong>de</strong>venir<br />

« quelqu’un qui avait fait quelque chose. » La<br />

carrière <strong>de</strong> Vincent, sur le point d’éclore, est à<br />

considérer sous cet angle, dans la continuité <strong>de</strong><br />

la voie montrée par les Goncourt : <strong>de</strong>ux frères<br />

férus d’art japonais, engagés corps et âme dans la<br />

production d’une œuvre innovante, audacieuse,<br />

ouverte à l’histoire <strong>de</strong> l’art et au mon<strong>de</strong>.<br />

Mo<strong>de</strong>rnité et simplicité<br />

On a pu lire que Van Gogh suit une mo<strong>de</strong>, respire<br />

l’air du temps et rencontre un japonisme bien<br />

installé à <strong>Paris</strong> lorsqu’il vient y vivre en 1886.<br />

Or, comme bien souvent, on ne prend pas en<br />

compte le choix que Vincent opère. L’offre<br />

culturelle japonisante à <strong>Paris</strong> en 1886 ‐1887 n’est<br />

pas aussi orissante que l’on veut bien l’imaginer,<br />

et les auteurs qui se sont lancés à sa recherche<br />

ont rarement été récompensés <strong>de</strong> leurs efforts. Il<br />

serait plus aisé <strong>de</strong> décrire, pour ces années, l’offre<br />

massive <strong>de</strong> produits russes, persans, égyptiens ou<br />

même chinois. La mo<strong>de</strong> japonisante est passée,<br />

l’activité économique qui lui est associée est<br />

moribon<strong>de</strong>, connée à quelques échoppes et<br />

<strong>de</strong> rares publications. Bien sûr, Samuel Bing fait<br />

son possible pour promouvoir ce qui fait son<br />

fonds <strong>de</strong> commerce, et bien entendu, un cercle<br />

restreint d’artistes et d’amateurs y trouve plus<br />

ou moins son compte, mais l’offre n’en <strong>de</strong>meure<br />

pas moins éparse et inorganisée. Cette situation<br />

fait à la fois le bonheur et le malheur <strong>de</strong> Vincent.<br />

Convaincu que la peinture a <strong>de</strong>s décennies <strong>de</strong><br />

retard sur la littérature, et prenant exemple sur<br />

les Goncourt, il ne doute pas que l’avenir <strong>de</strong> la<br />

peinture française mo<strong>de</strong>rne est à trouver du côté<br />

<strong>de</strong> l’art japonais. Mais où se procurer les supports<br />

<strong>de</strong> cet art ? Les informations sur les conditions<br />

<strong>de</strong> production <strong>de</strong> l’art japonais sont inaccessibles,<br />

voire inexistantes, surtout au moment où Van<br />

Gogh s’installe à Anvers à la n 1885, juste après<br />

la lecture <strong>de</strong> la préface <strong>de</strong> Chérie.<br />

Ainsi, lorsque le peintre, armé <strong>de</strong> sa volonté<br />

imperturbable <strong>de</strong> peser dans le mon<strong>de</strong> et<br />

l’histoire <strong>de</strong> l’ar t, prend possession d’un<br />

appartement mo<strong>de</strong>ste rue <strong>de</strong>s Images 2 à Anvers,<br />

il le décore avec <strong>de</strong>s estampes japonaises, dont il<br />

n’est malheureusement pas possible aujourd’hui<br />

<strong>de</strong> retracer l’origine. En tout cas, il y a fort à<br />

parier que cette décoration n’a pas pour seul but<br />

d’enjoliver les murs <strong>de</strong> son atelier, mais bien <strong>de</strong> le<br />

stimuler dans sa démarche créatrice, comme un<br />

rappel quotidien à la mo<strong>de</strong>rnité qui lui permettra<br />

<strong>de</strong> suivre l’exemple donné par la littérature <strong>de</strong><br />

ses contemporains en général, et les Goncourt<br />

en particulier.<br />

C’est par conséquent en parfait dilettante que<br />

Van Gogh constitue, à Anvers en 1885, un début<br />

<strong>de</strong> collection qu’il complétera à <strong>Paris</strong> durant les<br />

années suivantes. Il semblerait que cet intérêt<br />

était surtout d’ordre formel. Il ne savait rien,<br />

ou presque, <strong>de</strong>s artistes japonais ou <strong>de</strong> leur<br />

culture, et restait libre <strong>de</strong> se construire un Japon<br />

imaginaire, idéal 3 . C’est à <strong>Paris</strong> que Van Gogh<br />

peindra une toile s’inscrivant remarquablement<br />

dans cette triple perspective – son goût pour la<br />

littérature mo<strong>de</strong>rne, un japonisme tout personnel<br />

et l’afrmation d’une culture propre – et brisant<br />

les co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la représentation bourgeoise :<br />

Nature morte avec trois livres. Cette œuvre <strong>de</strong><br />

forme ovale est réalisée sur un panneau <strong>de</strong> bois<br />

au dos duquel se trouvent <strong>de</strong>s traces d’écriture<br />

japonaise. Ces idéogrammes ne sont pas <strong>de</strong> la<br />

main <strong>de</strong> Vincent, mais étaient préalablement<br />

apposés sur <strong>de</strong>s planches <strong>de</strong> bois provenant d’une<br />

caisse venue du Japon, avant d’être recyclées en<br />

support pour œuvre d’art. Deux <strong>de</strong>s livres ont<br />

au recto la couverture jaune caractéristique <strong>de</strong>s<br />

livres « mo<strong>de</strong>rnes » dont Vincent parsème son<br />

œuvre, ce qui afrme sa volonté <strong>de</strong> rester dans<br />

une dynamique sans cesse innovante, ainsi que<br />

sa conscience <strong>de</strong> faire partie d’une histoire <strong>de</strong><br />

l’art en perpétuelle évolution. Le support nous<br />

montre que Van Gogh allait se fournir en produits<br />

importés du Japon directement à la source.<br />

2. Van Gogh emménage au 224 <strong>de</strong> la Lange Beel<strong>de</strong>kensstraat. En néerlandais, beeld signie « image ».<br />

3. « His interest in Japanese prints was primarily formal – he was attracted to their brilliant at color, simplied forms, incicive drawigng,<br />

and compositional daring. His ignorance of their cultural context helped foster an i<strong>de</strong>alized conception of Japan as a repository of<br />

superior emotional, moral and aesthetic values. », in Douglas DRUICK et Peter KORT ZEGERS, Van Gogh and Gauguin, The Studio of the<br />

South, Art Institute, Chicago, 2001, pp. 74-75.<br />

26


Gaieté, consolation et nature<br />

Dau<strong>de</strong>t et l’art japonais, aux yeux <strong>de</strong> Van Gogh<br />

pour qui la consolation est le but le plus élevé<br />

<strong>de</strong> l’art, ont l’avantage d’être simples et gais, et<br />

en tant que tels, « consolants 4 ». Cette recherche<br />

<strong>de</strong> consolation, à la fois pour sa production et<br />

dans ses choix littéraires, l’engage durant les <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie à lire <strong>de</strong> moins en<br />

moins souvent <strong>de</strong>s œuvres réalistes pures, et<br />

<strong>de</strong> plus en plus à se tourner vers une littérature<br />

d’évasion. De Zola et Goncourt, il passe à Jules<br />

Verne et Pierre Loti, peut-être avec Guy <strong>de</strong><br />

Maupassant comme maillon entre ces <strong>de</strong>ux<br />

pôles littéraires.<br />

L’année durant laquelle Vincent mûrit sa<br />

décision <strong>de</strong> quitter <strong>Paris</strong> et <strong>de</strong> s’installer dans<br />

le Sud <strong>de</strong> la France, 1887, est aussi celle <strong>de</strong> la<br />

publication <strong>de</strong> Madame Chrysanthème <strong>de</strong> Pierre<br />

Loti. Cependant, Van Gogh ne lira cette œuvre<br />

qu’en juin 1888 et se contentera d’en dire, assez<br />

laconiquement, que ce livre contient <strong>de</strong>s notes<br />

intéressantes sur le Japon. Il n’en tirera pas <strong>de</strong><br />

bien gran<strong>de</strong>s leçons et il ne serait pas justié <strong>de</strong><br />

dire que sa façon <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la réalité du Midi<br />

ait été, <strong>de</strong> quelque façon qu’il fût, conditionnée<br />

par le contenu <strong>de</strong> cet ouvrage. En revanche, il<br />

en tire la conrmation <strong>de</strong> ce qu’il pensait déjà,<br />

que l’art japonais est synonyme <strong>de</strong> simplicité et<br />

<strong>de</strong> simplication :<br />

Est-ce que tu as lu Mme Chrysantême, cela m’a<br />

bien donné à penser que les vrais japonais n’ont<br />

rien sur les murs. La <strong>de</strong>scription du cloitre ou <strong>de</strong> la<br />

pago<strong>de</strong> où il n’y a rien (les <strong>de</strong>ssins, curiosités, sont<br />

cachés dans <strong>de</strong>s tiroirs). Ah c’est donc comme ça<br />

qu’il faut regar<strong>de</strong>r une japonaiserie – dans une<br />

piece bien claire, toute nue, ouverte sur le paysage.<br />

Veux tu en faire l’épreuve avec ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins<br />

<strong>de</strong> la Crau et <strong>de</strong>s bords du Rhône qui n’ont pas l’air<br />

japonais et qui peutêtre le sont plus que d’autres<br />

réellement. Regar<strong>de</strong>s les dans un café bien clair où<br />

il n’y ait rien d’autre en tableaux – ou <strong>de</strong>hors. Il y<br />

faudrait peutêtre une bordure <strong>de</strong> roseau comme<br />

une baguette. Ici je travaille moi dans un intérieur<br />

nu, 4 murs blancs et <strong>de</strong>s pavés rouges par terre.<br />

Si j’insiste que tu regar<strong>de</strong>s ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins ainsi<br />

c’est que je voudrais tant te donner une idée vraie<br />

<strong>de</strong> la simplicité <strong>de</strong> la nature d’ici.<br />

Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />

vers le 13 juillet 1888, lettre 639<br />

Fidèle à son habitu<strong>de</strong>, Van Gogh voit dans<br />

l’ouvrage ce qu’il a envie d’y voir. En effet, la<br />

<strong>de</strong>scription d’une pago<strong>de</strong> où il n’y a « rien sur<br />

les murs » se trouve au chapitre XL du livre, et<br />

s’il y est bien question <strong>de</strong> la nudité <strong>de</strong>s pièces et<br />

du regret que les intérieurs occi<strong>de</strong>ntaux soient<br />

si encombrés <strong>de</strong> bibelots, il y est aussi question<br />

d’esquisses <strong>de</strong> maîtres suspendues aux murs. Ce<br />

que Van Gogh ne relève pas, par contre, c’est<br />

le mépris maladif pour le Japon, sa culture et<br />

ses habitants, qui suinte à grosses gouttes <strong>de</strong><br />

chaque chapitre du livre <strong>de</strong> Loti. Les Japonais<br />

y sont qualiés <strong>de</strong> « singesques », tout au Japon<br />

est jugé « mesquin », tout est irritant, au pire<br />

médiocre et au mieux risible. De plus, il s’agit,<br />

avant d’être un récit <strong>de</strong> voyage douteux, d’un<br />

manuel <strong>de</strong> tourisme sexuel pour tout Occi<strong>de</strong>ntal<br />

désireux <strong>de</strong> trouver une compagne adolescente,<br />

une « mousmé », le temps d’une escale orientale.<br />

Cet aspect aujourd’hui dérangeant offre une<br />

possibilité d’interprétation érotique d’un tableau<br />

pourtant tout en retenue, La Mousmé, peint par<br />

Van Gogh en juillet, soit quelques semaines à<br />

peine après sa lecture <strong>de</strong> Madame Chrysanthème.<br />

De la même manière, cet ouvrage offre un angle<br />

d’interprétation intéressant pour L’Autoportrait<br />

dédié à Paul Gauguin, peint en octobre et envoyé<br />

à Paul Gauguin dans le cadre d’un échange<br />

d’autoportraits.<br />

Les bonzes <strong>de</strong> Loti, dans Madame Chrysanthème,<br />

sont bien davantage que <strong>de</strong>s « simples adorateurs<br />

du Bhoudda éternel »,tel que Van Gogh l’écrit<br />

dans une lettre à Gauguin 5 . Ce sont aussi <strong>de</strong>s<br />

personnages gais, qui aiment les femmes et<br />

l’alcool. Ces <strong>de</strong>ux réalités, spirituelle et matérielle,<br />

ne s’excluent cependant pas. À Émile Bernard,<br />

le 26 juin, soit vraisemblablement pendant qu’il<br />

4. Pour le thème <strong>de</strong> la consolation chez Van Gogh, voir Leo JANSEN, « Vincent van Gogh’s belief in art as consolation », Stolwijk, in Van<br />

HEUGTEN, JANSEN et BLUHM (éds.), Van Gogh’s imaginary museum : Exploring the artist’s inner world, Van Gogh Museum, Amsterdam,<br />

2003, pp. 13-23..<br />

5. Vincent van Gogh à Paul Gauguin, Arles, 3 octobre 1888, lettre 695<br />

27


est en train <strong>de</strong> lire Madame Chrysanthème,<br />

il écrit qu’il vit comme « un moine qui va au<br />

bor<strong>de</strong>l une fois par quinzaine » ; c’est également<br />

le programme qu’il propose à Paul Gauguin,<br />

pour donner le cadre <strong>de</strong> leur cohabitation et<br />

<strong>de</strong> leur collaboration envisagées. Enn, c’est un<br />

idéal qu’il juge naturel ; tout comme les artistes<br />

japonais, qui, dans son imagination, vivent d’une<br />

façon naturelle.<br />

Si on etudie l’art japonais alors on voit un<br />

homme incontestablement sage et philosophe et<br />

intelligent qui passe son temps – à quoi – à étudier<br />

la distance <strong>de</strong> la terre à la lune – non, à étudier la<br />

politique <strong>de</strong> Bismarck – non, il etudie un seul brin<br />

d’herbe. Mais ce brin d’herbe lui porte à <strong>de</strong>ssiner<br />

toutes les plantes – ensuite les saisons, les grands<br />

aspects <strong>de</strong>s paysages, enn les animaux, puis la<br />

gure humaine. Il passe ainsi sa vie, et la vie est<br />

trop courte, à faire le tout.<br />

Voyons cela, n’est ce pas presque une vraie<br />

religion ce que nous enseignent ces japonais si<br />

simples et qui vivent dans la nature comme si eux<br />

memes étaient <strong>de</strong>s eurs.<br />

Et on ne saurait etudier l’art japonais, il me<br />

semble, sans <strong>de</strong>venir beaucoup plus gai et plus<br />

heureux et cela nous fait revenir à la nature malgré<br />

notre education et notre travail dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

convention.<br />

Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles, 23<br />

ou 24 septembre 1888, lettre 686<br />

Avant <strong>de</strong> lire l’ouvrage <strong>de</strong> Loti, en mai <strong>de</strong> la<br />

même année, cet idéal avait déjà été formulé<br />

en d’autres termes, tout aussi poétiques : On se<br />

sait cheval <strong>de</strong> acre et on sait que ce sera encore<br />

au même acre qu’on va s’atteler. – Et alors on<br />

n’en a pas envie et on préférerait vivre dans une<br />

prairie avec un soleil, une rivière, la compagnie<br />

d’autres chevaux également libres, et l’acte <strong>de</strong> la<br />

génération.<br />

Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />

vers le 20 mai 1888, lettre 611<br />

Les différents aspects liés à la littérature et<br />

à l’art du Japon exposés ci-<strong>de</strong>ssus, dans leurs<br />

interconnections et leurs différences, démontrent<br />

que la vision personnelle que Van Gogh a du<br />

Japon <strong>de</strong>vient progressivement un ingrédient<br />

fondamental <strong>de</strong> sa métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa pratique.<br />

Si la volonté <strong>de</strong> Vincent d’arriver à une gran<strong>de</strong><br />

simplicité est antérieure à sa découverte <strong>de</strong> l’art<br />

japonais, la caution <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnité qu’apportent<br />

les Goncourt, via la préface <strong>de</strong> Chérie, vient<br />

compléter le triangle « art japonais – littérature<br />

– peinture » et permet à Van Gogh <strong>de</strong> cheminer<br />

sereinement sur la voie <strong>de</strong> l’innovation<br />

créatrice et du progrès <strong>de</strong> l’art, tout en se<br />

sachant assuré d’une justication intellectuelle<br />

parfaitement défendable. Par effet <strong>de</strong> miroir,<br />

et par le truchement d’une lecture partielle<br />

et biaisée <strong>de</strong> Madame Chrysanthème, cette<br />

vision se transforme au contact <strong>de</strong>s références<br />

à Dau<strong>de</strong>t en un optimisme forcé et en une<br />

volonté farouche <strong>de</strong> voir une gaieté imaginée,<br />

typique d’un Midi pittoresque qui n’existe pas :<br />

un « Japon français » qu’il fera vivre sur ses toiles,<br />

ses <strong>de</strong>ssins, et parfois dans ses lettres. Le Japon<br />

lu par Van Gogh, curieusement, c’est donc Arles<br />

et ses environs, tels qu’il les avait imaginés<br />

auparavant à travers Les Lettres <strong>de</strong> mon moulin<br />

et Tartarin <strong>de</strong> Tarascon, vision qu’il complète puis<br />

confronte au récit <strong>de</strong> Loti. Un vaste programme,<br />

une recette improbable, mais dont le résultat<br />

dépasse l’enten<strong>de</strong>ment, et le rendra immortel.<br />

Bien entendu, l’art japonais et la littérature<br />

française <strong>de</strong> son temps ne sont pas les seuls<br />

facteurs pouvant éclairer notre compréhension<br />

<strong>de</strong> l’œuvre immense du peintre du Champ <strong>de</strong><br />

blé aux corbeaux et il serait vain <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong><br />

l’expliquer dans son ensemble et sa complexité<br />

en quelques pages seulement. Heureusement,<br />

l’essentiel <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> Vincent rési<strong>de</strong> dans le plaisir<br />

<strong>de</strong> sa contemplation, et le premier à avoir eu<br />

cette conscience était le peintre lui-même :<br />

Eh bien vraiment, nous ne pouvons faire parler<br />

que nos tableaux. 6<br />

6. Brouillon <strong>de</strong> lettre <strong>de</strong> Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Auvers-sur-Oise, 23 juillet 1890, lettre RM25.<br />

28


VINCENT VAN GOGH ET LE JAPON : UNE HISTOIRE D’AMOUR (EXTRAITS) 1<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Inuence <strong>de</strong> l’art japonais sur la peinture<br />

<strong>de</strong> Van Gogh<br />

Vers la n <strong>de</strong>s années 1890, Van Gogh commence<br />

à adopter <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> composition typiquement<br />

japonais. Les graveurs nippons utilisaient<br />

souvent d’étonnantes échappées d’une pièce<br />

vers une autre ou d’une pièce vers l’extérieur.<br />

Utagawa Kunisada, dont Van Gogh détient<br />

quelque cent soixante estampes, applique<br />

régulièrement ce procédé intéressant, comme<br />

le montrent plusieurs gravures <strong>de</strong> la collection.<br />

L’une d’entre elles représente <strong>de</strong>ux femmes dans<br />

un intérieur, d’où une échappée sur le jardin laisse<br />

apercevoir un prunier en eur – le véritable sujet<br />

<strong>de</strong> l’estampe. Van Gogh associe <strong>de</strong> manière comparable<br />

<strong>de</strong>s scènes d’intérieur et d’extérieur dans<br />

une peinture et un <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>.<br />

Des couleurs vives, parfois en grands aplats,<br />

<strong>de</strong>s éléments audacieusement placés en repoussoir<br />

et une perspective singulière, comme dans<br />

les tableaux où l’objet représenté paraît renversé<br />

vers l’avant : tels sont les procédés <strong>de</strong> composition<br />

que Van Gogh va désormais utiliser <strong>de</strong> manière<br />

récurrente. Si l’inuence <strong>de</strong>s maîtres japonais ne<br />

se manifeste pas partout avec la même netteté,<br />

elle est en revanche évi<strong>de</strong>nte dans certaines<br />

œuvres ou certains groupes d’œuvres.<br />

Van Gogh admire beaucoup la facilité apparente<br />

avec laquelle les artistes nippons introduisent<br />

dans leurs scènes <strong>de</strong> petits personnages, et<br />

la façon dont lui-même intègre les gures dans<br />

ses aquarelles y est très apparentée.<br />

En octobre-novembre <strong>de</strong> la même année,<br />

Van Gogh réalise un groupe <strong>de</strong> trois œuvres<br />

très japonisantes, <strong>de</strong>s copies, dotées <strong>de</strong> cadres<br />

décoratifs peints à même la toile, d’estampes<br />

<strong>de</strong> maîtres japonais. Il réalise <strong>de</strong>ux d’entre elles<br />

d’après <strong>de</strong>s gravures <strong>de</strong> Hiroshige appartenant<br />

à sa collection et la troisième d’après une illustration<br />

<strong>de</strong> magazine qui reproduit (en miroir)<br />

une estampe d’Eisen.<br />

Les copies japonaises <strong>de</strong> Van Gogh associent<br />

à la fois <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> ses premières séances<br />

<strong>de</strong> copie et d’autres issus <strong>de</strong> ses interprétations<br />

ultérieures. Quoique son œuvre ait <strong>de</strong>puis quelque<br />

temps déjà intégré <strong>de</strong>s traits japonisants, Van<br />

Gogh a dû ressentir le besoin d’expérimenter<br />

très concrètement les audacieux procédés <strong>de</strong><br />

composition artistique <strong>de</strong>s estampes.<br />

Ces exercices d’assouplissement artistique<br />

avaient permis à Van Gogh <strong>de</strong> se mettre en quelque<br />

sorte dans l’esprit <strong>de</strong>s artistes japonais, en<br />

y ajoutant <strong>de</strong>s éléments personnels. Il ne refera<br />

jamais plus d’œuvres <strong>de</strong> ce genre, mais les acquis<br />

<strong>de</strong>s maîtres nippons allaient constituer, tant<br />

durant les <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> son séjour à <strong>Paris</strong><br />

que par la suite dans le Midi <strong>de</strong> la France, une<br />

caractéristique indissociable <strong>de</strong> son œuvre.<br />

Le Japon dans le Midi<br />

Dans le Sud <strong>de</strong> la France, Van Gogh s’attendait<br />

à trouver un reet du Japon. On ne sait pas très<br />

bien comment lui est venue cette idée, même<br />

si certaines comparaisons faites entre le Japon<br />

et l’Italie lui ont peut-être fait supposer que le<br />

Midi <strong>de</strong> la France dégageait une atmosphère<br />

comparable. Son intérêt pour cette région a<br />

aussi été éveillé par son admiration pour l’œuvre<br />

du peintre Adolphe Monticelli, qui avait vécu et<br />

travaillé à Marseille, où il était mort en 1886.<br />

Le 19 février 1888, Van Gogh part pour Arles,<br />

où il arrive le len<strong>de</strong>main.<br />

Selon plusieurs lettres, la ville semble justier<br />

son espoir que la Provence puisse constituer une<br />

alternative valable au Japon. Peu après son arrivée,<br />

rempli d’enthousiasme, il écrit à Émile Bernard :<br />

« Le pays me paraît aussi beau que le Japon pour la<br />

limpidité <strong>de</strong> l’atmosphère et les effets <strong>de</strong> couleur<br />

gaie. Les eaux font <strong>de</strong>s taches d’un bel émerau<strong>de</strong><br />

et d’un riche bleu dans les paysages ainsi que nous<br />

le voyons dans les crepons. Des couchers <strong>de</strong> soleil<br />

1. Sjraar van HEUGTEN, « Van Gogh et le Japon : une histoire d’amour », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions<br />

<strong>de</strong> la <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012, pp. 34-55.<br />

29


orangé pâle faisant paraître bleu les terrains – <strong>de</strong>s<br />

soleils jaunes splendi<strong>de</strong>s. »<br />

Plus tard, le 17 octobre, il écrit à Gauguin,<br />

qui doit peu après quitter la Bretagne pour aller<br />

s’installer chez Van Gogh, à Arles : « J’ai toujours<br />

encore présent dans ma mémoire l’émotion que<br />

m’a causé le trajet cet hiver <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> à Arles.<br />

Comme j’ai guetté “si cela était déjà du Japon”!<br />

Enfantillage quoi. »<br />

L’inuence <strong>de</strong>s autres formes <strong>de</strong> l’art<br />

japonais sur Van Gogh<br />

Le regard <strong>de</strong> Van Gogh n’a pas été uniquement<br />

formé par l’observation <strong>de</strong> gravures japonaises,<br />

d’autres formes d’art japonais ont dû aussi jouer<br />

un rôle, comme le prouve la toile qu’il peint à<br />

Saint-Rémy pour célébrer la naissance du ls <strong>de</strong><br />

Theo, Amandier en eur. Van Gogh a pu trouver<br />

<strong>de</strong>s dizaines d’arbres en eur dans ses estampes,<br />

mais la façon particulière dont il a représenté ici<br />

la branche eurie sur un fond quasi monochrome<br />

évoque moins ces planches que les poteries ou<br />

les laques japonais où les branches euries sont<br />

souvent le seul motif. La céramique japonaise<br />

était elle aussi très appréciée à <strong>Paris</strong>, et Van Gogh<br />

a sans aucun doute connu <strong>de</strong>s œuvres telles<br />

que la gran<strong>de</strong> assiette qui gure au centre d’une<br />

illustration <strong>de</strong> L’Art japonais et qui faisait partie<br />

<strong>de</strong> la collection <strong>de</strong> Louis Gonse.<br />

Saint-Rémy et Auvers-sur-Oise<br />

Le 8 mai 1889, Van Gogh se fait volontairement<br />

interner à l’asile <strong>de</strong> Saint-Paul-<strong>de</strong>-Mausole, à<br />

Saint-Rémy. Le jardin <strong>de</strong> l’asile va <strong>de</strong>venir pour<br />

lui une source importante <strong>de</strong> motifs, comme<br />

dans le magistral Jardin <strong>de</strong> l’asile <strong>de</strong> Saint-Rémy<br />

qu’il réalise peu après son arrivée.<br />

Van Gogh se met à expérimenter un nouveau<br />

style qui laisse moins <strong>de</strong> place aux grands aplats <strong>de</strong><br />

couleurs vives ; sa palette <strong>de</strong>vient plus mo<strong>de</strong>rne,<br />

et son pinceau se fait plus rythmique, plus mobile.<br />

Un grand nombre <strong>de</strong> ces œuvres doit en tout<br />

cas quelque chose aux estampes ukiyo-e ; d’autres<br />

sont très japonisantes, comme <strong>de</strong>ux sous-bois<br />

aux arbres extrêmement découpés.<br />

Vers la n du séjour <strong>de</strong> Van Gogh à l’asile,<br />

Theo lui écrit une lettre dans laquelle il s’extasie<br />

sur une magnique exposition d’estampes et <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ssins japonais présentée à <strong>Paris</strong> 2 . Van Gogh<br />

lui répond qu’il se réjouit d’aller la voir. Il quitte<br />

Saint-Rémy le 16 mai et séjourne chez Theo du<br />

17 au 19, avant <strong>de</strong> partir à Auvers-sur-Oise le 20<br />

mai. L’exposition durait jusqu’au 22 mai, et bien<br />

que la correspondance ne nous donne aucune<br />

certitu<strong>de</strong> sur le sujet et que son séjour à <strong>Paris</strong><br />

ait été <strong>de</strong> courte durée, il est possible que Van<br />

Gogh l’ait effectivement visitée.<br />

Durant les <strong>de</strong>ux mois et une semaine <strong>de</strong><br />

son séjour à Auvers-sur-Oise, Van Gogh est très<br />

productif et explore <strong>de</strong> nombreuses possibilités<br />

nouvelles. À son arrivée, les marronniers sont en<br />

eur, ce qui lui inspire quelques œuvres. Pendant<br />

les <strong>de</strong>rnières semaines <strong>de</strong> son existence – il se<br />

tire une balle dans la poitrine le 27 juillet et<br />

meurt <strong>de</strong>ux jours plus tard – il témoigne encore<br />

du regard unique qu’il porte sur le mon<strong>de</strong> et qu’il<br />

transpose dans ses œuvres en s’appuyant sur les<br />

modèles <strong>de</strong>s maîtres qu’il apprécie. Quoique le<br />

rêve japonais <strong>de</strong> Van Gogh ne se soit pas réalisé<br />

et qu’il ne lui ait pas été donné <strong>de</strong> trouver la<br />

sérénité qui habitait selon lui les artistes nippons,<br />

leurs œuvres n’en ont pas moins joué un rôle<br />

irremplaçable dans la formation <strong>de</strong> son style pétri<br />

<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnité.<br />

Madame Chrysanthème<br />

En juin 1888, Van Gogh lit un livre fraîchement<br />

paru qui renouvelle ses idées sur le Japon :<br />

Madame Chrysanthème <strong>de</strong> Pierre Loti. Le roman<br />

fourmille d’anecdotes sur l’empire du Soleil-<br />

Levant qui enthousiasment Van Gogh. Loti parle<br />

notamment d’une mousmé, terme exotique que<br />

Van Gogh donne à un tableau et à quelques<br />

<strong>de</strong>ssins d’une jeune Provençale qu’il réalise peu<br />

après avoir lu le livre 3 .<br />

2. Lettre 869 <strong>de</strong> Theo à Vincent, voir aussi vangoghletters.org, n° 4. L’exposition avait été organisée par Siegfried Bing, s’était déroulée<br />

à l’École <strong>de</strong>s beaux-arts et regroupait sept cent vingt-cinq œuvres.<br />

3. Pour <strong>de</strong>s précisions à ce sujet, voir KODERA, « Van Gogh’s Utopian Japonisme », in Charlotte van RAPPARD-BOON et al, Japanese<br />

prints, catalogue <strong>de</strong> la collection du Van Gogh Museum, édition révisée, Amsterdam, 2006, pp. 11-45.<br />

30


Madame Chrysanthème est publié en 1887 et<br />

connaît un immense succès d’édition. Le roman,<br />

inspiré <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> l’auteur, raconte le<br />

mariage d’un jeune ofcier <strong>de</strong> la Marine française<br />

avec une Japonaise à Nagasaki. Loti a voyagé au<br />

Japon en 1885, il en rapporte l’inspiration <strong>de</strong> ce<br />

roman. En juillet 1885, dès son arrivée à Nagasaki,<br />

il épouse par contrat d’un mois renouvelable une<br />

jeune Japonaise <strong>de</strong> 18 ans, Okane-San, baptisée<br />

Kikou-San, « Madame Chrysanthème ». En août, il<br />

quitte Nagasaki. Ce mariage auquel les parents<br />

ont consenti a été arrangé par un agent et enregistré<br />

par la police locale. Il ne dure que le temps<br />

du séjour et la jeune lle pourra par la suite se<br />

marier avec un Japonais. Cette pratique peut<br />

paraître curieuse mais elle était alors courante<br />

au Japon, même si elle s’avérait coûteuse pour<br />

l’étranger.<br />

Paru un an après Pêcheur d’Islan<strong>de</strong>, en 1887, ce<br />

roman connaît un immense succès et contribue<br />

à la renommée <strong>de</strong> Pierre Loti. Il participe à l’intérêt<br />

français pour l’Extrême-Orient et le Japon<br />

en particulier, malgré la <strong>de</strong>scription mitigée qu’en<br />

fait Loti.<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

31


LES INFLUENCES RÉCIPROQUES DE L’ART OCCIDENTAL ET JAPONAIS<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Les inuences <strong>de</strong>s estampes japonaises sur l’art pictural occi<strong>de</strong>ntal<br />

Composition<br />

Forme<br />

Technique<br />

Couleur<br />

Sujet<br />

Étagement <strong>de</strong>s plans<br />

Cadrage coupé et décentré<br />

Présence <strong>de</strong> repoussoirs au premier plan<br />

Importance accordée au détail<br />

Perspectives singulières : plongeante, cavalière<br />

(points <strong>de</strong> vues multiples)<br />

Négation <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />

Asymétrie<br />

Chute du second plan<br />

Clair-obscur<br />

Mo<strong>de</strong>lé<br />

Gravure à l’eau-forte<br />

Peinture à l’huile<br />

Utilisation du pigment bleu <strong>de</strong> Prusse<br />

Travail <strong>de</strong> séries<br />

Renouvellement <strong>de</strong> thèmes connus<br />

Motifs végétaux stylisés<br />

Paysages (montagnes, vergers en eur, arbres,<br />

troncs, ponts)<br />

Petits personnages<br />

Nu féminin<br />

Reprise <strong>de</strong> motifs décoratifs japonais (éventail,<br />

kimono, poisson, paravent, calligraphie)<br />

Importance du ressenti du spectateur face<br />

à l’œuvre<br />

Les inuences <strong>de</strong> l’art occi<strong>de</strong>ntal sur l’art japonais<br />

Composition<br />

Forme<br />

Technique<br />

Couleur<br />

Perspective linéaire<br />

Clair-obscur<br />

Mo<strong>de</strong>lé<br />

Gravure à l’eau-forte<br />

Peinture à l’huile<br />

Utilisation du pigment bleu <strong>de</strong> Prusse<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

32


Analyses d’œuvres<br />

33


Vincent van Gogh Oliveraie Juin 1889, huile sur toile, 72,4 x 91,9 cm. Signée en bas à gauche : Vincent<br />

© Collection Kröller‐Müller Museum, Otterlo, the Netherlands<br />

Les oliveraies sont <strong>de</strong>venues un <strong>de</strong>s sujets<br />

préférés <strong>de</strong> Van Gogh car elles appartiennent<br />

au paysage <strong>de</strong> la Provence, avec les cyprès, les<br />

champs <strong>de</strong> blé et les montagnes. À Saint‐Rémy,<br />

où Van Gogh est interné entre 1889 et 1890,<br />

il se consacre principalement à la peinture <strong>de</strong><br />

paysage. Lorsque sa santé le permet, le docteur<br />

Peyron, directeur <strong>de</strong> l’asile, l’autorise à sortir et<br />

à travailler à l’extérieur <strong>de</strong> l’hôpital, directement<br />

dans les oliveraies.<br />

Entre juin et décembre 1889, il peint plus<br />

<strong>de</strong> cinquante oliveraies, la plupart d’entre elles<br />

en automne. Sur ce tableau, il peint les oliviers<br />

comme <strong>de</strong>s êtres solitaires au beau milieu <strong>de</strong><br />

la nature. Pour les représenter, Van Gogh utilise<br />

<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> pinceau courts et courbés (hormis<br />

les coups <strong>de</strong> pinceau plus longs utilisés pour les<br />

arbres et les branches), créant ainsi une toile<br />

vibrante composée <strong>de</strong> plusieurs couches, appliquées<br />

les unes sur les autres. Quand le tableau<br />

est sufsamment sec, Van Gogh utilise un bleu<br />

sombre pour donner <strong>de</strong>s accents au feuillage,<br />

épaissir les contours et rajouter sa signature,<br />

qui suit les courbes <strong>de</strong>s brins d’herbe au sol.<br />

Les trois couleurs qui dominent sont le bleu, le<br />

vert et l’ocre. Le bleu du ciel est repris sur les<br />

troncs <strong>de</strong>s oliviers et le vert <strong>de</strong>s arbres est repris<br />

dans les ombres <strong>de</strong> la terre. Van Gogh travaille<br />

sur <strong>de</strong>s couleurs franches dont la vivacité est<br />

parfois déconnectée <strong>de</strong> la réalité. Il ne cherche<br />

pas à rendre le réel : pour Van Gogh, les couleurs<br />

reètent les sentiments et les états d’âmes. Les<br />

lignes vigoureuses <strong>de</strong>s branches se retrouvent<br />

également dans les arabesques plus douces du<br />

ciel. Une même vague irrégulière parcourt le ciel,<br />

les arbres et la terre.<br />

Dans une lettre à sa mère, Anna van Gogh‐<br />

Carbentus (Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence, entre le 8<br />

et le 12 juillet 1889), Van Gogh écrit :<br />

« Il y a <strong>de</strong> très jolis champs d’oliviers, qui sont d’un<br />

gris vert argenté, comme les saules têtards chez<br />

nous. Et puis ce ciel bleu ne m’ennuie pas. »<br />

Cette lettre nous donne une <strong>de</strong>scription quasi<br />

complète du tableau, et Van Gogh l’a donc probablement<br />

terminé avant d’écrire la lettre.<br />

34


Utagawa Hiroshige Procession <strong>de</strong> daimy partant du Nihonbashi, à Edo Série <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid, 1833-1834, nishiki-e<br />

(estampe à partir d’une gravure sur bois colorée) : papier, encre, pigments, dim. max. 23,8 x 35,7 cm. Signature : Hiroshige ga ; publiée<br />

par Takenouchi Magohachi (Hoeid) et Tsuruya Kiemon (Senkakud) © Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n / Musée national d’Ethnologie,<br />

Ley<strong>de</strong>, inv. 1353-25-1<br />

Le pont du Japon (Nihonbashi), construit en<br />

1603 à Edo, est le point <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>s<br />

cinq principales routes du pays. C’est à partir <strong>de</strong><br />

ce lieu que sont mesurées toutes les distances<br />

au Japon. Ce pont marque le point <strong>de</strong> départ<br />

<strong>de</strong> la route du Tkaid et Hiroshige en fait le<br />

frontispice <strong>de</strong> sa série. Les ponts sont rares sur le<br />

Tkaid, le gouvernement <strong>de</strong>s Tokugawa veillant<br />

à se préserver <strong>de</strong>s éventuels soulèvements et<br />

assauts militaires en ltrant les voyageurs ; ceux-ci<br />

doivent alors franchir les euves à gué, sur les<br />

épaules <strong>de</strong> porteurs, ou bien à bord <strong>de</strong> bacs.<br />

La scène se déroule à l’aube (horizon<br />

orangé), les portes du pont viennent juste d’être<br />

ouvertes. Au second plan, Hiroshige représente<br />

le départ d’un cortège <strong>de</strong> daimy s’avançant sur<br />

le pont : <strong>de</strong>ux serviteurs portent <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong><br />

costumes <strong>de</strong> cérémonie. Ils sont suivis <strong>de</strong> porteétendards<br />

et <strong>de</strong> samouraïs. Le premier plan est<br />

occupé par une poignée <strong>de</strong> marchands ambulants<br />

<strong>de</strong> poissons, certains avec <strong>de</strong>s paniers pleins,<br />

d’autres remportent leurs paniers vi<strong>de</strong>s. À droite,<br />

<strong>de</strong>ux chiens cherchent peut-être à trouver <strong>de</strong> la<br />

nourriture abandonnée. Hiroshige nous propose<br />

un point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’atmosphère d’Edo au petit<br />

matin et <strong>de</strong> son caractère dynamique.<br />

Le cadrage <strong>de</strong> cette estampe est original et<br />

complexe et il ne s’agit pas d’une simple vue<br />

frontale du lieu avec quelques personnages au<br />

premier plan. Deux gran<strong>de</strong>s palissa<strong>de</strong>s délimitent<br />

la scène et permettent au spectateur <strong>de</strong> s’y intégrer.<br />

Le pont est présenté <strong>de</strong> biais, tout comme<br />

la direction empruntée par les personnages le<br />

traversant. La composition est construite autour<br />

<strong>de</strong> cette perspective centrale.<br />

Cette estampe remporta un grand succès,<br />

ce qui obligea à refaire certaines planches usées.<br />

Hiroshige en profita pour ajouter une foule<br />

bigarrée au premier plan.<br />

35


Pistes <strong>pédagogique</strong>s<br />

36


PROFESSEURS D’ARTS PLASTIQUES ET D’HISTOIRE DE L’ART<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

L’estampe au Japon et sa technique<br />

Les estampes <strong>de</strong> Hiroshige permettent d’évoquer<br />

à la fois l’histoire <strong>de</strong> ce procédé et les<br />

techniques <strong>de</strong> réalisation. Quelles sont les étapes<br />

<strong>de</strong> fabrication ? Et en quoi ce processus<br />

conditionne la forme ? Il est possible <strong>de</strong> replacer<br />

Hiroshige dans l’histoire <strong>de</strong> l’art du Japon et<br />

évoquer les autres grands maîtres <strong>de</strong> l’estampe<br />

du XIX e siècle : Hokusai (1760 -1849), Utamaro<br />

(1753 -1806), Eisen (1790 -1848), Kunisada<br />

(1786 -1864) et Kuniyoshi (1798 -1861).<br />

Les inuences occi<strong>de</strong>ntales sur l’art au Japon<br />

Les estampes permettent d’abor<strong>de</strong>r la réinterprétation<br />

<strong>de</strong> la perspective linéaire au Japon dès<br />

la <strong>de</strong>uxième moitié du XVIII e siècle, l’utilisation<br />

du bleu <strong>de</strong> Prusse par les artistes japonais, etc.<br />

Le japonisme et ses manifestations<br />

dans les arts occi<strong>de</strong>ntaux<br />

Le japonisme concerne à la fois la peinture, la<br />

gravure, la céramique, les arts décoratifs, la littérature<br />

et la musique. Dans quelles conditions<br />

et comment les artistes européens ont-ils été<br />

inuencés par l’art du Japon ? Qui sont ces artistes<br />

? Qu’ont-ils emprunté aux artistes japonais<br />

? Il est possible d’étudier <strong>de</strong>s œuvres ou<br />

<strong>de</strong>s artistes touchés par cette vogue : Whistler,<br />

Tissot, Henri Fantin Latour, le graveur et céramiste<br />

Félix Bracquemond, les impressionnistes<br />

(Monet, Degas), les Nabis, etc.<br />

Les mouvements artistiques<br />

Les œuvres <strong>de</strong> Van Gogh peuvent être replacées<br />

dans le contexte artistique <strong>de</strong> la n du<br />

XIX e siècle. Il est possible d’évoquer les courants<br />

artistiques, les salons et expositions, ou<br />

l’importance <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> en tant que capitale <strong>de</strong>s<br />

arts. On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quels étaient les<br />

rapports <strong>de</strong> Van Gogh avec les autres artistes<br />

(Gauguin, Émile Bernard, Toulouse-Lautrec). Les<br />

peintures <strong>de</strong> Van Gogh permettent d’abor<strong>de</strong>r<br />

les grands courants artistiques <strong>de</strong> la n du XIX e<br />

siècle et du début du XX e siècle : impressionnisme,<br />

postimpressionnisme, pointillisme, fauvisme,<br />

expressionnisme, symbolisme. Quelle<br />

est la postérité <strong>de</strong> Van Gogh ? Quels peintres<br />

a-t-il inuencés ?<br />

La peinture <strong>de</strong> paysages<br />

Les œuvres présentées dans les <strong>de</strong>ux expositions<br />

invitent à approfondir l’histoire <strong>de</strong> ce<br />

genre, en Europe et Japon.<br />

Van Gogh<br />

Biographie, caractéristiques stylistiques, sujets<br />

traités, techniques employées, inuences et<br />

postérité.<br />

Hiroshige<br />

Biographie, style, techniques, postérité, vision<br />

poétique <strong>de</strong> la nature<br />

Van Gogh et le japonisme<br />

Quels rapports l’artiste entretenait-il avec le<br />

Japon et sa culture ? De quelle manière concevait-il<br />

le Japon ? De quelle façon l’art nippon<br />

a-t-il inuencé son travail ? Il est possible <strong>de</strong> relever<br />

les éléments japonisants <strong>de</strong> ses peintures<br />

(thèmes, compositions, formes).<br />

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PROFESSEURS D’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

Le Japon : civilisation et histoire<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> Hiroshige permet<br />

d’abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s thèmes variés tant au point<br />

<strong>de</strong> vue culturel, politique, sociétal et religieux.<br />

Même si le sujet principal <strong>de</strong> cette série est<br />

le paysage, Hiroshige intègre <strong>de</strong> nombreux<br />

personnages et représente <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> la<br />

vie quotidienne : fêtes villageoises, processions<br />

<strong>de</strong> daimy, ainsi que <strong>de</strong>s geishas, samouraïs,<br />

voyageurs, porteurs, marchands, artisans itinérants,<br />

ou encore pèlerins. Ces représentations<br />

offrent la possibilité d’étudier l’époque d’Edo<br />

(1603 - 1868).<br />

Les échanges Japon-Occi<strong>de</strong>nt (artistiques,<br />

commerciaux, culturels)<br />

Sous la pression <strong>de</strong>s Occi<strong>de</strong>ntaux, le Japon met<br />

n à sa politique <strong>de</strong> fermeture au milieu du<br />

XIX e siècle. Quelles sont les conséquences <strong>de</strong><br />

cette ouverture (en Europe et au Japon) ? Les<br />

thèmes suivants peuvent être développés : colonisation,<br />

traités commerciaux, libre échange,<br />

mondialisation, expositions universelles, produits<br />

exportés, échanges culturels et inuences.<br />

La géographie du Japon<br />

Les séries <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid<br />

et <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid offrent<br />

la possibilité d’étudier la géographie. Ces routes<br />

reliaient Edo (la ville du shogun) à Kyoto (la<br />

ville <strong>de</strong> l’empereur) l’une par la côte, l’autre par<br />

l’intérieur <strong>de</strong>s terres. Étu<strong>de</strong> d’un système <strong>de</strong><br />

découpage administratif original : le découpage<br />

par routes.<br />

PROFESSEURS DE FRANÇAIS ET DE LETTRES<br />

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La correspondance <strong>de</strong> Van Gogh<br />

Van Gogh a écrit plus <strong>de</strong> neuf cents lettres,<br />

dont près <strong>de</strong> sept cents à son frère Theo, son<br />

con<strong>de</strong>nt et complice. Les autres lettres sont<br />

<strong>de</strong>stinées à ses amis peintres tels Émile Bernard,<br />

Gauguin, Van Rappard mais aussi à ses parents<br />

et à ses sœurs. Van Gogh écrit en néerlandais,<br />

en anglais et en français. Ses lettres sont<br />

une mine d’informations tant au point <strong>de</strong> vue<br />

personnel que sur le plan artistique ; il avait l’habitu<strong>de</strong><br />

d’y joindre <strong>de</strong>s croquis et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins<br />

très détaillés. La langue <strong>de</strong> Van Gogh est un assemblage<br />

<strong>de</strong> sources littéraires diverses et ses<br />

lectures ont une inci<strong>de</strong>nce importante sur son<br />

écriture.<br />

Lectures <strong>de</strong> Van Gogh<br />

Dès le plus jeune âge, Van Gogh est un lecteur<br />

passionné et lit en plusieurs langues : néerlandais,<br />

anglais, français et allemand. La littérature<br />

joue un rôle capital dans la formation intellectuelle<br />

<strong>de</strong> Van Gogh et il évoque dans ses lettres<br />

<strong>de</strong> nombreux auteurs pour étayer ou renforcer<br />

ses propos. Parmi les auteurs qu’il affectionne,<br />

38


on peut citer : Jules Michelet, Voltaire, Alphonse<br />

Dau<strong>de</strong>t, Émile Zola, les frères Goncourt, Dickens,<br />

Victor Hugo, Homère, Pierre Loti, Guy <strong>de</strong><br />

Maupassant, Shakespeare et Balzac.<br />

Le japonisme en littérature<br />

À partir <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième moitié du XIX e , le japonisme<br />

s’est diffusé rapi<strong>de</strong>ment parmi les artistes<br />

pour faire naître différents mouvements artistiques,<br />

puis littéraires, d’où l’importance <strong>de</strong>s<br />

rencontres entre artistes, collectionneurs, critiques<br />

d’art et écrivains. Des articles sont publiés<br />

par <strong>de</strong>s écrivains (les frères Goncourt, Philippe<br />

Burty) dans <strong>de</strong>s revues comme Le Japon artistique<br />

<strong>de</strong> Samuel Bing. Tous les intellectuels sont<br />

touchés par cet engouement pour le Japon et<br />

certains déci<strong>de</strong>nt même d’avoir un contact direct<br />

avec ce pays ; ils en ramènent <strong>de</strong>s récits<br />

<strong>de</strong> voyage, articles et romans (Pierre Loti, André<br />

Bellesort, Paul Clau<strong>de</strong>l). Quelques auteurs :<br />

Bau<strong>de</strong>laire, les frères Goncourt, Mallarmé (série<br />

<strong>de</strong> poème Éventails), Judith Gautier (L’Usurpateur),<br />

et Pierre Loti (Madame Chrysanthème).<br />

La littérature japonaise<br />

Pour réaliser sa série d’estampes sur le Tkaid,<br />

Hiroshige a très probablement été inspiré par<br />

les romans <strong>de</strong> Jippensha Ikku, notamment T<br />

kaidch Hizakurige (À pied sur le Tkaid), publié<br />

en douze parties entre 1802 et 1822. Il<br />

narre les aventures rocambolesques <strong>de</strong> Kita et<br />

Yaji, <strong>de</strong>ux hommes d’Edo (edokko) sur le grand<br />

chemin du Tkaid, découvrant la vie dans les<br />

différentes provinces du Japon ; insouciants<br />

et loufoques, ils sont persuadés <strong>de</strong> quitter le<br />

mon<strong>de</strong> civilisé en quittant la capitale.<br />

PROFESSEURS DE LANGUES<br />

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Lettres <strong>de</strong> Van Gogh : en français, néerlandais<br />

et anglais.<br />

Japonais : apprentissage <strong>de</strong> la lecture <strong>de</strong>s toponymes<br />

(noms <strong>de</strong>s villes, <strong>de</strong>s monts, <strong>de</strong>s quartiers<br />

<strong>de</strong> Tokyo, etc.) en réinvestissant <strong>de</strong>s kanji<br />

connus. Description d’œuvres, acquisition du<br />

vocabulaire d’histoire <strong>de</strong> l’art et <strong>de</strong> termes liés<br />

à la nature (peinture, gravure, gravure sur bois,<br />

premier plan, thème, kakémono, paravent, etc. /<br />

montagne, col, rizière, pin, cerisier, pont, volcan,<br />

temple, sanctuaire, etc.) permettant <strong>de</strong> réinvestir<br />

<strong>de</strong>s kanji connus et d’en apprendre d’autres<br />

plus complexes. Pour les plus avancés : déchiffrage<br />

<strong>de</strong>s cartouches et pourquoi ne pas tenter<br />

la lecture du Tkaidch Hizakurige ( <br />

).<br />

Anglais : Laurence Oliphant, secrétaire <strong>de</strong> comte<br />

d’Elgin, a relaté le voyage <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier au Japon<br />

et en Chine dans l’ouvrage publié en 1860, The<br />

Narrative of the Earl of Elgin’s Mission to China<br />

and Japan in the years 1857, ’58, ’59. Cette<br />

publication en <strong>de</strong>ux volumes comporte <strong>de</strong>s<br />

reproductions d’estampes <strong>de</strong> Hiroshige.<br />

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BIBLIOGRAPHIE<br />

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />

- Marc RESTELLINI, Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, coédition <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>Paris</strong> et Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012.<br />

- Marc RESTELLINI, Hiroshige, l’art du voyage, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, coédition <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>Paris</strong> et Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012.<br />

- Van Gogh et Gauguin, l’atelier du Midi, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions Gallimard, Amsterdam,<br />

2002.<br />

- Bretagne Japon 2012, un archipel d’expositions, catalogue <strong>de</strong>s expositions, Éditions Palatines, Quimper,<br />

2012.<br />

- Pascal BONAFOUX, Van Gogh le soleil en face, coll. Découvertes Gallimard Arts, <strong>Paris</strong>, 1987.<br />

- Jacques LASSAIGNE, Van Gogh, coll. Les Impressionnistes, Éditions Princesse, Milan, 1974.<br />

- Pierre CABANNE, Van Gogh, Somogy, <strong>Paris</strong>, 1992.<br />

- Anne CORTEY, Comment parler <strong>de</strong> Vincent Van Gogh aux enfants, Éditions le baron perché, <strong>Paris</strong>,<br />

2011.<br />

- Hiroshige, carnet d’esquisses, Éditions Phébus, <strong>Paris</strong>, 2001.<br />

- François et Mieko MAC É, Le Japon d’Edo, coll. Gui<strong>de</strong>s Belles Lettres <strong>de</strong>s civilisations, <strong>Paris</strong>, 2006.<br />

- Louis FRÉDÉRIC, Le Japon, Dictionnaire et civilisation, Robert Laffont, <strong>Paris</strong>, 1996.<br />

- Nelly DELAY, Dominique RUSPOLI, Hiroshige, Invitation au voyage, Éditions À Propos, Garches,<br />

2012.<br />

Articles<br />

- Yvonne THIRION, « Le japonisme en France dans la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle à la faveur <strong>de</strong><br />

la diffusion <strong>de</strong> l’estampe japonaise », in Cahiers <strong>de</strong> l’Association internationale <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s françaises,<br />

1961, N°13. pp. 117-130.<br />

- Inaga SHIGEMI, « La réinterprétation <strong>de</strong> la perspective linéaire au Japon (1740 -1830) et son retour<br />

en France (1860 -1910) », Actes <strong>de</strong> la recherche en sciences sociales, vol. 49, septembre 1983, La<br />

peinture et son public, pp. 29-45.<br />

- Tamio IKEDA, « Collectionner les estampes Japonaises ? », in Bulletin <strong>de</strong> l’Association Franco-Japonaise,<br />

hiver 2009 –2010.<br />

Sites Internet<br />

- Site <strong>de</strong> la BNF : exposition L’estampe japonaise, images d’un mon<strong>de</strong> éphémère :<br />

http://expositions.bnf.fr/japonaises/in<strong>de</strong>x.htm<br />

- Site du musée Van Gogh d’Amsterdam :<br />

http://www.vangoghmuseum.nl/vgm/in<strong>de</strong>x.jsp?page=paginas.talen.fr<br />

- Site <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> Van Gogh :<br />

http://vangoghletters.org/vg/<br />

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