dossier L’ÉDUCATION, UN CANAL CONTRE LA VIOLENCE René Sépul – photos Cici Olsson —32—
Au lendemain du drame de Termonde, plusieurs observateurs ont pointé les dangers que peut entraîner une passion pour un certain cinéma et des jeux vidéo. Psychologues et pédagogues doutent d’un lien entre images violentes et passage à l’acte, reconnaissant néanmoins la nécessité d’éduquer les jeunes aux médias. On s’en souvient, Kim De Gelder, tueur de Termonde, fut décrit dans les heures suivant le drame grimé à la façon du « Joker », personnage connu de la série Batman. Avant d’être mise en doute quelques jours plus tard par le procureur du roi de Termonde, la rumeur a permis de relancer le débat sur un lien supposé entre violence, cruauté et images fortes. Avant de s’interroger sur la question de savoir si un film, voire, la pratique d’un jeu vidéo peuvent conduire au crime, on peut s’attarder sur le cheminement de la rumeur. Quelques heures après que ne tombe l’information annonçant le 23 janvier dernier les crimes d’un déséquilibré dans une crèche de Termonde, plusieurs dépêches signalent donc que le tueur présumé avait le visage peint en noir et en blanc. En fin de journée, Le Soir affiche sur son site une réaction associant l’assassin au film de Christopher Nolan. L’information est reprise le lendemain par le même journal qui s’interroge : « La tuerie de Termonde commise par un fan du Joker ? » « Un copycat inspiré d’une fiction cinématographique ? », ajoute un journaliste, repris ensuite par la presse écrite, radiophonique et télévisuelle belge et internationale. Dans leurs commentaires, certains insistent alors sur une corrélation évidente entre images violentes et criminalité, relevant que la hausse de celle-ci suit une courbe parallèle à l’augmentation de la violence télévisuelle. On rappelle également d’autres tueries où des assassins ont laissé des notes relevant l’influence qu’avait pu avoir sur leurs gestes des représentations du monde exposées au cinéma ou dans les jeux vidéo. L’AGRESSIVITÉ EST UNE BONNE CHOSE Psychiatre infanto-juvénile et professeur émérite de l’Université de Louvain-la-Neuve, <strong>Jean</strong>-<strong>Yves</strong> <strong>Hayez</strong> n’a pas attendu que le procureur en charge de l’affaire doute de la référence à Batman pour s’étonner de pareilles associations. Avant de poser la question de la violence au cinéma ou dans les jeux, celui-ci rappelle que l’agressivité est une qualité nécessaire chez tout être. « Sans celle-ci, insiste celui-ci, vous ne seriez probablement pas là, devant moi, à me poser vos questions. Chacun naît avec une part de bonté, de sociabilité mais aussi d’agressivité qui lui permet de résister, de se faire respecter et de trouver sa place dans la société. L’agressivité est une force d’expression utile. Tout l’enjeu de l’éducation est de la canaliser et de la transformer en force sociable. Certains jeux vidéo rejoignent les pulsions agressives que nous portons et leur permettent de s’exprimer dans l’imaginaire. C’est plutôt une bonne chose pour autant que cette activité reste mesurée. » Revenant sur les inquiétudes suscitées par certains jeux, l’ancien professeur distingue les jeux « légitimisés » des jeux « non légitimisés ». « Dans le premier cas, le jeu réclame une agressivité conquérante », reprend celui-ci. « Il s’agit pour le joueur de répondre à une menace, de tuer ou de supprimer des personnages hostiles. Le jeu n’est alors qu’une sorte de punching ball grâce auquel l’ado évacue toutes sortes de choses. Il s’amuse et se défoule. » DE L’AGRESSIVITÉ À LA VIOLENCE Par jeux non légitimisés, le psychiatre fait référence à une série de jeux en vogue où le joueur est amené à détruire ou à tuer gratuitement, par plaisir. Grand Theft Auto 4, succès de l’année 2008, en est l’exemple. Le jeu met en scène un immigré enrôlé par le syndicat du crime pour vendre de la drogue, tuer des policiers et voler des voitures. Le but est ici de se forger une réputation dans le monde du crime, et tous les moyens sont bons pour y arriver. GTA 4 que le critique du New York Times annonça comme une satire culturelle, violente, intelligente, profane, attachante, odieuse, espiègle, riche, profonde et convaincante fut commercialisé avec la mention : interdit aux moins de 18 ans. Alors qu’il n’y a pas menace quant à l’intégrité du personnage ou de son territoire, le joueur est cette fois appelé non plus à réagir avec une « saine agressivité », mais à opter pour la violence. « Je comprends qu’un jeu pareil entraîne méfiance et critiques », reprend le psychiatre. « J’ai écrit que l’on pouvait parler de violence dans ce cas, et non plus d’agressivité, car le joueur tue par plaisir. C’est un pas, mais même dans ce cas, je reste dubitatif quant à une éventuelle influence néfaste sur un adolescent équilibré. La première question à se poser est l’origine de cette envie de violence. Qu’est-ce qui la motive ? Si vous avez un adolescent mal dans sa peau et renfermé sur lui-même, il faut être attentif. Sinon, qui n’a jamais quelque plaisir à se sentir le mauvais ? Quel adolescent des générations précédentes n’a jamais fait de mal à une mouche ? Je préfère voir un adolescent se défouler ainsi plutôt qu’en arrachant les pattes d’une grenouille ou en frappant à l’occasion son petit frère. Il faut pouvoir accepter un certain besoin d’explorer la puissance du mal. Le tout, de nouveau, est de le faire de manière modérée. » RESTER VIGILANT Pour le pédopsychiatre, l’adulte doit rester vigilant et veiller à préserver une relation d’échanges et de dialogue avec l’adolescent. « Il y a danger lorsque celui-ci perd confiance en lui et perd l’envie de se construire et de trouver sa place. L’adolescence étant une période de doutes et d’expériences, il faut être attentif à ce que le jeu ne devienne pas un refuge qui lui donne de fausses illusions. L’adulte doit poser un cadre et une hygiène de vie. Si le jeu vidéo vient après le travail scolaire et ne mord pas sur le sommeil, s’il est associé à d’autres jeux, à du sport, etc., on est plutôt en droit d’attendre de ces pratiques des bénéfices telles, je l’ai dit, l’expression de son agressivité, mais aussi celle de ses angoisses. » D’autres citent comme bénéfices les expériences que ces jeux entraînent, la réactivité, la débrouille, la gestion de contacts sociaux ou l’exploration de divers registres identitaires et de rituels initiatiques. L’ÉDUCATION AUX IMAGES Abordant la question de l’éducation aux images, <strong>Jean</strong>-<strong>Yves</strong> <strong>Hayez</strong> la juge nécessaire, tout en ciblant la question. « Je crois que ce type d’éducation est bienvenu, mais il faut savoir de quoi et à qui l’on parle. Je ne pense pas que l’on puisse espérer qu’un adolescent reste sage sur Internet et ne s’aventure pas sur certains sites où les mauvaises rencontres sont possibles. Avec les risques que cela suppose. Et puis, ne vaut-il pas mieux vivre pareille expérience sur le net que dans la réalité ? Par contre, l’éduquer à davantage d’esprit critique et de lucidité est une démarche que je ne peux qu’encourager. » Nécessaire, l’éducation aux médias a pourtant longtemps entraîné une certaine méfiance dans le corps enseignant. « A l’époque de la création du CEM – Conseil de l’Education aux Médias, créé en 1995 – on rencontrait toujours pas mal de professeurs méfiants face aux possibilités —33—