Revue-Ro-4
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aussi pour le lecteur, d’une vérité masquée dans la vie réelle : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie, par conséquent, c’est la littérature » (Le temps retrouvé, 1927). Il n’est pas étonnant, dès lors, que l’écrivain puisse « se consacrer » à son œuvre, au sens religieux du terme. Proust passera, en effet, une bonne partie de sa vie, enfermé dans sa chambre, à la fois, par la maladie et par sa vocation. Il y écrira cette œuvre qui lui permet de s’affranchir du temps et de la mort, en approfondissant des révélations quasi mystiques qu’il a vécues comme des signes de sa vocation : le goût de la madeleine, les clochers de Martinville, un pavé sur la place de Venise, un bouquet d’aubépine, etc. L’écrivain devenait ainsi un véritable saint laïc exerçant son métier, comme un sacerdoce. Une crise littéraire voulut, à l’inverse, désacraliser l’auteur et lui refuser ce rôle métaphysique. Si Dieu n’existe pas, cela a des conséquences sur la position de l’auteur dans son œuvre. Dans un article fameux 6 , Jean- Paul Sartre a reproché à François Mauriac d’être comme Dieu dans sa création, un romancier qui crée, manipule, oriente le destin de ses personnages. Il les enferme, selon lui, dans une essence, une identité qui leur ôte toute liberté. Les personnages, l’intrigue, deviennent les marionnettes, les jouets de cet auteur omniscient, omnipotent. C’est la conception classique du romancier, déjà exprimée par Flaubert : « L’auteur dans son œuvre doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part » (Lettre à Louise Colet, 9/12/1852). Le roman moderne a tenté de rompre cette illusion de l’auteur créateur. La transgression est recherchée comme moyen d’anéantissement. Dans l’œuvre de Georges Bataille, l’érotisme est une expérience qui vise à atteindre la vérité de l’homme, c’est-à-dire la mort. La littérature participe de cet effort nihiliste : « Le seul moyen de racheter la faute d’écrire est d’anéantir ce qui est écrit….Je crois que le secret de la littérature est là et qu’un livre n’est beau, qu’habilement paré de l’indifférence des ruines. » ( L’abbé C., 1950). L’œuvre de Beckett va dans le même sens. Après avoir parlé pour ne rien dire, à la recherche d’on ne sait quoi, ses personnages et le narrateur vont vers un silence qui marque une totale désintégration du moi et du monde : « À la fin de mon œuvre, il n’y a que poussière, le nommable. Dans le dernier livre L’Innommable (1953), il y a complète désintégration. Il n’y a pas moyen de continuer… »… « Voilà plus rien » (Malone meurt, 1952). 6 Jean-Paul Sartre, « Monsieur Mauriac et la liberté », Nouvelle Revue Française, février 1939. 64
Le personnage et l’intrigue, piliers du roman traditionnel, sont remis en question par le nouveau roman. L’univers, la personne humaine n’ont pas un sens bien défini que l’œuvre chercherait à dégager. Les personnages n’existent plus (ou plutôt ils n’existent qu’en tant que personnages de roman), ils sont souvent remplacés par des pronoms : « Il », « Elle », agités par des dialogues banals, comme dans Tropismes (1939) de Nathalie Sarraute. On voit chez Alain Robbe-Grillet aussi une remise en question radicale de l’intrigue et des personnages, liée à la remise en question de la nature humaine. Les choses prennent une place décisive. Ce qui compte c’est la description de la chose plus que la chose en elle-même. La chose n’a pas de sens, ni de nécessité. Elle est avant tout un objet littéraire. Voici comment Robbe-Grillet conçoit son rôle d’écrivain : « L’écrivain n’a rien à dire. Il a seulement une manière de le dire. […] Avant l’œuvre, il n’y a rien, pas de certitude, pas de thèse, pas de messages. Croire que le romancier a quelque chose à dire et qu’il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave des contresens. Car c’est précisément ce comment, cette manière de dire, qui constitue son projet d’écrivain, projet obscur entre tous, et qui sera plus tard le projet de son livre. » (Pour un nouveau roman, 1963). Ce formalisme esthétique, qui sacralise la littérature en même temps qu’il la condamne, a bien été perçu par Maurice Blanchot qui écrit en 1959 dans Le Livre à venir IV (« Où va la littérature ? ») : « Il arrive qu’on s’entende poser d’étranges questions, celle-ci par exemple : quelles sont les tendances de la littérature actuelle, ou encore : où va la littérature ? Oui, question étonnante, mais le plus étonnant, c’est que, s’il y a une réponse, elle est facile : la littérature va vers elle-même, vers son essence qui est sa disparition ». On retrouve alors l’intuition fondamentale de l’esthète par excellence, Mallarmé : « Oui, la littérature existe et si l’on veut, seule, à l’exclusion de tout » (La musique et les lettres) ou bien : « Le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». La littérature contemporaine (comme l’art) est donc fascinée par les choses. Quand l’auteur, les personnages, le sujet ont disparu, c’est apparemment ce qui reste. Francis Ponge écrit Le Parti pris des choses (1942), Georges Perec Les Choses (1965). Curieusement, on assiste à un nouveau réalisme dans cette volonté de retrouver les choses ou du moins leur équivalent verbal. Un écrivain comme Jean-Marie Gustave Le Clézio a dépassé les impasses du nouveau roman. On retrouve dans ses romans une intrigue, des personnages, un sujet, mais, là encore, la personne humaine 65
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Le personnage et l’intrigue, piliers du roman traditionnel, sont remis<br />
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voit chez Alain <strong>Ro</strong>bbe-Grillet aussi une remise en question radicale de<br />
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<strong>Ro</strong>bbe-Grillet conçoit son rôle d’écrivain : « L’écrivain n’a rien à dire. Il a<br />
seulement une manière de le dire. […] Avant l’œuvre, il n’y a rien, pas de<br />
certitude, pas de thèse, pas de messages. Croire que le romancier a quelque<br />
chose à dire et qu’il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave<br />
des contresens. Car c’est précisément ce comment, cette manière de dire, qui<br />
constitue son projet d’écrivain, projet obscur entre tous, et qui sera plus tard le<br />
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Ce formalisme esthétique, qui sacralise la littérature en même temps<br />
qu’il la condamne, a bien été perçu par Maurice Blanchot qui écrit en 1959<br />
dans Le Livre à venir IV (« Où va la littérature ? ») : « Il arrive qu’on s’entende<br />
poser d’étranges questions, celle-ci par exemple : quelles sont les tendances<br />
de la littérature actuelle, ou encore : où va la littérature ? Oui, question<br />
étonnante, mais le plus étonnant, c’est que, s’il y a une réponse, elle est<br />
facile : la littérature va vers elle-même, vers son essence qui est sa<br />
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On retrouve alors l’intuition fondamentale de l’esthète par excellence,<br />
Mallarmé : « Oui, la littérature existe et si l’on veut, seule, à l’exclusion de<br />
tout » (La musique et les lettres) ou bien : « Le monde est fait pour aboutir à<br />
un beau livre ».<br />
La littérature contemporaine (comme l’art) est donc fascinée par les<br />
choses. Quand l’auteur, les personnages, le sujet ont disparu, c’est<br />
apparemment ce qui reste. Francis Ponge écrit Le Parti pris des choses<br />
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