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Revue-Ro-4

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Quand les écrivains prennent leurs distances avec les Évangiles :<br />

vers une métaphorisation du mythe<br />

Dans la nouvelle d’Albert Ayguesparse (1900-1996) 114 , Judas est<br />

d’abord un bélier qui conduit le troupeau de brebis à l’abattoir. « Les hommes<br />

qui l’ont dressé à ce métier l’appellent Judas. C’est leur manière de<br />

récompenser sa docilité ». De chaque voyage, Judas revient seul. « Son<br />

collier de cuir noir le sauve du trépas » (p. 80). On ne s’étonnera pas de<br />

trouver le narrateur, enfermé dans une cellule de la Kommandantur d’Arlon : la<br />

Seconde Guerre mondiale est l’un des thèmes récurrents de l’auteur. Il<br />

observe son compagnon, un notaire qu’il ne connaît que sous son « nom de<br />

guerre », Cicéron : « Il n’a pas de collier noir, pas un signe qui le dénonce »<br />

(p. 82) mais il a trahi. La veille, il a accueilli le narrateur, Maxence et Caliban<br />

chez lui avec « une chaleur exagérée ». « Tant d’effusion gênait ». Son<br />

empressement à servir cigares, bières, vins et jambon, sa bonne volonté et<br />

son « dévouement de chien » l’accusent ; son « effroi hébété » et son rire<br />

étrange et forcé à la vue des armes des Résistants, son imprudence à ouvrir<br />

la fenêtre sans éteindre la lumière, tout le désigne. Contrairement au mouton,<br />

Cicéron doit être châtié, le lecteur ne doit pas oublier, ce serait trop injuste.<br />

C’est pour cette raison que le narrateur écrit, pour échapper à la peur d’abord,<br />

pour que le monde sache que Cicéron a trahi ensuite. Pourquoi a-t-il trahi ?<br />

« Aucun besoin d’argent » (p. 85), semble-t-il. Mais cent autres raisons<br />

viennent à l’esprit : « un mariage malheureux, des rivalités d’affaire, de<br />

méchantes petites intrigues politiques. » Et surtout : « le besoin de se venger<br />

sur les autres de ce que son existence a d’inaccompli. » Maxence, le chef,<br />

figure christique par excellence, est la victime de cet esprit mesquin. Le<br />

narrateur, nouvel évangéliste, se souvient de Maxence, cet ami lumineux,<br />

rencontré à Bruxelles en 1924 : « j’allais le prendre tous les jeudis à son<br />

journal. Tout de suite je m’étais reconnu en lui : nous avions le même goût de<br />

la vie, la même vision des hommes et des événements. Dans le monde<br />

partagé, nous étions du même côté. J’ai gardé de ce temps le souvenir grisant<br />

d’une conquête chaque semaine renouvelée. Je découvrais la camaraderie,<br />

les forces incroyables de la jeunesse. » (p. 86). Et Maxence est mort<br />

114 Albert Ayguesparse, « Quand Judas s’appelait Cicéron », Selon toute vraisemblance, Bruxelles, Le<br />

Cri et Académie de langue et de littérature françaises de Belgique, 2004, pp. 80-92. Première édition : La<br />

Renaissance du livre, 1962.<br />

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