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olivier strelli - Pr Jean-Yves Hayez

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Au lendemain du drame de Termonde, plusieurs observateurs ont pointé les dangers que peut entraîner une passion<br />

pour un certain cinéma et des jeux vidéo. Psychologues et pédagogues doutent d’un lien entre images violentes et<br />

passage à l’acte, reconnaissant néanmoins la nécessité d’éduquer les jeunes aux médias.<br />

On s’en souvient, Kim De Gelder, tueur de<br />

Termonde, fut décrit dans les heures suivant le<br />

drame grimé à la façon du « Joker », personnage<br />

connu de la série Batman. Avant d’être mise en<br />

doute quelques jours plus tard par le procureur<br />

du roi de Termonde, la rumeur a permis de<br />

relancer le débat sur un lien supposé entre<br />

violence, cruauté et images fortes.<br />

Avant de s’interroger sur la question de savoir si<br />

un film, voire, la pratique d’un jeu vidéo peuvent<br />

conduire au crime, on peut s’attarder sur le<br />

cheminement de la rumeur. Quelques heures<br />

après que ne tombe l’information annonçant le<br />

23 janvier dernier les crimes d’un déséquilibré<br />

dans une crèche de Termonde, plusieurs<br />

dépêches signalent donc que le tueur présumé<br />

avait le visage peint en noir et en blanc. En fin<br />

de journée, Le Soir affiche sur son site une réaction<br />

associant l’assassin au film de Christopher<br />

Nolan. L’information est reprise le lendemain par<br />

le même journal qui s’interroge : « La tuerie de<br />

Termonde commise par un fan du Joker ? »<br />

« Un copycat inspiré d’une fiction cinématographique<br />

? », ajoute un journaliste, repris ensuite<br />

par la presse écrite, radiophonique et télévisuelle<br />

belge et internationale. Dans leurs commentaires,<br />

certains insistent alors sur une corrélation<br />

évidente entre images violentes et criminalité,<br />

relevant que la hausse de celle-ci suit une<br />

courbe parallèle à l’augmentation de la violence<br />

télévisuelle. On rappelle également d’autres<br />

tueries où des assassins ont laissé des notes<br />

relevant l’influence qu’avait pu avoir sur leurs<br />

gestes des représentations du monde exposées<br />

au cinéma ou dans les jeux vidéo.<br />

L’AGRESSIVITÉ<br />

EST UNE BONNE CHOSE<br />

Psychiatre infanto-juvénile et professeur émérite<br />

de l’Université de Louvain-la-Neuve, <strong>Jean</strong>-<strong>Yves</strong><br />

<strong>Hayez</strong> n’a pas attendu que le procureur en<br />

charge de l’affaire doute de la référence à<br />

Batman pour s’étonner de pareilles associations.<br />

Avant de poser la question de la violence au<br />

cinéma ou dans les jeux, celui-ci rappelle que<br />

l’agressivité est une qualité nécessaire chez tout<br />

être. « Sans celle-ci, insiste celui-ci, vous ne<br />

seriez probablement pas là, devant moi, à me<br />

poser vos questions. Chacun naît avec une part<br />

de bonté, de sociabilité mais aussi d’agressivité<br />

qui lui permet de résister, de se faire respecter<br />

et de trouver sa place dans la société.<br />

L’agressivité est une force d’expression utile.<br />

Tout l’enjeu de l’éducation est de la canaliser et<br />

de la transformer en force sociable. Certains jeux<br />

vidéo rejoignent les pulsions agressives que<br />

nous portons et leur permettent de s’exprimer<br />

dans l’imaginaire. C’est plutôt une bonne chose<br />

pour autant que cette activité reste mesurée. »<br />

Revenant sur les inquiétudes suscitées par<br />

certains jeux, l’ancien professeur distingue les<br />

jeux « légitimisés » des jeux « non légitimisés ».<br />

« Dans le premier cas, le jeu réclame une<br />

agressivité conquérante », reprend celui-ci.<br />

« Il s’agit pour le joueur de répondre à une<br />

menace, de tuer ou de supprimer des personnages<br />

hostiles. Le jeu n’est alors qu’une sorte de<br />

punching ball grâce auquel l’ado évacue toutes<br />

sortes de choses. Il s’amuse et se défoule. »<br />

DE L’AGRESSIVITÉ À LA VIOLENCE<br />

Par jeux non légitimisés, le psychiatre fait référence<br />

à une série de jeux en vogue où le joueur<br />

est amené à détruire ou à tuer gratuitement, par<br />

plaisir. Grand Theft Auto 4, succès de l’année<br />

2008, en est l’exemple. Le jeu met en scène un<br />

immigré enrôlé par le syndicat du crime pour<br />

vendre de la drogue, tuer des policiers et voler<br />

des voitures. Le but est ici de se forger une<br />

réputation dans le monde du crime, et tous les<br />

moyens sont bons pour y arriver. GTA 4 que le<br />

critique du New York Times annonça comme une<br />

satire culturelle, violente, intelligente, profane,<br />

attachante, odieuse, espiègle, riche, profonde et<br />

convaincante fut commercialisé avec la mention :<br />

interdit aux moins de 18 ans.<br />

Alors qu’il n’y a pas menace quant à l’intégrité du<br />

personnage ou de son territoire, le joueur est<br />

cette fois appelé non plus à réagir avec une<br />

« saine agressivité », mais à opter pour la violence.<br />

« Je comprends qu’un jeu pareil entraîne<br />

méfiance et critiques », reprend le psychiatre.<br />

« J’ai écrit que l’on pouvait parler de violence<br />

dans ce cas, et non plus d’agressivité, car le<br />

joueur tue par plaisir. C’est un pas, mais même<br />

dans ce cas, je reste dubitatif quant à une éventuelle<br />

influence néfaste sur un adolescent équilibré.<br />

La première question à se poser est l’origine de<br />

cette envie de violence. Qu’est-ce qui la motive ?<br />

Si vous avez un adolescent mal dans sa peau et<br />

renfermé sur lui-même, il faut être attentif. Sinon,<br />

qui n’a jamais quelque plaisir à se sentir le mauvais<br />

? Quel adolescent des générations précédentes<br />

n’a jamais fait de mal à une mouche ? Je<br />

préfère voir un adolescent se défouler ainsi plutôt<br />

qu’en arrachant les pattes d’une grenouille ou en<br />

frappant à l’occasion son petit frère. Il faut<br />

pouvoir accepter un certain besoin d’explorer la<br />

puissance du mal. Le tout, de nouveau, est de le<br />

faire de manière modérée. »<br />

RESTER VIGILANT<br />

Pour le pédopsychiatre, l’adulte doit rester vigilant<br />

et veiller à préserver une relation d’échanges<br />

et de dialogue avec l’adolescent. « Il y a danger<br />

lorsque celui-ci perd confiance en lui et perd<br />

l’envie de se construire et de trouver sa place.<br />

L’adolescence étant une période de doutes et<br />

d’expériences, il faut être attentif à ce que le jeu<br />

ne devienne pas un refuge qui lui donne de<br />

fausses illusions. L’adulte doit poser un cadre et<br />

une hygiène de vie. Si le jeu vidéo vient après le<br />

travail scolaire et ne mord pas sur le sommeil, s’il<br />

est associé à d’autres jeux, à du sport, etc., on<br />

est plutôt en droit d’attendre de ces pratiques<br />

des bénéfices telles, je l’ai dit, l’expression de<br />

son agressivité, mais aussi celle de ses<br />

angoisses. » D’autres citent comme bénéfices<br />

les expériences que ces jeux entraînent, la réactivité,<br />

la débrouille, la gestion de contacts<br />

sociaux ou l’exploration de divers registres identitaires<br />

et de rituels initiatiques.<br />

L’ÉDUCATION AUX IMAGES<br />

Abordant la question de l’éducation aux images,<br />

<strong>Jean</strong>-<strong>Yves</strong> <strong>Hayez</strong> la juge nécessaire, tout en<br />

ciblant la question. « Je crois que ce type d’éducation<br />

est bienvenu, mais il faut savoir de quoi et<br />

à qui l’on parle. Je ne pense pas que l’on puisse<br />

espérer qu’un adolescent reste sage sur Internet<br />

et ne s’aventure pas sur certains sites où les<br />

mauvaises rencontres sont possibles. Avec les<br />

risques que cela suppose. Et puis, ne vaut-il pas<br />

mieux vivre pareille expérience sur le net que<br />

dans la réalité ? Par contre, l’éduquer à davantage<br />

d’esprit critique et de lucidité est une<br />

démarche que je ne peux qu’encourager. »<br />

Nécessaire, l’éducation aux médias a pourtant<br />

longtemps entraîné une certaine méfiance dans<br />

le corps enseignant. « A l’époque de la création<br />

du CEM – Conseil de l’Education aux Médias,<br />

créé en 1995 – on rencontrait toujours pas mal<br />

de professeurs méfiants face aux possibilités<br />

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