13.04.2014 Views

Revue-Ro-4

Revue-Ro-4

Revue-Ro-4

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

inutilement, sans avoir accompli son destin, « Lui qui ne croyait qu’à cette vie,<br />

dans ce monde injuste qu’il voulait refaire à la mesure de l’homme » (p. 90).<br />

Abattu par la Gestapo, il a cependant protégé la fuite de son compagnon<br />

Caliban qui le vengera. « L’homme n’est un homme que vivant. Mort, […] un<br />

tas de pourriture […] au mieux, un souvenir. » (p. 92). Ce que Cicéron ignore<br />

et dont il est, peut-être, en partie responsable, c’est que sa trahison donne au<br />

narrateur une impulsion extraordinaire : il doit écrire. Malheureusement, pas<br />

de langage neuf pour parler d’un ami mort, les mêmes mots doivent servir<br />

pour parler du traître comme du juste, alors que « tout ce que [Maxence] avait<br />

en commun avec Cicéron s’est défait » (p. 85). Écrire procure une « griserie »<br />

insoupçonnée, est une « drogue » inconnue, presque un paradis : « Ce petit<br />

bout de crayon est un merveilleux instrument de libération. » (p. 85). « Tant<br />

qu’[il] aura du papier et du crayon [il] sera sauvé », c’est une « opération<br />

magique » (p. 87). Décidément, écrire procure « le pouvoir surnaturel<br />

d’éloigner la mort. » Quelle plus belle rédemption pour ce Résistant qui ne<br />

croit pas en Dieu ?<br />

Tournée vers un public jeune 115 et fascinée par les légendes de sa<br />

région, Françoise Lison-Leroy (°1951) met en scène des jumeaux et situe son<br />

histoire dans l’entre-deux-guerres 116 . Depuis leur naissance, le père<br />

surnommait ses enfants roux, « les brins de Judas », « à cause des taches de<br />

rousseur » (p. 78). Mais leur mère, « Adeline ne supportait pas ce nom<br />

injurieux. Le jour de la mort de Sylvain, elle accusa son mari d’avoir attiré la<br />

malédiction sur leur fils. “On ne plaisante pas avec les ennemis de Dieu”,<br />

disait-elle » (p. 78). Traître, le paysan ? Jugé coupable en tout cas de la mort<br />

de son fils. Bien que son double métier de cultivateur et de menuisier l’inscrive<br />

dans la lignée des Abel et autres saint Joseph, il marque une préférence<br />

injuste pour Sylvain, qui (en) meurt, et rejette Donat au point de souhaiter sa<br />

mort, puis il blasphème (il envoie son cheval au diable !) et meurt foudroyé<br />

115 La littérature de jeunesse, pour peu qu’elle se donne comme mission le devoir d’armer les jeunes à<br />

leur entrée dans le monde adulte, doit être une mine thématique d’autant plus riche que le cadre est la<br />

Seconde Guerre mondiale. Claude Raucy par exemple (né en 1939), dans Le Doigt tendu (Préface de<br />

France Bastia. Bruxelles, Éd. Memor, « Couleurs », 2006), donne vie à un jeune juif de treize ans, Pierre,<br />

qu’un ami, Jacques, presque un frère, dénonce à la Gestapo. Et « Son forfait accompli, tel un nouveau<br />

Judas, [Jacques] avait lâchement disparu une fois le baiser donné. » (p. 34). À la fin de la guerre, Pierre<br />

renonce à la vengeance alors qu’il a l’occasion d’envoyer au peloton d’exécution celui qui l’a « obligé à<br />

courir la France […]. À souffrir. […] Celui qui avait aidé des salauds à tuer. Celui qui avait trahi<br />

[l’]amitié. » (p. 105).<br />

116 Françoise Lison-Leroy, « Les Brins de Judas », Le Coureur de collines, Avin/Hannut, Éditions Luce<br />

Wilquin, « Euphémie », 1998, pp. 77-86.<br />

216

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!