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13.04.2014 Views

de bonheur radieux ». 15 D’après Khosro Khazai Pardis, l’esprit des chants de Zarathoustra « est partout visible dans l’œuvre de Nietzsche » car il « a transposé, avec génie, dans son époque […] et dans sa culture la doctrine, le langage poétique et prophétique ainsi que le parcours existentiel des Gathas. » En pleine vague orientaliste, ouverte par Schopenhauer, Nietzsche témoigna une grande admiration à la civilisation perse et employa la graphie Zarathoustra, et non pas Zoroastre, en soulignant ainsi sa volonté d’en retrouver l’image et la pensée originales « mais appliquée à deux époques et à deux cultures différentes », celle de l’Iran d’il y a des milliers d’années, proche de la terre et peuplé des dieux qui paraissaient des démons, et celle de l’Europe industrielle vidée du Christ par les ainsi dites Lumières. 16 Si le christianisme, comme l’a remarqué Schopenhauer, a une relation avec l’Orient, et naît « du conflit entre la vérité perçue et le monothéisme judaïque existant », l’« absurdité » du conflit est éliminée avec une relecture du Vieux Testament ou, comme le voulait Marcion, en gardant seulement l’originalité du Nouveau. L’effort du Christ et de Bouddha serait le même face au voile de Māyā 17 , le mot Μαγεία signifiant en même temps religion et magie, dont la deuxième, souvent associée au zoroastrisme, même par Schopenhauer, serait le domaine direct de la volonté sur ce monde. 18 L’hindouisme nous donne la clef de la distinction, qu’on retrouve aussi chez les soufis, entre le « formalisme rituel », mystique, et la déviation manipulatoire, le psychosomatisme névrotique, entre lesquels il y a la même « fente », qu’entre l’aube divine et la nuit démonique, d’après l’interprétation de la sura coranique 113, l’âl-Falaq, « fente » qui marque la prise de conscience virile de l’irréalité de l’« enfant magique », l’état psychologique de l’âge de quatre ans. 19 15 Ibid., p. 41, p. 47. Ce que Nietzsche rejette dans le christianisme est, d’ailleurs, surtout le jugement et le ressentiment. Les gnostiques mêmes, en soulignant une discontinuité dans la conception de Dieu, nient que le Dieu des juifs, ainsi conçu, puisse être le véritable Dieu du Bien. « Le Dieu de Jésus est complètement différent du Dieu de l’Ancien Testament […]. » — « La praxis et les paroles de Jésus montrent, implicitement, que Dieu changea. » (Nolan, Albert, Jesus antes do Cristianismo, Prior Velho, Paulinas, 2010, p. 133) Cf. l’épître de Saint Paul aux Hébreux : 7 et 8,8-10. 16 Ibid., pp. 94-95. 17 Cf. Saint Paul aux Hébreux : 10,20. 18 Schopenhauer, Arthur, Il mio Oriente, Milano, Adelphi, 2007, p. 36, p. 44, p. 84. 19 Mandel, Gabriele, La via al sufismo, nella spiritualità e nella pratica, Milano, Bompiani, 2004, p. 146- 148. Le christianisme, à son tour, discrimine l’enfance psychique et l’enfance spirituelle, qui est la pauvreté en esprit, aussi bien que la religion et la magie, qui, comme la science, ne sont qu’une volonté 428

On revient ainsi, bien évidemment, à la querelle morale entre le Bien et le Mal, question qu’on rencontre au début du chant II, qui nous présente la plainte de l’« âme de la terre » opprimée par la cruauté. [1] L’âme de la terre pleure / et se lamente auprès de Toi : / « Pourquoi m’as-Tu créée ? / Qui m’a façonnée de cette manière ? / Je suis opprimée par la colère / la cruauté et l’agression. / Nul autre que Toi ne peut me protéger. / Guide-moi vers le vrai bonheur ! » [2] Ahura / demande conseil à la Justesse : / « Connais-tu un sauveur / capable de mener la terre opprimée / vers le bonheur ? / Et si cette personne existe, / qui est-elle ? / Pour que nous puissions / la soutenir et lui donner la force / de briser le mensonge […]. » 20 Le dieu Ahura Mazda interroge alors l’un de ces aspects, la Justesse, qui lui répond qu’il faut qu’il envoie un « Instructeur », afin de réparer les erreurs de la création. C’est Zarathoustra, qui à son tour lui pose une série de questions sur le Bien et le Mal. Cela nous révèle comment la mort de Dieu chez Nietzsche pourrait finalement correspondre à la mort des dieux invoquée pour sauver l’« âme de la terre » des dévas, devenus, chez Zarathoustra, des démons qui se fondent dans un dieu symbole de la gangrène, de la dégénération occidentale. On est alors face à la morale que Nietzsche attribue à Zarathoustra même, tout en affirmant une non-morale dans laquelle aucune explication n’est donnée sur le destin du diable, dichotomie qui dans les Gathas n’est pas cosmique mais humaine, résolue par une tendance vers le Bien. 21 Le péché est alors défini par la « volonté de puissance » de l’homme, prise au sens ascétique de Khashatra, « Maîtrise de soi » 22 ; les deux pôles représentent deux façons de vivre, un choix radical et nécessaire, le même auquel le Christ appelait les hommes : choix fondamental qui constitue l’objet du chant de Zarathoustra, qui réalise des poèmes sur l’identification au divin, et une morale. On peut ainsi aboutir à un « au-delà du bien et du mal », de contrôle des puissances de la nature, et d’intervention non pas intérieure mais extérieure, ce qui constitue, même d’après la pensée religieuse orientale, une forme de dégénérescence au regard d’une conscience véritablement éveillée, une déviation dangereuse qui opère toujours le mal. Cf. Bede Griffith, Expérience chrétienne et mystique hindoue, Paris, Albin Michel, 1995, pp. 117-118 ; Bhagavadgītā, VII, 14-15 ; Actes des Apôtres : 9,1-9 ; 22,6-16 ; 26,12-19. 20 Cf. Saint Paul aux Romains : 8,20-23. 21 « Ô Madza, / Tu évalues les deux groupes, / celui des disciples de la Justesse / et celui des adeptes du mensonge, / par l’épreuve du feu ardent / et Tu récompenses chacun de ces groupes / selon leurs actions. » (chant XVI, 9) 22 Khosro Khazai Pardis, Etude historique, op. cit., p. 100. 429

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D’après Khosro Khazai Pardis, l’esprit des chants de Zarathoustra<br />

« est partout visible dans l’œuvre de Nietzsche » car il « a transposé, avec<br />

génie, dans son époque […] et dans sa culture la doctrine, le langage<br />

poétique et prophétique ainsi que le parcours existentiel des Gathas. » En<br />

pleine vague orientaliste, ouverte par Schopenhauer, Nietzsche témoigna une<br />

grande admiration à la civilisation perse et employa la graphie Zarathoustra, et<br />

non pas Zoroastre, en soulignant ainsi sa volonté d’en retrouver l’image et la<br />

pensée originales « mais appliquée à deux époques et à deux cultures<br />

différentes », celle de l’Iran d’il y a des milliers d’années, proche de la terre et<br />

peuplé des dieux qui paraissaient des démons, et celle de l’Europe industrielle<br />

vidée du Christ par les ainsi dites Lumières. 16<br />

Si le christianisme, comme l’a remarqué Schopenhauer, a une relation<br />

avec l’Orient, et naît « du conflit entre la vérité perçue et le monothéisme<br />

judaïque existant », l’« absurdité » du conflit est éliminée avec une relecture<br />

du Vieux Testament ou, comme le voulait Marcion, en gardant seulement<br />

l’originalité du Nouveau. L’effort du Christ et de Bouddha serait le même face<br />

au voile de Māyā 17 , le mot Μαγεία signifiant en même temps religion et magie,<br />

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Schopenhauer, serait le domaine direct de la volonté sur ce monde. 18<br />

L’hindouisme nous donne la clef de la distinction, qu’on retrouve aussi chez<br />

les soufis, entre le « formalisme rituel », mystique, et la déviation<br />

manipulatoire, le psychosomatisme névrotique, entre lesquels il y a la même<br />

« fente », qu’entre l’aube divine et la nuit démonique, d’après l’interprétation<br />

de la sura coranique 113, l’âl-Falaq, « fente » qui marque la prise de<br />

conscience virile de l’irréalité de l’« enfant magique », l’état psychologique de<br />

l’âge de quatre ans. 19<br />

15 Ibid., p. 41, p. 47. Ce que Nietzsche rejette dans le christianisme est, d’ailleurs, surtout le jugement et<br />

le ressentiment. Les gnostiques mêmes, en soulignant une discontinuité dans la conception de Dieu,<br />

nient que le Dieu des juifs, ainsi conçu, puisse être le véritable Dieu du Bien. « Le Dieu de Jésus est<br />

complètement différent du Dieu de l’Ancien Testament […]. » — « La praxis et les paroles de Jésus<br />

montrent, implicitement, que Dieu changea. » (Nolan, Albert, Jesus antes do Cristianismo, Prior Velho,<br />

Paulinas, 2010, p. 133) Cf. l’épître de Saint Paul aux Hébreux : 7 et 8,8-10.<br />

16 Ibid., pp. 94-95.<br />

17 Cf. Saint Paul aux Hébreux : 10,20.<br />

18 Schopenhauer, Arthur, Il mio Oriente, Milano, Adelphi, 2007, p. 36, p. 44, p. 84.<br />

19 Mandel, Gabriele, La via al sufismo, nella spiritualità e nella pratica, Milano, Bompiani, 2004, p. 146-<br />

148. Le christianisme, à son tour, discrimine l’enfance psychique et l’enfance spirituelle, qui est la<br />

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