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Les actes des rencontres d'Evreux.pdf - Irma

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Révolution), à savoir que si la France de 1789 entendait<br />

exporter la démocratie, celle de 1989 n'a plus de leçon à<br />

donner au reste <strong>des</strong> peuples de l'univers. On organise un<br />

défilé qu'on appelle “les tribus planétaires" dans lequel<br />

chaque population du globe est caractérisée par son cliché.<br />

<strong>Les</strong> Anglais sont arrosés par <strong>des</strong> trombes d'eau, les<br />

Noirs tapent évidemment sur <strong>des</strong> tam-tams, etc. Chacun<br />

chez soi dans sa référence culturelle, la main invisible<br />

du marché fera le reste. En 1793, la France<br />

annonce “tranquillement" qu'elle ira se porter au<br />

secours <strong>des</strong> peuples qui en feront la demande,<br />

qu'elle ira libérer <strong>des</strong> tyrans et <strong>des</strong> oppresseurs tous<br />

ceux qui le désirent et qu'elle entend imposer un modèle<br />

d'organisation politique et de démocratie... Deux cents ans<br />

après, la politique est devenue quelque chose de très dangereux<br />

qui aboutit forcément au stalinisme... Cette relecture<br />

de la Révolution se fait sous les auspices d'une célébration<br />

follement gaie en présence <strong>des</strong> chefs d'États de la<br />

planète.<br />

Depuis 1982, avec la décentralisation, la France, où<br />

depuis deux siècles l'État est garant de la démocratie et de<br />

la liberté contre les poujadismes et les clientélismes <strong>des</strong><br />

maires, donne brutalement un pouvoir extrêmement<br />

important aux collectivités locales. On voit donc apparaître<br />

<strong>des</strong> “maires-animateurs", se multiplier le nombre<br />

d'adjoints à la culture (alors qu'en 1972, ils sont 20 en<br />

France, c'est dire si l'enjeu culturel est inexistant dans les<br />

communes, aujourd'hui, il est presque impossible d'aller<br />

dans le moindre village de France sans qu'il y ait un<br />

adjoint à la culture). <strong>Les</strong> années 80 sont les années durant<br />

lesquelles les municipalités tournent le dos aux équipements<br />

polyvalents, type MJC, centres socio-culturels supposés<br />

porter les revendications et les attentes <strong>des</strong> populations.<br />

<strong>Les</strong> municipalités se lancent à fond dans <strong>des</strong> Centres<br />

d’Action Culturelle, supposés convaincre les administrés de<br />

l'excellence de l'équipe municipale. À cette époque, le<br />

rock, activité prolétaire, délinquante et sans aucun intérêt<br />

électoral, se porte plutôt mal dans les municipalités qui<br />

s'entichent plutôt de saisons théâtrales. Ce sont incidemment<br />

les années où le hip-hop commence à se structurer<br />

dans l'ombre et en secret.<br />

À partir de 1989, et “l'effet Vaulx-en-Velin", les<br />

choses vont prendre un virage. Pour la première fois<br />

depuis très longtemps dans ce pays, on assiste à <strong>des</strong><br />

émeutes urbaines, <strong>des</strong> vraies, comme aux Etats-Unis, qui<br />

se multiplient et finissent par affoler le pouvoir. Nombre<br />

d'élus et de maires se sont alors exprimés à la télévision en<br />

affirmant ne pas comprendre ces émeutes (“on leur avait<br />

construit un gymnase, c'était pour eux, ils l'ont brûlé,<br />

on ne comprend pas…"). En revanche, ce que vont très<br />

vite comprendre les élus, c'est que le rock, rebaptisé<br />

“musiques urbaines" par la technocratie, pourrait devenir<br />

utile pour calmer le jeu. On voit alors un certain<br />

nombre d'élus, à la suite d'émeutes, <strong>des</strong>cendre dans les<br />

quartiers et signer <strong>des</strong> chèques à <strong>des</strong> jeunes pour qu'ils<br />

achètent, ici un sampler ou là <strong>des</strong> guitares, etc. Cet affolement<br />

du politique est légitime. A la fin <strong>des</strong> années 80,<br />

après quinze ans de libéralisme de gauche, la contradiction<br />

entre le niveau de richesse qui ne cesse d'augmenter<br />

<strong>Les</strong> années 90 vont être les années durant lesquelles<br />

la pacification sociale à court terme va devenir l'urgence<br />

absolue <strong>des</strong> pouvoirs politiques<br />

dans ce pays, et l'accroissement du nombre de pauvres et<br />

de gens en situation difficile devient tout simplement<br />

insupportable et incompréhensible en l'absence de cadres<br />

de réflexions et d'analyses politiques. Or, plus personne<br />

- et surtout pas la gauche - ne parle de capitalisme, on<br />

n'entend plus d'analyses de classes et personne ne remet<br />

en cause la société de consommation comme avaient pu le<br />

faire nos aînés de 68. <strong>Les</strong> symptômes dans les quartiers<br />

sont eux de plus en plus lisibles : violence, crise complète<br />

de l'école qui, jusque là, était l'institution sur laquelle tout<br />

le monde pouvait compter, mais qui est à revisiter complètement<br />

et n'a toujours pas les moyens de sa propre<br />

relecture. <strong>Les</strong> élus sont donc légitimement inquiets et les<br />

années 90 vont être les années durant lesquelles la pacification<br />

sociale à court terme va devenir l'urgence absolue<br />

<strong>des</strong> pouvoirs politiques. Il faut absolument calmer le jeu et<br />

après tout, si la guitare, le rap, etc, peuvent contribuer à<br />

cela, alors dans ce cas-là, pourquoi pas ? On voit alors<br />

apparaître <strong>des</strong> discours sur la substitution de l'emploi et<br />

du travail par <strong>des</strong> pratiques culturelles. Par exemple à<br />

Annecy, lorsque l'on met en place un centre municipal <strong>des</strong><br />

musiques amplifiées, le discours est que “de toute façon,<br />

les jeunes n'auront plus de travail, ils n'ont absolument<br />

aucune chance d'avoir accès, un jour dans leur vie, à<br />

un processus de production ; mais que s'ils font de la<br />

musique, ils font une production, ils sont dans un processus<br />

de production".<br />

Sachant que la seule façon connue de contribuer à<br />

la production de la société est d'être intégré dans un rapport<br />

salarial à un emploi, un métier, peut-on produire ou<br />

contribuer à produire la société avec de la musique ?<br />

Existe-t-il un “travail" musical par défaut d'emploi ? Que<br />

signifie cette apparition de notion d'entreprise musicale ?<br />

Quelle est cette fascination de l'appareil d'Etat pour “l'esprit<br />

d'entreprise", et qui aura donné naissance à la catast<br />

rophe démagogique <strong>des</strong> cafés-musique, entre p r i s e s<br />

“gérées-par-<strong>des</strong>-jeunes-pour-<strong>des</strong>-jeunes-avec-<strong>des</strong>jeunes",<br />

MJC relookées grunge et graf pour l'alibi artistique,<br />

fantasme d'une société qui voit s'effondrer - par<br />

manque de vigilance - ses acquis et qui veut se rassurer.

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