Les actes des rencontres d'Evreux.pdf - Irma

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Enjeux et responsabilités du secteur associatif Franck Lepage, directeur MJC, chargé du développement culturel de la FFMJC : De quel secteur p a r l e -t-on ? De cette nébuleuse que l'on appelle “les associations" (cette forme facile à travers laquelle trois quidams vont déposer les statuts à la préfecture, et se prennent ipso facto pour des démocrates ou des citoyens) et dont on nous rabâche qu'elles sont 800 000 ? Ou bien parle-t-on d'un secteur de l'action publique délégué par l'État, ou conquis par la société civile depuis 50 ans, légitimé, reconnu et co-responsable d'une mission d'intérêt général, qui peut prétendre émarger sur l'argent public, redistribution de l'impôt prélevé sur la population et qui doit retourner à la population ? Je pose la question des associations contre le “secteur associatif" et du choix, mené depuis l'arrivée au pouvoir des Socialistes, de jouer la carte de micro-associations non regroupées et non fédérées, totalement isolées, contre Au tournant des années 80, la culture devient quelque chose de rapidement utile électora l e m e n t de grands regroupements du type fédération nationale d'éducation populaire, viscéralement insupportables à un pouvoir obsédé de modernisation – c'est-à-dire de libéralisation, de dérégulation, d'éclatement, d'individualisation des problèmes… Cette “bonne-mauvaise" idée de vouloir changer un peu le style de l'intervention publique, le style de l'action publique en essayant de “rapprocher le citoyen du pouvoir". Traduisez : de supprimer les intermédiaires, congédier les associations organisées en rapport de force ou en rapport de pouvoir, au motif qu'elles feraient finalement écran entre les habitants et le pouvoir public. On a vu naître, en effet, avec le style socialiste, après trente années de “droite" républicaine et gaulliste, puis pompidolienne et giscardienne, un style d'intervention publique que certains ont appelé “l'État-animateur". L'État s'est mis en tête d'agir plus efficacement en intervenant directement auprès des gens et de la population, en mettant en place un certain nombre de dispositifs. Dans le champ culturel, c'est ce que j'appelle l'effet “Jack Lang" : le passage très brutal des années du “tout politique”, en gros les années 70, au “tout culturel” des années 80, dans lequel on peut considérer que le politique a commencé à se porter plutôt mal. De nombreux ouvrages ont analysé ce phénomène, y compris celui de Marc Fumaroli MO D É R AT E U R : “L'État Culturel". Ce passage du “tout politique" au “tout culturel" dans les années 80 Franck Lepage, DIRECTEUR MJC, CHARGÉ me semble être au centre des questions que DU DÉVELOPPEMENT nous essayons de nous poser dans le cadre de CULTUREL DE LA FFMJC. cette table ronde. INTERVENANTS : Au tournant des années 80, la culture devient quelque chose de rapidement utile Bruno Colin, DIRECTEUR D’OPALE é l e c t o ralement. La plupart des pouvoirs , (ORGANISATION POUR LES nationaux, locaux ou régionaux, se rendent PROJETS ALTERNATIFS D’ENTREPRISES), très vite compte qu'il s'agit là d'une idéologie capable de glorifier le dynamisme factice Philippe Berthelot, ADMINISTRATEUR DE LA d'une nation dans une période de crise FEDUROK ET DIRECTEUR économique, dans une période durant DU FLORIDA - AGEN, laquelle il devient difficile de prétendre créer des entreprises dans tous DIRECTEUR DU SOUS-MARIN Loïc Taniou, VITROLLES, les coins alors qu'en revanche, la création d'entreprises culturelles semble assez facile. Huguette Bonomi, DIRECTRICE MJC CORDERIE Cette valorisation du dynamisme français MARSEILLE, dans une période où le capitalisme entre Jacques Subileau, dans une transformation radicale me semble PRÉSIDENT DE GÉNÉRATIONS jouer un rôle important en termes de communication du pouvoir. Je dirais de “communi- Renaud Vischi, SONORES - ST-DENIS, cation électorale" pour ne pas dire de “communication politique" parce que je trouve CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE. cela très peu politique. Au plan international, c'est “l'effet Découflé" : une nation qui est capable d'autant d’humour, de deuxième degré, d'ironie ludique et de “richissime créativité" dans une cérémonie aussi pompeuse et fasciste que l'ouverture de jeux olympiques, est forcément une 13 société en avance sur les autres et qui affiche, avec une désinvolture de gagnants, qu'elle n'a pas trop de soucis. La mort du “politique" (“ceci vaut mieux que cela”) et sa substitution par le “culturel" (“tout se vaut") c'est “l'effet Goude" (celui du défilé du bicentenaire de la
14 Révolution), à savoir que si la France de 1789 entendait exporter la démocratie, celle de 1989 n'a plus de leçon à donner au reste des peuples de l'univers. On organise un défilé qu'on appelle “les tribus planétaires" dans lequel chaque population du globe est caractérisée par son cliché. Les Anglais sont arrosés par des trombes d'eau, les Noirs tapent évidemment sur des tam-tams, etc. Chacun chez soi dans sa référence culturelle, la main invisible du marché fera le reste. En 1793, la France annonce “tranquillement" qu'elle ira se porter au secours des peuples qui en feront la demande, qu'elle ira libérer des tyrans et des oppresseurs tous ceux qui le désirent et qu'elle entend imposer un modèle d'organisation politique et de démocratie... Deux cents ans après, la politique est devenue quelque chose de très dangereux qui aboutit forcément au stalinisme... Cette relecture de la Révolution se fait sous les auspices d'une célébration follement gaie en présence des chefs d'États de la planète. Depuis 1982, avec la décentralisation, la France, où depuis deux siècles l'État est garant de la démocratie et de la liberté contre les poujadismes et les clientélismes des maires, donne brutalement un pouvoir extrêmement important aux collectivités locales. On voit donc apparaître des “maires-animateurs", se multiplier le nombre d'adjoints à la culture (alors qu'en 1972, ils sont 20 en France, c'est dire si l'enjeu culturel est inexistant dans les communes, aujourd'hui, il est presque impossible d'aller dans le moindre village de France sans qu'il y ait un adjoint à la culture). Les années 80 sont les années durant lesquelles les municipalités tournent le dos aux équipements polyvalents, type MJC, centres socio-culturels supposés porter les revendications et les attentes des populations. Les municipalités se lancent à fond dans des Centres d’Action Culturelle, supposés convaincre les administrés de l'excellence de l'équipe municipale. À cette époque, le rock, activité prolétaire, délinquante et sans aucun intérêt électoral, se porte plutôt mal dans les municipalités qui s'entichent plutôt de saisons théâtrales. Ce sont incidemment les années où le hip-hop commence à se structurer dans l'ombre et en secret. À partir de 1989, et “l'effet Vaulx-en-Velin", les choses vont prendre un virage. Pour la première fois depuis très longtemps dans ce pays, on assiste à des émeutes urbaines, des vraies, comme aux Etats-Unis, qui se multiplient et finissent par affoler le pouvoir. Nombre d'élus et de maires se sont alors exprimés à la télévision en affirmant ne pas comprendre ces émeutes (“on leur avait construit un gymnase, c'était pour eux, ils l'ont brûlé, on ne comprend pas…"). En revanche, ce que vont très vite comprendre les élus, c'est que le rock, rebaptisé “musiques urbaines" par la technocratie, pourrait devenir utile pour calmer le jeu. On voit alors un certain nombre d'élus, à la suite d'émeutes, descendre dans les quartiers et signer des chèques à des jeunes pour qu'ils achètent, ici un sampler ou là des guitares, etc. Cet affolement du politique est légitime. A la fin des années 80, après quinze ans de libéralisme de gauche, la contradiction entre le niveau de richesse qui ne cesse d'augmenter Les années 90 vont être les années durant lesquelles la pacification sociale à court terme va devenir l'urgence absolue des pouvoirs politiques dans ce pays, et l'accroissement du nombre de pauvres et de gens en situation difficile devient tout simplement insupportable et incompréhensible en l'absence de cadres de réflexions et d'analyses politiques. Or, plus personne - et surtout pas la gauche - ne parle de capitalisme, on n'entend plus d'analyses de classes et personne ne remet en cause la société de consommation comme avaient pu le faire nos aînés de 68. Les symptômes dans les quartiers sont eux de plus en plus lisibles : violence, crise complète de l'école qui, jusque là, était l'institution sur laquelle tout le monde pouvait compter, mais qui est à revisiter complètement et n'a toujours pas les moyens de sa propre relecture. Les élus sont donc légitimement inquiets et les années 90 vont être les années durant lesquelles la pacification sociale à court terme va devenir l'urgence absolue des pouvoirs politiques. Il faut absolument calmer le jeu et après tout, si la guitare, le rap, etc, peuvent contribuer à cela, alors dans ce cas-là, pourquoi pas ? On voit alors apparaître des discours sur la substitution de l'emploi et du travail par des pratiques culturelles. Par exemple à Annecy, lorsque l'on met en place un centre municipal des musiques amplifiées, le discours est que “de toute façon, les jeunes n'auront plus de travail, ils n'ont absolument aucune chance d'avoir accès, un jour dans leur vie, à un processus de production ; mais que s'ils font de la musique, ils font une production, ils sont dans un processus de production". Sachant que la seule façon connue de contribuer à la production de la société est d'être intégré dans un rapport salarial à un emploi, un métier, peut-on produire ou contribuer à produire la société avec de la musique ? Existe-t-il un “travail" musical par défaut d'emploi ? Que signifie cette apparition de notion d'entreprise musicale ? Quelle est cette fascination de l'appareil d'Etat pour “l'esprit d'entreprise", et qui aura donné naissance à la catast rophe démagogique des cafés-musique, entre p r i s e s “gérées-par-des-jeunes-pour-des-jeunes-avec-desjeunes", MJC relookées grunge et graf pour l'alibi artistique, fantasme d'une société qui voit s'effondrer - par manque de vigilance - ses acquis et qui veut se rassurer.
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