Vers Londres 6 : Pierre Malengreau, Note sur la construction du cas
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NLS Messager 38 - 2010/2011<br />
<strong>Vers</strong> <strong>Londres</strong> 6 : <strong>Pierre</strong> <strong>Malengreau</strong>, <strong>Note</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong><br />
Dans cette note de 2001*, <strong>Pierre</strong> <strong>Malengreau</strong> déplie <strong>la</strong> thèse suivante : ce qui spécifie l’abord<br />
psychanalytique des <strong>cas</strong> est d’inclure l’orientation de l’expérience vers le réel et d’être ainsi cohérent avec<br />
ce qu’est une psychanalyse. Il pose donc <strong>la</strong> question : « Quelle p<strong>la</strong>ce donnons-nous au réel de <strong>la</strong> clinique<br />
dans <strong>la</strong> manière dont nous rapportons nos <strong>cas</strong> ? »<br />
Il prend notamment appui <strong>sur</strong> un article de J.-A. Miller, « Homologue de Ma<strong>la</strong>ga », qui avec sa théorie des<br />
séquences offre un instrument logique approprié à <strong>la</strong> <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong>. Il y a <strong>la</strong> séquence sans <strong>sur</strong>prise,<br />
entièrement déterminée ; et il y a <strong>la</strong> séquence qui prend en compte le pas-tout indécidable, qui comporte<br />
une inconnue, un trou ; celle-ci conviendrait à l’abord psychanalytique <strong>du</strong> <strong>cas</strong> : il s’agit de « faire<br />
apparaître dans <strong>la</strong> séquence l’incidence <strong>du</strong> non-programmé » et le réel de <strong>la</strong> rencontre, <strong>du</strong> « comme au<br />
hasard ».<br />
Il ajoute que cette inclusion <strong>du</strong> « comme au hasard » vaut aussi pour l’usage que nous faisons de <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong> de <strong>cas</strong> : c’est pourquoi une « clinique démonstrative » - qui s’oppose à une « clinique<br />
objective » - est indissociable de l’Ecole comme lieu d’un transfert de travail.<br />
Lisons ici une invitation à faire état de cette orientation vers le réel dans notre conversation clinique à<br />
<strong>Londres</strong> <strong>sur</strong> « Comment <strong>la</strong> psychanalyse opère ».<br />
Anne Lysy<br />
*Ce texte est extrait <strong>du</strong> petit volume « Liminaires des XXXe Journées de l’ECF », il est paru aussi dans <strong>la</strong><br />
Lettre Mensuelle n° 202 (novembre 2002)<br />
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NLS Messager 38 - 2010/2011<br />
<strong>Note</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong><br />
<strong>Pierre</strong> <strong>Malengreau</strong><br />
Y a-t-il un mode de présentation clinique qui favorise le dégagement d’un problème psychanalytique<br />
comme tel, s’interrogeait récemment E. Laurent1 ? La question est à double entrée : elle porte à <strong>la</strong> fois <strong>sur</strong><br />
le matériel clinique présenté et <strong>sur</strong> l’usage que nous en faisons à des fins multiples, d’enseignement ou de<br />
transmission, de monstration ou de démonstration. La question vaut d’être ainsi dépliée dans <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e où<br />
un certain usage de <strong>la</strong> clinique, et partant <strong>du</strong> <strong>cas</strong>, peut aller à l’oc<strong>cas</strong>ion à l’encontre de <strong>la</strong> clinique même<br />
dont nous l’avons extrait. Quel usage faisons-nous de nos <strong>cas</strong> dans nos exposés, dans nos enseignements ?<br />
Y a-t-il une manière propre à <strong>la</strong> psychanalyse de parler de ses <strong>cas</strong> ?<br />
La clinique psychanalytique exige un abord <strong>du</strong> <strong>cas</strong> qui ne démente pas d’emblée sa visée. Elle suppose un<br />
abord <strong>du</strong> <strong>cas</strong> qui inclut l’orientation de l’expérience vers le réel. L’expérience <strong>du</strong> réel dans une<br />
psychanalyse est l’expérience d’une rencontre avec un réel qui se dérobe2. Deux dimensions <strong>du</strong> réel se<br />
conjoignent dans cette définition, l’une concerne le réel comme rencontre, comme effraction, et l’autre<br />
concerne le réel comme hors-sens. Un abord <strong>du</strong> <strong>cas</strong> cohérent avec cette orientation vers le réel suppose dès<br />
lors l’inclusion de <strong>la</strong> contingence de sa <strong>construction</strong> même. « La clinique psychanalytique se doit<br />
d’interroger les analystes, afin qu’ils rendent compte de ce que leur pratique a de hasardeux »3. Lacan nous<br />
invite à prendre au sérieux le fait qu’il y a dans l’expérience analytique une part de hasard qui fait partie de<br />
l’expérience elle-même, et que c’est à traiter ça « de <strong>la</strong> bonne façon »4 que nous avons quelque chance de<br />
transmettre ce qu’elle a de spécifique. Quelle p<strong>la</strong>ce donnons-nous au réel de <strong>la</strong> clinique dans <strong>la</strong> manière<br />
dont nous rapportons nos <strong>cas</strong> ?<br />
Une remarque de J.-A. Miller nous permet de déplier cette question. Evoquant certains phénomènes<br />
d’irruption libidinale, il insistait <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nécessité qu’il y a à les situer dans leur procès symbolique. « A<br />
défaut, disait-il, on se retrouve dans une clinique à <strong>la</strong>quelle je voudrais tordre le cou, selon<br />
l’immortelleexpression d’Eric Laurent, qui se contente d’un « Eh bien, il est envahi de jouissance. » (…)<br />
« Pourquoi des p<strong>la</strong>ques apparaissent-elles <strong>sur</strong> le corps <strong>du</strong> patient ? » « C’est un phénomène de jouissance. »<br />
Ce n’est pas ce que nous faisons. Je dis qu’il faut essayer, dans tous les <strong>cas</strong>, de restituer ce à quoi nous<br />
avons accès de <strong>la</strong> phase d’aliénation, pour donner leur juste p<strong>la</strong>ce aux phénomènes relevant de <strong>la</strong><br />
séparation »5.<br />
Cette remarque dénote et oppose deux abords <strong>du</strong> <strong>cas</strong>, et partant, deux conceptions de <strong>la</strong> clinique.<br />
La première fait les délices d’une clinique qu’on pourrait nommer objective. La clinique objective s’appuie<br />
<strong>sur</strong> ce qui s’observe, que ce soit d’un point de vue innocent ou averti. Elle fait usage <strong>du</strong> signifiant-maître à<br />
des fins d’identification. La notion de jouissance à <strong>la</strong>quelle il est fait référence ici se dénature dans ce <strong>cas</strong><br />
en outil d’observation, et perd sa pertinence conceptuelle de n’être plus en prise <strong>sur</strong> le réel de l’expérience.<br />
Ce n’est pas <strong>sur</strong> cet usage des concepts que le psychanalyste <strong>la</strong>canien se doit de régler son abord <strong>du</strong> <strong>cas</strong>.<br />
L’autre clinique, qu’on pourrait nommer démonstrative, s’appuie <strong>sur</strong> un mode de <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong> qui<br />
prend en compte que tout ne peut se dire, ou que jamais l’opération d’aliénation, aussi construite soit-elle,<br />
ne pourra recouvrir ce qui s’opère <strong>du</strong> côté de <strong>la</strong> séparation. Cette clinique, fondée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> temporalité<br />
freudienne de l’après-coup, a besoin d’instruments qui ne relèvent plus de l’observation, mais de <strong>la</strong> logique.<br />
L’articu<strong>la</strong>tion avancée par J.-A. Miller dans son « Homologue de Ma<strong>la</strong>ga »6 entre <strong>la</strong> notion intuitive de<br />
série et <strong>la</strong> théorie des séquences peut ici nous servir de guide.<br />
L’expérience analytique est d’abord une expérience de sériation des signifiants qui importent au sujet. Il<br />
s’agit pour un sujet d’appréhender les différents traits, souvenirs, identifications qui ont marqué son<br />
histoire. C’est de là que nous partons. Nous partons <strong>du</strong> pas à pas d’une mise en série de ce qui importe à<br />
l’analysant. La <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong> passe d’abord par ce repérage. Il n’est cependant pas spécifiquement<br />
psychanalytique. Décrire l’ordre symbolique dans lequel un sujet est pris n’est pas le propre d’une pratique<br />
orientée vers le réel7. Le repérage et <strong>la</strong> sériation des identifications, des signifiants régressifs pourraient fort<br />
bien nous ramener à ce que Lacan nomme le « leurre ordinaire de <strong>la</strong> compréhension »8. Ne faudrait-il pas<br />
dès lors qu’apparaisse aussi dans nos <strong>construction</strong>s qu’il manque un signifiant à <strong>la</strong> chaîne des signifiants<br />
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qui déterminent le sujet, et que ce manque n’est pas accidentel ? Ce manque se doit pourtant d’être précisé,<br />
si nous voulons cerner au plus près le réel en jeu dans notre praxis.<br />
C’est <strong>sur</strong> ce point qu’une théorie des séquences peut nous servir pour concevoir une <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong> qui<br />
convienne à <strong>la</strong> psychanalyse. J.-A. Miller distingue deux sortes de séquence. La première, dite normale, est<br />
« celle que nous allons tirerd’un tout ». C’est une séquence sans <strong>sur</strong>prise. Elle se présente d’une manière<br />
entièrement déterminée. Souvent convaincantes par leur forme, les <strong>construction</strong>s de <strong>cas</strong> qui s’en as<strong>sur</strong>ent,<br />
<strong>la</strong>issent derrière elles une impression de déjà-vu renforcée par l’absence d’aspérité clinique.<br />
J.-A. Miller fait valoir une autre sorte de séquence, une séquence qui s’autorise d’un rapprochement entre <strong>la</strong><br />
logique de <strong>la</strong> cure et <strong>la</strong> position féminine. Cette séquence se distingue de <strong>la</strong> précédente en ceci qu’elle<br />
prend appui <strong>sur</strong> ce manque très particulier au regard de l’universel, que Lacan désigne en terme de pas-tout.<br />
« Le pas-tout proprement <strong>la</strong>canien ne doit pas être confon<strong>du</strong> avec le pas-tout d’incomplétude, avec lequel il<br />
n’a rien à voir, auquel il est opposé ». Le pas-tout d’incomplétude est celui que nous pouvons appréhender<br />
sous <strong>la</strong> forme d’un élément qui manque à l’ensemble. Le pas-tout <strong>la</strong>canien est tout autre. « C’est le pas-tout<br />
indécidable ».<br />
L’exemple proposé par J.-A. Miller à propos d’un mangeur de bonbons évoque l’exemple de ce jeu de<br />
cartes qui alimente plus d’une dispute chez les enfants, et que nous nommons « bataille ». Chaque fois que<br />
les deux joueurs mettent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> table une carte, ils forment une séquence déterminée par une règle qui dit<br />
que <strong>la</strong>carte <strong>la</strong> plus haute est gagnante. Supposons que nous intro<strong>du</strong>isions une règle supplémentaire qui<br />
ajouterait une carte, par exemple un joker, ayant n’importe quelle valeur, de telle sorte que le joueur qui l’a<br />
dans son jeu pourrait l’utiliser comme bon lui semble, voire même ne pas l’utiliser s’il le veut. Ce<strong>la</strong> change<br />
tout le jeu. Cette nouvelle donnée intro<strong>du</strong>it dans <strong>la</strong> séquence un élément aléatoire, une inconnue. Ce<strong>la</strong><br />
donne au jeu de bataille une structure de rencontre, de tuché, qui implique le désir <strong>du</strong> joueur. Nous avons là<br />
une autre sorte de séquence, une séquence qui comporte une inconnue, un trou dans <strong>la</strong> séquence elle-même.<br />
La <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong> propre à <strong>la</strong> psychanalyse pourrait y trouver une assise logique. Il s’agirait dans ce<br />
<strong>cas</strong> de construire une séquence qui ferait apparaître dans <strong>la</strong> séquence elle-même, non pas un terme<br />
manquant, mais <strong>la</strong> part d’indécidable qu’elle comporte. Ce<strong>la</strong> consiste concrètement à faire apparaître dans<br />
<strong>la</strong> séquence l’incidence <strong>du</strong> non-programmé. La seule séquence qui conviendrait à <strong>la</strong> <strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong><br />
pour <strong>la</strong> psychanalyse serait dès lors une séquence qui inclurait <strong>la</strong> part hasardeuse de l’expérience. Certains<br />
témoignages de passe vont dans ce sens. Ils pourraient servir d’exemples pour nos <strong>construction</strong>s.<br />
On pourrait bien sûr objecter à cette façon de voir qu’une séquence une fois construite devient à son tour<br />
description <strong>du</strong> <strong>cas</strong>. Ce serait mésestimer <strong>la</strong> portée de l’invitation de Lacan à prendre au sérieux ce que<br />
l’expérience analytique doit au réel de <strong>la</strong> rencontre. L’inclusion <strong>du</strong> « comme au hasard »9 dans <strong>la</strong><br />
<strong>construction</strong> <strong>du</strong> <strong>cas</strong> ne vaut pas seulement pour <strong>la</strong> séquence construite. Ce<strong>la</strong> vaut aussi pour l’usage que<br />
nous en faisons. La clinique démonstrative s’avère de ce fait indissociable de l’Ecole. Clinique objective et<br />
clinique démonstrative ici s’opposent. La première attend <strong>du</strong> partenaire, amour et reconnaissance. La<br />
seconde inclut l’interlocution. Elle invite à <strong>la</strong> conversation et elle offre au débat un matériel séquentiel qui<br />
<strong>la</strong> rend possible. La clinique démonstrative se donne « un partenaire qui a chance de répondre »10. Elle<br />
s’inscrit de ce fait dans le transfert de travail.<br />
1 Laurent, E. Poétique pulsionnelle, La Lettre Mensuelle nº198, p. 2.<br />
2 Lacan, J., Le Séminaire. Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de <strong>la</strong> psychanalyse, p. 53.<br />
3 Lacan, J., Ouverture de <strong>la</strong> section clinique, Ornicar ? nº9, p. 14.<br />
4 Lacan, J., Le Séminaire. Livre XIII. Le sinthome, Seuil, 1999. p. 15.<br />
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NLS Messager 38 - 2010/2011<br />
5 Miller J.-A., La Conversation d’Arcachon, Agalma-Le Seuil, 1997, p. 249-250.<br />
6 Miller J.-A., « L’homologue de Ma<strong>la</strong>ga », La Cause freudienne nº26, 1993.<br />
7 Laurent, E. Logique <strong>du</strong> temps et mode <strong>du</strong> sujet, Cahier de l'ACF-Val de Loire et Bretagne, nº1,<br />
1993.<br />
8 Lacan, J. , La Direction de <strong>la</strong> cure, Ecrits, p. 636.<br />
9 Lacan, J., Le Séminaire. Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de <strong>la</strong> psychanalyse, p.<br />
54.<br />
10 Lacan, J. Intro<strong>du</strong>ction à l'édition allemande des écrits, Autres écrits, Le Seuil, 2001. p. 558.<br />
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