Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris
Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris
Dossier pédagogique - Pinacothèque de Paris
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
<strong>Dossier</strong> <strong>pédagogique</strong>
SOMMAIRE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
HIROSHIGE, L’ART DU VOYAGE<br />
Page<br />
3<br />
CONTEXTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
CHRONOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
HIROSHIGE, UNE APPROCHE POÉTIQUE DE LA NATURE . . . . . . . . . . . . . .<br />
LA ROUTE DU TKAID . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
LA TECHNIQUE DE L’ESTAMPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
4<br />
7<br />
9<br />
11<br />
12<br />
14<br />
VAN GOGH, RÊVES DE JAPON<br />
BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
UN AUTRE REGARD SUR LE JAPONISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
LE JAPON LU PAR VINCENT VAN GOGH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .<br />
VINCENT VAN GOGH ET LE JAPON : UNE HISTOIRE D’AMOUR . . . . . . . . .<br />
LES INFLUENCES RÉCIPROQUES DES ARTS OCCIDENTAL ET JAPONAIS . . .<br />
16<br />
17<br />
21<br />
25<br />
29<br />
32<br />
ANALYSES D’ŒUVRES<br />
33<br />
PISTES PÉDAGOGIQUES<br />
36<br />
BIBLIOGRAPHIE<br />
40<br />
2
Hiroshige, l’art du voyage<br />
3
CONTEXTE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
C’est durant l’époque d’Edo que l’art <strong>de</strong> l’estampe<br />
se développa au Japon.<br />
L’époque d’Edo (1603‐1868) correspond<br />
au règne <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>sTokugawa.<br />
Cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> paix survient après <strong>de</strong><br />
longs siècles <strong>de</strong> guerres civiles, où les daimy 1<br />
(seigneurs) s’affrontent pour étendre leur<br />
pouvoir. À la suite <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux chefs militaires<br />
très puissants, Oda Nobunaga (1534 ‐1582) et<br />
Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi (1536 ‐1598), Tokugawa<br />
Ieyasu unie le Japon et est nommé shogun en<br />
1603.<br />
À cette époque, l’empereur attribue le titre<br />
<strong>de</strong> shogun au plus puissant <strong>de</strong>s chefs militaires<br />
du pays, mais n’a pas <strong>de</strong> réel pouvoir politique.<br />
C’est donc le shogun qui gouverne le Japon.<br />
Dès sa nomination, Ieyasu fait du village d’Edo,<br />
où il avait établi ses quartiers généraux, la nouvelle<br />
capitale, qui remplace Kyoto. Edo <strong>de</strong>vient<br />
Tokyo à partir <strong>de</strong> l’ère Meiji (1868 ‐1912).<br />
Le Japon entre dans une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> paix<br />
et <strong>de</strong> prospérité. Déjà en contact avec l’Occi<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong>puis l’arrivée <strong>de</strong> marchands portugais<br />
en 1543, les Japonais entretiennent <strong>de</strong>s relations<br />
commerciales avec certains pays d’Europe. Des<br />
comptoirs commerciaux apparaissent dans tout<br />
le pays et, avec eux, s’installent <strong>de</strong>s missionnaires<br />
catholiques qui tentent <strong>de</strong> convertir la population<br />
locale.<br />
Tokugawa Iemitsu (1604 ‐1651), troisième<br />
shogun <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>sTokugawa, voit le<br />
développement <strong>de</strong> cette religion comme une<br />
menace contre son régime, il expulse donc<br />
tous les missionnaires du Japon et promulgue<br />
<strong>de</strong> nombreuses lois contre les catholiques<br />
japonais. Victimes <strong>de</strong>s persécutions du régime,<br />
ces <strong>de</strong>rniers se rebellent à Shimabara en 1637.<br />
Suite à ce soulèvement, réprimé très violemment<br />
par le shogun, Iemitsu adopte à partir <strong>de</strong> 1639<br />
une politique d’isolement du pays. En effet, il<br />
promulgue plusieurs lois interdisant la présence<br />
d’étrangers sur le territoire japonais et également<br />
aux Japonais toute sortie du territoire.<br />
Seuls les Hollandais et les Chinois sont autorisés<br />
à continuer les échanges commerciaux avec<br />
le Japon sur l’île articielle <strong>de</strong> Dejima, au large<br />
<strong>de</strong> Nagasaki. Alliés <strong>de</strong>s Tokugawa <strong>de</strong>puis la n <strong>de</strong><br />
la pério<strong>de</strong> médiévale, les Hollandais fournissent<br />
à Ieyasu les fameux tepp (mousquets) lors <strong>de</strong><br />
sa campagne contre Toyotomi Hi<strong>de</strong>yori (le ls<br />
<strong>de</strong> Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi). Ces armes, jusqu’alors<br />
absentes <strong>de</strong>s batailles, donnent aux Tokugawa une<br />
supériorité stratégique indéniable, jusqu’à nalement<br />
leur apporter la victoire lors <strong>de</strong> la bataille<br />
<strong>de</strong> Sekigahara qui voit la défaite <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong><br />
Hi<strong>de</strong>yori et l’instauration du shogunat Tokugawa.<br />
Le fait que les Hollandais soient protestants joue<br />
également un rôle dans ce choix : le shogunat<br />
soupçonne en effet les jésuites portugais d’avoir<br />
fomenté le soulèvement <strong>de</strong> Shimabara et souhaite<br />
donc tenir les nations catholiques à l’écart<br />
du Japon.<br />
Le pays va ainsi se fermer à toute inuence<br />
étrangère durant plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents ans. En 1635,<br />
Iemitsu s’assure également <strong>de</strong> l’obéissance <strong>de</strong>s<br />
daimy du pays (environ <strong>de</strong>ux cent cinquante<br />
seigneurs), en instaurant un système <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce<br />
alternée. Ce système les oblige à séjourner une<br />
année sur <strong>de</strong>ux à Edo et à y laisser leur famille<br />
en otage lorsqu’ils retournent sur leurs terres.<br />
Par ce système, le shogun s’assure la loyauté <strong>de</strong>s<br />
daimy mais c’est également un moyen d’affaiblir<br />
nancièrement les seigneurs, car ils doivent<br />
nancer eux-mêmes leurs déplacements, qui se<br />
font souvent en gran<strong>de</strong> pompe, avec une escorte<br />
d’une centaine <strong>de</strong> samouraïs, serviteurs, etc.<br />
1. La langue japonaise comporte <strong>de</strong>s voyelles dites « longues ». Le système <strong>de</strong> transcription ofciel Hepburn (d’après le nom du<br />
linguiste qui l’a mis en place) matérialise cet allongement <strong>de</strong>s sons [o] et [u] par l’utilisation d’un « macron » placé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s<br />
voyelles o et u : et . Pour le son [e] et le son [i], l’allongement sera respectivement matérialisé par ei et ii : gakk (école), kki (air),<br />
keizai (économie), chiisai (petit).<br />
4
Ce principe <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nce alternée aura plusieurs<br />
conséquences sur le pays : tout d’abord, la<br />
ville d’Edo va se développer considérablement<br />
pour accueillir les daimy et leur escorte. Au<br />
début du XVII e siècle, Edo compte un million<br />
d’habitants, ce qui fait d’elle la ville la plus peuplée<br />
du mon<strong>de</strong>.<br />
La moitié <strong>de</strong> la population d’Edo est alors<br />
composée <strong>de</strong> samouraïs (guerriers) qui sont<br />
venus accompagner leur maître pour leur séjour<br />
forcé. On assiste donc à la création <strong>de</strong> lieux <strong>de</strong><br />
plaisirs et <strong>de</strong> divertissements pour occuper les<br />
guerriers forcés à l’inaction (la paix étant installée)<br />
et pour répondre à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la classe<br />
moyenne enrichie (marchands et commerçants)<br />
en quête <strong>de</strong> loisirs. Des quartiers réservés aux<br />
divertissements voient le jour dans les gran<strong>de</strong>s<br />
villes. À Edo, <strong>de</strong>ux quartiers <strong>de</strong>viennent les pôles<br />
d’attraction : le quartier <strong>de</strong>s théâtres et le quartier<br />
<strong>de</strong>s plaisirs (Yoshiwara), où l’on peut se divertir<br />
auprès <strong>de</strong>s courtisanes et <strong>de</strong>s geishas.<br />
Le kabuki, forme <strong>de</strong> théâtre dansé joué exclusivement<br />
par les hommes, rencontre un très<br />
grand succès. Les acteurs <strong>de</strong> kabuki <strong>de</strong>viennent<br />
<strong>de</strong> véritables stars au Japon. Les directeurs <strong>de</strong><br />
théâtre cherchent à développer leur communication<br />
et se tournent rapi<strong>de</strong>ment vers un nouveau<br />
support publicitaire : l’estampe. En effet, ce média<br />
a <strong>de</strong> nombreux avantages : il permet une gran<strong>de</strong><br />
diffusion, car l’on peut produire <strong>de</strong> nombreuses<br />
images en un délai très court, et il est très bon<br />
marché. D’abord utilisées comme afches ou<br />
programmes <strong>de</strong> spectacle, les estampes envahissent<br />
très rapi<strong>de</strong>ment les étals <strong>de</strong>s marchés, où<br />
elles sont achetées par les citadins qui souhaitent<br />
gar<strong>de</strong>r un souvenir <strong>de</strong> leurs loisirs ou tout simplement<br />
décorer leur intérieur. Les scènes <strong>de</strong> la<br />
vie quotidienne, les acteurs et les courtisanes<br />
sont les sujets principaux <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> la n<br />
du XVII e siècle.<br />
En parallèle, l’édition connaît un développement<br />
sans précé<strong>de</strong>nt et contribue à l’essor <strong>de</strong><br />
l’art <strong>de</strong> l’estampe. En effet, au début du XVIII e<br />
siècle, 85 % <strong>de</strong> la population masculine d’Edo est<br />
lettrée et les Japonais raffolent <strong>de</strong>s livres illustrés<br />
qui paraissent sur les quartiers <strong>de</strong> plaisirs d’Edo<br />
ou les chroniques <strong>de</strong> la vie quotidienne <strong>de</strong> la ville<br />
en plein développement.<br />
Fin XVIII e , les habitants d’Edo renforcent<br />
encore la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en estampes avec la diffusion<br />
dans les couches urbaines plus populaires<br />
<strong>de</strong> la pratique consistant à accrocher dans un<br />
tokonoma (alcôve) une peinture agrémentée<br />
d’un poème <strong>de</strong> saison. Cette tradition implique<br />
un certain niveau économique car il s’agit <strong>de</strong><br />
changer l’œuvre très régulièrement an <strong>de</strong> suivre<br />
le déroulement <strong>de</strong>s saisons. La prospérité<br />
économique et les techniques <strong>de</strong> gravure moins<br />
onéreuses permettant l’acquisition d’estampes<br />
à moindres frais, nous assistons alors avec la<br />
propagation <strong>de</strong> cette pratique à l’âge d’or <strong>de</strong><br />
l’ukiyo-e (l’estampe).<br />
Ukiyo-e<br />
Ukiyo-e : terme japonais signifiant « image<br />
du mon<strong>de</strong> flottant ». Il désigne un mouvement<br />
artistique japonais <strong>de</strong> l’époque<br />
d’Edo (1603-1868). L’expression <strong>de</strong><br />
« mon<strong>de</strong> ottant », ukiyo, apparaît au Moyen<br />
Âge dans le vocabulaire bouddhique pour<br />
désigner le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> douleur qu’est la vie<br />
humaine avec tout ce qu’elle a <strong>de</strong> transitoire<br />
et <strong>de</strong> non permanent. En effet, le cycle <strong>de</strong><br />
la vie quotidienne et sa suite <strong>de</strong> plaisirs terrestres<br />
ne sont que <strong>de</strong>s images qui s’offrent<br />
au regard un beau jour pour s’effacer le len<strong>de</strong>main.<br />
Les artistes <strong>de</strong> l’ukiyo-e s’attachent<br />
à décrire la vie et les mœurs du temps, les<br />
portraits <strong>de</strong>s courtisanes et <strong>de</strong>s acteurs, le<br />
passage <strong>de</strong>s saisons, etc.<br />
5
Mais alors que l’art <strong>de</strong> l’estampe jouit d’une<br />
certaine liberté d’expression, les autorités commencent<br />
à se raidir et exercent une censure <strong>de</strong><br />
plus en plus sévère. On interdit les estampes<br />
érotiques, la mention du nom <strong>de</strong>s courtisanes<br />
représentées ou les portraits en buste. Les<br />
artistes continuent à représenter <strong>de</strong>s portraits<br />
mais ils ne peignent plus que <strong>de</strong>s personnages<br />
historiques, héroïques ou légendaires. L’art <strong>de</strong><br />
l’estampe s’enlise et peine à se renouveler.<br />
C’est dans ce contexte que Hokusai (1760 ‐<br />
1849) et Hiroshige (1797‐1858) fon<strong>de</strong>nt un<br />
genre nouveau qui va redonner un second<br />
soufe à l’art <strong>de</strong> l’ukiyo‐e : le paysage.<br />
Alors que jusque‐là le paysage sert <strong>de</strong><br />
décor et d’arrière‐plan au traitement d’une<br />
scène narrative, il <strong>de</strong>vient le sujet principal <strong>de</strong><br />
l’estampe. Le succès est au ren<strong>de</strong>z‐vous : les<br />
éditeurs comman<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nombreuses séries<br />
aux artistes et le public adhère tout <strong>de</strong> suite<br />
à ces représentations <strong>de</strong> sites pittoresques et<br />
spectaculaires. Si l’engouement pour ce nouveau<br />
genre pictural est si important et immédiat, c’est<br />
qu’il rejoint les aspirations <strong>de</strong> la société japonaise<br />
du début du XIX e siècle : en effet, les Tokugawa,<br />
particulièrement Tokugawa Tsunayoshi, élèvent<br />
la pensée néo‐confucianiste au rang <strong>de</strong> doctrine<br />
nationale.<br />
Parallèlement, le concept bouddhique du muj,<br />
l’« impermanence » <strong>de</strong>s choses, la disparition<br />
inévitable <strong>de</strong> ce qui existe, est accepté dans la<br />
plupart <strong>de</strong>s domaines <strong>de</strong> la pensée japonaise. La<br />
contemplation d’un cerisier en eur, <strong>de</strong> la neige<br />
qui tombe ou encore d’une ne pluie brumeuse<br />
provoque une émotion mélancolique, liée à la<br />
prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’évolution constante du<br />
mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa disparition pressentie. La notion<br />
<strong>de</strong> muj est un héritage <strong>de</strong> la n <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong><br />
Heian (XIII e siècle). Le bouddhisme, jusqu’alors<br />
pratiqué <strong>de</strong> façon ésotérique et accessible aux<br />
seuls initiés, se diffuse dans la société grâce à<br />
l’arrivée <strong>de</strong> l’amidisme et aux conteurs itinérants<br />
(souvent <strong>de</strong>s moines aveugles qui narrent <strong>de</strong>s<br />
fables moralisatrices). Thème central d’épopées<br />
comme le Heike Monogatari, le muj, entre<br />
autres principes, frappe les consciences dans<br />
un contexte <strong>de</strong> peur millénariste : la société<br />
<strong>de</strong> Heian, gée <strong>de</strong>puis quatre siècles dans ses<br />
rituels immuables, s’écroule. La ville impériale<br />
elle-même est ravagée par les ammes pendant<br />
que s’affrontent les clans rivaux. Et alors que le<br />
clergé bouddhiste annonce l’arrivée du mapp,<br />
la n <strong>de</strong> la Loi, une succession <strong>de</strong> sécheresses,<br />
tremblements <strong>de</strong> terre et épidémies décime la<br />
population.<br />
La mise en place <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce alternée<br />
pousse le gouvernement à entreprendre <strong>de</strong><br />
grands travaux pour créer <strong>de</strong> nouvelles routes<br />
facilitant les déplacements <strong>de</strong>s daimy vers Edo.<br />
Des villages-relais se développent le long <strong>de</strong>s<br />
routes les plus empruntées, offrant tout le confort<br />
nécessaire aux voyageurs (auberges, maisons<br />
closes, pharmacies, restaurants, etc.). Le tourisme<br />
intérieur se développe, facilité par ces routes<br />
plus sûres et mieux aménagées. Les pèlerinages<br />
vers les sanctuaires et les visites <strong>de</strong> sites célèbres<br />
se multiplient, suite au succès d’À pied sur le<br />
Tkaid et <strong>de</strong>s séries d’estampes <strong>de</strong> paysage.<br />
Cette mobilité permet aux Japonais <strong>de</strong> découvrir<br />
une plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur territoire et <strong>de</strong> se<br />
penser comme une véritable nation, mais elle leur<br />
permet également une échappatoire à l’asphyxie<br />
ambiante, due à la fermeture du pays.<br />
Les gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> voyage, et bientôt les carnets<br />
<strong>de</strong> voyage, garnis d’estampes <strong>de</strong> paysage, rencontrent<br />
un grand succès. Facile d’accès, le paysage<br />
ne nécessite pas <strong>de</strong> connaissances sur l’art classique<br />
ou la littérature pour être compris, c’est<br />
pourquoi il est apprécié par toutes les classes<br />
<strong>de</strong> la population, même les plus mo<strong>de</strong>stes. Les<br />
loisirs du peuple ne se situent plus exclusivement<br />
dans les quartiers réservés <strong>de</strong> la capitale mais<br />
au contact <strong>de</strong> la nature, dans son observation<br />
et sa contemplation durant <strong>de</strong> longues promena<strong>de</strong>s.<br />
Les Japonais développent une spiritualité<br />
contemplative que l’on retrouve parfaitement<br />
dans l’art <strong>de</strong> l’ukiyo-e <strong>de</strong> paysage.<br />
Mais, alors que l’estampe <strong>de</strong> paysage connaît<br />
un succès croissant, l’ouverture soudaine du<br />
pays à la culture occi<strong>de</strong>ntale et, notamment, la<br />
6
découverte <strong>de</strong> la photographie et <strong>de</strong>s caricatures,<br />
vont sonner le glas <strong>de</strong> l’ukiyo‐e. En effet, au milieu<br />
du XIX e siècle, le pays subit <strong>de</strong>s pressions croissantes<br />
au large <strong>de</strong> ses côtes : les Russes au nord,<br />
les Britanniques au sud et les Américains à l’est<br />
tentent <strong>de</strong> rentrer en contact avec le Japon. Les<br />
Américains et les Anglais cherchent avant tout un<br />
port d’escale sur la route commerciale reliant la<br />
côte ouest américaine nouvellement développée,<br />
les comptoirs <strong>de</strong> Shanghai et les pays producteurs<br />
du Sud‐Est asiatique.<br />
Le 8 juillet 1853, les vaisseaux du commodore<br />
Perry entrent dans la baie d’Uraga. Son message<br />
est clair : soit le Japon entretient <strong>de</strong>s rapports<br />
commerciaux avec les États‐Unis, soit les États‐<br />
Unis entrent en guerre contre le Japon. Les armes<br />
et la otte japonaises n’ont pas évolué <strong>de</strong>puis la<br />
fermeture du pays aux étrangers <strong>de</strong>ux cents ans<br />
plus tôt, elles sont donc obsolètes comparées<br />
à celles <strong>de</strong>s Américains. Le shogun ne peut pas<br />
lutter, il cè<strong>de</strong> donc en 1854 en ratiant un traité<br />
commercial avec les États‐Unis.<br />
Très rapi<strong>de</strong>ment, d’autres pays suivent et le<br />
Japon, si longtemps fermé à tout contact venu <strong>de</strong><br />
l’extérieur, connaît une rapi<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntalisation.<br />
En effet, il s’agit pour le pays <strong>de</strong> se mo<strong>de</strong>rniser<br />
et <strong>de</strong> s’industrialiser au plus vite pour éviter <strong>de</strong><br />
tomber sous la domination occi<strong>de</strong>ntale. Le Japon<br />
change <strong>de</strong> visage, les mo<strong>de</strong>s et les passions d’hier<br />
tombent dans la désuétu<strong>de</strong> la plus complète.<br />
L’ukiyo-e, rapi<strong>de</strong>ment supplanté par la photographie,<br />
passe <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> au Japon et, parallèlement,<br />
la découverte <strong>de</strong>s estampes japonaises<br />
par les artistes occi<strong>de</strong>ntaux, notamment lors <strong>de</strong><br />
l’Exposition universelle <strong>de</strong> 1876, va révolutionner<br />
la peinture mo<strong>de</strong>rne européenne.<br />
CHRONOLOGIE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
- 1543 : <strong>de</strong>s marchands portugais débarquent au Japon.<br />
- 1543 : naissance <strong>de</strong> Tokugawa Ieyasu.<br />
- 1545 : François Xavier débarque au Japon. Arrivée du christianisme.<br />
- 1590 : Toyotomi Hi<strong>de</strong>yoshi réunie le Japon.<br />
- 1600 : bataille <strong>de</strong> Sekigahara, victoire <strong>de</strong> Tokugawa Ieyasu.<br />
- 1603 : l’empereur donne le titre <strong>de</strong> shogun à Tokugawa Ieyasu.<br />
- 1612 : interdiction par Tokugawa Ieyasu <strong>de</strong>s cultes chrétiens.<br />
- 1617 : création <strong>de</strong> quartiers réservés à Edo (Yoshiwara).<br />
- 1635 : interdiction pour les Japonais <strong>de</strong> voyager à l’étranger. Établissement du système du sankin<br />
ktai (séjours réguliers <strong>de</strong>s daimy à Edo).<br />
- 1637-1638 : révolte <strong>de</strong>s catholiques <strong>de</strong> Shimabara.<br />
- 1639 : fermeture du pays aux Occi<strong>de</strong>ntaux. Les Hollandais sont les seuls Européens autorisés<br />
à pénétrer au Japon.<br />
- 1657 : grand incendie à Edo.<br />
- 1740 : premières tentatives d’adaptation <strong>de</strong> la perspective linéaire occi<strong>de</strong>ntale au Japon.<br />
- 1760 : naissance <strong>de</strong> Hokusai.<br />
- 1797 : naissance <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
7
- 1802 -1822 : Jippensha Ikku publie Tkaidch Hizakurige (À pied sur le Tkaid) en douze parties.<br />
- 1814 -1819 : publication <strong>de</strong>s manga <strong>de</strong> Hokusai, volumes 1-10.<br />
- 1829 : le pigment bleu <strong>de</strong> Prusse est utilisé à Edo.<br />
- 1832 : famine et insurrections au Japon.<br />
- 1831-1834 : publication <strong>de</strong>s Trente-six vues du mont Fuji <strong>de</strong> Hokusai.<br />
- 1831-1832 : publication <strong>de</strong> Lieux célèbres <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
- 1833 -1834 : publication <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
- 1834 -1842 : publication <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
- 1842 -1843 : réforme <strong>de</strong> l’ère Tenp : cachet <strong>de</strong> censure sur les estampes.<br />
- 1849 : mort <strong>de</strong> Hokusai.<br />
- 1853 : les vaisseaux du commodore Perry débarquent au Japon. Naissance <strong>de</strong> Vincent Willem<br />
van Gogh.<br />
- 1854 : traité autorisant le commerce entre le Japon et les États-Unis.<br />
- 1855 : grand tremblement <strong>de</strong> terre à Edo.<br />
- 1856 : Hiroshige prend la tonsure, il <strong>de</strong>vient moine bouddhiste.<br />
- 1856 -1858 : publication <strong>de</strong>s Cent vues <strong>de</strong>s sites célèbres d’Edo <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
- 1858 : mort <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
- 1860 : la classe <strong>de</strong>s samouraïs est dissoute. Publication <strong>de</strong> The Narrative of the Earl of Elgin’s Mission<br />
to China and Japan in the years 1857, ’58, ’59 <strong>de</strong> Laurence Oliphant.<br />
- 1862 : première mission shogunale en Occi<strong>de</strong>nt : arrivée à <strong>Paris</strong> <strong>de</strong> la première ambassa<strong>de</strong> japonaise.<br />
Ouverture à <strong>Paris</strong> <strong>de</strong> la boutique La Porte Chinoise.<br />
- 1866 : publication <strong>de</strong> Manette Salomon <strong>de</strong>s Frères Goncourt.<br />
- 1867 : première participation du Japon à l’Exposition universelle qui se tient à <strong>Paris</strong>. Fondation <strong>de</strong> la<br />
société secrète du Jing-Lar à Sèvres.<br />
- 1868 : n du Shogunat Tokugawa, début <strong>de</strong> l’ère Meji (1868 -1912).<br />
- 1869 : exposition d’estampes japonaises à <strong>Paris</strong>.<br />
- 1874 : publication <strong>de</strong> L’Usurpateur par Judith Gautier.<br />
- 1883 : publication <strong>de</strong> L’Art japonais <strong>de</strong> Louis Gonse.<br />
- 1885 -1886 : Van Gogh achète à La Haye <strong>de</strong>s estampes japonaises.<br />
- 1887 : exposition d’estampes japonaises au café Le Tambourin organisée par Van Gogh. <strong>Paris</strong> illustré<br />
consacre un numéro double au Japon. Publication <strong>de</strong> Madame Chrysanthème, roman <strong>de</strong><br />
Pierre Loti.<br />
- 1888 : publication du premier numéro du Japon Artistique <strong>de</strong> Samuel Bing.<br />
- 1890 : exposition De la gravure japonaise à l’École <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>. Mort <strong>de</strong> Van Gogh<br />
à Auvers-sur-Oise.<br />
- 1893 : ouverture d’une section extrême-orientale au Louvre.<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
8
BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE D’UTAGAWA HIROSHIGE (1797 – 1858)<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
1797 : naissance <strong>de</strong> Ando Hiroshige à Edo<br />
(ancien nom <strong>de</strong> Tokyo). Son père est un samouraï<br />
employé dans une briga<strong>de</strong> <strong>de</strong> pompier. En 1809,<br />
sa mère décè<strong>de</strong>. Son père lui cone alors sa<br />
charge héréditaire <strong>de</strong> pompier puis meurt l’année<br />
suivante. Hiroshige est désormais orphelin.<br />
Très tôt, il s’intéresse au <strong>de</strong>ssin et s’initie avec un<br />
ami, Rinsai Okajima, à la peinture <strong>de</strong> paysage et<br />
à la technique <strong>de</strong> l’estampe.<br />
1811‐1830 : les années <strong>de</strong> formation<br />
En 1811, Hiroshige entre dans l’atelier d’Utagawa<br />
Toyohiro, an <strong>de</strong> se former au <strong>de</strong>ssin et à l’art<br />
<strong>de</strong> l’estampe. Toyohiro lui aurait donné son nom<br />
d’artiste dès 1812 : Hiroshige joint le caractère<br />
hiro (<strong>de</strong>rnière partie du nom du maître) à son<br />
nom d’artiste shige.<br />
Les premiers <strong>de</strong>ssins connus <strong>de</strong> Hiroshige<br />
datent <strong>de</strong> 1818. Il se consacre essentiellement<br />
à l’estampe <strong>de</strong> personnage dans la tradition <strong>de</strong><br />
ses maîtres ; il produit <strong>de</strong>s portraits d’acteurs, <strong>de</strong><br />
courtisanes et <strong>de</strong> guerriers, <strong>de</strong>s illustrations <strong>de</strong><br />
livres et <strong>de</strong>s surimono (estampes luxueuses) illustrant<br />
un recueil <strong>de</strong> poèmes. En 1821, Hiroshige<br />
se marie et, en 1827, il transmet à son ls âgé<br />
d’une dizaine d’années sa charge <strong>de</strong> pompier<br />
an <strong>de</strong> se consacrer à son art.<br />
Années 1830 : les séries du Tkaid et<br />
du Kisokaid<br />
Hiroshige se tourne vers le paysage, à la suite<br />
<strong>de</strong> Hokusai. L’éditeur Kawaguchi Shz lui comman<strong>de</strong><br />
une série <strong>de</strong> dix vues d’Edo, imprimée<br />
avec peu <strong>de</strong> couleurs : bleu et rose avec <strong>de</strong>s<br />
touches <strong>de</strong> brun et <strong>de</strong> vert. Cette comman<strong>de</strong> est<br />
stimulée par la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> touristes souhaitant<br />
ramener une estampe en souvenir <strong>de</strong> leur visite<br />
dans la capitale Edo. Hiroshige se spécialise dans<br />
ces « estampes-souvenirs » <strong>de</strong> vues urbaines<br />
d’Edo.<br />
Il publie en 1833 sa série <strong>de</strong>s Cinquante-trois<br />
étapes du Tkaid grâce à un éditeur inconnu<br />
jusqu’alors, Takenouchi Magohachi, <strong>de</strong> la maison<br />
Hoeid. Cette série est un grand succès,<br />
Hiroshige <strong>de</strong>vient un artiste reconnu. Fort<br />
<strong>de</strong> cette réputation <strong>de</strong> peintre <strong>de</strong> paysage, il<br />
abandonne dès 1833 la réalisation <strong>de</strong> portraits,<br />
nourrissant <strong>de</strong>s projets ambitieux. Il continue à<br />
<strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s lieux célèbres d’Edo, thématique<br />
qu’il adapte également à Kyoto et Osaka.<br />
Entre les années 1834 et 1836, une grave<br />
crise économique secoue le Japon et affecte également<br />
le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’édition. Juste avant cette<br />
crise, l’éditeur Takenouchi a souhaité lancer une<br />
comman<strong>de</strong> d’estampes représentant la route,<br />
plus longue, du Kisokaid, reliant Edo et Kyoto.<br />
Les premières vues sont réalisées par Keisai Eisen<br />
mais en raison <strong>de</strong> la crise le projet est racheté<br />
en 1838 par la maison d’édition Kinjud, qui fait<br />
appel à Hiroshige pour l’achever.<br />
1840-1858 : la série <strong>de</strong>s Cent vues d’Edo<br />
et les <strong>de</strong>rnières années<br />
À partir <strong>de</strong> 1840, Hiroshige travaille sur différents<br />
projets <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> envergure, parfois en collaboration<br />
avec <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong> l’école Utagawa,<br />
comme Kuniyoshi et Kunisada. Il réalise un grand<br />
nombre <strong>de</strong> livres illustrés, développe <strong>de</strong> petites<br />
séries sur le Tkaid. Il publie, <strong>de</strong> 1853 à 1856,<br />
une suite <strong>de</strong> soixante-dix planches, les Vues <strong>de</strong>s<br />
sites célèbres <strong>de</strong>s soixante et quelques provinces<br />
du Japon. De 1856 à 1859, Hiroshige réalise son<br />
<strong>de</strong>rnier grand projet dédié, une nouvelle fois,<br />
à <strong>de</strong>s vues <strong>de</strong> la capitale : la série <strong>de</strong>s Cent vues<br />
<strong>de</strong>s lieux célèbres d’Edo. Au total, la série comprend<br />
cent dix-neuf <strong>de</strong>ssins plus la table <strong>de</strong>s<br />
matières et le format choisi est la composition<br />
verticale. Cette série est l’une <strong>de</strong>s plus luxueuses<br />
réalisées par Hiroshige, en collaboration avec<br />
son ls adoptif, Utagawa Hiroshige II. En 1856,<br />
Hiroshige <strong>de</strong>vient prêtre bouddhiste puis, atteint<br />
du choléra, il décè<strong>de</strong> au mois <strong>de</strong> septembre<br />
1858. Au cours <strong>de</strong> sa vie, il a réalisé plus <strong>de</strong> dix<br />
mille sujets (hors illustrations <strong>de</strong> livres). Il a eu<br />
peu <strong>de</strong> disciples, mais <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses « ls adoptifs »<br />
ainsi qu’un troisième artiste ont adopté le nom<br />
<strong>de</strong> Hiroshige. Cependant, ses successeurs les plus<br />
connus sont, à l’ère Meiji, Kobayasahi Kiyochika<br />
et Yoshida Hiroshi.<br />
9
Bleu <strong>de</strong> Prusse<br />
Les premières gravures réalisées au Japon<br />
sont imprimées uniquement en noir, mais peu<br />
à peu, les artistes d’Edo conçoivent <strong>de</strong>s techniques<br />
permettant <strong>de</strong>s tirages en couleurs à<br />
faible coût. Les éditeurs utilisent alors une<br />
gamme réduite <strong>de</strong> couleurs végétales (noir,<br />
ocre, rose <strong>de</strong> cochenille, jaune <strong>de</strong> curcuma,<br />
rouge millepertuis et le vert olive). L’emploi<br />
du bleu, issu <strong>de</strong> l’indigo, est rare car très onéreux.<br />
De plus, ces bleus sont instables, virant<br />
souvent au brunâtre. Mais dans les années<br />
1820, un nouveau pigment venu d’Occi<strong>de</strong>nt,<br />
le bleu <strong>de</strong> Prusse, révolutionne l’esthétique<br />
<strong>de</strong>s estampes et contribue au succès <strong>de</strong> l’estampe<br />
<strong>de</strong> paysage. Cette couleur chimique et<br />
synthétique est importée <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong>, via l’île<br />
<strong>de</strong> Dejima et utilisée à Edo à partir <strong>de</strong> 1829<br />
par les artistes japonais. Le bleu <strong>de</strong> Prusse est<br />
intense, profond et offre <strong>de</strong>s nuances innies<br />
avec une seule planche <strong>de</strong> couleur. Il s’accor<strong>de</strong><br />
parfaitement avec la palette <strong>de</strong> couleurs et la<br />
sensibilité <strong>de</strong>s nouveaux maîtres <strong>de</strong> l’ukiyo-e :<br />
Hiroshige fait du bleu <strong>de</strong> Prusse un usage<br />
intensif et l’utilise dans presque toutes ses<br />
estampes <strong>de</strong> paysage.<br />
Utagawa Hiroshige Porte d’entrée du sanctuaire <strong>de</strong> Sann à Nagatababa. Série <strong>de</strong>s Lieux célèbres <strong>de</strong> la capitale <strong>de</strong> l’Est, 1832-1835,<br />
nishiki-e (estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. : 24,7 x 37 cm. © Museum Volkenkun<strong>de</strong>,<br />
Lei<strong>de</strong>n / Musée national d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 1353 -398<br />
10
HIROSHIGE, UNE APPROCHE POÉTIQUE DE LA NATURE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
« Mon intention est surtout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s paysages<br />
tels que l’on peut les voir aujourd’hui <strong>de</strong> ses propres yeux. »<br />
Hiroshige, Souvenirs illustrés d’Edo, 1850<br />
Ce qui compte pour Hiroshige, c’est évoquer<br />
l’idée d’un paysage et transmettre une certaine<br />
vision. Il ne se limite pas à reproduire la réalité ;<br />
il la transgure, souligne la poésie <strong>de</strong>s paysages<br />
et interprète la nature avec une profon<strong>de</strong> sensibilité.<br />
L’art <strong>de</strong> Hiroshige se caractérise par son<br />
approche poétique <strong>de</strong> la nature. Privilégiant les<br />
effets d’atmosphère, les phénomènes climatiques,<br />
la lumière, il suggère avec lyrisme la saison, gure<br />
les intempéries (pluie <strong>de</strong> printemps, orage, vent,<br />
neige, brouillard) ou encore les moments <strong>de</strong><br />
la journée (aube dans la brume, lever <strong>de</strong> soleil,<br />
crépuscule du soir, clair <strong>de</strong> lune, obscurité <strong>de</strong><br />
la nuit).<br />
À travers les caprices du temps, la oraison<br />
<strong>de</strong>s cerisiers ou la chute soudaine <strong>de</strong>s eurs, il<br />
évoque avec nostalgie la brièveté <strong>de</strong> la vie et<br />
les plaisirs fugitifs. Attentif aux manifestations <strong>de</strong><br />
l’« impermanence » et <strong>de</strong> l’éphémère, observateur<br />
enthousiaste et parfois mélancolique <strong>de</strong> la<br />
nature, sensible à sa beauté, à sa fragilité et à ses<br />
variations, il cherche à en saisir les impressions<br />
instantanées et changeantes, précurseur en ce<br />
sens <strong>de</strong>s impressionnistes sur qui il exercera une<br />
inuence très nette. Le maître parvient à représenter<br />
un site réel <strong>de</strong> façon i<strong>de</strong>ntiable, tout en le<br />
baignant <strong>de</strong> cette aura poétique et mystérieuse<br />
inhérente à la nature. Hiroshige est un véritable<br />
« portraitiste » <strong>de</strong> la nature.<br />
Au contraire <strong>de</strong> Hokusai qui privilégie l’activité<br />
humaine dans un paysage qui sert <strong>de</strong> décor,<br />
Hiroshige privilégie d’abord le paysage puis intègre<br />
au premier plan <strong>de</strong> ses estampes <strong>de</strong>s personnages.<br />
Suivant la tradition <strong>de</strong>s meisho‐e (peintures<br />
japonaises <strong>de</strong> « vues célèbres »), il immortalise<br />
<strong>de</strong>s sites fameux ainsi que <strong>de</strong>s vues urbaines :<br />
ponts, rivières, casca<strong>de</strong>s, lacs, côtes, montagnes,<br />
rizières, temples, sanctuaires, théâtres, maisons<br />
<strong>de</strong> thé, auberges ou boutiques. Il saisit également<br />
sur le vif <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> genre : <strong>de</strong>s foules<br />
bigarrées, <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> toutes conditions,<br />
voyageurs, marchands, artisans, paysans, pèlerins,<br />
moines, geishas et samouraïs. Ces gures anonymes,<br />
représentées <strong>de</strong> manière synthétique et<br />
souvent avec humour, se fon<strong>de</strong>nt dans le paysage<br />
; inuencé par les principes du shintoïsme,<br />
Hiroshige les représente en symbiose avec<br />
une nature gloriée, qu’il dévoile sous tous ses<br />
aspects saisonniers.<br />
Ses compositions reposent fréquemment<br />
sur l’opposition entre le premier et l’arrièreplan,<br />
entre le mouvement et l’immobilité, entre<br />
l’agitation humaine et le statisme du paysage. Il<br />
attache la même importance que Hokusai à la<br />
construction géométrique <strong>de</strong> l’estampe : un étagement<br />
<strong>de</strong> plans colorés, <strong>de</strong>s courbes et <strong>de</strong>s<br />
lignes droites (horizontales, diagonales, verticales)<br />
rythment la composition, structurent l’espace et<br />
orientent le regard. Hiroshige place souvent un<br />
sujet particulier au tout premier plan, l’exagère<br />
et l’isole du reste du paysage.<br />
11
LA ROUTE DU TKAID<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
La route du Tkaid, « route <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong><br />
l’Est », est l’une <strong>de</strong>s cinq artères majeures du<br />
Japon d’alors. Ces cinq routes ont été créées<br />
ou se sont développées pendant l’époque d’Edo<br />
(1603‐1868), les Tokugawa souhaitant faciliter les<br />
déplacements <strong>de</strong>s Japonais, et améliorer leur<br />
contrôle sur le pays.<br />
Cette artère permet <strong>de</strong> relier Edo (capitale<br />
shogunale) à Kyoto (rési<strong>de</strong>nce impériale) en passant<br />
par le littoral. La distance était <strong>de</strong> 488 km,<br />
parcourus en <strong>de</strong>ux semaines environ.<br />
Les voyageurs, en fonction <strong>de</strong> leur place dans<br />
la société, effectuaient ce voyage à pied (à l’ai<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> sandales <strong>de</strong> paille qui ne duraient généralement<br />
pas plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours), en palanquin, en<br />
logette <strong>de</strong> bambou tressé, en chaise à porteur<br />
ou à cheval.<br />
Le tracé initial du Tkaid remonte au XI e<br />
siècle, mais la route ne prend <strong>de</strong> l’importance<br />
qu’à partir <strong>de</strong> 1603, à la suite du déplacement<br />
<strong>de</strong> la capitale shogunale à Edo. Il débute au pont<br />
Nihonbashi, aux portes d’Edo, et aboutit au pont<br />
Sanj à Kyoto. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que,<br />
l’empereur n’ayant jamais été déchu, Kyoto reste<br />
ofciellement la capitale politique du pays. Dès<br />
lors, la route <strong>de</strong>vrait débuter au pont Sanj et<br />
se terminer au Nihonbashi, à Edo. Faire débuter<br />
la route à Edo et choisir le terme nihon pour<br />
désigner le Japon, plutôt que le terme yamato,<br />
montre une volonté <strong>de</strong> se couper du pouvoir<br />
impérial shintoïste en faveur d’une liation plus<br />
chinoise, entre autre par la reconnaissance du<br />
néo‐confucianisme comme religion d’État. Les<br />
cinquante trois relais sont distants entre eux <strong>de</strong><br />
quatre ri, une unité <strong>de</strong> mesure qui correspond<br />
à environ <strong>de</strong>ux kilomètres.<br />
À l’époque d’Edo, elle est fréquentée avant<br />
tout par les daimy (seigneurs féodaux) ; pour<br />
éviter les tentatives <strong>de</strong> rébellion, les daimy<br />
sont astreints à une rési<strong>de</strong>nce alternée (sankin<br />
ktai), dans la capitale auprès du shogun et sur<br />
leurs terres. Ils doivent donc emprunter cette<br />
route pour se rendre à Edo avec leur suite, et<br />
ne retournent dans leur ef qu’en laissant leur<br />
famille en « otage ». La suite d’un daimy peut<br />
compter plus <strong>de</strong> mille personnes.<br />
De plus en plus <strong>de</strong> personnes <strong>de</strong> toutes<br />
conditions sillonnent également les routes du<br />
pays afin <strong>de</strong> contempler l’infinie variété <strong>de</strong>s<br />
paysages, <strong>de</strong> visiter les sites célèbres ou <strong>de</strong> se<br />
rendre en pèlerinage dans les sanctuaires ; la<br />
nature participe davantage <strong>de</strong> l’environnement<br />
familier. L’obtention <strong>de</strong> permis <strong>de</strong> voyage s’assouplit<br />
progressivement dans le courant du XIX e<br />
siècle, permettant ainsi le développement rapi<strong>de</strong><br />
du tourisme intérieur et la fréquentation <strong>de</strong>s<br />
gran<strong>de</strong>s routes comme le Tkaid.<br />
Ainsi, la route est très empruntée : daimy et<br />
leur suite, bonzes, messagers, marchands, pèlerins<br />
et touristes. Des pins sont plantés le long <strong>de</strong> la<br />
route pour offrir <strong>de</strong> l’ombre aux voyageurs. Des<br />
relais, nommés shukuba, sont aménagés pour les<br />
ravitaillements (auberges, restaurants, maisons <strong>de</strong><br />
thé, commerces avec <strong>de</strong>s produits artisanaux et<br />
locaux, écuries, etc.). Ils sont souvent situés dans<br />
<strong>de</strong>s sites pittoresques, près <strong>de</strong> sanctuaires shintoïstes<br />
ou <strong>de</strong> temples bouddhiques.<br />
Concernant le parcours, la route du Tkaid<br />
est partiellement littorale : elle longe la baie <strong>de</strong><br />
Tokyo, puis la baie <strong>de</strong> Sagami jusqu’à Hakone.<br />
Elle quitte le littoral pour passer la chaîne <strong>de</strong><br />
montagnes <strong>de</strong> Hakone, avant <strong>de</strong> le retrouver<br />
dans la baie <strong>de</strong> Suruga, au sud du mont Fuji. Les<br />
voyageurs <strong>de</strong>vaient par la suite traverser les différents<br />
euves qui se jettent dans la mer, représentés<br />
avec attention par Hiroshige ; <strong>de</strong> nombreux<br />
passages se font en barque. Après le quarantequatrième<br />
relais, la route pénètre dans les terres,<br />
avant <strong>de</strong> rejoindre Kyoto.<br />
Le Tkaid est aujourd’hui la voie principale<br />
<strong>de</strong> l’immense mégalopole du même nom, qui<br />
englobe Tokyo, Yokohama et Nagoya, regroupant<br />
plus <strong>de</strong> cinquante millions d’habitants.<br />
Une ligne <strong>de</strong> train suit le tracé initial <strong>de</strong> la route<br />
(Shinkansen).<br />
12
Utagawa Hiroshige. Un pèlerin avec un large masque Sarutahiko sur les rives du euve Kano. Série <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid, 1833-1834,<br />
nishiki-e (estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. 23,9 x 35,7 cm. © Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n/Musée national<br />
d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 1353-25-13<br />
Les estampes <strong>de</strong> Hiroshige<br />
La série <strong>de</strong>s Cinquante‐trois étapes du Tkaid<br />
Jusqu’à très récemment, on pensait que<br />
Hiroshige avait effectué ses esquisses lors d’un<br />
voyage en 1832 sur la route du Tkaid, alors<br />
qu’il accompagnait le cortège du shogun qui se<br />
rendait à Kyoto pour offrir <strong>de</strong>s chevaux à l’empereur.<br />
Mais cette version est aujourd’hui contestée,<br />
et ce pour plusieurs raisons (il n’aurait effectué<br />
qu’une semaine <strong>de</strong> voyage sur le Tkaid, et<br />
n’aurait pas dépassé la station 19) :<br />
• ce voyage n’est mentionné nulle part dans les<br />
archives <strong>de</strong> la famille ou les autres sources littéraires<br />
sur la vie <strong>de</strong> Hiroshige ;<br />
• si Hiroshige a réellement effectué ce voyage,<br />
il n’a sans doute jamais dépassé la province <strong>de</strong><br />
Sugura : la majorité <strong>de</strong>s étapes suivantes s’appuient<br />
certainement sur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions d’un<br />
gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> voyage, le Tkaid meisho zue. Cet<br />
ouvrage illustré donne également <strong>de</strong> très nombreuses<br />
<strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong>s stations, du paysage, <strong>de</strong>s<br />
spécialités culinaires, etc. ;<br />
• l’autre source littéraire est le Tkaidch hizakurige,<br />
« À pied sur le Tkaid », roman <strong>de</strong> Jippensha<br />
Ikku publié en 1802, qui a rencontré un vrai<br />
succès : certaines scènes du livre sont évoquées<br />
dans la série <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
La série est publiée en 1833‐1834 grâce<br />
à un éditeur inconnu jusqu’alors, Takenouchi<br />
Magohachi, et remporte aussitôt un immense<br />
succès ; les retirages sont nombreux. Hiroshige<br />
a publié au total plus d’une trentaine <strong>de</strong> séries<br />
ayant la route du Tkaid pour sujet, la plupart<br />
représentant la totalité <strong>de</strong>s cinquante‐trois étapes.<br />
Certaines séries sont réalisées en collaboration<br />
avec d’autres artistes tels que Kunisada, Kuniyoshi<br />
et Eisen. Pour cette première édition, les dégradés<br />
et les coloris sont particulièrement soignés.<br />
13
LA TECHNIQUE DE L’ESTAMPE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Une estampe est le résultat <strong>de</strong> la collaboration<br />
<strong>de</strong> quatre personnes : l’éditeur, qui coordonne<br />
le travail ; l’artiste, qui réalise le <strong>de</strong>ssin ; le<br />
graveur, qui épargne le bois ; et l’imprimeur, qui<br />
procè<strong>de</strong> au tirage.<br />
L’éditeur, qui en général nance l’opération,<br />
comman<strong>de</strong> le <strong>de</strong>ssin à l’artiste qui le réalise au<br />
pinceau et à l’encre <strong>de</strong> Chine sur un papier presque<br />
transparent.<br />
Le graveur va ensuite graver plusieurs planches<br />
<strong>de</strong> bois pour procé<strong>de</strong>r à l’impression.<br />
Il commence par faire une planche <strong>de</strong> trait<br />
(les traits <strong>de</strong>s contours noirs) : il colle la feuille<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin donnée par l’artiste sur une planche, la<br />
face <strong>de</strong>ssinée contre le bois. La nesse du papier<br />
lui permet <strong>de</strong> voir le <strong>de</strong>ssin par transparence.<br />
Il évi<strong>de</strong> la planche en préservant seulement le<br />
tracé et les aplats noirs.<br />
Après avoir gravé la planche <strong>de</strong> trait, l’artisan<br />
l’encre et imprime plusieurs feuilles transparentes<br />
(il en tire autant d’exemplaires que <strong>de</strong> couleurs<br />
envisagées).<br />
Une fois en possession <strong>de</strong> toutes les épreuves<br />
<strong>de</strong> trait nécessaires, imprimées sur papier<br />
transparent, le graveur les colle chacune sur une<br />
planche différente et grave les éléments associés<br />
à chaque couleur.<br />
Il obtient une planche gravée pour chacune<br />
d’entre elles, utilisant les bois recto‐verso par<br />
souci d’économie et <strong>de</strong> rangement.<br />
Ainsi, pour produire certaines estampes, il faut<br />
graver plus <strong>de</strong> quinze planches différentes.<br />
Une fois la planche <strong>de</strong> trait et les planches <strong>de</strong><br />
couleur gravées, l’imprimeur peut – en accord<br />
avec l’artiste, qui choisit les couleurs, indique les<br />
dégradés et les divers effets à obtenir – commencer<br />
le travail <strong>de</strong> tirage.<br />
Il applique l’encre sur la planche <strong>de</strong> trait à<br />
l’ai<strong>de</strong> d’une brosse à poils courts et pose la feuille<br />
<strong>de</strong>ssus, il utilise ensuite un baren, tampon circulaire,<br />
pour exercer une pression répartie uniformément<br />
sur la feuille.<br />
Il place cette épreuve <strong>de</strong> trait sur la première<br />
planche <strong>de</strong> couleur en se servant d’encoches<br />
<strong>de</strong> repérage placées sur la planche pour caler<br />
la feuille et éviter les décalages. Il exerce une<br />
pression sur la feuille à l’ai<strong>de</strong> du baren pour que<br />
l’encre adhère bien au papier et répète cette<br />
opération autant <strong>de</strong> fois qu’il y a <strong>de</strong> planches.<br />
Un imprimeur habile obtient <strong>de</strong>s dégradés<br />
subtils, en essuyant l’encre avec une petite<br />
éponge. Il se sert également <strong>de</strong>s bres du bois,<br />
exerce <strong>de</strong>s pressions différentes pour obtenir<br />
<strong>de</strong>s variations d’intensité : la qualité <strong>de</strong> l’estampe<br />
dépend beaucoup du talent <strong>de</strong> l’imprimeur.<br />
Les couleurs étaient fabriquées à partir <strong>de</strong><br />
pigments d’origine végétale ou minérale.<br />
Le bleu <strong>de</strong> Prusse (<strong>de</strong> composition chimique)<br />
importé <strong>de</strong> Hollan<strong>de</strong> apparaît seulement au XIX e<br />
siècle et sera abondamment utilisé, notamment<br />
pour les paysages.<br />
La feuille imprimée se présente dans le même<br />
sens que le <strong>de</strong>ssin original. La qualité <strong>de</strong> l’épreuve<br />
est aussi très différente selon le nombre d’exemplaires<br />
imprimés. Les cent premières épreuves<br />
sont tirées avec soin, sur du papier <strong>de</strong> qualité ;<br />
d’un prix élevé, elles s’adressent à une clientèle<br />
choisie.<br />
Ensuite <strong>de</strong> très nombreuses épreuves peuvent<br />
être imprimées pour le grand public, sur un<br />
papier <strong>de</strong> moindre qualité avec plus ou moins<br />
<strong>de</strong> soin, selon le prix <strong>de</strong>mandé.<br />
Les estampes sont alors vendues en librairie,<br />
par colportage ou sur les marchés en fonction<br />
du public visé et du prix pratiqué.<br />
14
Utagawa Hiroshige Hommes allumant leur pipe <strong>de</strong>vant le mont Asama Série <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid, 1838-1842, nishiki-e<br />
(estampe à partir d’une gravure colorée) : papier, encres, pigments, dim. max. 25,3 x 35,7 cm.<br />
© Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n/Musée national d’Ethnologie, Ley<strong>de</strong>, inv. RMV 2751-19<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
15
Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon<br />
16
BIOGRAPHIE DÉTAILLÉE DE VINCENT VAN GOGH (1853 – 1890)<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
30 mars 1853 : naissance <strong>de</strong> Vincent Willem<br />
van Gogh dans le village <strong>de</strong> Groot-Zun<strong>de</strong>rt<br />
(Brabant septentrional, Pays-Bas), exactement<br />
un an après le décès <strong>de</strong> son grand frère Vincent<br />
Willem, mort-né. Van Gogh est l’aîné d’une<br />
famille <strong>de</strong> six enfants. Son père est pasteur <strong>de</strong> la<br />
communauté réformée <strong>de</strong>s Pays-Bas et sa mère<br />
est lle d’un relieur <strong>de</strong> La Haye. En 1857, naît son<br />
frère Theodorus (dit Theo).<br />
Il passe son enfance à la campagne et grandit<br />
entouré <strong>de</strong> livres. À l’âge <strong>de</strong> 11 ans, ses parents<br />
l’envoient en pension où il apprend le français,<br />
l’allemand et l’anglais. Van Gogh réalise ses premiers<br />
<strong>de</strong>ssins.<br />
1869 : Van Gogh entre en apprentissage à<br />
la galerie Goupil & Cie <strong>de</strong> son oncle à La Haye.<br />
Il y vend <strong>de</strong>s reproductions et <strong>de</strong>s originaux<br />
d’artistes célèbres.<br />
1872 : début <strong>de</strong> la correspondance entre<br />
Vincent et son frère Theo.<br />
1873 : sur recommandation <strong>de</strong> son oncle,<br />
il est envoyé en janvier 1873 à la succursale<br />
<strong>de</strong> la galerie Goupil & Cie à Bruxelles, puis en<br />
mai à celle <strong>de</strong> Londres. Avant <strong>de</strong> s’embarquer<br />
pour l’Angleterre, il s’arrête à <strong>Paris</strong>, où il visite le<br />
Louvre. Van Gogh reste une année à Londres :<br />
il visite les musées et découvre les peintres<br />
Constable et Turner. Van Gogh s’éprend <strong>de</strong> la lle<br />
<strong>de</strong> sa logeuse, Ursula, mais est éconduit. Déçu, il<br />
passe <strong>de</strong>s vacances en famille en 1874. De retour<br />
à Londres, il néglige son travail.<br />
1875 : Van Gogh est muté à la galerie Goupil<br />
& Cie <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> où il développe un dégoût pour<br />
le commerce <strong>de</strong> l’art et un intérêt croissant pour<br />
la chose religieuse. Il lit quotidiennement la Bible<br />
mais visite également les musées et galeries d’art,<br />
où il s’enthousiasme pour Corot et les maîtres<br />
hollandais du XVII e siècle.<br />
1876 : il quitte son emploi et retourne vivre<br />
avec ses parents désormais installés à Etten,<br />
près <strong>de</strong> Breda. Vincent retourne peu <strong>de</strong> temps<br />
après en Angleterre où il <strong>de</strong>vient instituteur puis<br />
prédicateur.<br />
1877 : Van Gogh part à Amsterdam an <strong>de</strong><br />
préparer les examens d’entrée à la faculté <strong>de</strong><br />
théologie (échec) puis à Bruxelles en 1878 pour<br />
suivre <strong>de</strong>s cours an <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir prédicateur laïc<br />
(nouvel échec).<br />
1879 : il obtient une mission d’évangéliste<br />
<strong>de</strong> six mois en Belgique, auprès <strong>de</strong>s mineurs<br />
<strong>de</strong> charbon du Borinage, dans la région <strong>de</strong><br />
Mons. Vincent s’engage avec zèle et vit dans une<br />
extrême pauvreté (il dort sur la paille) ; cette attitu<strong>de</strong><br />
déplaît à ses supérieurs qui ne renouvellent<br />
pas sa charge, cependant il poursuit son apostolat<br />
à titre personnel sans être payé jusqu’en juillet<br />
1880. Il réalise <strong>de</strong> nombreux croquis et <strong>de</strong>ssins<br />
<strong>de</strong>s mineurs et lit intensément Dickens, Hugo et<br />
Shakespeare. Van Gogh traverse une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
crise et d’incertitu<strong>de</strong>s.<br />
1880 : Van Gogh déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir artistepeintre<br />
et s’exerce à peindre <strong>de</strong>s paysages, <strong>de</strong>s<br />
vues urbaines et apprend à <strong>de</strong>ssiner d’après un<br />
modèle. Il s’inscrit à l’Académie <strong>de</strong>s beaux-arts<br />
<strong>de</strong> Bruxelles, mais préfère travailler <strong>de</strong> manière<br />
indépendante. Il admire et copie les artistes tels<br />
que Damier, Millet et Rembrandt. Van Gogh rencontre<br />
le peintre Rid<strong>de</strong>r van Rappart avec qui<br />
il partage son goût pour la peinture <strong>de</strong> paysans<br />
et <strong>de</strong> travaux dans les champs.<br />
1881 : son frère Theo travaille désormais au<br />
siège <strong>de</strong> la maison Goupil & Cie à <strong>Paris</strong> et déci<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> subvenir aux besoins <strong>de</strong> Vincent. Après un<br />
passage à Etten dans sa famille où il tombe amoureux<br />
<strong>de</strong> sa cousine, il séjourne chez son cousin<br />
par alliance, le peintre paysagiste Anton Mauve<br />
à La Haye.<br />
17
1882 : suite à une dispute avec son père,<br />
Vincent déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’installer à La Haye, chez<br />
Mauve, pour étudier. Van Gogh peint pour la<br />
première fois <strong>de</strong>s natures mortes à l’huile ainsi<br />
que <strong>de</strong>s aquarelles. Sa relation avec Sien, une<br />
prostituée alcoolique enceinte, mécontente sa<br />
famille et Vincent se brouille avec Mauve. Il peint<br />
et <strong>de</strong>ssine <strong>de</strong>s paysages d’après nature, réalise<br />
<strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> gens du peuple, <strong>de</strong> vieillards et<br />
<strong>de</strong> Sien avec son nouveau‐né. Ses lectures, par<br />
exemple Émile Zola, enrichissent sa vision du<br />
mon<strong>de</strong> et renforcent ses convictions sociales.<br />
1883 : Vincent se sépare <strong>de</strong> Sien et va vivre<br />
seul dans la province <strong>de</strong> la Drenthe, dans le<br />
Nord <strong>de</strong>s Pays‐Bas. Il peint et <strong>de</strong>ssine les paysans<br />
<strong>de</strong> la région au cœur <strong>de</strong> paysages sombres<br />
et tourbiers. Au mois <strong>de</strong> décembre, il retourne<br />
habiter avec ses parents désormais installés à<br />
Nuenen (dans le Brabant).<br />
1883‐1885 : Nuenen. Pendant ces <strong>de</strong>ux<br />
années, Van Gogh se consacre au <strong>de</strong>ssin et à la<br />
peinture. Il réalise environ <strong>de</strong>ux cents toiles aux<br />
tonalités terreuses et sombres et aux coups <strong>de</strong><br />
brosse expressifs. Il représente la campagne environnante,<br />
<strong>de</strong>s paysans au travail, <strong>de</strong>s tisserands.<br />
Van Gogh peint une quarantaine d’étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
têtes <strong>de</strong> paysans et <strong>de</strong> paysannes ; cette série<br />
constitue l’amorce <strong>de</strong> son premier grand tableau :<br />
Les Mangeurs <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre (qu’il réalise<br />
en avril 1885).<br />
1885‐1886 : le père <strong>de</strong> Vincent meurt.<br />
En novembre, il se rend à Anvers afin <strong>de</strong> se<br />
perfectionner dans la peinture <strong>de</strong> personnage.<br />
Van Gogh entre en contact avec <strong>de</strong>s artistes et<br />
essaye <strong>de</strong> vendre <strong>de</strong>s toiles. Il s’intéresse au peintre<br />
Rubens, découvre et achète <strong>de</strong>s estampes<br />
japonaises. Enn, il suit quelques cours à l’École<br />
<strong>de</strong>s beaux‐arts.<br />
1886‐1888 : <strong>Paris</strong>. En février, Van Gogh<br />
s’installe chez son frère Theo dans le quartier <strong>de</strong><br />
Montmartre à <strong>Paris</strong>, alors en pleine effervescence<br />
artistique. Il découvre les peintres impressionnistes<br />
et postimpressionnistes et se lie avec certains<br />
d’entre eux : Paul Gauguin, Émile Bernard, Henri<br />
<strong>de</strong> Toulouse‐Lautrec, Paul Signac et Georges<br />
Seurat. Vincent étudie dans l’atelier du peintre<br />
académique Fernand Cormon mais n’y reste<br />
que peu <strong>de</strong> temps, préférant travailler seul. Avec<br />
une palette beaucoup plus claire qu’à Nuenen, il<br />
peint la vie parisienne (Montmartre, les Grands<br />
Boulevards, Le Moulin <strong>de</strong> la Galette, Le Tambourin),<br />
<strong>de</strong>s eurs et au moins vingt‐cinq autoportraits,<br />
faute <strong>de</strong> pouvoir se payer <strong>de</strong>s modèles. Sous<br />
l’inuence du néo‐impressionnisme, il compose<br />
alors ses tableaux à partir <strong>de</strong> petits points et<br />
<strong>de</strong> petits traits exécutés dans <strong>de</strong>s tons vifs et<br />
clairs. Van Gogh est inuencé par les estampes<br />
japonaises qu’il achète dans la boutique <strong>de</strong><br />
Samuel Bing ; il organise une exposition <strong>de</strong> sa<br />
collection dans le cabaret Le Tambourin en mars<br />
1887. Il copie même trois estampes (dont <strong>de</strong>ux<br />
<strong>de</strong> Hiroshige) et en intègre dans ses tableaux (par<br />
exemple : Le Père Tanguy, 1887). L’inuence <strong>de</strong>s<br />
artistes japonais est également visible dans son<br />
choix <strong>de</strong> compositions singulières aux couleurs<br />
puissantes et aux contours marqués.<br />
1888–1889 : Arles. En février, Van Gogh,<br />
fatigué <strong>de</strong> sa vie parisienne, s’installe dans le<br />
Sud <strong>de</strong> la France, à Arles. Bien qu’il arrive en<br />
plein hiver, la lumière provençale va bouleverser<br />
son travail. « [...] le pays me parait aussi beau<br />
que le Japon pour la limpidité <strong>de</strong> l’atmosphère<br />
et les effets <strong>de</strong> couleur gaie », dit‐il dans une<br />
lettre à Émile Bernard. Il peint <strong>de</strong>s paysages<br />
(vergers en eur, ponts, champs), <strong>de</strong>s natures<br />
mortes (fleurs) et quelques portraits. Dans<br />
ses toiles, Van Gogh accentue l’opposition <strong>de</strong>s<br />
couleurs complémentaires : rouge /vert, bleu /<br />
orange ou jaune /violet. Il réinvente la Provence<br />
et lui donne <strong>de</strong> nouvelles teintes ; il applique <strong>de</strong><br />
lour<strong>de</strong>s couches <strong>de</strong> peinture sur ses toiles et<br />
laisse apparaître l’épaisseur <strong>de</strong> la peinture en<br />
superposant les couches.<br />
Cependant, Van Gogh a du mal à s’intégrer ;<br />
il se sent seul et visite peu la région, mais passe<br />
tout <strong>de</strong> même cinq jours aux Saintes‐Maries<strong>de</strong>‐la‐Mer<br />
(30 mai‐3 juin). Dans la Maison Jaune,<br />
qu’il loue <strong>de</strong>puis mai 1888, Van Gogh souhaite<br />
fon<strong>de</strong>r une colonie d’artistes avec son ami Paul<br />
Gauguin et quelques autres peintres. Gauguin<br />
arrive seulement à la n du mois d’octobre 1888.<br />
18
Mais très vite, <strong>de</strong>s conits naissent entre les <strong>de</strong>ux<br />
artistes et n décembre, Van Gogh menace son<br />
ami avec un couteau puis, pris d’un accès <strong>de</strong><br />
colère, se coupe un morceau d’oreille. Après<br />
une hospitalisation <strong>de</strong> plusieurs jours, il rentre à<br />
la Maison Jaune et se remet à peindre mais, en<br />
proie à <strong>de</strong>s hallucinations, il se fait interner au<br />
début du mois <strong>de</strong> février.<br />
Van Gogh est perçu comme un danger public<br />
et une pétition circule <strong>de</strong>mandant l’internement<br />
ou l’expulsion du peintre <strong>de</strong> la ville. Au mois <strong>de</strong><br />
mai 1889, et en accord avec le docteur Rey, il se<br />
fait interner à l’asile <strong>de</strong> Saint‐Paul‐<strong>de</strong>‐Mausole<br />
à Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence. Durant son séjour à<br />
Arles, Vincent a réalisé plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents toiles,<br />
une centaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins et écrit plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
cents lettres.<br />
1889‐1890 : asile <strong>de</strong> Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence.<br />
Le docteur Peyron lui permet <strong>de</strong> continuer à travailler.<br />
Van Gogh peint les couloirs, les chambres,<br />
le jardin et la vue qu’il a <strong>de</strong> sa fenêtre. Lorsque sa<br />
santé le permet, il peut même sortir et travailler<br />
à l’extérieur <strong>de</strong> l’hôpital. Il réalise <strong>de</strong>s paysages<br />
peuplés <strong>de</strong> champs, <strong>de</strong> cyprès et d’oliviers. Sa<br />
touche est empâtée, vive, tourmentée : tout suggère<br />
le mouvement (spirales, vagues, remous).<br />
N’ayant pas <strong>de</strong> modèle à sa disposition, il copie les<br />
grands maîtres (Rembrandt, Millet, Gustave Doré,<br />
Delacroix) an <strong>de</strong> travailler la gure humaine. En<br />
janvier 1890, Van Gogh vend sa première toile, La<br />
Vigne rouge et un article élogieux d’Albert Aurier<br />
paraît dans le Mercure <strong>de</strong> France. Désireux <strong>de</strong> le<br />
voir quitter l’asile <strong>de</strong> Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence,<br />
Theo prépare la venue <strong>de</strong> son frère près <strong>de</strong> <strong>Paris</strong><br />
en rencontrant le docteur Gachet qui soigne les<br />
maladies nerveuses à Auvers‐sur‐Oise.<br />
1890 : Auvers‐sur‐Oise. Après un bref séjour<br />
à <strong>Paris</strong>, Vincent s’installe à Auvers‐sur‐Oise, un<br />
village proche <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> attirant beaucoup d’artistes<br />
(Cézanne, Pissarro, Sisley, Monet). Le docteur<br />
Gachet est également un peintre et un collectionneur.<br />
Les <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong>viennent amis et<br />
outre les conseils d’ordre médical, le docteur lui<br />
apprend la technique <strong>de</strong> la gravure. Séduit par<br />
son environnement qui lui rappelle son pays natal,<br />
il est très productif, peignant une à trois toiles<br />
par jour. Il se consacre à la peinture <strong>de</strong> vignes, <strong>de</strong><br />
vieilles maisons au toit <strong>de</strong> chaume, <strong>de</strong> champs <strong>de</strong><br />
blé et exécute quelques portraits ; il réalise un<br />
grand nombre <strong>de</strong> tableaux et <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins, dont<br />
quelques grands paysages horizontaux, comme le<br />
Champ <strong>de</strong> blé avec vol <strong>de</strong> corbeaux. Peu à peu, les<br />
personnages disparaissent <strong>de</strong>s toiles. Sa touche<br />
est spontanée, expressive, épaisse, pâteuse. Les<br />
traces <strong>de</strong> brosse sont <strong>de</strong> plus en plus visibles et<br />
le noir, le violet et le gris dominent.<br />
27 juillet 1890 : Van Gogh se tire une balle<br />
dans la poitrine et succombe <strong>de</strong>ux jours plus<br />
tard à ses blessures.<br />
Van Gogh ne connaîtra pas la gloire <strong>de</strong> son<br />
vivant car sa peinture n’intéresse pas les acheteurs<br />
et les galeristes, qui la considèrent comme<br />
désordonnée et confuse. Cependant, beaucoup<br />
d’artistes qui lui sont contemporains apprécient<br />
et respectent son travail. Ce n’est qu’après sa<br />
mort, et grâce à la veuve <strong>de</strong> son frère Theo,<br />
Johanna Bonger, que Van Gogh va être découvert<br />
par un plus large public. La peinture <strong>de</strong> Van<br />
Gogh laisse son empreinte auprès <strong>de</strong> courants<br />
artistiques du XX e siècle tels que l’expressionnisme<br />
et le fauvisme. En effet, les expressionnistes<br />
considèrent Van Gogh comme un modèle. Ils<br />
utilisent la peinture pour dire leur perception <strong>de</strong><br />
la réalité, exprimer <strong>de</strong>s sensations et sentiments,<br />
ou encore traduire leur vision individuelle du<br />
mon<strong>de</strong>. Ils s’inspirent <strong>de</strong> la touche nerveuse et<br />
<strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> la couleur <strong>de</strong> Van Gogh pour<br />
dépeindre <strong>de</strong>s émotions. Concernant les artistes<br />
fauves, tels que Derain et Matisse, ils s’inspirent<br />
<strong>de</strong>s recherches chromatiques <strong>de</strong> Van Gogh et <strong>de</strong><br />
son utilisation non conventionnelle <strong>de</strong> la couleur<br />
(juxtaposition <strong>de</strong> teintes complémentaires, aplats<br />
<strong>de</strong> couleurs, etc.).<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
19
Autoportraits<br />
Van Gogh a réalisé plus <strong>de</strong> quarante‐trois<br />
autoportraits, peints ou <strong>de</strong>ssinés, au cours<br />
<strong>de</strong> sa carrière artistique. Beaucoup <strong>de</strong> ses<br />
toiles sont <strong>de</strong> petite dimension : ces essais lui<br />
permettent d’expérimenter les techniques<br />
artistiques qu’il découvre. Ainsi, on peut suivre<br />
ses recherches picturales, ses ambitions<br />
artistiques, ses inuences mais également<br />
les années qui passent. Il réalise son premier<br />
autoportrait à <strong>Paris</strong> en 1886 et c’est dans<br />
cette ville qu’il en exécutera la majorité.<br />
Dans ses autoportraits, Van Gogh se met en<br />
scène, se représentant en tenue <strong>de</strong> peintre<br />
ou en costume, avec ou sans barbe, avec<br />
différents chapeaux, fumant la pipe, avec son<br />
bandage à l’oreille, etc. Ses peintures varient<br />
en intensité et en couleur, et les fonds sont<br />
comme un reet <strong>de</strong> ses états d’âmes et <strong>de</strong><br />
ses tourments. Il s’observe sans complaisance<br />
et s’intéresse moins à la réalité extérieure<br />
qu’à la représentation <strong>de</strong> ses sentiments<br />
intérieurs. Van Gogh écrit à sa sœur : « Je<br />
recherche une ressemblance plus profon<strong>de</strong><br />
que celle qu’obtient le photographe. » Et plus<br />
tard à son frère : « On dit – et je le crois fort<br />
volontiers – qu’il est difcile <strong>de</strong> se connaitre<br />
soi‐même – mais il n’est pas aisé non plus <strong>de</strong><br />
se peindre soi‐même. »<br />
Vincent Van Gogh Le Semeur c. 17-28 juin 1888, huile sur toile, 64,2 x 80,3 cm. Signée en bas à gauche : Vincent<br />
© Collection Kröller-Müller Museum, Otterlo, The Netherlands<br />
20
UN AUTRE REGARD SUR LE JAPONISME 1<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Fascination pour le japonisme :<br />
les années 1860<br />
Dans les années 1860, le Japon <strong>de</strong>vient à son<br />
tour une source d’inspiration majeure pour les<br />
peintres français. En effet, les relations entre les<br />
<strong>de</strong>ux pays s’intensient suite à la restauration <strong>de</strong><br />
Meiji. Les artistes européens font connaissance<br />
avec les estampes ukiyo‐e par le biais d’expositions<br />
(Londres 1862, <strong>Paris</strong> 1867, 1878, 1889) ou<br />
<strong>de</strong> collectionneurs privés, tels que Samuel Bing<br />
ou Felix Bracquemond.<br />
Ce moyen d’expression exotique <strong>de</strong>vient vite<br />
une source d’inspiration, grâce aux estampes <strong>de</strong><br />
Hiroshige, Hokusai ou Utamaro : les impressionnistes<br />
revoient les règles académiques <strong>de</strong> la composition,<br />
<strong>de</strong> la lumière ou <strong>de</strong> la perspective, en<br />
introduisant une conception nouvelle <strong>de</strong> l’esthétique<br />
basée sur <strong>de</strong>s pivots « peu conventionnels »<br />
– perspective inclinée, mise un évi<strong>de</strong>nce d’un<br />
élément peu important, haute ligne d’horizon,<br />
etc. En 1872, le collectionneur Philippe Burty<br />
donne un nom à cet ensemble <strong>de</strong> nouveaux<br />
concepts, en parlant <strong>de</strong> « japonisme » dans un<br />
<strong>de</strong> ses articles. Ce terme désigne alors l’intérêt<br />
pour tout ce qui provient du Japon : art, objets,<br />
décors, etc.<br />
En 1969, une exposition est présentée au<br />
musée oriental <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>, où <strong>de</strong>s objets japonais<br />
<strong>de</strong> toutes sortes sont mis en parallèle avec <strong>de</strong>s<br />
pièces similaires provenant d’autres cultures<br />
asiatiques. Cette exposition, qui est largement<br />
commentée dans la presse quotidienne, donne<br />
<strong>de</strong> précieuses indications sur les différentes<br />
façons dont les objets japonais s’intègrent dans<br />
la culture artistique parisienne. Le public intéressé<br />
peut désormais en examiner une gran<strong>de</strong><br />
variété, et la rapidité avec laquelle les collections<br />
se constituent alors va apporter <strong>de</strong>s changements<br />
importants dans l’art et la culture <strong>de</strong><br />
toute l’Europe. Cette inuence est déjà manifeste<br />
dans le Portrait <strong>de</strong> Madame Camus (1869) par<br />
Degas, qui y peint l’épouse d’un riche mé<strong>de</strong>cin<br />
et porte ainsi l’enthousiasme pour le Japon à un<br />
niveau supérieur. Certes, Madame Camus tient<br />
un éventail japonais à la main, ce qui pourrait<br />
n’être qu’un simple hommage à la culture nippone,<br />
mais Degas témoigne ici d’une déférence<br />
encore plus profon<strong>de</strong> envers l’art japonais et ses<br />
objets quotidiens. En effet, en plaçant le modèle<br />
sur le côté <strong>de</strong> la toile, <strong>de</strong> prol, il ne cherche<br />
pas tant à représenter un contexte anecdotique<br />
qu’à révéler les éléments <strong>de</strong> l’esthétique japonaise<br />
susceptibles <strong>de</strong> modier les conventions<br />
artistiques occi<strong>de</strong>ntales. Dans cette œuvre,<br />
Degas anticipe les éléments <strong>de</strong> composition et<br />
<strong>de</strong> traitement <strong>de</strong> l’espace qui vont inuencer<br />
la conception picturale durant les décennies à<br />
venir – un aspect fort important du début <strong>de</strong> la<br />
fascination pour le Japon.<br />
D’autres artistes renommés introduisent<br />
<strong>de</strong>s éléments japonisants dans leurs tableaux<br />
– Olympia, dans la peinture éponyme d’Édouard<br />
Manet (1863), est placée dans un environnement<br />
oriental ; le peintre introduit également un paravent<br />
japonais et une estampe dans son Portrait<br />
d’Émile Zola, prouvant ainsi que le japonisme<br />
est présent dans les milieux littéraires. Manet<br />
est inuencé par les techniques <strong>de</strong> l’ukiyo‐e, qu’il<br />
reproduit notamment dans son œuvre En bateau<br />
(1874) ou encore dans Le Chemin <strong>de</strong> fer (1873).<br />
Henri <strong>de</strong> Toulouse‐Lautrec reçoit une inuence<br />
similaire, s’inspirant même <strong>de</strong>s sceaux japonais<br />
que l’on trouve sur les estampes pour sa signature.<br />
Clau<strong>de</strong> Monet possè<strong>de</strong> une collection <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux cent cinquante estampes japonaises dans<br />
sa maison <strong>de</strong> Giverny. Il représente le petit pont<br />
<strong>de</strong> style japonais enjambant son étang dans les<br />
couleurs <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> Hiroshige. Il a également<br />
peint La Japonaise (1876) en représentant<br />
sa femme dans un kimono.<br />
1. D’après Dr Gabriel P. WEISBERG, « Un autre regard sur le japonisme », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions<br />
<strong>de</strong> la <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012, pp. 8‐21.<br />
21
Le japonisme et l’impressionnisme<br />
Dès 1874, les expositions impressionnistes<br />
<strong>de</strong>viennent le point <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>s<br />
expérimentations visuelles suscitées par la<br />
découverte <strong>de</strong> l’art du Japon. Tous les ans, les<br />
membres du groupe envoient <strong>de</strong>s toiles qui<br />
témoignent soit <strong>de</strong> l’engouement pour les<br />
objets japonais, soit <strong>de</strong>s différentes assimilations<br />
<strong>de</strong>s conventions plastiques <strong>de</strong>s estampes<br />
japonaises : forme sans mo<strong>de</strong>lé, asymétrie<br />
<strong>de</strong> la composition et perspective en vue<br />
plongeante. Cette première phase d’inuence<br />
artistique donne notamment lieu à la gran<strong>de</strong><br />
toile <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Monet, La Japonaise. Présentée<br />
à la <strong>de</strong>uxième exposition impressionniste <strong>de</strong><br />
1876, cette composition s’inscrit pleinement<br />
dans le style du Salon tout en recréant un<br />
environnement pseudo‐japonais, comme en<br />
témoignent les nombreux éventails xés au<br />
mur <strong>de</strong> l’arrière‐plan. Monet veut <strong>de</strong> cette<br />
manière reproduire l’atmosphère régnant dans<br />
<strong>de</strong> nombreuses maisons et ateliers parisiens<br />
– peut‐être ceux <strong>de</strong> ses amis impressionnistes.<br />
Le mouvement du japonisme <strong>de</strong>venant <strong>de</strong><br />
plus en plus populaire, <strong>de</strong> nombreux artistes, par<br />
divers moyens, développent leur collection d’objets<br />
japonais tandis que les critiques d’art publient<br />
<strong>de</strong>s articles sur ce tout nouvel engouement.<br />
Le Japon en France : Cézanne et Gauguin<br />
On a longtemps considéré que Paul Cézanne n’a<br />
pas montré le moindre intérêt pour l’art japonais,<br />
mais <strong>de</strong>s éléments prouvant le contraire<br />
se font jour <strong>de</strong>puis plusieurs années. En réalité,<br />
il apprécie les estampes japonaises au point <strong>de</strong><br />
transposer <strong>de</strong>s vues du Japon dans <strong>de</strong>s paysages<br />
du Sud <strong>de</strong> la France où il vit 2 .<br />
Il est donc fort possible que Cézanne ait étudié<br />
<strong>de</strong>s estampes japonaises pour comprendre<br />
comment traiter <strong>de</strong>s formes planes et simplier<br />
ses compositions, mais cela reste <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong><br />
l’hypothèse tant il est difcile d’i<strong>de</strong>ntier <strong>de</strong> quels<br />
ukiyo‐e il se serait inspiré. Aujourd’hui, rien ne<br />
permet d’afrmer non plus que Cézanne collectionne<br />
les estampes ; et il reste exclu qu’Émile<br />
Zola, avec qui il s’était lié d’amitié durant leur<br />
adolescence à Aix‐en‐Provence, ait pu partager<br />
avec lui son intérêt pour le japonisme, puisque<br />
les <strong>de</strong>ux artistes ne se fréquentent déjà plus à<br />
cette pério<strong>de</strong>.<br />
Cependant, les trente‐six vues qu’il peint <strong>de</strong><br />
la montagne Sainte‐Victoire – l’énorme massif<br />
dominant la campagne aixoise – au tout début <strong>de</strong><br />
sa carrière, accrédite la possibilité <strong>de</strong> l’inuence<br />
<strong>de</strong>s estampes japonaises sur son œuvre. Il ne<br />
fait aucun doute qu’il s’est inspiré ici <strong>de</strong>s nombreuses<br />
estampes <strong>de</strong> Hokusai représentant le<br />
mont Fuji, et qu’il ait été inuencé par le traitement<br />
du même thème par d’autres graveurs.<br />
En s’intéressant à la masse <strong>de</strong> la montagne et à<br />
ses différents aspects sous différentes lumières,<br />
Cézanne adopte les représentations <strong>de</strong>s artistes<br />
japonais – notamment Hokusai – à tel point<br />
que le karma du cône volcanique japonais vient<br />
habiter la montagne Sainte‐Victoire, au cœur <strong>de</strong><br />
la Provence.<br />
Le japonisme est aussi à l’origine <strong>de</strong> ce que<br />
Paul Gauguin, autre artiste qui expose avec les<br />
impressionnistes, considère comme sa première<br />
toile traitant d’un thème religieux : La Vision après<br />
le sermon (La Lutte <strong>de</strong> Jacob avec l’ange). Cette<br />
peinture joue un rôle clé dans le nouveau style<br />
adopté par Gauguin, et lui permet <strong>de</strong> se distinguer<br />
au point <strong>de</strong> servir <strong>de</strong> modèle à <strong>de</strong> nombreux<br />
jeunes artistes <strong>de</strong> Bretagne et <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>, particulièrement<br />
au sein du groupe connu sous le nom<br />
<strong>de</strong> Nabis. Le point capital <strong>de</strong> cette œuvre rési<strong>de</strong><br />
dans la façon dont Gauguin assimile les sources<br />
japonaises qui, en 1888, sont exceptionnellement<br />
bien documentées et connues. Que Gauguin ait<br />
utilisé <strong>de</strong>ux lutteurs d’une page <strong>de</strong>s manga <strong>de</strong><br />
Hokusai ou d’autres images japonaises parues<br />
dans le magazine inuent <strong>de</strong> Siegfried Bing, Le<br />
Japon artistique, il reste que ces représentations<br />
sont <strong>de</strong> véritables catalyseurs pour l’imagination<br />
créatrice du peintre. Cette œuvre, achevée juste<br />
avant que Gauguin n’aille rejoindre Van Gogh à<br />
Arles, laisse également présager <strong>de</strong> la teneur<br />
2. Hi<strong>de</strong>michi TANAKA, « Cézanne and Japonisme », in Artibus et historiae 22, n° 44, 2001, pp. 201‐220. Cette analyse originale <strong>de</strong> la<br />
conception que Cézanne a du japonisme est soutenue par la gigantesque exposition sur le japonisme organisée par Geneviève<br />
Lacambre en 1988 – qui comprend un tableau <strong>de</strong> Cézanne.<br />
22
<strong>de</strong>s discussions entre les <strong>de</strong>ux peintres à propos<br />
<strong>de</strong> l’art japonais durant la pério<strong>de</strong> où ils<br />
séjournent ensemble dans le Sud <strong>de</strong> la France.<br />
Vincent est en étroite relation avec le marchand<br />
d’art et collectionneur Siegfried Bing, qu’il ai<strong>de</strong><br />
notamment à vendre <strong>de</strong>s estampes japonaises<br />
aux artistes. Vincent a ainsi <strong>de</strong> nombreuses<br />
opportunités d’étudier <strong>de</strong>s centaines d’estampes<br />
dans le grenier <strong>de</strong> la boutique <strong>de</strong> Bing au<br />
19, rue Chauchat. Les positions communes <strong>de</strong><br />
Van Gogh et <strong>de</strong> Gauguin à propos du Japon se<br />
fon<strong>de</strong>nt sur la conviction que l’art japonais était<br />
capable <strong>de</strong> libérer le leur <strong>de</strong> la dépendance <strong>de</strong>s<br />
représentations naturalistes.<br />
Du japonisme à l’abstraction<br />
Au début <strong>de</strong>s années 1890, même si le japonisme<br />
reste populaire et que la fascination pour les<br />
objets nippons considérés comme chics ne se<br />
dément pas, le mouvement prend <strong>de</strong>s orientations<br />
plus sérieuses. Dans le mon<strong>de</strong> entier, on<br />
collectionne aussi bien les céramiques japonaises<br />
que les estampes ukiyo‐e et d’importantes expositions<br />
encouragent cette appréciation grandissante.<br />
Parmi celles‐ci, citons la vaste présentation<br />
d’estampes japonaises qui se tient à l’École <strong>de</strong>s<br />
beaux‐arts en 1890, où les œuvres d’Utamaro<br />
et <strong>de</strong> Sharaku côtoient notamment celles <strong>de</strong><br />
Hokusai et <strong>de</strong> Hiroshige. Elle est à l’origine <strong>de</strong><br />
l’idée selon laquelle toutes les formes artistiques<br />
japonaises, <strong>de</strong> la peinture aux arts appliqués, ont<br />
le même <strong>de</strong>gré d’importance dans la mesure où<br />
elles proviennent du Japon.<br />
La simplication <strong>de</strong>s formes et l’utilisation<br />
<strong>de</strong> couleurs en aplat, que Gauguin intègre dans<br />
son œuvre dès 1888, <strong>de</strong>viennent le credo d’une<br />
jeune génération <strong>de</strong> peintres. Des Nabis comme<br />
Maurice Denis, Pierre Bonnard et Félix Vallotton,<br />
tous collectionneurs d’estampes japonaises, s’inspirent<br />
avec ferveur <strong>de</strong> cet art. Le Bain au soir<br />
d’été <strong>de</strong> Vallotton (1892‐1893) est une interprétation<br />
<strong>de</strong> Femmes au bain public <strong>de</strong> Kiyonaga ; il<br />
y ajoute seulement un plus grand nombre <strong>de</strong><br />
gures apposées selon un dispositif décoratif an<br />
<strong>de</strong> renforcer les principes bidimensionnels <strong>de</strong> la<br />
surface plane.<br />
Après le tournant du siècle, l’art japonais continue<br />
à exercer une énorme inuence, surtout<br />
hors <strong>de</strong> France. À Vienne, dans les peintures <strong>de</strong><br />
Gustav Klimt, les éléments japonais sont si profondément<br />
assimilés qu’il <strong>de</strong>vient compliqué <strong>de</strong><br />
dénir exactement d’où provient telle ou telle<br />
inuence, notamment dans ses portraits. Ainsi,<br />
dans son portrait majestueux d’A<strong>de</strong>le Bloch<br />
Bauer, la robe représentée comme une étendue<br />
plane ainsi que les nombreux éléments décoratifs<br />
qui l’ornent rappellent aussi bien <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong><br />
batiks javanais que <strong>de</strong>s motifs empruntés aux<br />
kimonos japonais. La composition (à l’exception<br />
<strong>de</strong> ses mains) prouve que les portraits ne sont<br />
plus considérés comme <strong>de</strong>vant être <strong>de</strong>s représentations<br />
réalistes <strong>de</strong> leur modèle. L’abstraction<br />
s’impose désormais comme le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> créativité<br />
approprié et l’assimilation <strong>de</strong> l’art japonais<br />
– notamment <strong>de</strong>s estampes – conduit les artistes<br />
<strong>de</strong> tous les pays à repenser la façon dont ils<br />
représentent le mon<strong>de</strong> naturel, loin <strong>de</strong> l’esthétique<br />
naturaliste traditionnelle toujours en vogue<br />
en Occi<strong>de</strong>nt.<br />
D’autres façons <strong>de</strong> voir le japonisme<br />
L’obsession pour le Japon affecte différemment<br />
d’autres artistes. Certains, éprouvant la nécessité<br />
d’obtenir <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong> première<br />
main sur ce pays, s’en remettent à l’utilisation<br />
<strong>de</strong> l’appareil photographique pour gar<strong>de</strong>r trace<br />
<strong>de</strong>s gens et <strong>de</strong>s lieux. Intrigué par les premières<br />
photographies du Japon, notamment celles <strong>de</strong><br />
Felice Beato (1832‐1909), le peintre américain<br />
Robert Blum s’y rend dans les années 1890<br />
an <strong>de</strong> se confronter aux réalités du pays et <strong>de</strong><br />
s’éloigner du mon<strong>de</strong> fantaisiste élaboré par tant<br />
<strong>de</strong> japonistes. Blum prend <strong>de</strong> très nombreuses<br />
photographies <strong>de</strong> la vie quotidienne, qu’il utilise<br />
dans la composition <strong>de</strong> ses propres <strong>de</strong>ssins et<br />
peintures. Durant son voyage au Japon, Blum est<br />
accompagné <strong>de</strong> Shugio Hiromichi, <strong>de</strong> la Première<br />
Compagnie <strong>de</strong> commerce et <strong>de</strong> manufacture<br />
japonaise, grâce à qui il peut être présenté à<br />
<strong>de</strong>s personnalités importantes – dont Hayashi<br />
Tadamasa, grand défenseur du japonisme en<br />
France qui soutient également <strong>de</strong> nombreux<br />
peintres japonais contemporains. Se déplacer<br />
librement amène Blum à photographier <strong>de</strong>s lieux<br />
inhabituels dont certains sont reproduits sous la<br />
forme <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins dans le Scribner’s Magazine, un<br />
23
<strong>de</strong>s périodiques les plus prestigieux et populaires<br />
<strong>de</strong> l’époque, qui sponsorise également ce voyage.<br />
Profondément enraciné dans le contexte <strong>de</strong>s<br />
débats artistiques <strong>de</strong> l’époque, le japonisme <strong>de</strong><br />
Blum révèle une tendance à un réalisme intensié,<br />
dans une pério<strong>de</strong> où les artistes, avec l’ai<strong>de</strong><br />
d’un outil mécanique, défen<strong>de</strong>nt l’illusion <strong>de</strong> la<br />
réalité comme nalité artistique en soi.<br />
En dépit <strong>de</strong> grands efforts pour mieux connaître<br />
le Japon et sa culture, cet intérêt va <strong>de</strong> pair<br />
avec une gran<strong>de</strong> confusion sur ce que sont le<br />
japonisme et le Japon. Dans l’esprit <strong>de</strong> certains<br />
créateurs, et certainement du public en général,<br />
les distinctions entre la Chine et le Japon restent<br />
très oues. Peu au fait <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art<br />
japonais, les collectionneurs ne peuvent souvent<br />
distinguer les objets japonais <strong>de</strong>s objets chinois,<br />
et certains artistes tournent en dérision ce type<br />
<strong>de</strong> confusion.<br />
Le japonisme a trop souvent été considéré<br />
comme un mouvement né avec l’apparition <strong>de</strong><br />
motifs japonais dans l’art par un processus d’emprunt<br />
direct, qui aurait abouti à l’assimilation à<br />
une gran<strong>de</strong> échelle <strong>de</strong> conceptions décoratives<br />
permettant aux artistes occi<strong>de</strong>ntaux <strong>de</strong> créer un<br />
« nouveau » langage plastique fondé sur l’abstraction.<br />
Certes, c’est en gran<strong>de</strong> partie exact, mais le<br />
japonisme a également évolué et a inuencé <strong>de</strong>s<br />
créateurs <strong>de</strong> bien d’autres manières. Il semble<br />
important d’envisager le japonisme sous l’angle<br />
<strong>de</strong>s préoccupations sociétales et politiques, et<br />
d’étudier les implications psychologiques <strong>de</strong><br />
cette fascination – en se penchant notamment<br />
sur les raisons expliquant pourquoi le Japon et<br />
les Japonais sont universellement admirés par<br />
les voyageurs qui visitent ce pays. Enn, il sera<br />
nécessaire d’essayer <strong>de</strong> comprendre pourquoi<br />
l’Occi<strong>de</strong>nt se passionne tant pour le Japon plutôt<br />
que pour la Chine et les autres pays d’Extrême‐Orient.<br />
De cette manière, les étu<strong>de</strong>s sur<br />
le japonisme se détacheront <strong>de</strong> considérations<br />
purement formalistes pour mieux comprendre<br />
les raisons profon<strong>de</strong>s qui ont induit un mouvement<br />
si riche <strong>de</strong> conséquences.<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
24
LE JAPON LU PAR VINCENT VAN GOGH (EXTRAITS) 1<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Émancipation intellectuelle et rencontre<br />
avec le Japon<br />
La rencontre avec le Japon, dans la littérature<br />
consultée par Van Gogh, a lieu en 1885, dans la<br />
préface d’un ouvrage d’Edmond <strong>de</strong> Goncourt,<br />
Chérie. Vincent est alors à Nuenen et vit dans<br />
une annexe <strong>de</strong> la maison parentale. Vers le 10<br />
octobre, il écrit à Theo qu’il est en train <strong>de</strong> lire<br />
l’ouvrage – qu’il promet d’envoyer sous peu –, et<br />
qu’il est charmé par la qualité <strong>de</strong> son écriture.<br />
« T’enverrai bientôt aussi un livre <strong>de</strong> Goncourt<br />
– Chérie –. Goncourt est toujours beau et sa façon<br />
<strong>de</strong> travailler est si dèle et c’est toujours tellement<br />
bien fait. » Vincent van Gogh à Theo van Gogh,<br />
Nuenen, vers le 10 octobre 1885, lettre 534<br />
Chérie est un roman français mo<strong>de</strong>rne par<br />
excellence, le chant du cygne d’Edmond <strong>de</strong><br />
Goncourt, qui l’annonce comme son <strong>de</strong>rnier<br />
ouvrage. L’auteur, dont l’inséparable frère Jules<br />
est alors décédé, revient dans sa préface sur<br />
l’apport que constitue l’œuvre du duo à la<br />
littérature <strong>de</strong>s décennies passées. Il en prote<br />
pour régler ses comptes avec Zola, entre autres,<br />
et avec ce naturalisme dont le nom lui semble<br />
plus bassement politique que méthodologique.<br />
Il évoque aussi la réussite et les nouveautés<br />
appor tées par leurs travaux et énumère<br />
trois points essentiels, sous la forme d’une<br />
réminiscence d’une promena<strong>de</strong> faite avec son<br />
frère mourant, au bois <strong>de</strong> Boulogne :<br />
Tout à coup brusquement mon frère s’arrêta,<br />
et me dit : « Ça ne fait rien, vois‐tu, on nous niera<br />
tant qu’on voudra. Il faudra bien reconnaître un<br />
jour que nous avons fait GERMINIE LACERTEUX...<br />
et que Germinie Lacerteux » est le livre‐type qui<br />
a servi <strong>de</strong> modèle à tout ce qui a été fabriqué<br />
<strong>de</strong>puis nous, sous le nom <strong>de</strong> réalisme, naturalisme,<br />
etc. Et d’un ! Maintenant, par les écrits, par la<br />
parole, par les achats... qu’est‐ce qui a imposé à<br />
la génération aux commo<strong>de</strong>s d’acajou, le goût<br />
<strong>de</strong> l’art et du mobilier du XVIII e siècle ?... Où est<br />
celui qui osera dire que ce n’est pas nous ? Et<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ! « Enn cette <strong>de</strong>scription d’un salon<br />
parisien meublé <strong>de</strong> japonaiseries, publiée dans<br />
notre premier roman, dans notre roman d’EN<br />
18..., paru en 1851... Oui, en 1851... – qu’on me<br />
montre les japonisants <strong>de</strong> ce temps‐là... – et<br />
nos acquisitions <strong>de</strong> bronzes et <strong>de</strong> laques <strong>de</strong><br />
ces années chez Mallinet et un peu plus tard<br />
chez M me Desoye... et la découverte en 1860,<br />
à La Porte chinoise, du premier album japonais<br />
connu à <strong>Paris</strong>... connu au moins du mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>s littérateurs et <strong>de</strong>s peintres...et les pages<br />
consacrées aux choses du Japon dans MANETTE<br />
SALOMON, dans IDÉES ET SENSATIONS...<br />
ne font‐ils pas <strong>de</strong> nous les premiers propagateurs<br />
<strong>de</strong> cet art... <strong>de</strong> cet art en train, sans qu’on s’en<br />
doute, <strong>de</strong> révolutionner l’optique <strong>de</strong>s peuples<br />
occi<strong>de</strong>ntaux ? Et <strong>de</strong> trois ! [...] Or la recherche<br />
du vrai en littérature, la résurrection <strong>de</strong> l’art du<br />
XVIII e siècle, la victoire du japonisme : ce sont,<br />
sais‐tu, – ajouta‐ t‐il après un silence, et avec un<br />
réveil <strong>de</strong> la vie intelligente dans l’œil –, ce sont les<br />
trois grands mouvements littéraires et artistiques<br />
<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle... et nous<br />
les aurons menés, ces trois mouvements... nous,<br />
pauvres obscurs. Eh bien ! Quand on a fait cela...<br />
c’est vraiment difcile <strong>de</strong> n’être pas quelqu’un<br />
dans l’avenir. »<br />
Ce passage fait écho à l’incroyable ambition<br />
<strong>de</strong> Vincent van Gogh à un moment <strong>de</strong> sa vie où<br />
sa principale contribution à l’histoire <strong>de</strong> l’art n’est<br />
encore que sa gran<strong>de</strong> composition <strong>de</strong>s Mangeurs<br />
<strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre, qui attendra encore bien<br />
longtemps avant d’être considérée comme une<br />
œuvre majeure. Vincent voit dans la collaboration<br />
si fécon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s frères Goncourt un exemple à<br />
suivre et une voie possible. Ces champions <strong>de</strong><br />
1. Wouter van <strong>de</strong>r VEEN, « Le Japon lu par Vincent Van Gogh », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions <strong>de</strong> la<br />
<strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>,2012, pp. 22-33.<br />
25
l’innovation, pratiquant un art qui, selon Vincent,<br />
a une longueur d’avance sur la peinture, ont tenu<br />
contre vents et marées et ont ni par <strong>de</strong>venir<br />
« quelqu’un qui avait fait quelque chose. » La<br />
carrière <strong>de</strong> Vincent, sur le point d’éclore, est à<br />
considérer sous cet angle, dans la continuité <strong>de</strong><br />
la voie montrée par les Goncourt : <strong>de</strong>ux frères<br />
férus d’art japonais, engagés corps et âme dans la<br />
production d’une œuvre innovante, audacieuse,<br />
ouverte à l’histoire <strong>de</strong> l’art et au mon<strong>de</strong>.<br />
Mo<strong>de</strong>rnité et simplicité<br />
On a pu lire que Van Gogh suit une mo<strong>de</strong>, respire<br />
l’air du temps et rencontre un japonisme bien<br />
installé à <strong>Paris</strong> lorsqu’il vient y vivre en 1886.<br />
Or, comme bien souvent, on ne prend pas en<br />
compte le choix que Vincent opère. L’offre<br />
culturelle japonisante à <strong>Paris</strong> en 1886 ‐1887 n’est<br />
pas aussi orissante que l’on veut bien l’imaginer,<br />
et les auteurs qui se sont lancés à sa recherche<br />
ont rarement été récompensés <strong>de</strong> leurs efforts. Il<br />
serait plus aisé <strong>de</strong> décrire, pour ces années, l’offre<br />
massive <strong>de</strong> produits russes, persans, égyptiens ou<br />
même chinois. La mo<strong>de</strong> japonisante est passée,<br />
l’activité économique qui lui est associée est<br />
moribon<strong>de</strong>, connée à quelques échoppes et<br />
<strong>de</strong> rares publications. Bien sûr, Samuel Bing fait<br />
son possible pour promouvoir ce qui fait son<br />
fonds <strong>de</strong> commerce, et bien entendu, un cercle<br />
restreint d’artistes et d’amateurs y trouve plus<br />
ou moins son compte, mais l’offre n’en <strong>de</strong>meure<br />
pas moins éparse et inorganisée. Cette situation<br />
fait à la fois le bonheur et le malheur <strong>de</strong> Vincent.<br />
Convaincu que la peinture a <strong>de</strong>s décennies <strong>de</strong><br />
retard sur la littérature, et prenant exemple sur<br />
les Goncourt, il ne doute pas que l’avenir <strong>de</strong> la<br />
peinture française mo<strong>de</strong>rne est à trouver du côté<br />
<strong>de</strong> l’art japonais. Mais où se procurer les supports<br />
<strong>de</strong> cet art ? Les informations sur les conditions<br />
<strong>de</strong> production <strong>de</strong> l’art japonais sont inaccessibles,<br />
voire inexistantes, surtout au moment où Van<br />
Gogh s’installe à Anvers à la n 1885, juste après<br />
la lecture <strong>de</strong> la préface <strong>de</strong> Chérie.<br />
Ainsi, lorsque le peintre, armé <strong>de</strong> sa volonté<br />
imperturbable <strong>de</strong> peser dans le mon<strong>de</strong> et<br />
l’histoire <strong>de</strong> l’ar t, prend possession d’un<br />
appartement mo<strong>de</strong>ste rue <strong>de</strong>s Images 2 à Anvers,<br />
il le décore avec <strong>de</strong>s estampes japonaises, dont il<br />
n’est malheureusement pas possible aujourd’hui<br />
<strong>de</strong> retracer l’origine. En tout cas, il y a fort à<br />
parier que cette décoration n’a pas pour seul but<br />
d’enjoliver les murs <strong>de</strong> son atelier, mais bien <strong>de</strong> le<br />
stimuler dans sa démarche créatrice, comme un<br />
rappel quotidien à la mo<strong>de</strong>rnité qui lui permettra<br />
<strong>de</strong> suivre l’exemple donné par la littérature <strong>de</strong><br />
ses contemporains en général, et les Goncourt<br />
en particulier.<br />
C’est par conséquent en parfait dilettante que<br />
Van Gogh constitue, à Anvers en 1885, un début<br />
<strong>de</strong> collection qu’il complétera à <strong>Paris</strong> durant les<br />
années suivantes. Il semblerait que cet intérêt<br />
était surtout d’ordre formel. Il ne savait rien,<br />
ou presque, <strong>de</strong>s artistes japonais ou <strong>de</strong> leur<br />
culture, et restait libre <strong>de</strong> se construire un Japon<br />
imaginaire, idéal 3 . C’est à <strong>Paris</strong> que Van Gogh<br />
peindra une toile s’inscrivant remarquablement<br />
dans cette triple perspective – son goût pour la<br />
littérature mo<strong>de</strong>rne, un japonisme tout personnel<br />
et l’afrmation d’une culture propre – et brisant<br />
les co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la représentation bourgeoise :<br />
Nature morte avec trois livres. Cette œuvre <strong>de</strong><br />
forme ovale est réalisée sur un panneau <strong>de</strong> bois<br />
au dos duquel se trouvent <strong>de</strong>s traces d’écriture<br />
japonaise. Ces idéogrammes ne sont pas <strong>de</strong> la<br />
main <strong>de</strong> Vincent, mais étaient préalablement<br />
apposés sur <strong>de</strong>s planches <strong>de</strong> bois provenant d’une<br />
caisse venue du Japon, avant d’être recyclées en<br />
support pour œuvre d’art. Deux <strong>de</strong>s livres ont<br />
au recto la couverture jaune caractéristique <strong>de</strong>s<br />
livres « mo<strong>de</strong>rnes » dont Vincent parsème son<br />
œuvre, ce qui afrme sa volonté <strong>de</strong> rester dans<br />
une dynamique sans cesse innovante, ainsi que<br />
sa conscience <strong>de</strong> faire partie d’une histoire <strong>de</strong><br />
l’art en perpétuelle évolution. Le support nous<br />
montre que Van Gogh allait se fournir en produits<br />
importés du Japon directement à la source.<br />
2. Van Gogh emménage au 224 <strong>de</strong> la Lange Beel<strong>de</strong>kensstraat. En néerlandais, beeld signie « image ».<br />
3. « His interest in Japanese prints was primarily formal – he was attracted to their brilliant at color, simplied forms, incicive drawigng,<br />
and compositional daring. His ignorance of their cultural context helped foster an i<strong>de</strong>alized conception of Japan as a repository of<br />
superior emotional, moral and aesthetic values. », in Douglas DRUICK et Peter KORT ZEGERS, Van Gogh and Gauguin, The Studio of the<br />
South, Art Institute, Chicago, 2001, pp. 74-75.<br />
26
Gaieté, consolation et nature<br />
Dau<strong>de</strong>t et l’art japonais, aux yeux <strong>de</strong> Van Gogh<br />
pour qui la consolation est le but le plus élevé<br />
<strong>de</strong> l’art, ont l’avantage d’être simples et gais, et<br />
en tant que tels, « consolants 4 ». Cette recherche<br />
<strong>de</strong> consolation, à la fois pour sa production et<br />
dans ses choix littéraires, l’engage durant les <strong>de</strong>ux<br />
<strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie à lire <strong>de</strong> moins en<br />
moins souvent <strong>de</strong>s œuvres réalistes pures, et<br />
<strong>de</strong> plus en plus à se tourner vers une littérature<br />
d’évasion. De Zola et Goncourt, il passe à Jules<br />
Verne et Pierre Loti, peut-être avec Guy <strong>de</strong><br />
Maupassant comme maillon entre ces <strong>de</strong>ux<br />
pôles littéraires.<br />
L’année durant laquelle Vincent mûrit sa<br />
décision <strong>de</strong> quitter <strong>Paris</strong> et <strong>de</strong> s’installer dans<br />
le Sud <strong>de</strong> la France, 1887, est aussi celle <strong>de</strong> la<br />
publication <strong>de</strong> Madame Chrysanthème <strong>de</strong> Pierre<br />
Loti. Cependant, Van Gogh ne lira cette œuvre<br />
qu’en juin 1888 et se contentera d’en dire, assez<br />
laconiquement, que ce livre contient <strong>de</strong>s notes<br />
intéressantes sur le Japon. Il n’en tirera pas <strong>de</strong><br />
bien gran<strong>de</strong>s leçons et il ne serait pas justié <strong>de</strong><br />
dire que sa façon <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la réalité du Midi<br />
ait été, <strong>de</strong> quelque façon qu’il fût, conditionnée<br />
par le contenu <strong>de</strong> cet ouvrage. En revanche, il<br />
en tire la conrmation <strong>de</strong> ce qu’il pensait déjà,<br />
que l’art japonais est synonyme <strong>de</strong> simplicité et<br />
<strong>de</strong> simplication :<br />
Est-ce que tu as lu Mme Chrysantême, cela m’a<br />
bien donné à penser que les vrais japonais n’ont<br />
rien sur les murs. La <strong>de</strong>scription du cloitre ou <strong>de</strong> la<br />
pago<strong>de</strong> où il n’y a rien (les <strong>de</strong>ssins, curiosités, sont<br />
cachés dans <strong>de</strong>s tiroirs). Ah c’est donc comme ça<br />
qu’il faut regar<strong>de</strong>r une japonaiserie – dans une<br />
piece bien claire, toute nue, ouverte sur le paysage.<br />
Veux tu en faire l’épreuve avec ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins<br />
<strong>de</strong> la Crau et <strong>de</strong>s bords du Rhône qui n’ont pas l’air<br />
japonais et qui peutêtre le sont plus que d’autres<br />
réellement. Regar<strong>de</strong>s les dans un café bien clair où<br />
il n’y ait rien d’autre en tableaux – ou <strong>de</strong>hors. Il y<br />
faudrait peutêtre une bordure <strong>de</strong> roseau comme<br />
une baguette. Ici je travaille moi dans un intérieur<br />
nu, 4 murs blancs et <strong>de</strong>s pavés rouges par terre.<br />
Si j’insiste que tu regar<strong>de</strong>s ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ssins ainsi<br />
c’est que je voudrais tant te donner une idée vraie<br />
<strong>de</strong> la simplicité <strong>de</strong> la nature d’ici.<br />
Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />
vers le 13 juillet 1888, lettre 639<br />
Fidèle à son habitu<strong>de</strong>, Van Gogh voit dans<br />
l’ouvrage ce qu’il a envie d’y voir. En effet, la<br />
<strong>de</strong>scription d’une pago<strong>de</strong> où il n’y a « rien sur<br />
les murs » se trouve au chapitre XL du livre, et<br />
s’il y est bien question <strong>de</strong> la nudité <strong>de</strong>s pièces et<br />
du regret que les intérieurs occi<strong>de</strong>ntaux soient<br />
si encombrés <strong>de</strong> bibelots, il y est aussi question<br />
d’esquisses <strong>de</strong> maîtres suspendues aux murs. Ce<br />
que Van Gogh ne relève pas, par contre, c’est<br />
le mépris maladif pour le Japon, sa culture et<br />
ses habitants, qui suinte à grosses gouttes <strong>de</strong><br />
chaque chapitre du livre <strong>de</strong> Loti. Les Japonais<br />
y sont qualiés <strong>de</strong> « singesques », tout au Japon<br />
est jugé « mesquin », tout est irritant, au pire<br />
médiocre et au mieux risible. De plus, il s’agit,<br />
avant d’être un récit <strong>de</strong> voyage douteux, d’un<br />
manuel <strong>de</strong> tourisme sexuel pour tout Occi<strong>de</strong>ntal<br />
désireux <strong>de</strong> trouver une compagne adolescente,<br />
une « mousmé », le temps d’une escale orientale.<br />
Cet aspect aujourd’hui dérangeant offre une<br />
possibilité d’interprétation érotique d’un tableau<br />
pourtant tout en retenue, La Mousmé, peint par<br />
Van Gogh en juillet, soit quelques semaines à<br />
peine après sa lecture <strong>de</strong> Madame Chrysanthème.<br />
De la même manière, cet ouvrage offre un angle<br />
d’interprétation intéressant pour L’Autoportrait<br />
dédié à Paul Gauguin, peint en octobre et envoyé<br />
à Paul Gauguin dans le cadre d’un échange<br />
d’autoportraits.<br />
Les bonzes <strong>de</strong> Loti, dans Madame Chrysanthème,<br />
sont bien davantage que <strong>de</strong>s « simples adorateurs<br />
du Bhoudda éternel »,tel que Van Gogh l’écrit<br />
dans une lettre à Gauguin 5 . Ce sont aussi <strong>de</strong>s<br />
personnages gais, qui aiment les femmes et<br />
l’alcool. Ces <strong>de</strong>ux réalités, spirituelle et matérielle,<br />
ne s’excluent cependant pas. À Émile Bernard,<br />
le 26 juin, soit vraisemblablement pendant qu’il<br />
4. Pour le thème <strong>de</strong> la consolation chez Van Gogh, voir Leo JANSEN, « Vincent van Gogh’s belief in art as consolation », Stolwijk, in Van<br />
HEUGTEN, JANSEN et BLUHM (éds.), Van Gogh’s imaginary museum : Exploring the artist’s inner world, Van Gogh Museum, Amsterdam,<br />
2003, pp. 13-23..<br />
5. Vincent van Gogh à Paul Gauguin, Arles, 3 octobre 1888, lettre 695<br />
27
est en train <strong>de</strong> lire Madame Chrysanthème,<br />
il écrit qu’il vit comme « un moine qui va au<br />
bor<strong>de</strong>l une fois par quinzaine » ; c’est également<br />
le programme qu’il propose à Paul Gauguin,<br />
pour donner le cadre <strong>de</strong> leur cohabitation et<br />
<strong>de</strong> leur collaboration envisagées. Enn, c’est un<br />
idéal qu’il juge naturel ; tout comme les artistes<br />
japonais, qui, dans son imagination, vivent d’une<br />
façon naturelle.<br />
Si on etudie l’art japonais alors on voit un<br />
homme incontestablement sage et philosophe et<br />
intelligent qui passe son temps – à quoi – à étudier<br />
la distance <strong>de</strong> la terre à la lune – non, à étudier la<br />
politique <strong>de</strong> Bismarck – non, il etudie un seul brin<br />
d’herbe. Mais ce brin d’herbe lui porte à <strong>de</strong>ssiner<br />
toutes les plantes – ensuite les saisons, les grands<br />
aspects <strong>de</strong>s paysages, enn les animaux, puis la<br />
gure humaine. Il passe ainsi sa vie, et la vie est<br />
trop courte, à faire le tout.<br />
Voyons cela, n’est ce pas presque une vraie<br />
religion ce que nous enseignent ces japonais si<br />
simples et qui vivent dans la nature comme si eux<br />
memes étaient <strong>de</strong>s eurs.<br />
Et on ne saurait etudier l’art japonais, il me<br />
semble, sans <strong>de</strong>venir beaucoup plus gai et plus<br />
heureux et cela nous fait revenir à la nature malgré<br />
notre education et notre travail dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
convention.<br />
Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles, 23<br />
ou 24 septembre 1888, lettre 686<br />
Avant <strong>de</strong> lire l’ouvrage <strong>de</strong> Loti, en mai <strong>de</strong> la<br />
même année, cet idéal avait déjà été formulé<br />
en d’autres termes, tout aussi poétiques : On se<br />
sait cheval <strong>de</strong> acre et on sait que ce sera encore<br />
au même acre qu’on va s’atteler. – Et alors on<br />
n’en a pas envie et on préférerait vivre dans une<br />
prairie avec un soleil, une rivière, la compagnie<br />
d’autres chevaux également libres, et l’acte <strong>de</strong> la<br />
génération.<br />
Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Arles,<br />
vers le 20 mai 1888, lettre 611<br />
Les différents aspects liés à la littérature et<br />
à l’art du Japon exposés ci-<strong>de</strong>ssus, dans leurs<br />
interconnections et leurs différences, démontrent<br />
que la vision personnelle que Van Gogh a du<br />
Japon <strong>de</strong>vient progressivement un ingrédient<br />
fondamental <strong>de</strong> sa métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong> sa pratique.<br />
Si la volonté <strong>de</strong> Vincent d’arriver à une gran<strong>de</strong><br />
simplicité est antérieure à sa découverte <strong>de</strong> l’art<br />
japonais, la caution <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnité qu’apportent<br />
les Goncourt, via la préface <strong>de</strong> Chérie, vient<br />
compléter le triangle « art japonais – littérature<br />
– peinture » et permet à Van Gogh <strong>de</strong> cheminer<br />
sereinement sur la voie <strong>de</strong> l’innovation<br />
créatrice et du progrès <strong>de</strong> l’art, tout en se<br />
sachant assuré d’une justication intellectuelle<br />
parfaitement défendable. Par effet <strong>de</strong> miroir,<br />
et par le truchement d’une lecture partielle<br />
et biaisée <strong>de</strong> Madame Chrysanthème, cette<br />
vision se transforme au contact <strong>de</strong>s références<br />
à Dau<strong>de</strong>t en un optimisme forcé et en une<br />
volonté farouche <strong>de</strong> voir une gaieté imaginée,<br />
typique d’un Midi pittoresque qui n’existe pas :<br />
un « Japon français » qu’il fera vivre sur ses toiles,<br />
ses <strong>de</strong>ssins, et parfois dans ses lettres. Le Japon<br />
lu par Van Gogh, curieusement, c’est donc Arles<br />
et ses environs, tels qu’il les avait imaginés<br />
auparavant à travers Les Lettres <strong>de</strong> mon moulin<br />
et Tartarin <strong>de</strong> Tarascon, vision qu’il complète puis<br />
confronte au récit <strong>de</strong> Loti. Un vaste programme,<br />
une recette improbable, mais dont le résultat<br />
dépasse l’enten<strong>de</strong>ment, et le rendra immortel.<br />
Bien entendu, l’art japonais et la littérature<br />
française <strong>de</strong> son temps ne sont pas les seuls<br />
facteurs pouvant éclairer notre compréhension<br />
<strong>de</strong> l’œuvre immense du peintre du Champ <strong>de</strong><br />
blé aux corbeaux et il serait vain <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong><br />
l’expliquer dans son ensemble et sa complexité<br />
en quelques pages seulement. Heureusement,<br />
l’essentiel <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> Vincent rési<strong>de</strong> dans le plaisir<br />
<strong>de</strong> sa contemplation, et le premier à avoir eu<br />
cette conscience était le peintre lui-même :<br />
Eh bien vraiment, nous ne pouvons faire parler<br />
que nos tableaux. 6<br />
6. Brouillon <strong>de</strong> lettre <strong>de</strong> Vincent van Gogh à Theo van Gogh, Auvers-sur-Oise, 23 juillet 1890, lettre RM25.<br />
28
VINCENT VAN GOGH ET LE JAPON : UNE HISTOIRE D’AMOUR (EXTRAITS) 1<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Inuence <strong>de</strong> l’art japonais sur la peinture<br />
<strong>de</strong> Van Gogh<br />
Vers la n <strong>de</strong>s années 1890, Van Gogh commence<br />
à adopter <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> composition typiquement<br />
japonais. Les graveurs nippons utilisaient<br />
souvent d’étonnantes échappées d’une pièce<br />
vers une autre ou d’une pièce vers l’extérieur.<br />
Utagawa Kunisada, dont Van Gogh détient<br />
quelque cent soixante estampes, applique<br />
régulièrement ce procédé intéressant, comme<br />
le montrent plusieurs gravures <strong>de</strong> la collection.<br />
L’une d’entre elles représente <strong>de</strong>ux femmes dans<br />
un intérieur, d’où une échappée sur le jardin laisse<br />
apercevoir un prunier en eur – le véritable sujet<br />
<strong>de</strong> l’estampe. Van Gogh associe <strong>de</strong> manière comparable<br />
<strong>de</strong>s scènes d’intérieur et d’extérieur dans<br />
une peinture et un <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>.<br />
Des couleurs vives, parfois en grands aplats,<br />
<strong>de</strong>s éléments audacieusement placés en repoussoir<br />
et une perspective singulière, comme dans<br />
les tableaux où l’objet représenté paraît renversé<br />
vers l’avant : tels sont les procédés <strong>de</strong> composition<br />
que Van Gogh va désormais utiliser <strong>de</strong> manière<br />
récurrente. Si l’inuence <strong>de</strong>s maîtres japonais ne<br />
se manifeste pas partout avec la même netteté,<br />
elle est en revanche évi<strong>de</strong>nte dans certaines<br />
œuvres ou certains groupes d’œuvres.<br />
Van Gogh admire beaucoup la facilité apparente<br />
avec laquelle les artistes nippons introduisent<br />
dans leurs scènes <strong>de</strong> petits personnages, et<br />
la façon dont lui-même intègre les gures dans<br />
ses aquarelles y est très apparentée.<br />
En octobre-novembre <strong>de</strong> la même année,<br />
Van Gogh réalise un groupe <strong>de</strong> trois œuvres<br />
très japonisantes, <strong>de</strong>s copies, dotées <strong>de</strong> cadres<br />
décoratifs peints à même la toile, d’estampes<br />
<strong>de</strong> maîtres japonais. Il réalise <strong>de</strong>ux d’entre elles<br />
d’après <strong>de</strong>s gravures <strong>de</strong> Hiroshige appartenant<br />
à sa collection et la troisième d’après une illustration<br />
<strong>de</strong> magazine qui reproduit (en miroir)<br />
une estampe d’Eisen.<br />
Les copies japonaises <strong>de</strong> Van Gogh associent<br />
à la fois <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> ses premières séances<br />
<strong>de</strong> copie et d’autres issus <strong>de</strong> ses interprétations<br />
ultérieures. Quoique son œuvre ait <strong>de</strong>puis quelque<br />
temps déjà intégré <strong>de</strong>s traits japonisants, Van<br />
Gogh a dû ressentir le besoin d’expérimenter<br />
très concrètement les audacieux procédés <strong>de</strong><br />
composition artistique <strong>de</strong>s estampes.<br />
Ces exercices d’assouplissement artistique<br />
avaient permis à Van Gogh <strong>de</strong> se mettre en quelque<br />
sorte dans l’esprit <strong>de</strong>s artistes japonais, en<br />
y ajoutant <strong>de</strong>s éléments personnels. Il ne refera<br />
jamais plus d’œuvres <strong>de</strong> ce genre, mais les acquis<br />
<strong>de</strong>s maîtres nippons allaient constituer, tant<br />
durant les <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> son séjour à <strong>Paris</strong><br />
que par la suite dans le Midi <strong>de</strong> la France, une<br />
caractéristique indissociable <strong>de</strong> son œuvre.<br />
Le Japon dans le Midi<br />
Dans le Sud <strong>de</strong> la France, Van Gogh s’attendait<br />
à trouver un reet du Japon. On ne sait pas très<br />
bien comment lui est venue cette idée, même<br />
si certaines comparaisons faites entre le Japon<br />
et l’Italie lui ont peut-être fait supposer que le<br />
Midi <strong>de</strong> la France dégageait une atmosphère<br />
comparable. Son intérêt pour cette région a<br />
aussi été éveillé par son admiration pour l’œuvre<br />
du peintre Adolphe Monticelli, qui avait vécu et<br />
travaillé à Marseille, où il était mort en 1886.<br />
Le 19 février 1888, Van Gogh part pour Arles,<br />
où il arrive le len<strong>de</strong>main.<br />
Selon plusieurs lettres, la ville semble justier<br />
son espoir que la Provence puisse constituer une<br />
alternative valable au Japon. Peu après son arrivée,<br />
rempli d’enthousiasme, il écrit à Émile Bernard :<br />
« Le pays me paraît aussi beau que le Japon pour la<br />
limpidité <strong>de</strong> l’atmosphère et les effets <strong>de</strong> couleur<br />
gaie. Les eaux font <strong>de</strong>s taches d’un bel émerau<strong>de</strong><br />
et d’un riche bleu dans les paysages ainsi que nous<br />
le voyons dans les crepons. Des couchers <strong>de</strong> soleil<br />
1. Sjraar van HEUGTEN, « Van Gogh et le Japon : une histoire d’amour », in Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions<br />
<strong>de</strong> la <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> / Éditions Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012, pp. 34-55.<br />
29
orangé pâle faisant paraître bleu les terrains – <strong>de</strong>s<br />
soleils jaunes splendi<strong>de</strong>s. »<br />
Plus tard, le 17 octobre, il écrit à Gauguin,<br />
qui doit peu après quitter la Bretagne pour aller<br />
s’installer chez Van Gogh, à Arles : « J’ai toujours<br />
encore présent dans ma mémoire l’émotion que<br />
m’a causé le trajet cet hiver <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> à Arles.<br />
Comme j’ai guetté “si cela était déjà du Japon”!<br />
Enfantillage quoi. »<br />
L’inuence <strong>de</strong>s autres formes <strong>de</strong> l’art<br />
japonais sur Van Gogh<br />
Le regard <strong>de</strong> Van Gogh n’a pas été uniquement<br />
formé par l’observation <strong>de</strong> gravures japonaises,<br />
d’autres formes d’art japonais ont dû aussi jouer<br />
un rôle, comme le prouve la toile qu’il peint à<br />
Saint-Rémy pour célébrer la naissance du ls <strong>de</strong><br />
Theo, Amandier en eur. Van Gogh a pu trouver<br />
<strong>de</strong>s dizaines d’arbres en eur dans ses estampes,<br />
mais la façon particulière dont il a représenté ici<br />
la branche eurie sur un fond quasi monochrome<br />
évoque moins ces planches que les poteries ou<br />
les laques japonais où les branches euries sont<br />
souvent le seul motif. La céramique japonaise<br />
était elle aussi très appréciée à <strong>Paris</strong>, et Van Gogh<br />
a sans aucun doute connu <strong>de</strong>s œuvres telles<br />
que la gran<strong>de</strong> assiette qui gure au centre d’une<br />
illustration <strong>de</strong> L’Art japonais et qui faisait partie<br />
<strong>de</strong> la collection <strong>de</strong> Louis Gonse.<br />
Saint-Rémy et Auvers-sur-Oise<br />
Le 8 mai 1889, Van Gogh se fait volontairement<br />
interner à l’asile <strong>de</strong> Saint-Paul-<strong>de</strong>-Mausole, à<br />
Saint-Rémy. Le jardin <strong>de</strong> l’asile va <strong>de</strong>venir pour<br />
lui une source importante <strong>de</strong> motifs, comme<br />
dans le magistral Jardin <strong>de</strong> l’asile <strong>de</strong> Saint-Rémy<br />
qu’il réalise peu après son arrivée.<br />
Van Gogh se met à expérimenter un nouveau<br />
style qui laisse moins <strong>de</strong> place aux grands aplats <strong>de</strong><br />
couleurs vives ; sa palette <strong>de</strong>vient plus mo<strong>de</strong>rne,<br />
et son pinceau se fait plus rythmique, plus mobile.<br />
Un grand nombre <strong>de</strong> ces œuvres doit en tout<br />
cas quelque chose aux estampes ukiyo-e ; d’autres<br />
sont très japonisantes, comme <strong>de</strong>ux sous-bois<br />
aux arbres extrêmement découpés.<br />
Vers la n du séjour <strong>de</strong> Van Gogh à l’asile,<br />
Theo lui écrit une lettre dans laquelle il s’extasie<br />
sur une magnique exposition d’estampes et <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ssins japonais présentée à <strong>Paris</strong> 2 . Van Gogh<br />
lui répond qu’il se réjouit d’aller la voir. Il quitte<br />
Saint-Rémy le 16 mai et séjourne chez Theo du<br />
17 au 19, avant <strong>de</strong> partir à Auvers-sur-Oise le 20<br />
mai. L’exposition durait jusqu’au 22 mai, et bien<br />
que la correspondance ne nous donne aucune<br />
certitu<strong>de</strong> sur le sujet et que son séjour à <strong>Paris</strong><br />
ait été <strong>de</strong> courte durée, il est possible que Van<br />
Gogh l’ait effectivement visitée.<br />
Durant les <strong>de</strong>ux mois et une semaine <strong>de</strong><br />
son séjour à Auvers-sur-Oise, Van Gogh est très<br />
productif et explore <strong>de</strong> nombreuses possibilités<br />
nouvelles. À son arrivée, les marronniers sont en<br />
eur, ce qui lui inspire quelques œuvres. Pendant<br />
les <strong>de</strong>rnières semaines <strong>de</strong> son existence – il se<br />
tire une balle dans la poitrine le 27 juillet et<br />
meurt <strong>de</strong>ux jours plus tard – il témoigne encore<br />
du regard unique qu’il porte sur le mon<strong>de</strong> et qu’il<br />
transpose dans ses œuvres en s’appuyant sur les<br />
modèles <strong>de</strong>s maîtres qu’il apprécie. Quoique le<br />
rêve japonais <strong>de</strong> Van Gogh ne se soit pas réalisé<br />
et qu’il ne lui ait pas été donné <strong>de</strong> trouver la<br />
sérénité qui habitait selon lui les artistes nippons,<br />
leurs œuvres n’en ont pas moins joué un rôle<br />
irremplaçable dans la formation <strong>de</strong> son style pétri<br />
<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnité.<br />
Madame Chrysanthème<br />
En juin 1888, Van Gogh lit un livre fraîchement<br />
paru qui renouvelle ses idées sur le Japon :<br />
Madame Chrysanthème <strong>de</strong> Pierre Loti. Le roman<br />
fourmille d’anecdotes sur l’empire du Soleil-<br />
Levant qui enthousiasment Van Gogh. Loti parle<br />
notamment d’une mousmé, terme exotique que<br />
Van Gogh donne à un tableau et à quelques<br />
<strong>de</strong>ssins d’une jeune Provençale qu’il réalise peu<br />
après avoir lu le livre 3 .<br />
2. Lettre 869 <strong>de</strong> Theo à Vincent, voir aussi vangoghletters.org, n° 4. L’exposition avait été organisée par Siegfried Bing, s’était déroulée<br />
à l’École <strong>de</strong>s beaux-arts et regroupait sept cent vingt-cinq œuvres.<br />
3. Pour <strong>de</strong>s précisions à ce sujet, voir KODERA, « Van Gogh’s Utopian Japonisme », in Charlotte van RAPPARD-BOON et al, Japanese<br />
prints, catalogue <strong>de</strong> la collection du Van Gogh Museum, édition révisée, Amsterdam, 2006, pp. 11-45.<br />
30
Madame Chrysanthème est publié en 1887 et<br />
connaît un immense succès d’édition. Le roman,<br />
inspiré <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> l’auteur, raconte le<br />
mariage d’un jeune ofcier <strong>de</strong> la Marine française<br />
avec une Japonaise à Nagasaki. Loti a voyagé au<br />
Japon en 1885, il en rapporte l’inspiration <strong>de</strong> ce<br />
roman. En juillet 1885, dès son arrivée à Nagasaki,<br />
il épouse par contrat d’un mois renouvelable une<br />
jeune Japonaise <strong>de</strong> 18 ans, Okane-San, baptisée<br />
Kikou-San, « Madame Chrysanthème ». En août, il<br />
quitte Nagasaki. Ce mariage auquel les parents<br />
ont consenti a été arrangé par un agent et enregistré<br />
par la police locale. Il ne dure que le temps<br />
du séjour et la jeune lle pourra par la suite se<br />
marier avec un Japonais. Cette pratique peut<br />
paraître curieuse mais elle était alors courante<br />
au Japon, même si elle s’avérait coûteuse pour<br />
l’étranger.<br />
Paru un an après Pêcheur d’Islan<strong>de</strong>, en 1887, ce<br />
roman connaît un immense succès et contribue<br />
à la renommée <strong>de</strong> Pierre Loti. Il participe à l’intérêt<br />
français pour l’Extrême-Orient et le Japon<br />
en particulier, malgré la <strong>de</strong>scription mitigée qu’en<br />
fait Loti.<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
31
LES INFLUENCES RÉCIPROQUES DE L’ART OCCIDENTAL ET JAPONAIS<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Les inuences <strong>de</strong>s estampes japonaises sur l’art pictural occi<strong>de</strong>ntal<br />
Composition<br />
Forme<br />
Technique<br />
Couleur<br />
Sujet<br />
Étagement <strong>de</strong>s plans<br />
Cadrage coupé et décentré<br />
Présence <strong>de</strong> repoussoirs au premier plan<br />
Importance accordée au détail<br />
Perspectives singulières : plongeante, cavalière<br />
(points <strong>de</strong> vues multiples)<br />
Négation <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />
Asymétrie<br />
Chute du second plan<br />
Clair-obscur<br />
Mo<strong>de</strong>lé<br />
Gravure à l’eau-forte<br />
Peinture à l’huile<br />
Utilisation du pigment bleu <strong>de</strong> Prusse<br />
Travail <strong>de</strong> séries<br />
Renouvellement <strong>de</strong> thèmes connus<br />
Motifs végétaux stylisés<br />
Paysages (montagnes, vergers en eur, arbres,<br />
troncs, ponts)<br />
Petits personnages<br />
Nu féminin<br />
Reprise <strong>de</strong> motifs décoratifs japonais (éventail,<br />
kimono, poisson, paravent, calligraphie)<br />
Importance du ressenti du spectateur face<br />
à l’œuvre<br />
Les inuences <strong>de</strong> l’art occi<strong>de</strong>ntal sur l’art japonais<br />
Composition<br />
Forme<br />
Technique<br />
Couleur<br />
Perspective linéaire<br />
Clair-obscur<br />
Mo<strong>de</strong>lé<br />
Gravure à l’eau-forte<br />
Peinture à l’huile<br />
Utilisation du pigment bleu <strong>de</strong> Prusse<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
32
Analyses d’œuvres<br />
33
Vincent van Gogh Oliveraie Juin 1889, huile sur toile, 72,4 x 91,9 cm. Signée en bas à gauche : Vincent<br />
© Collection Kröller‐Müller Museum, Otterlo, the Netherlands<br />
Les oliveraies sont <strong>de</strong>venues un <strong>de</strong>s sujets<br />
préférés <strong>de</strong> Van Gogh car elles appartiennent<br />
au paysage <strong>de</strong> la Provence, avec les cyprès, les<br />
champs <strong>de</strong> blé et les montagnes. À Saint‐Rémy,<br />
où Van Gogh est interné entre 1889 et 1890,<br />
il se consacre principalement à la peinture <strong>de</strong><br />
paysage. Lorsque sa santé le permet, le docteur<br />
Peyron, directeur <strong>de</strong> l’asile, l’autorise à sortir et<br />
à travailler à l’extérieur <strong>de</strong> l’hôpital, directement<br />
dans les oliveraies.<br />
Entre juin et décembre 1889, il peint plus<br />
<strong>de</strong> cinquante oliveraies, la plupart d’entre elles<br />
en automne. Sur ce tableau, il peint les oliviers<br />
comme <strong>de</strong>s êtres solitaires au beau milieu <strong>de</strong><br />
la nature. Pour les représenter, Van Gogh utilise<br />
<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> pinceau courts et courbés (hormis<br />
les coups <strong>de</strong> pinceau plus longs utilisés pour les<br />
arbres et les branches), créant ainsi une toile<br />
vibrante composée <strong>de</strong> plusieurs couches, appliquées<br />
les unes sur les autres. Quand le tableau<br />
est sufsamment sec, Van Gogh utilise un bleu<br />
sombre pour donner <strong>de</strong>s accents au feuillage,<br />
épaissir les contours et rajouter sa signature,<br />
qui suit les courbes <strong>de</strong>s brins d’herbe au sol.<br />
Les trois couleurs qui dominent sont le bleu, le<br />
vert et l’ocre. Le bleu du ciel est repris sur les<br />
troncs <strong>de</strong>s oliviers et le vert <strong>de</strong>s arbres est repris<br />
dans les ombres <strong>de</strong> la terre. Van Gogh travaille<br />
sur <strong>de</strong>s couleurs franches dont la vivacité est<br />
parfois déconnectée <strong>de</strong> la réalité. Il ne cherche<br />
pas à rendre le réel : pour Van Gogh, les couleurs<br />
reètent les sentiments et les états d’âmes. Les<br />
lignes vigoureuses <strong>de</strong>s branches se retrouvent<br />
également dans les arabesques plus douces du<br />
ciel. Une même vague irrégulière parcourt le ciel,<br />
les arbres et la terre.<br />
Dans une lettre à sa mère, Anna van Gogh‐<br />
Carbentus (Saint‐Rémy‐<strong>de</strong>‐Provence, entre le 8<br />
et le 12 juillet 1889), Van Gogh écrit :<br />
« Il y a <strong>de</strong> très jolis champs d’oliviers, qui sont d’un<br />
gris vert argenté, comme les saules têtards chez<br />
nous. Et puis ce ciel bleu ne m’ennuie pas. »<br />
Cette lettre nous donne une <strong>de</strong>scription quasi<br />
complète du tableau, et Van Gogh l’a donc probablement<br />
terminé avant d’écrire la lettre.<br />
34
Utagawa Hiroshige Procession <strong>de</strong> daimy partant du Nihonbashi, à Edo Série <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid, 1833-1834, nishiki-e<br />
(estampe à partir d’une gravure sur bois colorée) : papier, encre, pigments, dim. max. 23,8 x 35,7 cm. Signature : Hiroshige ga ; publiée<br />
par Takenouchi Magohachi (Hoeid) et Tsuruya Kiemon (Senkakud) © Museum Volkenkun<strong>de</strong>, Lei<strong>de</strong>n / Musée national d’Ethnologie,<br />
Ley<strong>de</strong>, inv. 1353-25-1<br />
Le pont du Japon (Nihonbashi), construit en<br />
1603 à Edo, est le point <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>s<br />
cinq principales routes du pays. C’est à partir <strong>de</strong><br />
ce lieu que sont mesurées toutes les distances<br />
au Japon. Ce pont marque le point <strong>de</strong> départ<br />
<strong>de</strong> la route du Tkaid et Hiroshige en fait le<br />
frontispice <strong>de</strong> sa série. Les ponts sont rares sur le<br />
Tkaid, le gouvernement <strong>de</strong>s Tokugawa veillant<br />
à se préserver <strong>de</strong>s éventuels soulèvements et<br />
assauts militaires en ltrant les voyageurs ; ceux-ci<br />
doivent alors franchir les euves à gué, sur les<br />
épaules <strong>de</strong> porteurs, ou bien à bord <strong>de</strong> bacs.<br />
La scène se déroule à l’aube (horizon<br />
orangé), les portes du pont viennent juste d’être<br />
ouvertes. Au second plan, Hiroshige représente<br />
le départ d’un cortège <strong>de</strong> daimy s’avançant sur<br />
le pont : <strong>de</strong>ux serviteurs portent <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong><br />
costumes <strong>de</strong> cérémonie. Ils sont suivis <strong>de</strong> porteétendards<br />
et <strong>de</strong> samouraïs. Le premier plan est<br />
occupé par une poignée <strong>de</strong> marchands ambulants<br />
<strong>de</strong> poissons, certains avec <strong>de</strong>s paniers pleins,<br />
d’autres remportent leurs paniers vi<strong>de</strong>s. À droite,<br />
<strong>de</strong>ux chiens cherchent peut-être à trouver <strong>de</strong> la<br />
nourriture abandonnée. Hiroshige nous propose<br />
un point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’atmosphère d’Edo au petit<br />
matin et <strong>de</strong> son caractère dynamique.<br />
Le cadrage <strong>de</strong> cette estampe est original et<br />
complexe et il ne s’agit pas d’une simple vue<br />
frontale du lieu avec quelques personnages au<br />
premier plan. Deux gran<strong>de</strong>s palissa<strong>de</strong>s délimitent<br />
la scène et permettent au spectateur <strong>de</strong> s’y intégrer.<br />
Le pont est présenté <strong>de</strong> biais, tout comme<br />
la direction empruntée par les personnages le<br />
traversant. La composition est construite autour<br />
<strong>de</strong> cette perspective centrale.<br />
Cette estampe remporta un grand succès,<br />
ce qui obligea à refaire certaines planches usées.<br />
Hiroshige en profita pour ajouter une foule<br />
bigarrée au premier plan.<br />
35
Pistes <strong>pédagogique</strong>s<br />
36
PROFESSEURS D’ARTS PLASTIQUES ET D’HISTOIRE DE L’ART<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
L’estampe au Japon et sa technique<br />
Les estampes <strong>de</strong> Hiroshige permettent d’évoquer<br />
à la fois l’histoire <strong>de</strong> ce procédé et les<br />
techniques <strong>de</strong> réalisation. Quelles sont les étapes<br />
<strong>de</strong> fabrication ? Et en quoi ce processus<br />
conditionne la forme ? Il est possible <strong>de</strong> replacer<br />
Hiroshige dans l’histoire <strong>de</strong> l’art du Japon et<br />
évoquer les autres grands maîtres <strong>de</strong> l’estampe<br />
du XIX e siècle : Hokusai (1760 -1849), Utamaro<br />
(1753 -1806), Eisen (1790 -1848), Kunisada<br />
(1786 -1864) et Kuniyoshi (1798 -1861).<br />
Les inuences occi<strong>de</strong>ntales sur l’art au Japon<br />
Les estampes permettent d’abor<strong>de</strong>r la réinterprétation<br />
<strong>de</strong> la perspective linéaire au Japon dès<br />
la <strong>de</strong>uxième moitié du XVIII e siècle, l’utilisation<br />
du bleu <strong>de</strong> Prusse par les artistes japonais, etc.<br />
Le japonisme et ses manifestations<br />
dans les arts occi<strong>de</strong>ntaux<br />
Le japonisme concerne à la fois la peinture, la<br />
gravure, la céramique, les arts décoratifs, la littérature<br />
et la musique. Dans quelles conditions<br />
et comment les artistes européens ont-ils été<br />
inuencés par l’art du Japon ? Qui sont ces artistes<br />
? Qu’ont-ils emprunté aux artistes japonais<br />
? Il est possible d’étudier <strong>de</strong>s œuvres ou<br />
<strong>de</strong>s artistes touchés par cette vogue : Whistler,<br />
Tissot, Henri Fantin Latour, le graveur et céramiste<br />
Félix Bracquemond, les impressionnistes<br />
(Monet, Degas), les Nabis, etc.<br />
Les mouvements artistiques<br />
Les œuvres <strong>de</strong> Van Gogh peuvent être replacées<br />
dans le contexte artistique <strong>de</strong> la n du<br />
XIX e siècle. Il est possible d’évoquer les courants<br />
artistiques, les salons et expositions, ou<br />
l’importance <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> en tant que capitale <strong>de</strong>s<br />
arts. On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quels étaient les<br />
rapports <strong>de</strong> Van Gogh avec les autres artistes<br />
(Gauguin, Émile Bernard, Toulouse-Lautrec). Les<br />
peintures <strong>de</strong> Van Gogh permettent d’abor<strong>de</strong>r<br />
les grands courants artistiques <strong>de</strong> la n du XIX e<br />
siècle et du début du XX e siècle : impressionnisme,<br />
postimpressionnisme, pointillisme, fauvisme,<br />
expressionnisme, symbolisme. Quelle<br />
est la postérité <strong>de</strong> Van Gogh ? Quels peintres<br />
a-t-il inuencés ?<br />
La peinture <strong>de</strong> paysages<br />
Les œuvres présentées dans les <strong>de</strong>ux expositions<br />
invitent à approfondir l’histoire <strong>de</strong> ce<br />
genre, en Europe et Japon.<br />
Van Gogh<br />
Biographie, caractéristiques stylistiques, sujets<br />
traités, techniques employées, inuences et<br />
postérité.<br />
Hiroshige<br />
Biographie, style, techniques, postérité, vision<br />
poétique <strong>de</strong> la nature<br />
Van Gogh et le japonisme<br />
Quels rapports l’artiste entretenait-il avec le<br />
Japon et sa culture ? De quelle manière concevait-il<br />
le Japon ? De quelle façon l’art nippon<br />
a-t-il inuencé son travail ? Il est possible <strong>de</strong> relever<br />
les éléments japonisants <strong>de</strong> ses peintures<br />
(thèmes, compositions, formes).<br />
37
PROFESSEURS D’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Le Japon : civilisation et histoire<br />
L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s estampes <strong>de</strong> Hiroshige permet<br />
d’abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s thèmes variés tant au point<br />
<strong>de</strong> vue culturel, politique, sociétal et religieux.<br />
Même si le sujet principal <strong>de</strong> cette série est<br />
le paysage, Hiroshige intègre <strong>de</strong> nombreux<br />
personnages et représente <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> la<br />
vie quotidienne : fêtes villageoises, processions<br />
<strong>de</strong> daimy, ainsi que <strong>de</strong>s geishas, samouraïs,<br />
voyageurs, porteurs, marchands, artisans itinérants,<br />
ou encore pèlerins. Ces représentations<br />
offrent la possibilité d’étudier l’époque d’Edo<br />
(1603 - 1868).<br />
Les échanges Japon-Occi<strong>de</strong>nt (artistiques,<br />
commerciaux, culturels)<br />
Sous la pression <strong>de</strong>s Occi<strong>de</strong>ntaux, le Japon met<br />
n à sa politique <strong>de</strong> fermeture au milieu du<br />
XIX e siècle. Quelles sont les conséquences <strong>de</strong><br />
cette ouverture (en Europe et au Japon) ? Les<br />
thèmes suivants peuvent être développés : colonisation,<br />
traités commerciaux, libre échange,<br />
mondialisation, expositions universelles, produits<br />
exportés, échanges culturels et inuences.<br />
La géographie du Japon<br />
Les séries <strong>de</strong>s Cinquante-trois étapes du Tkaid<br />
et <strong>de</strong>s Soixante-neuf étapes du Kisokaid offrent<br />
la possibilité d’étudier la géographie. Ces routes<br />
reliaient Edo (la ville du shogun) à Kyoto (la<br />
ville <strong>de</strong> l’empereur) l’une par la côte, l’autre par<br />
l’intérieur <strong>de</strong>s terres. Étu<strong>de</strong> d’un système <strong>de</strong><br />
découpage administratif original : le découpage<br />
par routes.<br />
PROFESSEURS DE FRANÇAIS ET DE LETTRES<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
La correspondance <strong>de</strong> Van Gogh<br />
Van Gogh a écrit plus <strong>de</strong> neuf cents lettres,<br />
dont près <strong>de</strong> sept cents à son frère Theo, son<br />
con<strong>de</strong>nt et complice. Les autres lettres sont<br />
<strong>de</strong>stinées à ses amis peintres tels Émile Bernard,<br />
Gauguin, Van Rappard mais aussi à ses parents<br />
et à ses sœurs. Van Gogh écrit en néerlandais,<br />
en anglais et en français. Ses lettres sont<br />
une mine d’informations tant au point <strong>de</strong> vue<br />
personnel que sur le plan artistique ; il avait l’habitu<strong>de</strong><br />
d’y joindre <strong>de</strong>s croquis et <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins<br />
très détaillés. La langue <strong>de</strong> Van Gogh est un assemblage<br />
<strong>de</strong> sources littéraires diverses et ses<br />
lectures ont une inci<strong>de</strong>nce importante sur son<br />
écriture.<br />
Lectures <strong>de</strong> Van Gogh<br />
Dès le plus jeune âge, Van Gogh est un lecteur<br />
passionné et lit en plusieurs langues : néerlandais,<br />
anglais, français et allemand. La littérature<br />
joue un rôle capital dans la formation intellectuelle<br />
<strong>de</strong> Van Gogh et il évoque dans ses lettres<br />
<strong>de</strong> nombreux auteurs pour étayer ou renforcer<br />
ses propos. Parmi les auteurs qu’il affectionne,<br />
38
on peut citer : Jules Michelet, Voltaire, Alphonse<br />
Dau<strong>de</strong>t, Émile Zola, les frères Goncourt, Dickens,<br />
Victor Hugo, Homère, Pierre Loti, Guy <strong>de</strong><br />
Maupassant, Shakespeare et Balzac.<br />
Le japonisme en littérature<br />
À partir <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième moitié du XIX e , le japonisme<br />
s’est diffusé rapi<strong>de</strong>ment parmi les artistes<br />
pour faire naître différents mouvements artistiques,<br />
puis littéraires, d’où l’importance <strong>de</strong>s<br />
rencontres entre artistes, collectionneurs, critiques<br />
d’art et écrivains. Des articles sont publiés<br />
par <strong>de</strong>s écrivains (les frères Goncourt, Philippe<br />
Burty) dans <strong>de</strong>s revues comme Le Japon artistique<br />
<strong>de</strong> Samuel Bing. Tous les intellectuels sont<br />
touchés par cet engouement pour le Japon et<br />
certains déci<strong>de</strong>nt même d’avoir un contact direct<br />
avec ce pays ; ils en ramènent <strong>de</strong>s récits<br />
<strong>de</strong> voyage, articles et romans (Pierre Loti, André<br />
Bellesort, Paul Clau<strong>de</strong>l). Quelques auteurs :<br />
Bau<strong>de</strong>laire, les frères Goncourt, Mallarmé (série<br />
<strong>de</strong> poème Éventails), Judith Gautier (L’Usurpateur),<br />
et Pierre Loti (Madame Chrysanthème).<br />
La littérature japonaise<br />
Pour réaliser sa série d’estampes sur le Tkaid,<br />
Hiroshige a très probablement été inspiré par<br />
les romans <strong>de</strong> Jippensha Ikku, notamment T<br />
kaidch Hizakurige (À pied sur le Tkaid), publié<br />
en douze parties entre 1802 et 1822. Il<br />
narre les aventures rocambolesques <strong>de</strong> Kita et<br />
Yaji, <strong>de</strong>ux hommes d’Edo (edokko) sur le grand<br />
chemin du Tkaid, découvrant la vie dans les<br />
différentes provinces du Japon ; insouciants<br />
et loufoques, ils sont persuadés <strong>de</strong> quitter le<br />
mon<strong>de</strong> civilisé en quittant la capitale.<br />
PROFESSEURS DE LANGUES<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
Lettres <strong>de</strong> Van Gogh : en français, néerlandais<br />
et anglais.<br />
Japonais : apprentissage <strong>de</strong> la lecture <strong>de</strong>s toponymes<br />
(noms <strong>de</strong>s villes, <strong>de</strong>s monts, <strong>de</strong>s quartiers<br />
<strong>de</strong> Tokyo, etc.) en réinvestissant <strong>de</strong>s kanji<br />
connus. Description d’œuvres, acquisition du<br />
vocabulaire d’histoire <strong>de</strong> l’art et <strong>de</strong> termes liés<br />
à la nature (peinture, gravure, gravure sur bois,<br />
premier plan, thème, kakémono, paravent, etc. /<br />
montagne, col, rizière, pin, cerisier, pont, volcan,<br />
temple, sanctuaire, etc.) permettant <strong>de</strong> réinvestir<br />
<strong>de</strong>s kanji connus et d’en apprendre d’autres<br />
plus complexes. Pour les plus avancés : déchiffrage<br />
<strong>de</strong>s cartouches et pourquoi ne pas tenter<br />
la lecture du Tkaidch Hizakurige ( <br />
).<br />
Anglais : Laurence Oliphant, secrétaire <strong>de</strong> comte<br />
d’Elgin, a relaté le voyage <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier au Japon<br />
et en Chine dans l’ouvrage publié en 1860, The<br />
Narrative of the Earl of Elgin’s Mission to China<br />
and Japan in the years 1857, ’58, ’59. Cette<br />
publication en <strong>de</strong>ux volumes comporte <strong>de</strong>s<br />
reproductions d’estampes <strong>de</strong> Hiroshige.<br />
39
BIBLIOGRAPHIE<br />
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •<br />
- Marc RESTELLINI, Van Gogh, rêves <strong>de</strong> Japon, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, coédition <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>Paris</strong> et Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012.<br />
- Marc RESTELLINI, Hiroshige, l’art du voyage, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, coédition <strong>Pinacothèque</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>Paris</strong> et Gourcuff Gra<strong>de</strong>nigo, <strong>Paris</strong>, 2012.<br />
- Van Gogh et Gauguin, l’atelier du Midi, catalogue <strong>de</strong> l’exposition, Éditions Gallimard, Amsterdam,<br />
2002.<br />
- Bretagne Japon 2012, un archipel d’expositions, catalogue <strong>de</strong>s expositions, Éditions Palatines, Quimper,<br />
2012.<br />
- Pascal BONAFOUX, Van Gogh le soleil en face, coll. Découvertes Gallimard Arts, <strong>Paris</strong>, 1987.<br />
- Jacques LASSAIGNE, Van Gogh, coll. Les Impressionnistes, Éditions Princesse, Milan, 1974.<br />
- Pierre CABANNE, Van Gogh, Somogy, <strong>Paris</strong>, 1992.<br />
- Anne CORTEY, Comment parler <strong>de</strong> Vincent Van Gogh aux enfants, Éditions le baron perché, <strong>Paris</strong>,<br />
2011.<br />
- Hiroshige, carnet d’esquisses, Éditions Phébus, <strong>Paris</strong>, 2001.<br />
- François et Mieko MAC É, Le Japon d’Edo, coll. Gui<strong>de</strong>s Belles Lettres <strong>de</strong>s civilisations, <strong>Paris</strong>, 2006.<br />
- Louis FRÉDÉRIC, Le Japon, Dictionnaire et civilisation, Robert Laffont, <strong>Paris</strong>, 1996.<br />
- Nelly DELAY, Dominique RUSPOLI, Hiroshige, Invitation au voyage, Éditions À Propos, Garches,<br />
2012.<br />
Articles<br />
- Yvonne THIRION, « Le japonisme en France dans la secon<strong>de</strong> moitié du XIX e siècle à la faveur <strong>de</strong><br />
la diffusion <strong>de</strong> l’estampe japonaise », in Cahiers <strong>de</strong> l’Association internationale <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s françaises,<br />
1961, N°13. pp. 117-130.<br />
- Inaga SHIGEMI, « La réinterprétation <strong>de</strong> la perspective linéaire au Japon (1740 -1830) et son retour<br />
en France (1860 -1910) », Actes <strong>de</strong> la recherche en sciences sociales, vol. 49, septembre 1983, La<br />
peinture et son public, pp. 29-45.<br />
- Tamio IKEDA, « Collectionner les estampes Japonaises ? », in Bulletin <strong>de</strong> l’Association Franco-Japonaise,<br />
hiver 2009 –2010.<br />
Sites Internet<br />
- Site <strong>de</strong> la BNF : exposition L’estampe japonaise, images d’un mon<strong>de</strong> éphémère :<br />
http://expositions.bnf.fr/japonaises/in<strong>de</strong>x.htm<br />
- Site du musée Van Gogh d’Amsterdam :<br />
http://www.vangoghmuseum.nl/vgm/in<strong>de</strong>x.jsp?page=paginas.talen.fr<br />
- Site <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> Van Gogh :<br />
http://vangoghletters.org/vg/<br />
40