Les actes des rencontres d'Evreux.pdf - Irma

à des images, à la vie, parce que nous allons le mettre
dans des situations difficiles. Avignon, c'est une verrue
entourée de remparts qui fait 10 000 habitants, c'est
une bouillie en forme de banlieues, riches ou pauvre s ,
qui en fait 80 000, avec une géographie culturelle extrao
rd i n a i re. Dans le centre de la ville, vous avez l'Opéra et
le Conservatoire, vous vous éloignez un peu du centre ,
vous avez le jazz, vous passez la pre m i è re barrière du
b o u l e v a rd extérieur des remparts, vous avez le rock et
vous continuez un peu plus loin et vous avez le rap… Et
de temps en temps, les institutions concèdent, le re g a rd
humide, aux ro c k e rs et aux ra p e u rs un passage à l'Opéra
ou à la Place de L'Horloge. Le combat qu'il faudra i t
mener avec les artistes est celui qui permet de leur dire
qu'ils ne sont pas automatiquement condamnés à re n-
t rer dans des circuits commerciaux. C'est très prétentieux
mais je m'interroge là-dessus. En tout cas, le jour
où on pourra dire à des ro c k e rs : “vous venez passer un
an, vous êtes payés à travailler sans obligation de
réaliser un produit traditionnel”, ce sera déjà pas mal.
De plus, le jour où cette production hors norme pourra
se balader, c'est-à-dire être accueillie ailleurs, ce sera
e n c o re mieux.
Little Bob, chanteur : Je veux parler des choses telles
qu'elles sont. C'est vrai que ce serait intéressant d'avoir
une résidence dans un lieu et de pouvoir créer autre
chose, je ne sais pas encore ce que cela serait. En ce qui
concerne l'insuccès des gens que vous avez enregistrés à
la MJC d’Avignon, et du fait que les groupes se sont
Je continue à m'occuper de ce qui se passe dans ma
ville parce que c'est là où je vis
séparés, je voudrais dire que, de toute façon, il y a un
c i rcuit professionnel business pour sortir les disques et
pour les vendre. C'est sûr que c'est pas parce que tu vas
f a i re une “compil’” de 18 groupes de rap ou de ro c k
chez toi, que ces groupes-là vont arriver à se vendre. Le
c i rcuit commercial, tout le monde le connaît, je me
heurte un peu à cela. J'ai côtoyé très souvent le show
business puisque, depuis 22 ans, je sors des disques
dans des maisons de disques. C'est ce qui me permet
d ' ê t re toujours là aujourd'hui, et de continuer à suivre
ma route sur une évolution musicale mais sans re n t re r
v raiment dans les méandres du showbiz. Je me bagarre
comme un malade quand le seul moyen de survivre, de
diffuser la musique que l'on fait et qu'on joue avec
mes musiciens, c'est de jouer dans des endroits comme
des MJC.
D ’ a i l l e u rs, je re n t re d’une tournée et de 45
concerts et je n'ai pas pu m'occuper vraiment de tout ce
qui se passe. J’apprends que la MJC du Havre va fermer.
Au Havre, sans vouloir être le leader de quoi que ce soit,
j'essaie d'être actif quand, par exemple, il y a des
“manifs" c o n t re le Front National. Sans vouloir être le
p a t r i a rche des musiciens de rock havrais, j'essaie de
bouger les musiciens quand ils s'endorment. Je sais que
la MJC du Havre va être rayée de la carte parce que nous
avons un maire qui se moque éperdument de la MJC,
comme de la culture en général. Le Havre est une ville
sinistrée. Je ne suis pas là pour vous parler de la sinist
rose du Havre mais il n'y a pas une seule salle de
concert à part Le Volcan qui fait surtout de la danse, du
t h é â t re, ce qui est très bien mais au niveau des concerts
de rap, de rock, il n'y a rien. La MJC était encore un des
seuls endroits où il y avait des concerts de jazz, de blues,
un petit peu de rock ou autre chose. J'ai moi-même participé
au concert pour soutenir les femmes algériennes.
La MJC était pleine, elle faisait son boulot, elle participait
à la vie des citoyens. Je redoute la passivité des
citoyens.
Je ne veux pas que la musique que je défends
tombe dans l’oubli. Sur la route, les gens me disent de
continuer parce que je suis le seul à faire cette musique-là.
Mais en même temps, je continue à m'occuper de ce qui
se passe dans ma ville parce que c'est là où je vis. Je
n’oublie pas qu’en 1976, la MJC du Havre m'a prêté des
locaux avant d'aller en studio enre g i s t rer mon pre m i e r
album. Dans la salle d’à côté, il y avait du bridge et il
fallait attendre qu'ils aient fini de jouer aux cartes pour
commencer à répéter… Cette MJC du Havre, je l'ai là,
dans le cœur. Dans la ville, il y a des lieux qui donnent
des cours de rap pour pouvoir enre g i s t rer les
g roupes à la fin. Je sais que tout cela, c'est juste
pour calmer un peu les gens, cela ne va pas
déboucher sur le succès. C'est vrai que les ra p e u rs, ce
qu'ils voient, ce sont les grands groupes qui arrivent à
s'en sortir et ils veulent arriver à faire pareil. C'est
humain ! Qu'est-ce qu'ils ont comme autre pers p e c t i v e
pour s'en sortir ces gens-là ?
Alain Leprest, chanteur : Je suis un peu ému parce qu’ici
c'est un peu ma zone. Je suis normand et Bob était un
peu notre idole. J'étais rouennais, il était havrais et c'est
v rai qu'il faisait des expériences formidables. Je fais dans
la chanson française, ce qui ne m'a jamais empêché en
aucune manière d'apprécier la bonne musique d'où
qu'elle vienne. C'est pour cela que je suis un peu le
“c oco" de service. Quand on me demande si je suis un
chanteur communiste, je dis que je suis communiste mais
que je suis chanteur aussi. À savoir que je ne chante pas
des chansons communistes, je ne suis pas sur une estrade,
je ne fais pas de discours, je chante des chansons qui
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