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LES CAUSES D'INSALUBRITÉ<br />

DE LA VILLE D'ARLES<br />

Monsieur <strong>le</strong> directeur,<br />

Soucieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé <strong>de</strong> mes compatriotes, je ne crois pas hors <strong>de</strong> propos, à l'approche <strong>de</strong>s jours canicu<strong>la</strong>ires,<br />

<strong>de</strong> vous signa<strong>le</strong>r diverses causes d'insalubrité <strong>de</strong> notre vil<strong>le</strong>. A Ar<strong>le</strong>s une épidémie dégénère<br />

si faci<strong>le</strong>ment en fléau !<br />

Je peux sans hésiter dénoncer d'abord l'usine hydraulique, puisant l'eau en aval <strong>de</strong> trois égouts et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> roubine du Roi, qui en reçoit el<strong>le</strong>-même trois autres, sans compter <strong>le</strong>s souillures <strong>de</strong>s <strong>la</strong>voirs. Il est<br />

certain qu'une amélioration est résultée <strong>de</strong> <strong>la</strong> pose d'un tuyau <strong>de</strong> prise à quatre mètres <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />

; mais étant donné <strong>le</strong>s remous, <strong>le</strong>s doub<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s courants occasionnés par <strong>la</strong> poussée <strong>de</strong>s eaux qui<br />

viennent buter presque à ang<strong>le</strong> droit <strong>le</strong> perré en amont <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise, ce tuyau serait-il prolongé <strong>de</strong> dix<br />

mètres qu'il y aurait toujours du danger.<br />

La seu<strong>le</strong> solution paraît être <strong>le</strong> dép<strong>la</strong>cement <strong>de</strong> l'usine ou <strong>le</strong> prolongement <strong>de</strong>s tuyaux jusqu'au pont<br />

<strong>de</strong> Lunel. Il eût été si simp<strong>le</strong> lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> l'usine, <strong>de</strong> faire bien. Mais <strong>de</strong>s intérêts privés primèrent,<br />

paraît-il, en l'occasion, l'intérêt popu<strong>la</strong>ire.<br />

Pour corroborer ce qui précè<strong>de</strong>, je ferai remarquer que <strong>de</strong>puis l'établissement <strong>de</strong> l'usine <strong>le</strong>s épidémies<br />

cholériformes à Ar<strong>le</strong>s ont paru prendre un caractère plus grave qu'avant, alors que <strong>de</strong>s porteurs<br />

d'eau puisaient <strong>le</strong> liqui<strong>de</strong> au milieu du f<strong>le</strong>uve, du haut du pont <strong>de</strong> bateaux. A tel point que bien <strong>de</strong>s<br />

personnes se sont <strong>de</strong>mandé s'il ne fal<strong>la</strong>it pas attribuer cette accentuation du mal au tuyautage en<br />

plomb.<br />

Erreur ! La vérité est que <strong>le</strong>s conditions d'instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise actuel<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre usine sont déplorab<strong>le</strong>s,<br />

et j'ajoute qu'en temps d'épidémie on pourrait bien revenir à l'ancien système d'approvisionnement<br />

d'eau, aux barilliers. Et ce<strong>la</strong> tant que l'eau ne sera pas puisée par <strong>la</strong> machine en amont <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

roubine du Roi.<br />

Une autre cause bien grave d'insalubrité et bien plus grave qu'on ne semb<strong>le</strong> <strong>le</strong> croire, c'est <strong>la</strong> proximité<br />

<strong>de</strong> nos cimetières. On pourrait, rappe<strong>la</strong>nt <strong>le</strong> choléra <strong>de</strong> 1884, faire <strong>la</strong> preuve, sinon irréfutab<strong>le</strong>,<br />

du moins sérieuse, <strong>de</strong> cette assertion. Sous <strong>le</strong> vent du cimetière <strong>de</strong> Trinquetail<strong>le</strong>, <strong>le</strong> quai Saint-Pierre<br />

fut très éprouvé, tandis que <strong>le</strong>s quais d'Ar<strong>le</strong>s furent à peu près in<strong>de</strong>mnes (quelques cas seu<strong>le</strong>ment<br />

dans certaines rues transversa<strong>le</strong>s). Les a<strong>le</strong>ntours du cimetière d'Ar<strong>le</strong>s-Est fournirent eux aussi <strong>de</strong>s<br />

cas assez nombreux. Exemp<strong>le</strong> : l'employé <strong>de</strong> l'octroi mort à son poste dans l'espace d'une heure, etc.<br />

1


A ce sujet, que dire <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière dont on creuse <strong>le</strong>s fosses <strong>de</strong>s enfants à cinquante centimètres <strong>de</strong><br />

moins <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur que <strong>le</strong>s fossés <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s personnes ! Veut-on un exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dangers d'une<br />

tel<strong>le</strong> pratique : nn août, septembre et octobre 1883, <strong>le</strong> choléra, qui avait déjà sévi à Marseil<strong>le</strong>, fit à<br />

Ar<strong>le</strong>s trois ou quatre victimes parmi <strong>le</strong>s adultes et un assez grand nombre chez <strong>le</strong>s petits enfants,<br />

toujours <strong>le</strong>s premiers atteints et emportés par <strong>la</strong> "diarrhée cholériforme".<br />

Le 2 novembre, c'est-à-dire <strong>le</strong> Jour <strong>de</strong>s Morts, dans l'après-midi, suivant <strong>la</strong> fou<strong>le</strong> qui affluait au cimetière,<br />

j'eus l'idée <strong>de</strong> me rendre compte <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong>s sépultures <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> cholérine. Le<br />

gardien me montra <strong>le</strong> coin du champ <strong>de</strong> repos qui <strong>le</strong>ur était dévolu ; <strong>le</strong>s cercueils <strong>de</strong>s petits enfants<br />

paraissaient avoir cédé sous <strong>le</strong> poids <strong>de</strong>s terres ; certaines fosses s'étaient effondrées, d'autres crevassées,<br />

etc. Le temps étant calme, <strong>la</strong> pensée d'une contamination possib<strong>le</strong> me vint, je me retirai en<br />

hâte.<br />

Et <strong>la</strong> nuit même je fus réveillé par <strong>le</strong>s premiers symptômes non équivoques (crampes et vomissements)<br />

que j'enrayai aussitôt par une médication morphinée. Quelques années après, encore <strong>le</strong> Jour<br />

<strong>de</strong>s Morts, je vis un père et une mère <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> al<strong>la</strong>nt, en compagnie <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs petits enfants, déposer<br />

<strong>de</strong>s couronnes au cimetière : je songeai à ma précé<strong>de</strong>nte aventure et, si je l'eusse osé, j'eusse<br />

aussitôt prévenu cette famil<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa grave impru<strong>de</strong>nce. A quelques jours <strong>de</strong> là, <strong>le</strong> père éploré suivait<br />

<strong>le</strong> cercueil d'une <strong>de</strong> ses enfants, une fil<strong>le</strong>tte, je crois, morte très probab<strong>le</strong>ment d'un mal contracté<br />

comme je l'avais contracté moi-même, en ma visite au campo-santo.<br />

Je ne prétends pas dire <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte qu'il ne faut point honorer <strong>le</strong>s morts. Je prétends seu<strong>le</strong>ment que<br />

<strong>le</strong>s conditions hygiéniques <strong>de</strong> notre nécropo<strong>le</strong> sont bien mauvaises, que <strong>de</strong>s émanations morbi<strong>de</strong>s<br />

s'en dégagent, au grand danger <strong>de</strong>s habitants d'a<strong>le</strong>ntour et même <strong>de</strong> <strong>la</strong> vil<strong>le</strong> entière, et qu'il faudra<br />

tôt ou tard songer à <strong>la</strong> transporter plus loin.<br />

La <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s causes principa<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'insalubrité d'Ar<strong>le</strong>s est <strong>la</strong> situation inconcevab<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre hôpital<br />

au milieu <strong>de</strong>s habitations, au centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité. Pendant <strong>le</strong> choléra, <strong>le</strong>s rues avoisinantes ont<br />

fourni <strong>le</strong> plus fort contingent <strong>de</strong> décès. Et puis, d'ail<strong>le</strong>urs, dans une vue généra<strong>le</strong> d'ensemb<strong>le</strong>, n'estce<br />

point au sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> vil<strong>le</strong> et même au-<strong>de</strong>là du canal que l'épidémie a fait <strong>le</strong> plus <strong>de</strong> ravages. C'est<br />

que <strong>le</strong>s miasmes <strong>de</strong> l'hospice sont <strong>le</strong> plus souvent rabattus dans cette direction par <strong>la</strong> brise nocturne<br />

du nord-est, qui se lève au coucher du so<strong>le</strong>il. Quand, <strong>le</strong>s soirs d'été au crépuscu<strong>le</strong>, après <strong>de</strong> fortes<br />

cha<strong>le</strong>urs, on regar<strong>de</strong>, p<strong>la</strong>cé à une certaine distance <strong>de</strong> <strong>la</strong> vil<strong>le</strong>, cette <strong>de</strong>rnière au sud-ouest, on voit,<br />

p<strong>la</strong>nant sur <strong>la</strong> Roquette et <strong>le</strong> faubourg Cornillon, une buée lour<strong>de</strong>, formée <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s émanations<br />

d'Ar<strong>le</strong>s, qui <strong>le</strong>s baigne et <strong>le</strong>s enveloppe.<br />

La conclusion à tirer est bien naturel<strong>le</strong>. On <strong>le</strong> voit, Monsieur <strong>le</strong> directeur, nous sommes, Arlésiens,<br />

bien mal partagés au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'hygiène, et plus que jamais l'intérêt public réc<strong>la</strong>me impérieusement<br />

l'amélioration urgente <strong>de</strong>s conditions misérab<strong>le</strong>ment hygiéniques où nous vivons, c'est-àdire<br />

l'éloignement <strong>de</strong>s cimetières et <strong>de</strong> l'hôpital et surtout <strong>la</strong> modification complète <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise d'eau<br />

actuel<strong>le</strong> au Rhône, qui a, comme ce<strong>la</strong>, assez fait <strong>de</strong> victimes.<br />

Veuil<strong>le</strong>z agréer, etc.<br />

Le 18 juil<strong>le</strong>t 1893<br />

L.M.<br />

Lettre publiée dans "L'Homme <strong>de</strong> Bronze", journal arlésien, juil<strong>le</strong>t 1893, archives<br />

communa<strong>le</strong>s d'Ar<strong>le</strong>s, N8.<br />

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