Les actes des rencontres d'Evreux.pdf - Irma
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<strong>Les</strong> acTes<br />
Tables ron<strong>des</strong><br />
Enjeux et responsabilités<br />
du secteur associatif<br />
Franck Lepage<br />
Enjeux d’une politique culturelle<br />
Gilles Castagnac<br />
De nouveaux métiers ?<br />
Gaby Bizien<br />
L’artiste dans la cité<br />
Fernand Estèves
S o m m a i r e<br />
4<br />
Introduction<br />
MJC l’Abordage - Évreux<br />
8<br />
Introduction<br />
13<br />
3 3<br />
5 7<br />
77<br />
Tables ron<strong>des</strong><br />
Enjeux et responsabilités<br />
du secteur associatif Franck Lepage<br />
<strong>Les</strong> enjeux d’une politique culturelle<br />
Gilles Castagnac<br />
De nouveaux métiers ?<br />
Gaby Bizien<br />
L’artiste dans la cité<br />
Fernand Estèves<br />
3, 4<br />
et 5 juin 1998<br />
9 0<br />
Conclusion<br />
Conclusion et remerciements<br />
3
La MJC d’Évreux entame dans les années 80 un travail pionnier en matière de musiques<br />
actuelles. Elle épouse à l’époque un vent de jeunesse qui souffle sur l’hexagone sous le nom de ro ck<br />
alternatif. L’idée ne s’est pas enfantée elle-même. <strong>Les</strong> années 60/70 sont derrière : le rythm’n blues,<br />
le rock’n roll et le punk représentent un contexte dense.<br />
Le rock alternatif, plus qu’une direction esthétique précise, traduit un processus d’autonomisation<br />
(économique : autoproduction, distribution indépendante ; politique : revendication de<br />
lieux, de crédits publics, pro cédures de délégation ; esthétique : francophonie assumée). La Fra nce<br />
voit naître <strong>des</strong> labels, <strong>des</strong> lieux, <strong>des</strong> artistes, dans la proximité et la débro u i l l a rdise. La mouvance<br />
t rouve à Évreux comme dans d’autres villes (Po i t i e rs, Rennes, Toulouse) quelques oreilles ouvertes<br />
sur le futur.<br />
Le Bop Pub, café-concert de la MJC, après avoir accueilli 120 concerts en 4 ans se tra n s-<br />
forme en l’A b o rdage, à la faveur de la mission d’équipement <strong>des</strong> petits lieux. La Ville d’Évreux et<br />
le Ministère de la Culture financent son équipement et son aménagement au sous-sol de la salle<br />
omnisports en 1989. L’installation comporte en outre deux locaux de répétition. Pa ra l l è l e m e n t ,<br />
le Rock dans tous ses Etats marque l’année musicale hexagonale de sa présence pertinente et<br />
militante. <strong>Les</strong> festivals, au même titre que les salles, sont ra res.<br />
Comment se fait-il que l’initiative ait perduré ?<br />
Trois éléments locaux y contribuent :<br />
- le parti pris <strong>des</strong> musiques actuelles est assumé sur le long terme par le Conseil d’A d m i n i s t ra t i o n<br />
et la Direction de la MJC,<br />
- la volonté politique de maintenir le projet existe,<br />
- les recettes pro pres, comparées aux coûts de production minimisés, sont importantes.<br />
4<br />
L’A bordage s’installe dans ses murs au moment où la scène se recompose. <strong>Les</strong> Majors ont fin i<br />
par intégrer les nouvelles tendances et rationalisent le marché en le réétageant. De nouveaux courants<br />
comme la techno et le rap élargissent le spectre cependant que la production rock et pop<br />
nationale soutient mal la comparaison avec l’international.<br />
Le re flux est assez inévitable à l’échelle d’une ville moyenne. Si le rap et la techno<br />
s ’ i l l u s t rent dans les médias et focalisent de nouvelles revendications, le circuit n’est<br />
pas opérationnel et la mobilisation <strong>des</strong> publics reste très relative.<br />
La réinternationalisation de la scène est un problème. La France malgré l’étendue<br />
de son territoire est moins bien traitée que l’Europe du Nord par les agents internationaux.<br />
La concurrence devient favorable à quelques capitales régionales (Paris, Lille,<br />
Lyon, Marseille, Stra s b o u rg, Toulouse). De nouvelles collectivités s’intéressent aux<br />
musiques actuelles et dépassent la satisfaction d’une revendication pour donner lieu à<br />
une commande publique. Toutes ne re n c o n t rent pas la compétence nécessaire. Des modèles<br />
peu viables comme les cafés-musique voient parfois le jour. Mais dans plusieurs cas, il s’agit d’investissements<br />
très volontaires en équipement et fonctionnement qui re ncontrent un succès réel et<br />
ont valeur d’exemple.<br />
É v reux, mais aussi la Normandie tout entière font figure de parents pauvres dans ce New<br />
Deal. <strong>Les</strong> pratiques artistiques suivent à peu de choses près le même mouvement : période pro l i-<br />
fique et succès national de quelques leaders (Dogs, City Kids, Black Maria, Roadrunners, Little Bob)<br />
puis repli sur soi.<br />
Au milieu <strong>des</strong> années 1990, une config u ration plus favorable se présente. Le Ministère de la<br />
Culture intègre l’A bordage au sein du pro gramme SMAC (Scènes de Musiques Actuelles). La Région,<br />
par l’intermédiaire du C2R (Centre Régional du Rock et <strong>des</strong> Musiques Actuelles) amplifie son sou-
tien, le département de l’Eure intervient sur de nouveaux projets. Le renouveau de la chanson<br />
(Dominique A, Miossec, <strong>Les</strong> Têtes Rai<strong>des</strong>, Louise Attaque…) revitalise la scène française tandis que<br />
d ’ a u t res artistes et tendances continuent leur développement. A tel point que cette deuxième<br />
vague pourrait parfois assumer, sur le champ esthétique, la confrontation internationale. L’ éclatement<br />
du spectre musical, plutôt que l’unicité, laisse une place aux outsiders. Nouveaux artistes,<br />
nouveaux agents, réseau de diffusion plus dense, sont autant d’éléments favorables au ra ttrapage<br />
du “retard musical français”.<br />
[AU TWENTY TWO BAR] Dominique A.<br />
C'est dans ce cadre rénové que l’A bordage et le Rock dans tous ses États vivent une nouvelle<br />
jeunesse. Le nombre de concerts de la saison est multiplié par deux, voire trois. La fréquentation de<br />
la salle est en hausse. Elle passe de 2460 en 95-96 à 7488 en 97-98, soit une augmentation spectaculaire<br />
de 304 %. La fréquentation du festival passe de 3500 à 8000 spectateurs. Il s’installe en 97<br />
sur le site de l’Hippodrome de Navarre. <strong>Les</strong> genres abordés se divers i fient, comme les publics. Po p ,<br />
blues, chanson, rap, reggae, metal, techno, jungle, expérimentation industrielle, trip hop, funk,<br />
musiques traditionnelles et du monde, raï, country folk, punk et rock coexistent. <strong>Les</strong> lieux sont<br />
“habités”. <strong>Les</strong> niveaux de notoriété sont mixtes : amateurs locaux et régionaux, fig ures de l’underground,<br />
valeurs sûres de la scène nationale et internationale.<br />
<strong>Les</strong> publics sont éclectiques et se re n c o n t rent : les âges se répartissent entre 15 et 45 ans<br />
e n v i ron. <strong>Les</strong> spectateurs majoritaires sont les hommes (environ 60 %), bien que cette dominante<br />
tende à s’affaiblir. Le niveau d’étude comme les CSP restent mixtes. La provenance géogra p h i q u e<br />
manifeste à la fois un enracinement local et régional mais aussi un rayonnement fort (spécialement<br />
pour le festival). <strong>Les</strong> “c o n n a i s s e u rs” sont par définition <strong>des</strong> spectateurs plus fréquents à<br />
condition que l’offre ne se limite pas uniquement aux succès du jour. C’est le cas. Pour autant, il n’y<br />
a pas confiscation du lieu par une élite autoproclamée. Comme aux autos<br />
tamponneuses, il y a une place pour l’idiot du village. Un travail soutenu<br />
est produit en direction <strong>des</strong> collectivités constituées, ainsi qu’une<br />
politique d’abonnement.<br />
La tendance généra le<br />
est donc à la re connaissance<br />
du projet par les collectivités,<br />
les publics et les<br />
p rofessionnels. La diffusion<br />
s’accompagne de dispositifs<br />
connexes.<br />
L’A b o rdage hors les murs en<br />
est un exemple. Cette action, soutenue<br />
par le Ministère de la Culture, le<br />
département de l’Eure et par les villes de Bernay<br />
et Louviers, permet d’aller au devant <strong>des</strong> publics mais aussi de favoriser un développement local<br />
pluridimensionnel (divers ification de l’offre de spectacles, reconnaissance <strong>des</strong> pratiques amateurs ,<br />
articulation <strong>des</strong> interventions publiques...).<br />
Au même titre, la MJC est impliquée dans le suivi du projet Central Lab’ de l'ALM. Elle joue<br />
à l’égard de ce lieu dédié au hip hop un rôle de suivi en matière de contenu artistique et de re n-<br />
forcement de l’environnement professionnel de l’action.<br />
<strong>Les</strong> pratiques amateurs sont toujours d’actualité. <strong>Les</strong> locaux de répétition fonctionnent<br />
de longue date. Ils disposent d’un matériel de base et d’un traitement acoustique corre c t .<br />
Leur accès est possible six jours sur sept. Un collectif de management voit le jour et devra i t<br />
augmenter le potentiel de développement <strong>des</strong> groupes d’Évreux. <strong>Les</strong> musiciens locaux sont<br />
impliqués bénévolement dans le cadre de la saison et du festival. Le terrain est donc favorable<br />
en termes de filières de développement, de connections avec l’au-delà du local. Il re s t e<br />
5
à vérifier l’idée selon laquelle une diffusion de qualité suscite <strong>des</strong> vocations, enrichit et<br />
actualise le répertoire <strong>des</strong> amateurs en devenir ; ce qui ne devrait pas tard e r.<br />
Le festival doit faire l’objet d’un traitement à part. Deux éditions, re m a rquables autant du<br />
point de vue artistique que par leur fréquentation inédite en région, en ont fait un événement<br />
emblématique. Moment-re p è re dans l’année pour toute une génération, lieu d’authentification<br />
<strong>des</strong> carrières ascendantes en région, son avenir est pro m e t t e u r. Au même titre que Reading en<br />
A n g l e t e r re, il bénéficie de la proximité de la capitale, et donc d’une zone de chalandise importante.<br />
Son parti pris artistique volontairement actuel, la cohérence re c h e rchée de ses soirées<br />
constituent les bases d’une identité qui devrait s’affirmer davantage.<br />
[LONGUE ROUTE] The Young Gods<br />
6<br />
Il faut, pour anticiper notre histoire, revenir à ses fondements. L’idée de démocra t i e<br />
c u l t u relle a présidé à cette entreprise. La démocratie est ici entendue comme utopie et non<br />
comme réalité déduite. Il s’agit de l’expression contra d i c t o i re de positions construites. Cette<br />
utopie est née de l’insatisfaction, du refus d’une vision rigide de l’art et de la culture, et de la<br />
reconnaissance de la culture populaire. La lame de fond, qui porte aujourd’hui les musiques<br />
actuelles au centre <strong>des</strong> débats, y puise ses origines. Et la manière dont a été assumé ce<br />
c o u ra n tporte ses fruits. L’authenticité de la scène a été restaurée au détriment <strong>des</strong> carrière s<br />
uniquement médiatiques. <strong>Les</strong> critères d’appréciation <strong>des</strong> artistes ont évolué dans le sens de<br />
la reconnaissance du statut d’auteur, dans la nécessaire unicité de l’auteur-compositeurinterprète.<br />
Le statut d’amateur, méprisé pendant presque vingt ans, re s s u rgit comme vivier<br />
n é c e s s a i re, lieu d’un dialogue fécond. La re n c o n t re <strong>des</strong> publics entre eux, la constitution de<br />
nouveaux publics, l’augmentation de la pratique musicale qu’elle soit active ou réceptive,<br />
l’enrichissement esthétique <strong>des</strong> répertoires sont autant d’éléments vivants qui rénovent la<br />
pensée de la culture .<br />
Au nom de cette richesse, on peut considérer que les musiques actuelles participent de<br />
l’intérêt général au même titre que le théâtre, la littéra t u re, l’art lyrique et d’autres disciplines<br />
reconnues de longue date par les collectivités.<br />
Nous avons besoin pour assumer l’avenir d’une base de travail sereine. Cela passe par<br />
p l u s i e u rs priorités :<br />
- un fonctionnement plus équilibré qui permette de stabiliser un personnel trop précaire ,<br />
- une capacité de travail sur l’innovation sans obligation de retour sur investissement immédiat,<br />
- la disposition autonome d’un lieu dont l’accès pluriel pourrait être envisagé.<br />
Dans cette configuration, l’ambition est possible. On peut imaginer les nouveaux contours<br />
de ce pôle d’action : Pluriel, tra v e rsé par les bruissements de la planète, ouvert à l’expression et<br />
la re n c o n t re <strong>des</strong> publics, porteur de développement au cœur d’une région, capable de susciter<br />
<strong>des</strong> croisements entre différentes disciplines, d’accueillir <strong>des</strong> projets en résidence, de génére r<br />
<strong>des</strong> pratiques amateurs en prise directe sur l’actualité.<br />
L’A b o rdage doit demeurer le lieu de référence. Le départ <strong>des</strong> cinémas du centre - v i l l e<br />
d ’ Év reux, en raison de la construction d’un multiplex, est à prévoir dans un avenir très pro c h e .<br />
Ces locaux, difficiles à re c o n v e r t i r, sont soumis à <strong>des</strong> normes arc h i t e c t u rales strictes en cas de<br />
reconstruction. Il est probable, comme dans d’autres villes, qu’ils ne tro u v e ront pas de re p re n e u r<br />
avant longtemps. Étant donné qu’il est possible pour <strong>des</strong> frais limités d’adapter le REX à l’usage de<br />
salle de concerts, nous proposons l’acquisition par la ville de ce bâtiment et le co-fin a n c e m e n t d e<br />
son aménagement et de son équipement.<br />
Ce nouveau lieu dédié aux musiques actuelles aurait une fonction de diffusion proche<br />
de l’A b o rdage actuel, avec pour objectif la production d'une quarantaine de concerts par an<br />
dans <strong>des</strong> re g i s t res variés. La convivialité serait re c h e rchée au moyen d'un club ouvert avant et<br />
après les concerts, voire d’autres jours sur le mode <strong>des</strong> youth clubs anglais. <strong>Les</strong> pra t i q u e s<br />
a m a t e u rs y occuperaient une place importante dans un souci de continuité avec la diffusion.<br />
<strong>Les</strong> résidences y contribueraient. Différentes initiatives connexes pourraient voir le jour :
- l’accès au multimédia,<br />
- la diffusion de vidéos de création,<br />
- l ’ o rganisation de débats publics,<br />
- l’accueil tempora i re de projets culturels et économiques convergents : labels, management,<br />
d i s t r i b u t i o n ...<br />
Le festival pers é v é re rait dans son rôle d’événement porteur en assumant sa part de re n o u v e l l e-<br />
ment <strong>des</strong> références. Le parti pris de mettre à jour les écritures, de manifester la démarc h e<br />
d’auteur est déjà présent dans les choix actuels et constitue l’une <strong>des</strong> spécificités de l’opéra t i o n .<br />
Celui-ci pourrait être encouragé à mesure que la notoriété de l’initiative pro g re s s e .<br />
<strong>Les</strong> actions d’accompagnement territoriales telles l’A b o rdage hors les murs auraient pour<br />
vocation de densifier le réseau d’acteurs. Il est clair qu’une position insulaire n'est pas souhaitable.<br />
Au contra ire, la proximité, les relations entre les porteurs de projets, garantissent le progrès généra l<br />
plus qu’une concurrence négative. A cet égard, la Bretagne est un exemple très significatif.<br />
Dans le contexte de doute, d’entre-deux-époques qui nous caractérise, il y a lieu de ne pas<br />
penser l’art ou la culture comme <strong>des</strong> objets, <strong>des</strong> choses distantes, mais plutôt comme une re l a-<br />
tion, un terrain d’aventures sociales et esthétiques. Le rock et les musiques actuelles font partie<br />
i n t é g rante de notre paysage mental. Leur reconnaissance par les collectivités publiques a un sens<br />
p rofond. Sans nier le passé de l’action culturelle en France, cette reconnaissance marque le<br />
retour du sujet et une re - c o n s i d é ration de la culture populaire. Il ne s’agit plus d’une vision verticale,<br />
d’une division mais d’une recomposition attentive de la culture selon plusieurs sourc e s<br />
savantes et populaires sans que l’une <strong>des</strong> expressions n’exclue l’autre. ❙<br />
7<br />
EKOVA
8<br />
Fernand Estèves, chargé de mission culture FFMJC : Ces Rencontres se veulent entre acteurs d’un<br />
même secteur, celui de l’accompagnement <strong>des</strong> pratiques liées aux musiques actuelles, acteurs en<br />
quête d’une réflexion collective. Rencontres aussi entre tous ceux qui aiment tra nsgresser les séparations<br />
traditionnelles entre l’économique, le social et le culturel. Rencontres pour questionner une<br />
c u l t u re de tous. Rencontres e n t re analyses et partis pris diverg e n t s<br />
dans une volonté de confrontation constructive. Ces Rencontres doivent<br />
aussi se situer au-delà <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> conventions, et je note<br />
avec plaisir, pour les MJC qui ont fait le déplacement, la présence<br />
d’administrateurs qui côtoient <strong>des</strong> dire cteurs et <strong>des</strong> animateurs. Ces<br />
derniers étant d’ailleurs très demandeurs de ce type de re ncontres au<br />
cours <strong>des</strong>quelles ils puisent de nombreuses informations nécessaire s,<br />
d’après eux, à leur formation. J’ai particulièrement ressenti cette<br />
demande lors d’un travail effectué en Nord -Pas-de-Calais par Michel<br />
Sagne, à l’époque chargé de mission sur cette région.<br />
Si nous sommes ici aujourd’hui, cela s’explique également par<br />
toutes les opérations qui se sont déroulées depuis quelque temps et<br />
où, systématiquement, il y avait une dimension réflexive ; les tables<br />
ron<strong>des</strong> à Bourges, et à Mantes-la-Jolie, au cours <strong>des</strong>quelles les animateurs<br />
et les dire cteurs ont manifesté leur envie de voir s’org aniser<br />
<strong>des</strong> <strong>rencontres</strong> permettant <strong>des</strong> échanges de points de vue.<br />
En collaboration avec l’IRMA, dont je re m e rcie le dire c t e u r,<br />
Gilles Castagnac, pour son écoute et sa mobilisation, la FFMJC souhaite<br />
donc participer à l’élaboration d’une politique culturelle intégrant<br />
les musiques actuelles dans le champ de l’intervention publique.<br />
Tout en sachant que si les MJC furent les pionnières de la pra t i q u e<br />
collective <strong>des</strong> musiques électro -amplifiées, la question qui nous anime<br />
aujourd’hui est de savoir où nous en sommes actuellement dans<br />
le cadre général d’échec de la démocratisation culturelle.<br />
Tout au long de ces quatre tables ron<strong>des</strong>, dont vous avez pu<br />
découvrir le pro g ramme, nous vous proposons, avec le soutien du<br />
M i n i s t è re de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports et du Ministère de la Culture<br />
et de la Communication, de discuter tant <strong>des</strong> enjeux <strong>des</strong> re sponsabilités<br />
du secteur associatif<br />
que de la nécessité d’un rapp<br />
rochement du culture l<br />
avec le socio-culturel ; <strong>des</strong><br />
possibles nouveaux métiers,<br />
à l’heure où un dispositif qui paraît opportun mais qui est peut-être<br />
fort périlleux, se met en place ; et de la construction du sujet politique où l’ambition artistique ne<br />
peut nier les principes fondamentaux qui nous animent tous ici.<br />
R e n c o n t res entre analyses et partis<br />
pris divergents dans une volonté de<br />
c o n f rontation constructive<br />
Claude Le Berre, président de la Fédération Régionale <strong>des</strong> MJC Caen-Rouen : Je suis h e u reux de<br />
participer à l’ouverture de ces Rencontres Musiques et Citoyenneté dans tous leurs États. Je<br />
v o ud rais également re m e rc i e r, au nom de ceux que je représente, c’est-à-dire une force bénévole,<br />
l’ensemble <strong>des</strong> participants, ceux qui sont venus de très loin particulièrement, les élus associatifs,<br />
les professionnels et les amateurs et, sans oublier, les représentants de l’administration qui sont<br />
parmi nous, ainsi que les élus républicains.
Je voudrais surtout souligner l’implication du Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports et du<br />
Ministère de la Culture et de la Communication dans ces Rencontres mises en œuvre par la FFMJC.<br />
Je trouve qu’ils témoignent ainsi de la volonté émise et souhaitée par Madame Trautmann et<br />
Madame Buffet de ra p p rochement de ces deux ministères, et cette volonté de participer à la<br />
r é flexion sur l’éducation populaire. C’est pour moi aussi l’occasion d’affirmer l’existence de notre<br />
F é d é ration Régionale comme un réseau d’associations d’éducation populaire et, par là même, de<br />
p romotion <strong>des</strong> pratiques culturelles. Ces Rencontres a p p a raissent à notre Fédération Régionale,<br />
comme un moment privilégié de réflexions, d’échanges, de débats permettant de questionner nos<br />
actions, d’en faire avancer le sens.<br />
Je voudrais aussi, puisque l’occasion m’en est donnée, saluer le travail de ceux que l’on<br />
remercie très peu dans notre Fédération, à savoir les professionnels qui ont mis tout le soin nécessaire<br />
à la préparation de ces Rencontres.<br />
Jean-Marie Martin, Directeur de la MJC d’Évreux : La MJC d’Évreux est une vieille maison qui a<br />
q u a rante ans et qui a essayé de coller à l’évolution de la vie et de la société, notamment d’une<br />
population plutôt jeune, ce qui constitue un pari. Ce pari a donc été tenté par cette maison et son<br />
conseil d’administration il y a une quinzaine d’années avec en particulier un animateur qui est présent<br />
dans la salle : Christian Roux. Il a participé à toutes ces réflexions et a compté pour beaucoup<br />
dans la mise en place de cette manifestation “Rock dans tout ses États” et dans la création de la<br />
salle de spectacle, L’A bordage. Je tenais à le re mercier devant vous. Ces différentes réflexions nous<br />
ont permis de miser sur la musique comme vecteur intéressant pour viser toute une population que<br />
l’on ne touchait pas puisque c’était l’époque où l’on se demandait où étaient les jeunes dans les<br />
MJC et quelles étaient leurs préoccupations. C’est à peu près à la même période que le Ministère de<br />
la Culture a sorti une étude sur les pratiques artistiques <strong>des</strong> Français qui a mis en valeur une dominante<br />
vraiment importante que l’on appelle, aujourd’hui, les musiques actuelles.<br />
Lorsque je suis arrivé, nous avons mis en place toute une action autour <strong>des</strong> musiques amplifiées,<br />
de ce qu'on appelait le rock et, petit à petit, le phénomène s’est accentué jusqu’à ce que nous<br />
en arrivions là où nous en sommes maintenant : une petite salle de spectacle de 60 places et une de<br />
500, un festival et une pro grammation régulière d'une trentaine de concerts par an. Si je suis assez<br />
satisfait d’en être arrivé là, je pense qu’il est important de pouvoir pre n d re le temps de réfléchir à<br />
ce que nous faisons les uns et les autres.<br />
Jean-Christophe Aplincourt, programmateur MJC Évreux : Nous avons beaucoup travaillé récemment<br />
pour que le festival ait de la tenue malgré <strong>des</strong> difficultés, puisque l’on a eu <strong>des</strong> changements<br />
d’affiche notoire cette année. C’est là que l’on saisit que la musique n’est pas seulement une esthétique<br />
et un mouvement social, mais que c’est également un marché. Pour autant, il est vrai que le<br />
surmenage ne doit pas nous priver du sens de notre travail, car le sens symbolique d’un festival<br />
c’est aussi de constater une assemblée positive. Ce qui veut dire que toutes les assemblées ne sont<br />
pas négatives contra i rement à ce que laisserait cro i re une sorte de pensée qui réduit les foules à<br />
<strong>des</strong> monstres en furie ! Non, il y a <strong>des</strong> foules qui sont positives. Il est intéressant, à mon avis, de<br />
révéler cela, tout comme il me paraît important de révéler le mouvement de génération, le mouvement<br />
qui tra verse les clivages sociaux ; d’associer à la fois <strong>des</strong> courants esthétiques qui s’affir ment<br />
de plus en plus, qui se séparent, qui font <strong>des</strong> hybridations. Nous sommes, bien entendu, sensibles à<br />
ces mouvements, nous sommes réceptifs et nous sommes contents d’afficher une esthétique musicale<br />
qui est belle pour nous, même si cette e sthétique-là<br />
ne s’est pas détachée, malgré le temps,<br />
d’une résonance sociale forte. Cela veut dire que<br />
les spectateurs ne font pas abstraction d’euxmêmes,<br />
ils ne sont pas dans un rapport clinique à<br />
la musique ; ils sont dans un rapport où l’on participe<br />
et donc cela reste un moment plutôt de fête qu’un moment d’observation. Ces instants festifs<br />
constituent une partie importante de la culture et soulignent le fait qu’il est difficile de dissocier<br />
Toutes les assemblées ne sont pas<br />
négatives contrairement à ce que laisserait<br />
croire une sorte de pensée qui réduit les<br />
foules à <strong>des</strong> monstres en furie!<br />
9
c u lt ure et plaisir. Passé l’événement du festival, lequel est la partie la plus émergée de notre activité<br />
au re g a rd de gens qui viennent de plus loin, ce à quoi nous croyons absolument, c’est finalement<br />
“l’ordinaire de l’extraordinaire”. C’est-à-dire que quand cela se passe régulièrement, lorsqu’il y a<br />
une pratique régulière de fréquentation du concert, quand cela re n t re dans nos habitu<strong>des</strong> d’aller<br />
voir <strong>des</strong> artistes et quand nous commençons à crédibiliser une salle au point de dire que ce qui s’y<br />
passe, en général, c’est plutôt bien, alors nous atteignons l’objectif visé. C'est donc ce à quoi nous<br />
nous attachons et je pense que c’est quelque chose qui fonctionne même si cela mérite d’être encore<br />
affiné. Le festival et la saison sont <strong>des</strong> choses vraiment importantes au même titre. Je vous souhaite<br />
la bienvenue à Évreux et la bienvenue au festival.<br />
Didier Borde-Pa gès, Directeur Départemental de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Je tiens à souligner<br />
l’intérêt, à mes yeux, du thème que vous avez retenu et dont le sens rejoint les préoccupations<br />
actuelles de notre Ministère et de Madame Buffet. Je veux dire aussi l’intérêt <strong>des</strong> débats que vous<br />
avez prévus puisqu’à tra v e rs les quatre tables ron<strong>des</strong> qui figurent dans votre pro g ramme se<br />
m a rque - et les débats vont, je pense, le confirmer - la pertinence <strong>des</strong> thèmes que vous avez sélectionnés<br />
grâce à la qualité <strong>des</strong> intervenants que vous avez choisis. Je veux dire aussi, c’est un point<br />
qui a été indiqué également tout à l'heure, que votre réflexion va s’articuler avec le festival qui lui<br />
fait suite et qui va donner une forme d’expression à la musique vivante. Ces éléments me para i s-<br />
sent, pour ce qui me concerne en tout cas, positifs. Je retiendrai, en guise de très courte conclusion,<br />
le terme de “Rencontres” que vous avez choisi, pour en souligner à la fois la mo<strong>des</strong>tie et également<br />
la signification de réciprocité. Je crois que cela fait aussi partie <strong>des</strong> gages de la réussite et je vous<br />
souhaite bon vent pour ces Rencontres.<br />
10<br />
Jean-François Marguerin, Directeur Régional <strong>des</strong> Affaires Culturelles de Haute-Normandie : Je<br />
v o u d rais en premier lieu saluer l’initiative de la FFMJC, pour la mise en œuvre de ces Rencontres<br />
qui constituent le prélude, ainsi que cela vient d’être rappelé, de la quinzième édition du festival<br />
“Le Rock dans tous ses États”. C’est moi qui précise qu’il s’agit de la quinzième, mais cela mérite<br />
tout de même d’être souligné tant l’action de cette maison est continue et de qualité.<br />
Ces Rencontres viennent nous rappeler que l’action culturelle, que toute action dans le<br />
domaine de la culture, ne peut pas ne pas être fondée sans un minimum de pensée politique. L’ efficacité<br />
de l’une dépend, en effet, de la cohérence et de la justesse de l’autre. Gardons-nous cependant<br />
de cro i re qu’une pensée n’existe que pour pro d u i re <strong>des</strong> idées convaincantes et <strong>des</strong> réponses<br />
définitives. Vous avez soulevé tout à l'heure<br />
l ’ i mmense question de la démocratisation de<br />
l’accès à l'art et la démocratie culturelle. Je ne<br />
suis pas convaincu que ces termes soient assimilables,<br />
mais qu’ils procèdent de deux démarches fondamentalement antagoniques.<br />
La pre mière consiste à dire qu’il y a <strong>des</strong> œuvres, que ces œuvres doivent être partagées par le<br />
plus grand nombre, que le plus grand nombre doit y avoir accès et poser d’emblée un corpus esthétique,<br />
un corpus artistique à donner en partage à un public. L’ autre, procédant d’une autre démarc he,<br />
consiste à dire qu’il n'y a pas que la production artistique <strong>des</strong> professionnels, qu’il y a une dimension<br />
très anthropologique et très contemporaine de la culture qui passe par quantité de formes et de<br />
ramifications, qui est de l’ord re d’une reconnaissance d’une pluralité culturelle. Je vous rappelle que<br />
constamment dans le champ artistique, on parle de l’universalité <strong>des</strong> formes : par exemple, y a-t-il<br />
une universalité <strong>des</strong> formes ou est-ce qu’elle est “c ontrebattue” par la pluralité d’expressions culturelles<br />
qui, au fond, n’appartiennent qu’à un seul corps social tout en appartenant à diverses composantes<br />
d'un même corps social ? Je ne fais pas la synthèse entre les deux termes qui seraient, d’un<br />
côté, démocratisation de l’accès à l’art et, de l’autre, démocratie culturelle qui s’appellerait démocratisation<br />
culturelle. Je crois que la réflexion et la pensée supposent qu’effectivement on n’évacue<br />
pas les contradictions et, notamment, les contradictions que peut porter une politique publique.<br />
J ’ a i m e rais précisément partager quelque peu avec vous, non pas telle ou telle profession de foi<br />
sur la politique culturelle, mais la question qui sous-tend, il me semble, ce que nous essayons<br />
Toute action dans le domaine de la culture ne peut pas<br />
ne pas être fondée sans un minimum de pensée politique
tous ici de construire : en quoi l’art, et, en ce qui nous concerne ici, les musiques actuelles<br />
j u stifient-elles une prise en compte par les collectivités publiques ? Après tout, voilà bien une<br />
particularité française qui est de porter au premier rang <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> apportées à l’art l’intervention<br />
publique. A un tel point d’ailleurs que la question que je viens de formuler pourrait para î t re<br />
p rovocatrice, voire inutile. Au nom de la tradition de ce pays, de son histoire, au nom de l’aide<br />
que l’État apporte de longue date pour la préservation de son patrimoine artistique, au nom de<br />
son souci d’offrir aux générations de demain un patrimoine sans cesse enrichi <strong>des</strong> apports de la<br />
création artistique ; il est devenu normal, incontournable même, de tenir ensemble les questions<br />
de l’art, <strong>des</strong> moyens publics et de la politique culturelle sans confondre les termes entre<br />
eux. Or, la question a tout son sens car si nous ne nous<br />
la posons pas, nous qui sentons bien, même par habitude,<br />
le bien-fondé du soutien public à l’art, nous risquons<br />
que d’autres se la posent avec l’arrière - p e n s é e<br />
d’intervenir tout autrement dans le champ de la culture<br />
que ne l’autorisent nos règles démocratiques. Je crois savoir qu’il y a ici un représentant du<br />
Sous-Marin de Vitrolles qui aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet.<br />
Revenons à la musique, aux musiques actuelles comme exemple concret <strong>des</strong>tiné à illustre r<br />
ma question et quelques-unes de ses difficultés. Peut-on aider à l’infini, je veux dire sans poser<br />
<strong>des</strong> re p è res techniques, esthétiques, éthiques peut-être, toutes les formes de créations musicales.<br />
<strong>Les</strong> moyens financiers, eux, ne sont pas infinis et cette limite-là nous oblige aujourd’hui, beaucoup<br />
plus qu’au début <strong>des</strong> années 80, à choisir et à savoir comment choisir. Par principe, l’arg e n t<br />
public ne peut supporter l’arbitra ire et son opposé, voire son coro llaire : le gaspillage. Il nous faut<br />
donc savoir, et dans le même temps nous montrer résolument disponibles, à la grande liberté d’invention,<br />
de renouvellement, de subversion inhérentes à la création. Voilà une pre m i è re diffic u l t é .<br />
Il est bien clair que si nous négligeons, ne serait-ce que d’y penser, notre politique culture l l e<br />
risque de ne plus être qu’un catalogue de bonnes intentions que les réalités viendront violemment<br />
c o n t re d i re. Depuis <strong>des</strong> années, on parle beaucoup de cette autre justification <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> publiques<br />
et notamment de celle de l’État qu’est l’éducation artistique de tous. Mais, si je considère l’histoire<br />
<strong>des</strong> musiques actuelles, j’observe une vraie constante historique de toutes ces musiques (depuis<br />
les débuts du jazz jusqu’au rap et à la techno, en passant bien sûr par toutes les formes de ro c k )<br />
qui veut que jamais la transmission, l’émergence <strong>des</strong> nouveaux styles, ne soit passée par une quelconque<br />
question d’éducation artistique publique. <strong>Les</strong> musiques actuelles, c’est un fait récurre n t ,<br />
naissent généralement contre les pouvoirs, contre la cohésion sociale et culturelle, contre les<br />
intentions politiques, fussent-elles les plus démocratiques qui soient. Alors, donner <strong>des</strong> moyens<br />
publics pour que ces musiques participent à l’effort éducatif, certes indispensable à la nation,<br />
c’est encore un vrai sujet de réflexion qui appelle au minimum un peu de discernement.<br />
Je pourrais vous décliner une autre facette de la même question, celle de la médiation culturelle<br />
comme une <strong>des</strong> réponses que nous sommes évidemment tentés d’apporter à tout ce qui s’offre<br />
de complexe, de contra dictoire, d’inabordable, parfois, dans le vis-à-vis frontal de l’art, <strong>des</strong> artistes<br />
et de la chose publique. Je ne ferai qu’ouvrir cette question, qui est du reste une <strong>des</strong> plus diffic iles<br />
et dont vous parlerez certainement au cours de ces Rencontres.<br />
Mon intention est tout simplement d’intro duire votre thématique “Musiques et Citoyenneté<br />
dans tous leurs États” par une invitation pressante à penser et repenser ce pourquoi nous<br />
a g i s s o n s ,“missionnés” les uns et les autres à titres divers par la collectivité tout entière. Nous<br />
avons à gérer un peu de ce bien commun aux citoyens de ce pays, un bien dont la nécessité n’a<br />
rien d’évident, comparé à la santé, aux voies de communication ou à l’enseignement du fra n ç a i s<br />
ou <strong>des</strong> mathématiques aux enfants par exemple, mais qui touche pourtant à quelque chose d’extrêmement<br />
important. Chaque aide que nous apportons à un créateur, quel que soit son mode<br />
Par principe, l’argent public ne peut<br />
supporter l’arbitra i re et son opposé,<br />
v o i re son coro l l a i re : le gaspillage<br />
d ’ e x p ression et son style, pour qu’il crée et pour qu'il transmette aux autres ce qu’il crée, est un<br />
rappel vivant du prix de la liberté, de l'imaginaire et du plaisir. ❙<br />
11
2<br />
DRUGSTORE
Enjeux et responsabilités<br />
du secteur associatif<br />
Franck Lepage, directeur MJC, chargé du développement<br />
culturel de la FFMJC : De quel secteur<br />
p a r l e -t-on ? De cette nébuleuse que l'on appelle “les<br />
associations" (cette forme facile à travers laquelle<br />
trois quidams vont déposer les statuts à la préfecture,<br />
et se prennent ipso facto pour <strong>des</strong> démocrates ou <strong>des</strong><br />
citoyens) et dont on nous rabâche qu'elles sont 800 000 ?<br />
Ou bien parle-t-on d'un secteur de l'action publique délégué<br />
par l'État, ou conquis par la société civile depuis 50<br />
ans, légitimé, reconnu et co-responsable d'une mission<br />
d'intérêt général, qui peut prétendre émarger sur l'argent<br />
public, redistribution de l'impôt prélevé sur la population<br />
et qui doit retourner à la population ?<br />
Je pose la question <strong>des</strong> associations contre le “secteur<br />
associatif" et du choix, mené depuis l'arrivée au pouvoir<br />
<strong>des</strong> Socialistes, de jouer la carte de micro-associations<br />
non regroupées et non fédérées, totalement isolées, contre<br />
Au tournant <strong>des</strong> années 80, la culture devient<br />
quelque chose de rapidement utile électora l e m e n t<br />
de grands regroupements du type fédération nationale<br />
d'éducation populaire, viscéralement insupportables à un<br />
pouvoir obsédé de modernisation – c'est-à-dire de libéralisation,<br />
de dérégulation, d'éclatement, d'individualisation<br />
<strong>des</strong> problèmes…<br />
Cette “bonne-mauvaise" idée de vouloir changer<br />
un peu le style de l'intervention publique, le style de l'action<br />
publique en essayant de “rapprocher le citoyen du<br />
pouvoir". Traduisez : de supprimer les intermédiaires,<br />
congédier les associations organisées en rapport de force<br />
ou en rapport de pouvoir, au motif qu'elles feraient finalement<br />
écran entre les habitants et le pouvoir public. On a<br />
vu naître, en effet, avec le style socialiste, après trente<br />
années de “droite" républicaine et gaulliste, puis pompidolienne<br />
et giscardienne, un style d'intervention publique<br />
que certains ont appelé “l'État-animateur". L'État s'est<br />
mis en tête d'agir plus efficacement en intervenant directement<br />
auprès <strong>des</strong> gens et de la population, en mettant en<br />
place un certain nombre de dispositifs. Dans le champ culturel,<br />
c'est ce que j'appelle l'effet “Jack Lang" : le passage<br />
très brutal <strong>des</strong> années du “tout politique”, en gros les<br />
années 70, au “tout culturel” <strong>des</strong> années 80, dans lequel<br />
on peut considérer que le politique a commencé à se porter<br />
plutôt mal. De nombreux ouvrages ont analysé ce phénomène,<br />
y compris celui de Marc Fumaroli<br />
MO D É R AT E U R :<br />
“L'État Culturel". Ce passage du “tout politique"<br />
au “tout culturel" dans les années 80 Franck Lepage,<br />
DIRECTEUR MJC, CHARGÉ<br />
me semble être au centre <strong>des</strong> questions que<br />
DU DÉVELOPPEMENT<br />
nous essayons de nous poser dans le cadre de CULTUREL DE LA FFMJC.<br />
cette table ronde.<br />
INTERVENANTS :<br />
Au tournant <strong>des</strong> années 80, la culture<br />
devient quelque chose de rapidement utile<br />
Bruno Colin,<br />
DIRECTEUR D’OPALE<br />
é l e c t o ralement. La plupart <strong>des</strong> pouvoirs , (ORGANISATION POUR LES<br />
nationaux, locaux ou régionaux, se rendent PROJETS ALTERNATIFS<br />
D’ENTREPRISES),<br />
très vite compte qu'il s'agit là d'une idéologie<br />
capable de glorifier le dynamisme factice Philippe Berthelot,<br />
ADMINISTRATEUR DE LA<br />
d'une nation dans une période de crise<br />
FEDUROK ET DIRECTEUR<br />
économique, dans une période durant DU FLORIDA - AGEN,<br />
laquelle il devient difficile de prétendre<br />
créer <strong>des</strong> entreprises dans tous DIRECTEUR DU SOUS-MARIN<br />
Loïc Taniou,<br />
VITROLLES,<br />
les coins alors qu'en revanche, la création<br />
d'entreprises culturelles semble assez facile. Huguette Bonomi,<br />
DIRECTRICE MJC CORDERIE<br />
Cette valorisation du dynamisme français<br />
MARSEILLE,<br />
dans une période où le capitalisme entre<br />
Jacques Subileau,<br />
dans une transformation radicale me semble<br />
PRÉSIDENT DE GÉNÉRATIONS<br />
jouer un rôle important en termes de communication<br />
du pouvoir. Je dirais de “communi-<br />
Renaud Vischi,<br />
SONORES - ST-DENIS,<br />
cation électorale" pour ne pas dire de “communication<br />
politique" parce que je trouve<br />
CHERCHEUR EN SCIENCE<br />
POLITIQUE.<br />
cela très peu politique. Au plan international, c'est “l'effet<br />
Découflé" : une nation qui est capable d'autant d’humour,<br />
de deuxième degré, d'ironie ludique et de “richissime<br />
créativité" dans une cérémonie aussi pompeuse et fasciste<br />
que l'ouverture de jeux olympiques, est forcément une<br />
13<br />
société en avance sur les autres et qui affiche, avec une<br />
désinvolture de gagnants, qu'elle n'a pas trop de soucis.<br />
La mort du “politique" (“ceci vaut mieux que<br />
cela”) et sa substitution par le “culturel" (“tout se vaut")<br />
c'est “l'effet Goude" (celui du défilé du bicentenaire de la
14<br />
Révolution), à savoir que si la France de 1789 entendait<br />
exporter la démocratie, celle de 1989 n'a plus de leçon à<br />
donner au reste <strong>des</strong> peuples de l'univers. On organise un<br />
défilé qu'on appelle “les tribus planétaires" dans lequel<br />
chaque population du globe est caractérisée par son cliché.<br />
<strong>Les</strong> Anglais sont arrosés par <strong>des</strong> trombes d'eau, les<br />
Noirs tapent évidemment sur <strong>des</strong> tam-tams, etc. Chacun<br />
chez soi dans sa référence culturelle, la main invisible<br />
du marché fera le reste. En 1793, la France<br />
annonce “tranquillement" qu'elle ira se porter au<br />
secours <strong>des</strong> peuples qui en feront la demande,<br />
qu'elle ira libérer <strong>des</strong> tyrans et <strong>des</strong> oppresseurs tous<br />
ceux qui le désirent et qu'elle entend imposer un modèle<br />
d'organisation politique et de démocratie... Deux cents ans<br />
après, la politique est devenue quelque chose de très dangereux<br />
qui aboutit forcément au stalinisme... Cette relecture<br />
de la Révolution se fait sous les auspices d'une célébration<br />
follement gaie en présence <strong>des</strong> chefs d'États de la<br />
planète.<br />
Depuis 1982, avec la décentralisation, la France, où<br />
depuis deux siècles l'État est garant de la démocratie et de<br />
la liberté contre les poujadismes et les clientélismes <strong>des</strong><br />
maires, donne brutalement un pouvoir extrêmement<br />
important aux collectivités locales. On voit donc apparaître<br />
<strong>des</strong> “maires-animateurs", se multiplier le nombre<br />
d'adjoints à la culture (alors qu'en 1972, ils sont 20 en<br />
France, c'est dire si l'enjeu culturel est inexistant dans les<br />
communes, aujourd'hui, il est presque impossible d'aller<br />
dans le moindre village de France sans qu'il y ait un<br />
adjoint à la culture). <strong>Les</strong> années 80 sont les années durant<br />
lesquelles les municipalités tournent le dos aux équipements<br />
polyvalents, type MJC, centres socio-culturels supposés<br />
porter les revendications et les attentes <strong>des</strong> populations.<br />
<strong>Les</strong> municipalités se lancent à fond dans <strong>des</strong> Centres<br />
d’Action Culturelle, supposés convaincre les administrés de<br />
l'excellence de l'équipe municipale. À cette époque, le<br />
rock, activité prolétaire, délinquante et sans aucun intérêt<br />
électoral, se porte plutôt mal dans les municipalités qui<br />
s'entichent plutôt de saisons théâtrales. Ce sont incidemment<br />
les années où le hip-hop commence à se structurer<br />
dans l'ombre et en secret.<br />
À partir de 1989, et “l'effet Vaulx-en-Velin", les<br />
choses vont prendre un virage. Pour la première fois<br />
depuis très longtemps dans ce pays, on assiste à <strong>des</strong><br />
émeutes urbaines, <strong>des</strong> vraies, comme aux Etats-Unis, qui<br />
se multiplient et finissent par affoler le pouvoir. Nombre<br />
d'élus et de maires se sont alors exprimés à la télévision en<br />
affirmant ne pas comprendre ces émeutes (“on leur avait<br />
construit un gymnase, c'était pour eux, ils l'ont brûlé,<br />
on ne comprend pas…"). En revanche, ce que vont très<br />
vite comprendre les élus, c'est que le rock, rebaptisé<br />
“musiques urbaines" par la technocratie, pourrait devenir<br />
utile pour calmer le jeu. On voit alors un certain<br />
nombre d'élus, à la suite d'émeutes, <strong>des</strong>cendre dans les<br />
quartiers et signer <strong>des</strong> chèques à <strong>des</strong> jeunes pour qu'ils<br />
achètent, ici un sampler ou là <strong>des</strong> guitares, etc. Cet affolement<br />
du politique est légitime. A la fin <strong>des</strong> années 80,<br />
après quinze ans de libéralisme de gauche, la contradiction<br />
entre le niveau de richesse qui ne cesse d'augmenter<br />
<strong>Les</strong> années 90 vont être les années durant lesquelles<br />
la pacification sociale à court terme va devenir l'urgence<br />
absolue <strong>des</strong> pouvoirs politiques<br />
dans ce pays, et l'accroissement du nombre de pauvres et<br />
de gens en situation difficile devient tout simplement<br />
insupportable et incompréhensible en l'absence de cadres<br />
de réflexions et d'analyses politiques. Or, plus personne<br />
- et surtout pas la gauche - ne parle de capitalisme, on<br />
n'entend plus d'analyses de classes et personne ne remet<br />
en cause la société de consommation comme avaient pu le<br />
faire nos aînés de 68. <strong>Les</strong> symptômes dans les quartiers<br />
sont eux de plus en plus lisibles : violence, crise complète<br />
de l'école qui, jusque là, était l'institution sur laquelle tout<br />
le monde pouvait compter, mais qui est à revisiter complètement<br />
et n'a toujours pas les moyens de sa propre<br />
relecture. <strong>Les</strong> élus sont donc légitimement inquiets et les<br />
années 90 vont être les années durant lesquelles la pacification<br />
sociale à court terme va devenir l'urgence absolue<br />
<strong>des</strong> pouvoirs politiques. Il faut absolument calmer le jeu et<br />
après tout, si la guitare, le rap, etc, peuvent contribuer à<br />
cela, alors dans ce cas-là, pourquoi pas ? On voit alors<br />
apparaître <strong>des</strong> discours sur la substitution de l'emploi et<br />
du travail par <strong>des</strong> pratiques culturelles. Par exemple à<br />
Annecy, lorsque l'on met en place un centre municipal <strong>des</strong><br />
musiques amplifiées, le discours est que “de toute façon,<br />
les jeunes n'auront plus de travail, ils n'ont absolument<br />
aucune chance d'avoir accès, un jour dans leur vie, à<br />
un processus de production ; mais que s'ils font de la<br />
musique, ils font une production, ils sont dans un processus<br />
de production".<br />
Sachant que la seule façon connue de contribuer à<br />
la production de la société est d'être intégré dans un rapport<br />
salarial à un emploi, un métier, peut-on produire ou<br />
contribuer à produire la société avec de la musique ?<br />
Existe-t-il un “travail" musical par défaut d'emploi ? Que<br />
signifie cette apparition de notion d'entreprise musicale ?<br />
Quelle est cette fascination de l'appareil d'Etat pour “l'esprit<br />
d'entreprise", et qui aura donné naissance à la catast<br />
rophe démagogique <strong>des</strong> cafés-musique, entre p r i s e s<br />
“gérées-par-<strong>des</strong>-jeunes-pour-<strong>des</strong>-jeunes-avec-<strong>des</strong>jeunes",<br />
MJC relookées grunge et graf pour l'alibi artistique,<br />
fantasme d'une société qui voit s'effondrer - par<br />
manque de vigilance - ses acquis et qui veut se rassurer.
Cette division de l'action publique en dispositifs de<br />
traitement séparé <strong>des</strong> populations sonne le glas de pratiques<br />
démocratiques encombrantes. On ne peut pas<br />
reconstruire politiquement le problème du “qui on est ?"<br />
et du “pourquoi on en est là ?" dans cette société, si<br />
immédiatement on nous met dans un secteur, sous une<br />
étiquette et qu'on nous propose de faire de la musique et<br />
rien d'autre. Comment permettre à <strong>des</strong> jeunes de se<br />
construire comme sujets politiques quand on les traite<br />
comme <strong>des</strong> objets sociaux ? Qu'est-ce que la citoyenneté,<br />
si ce n'est la confrontation politique avec <strong>des</strong> gens qui ne<br />
partagent pas la même vision que soi ? Confiner les jeunes<br />
avec les jeunes pour se livrer à <strong>des</strong> pratiques de jeunes est<br />
le fantasme vichyste-pétainiste par excellence. Le citoyen<br />
n'est plus celui dont la volonté produit du droit, mais celui<br />
dont la soumission lui ramène un sampler. Si la musique<br />
peut aider à amener <strong>des</strong> jeunes vers le politique, c'est<br />
effectivement parce que le secteur associatif se sera posé<br />
la question du politique dans sa façon de proposer de la<br />
musique. Sinon, autant se passer de la musique et aller<br />
directement au politique !<br />
Dans un cas, l'objectif est de calmer <strong>des</strong> “objets<br />
sociaux" en les séparant <strong>des</strong> adultes, et en agglomérant les<br />
jeunes sur <strong>des</strong> sujets qui les rassemblent, ce qui les amène à<br />
être considérés, de plus en plus souvent, comme <strong>des</strong> clients.<br />
Dans l'autre cas, il s'agit d'aider à la construction de sujets<br />
politiques en organisant la re ncontre contra dictoire avec<br />
<strong>des</strong> adultes sur <strong>des</strong> sujets qui les divisent. La démocratie ne<br />
se résume pas à la liberté d'expression qui n'est que le premier<br />
temps d'un processus démocratique. Une société est<br />
démocratique quand elle se reconnaît divisée et qu'elle se<br />
Comment permettre à <strong>des</strong> jeunes de se construire<br />
comme sujets politiques quand on les traite comme<br />
<strong>des</strong> objets sociaux ? Qu'est-ce que la citoyenneté, si ce<br />
n'est la confrontation politique avec <strong>des</strong> gens qui ne<br />
partagent pas la même vision que soi ?<br />
fixe comme objectif d'associer toutes ses composantes à<br />
part égale dans l'expression de ses divisions, dans leur mise<br />
en délibération pour arriver à un arbitrage. <strong>Les</strong> ra peurs s'expriment,<br />
mais dans une société qui permet massivement la<br />
liberté d'expression, cela n'a strictement aucun intérêt si<br />
cela n'est pas suivi d'effet, d'une confrontation avec le politique.<br />
On peut conchier les institutions dès lors que cellesci<br />
l'autorisent. Le rock et les musiques émergentes sont-ils<br />
un moyen d'aller vers le politique ou de s'en extra ire ? Il me<br />
semble que la responsabilité du secteur associatif est plutôt<br />
proche de la pre mière alternative…<br />
Bruno Colin, directeur d’Opale (Organisation pour les<br />
Projets Alternatifs d’Entreprises) : L'association Opale<br />
s'est beaucoup occupée <strong>des</strong> “cafés-musique”, dont on<br />
vient de parler, en publiant notamment un guide et une<br />
évaluation de fonctionnement ainsi qu’un essai de mise en<br />
réseaux de porteurs de projets et de gens qui développaient<br />
<strong>des</strong> activités. Depuis un an maintenant, nous<br />
éditons une revue, “Culture et Proximité”, qui essaie de<br />
proposer la philosophie de notre travail. A savoir que nous<br />
n'avons rien de spécial à dire si ce n'est de nous présenter<br />
comme un outil de restitution, aussi fidèle que possible,<br />
de la parole <strong>des</strong> gens qui essaient, aujourd'hui, d'inventer<br />
de nouvelles réponses aux besoins divers. Recherche de<br />
sens, de vision du futur, d'organisation de la vie en communauté<br />
dans l'espace local.<br />
On m'a demandé d'intervenir sur la notion d'économie<br />
solidaire parce que nous y avons fait et y faisons<br />
encore référence dans un certain nombre de cas. Nous<br />
avons <strong>des</strong> relations privilégiées avec <strong>des</strong> chercheurs qui<br />
évangélisent dans les colloques sur ces notions-là et nous<br />
essayons d'organiser <strong>des</strong> re ncontres inter-réseaux de<br />
“l'économie solidaire", bien que cette notion soit floue et<br />
qu'elle ait <strong>des</strong> acceptions différentes. Certains réseaux se<br />
réunissent pour essayer d'organiser <strong>des</strong> échanges d'idées<br />
et d'expériences pour faire en sorte que, sur un territoire,<br />
<strong>des</strong> forces qui théoriquement vont dans <strong>des</strong> directions différentes<br />
aient de plus en plus envie de se croiser, de se<br />
confronter pour imaginer <strong>des</strong> choses ensemble. J'essaierai<br />
donc de vous dire, avec mes mots à moi, ce que l'on<br />
entend par là.<br />
“Économie solidaire”, c'est pour moi, en fait, associer<br />
une sorte de principe de la réalité à une utopie. C'est,<br />
en tout cas, essayer de refuser la séparation qui est habituelle<br />
entre l'économie libérale, enfin l'économie<br />
de Marché - avec un “m” majuscule dans les textes<br />
maintenant - et d'un autre côté, la Solidarité, que<br />
l'on écrit également avec un “s” majuscule. On<br />
aurait donc, d'un côté, une organisation tout à<br />
fait libre et sans contrainte de l'échange dans la<br />
communauté humaine et, de l'autre côté, une<br />
réparation <strong>des</strong> dégâts et la re distribution.<br />
Il s'agit de s'intéresser à l'organisation d'activités<br />
qui ne soient pas complètement dépendantes de la re d i s-<br />
tribution et de voir le lien avec les usagers auxquels elles<br />
s ' a d ressent. Pour une part, ceux qui organisent ces activités<br />
sont dans le principe de réalité de l'économie, dans<br />
une certaine forme de marché en tout cas, où <strong>des</strong> pre s-<br />
tations se vendent en fonction <strong>des</strong> re s s o u rces <strong>des</strong> personnes<br />
auxquelles elles s'adressent. Tout cela avec une<br />
part de redistribution et une valorisation <strong>des</strong> apports<br />
v o l o n t a i res qui sont réalisés dans ces secteurs associatifs.<br />
On rejoint là, avec d'autres mots, ce que disait Fra n c k<br />
Lepage tout à l'heure en parlant de secteurs délégataire s ,<br />
de mission de service public.<br />
15
16<br />
Pour ma part, derrière ce terme-là, je ne mets pas de<br />
mot d'ordre, de philosophie. C'est pour moi une manière<br />
de prendre les choses selon différents points de vue qui me<br />
semblent souvent importants pour sortir <strong>des</strong> consensus,<br />
<strong>des</strong> valeurs exaspérantes, puisqu'en réalité, dans les discours<br />
<strong>des</strong> gens de tous bords, on se rejoint sur les valeurs,<br />
mais sur les comportements cela ne fonctionne pas et rien<br />
n'avance. Ensuite, nous pouvons partir d’un principe<br />
d'égalité qui va être de se dire, par exemple, si on étudie<br />
en valeur d'économie, pourquoi une association, qui est<br />
dans un réseau alternatif, peut acheter un spectacle cinq<br />
fois moins cher (l'échelle peut varier de 1 à 10) qu'une collectivité<br />
locale ou parfois une MJC. J'ai pu entendre une<br />
MJC, dont je tairai le nom, qui a demandé une étude de<br />
faisabilité, sur le principe de “l'économie solidaire" justement,<br />
pour la mise en place de studios de répétitions, et<br />
qui n'envisageait même pas au début de cette étude de<br />
mettre en discussion le prix de l'heure de répétition (il<br />
était à peu près de 5 francs) qui correspondait à peine à la<br />
consommation électrique !<br />
Dans l'analyse économique que nous avons essayé<br />
de faire à partir <strong>des</strong> réseaux <strong>des</strong> “cafés-musique”, nous<br />
avons tenté de travailler en essais de valorisation à partir<br />
<strong>des</strong> données dont nous disposions : mises à disposition de<br />
locaux, d'énergies, de personnels qui pouvaient être<br />
apportés à <strong>des</strong> associations ou à <strong>des</strong> structures dites “c afésmusique".<br />
Ou d'un autre côté, à <strong>des</strong> apports de bénévolat<br />
forcé en fait, réalisé par <strong>des</strong> gens qui souhaitaient constituer<br />
leur propre outil de travail en espérant qu'une certaine<br />
économie allait se dégager pour favoriser la création de<br />
leur poste de travail, plutôt qu'un bénévolat comme on a<br />
l'habitude d'en parler, une sorte d'envie de participer à<br />
une action collective et d'y trouver sens et de le faire dans<br />
le cadre de son temps de loisir. En essayant de valoriser<br />
cela, nous nous sommes aperçus de disparités absolument<br />
incroyables dans un réseau comme celui-là, même s'il était<br />
un peu arbitra i re de par l'existence d'un pro g ra m m e<br />
d'État. Malgré tout, nous avions, à partir d'une même philosophie<br />
du service adressé à une communauté<br />
humaine dans un espace local, le même style<br />
d'activités qui, d'un endroit à un autre, pre n a i t<br />
<strong>des</strong> config u rations d'organisations économiques<br />
radicalement différentes. Ceci faisait que si ces<br />
p e rsonnes-là étaient autour d'une table, chacun allait<br />
sortir <strong>des</strong> chiffres, notamment sur l'autofinancement, si<br />
bien que l'on n'y comprenait plus rien. Nous n’avons<br />
jamais pu qu'en témoigner, ce qui fait que les solutions<br />
ne sont pas faciles à proposer et imaginer.<br />
Dans l'espace d'une communauté urbaine, <strong>des</strong> gens<br />
cherchent à améliorer leurs conditions de vie en relation<br />
directe avec les usagers. Nous sortons peut-être là de la<br />
notion d'éducation, mais en entrant dans une sorte d'essai<br />
de rencontre entre une offre et une demande pour<br />
construire collectivement quelque chose. Même s’il y a <strong>des</strong><br />
“professionnalités” qui proposent <strong>des</strong> services à <strong>des</strong> gens<br />
qui en sont “consommateurs", et <strong>des</strong> principes de réalité<br />
économique qui permettent de comparer d'un endroit à<br />
un autre la part <strong>des</strong> finances publiques.<br />
Il faut que nous trouvions un moyen de faire exister les<br />
individus par leur pratique elle-même et pas seulement par<br />
une viabilité, qu'elle soit économique, sociale ou politique<br />
Philippe Berthelot, administrateur de la FEDUROK et<br />
directeur du Florida - Agen : Sur ces musiques, un premier<br />
constat : dans l'exercice de la citoyenneté, nous nous<br />
apercevons que n'étant pas qualifiées correctement, donc<br />
pas identifiées par la société et notamment par le politique,<br />
il y a un déficit de reconnaissance et que, effectivement,<br />
elles ont pu s'exprimer mais uniquement dans la<br />
marginalité. Cela veut dire qu’un processus de marginalisation<br />
s’est mis en place, tout à fait institutionnel, qui, à<br />
défaut de qualification et d'identification, plaçait <strong>des</strong><br />
populations et par conséquent <strong>des</strong> citoyens - que je trouve<br />
de moins en moins jeunes - dans une sorte de non<br />
reconnaissance citoyenne alors qu'ils avaient les mêmes<br />
droits. Il s'agit, à mon avis, de la problématique <strong>des</strong><br />
musiques dites actuelles, amplifiées… du fond du problème.<br />
De là, il est beaucoup plus simple d'imaginer un tiers<br />
secteur à partir du moment où on ne veut pas s'en occuper.<br />
Après, on peut également se positionner sur la difficulté<br />
qu'ont ces musiques à vivre, s'exprimer, à <strong>des</strong><br />
musiques qui se retrouvent sur plusieurs champs parce<br />
qu'elles n'ont pas trouvé d'autres moyens d'exister et<br />
notamment un champ économique. Certains parleront de<br />
loisir mais il y a une revendication politique et donc un<br />
lien social, une reconnaissance. Est-ce que c'est l'idée d'aller<br />
chercher un tiers, ou est-ce que c'est l'idée de faire<br />
cohabiter cet ensemble ?<br />
Ce sur quoi j'essaie de militer consiste en un système<br />
qui ne soit pas fondamentalement institutionnalisé,<br />
qui ne re ntre pas sous les fourches caudines d'un État,<br />
quel qu'il soit et quelle que soit sa forme gouvernementale,<br />
et entretienne une sorte d'espace de subversion p ermanente,<br />
comme devraient l'être la culture et l'art en général.<br />
Mais nous ne pouvons ignorer qu’existe le champ d’un<br />
système économique qui amène, fondamentalement, par<br />
la force <strong>des</strong> choses puisque c'est quand même ce que la<br />
planète a mis en place globalement, à un système de marché<br />
d'économie “libérale". Reste à savoir comment exister<br />
sur ces deux champs, est-ce que c'est cela la notion de<br />
“tiers secteur" ? Pour ma part, il est clair qu'il faut que<br />
nous trouvions un moyen de faire exister les individus par
leur pratique elle-même et pas seulement par une viabilité,<br />
qu'elle soit économique, sociale ou politique. C'est<br />
avant tout le droit à l'expression car, pour moi, le droit à<br />
l'expression est un droit fondamental. Quand je dis<br />
“e xpression”, c'est à la fois faire éventuellement ce que<br />
d'autres ont déjà fait, mais aussi faire ce que l'on a envie<br />
de faire et qui n'a pas été fait. Il s'agit d'une démarc he<br />
fondamentale qui devrait être dans la Constitution, c'està-dire<br />
le droit culturel et pas seulement le droit à la culture.<br />
Je ne crois pas qu’il faille opposer démocra tisation<br />
et démocratie culturelle. Je crois qu’il faut que nous<br />
ayons une vraie réflexion pour sortir d’un schéma fortement<br />
teinté XIX e siècle. Le stade ultime ayant été Malra ux<br />
avec un système qui a un peu raté l'éducation populaire .<br />
Je ne suis pas persuadé que l'on soit dans une opposition<br />
<strong>des</strong> deux, mais que nous sommes, effectivement, dans un<br />
schéma où les deux peuvent se re trouver.<br />
Po u rquoi lorsque nous essayons d'être un peu<br />
plus tra n s v e rsal, on apparaît comme excessivement<br />
d a n g e reux ?<br />
Pour ce qui nous intéresse au quotidien, en tant<br />
qu'équipement, nous sommes toujours en train d'alterner<br />
entre ces différents paradoxes, ces différentes tendances.<br />
Que ce soit avec le politique local, le politique national,<br />
que ce soit avec les différents courants musicaux, les différentes<br />
associations ou bien encore avec l'Éducation<br />
nationale, qui finit par vous interpeller, que ce soit avec les<br />
opérateurs autres que culturels. Nous revenons de plus en<br />
plus au centre. Je pense que les MJC n'y échappent pas et<br />
ont toujours été au centre. Ensuite, nous pouvons nous<br />
demander si le fait de se mettre en réseau, en fédération<br />
- je le conçois d'autant plus facilement qu'on a éprouvé le<br />
besoin de nous mettre nous-mêmes en fédération type<br />
Fédurok il y a à peine quatre ans - peut procéder aussi<br />
d'un cloisonnement supplémentaire. Dans le cadre de la<br />
tournée “Musique et Citoyenneté", un <strong>des</strong> gra n d s<br />
constats que nous avons pu faire est qu’il existe <strong>des</strong> systèmes<br />
qui sont complètement parallèles. Par exemple, il y<br />
a le système <strong>des</strong> MJC avec leur historique et leur territ<br />
o ire, leur chasse gardée, le système para-municipal, etc.<br />
Lorsque vous arrivez au milieu de tout cela, vous essayez<br />
de travailler sur une sorte de “transversalité", ce n'est<br />
plus de “l'économie solidaire", sur une action de fond, de<br />
lutter contre <strong>des</strong> idéologies anti-culturelles, d'exclusion,<br />
qui trouvent leur aboutissement dans l'expression du<br />
Front National, mais que globalement on a retrouvé dans<br />
tous les courants politiques, sur ce terrain <strong>des</strong> musiques<br />
j'entends. Il y a un cloisonnement qui est entretenu, que<br />
l'on retrouve de plus en plus et qui est développé aussi<br />
bien par les médias que par certains politiques dans le<br />
t raitement de ces musiques, en parlant une fois de la<br />
techno, une fois du rap, une fois de jazz. Cela participe<br />
aussi à une sorte d'enfermement, “d'apartheid musical"<br />
et empêche toute politique cohérente de se mettre en<br />
place. C'est peut-être aussi de cela dont nous pourrions<br />
débattre, du pourquoi lorsque nous essayons d'être un peu<br />
plus transversal, un peu plus large, on apparaît comme<br />
excessivement dangereux ?<br />
Je voudrais juste conclure ma première intervention<br />
sur ce point : le Florida, dont je m'occupe à Agen, a beau<br />
essayer d'amener une ouverture maximale sur les<br />
musiques : tous ceux qui veulent sa peau nous dénomment<br />
comme étant un centre islamiste, une école de rap<br />
ou un centre dit “culturel”. La reconnaissance, le droit à<br />
l'expression restent encore <strong>des</strong> débuts, <strong>des</strong> entrées premières<br />
pour parler de citoyenneté. C'est pour cela que je<br />
reviens un instant sur la Déclaration. C'est certainement<br />
insuffisant mais la tournée a permis de dégager une<br />
prise de conscience, de la part <strong>des</strong> différents lieux<br />
qui ont accueilli le débat, sur la problématique du<br />
Sous-Marin dont parlera Loïc. Certains d'entre nous<br />
ont découvert que l'on pouvait être aussi <strong>des</strong> lieux<br />
de débat et donc de confrontation. Certains étaient tellement<br />
fermés dans leur logique de diffusion, leur logique<br />
d'existence, de survie, qu'ils avaient oublié qu'ils pouvaient<br />
être <strong>des</strong> espaces de contradictions, de débats voire<br />
de subversion.<br />
Loïc Taniou, directeur du Sous-Marin - Vitrolles : Le<br />
Sous-Marin à Vitrolles a récemment été muré par la municipalité<br />
Front National. Cela faisait bientôt un an que la<br />
tension montait. Cela a monté depuis le concert de soutien<br />
où il y avait Noir Désir, Miossec, Massilia et d'autres<br />
groupes, et 4500 personnes venues soutenir le Sous-Marin<br />
pour renflouer ses caisses et aussi pour le conforter dans<br />
sa démarche artistique puisque, au mois de juin, le Sous-<br />
Marin avait été frappé du “délit de sale musique". On<br />
nous avait dit que notre programmation développait les<br />
mauvais instincts de la jeunesse et, de fait, ces musiqueslà<br />
- les musiques actuelles, les musiques amplifiées, le rock,<br />
le rap, la techno - ont été taxées de musiques dégénérées<br />
et de musiques tribales développant, encore une fois, les<br />
mauvais instincts de la jeunesse.<br />
Nous nous retrouvons dans le schéma d’une attaque<br />
virulente d'un parti politique, le F.N., sur <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles qui connaissent un succès populaire. Nous nous<br />
retrouvons dans une logique d'art dégénéré comme on<br />
l’entendait en 1940. Quelque part, c'est aussi la jeunesse<br />
qui a été attaquée, tout comme la citoyenneté. Nous nous<br />
sommes posé la question de savoir pourquoi ils avaient<br />
muré, pourquoi ils avaient cassé avec <strong>des</strong> barres de fer les<br />
panneaux de verre du Sous-Marin, pénétré à l'intérieur,<br />
17
18<br />
Un espace de résistance citoyenne avait été élaboré<br />
à partir du Sous-Marin<br />
soudé les portes et monté un mur. En fait, outre la programmation<br />
que nous faisions et l'espace de palabre qui<br />
était ouvert au quotidien et où les gens se rencontraient,<br />
ainsi que les ateliers avec les associations, les coproductions<br />
et l'ensemble <strong>des</strong> concerts que nous organisions, il y<br />
avait un espace de citoyenneté qui s'était développé. Il<br />
faut savoir que les associations de Vitrolles, notamment<br />
coordonnées autour de la C.A.V. qui représente environ 50<br />
associations sur Vitrolles, n'avaient plus vraiment accès à<br />
<strong>des</strong> lieux publics pour tenir leurs réunions. Nous avions<br />
donc mis à disposition notre salle de spectacle pour les<br />
réunions. Evidemment, il y avait un espace de résistance,<br />
et notamment de résistance citoyenne, qui avait été élaboré<br />
à partir du Sous-Marin. Or, le Sous-Marin, lieu<br />
c u l t urel, était ouvert à 50 mètres de la mairie et cela<br />
gênait considérablement.<br />
La liberté d'expression me semble être une question<br />
fondamentale, pour les associations et l’ensemble<br />
<strong>des</strong> citoyens. Dès le départ, lorsque nous<br />
avons monté notre association “café-musique"<br />
- la Lettre d'Opale n° 7 parle beaucoup de ce<br />
droit à l'initiative à partir du mouvement associatif - il a<br />
fallu que l'on montre aux élus notre volonté de monter un<br />
projet ouvert au niveau <strong>des</strong> jeunes dans un centre - v i l l e .<br />
Un projet capable de faire plusieurs choses : de l'économie,<br />
de l'insertion, de la diffusion pour que les gens accèdent<br />
à la culture au quotidien ou à <strong>des</strong> spectacles auxquels<br />
ils n'ont pas accès puisqu'il s'agissait de musiques que la<br />
municipalité ne prenait pas en compte. La municipalité<br />
développait une politique culturelle en direction du
t h é â t re, du jazz et pas en<br />
direction <strong>des</strong> musiques électriques.<br />
Ce sont <strong>des</strong> choses<br />
comme cela qu'il a fallu mont<br />
rer aux élus pour les<br />
convaincre, pour qu'ils prennent<br />
conscience de l'intérêt de<br />
notre existence dans le centreville.<br />
Comme on amène <strong>des</strong><br />
jeunes, donc du bruit qui gêne<br />
la population un peu plus<br />
âgée, et que le politicien calcule<br />
en nombre de voix, il y a<br />
donc eu <strong>des</strong> barrages qu'il<br />
nous a fallu casser avant<br />
d'avoir la reconnaissance et de<br />
pouvoir monter un projet avec<br />
le Ministère de la Culture et la<br />
ville de Vitrolles, et obtenir<br />
l'ouverture d'un lieu décent<br />
pour les jeunes de Vitro lles<br />
dans le centre-ville. Ensuite<br />
nous avons réussi à obtenir un<br />
succès populaire, à montre r<br />
toute l'importance d'un tel<br />
lieu dans une ville de 38000<br />
habitants. Une ville nouvelle<br />
où il n'y a pas beaucoup de<br />
souvenirs dans la population<br />
parce qu’il s’agit d’un urbanisme<br />
qui se construit de jour en<br />
jour et qu’il n'y a pas de lien<br />
PENTHOUSE<br />
fort qui se fait. Il était important<br />
qu'un lieu culturel comme<br />
le Sous-Marin permette aux<br />
jeunes de se rencontrer, de vivre au quotidien cette ville et<br />
d'avoir <strong>des</strong> souvenirs en commun.<br />
Évidemment, comme nous ne travaillons pas du<br />
tout sur les mêmes logiques que le Front National, celuici,<br />
dès son arrivée au pouvoir, nous a murés. A l'heure<br />
actuelle, nous cherchons un nouveau lieu pour retrouver<br />
une liberté d'expression sur la ville, une liberté de rencontrer<br />
les habitants et faire en sorte aussi que les autres<br />
associations de Vitrolles aient accès à un lieu public pour<br />
pouvoir poursuivre leurs activités. Nous en arrivons aux<br />
enjeux qui sont liés à la citoyenneté, en termes de<br />
musiques actuelles, en termes d'acteurs culturels et puis<br />
aussi aux responsabilités que nous nous devons d'assumer.<br />
Même si c’est difficile parce que l'on rentre dans d'autres<br />
logiques où il arrive que l'on soit pris en otage par le politique.<br />
Cette situation est difficile à vivre. Heureusement,<br />
nous avons un soutien très fort de la part de nos partenaires<br />
publics, que ce soit le Ministère de la Culture, le<br />
Conseil Général et le Conseil Régional.<br />
Pour reprendre l’expression “droit à l'initiative”,<br />
nous nous demandons comment les politiques perçoivent<br />
les démarches associatives, quel crédit elles leur donnent ?<br />
Quels moyens donnent-elles à ces associations pour<br />
qu'elles s'expriment et qu'elles aient leur chance de pouvoir<br />
se développer dans la ville ? Lorsque l'on arrive à<br />
asseoir une vraie activité sur la ville, activité que je qualifierais<br />
d'utilité publique, quelle contractualisation va voir<br />
le jour, quelle reconnaissance citoyenne va-t-on obtenir<br />
de la part <strong>des</strong> politiques pour ne pas passer à la trappe<br />
quelques années plus tard ?<br />
Huguette Bonomi, directrice MJC Corderie - Marseille :<br />
Je suis directrice d'une <strong>des</strong> deux MJC de Marseille. Celle-ci<br />
a une longue histoire avec le rock, longue histoire qui s'est<br />
arrêtée il y a deux ans puisque nous avons fait les frais<br />
d'une nouveauté en France qui est la Loi Sapin appliquée<br />
aux associations Loi 1901. Nous avons subi, comme 26<br />
autres équipements de Marseille, un appel d'offres national.<br />
Résultat <strong>des</strong> courses, on nous a dit que l'on nous<br />
rechoisissait, donc nous étions très contents. Mais depuis<br />
deux ans, nous sommes en fait un équipement municipalisé,<br />
tout en ayant gardé nos statuts MJC. La MJC est donc<br />
devenue un équipement municipal avec un conseil d'administration,<br />
<strong>des</strong> statuts de MJC et un cahier <strong>des</strong> charges<br />
très important qui fait à peu près 25 pages et compte 65<br />
articles. Il y a une fois le mot culture dans ce cahier. Il<br />
nous a été concédé parce qu'il se trouve que, depuis trois<br />
ans, nous avions une convention dans le cadre du développement<br />
social urbain où nous étions chargés de tout ce<br />
qui concerne les animations artistiques sur le centre-ville.<br />
Il s'agissait en fait d'une commande de l'Éducation<br />
n a t i onale. Donc, la municipalité a mis dans une ligne <strong>des</strong><br />
25 pages que nous pouvions faire de la culture. Mais<br />
depuis deux ans, comme nous avons une délégation de<br />
service public, nous devons faire du social et occuper les<br />
enfants, les jeunes et les adultes. Nous avons une commande<br />
très précise : on nous commande le nombre de<br />
jours et les horaires d'ouverture ainsi que l'organigramme<br />
minimum du personnel que nous devons avoir. Dans la<br />
commande, nous n'avons plus le droit de faire de la<br />
musique, de la culture. Si nous le faisons, nous nous<br />
débrouillons pour le faire avec de l’argent que nous prenons<br />
sur d'autres choses que nous ne faisons pas mais que<br />
nous devrions faire… Nous sommes assez bons, nous les<br />
directeurs de MJC, pour faire avec <strong>des</strong> sous ce que l'on ne<br />
devrait pas faire...<br />
Bref, nous ne pouvons plus faire de rock, de théâtre,<br />
de danse, en termes de programmation et en termes de<br />
production, puisque les locaux dans lesquels nous sommes<br />
19
2 0<br />
ne sont plus conformes, selon les critères de la commission<br />
de sécurité. Toujours selon ces critères, nous devrions être<br />
fermés depuis quatre ans mais cela ne gêne personne, si ce<br />
n'est le conseil d'administration de la MJC. Depuis deux<br />
ans, on nous a donné une délégation de service public<br />
pour fonctionner dans <strong>des</strong> locaux non conformes ! La<br />
municipalité nous a demandé combien d'enfants et combien<br />
de “vieux" nous touchions. Nous leur avons répondu :<br />
“Mais vous savez, nous avons tant de cours de danse et<br />
tant de gens qui font…” Ils nous ont reposé leur question<br />
à laquelle nous avons rétorqué : “Mais vous savez, nous<br />
faisons du théâtre, <strong>des</strong> arts plastiques…”. Ils ont reposé<br />
leur question ! Nous n'avons donc plus le droit de faire de<br />
la culture et surtout pas de la musique, et encore moins du<br />
rock ! Cela n'intéresse personne parce que la ville de<br />
Marseille a attribué, sur la carte, <strong>des</strong> lieux et <strong>des</strong> secteurs<br />
à <strong>des</strong> activités. Donc, on nous dit : “Vous MJC Corderie,<br />
vous êtes en centre-ville, il n'y a pas besoin que vous<br />
fassiez ni du rock, ni de la danse, ni du théâtre<br />
parce que dans le centre-ville, il y a l'Espace<br />
Julien, eux, ils font du rock et ils ont <strong>des</strong> sous<br />
pour le faire”. Idem pour la danse puisqu'on m'a<br />
répondu que les gens n'avaient qu’à aller faire de<br />
la danse là où il y avait déjà de la danse. La municipalité<br />
nous demande de nous occuper <strong>des</strong> “vieux” et <strong>des</strong><br />
“jeunes”, de ne pas faire de culture mais du social.<br />
Toutes les associations marseillaises, quelles qu'elles<br />
soient, MJC ou Espace Julien, ont été soumises à un appel<br />
d'offres et ont hérité d'une délégation de service public.<br />
Nous sommes 26 Maisons pour Tous sur Marseille et nous<br />
avons tous le même cahier <strong>des</strong> charges au mot près. Tous<br />
les six mois, nous passons un oral et un écrit pour savoir si<br />
c’est bon pour les six mois suivants !<br />
Si dans les années 80, nous avons milité pour avoir<br />
une délégation de service public, nos re v e n d i c a t i o n s<br />
étaient autres que ce que l’on nous impose aujourd ’ h u i .<br />
Exemple : un jour, on m'a annoncé que notre salle de<br />
spectacles n'était plus une salle de spectacles, qu'elle<br />
pouvait servir à tout sauf à montrer <strong>des</strong> spectacles ou<br />
offrir <strong>des</strong> activités. J'ai donc demandé que l'on me tro u-<br />
ve <strong>des</strong> locaux ailleurs pour accueillir le public. On m'a<br />
répondu que, puisque j'avais une délégation de service<br />
public, je devais les trouver seule. Idem pour la re s t a u ration<br />
<strong>des</strong> locaux. À partir du moment où on a signé un<br />
cahier <strong>des</strong> charges, où on a répondu à un marché national,<br />
on a le fameux label “délégation service public"<br />
dont il est question ici, on est mis en situation d'être un<br />
m o rceau du service public. Ce qui veut dire que l'on ne<br />
peut plus rien réclamer en tant qu'association. Nous<br />
sommes devenus l'institution officielle et moi, dire c t r i c e ,<br />
je suis traitée comme un cadre municipal. On me<br />
convoque à <strong>des</strong> réunions, on me donne <strong>des</strong> ord res. J'ai<br />
Si dans les années 80, nous avons milité pour avoir une<br />
délégation de service public, nos revendications étaient<br />
autres que ce que l’on nous impose aujourd’hui<br />
beau leur rappeler l'existence de notre conseil d'administ<br />
ration, rien n’y fait, on me dit “vous êtes la directrice<br />
donc vous devez”…<br />
Pour les juristes qui travaillent sur la question, il<br />
s'agit d'un détournement de la Loi Sapin. Un certain<br />
n o m b re d'élus politiques, de tous bords, n'hésitent pas à<br />
f a i re <strong>des</strong> délégations de service public, ce qui permet de<br />
d i re : “Vous voyez, il y avait un marché, on a fait un<br />
choix, ce n'est pas un choix politique, c'est le choix<br />
au mieux-disant”. À partir du moment où nous nous<br />
re t rouvons en délégation de service public, je vous assure<br />
que nous ne sommes plus nous-mêmes. Nous n'avons<br />
plus le droit d'expression, plus le droit du citoyen de base<br />
a d h é rent à une association. Lorsque les adhérents de la<br />
MJC se sont constitués en délégation pour demander <strong>des</strong><br />
locaux décents pour les enfants, c'est tout juste si les<br />
f o rces de l'ord re ne sont pas intervenues ! Depuis tro i s<br />
mois, tout ce que réclament les citoyens marseillais, résidant<br />
dans le centre-ville, ce sont <strong>des</strong> lieux pour s'exprimer<br />
parce qu'ils estiment qu'il n'y a pas assez d'activités<br />
dans le centre phocéen ! C'est tout ce que demandent les<br />
a d h é rents, rien de plus. Qu'on leur refuse, sous prétexte<br />
de délégation de service public, c'est tout simplement<br />
insupportable ! Il n'y a plus de vie associative et donc,<br />
pour moi, il n'y a plus de citoyenneté.<br />
Franck Lepage : Ce qui est intéressant, c'est que nous<br />
sommes en train d'accumuler quelques belles contradictions<br />
depuis le début de cette assemblée. Dans le cas présent,<br />
la délégation de service public renforce le cloisonnement<br />
<strong>des</strong> agents. Quelqu'un disait tout à l'heure :<br />
“Essayer la transversalité, c'est dangereux sur une<br />
ville”. J'ai noté cette phrase parce que c'est fondamentalement<br />
subversif. En fait, transgresser cette séparation <strong>des</strong><br />
fonctions, alors que chacun a une tâche spécifiée - par<br />
ailleurs dans une organisation de l'action publique tout à<br />
fait légitime au plan local - c'est subversif. Ceci me donne<br />
à penser qu'il y a effectivement une autre manière, un<br />
autre versant du fascisme, qui n'est pas seulement d'interdire<br />
mais aussi de spécifier.<br />
Jacques Subileau, président de Générations Sonores -<br />
St Denis : Je suis président d'une association assez<br />
récente qui essaie de vivre une aventure particulière avec<br />
l'art et principalement les pratiques musicales à Saint-<br />
Denis, entre la Basilique et le Grand Stade. Tout ce qui<br />
vient d'être dit est assez amusant, puisqu'à Saint-Denis,
nous avons un certain nombre de refondateurs, de gens,<br />
que par ailleurs politiquement j'apprécie beaucoup, mais<br />
qui nous ont visités pour la première fois seulement le<br />
week-end dernier. Ces politiques s'étonnaient qu'une sorte<br />
Il y a un autre versant du fascisme, qui n'est pas<br />
seulement d'interd i re mais aussi de spécifier<br />
de petite friche industrielle, là au cœur de Saint-Denis,<br />
puisse avoir d'un seul coup revêtu un caractère sympathique,<br />
convivial, ait une capacité de produire du sens, <strong>des</strong><br />
<strong>rencontres</strong>, de la création.<br />
Saint-Denis et un certain nombre de villes tout<br />
autour sont complètement démunies à la fois d'espaces un<br />
peu qualifiés du point de vue de la répétition et de la création<br />
et pratiquement ou totalement démunies d'espaces<br />
plutôt qualifiés pour la diffusion. Or, je vous jure que c'est<br />
étonnant quand on voit, comme moi qui vis à 200 mètres<br />
du Grand Stade, la transformation et surtout la capacité<br />
qu'ont eu le consortium, Coca-Cola, Gillette et compagnie,<br />
mais aussi le département, la ville... à transformer l'espace<br />
urbain, à préparer la fête dont je me réjouis quand même<br />
par ailleurs puisque je suis un fêtard.<br />
Tout à l'heure, Franck, tu faisais allusion à un certain<br />
nombre de données historiques et j'avais envie de te dire<br />
qu'en 83, j’étais de ceux qui organisaient une <strong>des</strong> plus<br />
gran<strong>des</strong> manifestations rap à Aubervilliers et qui réunissait<br />
6000 personnes. Cela veut dire qu'historiquement tu<br />
revois un certain nombre de choses, sinon, j'ai peur que<br />
nous loupions encore un train… De quels outils disposet-on<br />
pour analyser un certain nombre de choses du point<br />
de vue <strong>des</strong> pratiques culturelles et du point de vue <strong>des</strong><br />
pratiques artistiques. Je n'entends pas bien, y compris tout<br />
à l'heure sur la différenciation de l'artistique, du culturel...<br />
Je ne pense pas que nous ayons les outils corrects, aujourd'hui,<br />
d'approches qui nous permettraient à nous tous de<br />
mieux comprendre.<br />
Renaud Vischi, chercheur en science politique : Je suis ici<br />
en tant que chercheur en sciences sociales et plus précisément<br />
en tant que chercheur ethnographe de la mission<br />
Rave de Médecins du Monde (MDM) qui n'est pas du tout<br />
une association centrée sur le champ musical ou artistique.<br />
Cela peut paraître évident, cependant je le précise<br />
parce que j'écoute ce qui se dit et je m'aperçois que nous,<br />
à Médecins du Monde, nous restons très éloignés de vos<br />
problématiques. Nous intervenons dans les fêtes techno,<br />
sous la forme d’une recherche-action qui s'oriente selon<br />
deux pôles : un pôle “action de terrain" qui intervient<br />
directement sur les fêtes et un pôle “scientifique” qui<br />
tente d’évaluer les contextes festifs en terme de risques.<br />
Sur le terrain, les intervenants MDM assurent une présence<br />
sanitaire, c'est-à-dire qu'ils soignent les petits bobos<br />
(coupures, brûlures, piercing infectés...), organisent un<br />
point d’eau, distribuent <strong>des</strong> préservatifs et du matériel<br />
d’injection stérile. Un médecin est capable d'établir <strong>des</strong><br />
diagnostics pour les malaises ou les accidents plus<br />
graves. <strong>Les</strong> intervenants de terrain proposent aussi<br />
<strong>des</strong> brochures d'informations concernant les effets<br />
et les usages liés aux produits stupéfiants susceptibles<br />
de circuler dans la fête. Ils effectuent également <strong>des</strong><br />
contrôles rapi<strong>des</strong> <strong>des</strong> produits (CRP) sur les dance pills. Ces<br />
tests consistent à révéler chimiquement trois gran<strong>des</strong><br />
familles moléculaires susceptibles de provoquer <strong>des</strong> états<br />
modifiés de conscience : méta-amphétamines, amphétamines<br />
et hallucinogènes. Il n’est pas possible, cependant,<br />
de fournir <strong>des</strong> précisions fiables concernant dosages et<br />
produits de coupe. Le pôle recherche mène une investigation<br />
pluridisciplinaire (ethno/socio/psycho/pharmacologique)<br />
afin de mieux évaluer les besoins dans les fêtes et<br />
améliorer l’information sur les produits. Nous produirons<br />
un rapport fin mars 1999. Pour le moment, nous sommes<br />
en phase de recueil <strong>des</strong> données.<br />
J’ajouterai quelques réflexions sur la façon dont<br />
s'inscrit Médecins du Monde, association humanitaire ,<br />
dans le champ spécifique <strong>des</strong> fêtes techno. Vous vous en<br />
doutez, il existe actuellement un certain nombre d'associations<br />
techno qui ont <strong>des</strong> objectifs assez différents. Il<br />
existe notamment <strong>des</strong> associations qui visent à rétablir la<br />
communication entre ce qu'on appelle les “teufers”,<br />
c'est-à-dire les gens qui se rendent dans les raves et qui<br />
visent à informer ces personnes sur les substances qu'ils<br />
peuvent éventuellement consommer. Par rapport à ces<br />
associations, la mission Rave de Médecins du Monde<br />
revendique plutôt une position de relais. Médecins du<br />
Monde s’inscrit dans une philosophie de réduction <strong>des</strong><br />
risques : l’association constate que les gens consomment,<br />
elle ne pose pas de jugement de valeur là-<strong>des</strong>sus, elle est<br />
relativement pragmatique. Le contrôle rapide <strong>des</strong> produits<br />
plus communément appelé “testing” symbolise cela.<br />
C'est ce qui est qualifié de “bon sens” en Hollande et<br />
“d'incitation” en France. Médecins du Monde est une<br />
grosse association. Il me semble que nous sommes crédibles<br />
au niveau de l'opinion publique, que nous possédons<br />
une image diffuse positive et que nous avons de<br />
bons relais dans certaines institutions. Ces facteurs nous<br />
autorisent, d’une certaine manière, à travailler aux<br />
marges de la légalité. Je rappelle que le testing est illégal<br />
parce qu'en France, il est interdit d'être en possession de<br />
produits stupéfiants. Or, lorsque le “c onseiller” médecin<br />
du monde teste <strong>des</strong> comprimés ou <strong>des</strong> gélules, ceux-ci<br />
circulent forcément entre ses mains.<br />
Ce que Médecins du Monde se permet, les associations<br />
techno ne peuvent pas se le permettre. Ce sont <strong>des</strong><br />
2 1
2 2<br />
associations relativement récentes, qui restent méconnues<br />
du grand public et ne sont pas encore suffisamment crédibles<br />
au niveau institutionnel. La stratégie de la Mission<br />
Rave est donc la suivante : nous ne comptons pas intervenir<br />
sur la techno indéfiniment mais seulement sur une<br />
période temporaire. Il s’agit de populariser ou plutôt crédibiliser<br />
non seulement le contrôle rapide <strong>des</strong> produits<br />
mais l’intervention sanitaire dans les fêtes techno. Nous<br />
souhaitons en démontrer la<br />
pertinence en termes de<br />
réduction <strong>des</strong> risques pour<br />
qu'ensuite, d'autres associations,<br />
en particulier les associations techno, les associations<br />
d'usagers, prennent le relais dans <strong>des</strong> conditions<br />
favorables. Ainsi Médecins du Monde travaille de concert<br />
avec plusieurs associations techno.<br />
Cette incursion tempora ire de Médecins du Monde<br />
dans le secteur artistique me décale <strong>des</strong> pro blématiques<br />
abordées par cette table ronde. Mais je fais aussi de la<br />
science politique, de la sociologie politique, et je tra vaille<br />
sur la techno et le hip-hop depuis un peu plus de quatre<br />
ans maintenant. Et je me posais donc un certain nombre de<br />
questions par rapport à ce que vous disiez. C'est-à-dire que<br />
j'entends parler d'éducation populaire et tout en vous<br />
écoutant je me demande, par rapport au mouvement techno,<br />
qui, finalement, a besoin d'être éduqué ? Est-ce que ce<br />
sont les gens qui participent à ce mouvement ou les MJC<br />
et autres structures d’accompagnement ? C'est une question<br />
que je me pose. Egalement dans tous les discours que<br />
j'ai entendus, il me semble que l’on cherche à intégrer par<br />
la pratique musicale, à transformer les musiciens en<br />
citoyens, on cherche à pro duire de la citoyenneté par la<br />
médiation de l’art. Mais l’expression musicale n’est-elle pas<br />
en elle-même une prise de position citoyenne ? La création<br />
artistique exige un espace de liberté important. <strong>Les</strong> structures<br />
institutionnelles peuvent-elles assurer cet espace dès<br />
lors qu’elles sont soutenues par la sphère publique, encadrées<br />
par un dispositif légal qu’on peut juger étroit et soucieuses<br />
d’inculquer certaines normes (ici celles corre spondant<br />
à ses pro pres représentations de la citoyenneté) ?<br />
Qui, finalement, a besoin<br />
d ' ê t re éduqué ?<br />
Joël Le Crosnier, directeur CAC Georges Brassens -<br />
Mantes-la-Jolie : Je me suis un peu retrouvé dans ce que<br />
disait ma collègue de Marseille lorsqu'elle parlait de délégation<br />
de service public. Je suis un directeur de MJC mis à<br />
la disposition du service culturel de la ville de Mantes-la-<br />
Jolie qui me met à disposition d'une association centre<br />
d’action culturelle. Toutes les chaises, toutes les tables,<br />
tous les stylos bille appartiennent à la ville. Elle intervient<br />
à plus de 50 % du budget global de fonctionnement et<br />
paie les flui<strong>des</strong> et mon salaire. Cette idée de la démocratie,<br />
c'est un peu qui paie et qui commande, quel est son<br />
projet ?… C'est un peu dans ce sens-là qu'est le débat.<br />
C'est-à-dire que la ville de Mantes-la-Jolie paie pour un<br />
projet qu’elle a envie de voir se réaliser. Là-dedans, la place<br />
de la démocratie et de la vie associative et de sa responsabilité<br />
trouvent à mon avis une part de ses limites.<br />
A Mantes-la-Jolie, l'idée de la municipalité, c'était :<br />
“Voilà, nous avons essayé pas mal de formes de médiation<br />
: le sport, les stages, l'emploi… Tout cela ne marche<br />
pas. C'est toujours une poudrière. Il y a toujours trois<br />
quartiers qui sont en opposition : un centre-ville traditionnel,<br />
traditionaliste et traditionnellement de droite,<br />
un quartier, le “Val Fourré", plutôt ancré à gauche et<br />
plutôt ancré sur les gens qui ne votent pas, c'est-à-dire<br />
travailleurs immigrés, et entre les deux, le Front<br />
National”. L'idée du maire de Mantes-la-Jolie, comme<br />
celle du maire de Marseille, est donc de dire qu'il y aura un<br />
lieu pour faire de la musique amplifiée, un lieu pour faire<br />
du théâtre, un lieu pour faire de la danse, etc, et les cartes<br />
sont distribuées de la sorte. Sur tout cela, je n'ai pas eu à<br />
donner mon avis, je suis arrivé après. Nous sommes en<br />
place avec mon équipe depuis un an et demi, donc nous<br />
sommes arrivés pour répondre à une commande.<br />
Je pense qu’il est intéressant de se demander pourquoi<br />
est-ce que l'on prend <strong>des</strong> professionnels de l'éducation<br />
populaire pour mener ce projet alors que nous serions<br />
plutôt pour la défense d'une vraie vie démocratique asso -<br />
ciative et du libre droit de parole, libre gestion, libre mise<br />
en place <strong>des</strong> projets ? Peut-être pour, si l’on reprend ce<br />
qu'a écrit Franck Lepage dans le petit document synthétique<br />
sur la Fédération, avoir <strong>des</strong> “contradicteurs intelligents”.<br />
Cela veut dire qu'ils ont mis au service culturel<br />
quelqu'un qui est issu du ministère Jack Lang, quelqu'un<br />
qui est issu <strong>des</strong> émeutes de Vaulx-en-Velin et ils ont mis à<br />
l’action culturelle quelqu'un qui est issu <strong>des</strong> MJC, donc qui<br />
appartient à une histoire associative. Avec cela, la municipalité<br />
a réussi à rendre fonctionnelles <strong>des</strong> personnes,<br />
pourtant issues de la volonté démocratique associative,<br />
dans un système complètement municipalisant. De mon<br />
point de vue, en ce qui concerne la démocratie, ce n'est<br />
pas là qu'est l'enjeu. Tout cela, c'est l'enjeu gestionnaire de<br />
la démocratie et pour moi, la démocratie, ce n'est pas de<br />
la gestion. La démocratie, c'est la capacité d'ouvrir <strong>des</strong><br />
espaces de liberté, la capacité d'ouvrir <strong>des</strong> espaces de dialogue<br />
et notre capacité à intervenir d'une manière intelligente<br />
sur les différents maux de la société.<br />
Nous avons <strong>des</strong> expériences sur <strong>des</strong> cultures qui<br />
deviennent maintenant <strong>des</strong> cultures cultivées comme le<br />
rap qui, après avoir eu <strong>des</strong> passages plus clan<strong>des</strong>tins ou<br />
plus violents est désormais institutionnalisé à un tel point<br />
que nous accompagnons du “rap variété” et plein de<br />
choses qui existent et qui sortent un petit peu de la marge.<br />
Nous fédérons, au sein de notre centre culturel, 18 asso-
ciations officielles et une trentaine d'associations de musiciens<br />
qui sont “associations" toujours pas en termes de<br />
démocratie mais en termes de gestion. C'est plus simple<br />
pour eux de gérer, cela leur permet de draguer la subvention,<br />
de draguer la municipalité, d'avoir un couvert lorsqu'ils<br />
vont tourner. C'est une relation business et absolument<br />
pas une relation à la démocratie. Cette perversion du<br />
système associatif, de mon point de vue, nous éloigne du<br />
thème que l'on devait aborder.<br />
Nous avons décidé de travailler de manière très<br />
volontariste sur le soutien à l'expression et à la création.<br />
En un an et demi d'existence, nous avons produit deux<br />
compilations, un livre qui a fait suite aux ateliers d'écriture<br />
que nous avons mis en place. Nous avons produit un CD<br />
qui a été une création originale pour accompagner une<br />
pièce de théâtre. Cette année, nous sommes autour de<br />
cinq prévisions de sortie de CD. Nous créons un outil qui<br />
est le CD pour dire aux musiciens : “il est important<br />
maintenant que vous puissiez faire le point et savoir un<br />
petit peu où vous en êtes”. Pour faire le point, il faut faire<br />
le deuil, à un moment donné, de la création, c'est-à-dire<br />
La démocratie, ce n'est pas de la gestion. La démocratie,<br />
c'est la capacité d'ouvrir <strong>des</strong> espaces de liberté<br />
savoir l'arrêter. Un écrivain qui continuerait à écrire son<br />
livre toute sa vie, sans jamais se confronter à l'édition,<br />
parce que cette édition va peut-être permettre d'ouvrir un<br />
deuxième livre, raterait l'essentiel de son travail.<br />
<strong>Les</strong> associations qui développent leur travail autour<br />
<strong>des</strong> musiques amplifiées ne sont pas soutenues, ou bien<br />
alors avec une aumône, parce que les budgets alloués à ce<br />
soutien-là sont tellement étroits qu'il n'y a pas de réalité.<br />
On parle <strong>des</strong> ministères Jeunesse et Sports et Culture, et<br />
nous sommes heureux que les deux ministères puissent<br />
enfin travailler ensemble pour nous soutenir. Mais lorsque<br />
l'on connaît les budgets nationaux de “Jeunesse et <strong>des</strong><br />
Sports” pour soutenir l'éducation populaire, et dans ces<br />
budgets, ceux qui sont alloués au soutien aux expressions<br />
musicales, cela laisse perplexe sur la capacité au soutien.<br />
Finalement, nous mettons en place <strong>des</strong> moyens purement<br />
terre à terre : “tu fais du rap, on va faire du rap, mais<br />
il faut que tu prennes conscience de ton entourage et<br />
que tu sois revendicatif et porteur”. C'est pas moi, technocrate<br />
gestionnaire missionné par le service culturel et<br />
mis à disposition par une grande fédération nationale, qui<br />
dois être porteur du discours du musicien. Il faut que<br />
celui-ci soit porteur de son propre discours. Peut-être alors<br />
que la démocratie en redevenant plus directe, en étant un<br />
peu moins encadrée par nous, par moi en tous les cas, permettra<br />
un véritable discours autour de la démocratie participative<br />
et non de représentation. Tout cela, parce que<br />
j'ai quand même l'impression que lors <strong>des</strong> différentes<br />
interventions que j'ai pu entendre, on parle plus de démocratie<br />
de représentation que de démocratie directe.<br />
Philippe Berthelot : Je voudrais revenir à la notion de<br />
considération <strong>des</strong> musiciens et notamment par le champ<br />
associatif. La notion citoyenne ne vient pas du jour au lendemain<br />
dans la culture locale d'une municipalité en<br />
termes de pédagogie. Elle se découvre, au fur et à mesure,<br />
<strong>des</strong> pistes que l'on veut bien nous laisser. Je pense que,<br />
pour l'instant, ce sont l'éducatif et le pédagogique. <strong>Les</strong><br />
musiciens n'étant pas identifiés dans une ville, n'ayant<br />
donc pas de fonction sociale ou de visibilité sociale, cette<br />
dernière n'existe que de manière économique.<br />
N'y a-t-il pas un rôle de la part <strong>des</strong> associations,<br />
notamment sur le champ <strong>des</strong> pratiques amateurs, à faire<br />
identifier ces pratiques ? Je n'ai pas dit qu'il fallait les<br />
gérer mais, au moins, les faire identifier aux yeux de la<br />
population et du politique. C'est déjà, à mon sens, le B.A.-<br />
Ba parce que, si nous commençons à aller sur d'autres<br />
champs, nous allons nous triturer les méninges en omettant<br />
l'essentiel. Il faudrait peut-être que l'on<br />
procède par ordre. C'est apparemment ce que<br />
tu es en train de faire à Mantes-la-Jolie en<br />
disant : “Voilà, il y a <strong>des</strong> mecs qui existent,<br />
voilà ce qu'ils produisent”… C'est un début. Ensuite,<br />
donner à ces gens-là <strong>des</strong> éléments d'information sur leur<br />
parcours citoyen éventuel, c'est le propre <strong>des</strong> MJC. Ce n'est<br />
quand même pas à moi de vous dire cela, moi qui ne suis<br />
pas dans le système fédératif. Il est clair qu'actuellement<br />
la pédagogie développée par les politiques et notamment<br />
les politiques locaux, avec le jeu de l'électoralisme, c'est la<br />
citoyenneté poujadiste. En gros, le musicien entre dans un<br />
système donnant-donnant. C'est le bazar, c'est le souk et<br />
chacun essaie de négocier sa petite affaire. Je ne pense pas<br />
que ce soit cela qui soit le plus intéressant car nous rentrons<br />
là dans un phénomène de délitement du lien social,<br />
d'affrontement et absolument plus dans la confrontation.<br />
C'est de l'exclusion permanente. Nous avons là une responsabilité<br />
associative fondamentale.<br />
Contrairement au rap, la techno est un <strong>des</strong> mouvements<br />
qui a très vite su, en bénéficiant certainement <strong>des</strong><br />
acquis du rock, entrer dans un phénomène très avancé de<br />
relation institutionnelle. Le mouvement techno a ses<br />
chercheurs, <strong>des</strong> personnes qui formalisent pour eux, et<br />
cela leur permet de rentrer dans un schéma de reconnaissance.<br />
Dommage que cet acquis, cette force qu'a la techno<br />
en ce moment, même si elle est diabolisée d'un côté, ne<br />
serve pas l'ensemble <strong>des</strong> musiques. Il faudrait donc qu'il y<br />
ait un schéma de reconnaissance plus large. Je conclus par<br />
la notion du décloisonnement, pour parler d'un terrain<br />
musical, d'un ensemble musical dans lequel nous pour-<br />
2 3
2 4<br />
rions, à un moment donné, parler <strong>des</strong> mêmes choses et<br />
défendre <strong>des</strong> notions, <strong>des</strong> valeurs qui pourraient nous être<br />
communes avec un travail de fond que nous pourrions<br />
faire ensemble.<br />
Renaud Vischi : On parle de techno qui s'institutionnalise<br />
avec succès et efficacité. C'est vrai, certains pionniers<br />
<strong>des</strong> fêtes techno ont parfaitement su jouer avec les institutions<br />
publiques, mais je crois que cette institutionnalisation<br />
a également son pendant qui consiste en une<br />
radicalisation de toute une frange du mouvement. Cette<br />
réaction s’exprime au tra v e rs <strong>des</strong> fêtes clan<strong>des</strong>tines et<br />
g ratuites (technival free party). Ces événements re groupent<br />
<strong>des</strong> “teufers” qui refusent toute compro m i s s i o n<br />
avec le “Système”. Il faut expliquer qu'au départ, la techno<br />
(il y avait peut-être une ambiguïté) s'est aussi présentée<br />
comme une alternative au “Système”, comme une utopie<br />
tempora i re sur une nuit, une nuit qui n'a pas de fin<br />
et dans un endroit étrange. La rave s’apparentait au<br />
voyage, à l’expérience. À partir du moment où cette utopie<br />
a commencé à se formaliser, parce que pour s'institut<br />
i o n n a l i s e r, <strong>des</strong> concessions ont dû être faites, il a fallu<br />
terminer les party plus tôt, les faire dans <strong>des</strong> lieux, tels<br />
que Bercy, on l'a vu pour le Métropole techno, construire<br />
<strong>des</strong> plateaux alléchants, conclure <strong>des</strong> partenariats<br />
f i n a nc i e rs... Ces éléments et bien d’autres ont tra n s f o r m é<br />
la rave en soirée techno. La fête techno, en s'institutionnalisant,<br />
a perdu la part de rêve qu'elle suscitait chez les<br />
p e rsonnes et, à côté de cette institutionnalisation<br />
p e rceptible à tra v e rs les médias, il y a toute une fra n g e<br />
qui se développe et qui connaît un franc succès : ce sont<br />
les free party, les technival, qui sont plus radicales que ce<br />
qu'était la techno il y a cinq ou six ans.<br />
En ce qui concerne le rap, je trouve que ses acteurs<br />
gèrent beaucoup mieux son institutionnalisation parce<br />
que, le rap, c'est du dialogue permanent. C'est-à-dire que<br />
dans les textes rap, on discute business, on discute du fric<br />
et il n'y a pas d'ambiguïté. Le rapeur revendique le fait de<br />
faire du rap pour gagner de l’argent parce que, comme il<br />
le dit, il n'y a pas d'autres moyens pour lui. Il ne se compromet<br />
pas, il gagne de l'argent mais reste authentique.<br />
C'est une façon de gérer beaucoup plus explicite et, encore<br />
une fois, il n'y a pas d'ambiguïté. Dans le rap, il y a aussi<br />
tout un discours sur les “wack”. <strong>Les</strong> “wack MC”, ce sont<br />
les faux, c'est-à-dire les MC qui font <strong>des</strong> compromissions.<br />
Ils sortent un hit pour se faire de l'argent mais ne savent<br />
pas raper et acceptent de se formater aux normes <strong>des</strong> stations<br />
FM. Je crois que le rap est beaucoup plus clair làd<br />
e ssus même s’il met plus de temps à gagner de l'argent<br />
et à s'organiser. Il est vrai que cela concerne <strong>des</strong> classes<br />
sociales qui ont un parcours scolaire plus limité. Même si<br />
nous n'avons pas de données socio-démographiques sur la<br />
techno, a priori, et vu l'efficacité du système, nous pouvons<br />
dire que le raveur est plus facilement prêt à affronter<br />
la société que le rapeur.<br />
Franck Lepage : Sur cette séparation <strong>des</strong> genres musicaux,<br />
il me semble que l'on va un peu vite en souhaitant<br />
un décloisonnement que ne souhaitent pas forcément les<br />
pratiquants eux-mêmes…<br />
Philippe Berthelot : Cela dépend de quel côté on se place.<br />
Soit on est serviteur et on accompagne ces pratiques, soit<br />
on est pratiquant soi-même. Le pratiquant peut se reconnaître<br />
dans sa pratique. Le problème, c'est qu'à chaque<br />
fois, on essaie d'être tout en même temps. À chacun de<br />
savoir ce qu'il a à faire et où il doit se positionner. Je suis<br />
au service de ces pratiques avec en partie de l'argent<br />
public. Ma question est de savoir si je travaille pour un<br />
g roupe très particulier ou si je travaille pour le plus<br />
g rand nombre, l'intérêt général ?… Il faut arrêter de<br />
f l u ctuer quand cela<br />
nous intéresse. Un<br />
coup on est dans la<br />
d é m a rche de la reconnaissance<br />
esthétique,<br />
on s'enferme dedans et on sert <strong>des</strong> intérêts particuliers,<br />
un coup on est sur un champ plus large... C’est tout<br />
le débat de la spécialisation. A certaines pratiques correspondent<br />
<strong>des</strong> besoins spécifiques. Je suis étonné que l’on en<br />
soit encore à se poser ce style de question à l'heure actuelle.<br />
Il se trouve qu'il y a également <strong>des</strong> dénominateurs<br />
communs à l'ensemble de ces musiques qui vont notamment<br />
porter sur l'amplification. Nous commençons à<br />
savoir comment gérer les équipements et comment pouvoir<br />
les mettre à disposition, que ce soit en centre-ville ou<br />
dans les quartiers. Nous savons que c'est nécessaire parce<br />
que c'est aussi une manière d'identifier ces pratiques dans<br />
la ville. Mais nous n'avons toujours pas travaillé sur le<br />
fond, c'est-à-dire savoir comment on allait leur permettre<br />
de se développer. Je n'ai pas dit comment nous allions les<br />
gérer mais comment nous allions apporter les moyens de<br />
permettre leur développement.<br />
Il ne peut y avoir de politique qui s'adresse simplement<br />
à une esthétique musicale. Sinon on recommence<br />
l'atomisation, le système de “l'apartheid musical”. Si l'on<br />
regarde les étu<strong>des</strong> sociologiques, sur <strong>des</strong> lieux à tendance<br />
généraliste, le rap va constituer 10 ou 15 % selon l'agglomération,<br />
selon qu'il soit en milieu rural ou autre, mais les<br />
médias donnent le ton aux politiques. Nous sommes dans<br />
l'air de la techno et du hip-hop : les politiques se disent,<br />
par exemple, que les hard-rockers n'existent plus. Le problème,<br />
c'est qu'il en reste et en termes de pratique c'est<br />
toujours aussi dominant. La guitare électrique reste encore<br />
A certaines pra t i q u e s<br />
c o r respondent <strong>des</strong> besoins<br />
s p é c i f i q u e s
le premier instrument dans l'usage au quotidien <strong>des</strong> musiciens<br />
dit amplifiés ou actuels. À mon sens, il faut faire très<br />
attention à cette cavalcade permanente dans les clichés et<br />
les caricatures. Il est donc important de se replacer, de<br />
savoir quelles sont les responsabilités que nous avons sur<br />
le champ associatif par rapport à ces musiques. Il faut<br />
qu’il y ait un système d'arbitrage qui puisse permettre à<br />
tout le monde d'exister. Ou bien alors on développe la tribalité,<br />
<strong>des</strong> sociétés qui s’entrechoquent… Il est évident<br />
que selon le territoire où l'on se trouve, il peut y avoir <strong>des</strong><br />
esthétiques qui priment mais c'est variable. Sur un lieu, on<br />
peut s'apercevoir qu'il y a eu une époque où le mouvement<br />
punk était très présent mais, quelle que soit la dominante<br />
du temps présent, elle ne doit pas empêcher les<br />
autres d'exister.<br />
Loïc Taniou : Je suis organisateur et c'est vrai qu'au<br />
départ nous étions branchés très punk, très hard - c o re ,<br />
mais à force d'organiser <strong>des</strong> concerts, de gérer un lieu,<br />
cela devient important de brasser différents publics. Il y<br />
a une esthétique de musique que l'on préfère pro grammer<br />
mais l'intérêt vient aussi du mélange <strong>des</strong> publics, du<br />
métissage qui se crée. D'ailleurs, au niveau musical, on<br />
voit que le rock, le rap et la techno se mélangent de plus<br />
Il est important que l’on retrouve un public-citoyen<br />
et <strong>des</strong> musiciens-citoyens qui puissent s’exprimer<br />
FUNDAMENTAL<br />
en plus. C'est important et, nous, nous nous battons pour<br />
décloisonner le public. C'est-à-dire qu'un public étudiant<br />
qui va aller voir Miossec ou Louise Attaque puisse<br />
aller écouter un groupe bruyant comme les Thugs et que<br />
le public <strong>des</strong> Thugs puisse aller voir un groupe plus<br />
“c hanson-rock”. Je pense que l'on va vers <strong>des</strong> publics de<br />
plus en plus larges et je pense que c'est primord i a l<br />
l o rsque l'on travaille sur le culturel. Cela n'empêche pas<br />
les différentes tribus de continuer à exister. D'autant<br />
plus que nos musiques rejoignent à peu près les mêmes<br />
schémas. Il est important d'avoir un public-acteur, que<br />
l'on re t rouve un public-citoyen et <strong>des</strong> musicienscitoyens<br />
qui puissent s'exprimer. En tant que lieu, nous<br />
allons essayer d'être un lieu d'expression ouvert à tous<br />
pour donner les moyens à ces courants musicaux de s'exprimer<br />
et de re n c o n t rer leur public. Nous touchons ici la<br />
liberté d'expression qui est souvent attaquée. Tant au<br />
niveau hip-hop et rock par exemple, il me semble que ce<br />
sont deux esthétiques de la colère, les textes se re j o i-<br />
gnent. On rejoint les mêmes combats : urbanisme délirant,<br />
accès à la culture, autonomie de l'individu, individu<br />
responsable qui a le droit de se développer dans sa cité.<br />
Certes, chacun n'emploie pas les mêmes mots car chacun<br />
est issu de classes sociales différe n t e s .<br />
2 5
2 6<br />
Jacques Subileau : Le rap est quelque chose qui évolue.<br />
Toute une frange de la population qui adhérait à ce genre<br />
d'expression a une espèce d'avidité pour accéder à un<br />
espace sonore et musical et pas seulement à la parole.<br />
Quand nous avons monté un <strong>des</strong> premiers studios consacrés<br />
au rap, cela déboulait du sud, du nord, de toutes les<br />
banlieues, pour prendre d'assaut les espaces et avoir une<br />
personne-ressource qui les mettrait en relation avec une<br />
technologie nouvelle leur permettant d’accéder à un univers<br />
sonore où ils allaient pouvoir construire leurs instrumentaux.<br />
Aujourd'hui, quand on monte une opération en<br />
direction <strong>des</strong> jeunes, on constate que ce qu’ils veulent<br />
c'est prendre le micro pour chanter <strong>des</strong> textes qu'ils ont<br />
patiemment construits. Ils ont une absence totale d'instrumentaux.<br />
La première chose qu'ils vont demander aux<br />
espaces de création, à <strong>des</strong> ingénieurs du son, à <strong>des</strong> techniciens,<br />
c'est de les aider à construire ces instrumentaux.<br />
Par ailleurs, sur la question du cloisonnement, il est<br />
clair que lorsqu'on se promène et qu'on fait le tour de<br />
France, il est sûr que l'on peut avoir <strong>des</strong> données nationales<br />
mais qui ne sont pas applicables à tel quartier<br />
d'Agen, de Saumur ou de Troyes. <strong>Les</strong> pratiques sont extrêmement<br />
différentes. En revanche, ce que l'on peut constater,<br />
c'est que le cloisonnement existe. Il faudrait peut-être<br />
commencer par (je pense aux intellectuels, aux institutions<br />
mais aussi aux médias…) arrêter de dire un certain<br />
nombre d’idioties. Par exemple, que la musique est universelle,<br />
qu'elle est socialisante par nature, bref, un certain<br />
nombre de trucs complètement aberrants. À mon avis, cela<br />
commence par là. Il faut remettre en question un certain<br />
Il faudrait peut-être commencer par arrêter de dire un<br />
certain nombre d’idioties. Par exemple, que la musique<br />
est universelle, qu'elle est socialisante par nature<br />
nombre de ces choses. Politiquement et philosophiquement<br />
parlant, il y a <strong>des</strong> choses dans ces affrontements,<br />
dans ces chapellisations qui ne se jouent pas à la marge<br />
mais se jouent au centre et au cœur même d'histoires qui<br />
sont bien réelles, d'un point de vue culturel, d'un point de<br />
vue social, économique… Cela me paraît évident.<br />
Renaud Vischi : J'ai travaillé en sociologie politique sur les<br />
attitu<strong>des</strong>, dans une approche comparative entre la techno<br />
et le hip-hop. Que ce soit le hip-hop, la techno (et même,<br />
j'ai réalisé quelques entretiens sur le rock et le jazz) : les<br />
discours ne sont certes pas identiques. Il y a <strong>des</strong> nuances<br />
de taille, c’est un fait. Toutefois, on retrouve toujours une<br />
même problématique qui est la problématique du vrai et<br />
du faux, de l'underground et du commercial, de l'authentique<br />
et du vendu. Et surtout, on remarque qu'entre les<br />
gens qui se revendiquent de l'underground, les discours<br />
ont tendance à converger même très nettement. Je pense,<br />
par exemple, qu'il y a <strong>des</strong> musiciens techno qui sont idéologiquement<br />
plus proches de certains musiciens hip-hop<br />
que de certains de leurs congénères. Sous cet angle de<br />
vision, on ne peut que regretter cette tendance, qui<br />
n’épargne malheureusement pas la recherche, à focaliser<br />
sur tel ou tel courant musical particulier plutôt que sur les<br />
schèmes d’attitu<strong>des</strong> transversaux aux différents courants.<br />
En ce qui concerne les données socio-démographiques, il<br />
est vrai que nous n'en avons pas. Il y a certes eu celles du<br />
Florida qui sont ce qu'elles sont, mais je tiens à signaler<br />
qu'avec Médecins du Monde, nous sommes en train de<br />
mettre en place un questionnaire et que nous allons donc<br />
avoir <strong>des</strong> données sur la techno qui devraient être relativement<br />
représentatives d'ici un an.<br />
Olivier Douard, chercheur : Je suis chargé de recherches<br />
à l'INJEP, l'Institut National de la Jeunesse et de l'Éducation<br />
Populaire, qui est un établissement du Ministère de la<br />
Jeunesse et <strong>des</strong> Sports. Je veux bien confirmer que nous<br />
avons peu de données sur la question, mais je pourrais<br />
vous renvoyer, malgré tout, à un petit ouvrage de Pierre<br />
Mayol, du Département Étu<strong>des</strong> et Prospectives du<br />
Ministère de la Culture, qui s'appelle “<strong>Les</strong> Enfants de la<br />
Liberté”, puisque plus de la moitié de l'ouvrage est consacrée<br />
aux musiques amplifiées.<br />
Venir à vos Rencontres sur la musique, moi, je n'y<br />
connaissais rien et, en soi, cela m'intéressait très peu. La<br />
citoyenneté, il y a tellement d'endroits où on parle de<br />
citoyenneté que cela m'intéressait peu aussi. Alors, qu'estce<br />
qui pouvait bien m'intéresser là-dedans. C'est le<br />
“ET" bien entendu, et c'était le “ET" posé par la<br />
Fédération Française <strong>des</strong> MJC. Je m'explique pour<br />
être un peu plus clair. Il me semble qu'il y a<br />
quelques années les MJC se sont investies dans un<br />
secteur qui est celui <strong>des</strong> musiques amplifiées et presque<br />
d'une manière que je qualifierais de stratégique.<br />
Comme je suis un peu néophyte mais que j’ai<br />
quelques repères par ailleurs, j'avais lu cela comme une<br />
certaine manière, pour faire de la provocation comme<br />
Franck Lepage, de se relégitimer sur un secteur qu'est la<br />
jeunesse. À savoir, pour faire allusion à un certain nombre<br />
de travaux sociologiques concernant les musiques amplifiées,<br />
que la catégorie jeunesse est complètement contestable,<br />
tout le monde le sait, mais qu'il y aurait quelque<br />
chose, quelque part, qui serait à peu près reconnu par l'ensemble<br />
<strong>des</strong> jeunes et qui serait un certain nombre de<br />
p ratiques musicales. Je m'étais dit, à l’époque, que cela<br />
procédait vraisemblablement d'une réflexion très approfondie<br />
mais en même temps, stratégiquement, c'était<br />
quelque chose d'intéressant qui allait relégitimer les MJC<br />
par rapport au secteur de la jeunesse.
Sauf qu’aujourd’hui parler de citoyenneté, c'est<br />
immanquablement se coltiner une problématique qui est<br />
“trans-générationnelle”, qui dépasse complètement la<br />
problématique de la catégorie, la catégorie jeune, et qui<br />
renvoie probablement à quelques racines de la Fédération<br />
Française <strong>des</strong> MJC dans l'éducation populaire. Donc, ce<br />
“ET” m'intéresse bien parce que j'y ai lu l'occasion pour<br />
une grande fédération de se coltiner une problématique<br />
qui n'est pas si facile que cela, du lien que peut faire -<br />
l'inconscient et l'idéologie font nœud comme dira i e n t<br />
c e rtains - la Fédération Française <strong>des</strong> MJC entre ces pratiques,<br />
en termes d'activités, d'interventions publiques, et<br />
Parler de citoyenneté, c'est immanquablement se coltiner<br />
une problématique qui est “trans-générationnelle”<br />
un certain nombre de postulats idéologiques. Postulats qui<br />
restent clairs, peut-être, pour un certain nombre <strong>des</strong><br />
acteurs mais pas forcément très clairs pour tous les gens<br />
qu'elle rencontre, on l'a bien vu avec l'exemple qui a été<br />
donné à Marseille.<br />
C'est donc cette articulation entre musiques et<br />
citoyenneté qui m'intéresse, c'est celle qui me para î t<br />
valoir le coup d'être débattue parce qu'il ne faut pas se<br />
f a i re d'illusions, ce n'est pas en deux jours que l'on va<br />
avancer beaucoup sur cela mais au moins l'amorc e r. Il me<br />
semble que le débat, auquel j'ai assisté pour l'instant,<br />
échappe à ce travail. J'entends plutôt un débat autour<br />
<strong>des</strong> associations et <strong>des</strong> musiques amplifiées, autour <strong>des</strong><br />
MJC et certaines pratiques de la citoyenneté, mais est-ce<br />
q u ' a u j o u rd'hui, tout de suite, ici, vous avez quelque<br />
chose à dire sur la manière dont vous pourriez appréhender<br />
cette articulation originale et complexe qu'il<br />
p o u r rait y avoir entre un type d'activité et la pro b l é m a-<br />
tique particulière de la citoyenneté ? Comme le disait<br />
F ranck Lepage tout à l'heure, la question du politique et<br />
non pas de la politique.<br />
Loïc Taniou : L o rs de la tournée “Musique et<br />
Citoyenneté" du Sous-Marin qui a été faite dans les salles<br />
de la Fédurok, nous partions du cas du Sous-Marin pour<br />
glisser progressivement vers une réappropriation de l'engagement<br />
civique et de l'engagement citoyen de la part<br />
<strong>des</strong> jeunes et <strong>des</strong> moins jeunes. En fait, la musique est une<br />
valeur porteuse au niveau <strong>des</strong> jeunes et il est important<br />
que l'on retrouve une dynamique de combat, de lutte, de<br />
citoyenneté pour défendre <strong>des</strong> choses. La citoyenneté est<br />
une notion liée à la Révolution Française, qui a donné<br />
naissance à la Déclaration <strong>des</strong> droits de l'Homme et a permis<br />
de résister à l'oppression. Lorsque l'on voit, à l'heure<br />
actuelle, que la liberté d'expression est très fortement<br />
attaquée, notamment sur Vitrolles mais partout en France,<br />
on comprend mieux l'intérêt fondamental à travailler à la<br />
réhabilitation de ces notions.<br />
Il est important de parler <strong>des</strong> musiques actuelles<br />
parce qu'il s'agit du moyen de liberté d'expression le plus<br />
attaqué aujourd'hui. C’est le moyen d’expression qui a le<br />
moins de reconnaissance citoyenne de la part <strong>des</strong> politiques.<br />
Mais nous arrivons à impulser un souffle associatif<br />
ou citoyen, ce que n'arrive pas à faire un politique. Nous<br />
parvenons à créer <strong>des</strong> liens entre les différentes franges de<br />
la population. Nous avons constaté qu'en France, la parole<br />
était souvent confisquée, qu'il y avait un manque de<br />
dialogue, d'échange alors que les gens ressentaient, eux,<br />
ce besoin d'échange pour comprendre et participer<br />
à ce qui se passait dans leur ville, leur cité.<br />
Il faut donc trouver <strong>des</strong> pistes pour que <strong>des</strong><br />
gens, <strong>des</strong> habitants, <strong>des</strong> associations, <strong>des</strong><br />
artistes puissent s'exprimer sur la ville. Il ne faut pas<br />
attendre que le politique fasse tout, il faut aussi donner<br />
l'offensive et prendre <strong>des</strong> initiatives. Je voudrais rappeler<br />
que si la culture est attaquée si violemment par le Front<br />
National et d'autres politiques, c'est souvent parce que les<br />
politiques ne connaissent pas les musiques que nous proposons.<br />
<strong>Les</strong> politiques ne sont pas éduqués. Si la culture<br />
est attaquée, c'est parce qu'elle représente un pouvoir<br />
dangereux que l'on ne maîtrise pas forcément et cela gêne<br />
le politique.<br />
Thierry Ménager, directeur MJC Rennes - Cleunay : Je<br />
vais essayer de ne pas employer les mots “citoyen" et<br />
“citoyenneté" parce que je ne sais plus ce que cela veut<br />
dire. Je veux plutôt témoigner du “pourquoi" nous faisons<br />
de la musique dans les MJC. D'abord, indépendamment de<br />
nous, la musique est un média qui a été fortement accaparé<br />
par les jeunes. Parce que c'est un média qui nécessite<br />
moins de pré-requis qu'un certain nombre d'autres<br />
formes d'expressions créatives. Je crois qu'il y a une facilité<br />
d'accès beaucoup plus importante qui a fait que, massivement,<br />
un certain nombre de jeunes pratiquent la<br />
musique. J'aimerais aussi que l'on distingue les pratiques<br />
<strong>des</strong> musiciens et <strong>des</strong> publics. Ce ne sont pas tout à fait les<br />
mêmes problématiques.<br />
Pourquoi fait-on de la musique dans les MJC ? Parce<br />
que nous sommes <strong>des</strong> lieux, quel que soit le média, qui<br />
permettent éventuellement de passer d'un projet individuel<br />
à la construction d'un projet plus collectif. En cela,<br />
c'est faire en sorte que les gens prennent leur place dans<br />
une société, et éventuellement, prennent conscience de<br />
leur pouvoir d'acteur. Il faut noter également un certain<br />
nombre de contradictions sur ce passage d'un projet individuel<br />
à un projet plus collectif pour une part de la jeunesse<br />
qui, globalement, nécessite et demande un certain<br />
nombre de moyens sur le tout, tout de suite.<br />
2 7
2 8<br />
L ' a u t re paradoxe concerne la demande de re c o n-<br />
naissance. Est-ce que cette demande de re c o n n a i s s a n c e<br />
n'est pas la porte d'entrée magnifiquement ouverte à<br />
l'instrumentalisation ou à ce qu'on appelle l'institutionnalisation<br />
ou encore à la marchandisation ? Ceci est<br />
p a radoxal, vu qu’une <strong>des</strong> revendications fortes <strong>des</strong> mouvements<br />
musicaux est la remise en cause de l'ord re établi.<br />
C'est dans ce sens-là que nous sommes <strong>des</strong> lieux<br />
extrêmement importants entre <strong>des</strong> pratiquants et <strong>des</strong><br />
p o u v o i rs publics, pour pouvoir laisser, non pas le droit à<br />
l ' e x p ression - droit qui existe de façon constitutionnelle<br />
- mais <strong>des</strong> lieux d'expression qui permettent que ces<br />
p a radoxes se vivent. En même temps, il est vrai qu'un<br />
certain nombre de pratiquants intègrent de plus en plus<br />
<strong>des</strong> comportements de consommateurs. Il faut avoir les<br />
d e r n i è res marques de ceci, de fringues, d'instruments et,<br />
donc, il existe un débat intéressant entre la remise en<br />
cause de l'ord re établi et le fait de dire que telle marq u e<br />
Est-ce que cette demande de reconnaissance n'est<br />
pas la porte d'entrée magnifiquement ouverte à<br />
l'instrumentalisation ou encore à la marchandisation ?<br />
est celle qu'il faut porter. N o t re travail consiste à mettre<br />
à jour ces tensions par rapport aux individus, au collectif,<br />
sur un environnement géographique, entre ce qui<br />
p o u r rait être <strong>des</strong> lieux culturels de la centralité urbaine<br />
et <strong>des</strong> lieux d'expressions jeunes qui se situeraient aux<br />
f ro n t i è res de la cité, dans les quartiers. Il nous faut donc<br />
e n t retenir une certaine tension entre ces différe n t s<br />
a c t e u rs, groupes sociaux. La question n'est pas de savoir<br />
s’ils ont tous le même discours, mais bien de mettre à<br />
jour ces différentes tensions.<br />
Edgar Garcia, chargé de mission rock auprès du Conseil<br />
Général de la Seine-Saint-Denis : Je ne suis pas sûr que<br />
ce soit seulement la question du pré-acquis qui conduit à<br />
ce que les musiques amplifiées aient une plus grande<br />
notoriété chez les jeunes. J'ai le sentiment que ce sont <strong>des</strong><br />
champs de pratiques qui échappaient, sur les trente dernières<br />
années, à la conception de beaux-arts dominante<br />
dans la vie culturelle du pays. Je ne suis pas sûr que cette<br />
remarque vaille plus pour les musiques amplifiées que<br />
pour la peinture par exemple. En revanche, je pense que<br />
pour les musiques amplifiées, pour le rock, etc, ce qui a pu<br />
jouer, c'est, premièrement, qu'elles échappent à cette<br />
conception normative de la vie culturelle, et deuxièmement,<br />
le fait que les modèles sur lesquels les adolescents<br />
pouvaient se construire étaient <strong>des</strong> modèles qui<br />
avaient en gros leur âge et en gros l'allure qu'eux avaient<br />
envie d'avoir. Cela offrait immédiatement un champ de<br />
réalisation de soi. Encore une fois, la même chose aurait<br />
pu prévaloir pour la peinture. A d'autres époques, d'autres<br />
formes d'expressions artistiques ont joué un peu ce rôle.<br />
En ce qui concerne la citoyenneté, j'ai également<br />
tendance à pre n d re le mot avec <strong>des</strong> pincettes parc e<br />
qu'au bout d'un certain moment, il est chargé de tas de<br />
choses contra d i c t o i res. Y a-t-il de la citoyenneté dans la<br />
musique ? J'ai tendance à me dire que : non. Dans la<br />
musique, on prend un instrument, on joue, on chante, il y<br />
a là, simplement, un moment donné de réalisation, de<br />
plaisir, d'expression de soi, quelque chose de profondément<br />
individuel. Je ne suis pas sûr qu'à ce moment-là, il<br />
faille parler de citoyenneté. Y a-t-il de la citoyenneté dans<br />
la pratique musicale ? Sans doute, mais à faible dose. En<br />
revanche, faut-il regarder les pratiques musicales avec une<br />
conception citoyenne ? Là, oui. J'ai tendance à penser que<br />
ce n'est pas dans le comportement individuel de tel ou tel<br />
pratiquant que la citoyenneté se joue, mais elle se joue<br />
d'une manière transversale. Nous retrouvons les questions<br />
éducatives… et il faudrait bien se garder de considérer<br />
que les pratiques musicales doivent les porter<br />
à elles seules. Sinon, il risque d'y avoir un danger qui<br />
est celui que nous avions dénoncé à plusieurs<br />
reprises, il y a quelques années, qui est en gros :<br />
“Messieurs, mesdames, vous qui vous occupez <strong>des</strong><br />
musiques amplifiées, réglez le problème de la jeunesse…”.<br />
Non, nous avons à peu près gagné sur cette légitimité<br />
de pratiques culturelles (et non plus de pansements<br />
ou de baume sur les plaies de la société), nous avons intérêt<br />
à ne pas en revendiquer une autre. Evitons de mal nous<br />
faire comprendre sur cette idée d'une citoyenneté qui<br />
trouverait particulièrement à s'exprimer dans le champ<br />
<strong>des</strong> musiques amplifiées du point de vue du pratiquant.<br />
En revanche, il y a une vraie question de société<br />
autour de ces pratiques culturelles, un peu comme toutes<br />
d'ailleurs, qui ont besoin d'acquérir une véritable place qui<br />
justement les sorte de ces pré-carrés et de ces précarités<br />
dans lesquelles on les a installées au fil <strong>des</strong> années de différentes<br />
manières, de plan ceci en projet “café-musique",<br />
etc. Peu importe ce qu'ils sont devenus, les uns et les<br />
autres. Par certains acteurs, cela a été vécu comme <strong>des</strong><br />
incitations à porter la soutane du missionnaire dans tel ou<br />
tel quartier, et un renoncement à ce qui fait l'essentiel de<br />
la question, c'est-à-dire les pratiques culturelles. Il en va<br />
de même pour les bibliothèques en certains endroits. C'est<br />
plus difficile à mettre en cause, c'est plus sournois mais il<br />
y a <strong>des</strong> tas d'endroits, aujourd'hui, où on interdit les livres<br />
de façon plus ou moins feutrée…<br />
Ensuite, je crois qu'il faut faire attention à l'opposition<br />
entre les gens et le politique. Je connais <strong>des</strong> politiques<br />
qui ne sont pas uniquement hostiles... La question de<br />
citoyenneté se pose aujourd'hui dans toute la société.<br />
C'est un déficit social extraordinaire ! Il n'y a même pas un
Français sur deux qui vote. Cela en dit long sur le ra pport n o m b reux à nous y référe r. Je pense que cela a conditionné<br />
tout ce qui est arrivé par la suite dans la maniè-<br />
<strong>des</strong> gens à la citoyenneté ! Cela veut dire que dans cette<br />
société, quelque chose aujourd'hui bloque, pour que les re d'approcher la musique qui n'était plus sur l'entrée<br />
gens interviennent de plain-pied sur ce qui fait leur vie classique individuelle par le biais <strong>des</strong> parents ou d'une<br />
quotidienne et leur vie à venir. Je pense que tout ce qui catégorie socioprofessionnelle. C'est une manière complètement<br />
radicale de voir les choses, sur un pro c e s s u s<br />
contribue à accro ître le fossé entre la politique, pas au sens<br />
politicien de l’acception politicienne, mais dans le sens de pédagogique qui n'est plus le même. <strong>Les</strong> structures classiques,<br />
type institutions spécifiques, qui sont amenées<br />
la vie de la cité, est dangereux. Cela produit les effets que<br />
l'on connaît, y compris la prise de rang de la démagogie qui actuellement sur le champ <strong>des</strong> musiques, ne doivent pas<br />
par la suite peut pre ndre <strong>des</strong> villes comme Vitro lles. évacuer les musiques actuelles et les musiques amplifiées.<br />
Elles doivent revoir leur positionnement pédago-<br />
Placer la citoyenneté au bon endroit, c'est poser la<br />
question à la société <strong>des</strong> moyens qu'elle accorde, du lieu gique et peut-être re n t rer dans une véritable pédagogie,<br />
où elle place les pratiques culturelles et de la re c o n n a i s- et ne pas s’occuper uniquement de la transmission d'un<br />
sance qu'elle leur donne en termes de moyens et de savoir musical indépendant de tout un contexte social,<br />
compétences, professionnelles pour les individus, collectives<br />
pour les structures qui les portent. Tout à l'heure , gement les notions de pré-requis.<br />
historique, culturel. Donc le problème dépasse très lar-<br />
Philippe Berthelot disait qu'on se tient “au service Po u rquoi la tournée “Musique et citoyenneté”<br />
de…", je crois absolument à cela, mais en même temps, a -t-elle été mise en place par la Fédurok ? Pour simplement<br />
déclencher la prise de conscience aussi bien pour aller au bout de cette logique, nous avons égale-<br />
au<br />
Faire attention à l’opposition entre les gens et la politique<br />
niveau <strong>des</strong> équipements, <strong>des</strong> associations,<br />
mais aussi <strong>des</strong> gens. Pour dire aux musiciens<br />
qui étaient, pour certains, <strong>des</strong> consomma-<br />
ment besoin de pouvoir dire en toute sérénité que nous t e u rs, pour d'autres <strong>des</strong> usagers : “ces lieux sont là<br />
sommes porteurs de partis pris, esthétiques ou de toute pour que vous soyez <strong>des</strong> citoyens parce que vous êtes<br />
a u t re nature. Le faire re c o n n a î t re, c'est faire accepter le <strong>des</strong> citoyens”. Nous avons découvert d'autres pro b l è m e s<br />
fait qu'il y a <strong>des</strong> professionnels et que, finalement, l'intervention<br />
publique, qui est nécessaire dans ce domaine, beaucoup n'étaient pas habitués au débat, à pre n d re la<br />
p a rce qu'en une trentaine de dates nous avons vu que<br />
ne peut pas être entière si elle ne comprend pas la p a role. Nous le voyons dans les quartiers où l'on fait <strong>des</strong><br />
nécessité impérieuse d'accepter la prise de risque que a r b res à palabres. Nous sommes obligés de fixer une<br />
s i g n i fie de mettre de l'argent public dans un domaine règle du jeu parce qu'ils sont tous coincés. Il y a là un<br />
pour risquer quelque chose. Pour risquer, il faut avoir t ravail que vous, les MJC en pre m i è re ligne, avez<br />
<strong>des</strong> professionnels avérés et cela pose la question d'une a u j o u rd'hui à mener.<br />
fil i è re qui ne peut pas fonctionner, comme je le disais Je défends le fait que mon lieu n'est pas neutre !<br />
tout à l'heure, comme fonctionnent les pompiers qui L'espace, le projet, les compétences ne sont pas neutre s .<br />
vont éteindre un feu ici ou là.<br />
Ils sont fortement impliqués sur le plan politique. Je ne<br />
m'en cache pas et j'espère que tout le monde est dans ce<br />
Philippe Berthelot : La notion <strong>des</strong> pré-requis est un cas-là, surtout à l'heure actuelle, où tout le monde<br />
débat de fond qui, là encore, repose sur une absence de semble endormi et où les responsabilités citoyennes<br />
connaissance socio-démographique. Nous avons aussi semblent délaissées. Nous ne pouvons plus nous dire que<br />
un problème de connaissance dans le domaine de la nous sommes <strong>des</strong> professionnels, que nous tra v a i l l o n s<br />
musicologie. D’ailleurs, si nous nous référons aux bouquins,<br />
nous nous apercevons qu'il n'y a pra t i q u e m e n t faut arrêter ce cloisonnement ! Nous avons tous <strong>des</strong> re s-<br />
sur la musique et que le reste, nous nous en moquons. Il<br />
pas d'étu<strong>des</strong>. Cela a souvent été abordé par l'angle social ponsabilités partagées. La pre m i è re chose à faire, du<br />
et absolument pas de la construction musicale. La moins celle qui nous paraît évidente, c'est de tra v a i l l e r<br />
notion de pré-requis est aussi une idéologie dominante, sur l'aspect éducatif et pédagogique. Il y a un déficit de<br />
un peu comme si dans le domaine du langage on disait connaissance, de compréhension et, en gros, c'est sur ce<br />
à un enfant de s'essayer à la parole avant d'avoir maîtrisé<br />
la syntaxe et l'orthographe. Je pense que ces sur <strong>des</strong> tournées avec <strong>des</strong> relations aux populations<br />
t e r rain-là que nous allons avancer, c'est-à-dire re v e n i r<br />
musiques proposent une entrée directe de faire et qu'il beaucoup plus pédagogiques. Là aussi, les lieux se sont<br />
y a <strong>des</strong> mouvements dont on n'a pas mesuré l'importance<br />
comme par exemple le mouvement punk qui, pour sique, dans leur vérité pre m i è re. Nous avons à faire<br />
enfermés, comme dans l'autre champ culturel plus clas-<br />
moi, a été déterminant dans l'approche. Nous sommes p reuve d'humilité.<br />
2 9
3 0<br />
Il nous faut revenir à l'occupation du terrain, que<br />
ce soit en milieu rural ou dans les quartiers et les<br />
c e n t res-villes parce que c'est déterminant, ne sera i t - c e<br />
que pour que nous ne nous enfermions pas dans nos<br />
lieux. Nos équipements sont certes <strong>des</strong> outils mais nous<br />
avons vraiment intérêt à être à l'extérieur. Il faut que<br />
nous allions chez les personnes parce que d'autres y<br />
sont. Je suis peut-être paranoïaque, mais je vois comment<br />
le FN infil t re les milieux associatifs. Là-<strong>des</strong>sus, il<br />
faut arrêter de se cacher derrière <strong>des</strong> discours très bien<br />
façonnés qui n'intéressent que nous-mêmes et qui ne<br />
font pas avancer le problème. Pour l'instant, nous avons<br />
l'obligation d'être opéra t i o n n e l s .<br />
Franck Lepage : Toutes les interventions qui ont eu lieu<br />
depuis tout à l'heure sont <strong>des</strong> interventions qui dépassent<br />
largement la simple question esthétique, la simple<br />
question de la musique. Ce sont <strong>des</strong> interventions politiques.<br />
Je vérifie que chacun a une intuition politique. Il<br />
est vrai que la citoyenneté est devenue un <strong>des</strong> mots<br />
valises. Cela ne nous empêche pas, nous, de les<br />
utiliser dans le bon sens. Avec Fernand, lors q u e<br />
nous avons gambergé sur le titre, nous nous<br />
sommes immédiatement posé ce genre de problème.<br />
La question n'est pas simple mais cela<br />
n'empêche pas que l'on soit conscient de la question, et<br />
de la question du “ET" en particulier. Il me semblait<br />
avoir été assez clair dans la conclusion de mon introduction<br />
en disant que la pratique musicale peut être un<br />
moyen de s'extra i re du politique ou bien un moyen de<br />
l ' i n t é g rer selon la manière dont on le travaille.<br />
Dans nos métiers, nous sommes en contact avec<br />
<strong>des</strong> gens par rapport à un problème qui est un pro b l è m e<br />
de lecture de la société qui laisse penser à certains que<br />
l'on va dans le mur et que l'avenir n'est pas joyeux ou<br />
que le présent est de plus en plus grave et, qu’effectivement,<br />
il n'y a rien qui marche !<br />
La société est organisée, et notamment l'action<br />
publique, dans le cadre d'un certain nombre de stra t é-<br />
gies qui sont pensées bien loin de nous - et avec<br />
l ' E u rope, cela ne va pas s'arranger - de manière totalement<br />
séparée, pour qu'il soit impossible de soulever les<br />
p roblèmes globalement. Je ne parle pas seulement de la<br />
musique. Cette façon de traiter les gens en fonction <strong>des</strong><br />
catégories de symptômes, les jeunes ou les pra t i q u a n t s ,<br />
rend difficile la construction <strong>des</strong> problèmes politiques, à<br />
une époque où personne ne veut plus faire de politique,<br />
le politique étant gravement délégitimé.<br />
Cependant, nous avons quelques intuitions.<br />
Philippe Berthelot et Loïc Taniou nous ont proposé leur<br />
vision sur cette idée du décloisonnement ou du tra n s-<br />
v e rsal. Je crois que c'est une façon de tra v a i l l e r. Cela<br />
suppose, effectivement, dans notre façon de mettre en<br />
œ u v re les musiques amplifiées, de le faire avec l'école,<br />
avec l'entreprise, l'hôpital, bref, de sortir de la simple<br />
p roblématique répétitions, concerts... pour aider ceux<br />
qui veulent construire une autre vision du monde qui<br />
n'est pas une vision du monde philosophique mais une<br />
vision socio-économique du monde. Est-ce qu'il y a <strong>des</strong><br />
gens qui sont prêts à essayer de se construire une autre<br />
représentation que celle qu'on veut nous faire bouffer<br />
actuellement, qui est : “on a une crise économique, il<br />
n'y a pas de place pour tout le monde et on y peut<br />
rien !” ? Cela s'appelle la pensée unique, le mondialisme,<br />
le libéralisme, vous mettez là-<strong>des</strong>sus les termes qui vous<br />
plaisent mais cela fait de nous, secteur associatif, <strong>des</strong><br />
agents dont le métier consiste à faire avaler cette<br />
c royance selon laquelle il n'y a pas de place pour tout le<br />
monde. Est-ce que nous ne pouvons pas réfléchir politiquement,<br />
entre nous, à cette question et à la façon de<br />
le faire fonctionner. Nous disposons de beaucoup d'analyses<br />
sociologiques, ne serait-ce que parce qu'il y a de<br />
Sortir de la simple problématique répétitions,<br />
concerts... pour aider ceux qui veulent construire<br />
une autre vision du monde<br />
n o m b reux labora t o i res sur le travail au CNRS, sur les<br />
gens qui sont intégrés dans cette société, c'est-à-dire<br />
qui bénéficient d'un salaire dans le cadre d'un contrat à<br />
durée indéterminée, qui ont une perspective de pro g re s-<br />
sion sociale parce qu'ils sont sûrs de leur fait. Ce sont<br />
m a j o r i t a i rement <strong>des</strong> hommes, ils ont plus de 30 ans, ils<br />
sont français de souche et ils sont globalement bien<br />
q u a l i fiés. Ceux-là sont donc au travail, sont intégrés.<br />
Tous les autres, les jeunes, ce qui veut dire moins<br />
de trente ans aujourd'hui, les femmes qui sont massivement<br />
exclues du monde du travail - je ne parle pas de<br />
l'emploi mais du travail - les plus de cinquante ans que<br />
l'on met en FNE et les gens issus de l'immigration, tous<br />
ceux-là, sont, dans la terminologie officielle de l'INSEE,<br />
<strong>des</strong> catégories à risques. Cela correspond à la moitié de<br />
la population. Pour ces gens-là, il y a <strong>des</strong> dispositifs, <strong>des</strong><br />
politiques nationales, régionales, locales et <strong>des</strong> trav<br />
a i l l e u rs sociaux. On monte donc <strong>des</strong> projets avec les<br />
femmes ou les gens issus de l'immigration. On peut aussi<br />
poser la question du rock, <strong>des</strong> musiques émergentes. En<br />
quoi notre façon d'être avec <strong>des</strong> gens sur ces questions<br />
<strong>des</strong> musiques émergentes va les aider à se construire<br />
une autre représentation du monde ? Aider <strong>des</strong> gens à se<br />
demander si on ne se moque pas de nous lorsqu'on nous<br />
dit qu'il y a une crise économique ? Et si cette crise n'est<br />
pas plutôt une crise culturelle, c'est-à-dire une crise du<br />
mode d'organisation, <strong>des</strong> capacités d'interroger l'école,
ADDICT<br />
le travail, les dispositifs d'insertion et d'interroger l'idée<br />
qu'il n'y a pas de place pour nous ? Cela pose une question,<br />
celle que posait Philippe Berthelot, celle de la<br />
reconnaissance. Je crois qu'il a fait quinze fois le tour du<br />
p a radoxe. À la fois, il nous dit qu'il faut qu'il y ait une<br />
reconnaissance préalable à un travail citoyen alors qu'en<br />
même temps, trop de reconnaissance est une prise en<br />
otage. Oui, cela étant, c'est bien dans cette contra d i c-<br />
tion que nous travaillons.<br />
En introduction à ces Rencontres, le DRAC,<br />
Monsieur Marguerin, nous a dit qu'une action culture l-<br />
le suppose un minimum de pensée politique, je suis d'acc<br />
o rd. Philippe Berthelot nous a dit que la citoyenneté se<br />
d é c o u v re au fur et à mesure <strong>des</strong> pistes que l'on veut<br />
bien nous laisser, pourquoi pas. Cela suppose d’identifie r<br />
<strong>des</strong> pratiques, de refuser le poujadisme et pour cela il<br />
faut brasser <strong>des</strong> publics - je re p rends volontiers une<br />
e x p ression de Loïc Taniou sur les esthétiques de la colère<br />
- donc cela suppose que l'on brasse <strong>des</strong> esthétiques de<br />
la colère. Pas d'une colère dans le vide mais d'une colère<br />
sur <strong>des</strong> objets précis, sur une représentation socioé<br />
c onomique du monde qu'on nous impose et sur la<br />
place qu'on n'a pas dedans lorsqu'on s'appelle Ka r i m ,<br />
Fatima, etc. Et brasser ces esthétiques de la colère, cela<br />
suppose de départager le vrai du faux, c'est-à-dire l'authentique<br />
du commercial. Je considère que le travail du<br />
c u l t u rel est de questionner le mode de fonctionnement<br />
économique, c'est-à-dire de questionner le capitalisme<br />
tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Et curiosité républicaine,<br />
il y a de l'argent pour cela. ❙<br />
3 1
2<br />
CORNU
<strong>Les</strong> enjeux d’une politique<br />
culturelle<br />
MODÉRATEUR :<br />
Gilles Castagnac,<br />
DIRECTEUR DU CENTRE<br />
D'INFORMATION ET DE<br />
RESSOURCES POUR LES MUSIQUES<br />
ACTUELLES (IRMA).<br />
Gilles Castagnac, directeur du centre d'Information<br />
et de Ressources pour les Musiques Actuelles<br />
(IRMA) : La table ronde de ce matin est intitulée “<strong>Les</strong><br />
enjeux d'une politique culturelle" mais sur le document<br />
d'origine, elle s'intitulait “une politique insuffisamment<br />
cohérente". En fait, ces deux angles cadrent<br />
ce que l'on souhaite aborder aujourd'hui, sachant que la<br />
notion d’enjeux permet peut-être plus de prospective. Ces<br />
Rencontres témoignent d’une volonté de rapprochement<br />
entre l'action culturelle et l'éducation populaire. Il s’agit<br />
donc autant d’examiner les connexions qui ne se sont pas<br />
établies, que de nourrir un approfondissement du dialogue<br />
et <strong>des</strong> collaborations.<br />
En introduction, je voudrais faire un lien avec ce qui<br />
a pu se dire lors de la table ronde précédente, du moins, ce<br />
que j'ai pu retenir d’un certain nombres de pistes qui ont<br />
été ouvertes. Ce sera ma contribution personnelle à la<br />
question posée : la musique produit-elle de la citoyenneté ?<br />
Une réponse semble évidente : c'est non. Maintenant, estce<br />
que, pour les musiques actuelles spécifiquement, la<br />
réponse ne pourrait pas être oui ? Pourquoi ? Parce que<br />
lorsque nous parlons de musiques actuelles, de musiques<br />
amplifiées… etc, nous parlons de musiques populaires et<br />
que peut s'y exprimer un paroxysme <strong>des</strong> cultures populaires,<br />
un ensemble de choses qui convergent vers <strong>des</strong> possibilités<br />
d'exercice de la citoyenneté.<br />
Nous avons parlé hier du mouvement punk ; n’oublions<br />
pas le slogan “do it yourself”. C’est un principe<br />
d’auto-production et donc d'une certaine forme de prise<br />
de pouvoir. Je crois que si nous parlons d’enjeux de<br />
Ces Rencontres témoignent d’une volonté de ra pprochement<br />
entre l'action culturelle et l'éducation populaire<br />
citoyenneté, les musiques populaires doivent être reconnues<br />
comme <strong>des</strong> espaces de prise de pouvoirs.<br />
C'est plus ou moins visible, plus ou moins fort, et il<br />
faut bien entendre le terme pouvoirs avec tous les “s" nécessaires.<br />
Mais on peut y définir un certain nombre d’espaces<br />
de conquête pour la citoyenneté. Espaces de construction<br />
INTERVENANTS :<br />
André Cayot,<br />
pour <strong>des</strong> aventures individuelles et artistiques<br />
bien sûr, mais également pour <strong>des</strong> entreprises<br />
collectives et culturelles, notamment autour<br />
Gilles Garnier,<br />
de la notion d'auto-entreprise, voire de “phénomènes<br />
de société”.<br />
CHEF-ADJOINT DU CABINET<br />
Ceci a été largement évoqué dans les<br />
débats de la Commission nationale <strong>des</strong> Marc Le Bourhis,<br />
musiques actuelles ; il s'agit d'un secteur où<br />
les acteurs manifestent une volonté réelle de<br />
Edgar Garcia,<br />
se prendre en charge et agissent sur l’ensemble<br />
de leur environnement social et cul-<br />
AU CONSEIL GÉNÉRAL<br />
CHARGÉ DE MISSION ROCK<br />
DE<br />
turel. On y dépasse vite la simple notion de<br />
SEINE-ST-DENIS,<br />
loisir. Prendre le pouvoir sur sa création, sur Didier Varrod,<br />
RAPPORTEUR GÉNÉRAL<br />
son environnement, sur sa vie, etc, ce sont<br />
bien <strong>des</strong> facteurs qui s’inscrivent dans les<br />
enjeux de la citoyenneté.<br />
Vincent Rulot,<br />
La table ronde précédente a permis de<br />
dire qu'il fallait favoriser l'émergence, interpeller<br />
l'économique. C'est ce qui a été un peu<br />
Philippe Moreau,<br />
évoqué autour <strong>des</strong> questions sur l'économie<br />
solidaire et, bien évidemment, Franck Lepage<br />
ne pouvait s'empêcher d’interpeller le politique.<br />
Ce qui n'a pas pu être développé aupa-<br />
PRÉSIDENT DU CENTRE<br />
Éric Doisnel,<br />
ravant converge vers ce qui pourra être abordé<br />
ce matin, l'interpellation du politique et<br />
les réponses qui peuvent être apportées concrètement : la<br />
construction <strong>des</strong> politiques publiques et culturelles en<br />
cours, l'analyse de ce qui a pu être fait et comment ce qui<br />
se construit peut se décliner dans l'action.<br />
Sur ces questions, je commencerai par donner la<br />
parole à André Cayot, inspecteur à la<br />
Direction de la Musique et de la Danse du<br />
Ministère de la Culture, pour qu'il nous<br />
éclaire sur les enjeux de cette politique<br />
culturelle en direction <strong>des</strong> musiques actuelles. Nous avons<br />
déjà eu une première approche donnée par Jean-François<br />
Marguerin, directeur régional <strong>des</strong> affaires culturelles de<br />
Haute-Normandie, dans son introduction évoquant la<br />
dichotomie entre la démocratisation de la culture - avec<br />
l'idée que les œuvres préexistent - versus la démocratie<br />
INSPECTEUR À LA DIRECTION<br />
DE LA MUSIQUE ET DE LA DANSE<br />
MINISTÈRE DE LA CULTURE,<br />
DU MINISTÈRE DE LA JEUNESSE<br />
ET DES SPORTS,<br />
CONSEILLER MUSIQUE E T DANSE À<br />
LA DRAC NORD-PAS-DE-CALAIS,<br />
DE LA COMMISSION NATIONALE<br />
DES MUSIQUES ACTUELLES,<br />
DIRECTEUR-ADJOINT CHARGÉ DU<br />
SECTEUR CULTUREL DE LA CLEF<br />
(ST-GERMAIN-EN-LAYE),<br />
RESPONSABLE DU SECTEUR<br />
CULTUREL MJC D'HALLUIN,<br />
RÉGIONAL DU ROCK<br />
ET DES MUSIQUES ACTUELLES.<br />
33
3 4<br />
culturelle qui part plus du principe que toute personne est,<br />
a priori, productrice de culture. La question restant de<br />
savoir comment accompagner cet investissement <strong>des</strong> personnes,<br />
extrêmement fort dans le domaine <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles.<br />
En guise de deuxième orientation pour les enjeux<br />
de cette politique, je me référe rai à la Lettre de la FFMJC<br />
qui introduit ces Rencontres. Dans l’interview de<br />
Vincent Rulot, on peut lire : “...mais l'erreur fondamentale<br />
a été de baser l'essentiel de la réflexion de<br />
l'État sur “la profession” (par exemple la fil ière<br />
disque et la professionnalisation <strong>des</strong> artistes, la création<br />
du Fonds de soutien), on a “oublié” la question<br />
<strong>des</strong> publics, la pratique amateur et l'aide au fonctionnement<br />
<strong>des</strong> lieux. Ces derniers, malgré les ai<strong>des</strong> à<br />
l’équipement, ne se sont pas sentis concernés par ce<br />
qui se passait ”. André Cayot peut-il répondre à cela ?<br />
André Cayot, inspecteur à la DMD du Ministère de la<br />
Culture : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à la<br />
q u e stion telle qu'elle vient d'être posée. Je ne pense pas<br />
que l'on puisse caricaturer aussi facilement et dire que la<br />
politique du Ministère de la Culture a oublié tout un pan<br />
d'activités et s'est uniquement centrée sur la professionnalisation.<br />
Il est bien évident que l'enjeu <strong>des</strong> pratiques<br />
artistiques et amateurs reste entier et complètement<br />
d'actualité. C'est un sujet dans lequel il faut<br />
re ntrer de plain-pied, mais je voudrais dire deux ou<br />
trois petites choses en préambule.<br />
D ’ a b o rd, je signale que les deux points de<br />
vue de l'État peuvent être un peu différents. En<br />
tout cas, ils ne viennent pas du même endroit. Le point<br />
de vue de Monsieur Garnier, du cabinet de Madame<br />
Buffet, et le mien - je ne suis qu'un mo<strong>des</strong>te technicien<br />
de la Direction de la Musique et de la Danse, du Théâtre<br />
et <strong>des</strong> Spectacles - sont évidemment différents. De plus,<br />
je viens de l'éducation populaire et je suis donc un peu<br />
atypique dans ce giron de l'Inspection et de la Création<br />
<strong>des</strong> Enseignements Artistiques. Là aussi, mon point de<br />
vue est certainement différent de celui d'un certain<br />
n o m b re de mes collègues qui sont pour la plupart issus<br />
d'un milieu musical plutôt classique.<br />
Ceci dit, la Commission <strong>des</strong> musiques actuelles travaille<br />
et va re ndre son rapport. Nous sommes dans une<br />
phase "entre parenthèses", de réflexion intense. D'autre<br />
part, la Direction de la Musique et de la Danse est en pleine<br />
re structuration. Tout ceci amène évidemment beaucoup<br />
de flou autour de ce que nous pouvons dire aujourd'hui.<br />
Mais pour répondre à la question posée en introduction<br />
sur la relation aux publics parfois difficile à établir,<br />
je signale que la sous-direction <strong>des</strong> enseignements et<br />
<strong>des</strong> pratiques artistiques disposera, comme le souhaitait<br />
Le développement <strong>des</strong> musiques actuelles doit être<br />
le résultat d’une politique concertée <strong>des</strong> collectivités<br />
territoriales et de l’État<br />
Dominique Wallon, d’un observatoire <strong>des</strong> publics.<br />
Pour ma part, depuis le temps que je travaille dans<br />
cette direction, j'ai constaté que le rôle de l'État était surtout<br />
de mettre au point <strong>des</strong> dispositifs. Des dispositifs qui<br />
ont été essentiellement nationaux et d'aide à la professionnalisation.<br />
La réflexion peut s'articuler autour de<br />
cette idée, car la décentralisation et la déconcentra t i o n<br />
nous ont déjà amené à considérer ces dispositifs au plan<br />
r é g i o n a l .<br />
Pour l'instant, force est de constater qu’ils n'ont pas<br />
encore trouvé leurs déclinaisons. Nous en sommes au<br />
niveau de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire que le<br />
développement <strong>des</strong> musiques actuelles doit être le résultat<br />
d'une politique concertée <strong>des</strong> collectivités territoriales<br />
et de l'État. À partir de là, nous devons constater qu'il y a<br />
eu une coupure entre la mise au point <strong>des</strong> dispositifs<br />
nationaux et leurs déclinaisons dans chacune <strong>des</strong> régions.<br />
On peut considérer que l'échelon régional, l'échelon <strong>des</strong><br />
collectivités territoriales, l'échelon que vous représentez<br />
ici et celui de l'émergence, sont la base de la pyramide. On<br />
peut aussi penser que l'État a mis en place <strong>des</strong> dispositifs<br />
au sommet de la pyramide et qu'il ne s'est pas soucié de<br />
répondre aux préoccupations de la base. J'en veux pour<br />
preuve les questions liées à l'enseignement.<br />
L'enseignement est une mission fondamentale de<br />
l'État, pour lequel (notamment dans le secteur de l'enseignement<br />
spécialisé) l'État n'a pas jusqu'alors proposé de<br />
dispositifs qui permettent au secteur <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles d'être clairement inscrit dans le champ de l'enseignement<br />
spécialisé. Il s'agit d'une réflexion qui n'est pas<br />
nouvelle et que vous abord erez sans doute lors de la table<br />
ronde intitulée “de nouveaux métiers ?”. Il s’agit donc<br />
d’accompagner les dynamiques d'aménagement du territ<br />
o i re que sont la mise au point, de studios de<br />
répétition, de scènes de musiques actuelles, d'un dispositif<br />
permettant l'expression artistique, que ce soit dans le cadre<br />
<strong>des</strong> pratiques amateurs ou de la pro fessionnalisation.<br />
L'État, pour l'instant, est encore dans une phase de<br />
réflexion sur la manière de prendre en compte cette dynamique<br />
dans le cadre de l'enseignement spécialisé. Je<br />
constate cette lourdeur, je la vis au quotidien. J'y travaille<br />
avec mes collègues de telle sorte que nous puissions avancer<br />
sur ce terrain-là, y compris à l'intérieur de notre<br />
d i re ction qui est censée mettre au point les examens, les<br />
diplômes… Donc, d’une part, nous travaillons à certifier<br />
<strong>des</strong> intervenants, <strong>des</strong> encadrants ou <strong>des</strong> professeurs de<br />
musique et, d'autre part, nous réfléchissons avec le
Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports sur la manière dont<br />
nous pourrions travailler sur la jonction de nos formations<br />
diplômantes.<br />
Nous pouvons imaginer qu'à un moment donné, par<br />
croisement, nous pourrons travailler ensemble à ce que les<br />
compétences musicales du réseau <strong>des</strong> professeurs d'enseignements<br />
spécialisés puissent être éventuellement mises<br />
au service d'un réseau d'intervenants du secteur socioculturel.<br />
Intervenants qui n'ont pas nécessairement toutes<br />
les formations ou toute la compétence artistique requise<br />
mais qui ont, en revanche, beaucoup de choses à nous<br />
apprendre au point de vue de la médiation culturelle. Tout<br />
cela reste encore à concrétiser et je pense que la jonction<br />
entre le secteur de l'action culturelle et le secteur socioculturel<br />
se marquera aussi par <strong>des</strong> actions de ce type-là.<br />
J'espère que nos deux ministères sauront rapidement se<br />
rencontrer pour mettre au point ces dispositifs de rapprochement<br />
à travers lesquels nous avons tous à gagner.<br />
Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />
la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Je suis tout à fait satisfait que<br />
nous nous retrouvions, non seulement au sommet mais<br />
surtout à la base. Il est vrai que nous sommes dans deux<br />
ministères de cultures (au sens large du terme) différentes<br />
et que, parfois, les DRAC et les DRJS ne se connaissent pas<br />
et ne travaillent pas ensemble. Mais, à mon avis, la<br />
démonstration peut être faite par vous-mêmes - professionnels<br />
présents dans cette salle - lorsque vous avez<br />
besoin d'un interlocuteur, qu'il soit “jeunesse et sports”<br />
ou “culture”, c'est vous qui agissez parce que vous avez<br />
besoin de tel interlocuteur de la Culture pour telle réponse<br />
ou de tel interlocuteur de Jeunesse et Sports pour telle<br />
autre réponse.<br />
Catherine Trautmann et Marie-George Buffet ont<br />
décidé un certain nombre de chantiers et cette première<br />
réunion de nos deux administrations a été un premier pas.<br />
Comme il vous a été dit tout à l’heure, nous travaillons<br />
ensemble sur les formations, mais aussi sur les métiers et<br />
les pratiques nouvelles.<br />
<strong>Les</strong> ministères doivent contracter avec les associations<br />
ou les collectivités locales, mais cela doit se faire dans<br />
la clarté et dans la volonté de dialoguer<br />
Du côté du Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports,<br />
nous avons cette facilité d'avoir <strong>des</strong> opérateurs de terrain<br />
plus proches du milieu associatif et <strong>des</strong> pratiques socioculturelles.<br />
C'est une véritable chance. Nous avons bénéficié<br />
de cela tout simplement parce que nous avons été en<br />
partie oubliés de certaines gran<strong>des</strong> lois du début <strong>des</strong><br />
années 80 et avons ainsi maintenu cette très forte présence<br />
sur le terrain. Pour nous, les pratiques musicales,<br />
comme toutes les autres pratiques culturelles, sont vraiment<br />
prises dans ce principe générique d'éducation populaire.<br />
Un concept de forte puissance dans le sens où il<br />
révèle la capacité <strong>des</strong> individus à se mobiliser en dehors du<br />
temps scolaire et du temps de travail pour s'organiser,<br />
créer, inventer et interroger le monde... Je crois qu'il faut<br />
cependant éviter deux écueils dans le dialogue du<br />
Ministère avec les associations d'éducation populaire.<br />
Premièrement, c'est la volonté d'instrumentalisation,<br />
de dire que la politique publique ne doit être que le<br />
relais de celle <strong>des</strong> associations. Personnellement, je tiens<br />
beaucoup à l'indépendance <strong>des</strong> réseaux. <strong>Les</strong> ministères<br />
doivent contracter avec les associations ou les collectivités<br />
locales, mais cela doit se faire dans la clarté et avec la<br />
volonté de dialoguer.<br />
Deuxièmement, il faut bien évidemment éviter<br />
l'abandon comme cela a été le cas ces dernières années. La<br />
première chose que nous pouvons faire consiste à obtenir<br />
<strong>des</strong> moyens financiers plus importants. Dans le cadre du<br />
budget 1998, ce sont 10 millions de francs supplémentaires,<br />
c’est certes très peu, mais déjà un premier pas.<br />
Il nous faut également avoir <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> plus importantes<br />
en matière de postes pour les associations ; je<br />
pense aux 350 postes FONJEP qui ont été obtenus cette<br />
année. Et puis, il faut aussi à nouveau occuper un certain<br />
nombre de terrains sur lesquels il y avait abandon,<br />
lâchage… Po u rquoi ? Pa rce que lorsque Madame Buffet<br />
a organisé les Rencontres de la Jeunesse tout l'automne<br />
d e r n i e r, une <strong>des</strong> revendications principales <strong>des</strong> jeunes<br />
présents à ces re n c o n t res a été l'accessibilité à la pratique<br />
culturelle, autant en tant que spectateur qu’en<br />
tant que pratiquant amateur.<br />
Notre ministère n'a pas, loin s'en faut et heureusement,<br />
le monopole de l’accessibilité. D’ailleurs personne ne<br />
le revendique. Dans le dialogue que nous avons mené avec<br />
le ministère de la Culture, <strong>des</strong> mesures précises ont été<br />
proposées par les jeunes et validées par nos deux Ministres<br />
et par le Premier Ministre. Notons le fait que le Ministère<br />
de la Culture a abondé un certain nombre de crédits sur<br />
<strong>des</strong> lieux de pratiques musicales. Je crois donc qu'il<br />
y a un certain nombre de choses sur lesquelles<br />
nous avons pu avancer.<br />
Un autre reproche qui était fait, était de<br />
dire que le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports<br />
était tellement généraliste qu'on pouvait tout lui demander,<br />
mais qu'il ne pouvait rien faire. C'est vrai que lors q u ' o n<br />
lui pose la question de participer à telle ou telle manifestation<br />
culturelle, notre ministère intervient pour une<br />
somme tellement dérisoire que cela paie le quart du car<br />
qui va amener le groupe de jeunes à Bourges ou à La<br />
Rochelle. Même si ce n'est pas cela le problème, nous<br />
avons travaillé avec le Ministère de la Culture pour que<br />
3 5
3 6<br />
l'ensemble de la manifestation soit prise en compte.<br />
C'est-à-dire qu'il y ait une recherche à la fois sur la baisse<br />
du coût de certains spectacles, la baisse <strong>des</strong> transports et<br />
la baisse du coût de l'hébergement.<br />
Nous pouvons mettre le maillage départemental à<br />
la disposition de tout ce qui vient d'émerger. Si la volonté<br />
de travailler avec le Ministère de la Culture est souhaitable<br />
et risque d'être fructueuse, il faudra que les choses avancent<br />
vite. Nous devons mettre un certain nombre de personnels<br />
à la disposition <strong>des</strong> associations, <strong>des</strong> groupes<br />
musicaux émergents... Mais cela ne pourra se faire que<br />
dans un cadre budgétaire qui n'est pas celui qui est le<br />
nôtre aujourd'hui. Le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong><br />
Sports, c'est 2 milliards 700 millions de francs. Pour vous<br />
donner un ordre d'idée, le budget de la Région Ile-de-<br />
France est de 15 milliards de francs, et dans un autre<br />
domaine, celui du CCAS-EDF est de 2 milliards de francs !<br />
Un <strong>des</strong> chantiers ouverts, et l'une de nos fortes présences,<br />
touche l'aménagement <strong>des</strong> rythmes de l'enfant et<br />
du jeune. C'est un espace sur lequel notre Ministère a<br />
toute sa place en coopération avec le Ministère de la Ville<br />
et ceux de la Culture, de la Solidarité et de l'Éducation<br />
nationale. Nous nous apercevons que, sur le terrain, un<br />
bon nombre d'expériences ont été menées et touchent les<br />
pratiques musicales. <strong>Les</strong> groupes ont été sollicités pour<br />
participer à toutes les activités périscolaires mises en place<br />
par les associations et les collectivités locales et coorganisées<br />
par notre Ministère. Il nous faut garder cette<br />
spécificité d'intervention sur les champs de l'école, du tra vail...<br />
En tous cas, pour résumer, le Ministère de la<br />
Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, ce n'est pas que celui <strong>des</strong> sports.<br />
Nous nous réinvestissons totalement dans le dialogue<br />
d'éducation populaire. Pour preuve : au mois d'octobre,<br />
nous allons organiser un grand colloque sur l'éducation<br />
populaire qui ne sera pas le colloque <strong>des</strong> seuls grands<br />
réseaux mais qui permettra de réunir l'ensemble <strong>des</strong><br />
acteurs nouveaux de l'éducation populaire et, en particulier,<br />
<strong>des</strong> gens que j'ai plaisir à nommer comme les “monsieur<br />
Jourdain" de l'Éducation Populaire, qui en font sans<br />
vraiment le savoir. Sur le terrain, dans les villes, dans les<br />
quartiers, dans les maisons de quartier, il y a beaucoup de<br />
choses qui émergent et qui ne sont pas toujours forcément<br />
en dialogue avec notre ministère et avec les pouvoirs<br />
publics et, parfois, non plus avec les grands réseaux d'éducation<br />
populaire. Ce grand colloque permettra de donner<br />
un nouveau souffle à l'éducation populaire et je crois que<br />
la pratique musicale en est un <strong>des</strong> pôles les plus importants.<br />
Gilles Castagnac : Schématiquement, nous entendons,<br />
d'une part, un Ministère de la Culture qui reconnaît que<br />
ses principaux dispositifs ont été mis en place autour <strong>des</strong><br />
questions de la professionnalisation et, d'autre part, un<br />
Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports qui se positionne sur<br />
les pratiques amateurs parce que le cadre de l'éducation<br />
p o p u l a i re est hors du temps de travail, hors du temps<br />
s c o l a i re. Reste que, parmi les choses évoquées lors de la<br />
table ronde précédente, ces pratiques-là se développent<br />
aussi avec, en parallèle, une remise en cause <strong>des</strong> principes<br />
de l'intégration par la voie salariale. C'est-à-dire qu'elles<br />
vont au-delà d'une simple pratique de loisir sans pour<br />
autant trouver de cadre d’accueil. N'est-ce pas justement<br />
sur cet espace qu'il faut travailler ? Espace tout à fait spécifique<br />
mais mal défini parce qu'on utilise encore une<br />
dichotomie simpliste entre les loisirs <strong>des</strong> amateurs et les<br />
professionnels... qu'on renvoie alors simplement au showbusiness.<br />
Pour permettre la rencontre, ne faut-il pas remettre<br />
en cause ces grands clichés ? N’est-ce pas en termes d’ac -<br />
tion et de développement culturel qu’il reste nécessaire de<br />
trouver <strong>des</strong> outils de travail communs ? Sur la question de<br />
la décentralisation, André Cayot a bien évoqué la déclinaison<br />
<strong>des</strong> outils nationaux pour construire l'action culture lle.<br />
Ecoutons maintenant le propos de Marc Le Bourhis, acteur<br />
de cette déconcentration.<br />
Marc Le Bourhis, conseiller Musique et Danse à la DRAC<br />
Nord-Pas-de-Calais : On m'a demandé de parler de ma<br />
perception de la mise place <strong>des</strong> politiques en matière de<br />
musiques d'aujourd'hui, perception vue par un conseiller<br />
Musique et Danse qui travaille dans une DRAC, c'est-à-dire<br />
un service extérieur du Ministère de la Culture.<br />
Je pense qu'il n'est pas utile de revenir ou de développer<br />
les enjeux que l'on perçoit et qui sont réels autour<br />
<strong>des</strong> musiques d'aujourd'hui et <strong>des</strong> lieux développant <strong>des</strong><br />
politiques en matière de musiques d'aujourd'hui. Ils sont<br />
bien sûr multiples. Nous pouvons parler d'enjeux culturels,<br />
d'enjeux artistiques, d'enjeux sociaux et puis aussi d'enjeux<br />
économiques... À chacun de ces grands enjeux de<br />
société, nous allons trouver <strong>des</strong> objectifs tout aussi multiples<br />
et l'ensemble de ces objectifs cerne l'exigence forte<br />
qu'il y a autour <strong>des</strong> lieux “musiques d'aujourd'hui".<br />
Très rapidement, les objectifs sont ceux de la diffusion,<br />
de l'animation, de la formation, de la sensibilisation<br />
et ceux de la création et du développement de carrières,<br />
développement d'artistes. Après maintenant six ans passés<br />
dans ce Ministère comme conseiller, j'ai la perception qu'il<br />
existe un dénominateur commun autour de tous ces lieux<br />
mis en place assez récemment : leur grande fragilité.<br />
Finalement, il existe assez peu de structures, à part ces<br />
lieux, où il y a autant d'exigences et auxquels on assigne<br />
autant d'objectifs, et bien souvent avec <strong>des</strong> moyens comptabilisés<br />
au plus juste. Nous pensons à la somme de toutes<br />
les obligations, le poids grandissant de la législation - il ne<br />
s'agit pas de la re mettre en cause, mais vous savez qu'il y a
une réflexion actuellement sur la TVA - le poids <strong>des</strong> taxes<br />
parafiscales, le respect <strong>des</strong> charges sociales, <strong>des</strong> droits<br />
d'auteur…<br />
Il est nécessaire de professionnaliser les lieux<br />
“musiques d'aujourd'hui" tout en tenant compte de<br />
l'énorme complémentarité <strong>des</strong> financements et donc <strong>des</strong><br />
incertitu<strong>des</strong> qui y sont liées. Je donne un exemple rapide :<br />
les financements qui proviennent de l'État dans toutes ses<br />
dimensions, <strong>des</strong> collectivités, nombreuses ; il y a au moins<br />
trois niveaux de collectivités voire quatre puisque l'on voit<br />
<strong>des</strong> districts se mettre en place. <strong>Les</strong> financements politiques<br />
de la ville sont systématiquement débloqués sur <strong>des</strong><br />
projets spécifiques et, en aucun cas, ils ne viennent soutenir<br />
le lieu pour sa politique globale. Il existe aussi les<br />
financements du Fonds d’Action Sociale et tous les autres<br />
types de guichets qu'on peut imaginer. Nous avons parlé<br />
tout à l'heure <strong>des</strong> postes FONJEP, mais il y a aussi les<br />
emplois jeunes, le fonds interministériel à la ville... Il y a<br />
donc une multitude de financements et de guichets auxquels<br />
les directeurs doivent faire appel parce qu'ils n'ont<br />
pas un budget en propre, contrairement à une scène<br />
nationale qui a 15 millions de francs, 1 million de fra n c s<br />
de recettes pro p res, ce qui donne un énorme confort<br />
pour tra v a i l l e r. Face à cela, est attendue une énorme<br />
polyvalence d'équipes de ces lieux qui sont numériquement<br />
faibles : <strong>des</strong> talents de direction artistique, de<br />
médiation culturelle, <strong>des</strong> talents de directeur d'équipement,<br />
de technicien, de gestionnaire …<br />
Il existe également l'énigme <strong>des</strong> publics. Même si on<br />
est libre de dire que le Ministère de la Culture ne s'est pas<br />
90 % <strong>des</strong> couches jeunes de la population se tournent<br />
vers les musiques d'aujourd 'hui<br />
préoccupé du public, ce n'est pas le sentiment que j'ai.<br />
Cela fait maintenant 15 ans que l'on entend le discours sur<br />
la meilleure façon de faire le public de demain, et on<br />
s'aperçoit que le travail avec la pratique amateur, le travail<br />
avec le public, n'a pas créé plus de public. En gros, seuls<br />
10 % - et même cela a tendance à fléchir - de la population<br />
participent au phénomène culturel. Donc, quand vous<br />
constatez l'ensemble <strong>des</strong> faiblesses, vous avez un cocktail<br />
absolument détonant et il n'y a justement rien d'étonnant<br />
à ce que ces lieux soient régulièrement en danger et<br />
nécessitent <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> d'urgence.<br />
J'ai travaillé dans deux régions différentes, tout<br />
d'abord en Lorraine puis maintenant dans le Nord-Pas-de-<br />
Calais, et j'ai à chaque fois fait le constat de la faiblesse de<br />
l'implication <strong>des</strong> villes et <strong>des</strong> départements. En Nord-Pasde-Calais,<br />
nous avons la chance d'avoir un partenariat très<br />
actif, bien supérieur à celui que l'on peut avoir avec l'État,<br />
avec le Conseil Régional et, globalement, nous avons la<br />
parité sur l'ensemble <strong>des</strong> lieux. C’est assez exceptionnel.<br />
Mais je suis encore étonné de la faiblesse de l'implication<br />
<strong>des</strong> villes alors que 90 % <strong>des</strong> couches jeunes de la population<br />
se tournent vers les musiques d'aujourd'hui. Mais,<br />
pour une ville, mettre 600 000 francs dans un lieu qui doit<br />
travailler sur l'ensemble de la chaîne, de la diffusion, de<br />
l'information, de la création... est-ce bien raisonnable<br />
finalement ?<br />
Peut-être y a-t-il aussi une réticence de la part de<br />
nombre d'élus à investir dans le phénomène privé. C'est<br />
vrai que, jamais très loin, il y a une structure privée qui<br />
programme et finalement qui ne coûte pas un franc d'arg ent<br />
public. <strong>Les</strong> salles qui tournent toutes seules sont vra iment<br />
légion, donc je crois que les directeurs de lieux comme les<br />
vôtres doivent travailler sur l'ensemble de cette chaîne de<br />
“l'animation-diffusion", de la formation, de la sensibilisation<br />
<strong>des</strong> publics et bien entendu, de la création.<br />
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, j'ai<br />
le sentiment que l'on ne peut pas se permettre de tra vailler<br />
uniquement sur l'émergence de lieux. En partenariat<br />
avec le Conseil Régional, nous avons souhaité développer<br />
une politique de niveau régional et, maintenant, il y a en<br />
N o rd - Pas-de-Calais une association qui travaille avec<br />
l'ensemble <strong>des</strong> lieux “musiques d'aujourd'hui". Cette<br />
association vient travailler site par site, sur la base d'une<br />
mise en réseaux, d'une complémentarité <strong>des</strong> actions possibles.<br />
Je cite par exemple <strong>des</strong> opérations spécifiq u e s<br />
comme “La Semaine de la Chanson" mais aussi <strong>des</strong><br />
résidences itinérantes d'artistes et tout un travail sur les<br />
actions de communication globale. Il y a aussi un pôle<br />
régional <strong>des</strong> “musiques d'aujourd'hui". Il est<br />
très actif et réalise un excellent travail. L'intérêt<br />
<strong>des</strong> structures complémentaires, <strong>des</strong> écoles <strong>des</strong><br />
musiques dites d'aujourd'hui, de par leur positionnement<br />
sur la formation de formateurs, est de perm<br />
e t t re d'arriver à une cohérence sur l'ensemble de cette<br />
c h a î n e .<br />
A propos <strong>des</strong> complémentarités entre les réseaux<br />
d'éducation populaire et les structures qui relèvent peutêtre<br />
plus du giron du Ministère de la Culture, je n'ai jamais<br />
eu une lecture séparée. Je n'ai jamais eu d'états d'âme à<br />
travailler avec <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture.<br />
Quand on lit dans La Lettre N° 13 que lorsqu'une MJC veut<br />
créer une SMAC, le conseiller de la DRAC demande souvent<br />
à ce que l'on crée une association complètement indépendante,<br />
je crois que c'est une lecture un peu faussée <strong>des</strong> circulaires.<br />
Même si effectivement on parle de l'autonomie<br />
artistique et de l'autonomie budgétaire <strong>des</strong> équipes, il y a<br />
malgré tout beaucoup d'exemples où il y a un suivi et pas<br />
uniquement dans le domaine <strong>des</strong> musiques d'aujourd'hui.<br />
Je veux parler de la MJC Terre Neuve à Dunkerque ou du<br />
Centre Culturel André Malraux à Va ndœuvre. Il y a un<br />
3 7
3 8<br />
partenariat très actif du Ministère de la Culture avec ces<br />
établissements. Et il y en a d'autres. Je citerai la MJC de<br />
Belleville-sur-Meuse qui a vu naître un festival. Je pense<br />
également à un partenariat autour de la MJC de St-<br />
Saulve, dans la banlieue valenciennoise, où il y a un travail<br />
émergent avec les enfants. Enfin, nous pouvons aussi parler<br />
du dernier lieu créé dans le Nord-Pas-de-Calais - “Le<br />
Grand Mix" - et qui est peut-être une <strong>des</strong> scènes de<br />
musiques actuelles les plus achevées, et qui fait un travail<br />
très intéressant avec les MJC de Tourcoing.<br />
Gilles Castagnac : Je relève qu'en parallèle à la notion de<br />
déclinaison, évoquée par André Cayot, apparaît ici la<br />
notion de développement de politiques régionales basées<br />
sur la mise en réseaux. Ce peut être un principe de remontée<br />
qui facilite la rencontre d’acteurs aussi bien impliqués<br />
dans le domaine culturel proprement dit, que dans le<br />
domaine socio-culturel. Si on leur permet de construire<br />
ensemble une politique - au minimum de participer à sa<br />
construction - cela semble une manière plus réelle de faire<br />
émerger la cohésion, voire, paradoxalement, la<br />
cohérence. La construction <strong>des</strong> politiques culturelles<br />
repose sur l'intervention - qui n'a cessé d e<br />
g randir au cours de ces 15 dernières années -<br />
<strong>des</strong> collectivités territoriales.<br />
Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil général<br />
de Seine-St-Denis : Plus qu'une expérience, c’est<br />
une conception que je voudrais évoquer. En premier lieu,<br />
je voudrais dire que je travaille pour un Conseil Généra l<br />
qui a décidé d'investir un domaine pour lequel il n'a<br />
aucune obligation réglementaire ou légale. Je ne parle<br />
pas là <strong>des</strong> musiques amplifiées en particulier, je parle<br />
du champ culturel de manière générale. J'ouvre une<br />
petite parenthèse rapide mais je me plais toujours à le<br />
souligner : le 93 est le premier département théâtral de<br />
F rance après Paris. C’est un département qui accueille<br />
aussi bien le festival de St-Denis, que “Banlieues<br />
Bleues" ou la plus grande manifestation européenne de<br />
littérature de jeunesse avec le Salon du livre de jeunesse<br />
à Montre u i l .<br />
Des élus ont donc décidé d'investir un champ qui<br />
n'est pas réglementaire et à une hauteur importante,<br />
puisque, si je ne me trompe pas, je crois que nous avons<br />
<strong>des</strong> budgets d'environ 85 millions de francs pour la cult<br />
u re, hors investissements, hors travaux… Je ne veux pas<br />
non plus en dresser un panégyrique et je pense que<br />
beaucoup de choses sont à soumettre au crible d'une<br />
critique parfois ra d i c a l e .<br />
Cette démarche met en jeu une idée très forte qui<br />
est une caractéristique bien française, celle de la responsabilité<br />
publique. Franck Lepage utilisait, hier, une formule<br />
pour dire qu'il y avait <strong>des</strong> exigences de culture dans ce<br />
pays et de l'argent qui y était consacré. De l'argent pour<br />
cultiver, pour réfléchir, pour penser, pour agiter. Je crois<br />
énormément à cette responsabilité publique. Cela me<br />
semble être une chose importante que l'on a pourtant eu<br />
tendance à banaliser ces dernières années. Cette banalisation<br />
vient de ce que la préoccupation culturelle a été<br />
laminée. Quand je dis “culturelle", je le dis au sens large<br />
du terme, y compris dans ce que cela comprend d'éducation<br />
populaire par exemple, puisque sans être un spécialiste<br />
de ce secteur, il convient, à mon sens, de le porter à un<br />
haut niveau.<br />
Lorsque nous prenons cette question et que nous la<br />
regardons sous l'angle <strong>des</strong> musiques amplifiées, cela nous<br />
donne un champ de perspectives et peut-être même un<br />
peu d'oxygène. Le domaine <strong>des</strong> musiques amplifiées qui a<br />
souvent été l'objet de pratiques rétrécissantes, utilitaristes,<br />
instrumentalistes, a servi “à s'occuper <strong>des</strong> jeunes".<br />
Ainsi, entre le “jeunisme" d'un côté et la logique “beauxarts"<br />
de l'autre, ces pratiques culturelles n'avaient pas<br />
Le paradoxe, dans ces musiques, c’est qu'elles sont tout<br />
à la fois sur le segment privé et le segment public<br />
droit de cité jusqu'à présent. Ainsi, nous avons vu naître<br />
<strong>des</strong> projets, <strong>des</strong> dispositifs, <strong>des</strong> actions qui étaient, pour un<br />
certain nombre, marqués du sceau de la faiblesse de<br />
moyens et de conceptions. Ce qui ne permettait pas de<br />
tirer les choses vers le haut.<br />
Il existe une pratique culturelle dans les musiques<br />
amplifiées. Cependant, même si nous en sommes à peu<br />
près tous d’accord, il y a encore beaucoup de personnes à<br />
convaincre. Ces pratiques culturelles ne sont pas uniquement<br />
présentes dans l'usage de l'instrument ou dans l'exégèse<br />
de tel ou tel genre musical, mais aussi parce qu'il y a<br />
du développement individuel. Ce qui doit préoccuper les<br />
élus qui décident une politique et les techniciens qui la<br />
mettent en œuvre, c'est de savoir si l'argent public, mis<br />
dans le champ <strong>des</strong> pratiques culturelles, contribue au<br />
développement de l'individu, à sa capacité à s'enrichir et<br />
donc à prendre davantage pied sur le réel et éventuellement<br />
agir pour sa transformation ou son appropriation. Je<br />
pense que la société doit avoir ce type d'exigence au<br />
regard de la pratique culturelle et reconnaître la part de<br />
risque et la part de création.<br />
Gilles Castagnac posait la question de savoir si le<br />
secteur de l’éducation populaire devait s'autoriser l'excellence<br />
en termes d'exigence artistique. Evidemment, mais<br />
je pense aussi que tout le monde doit se l'autoriser et que<br />
nous devons la revendiquer comme partie intégrante de<br />
notre propos, qu'il soit professionnel ou “amateur spécialisé".<br />
Bien entendu, il y a du loisir, de la détente, du diver-
tissement, mais pourquoi ne pas avoir l'exigence de loisirs<br />
tirés vers le haut, car derrière le loisir, il y a aussi de la pratique<br />
artistique. <strong>Les</strong> pratiques culturelles sont un<br />
ensemble. Mais à l'intérieur de cet ensemble, il y a quelque<br />
chose de radicalement singulier, qui n'appartient qu'à l'individu,<br />
qui porte la singularité même de l'acte créatif, c'est<br />
le champ <strong>des</strong> pratiques artistiques. Je pense que la pire <strong>des</strong><br />
choses pour les musiques actuelles serait de baisser la<br />
garde sur ce point.<br />
D'autant plus qu’il s’agit d’un secteur assez perverti<br />
par la dominante de la marchandisation. Il y a quelque<br />
chose de constitutif aux musiques actuelles. C'est un paradoxe<br />
avec lequel il faut que nous apprenions à vivre<br />
puisque, tout à la fois lieux d'exigences artistiques et culturelles<br />
et lieux de création, elles sont également lieux de<br />
marchandise, lieux d'échange dans une économie qui est<br />
ce qu'elle est. À ce propos d'ailleurs, lorsqu'on évoque la<br />
question <strong>des</strong> moyens dont nous disposons et qui sont largement<br />
insuffisants, je pense qu'il faut que nous nous<br />
autorisions à aller du côté de ce marché. Je suis sûr que<br />
certains d'entre nous contribuons largement à l'émerg ence<br />
d'artistes qui, par la suite, contribuent aux fins de mois<br />
grassement payées <strong>des</strong> titulaires <strong>des</strong> fonds de pension qui<br />
possèdent la moitié de CBS, Sony… Cette économie du<br />
disque, qui fonctionne bien, a l'art de ramasser la mise<br />
sans avoir à être présente dans la mise de fonds.<br />
Le paradoxe, dans ces musiques, c’est qu'elles sont<br />
tout à la fois sur le segment privé et le segment public.<br />
Peut-être qu'il nous faut définitivement arrêter d'avoir<br />
peur et prendre en compte ce qui se passe réellement. Que<br />
les financements soient aussi de source privée ne me<br />
semble pas être nécessairement un problème, à partir du<br />
moment où ils obéissent à un cahier <strong>des</strong> charges. Un<br />
cahier <strong>des</strong> charges qui ne peut relever que de l'affirmation<br />
par la puissance publique de sa prise de responsabilité.<br />
Face aux collectivités, je pense que nous devons<br />
avoir l'exigence, envers les élus, de poser la question dans<br />
ces termes-là : “quelle politique voulez-vous mener ?" et<br />
“quelle politique voulons-nous que vous meniez ?".<br />
Nous devons poser la question dans les deux sens, avec<br />
l'ambition d'avoir <strong>des</strong> étages de responsabilités qui se <strong>des</strong>sinent<br />
et qui se complètent les uns et les autres. Il y a celui<br />
de la Ville, celui du Département, de la Région, celui de l'État.<br />
Je pense que ces quatre paliers peuvent avoir <strong>des</strong><br />
niveaux d'intervention différents et complémentaires : la<br />
région sur la formation, on peut imaginer que les départements<br />
soient davantage en prise sur <strong>des</strong> actions à caractère<br />
éducatif, les villes peuvent être plus en phase avec<br />
l'émergence de lieux de répétition… Tout cela avec <strong>des</strong><br />
financements croisés. Pour le reste, j'attends les conclusions<br />
de la Commission nationale <strong>des</strong> musiques actuelles<br />
pour voir si la responsabilité de l'État va s'engager. Pas<br />
seulement en termes financiers, mais pour qu'il y ait bien<br />
<strong>des</strong> cadres réglementaires qui permettent de structurer<br />
l'espace <strong>des</strong> musiques amplifiées, et que <strong>des</strong> recommandations,<br />
voire même que <strong>des</strong> conditions, soient édictées pour<br />
l'élaboration et la mise en place de lieux de répétition ou<br />
de diffusion.<br />
Enfin, je voudrais parler <strong>des</strong> moyens dont nous disposons.<br />
Je ne vais pas en rajouter sur le fait qu’ils sont<br />
insuffisants. Cependant, on ne peut plus se contenter de le<br />
répéter chaque année. Je pense qu'il y a un travail d'information,<br />
de pression à organiser. Il n'est pas possible que<br />
dans ce pays, alors qu'il y a une nouvelle donne évidente<br />
et que nous sommes quelques-uns à penser que cette<br />
nouvelle donne l'emporte, on puisse continuer à travailler<br />
avec les critères et les règles à calcul qui ont été en<br />
vigueur les années précédentes. On ne peut attendre <strong>des</strong><br />
SMAC qu'elles fassent tout et le reste, avec <strong>des</strong> budgets<br />
qui sont ridicules et <strong>des</strong> personnels qui sont mal payés ou<br />
qui envisagent de se mettre aux Assedic durant quelque<br />
temps pour éviter de gonfler leur déficit. Cette précarité-là<br />
n'est pas possible. Il faut de véritables engagements politiques<br />
sur cette question.<br />
Gilles Castagnac : Pour compléter une <strong>des</strong> pistes évoquées,<br />
je ra p p e l l e rai juste que l'industrie musicale<br />
représente, en Gra n d e - B retagne, le troisième poste de<br />
rentrée de devises. Ici aussi, cette économie est réelle.<br />
Elle repose sur une organisation de la consommation<br />
qui pèse et configure la manière dont les pratiques se<br />
développent. Face aux logiques industrielles, le rôle de<br />
l'État se pose aussi en termes d'équilibrage et de re d i s-<br />
tribution. C’est une question très concrète qui a forc é-<br />
ment été évoquée par la Commission nationale <strong>des</strong><br />
musiques actuelles.<br />
Didier Varrod, rapporteur général de la Commission<br />
nationale <strong>des</strong> musiques actuelles (rapport disponible sur<br />
internet : www.irma.asso.fr) : Soyons clairs, je ne suis pas<br />
là pour vous énoncer le contenu d'un rapport qui n'a pas<br />
encore été rédigé. La mise en place de cette commission a<br />
été annoncée<br />
par madame la<br />
Ministre en décembre<br />
1997 et<br />
les travaux ont commencé en février 1998. Le rapport<br />
devait être rendu à la fin juin mais, devant l'énormité du<br />
chantier et <strong>des</strong> consultations qui ont été entreprises, nous<br />
avons obtenu une prorogation afin de ne pas rendre un<br />
rapport qui ne pourrait pas être assumé par les gens qui<br />
font partie de cette commission.<br />
Pour témoigner de ses travaux, je dirai qu’elle a<br />
d’abord fait un état <strong>des</strong> lieux relativement rapide sur<br />
Un sentiment d'orphelinat d’une<br />
politique culturelle spécifiq ue<br />
3 9
4 0<br />
l'ambiance générale à l'intérieur du secteur. Un sentiment<br />
d'orphelinat a très vite été mis en lumière : les acteurs de<br />
ce secteur, qu'ils soient dans l’associatif ou même dans le<br />
privé, se sentent vraiment orphelins d'une politique culturelle<br />
spécifique. De ce sentiment d'orphelinat, nous<br />
sommes très vite passés à un sentiment de revendication<br />
et pour certains, de colère face à l'absence de reconnaissance<br />
de ces musiques, voire même, on pourrait dire, face<br />
à l'absence de connaissance <strong>des</strong> musiques actuelles.<br />
En fait, la Commission s’est articulée autour de deux<br />
axes. Le premier autour de la mise en lumière de l'artiste<br />
et <strong>des</strong> conditions de sa création. À la demande d’Alex<br />
Dutilh, nous avons donc convenu de réfléchir et de travailler<br />
autour du cheminement de l'artiste, <strong>des</strong> pratiques<br />
amateurs au passage à la professionnalisation pour certains<br />
mais pas pour tous, puisqu’on peut souhaiter rester<br />
dans le domaine amateur et, pour ceux qui passent à la<br />
professionnalisation, jusqu’aux problématiques liées à la<br />
gestion de carrière. Le deuxième axe, tout aussi fondamental<br />
et un peu novateur, c'est évidemment une<br />
réflexion autour <strong>des</strong> publics et de ce qu'on peut appeler<br />
les garanties de démocratisation.<br />
<strong>Les</strong> objectifs de la Commission ont été relativement<br />
simples, même s’il n'est pas toujours facile de travailler<br />
dans une grande collégialité, avec la volonté de garantir<br />
un minimum de démocratie, de respect de la pluralité <strong>des</strong><br />
paroles (et de la pluralité, il y en a dans cette commission !).<br />
B ref, il nous faut donc définir une politique globale,<br />
c o h é rente et, en même temps, spécifique aux musiques<br />
a c t u e l l e s .<br />
Dans un premier temps, il fallait mettre en avant la<br />
concertation, donc l'écoute, et nous nous apercevons,<br />
début juin, que cette concertation n'est pas encore terminée<br />
alors qu’un travail de réflexion s’impose pour arriver à<br />
<strong>des</strong> préconisations ; qu'elles soient réglementaires ou budgétaires.<br />
Le deuxième objectif fixé, je dirais presqu'un peu<br />
de façon minoritaire, était de créer les conditions d'une<br />
solidarité professionnelle. Evidemment, dans la façon dont<br />
est composée la Commission, on comprend qu’il s’agissait<br />
de cesser de raisonner sur chaque question relative à la<br />
formation, au spectacle vivant, au disque, etc, et de replacer<br />
toujours les artistes et leurs publics au centre de notre<br />
réflexion. Mais je me permettrai quand même un constat<br />
personnel : les débats y sont extrêmement agités, quelquefois<br />
grégaires et ne montrent pas t oujours la volonté de<br />
créer les conditions de cette solidarité. Il y a là un véritable<br />
enjeu, une véritable re sponsabilité.<br />
La Commission est composée de quatre groupes de<br />
travail. Le premier se consacre à la problématique <strong>des</strong> pratiques<br />
amateurs avec trois axes : les lieux, donc réflexion<br />
autour <strong>des</strong> locaux de répétition adaptés ou non, les<br />
problèmes d'insonorisation, de rénovation ; une réfle xion
PERRY BLAKE
4 2<br />
autour de la politique d'équipement en gardant toujours<br />
en tête cette équation magique : un lieu, une équipe, un<br />
projet ; et enfin, l'ensemble <strong>des</strong> problèmes liés à la diffusion<br />
amateur et aussi à la problématique du statut : estce<br />
qu'il doit y avoir un statut du musicien amateur ? Si<br />
oui, lequel ?<br />
Un deuxième groupe travaille sur la professionnalisation,<br />
avec une réflexion autour de la formation professionnelle,<br />
qu'elle soit artistique, qu'elle soit celle <strong>des</strong><br />
métiers encadrants ; et aussi <strong>des</strong> réflexions très intéressantes<br />
et évolutives autour du statut du manager qui est<br />
un gros serpent de mer depuis 1981. Doit-il y avoir un statut<br />
de manager ? Si oui, lequel ? Et pour les pratiques<br />
émergentes, doit-il y avoir un statut de DJ ? Dans ce groupe<br />
sur la professionnalisation, le rôle décisif <strong>des</strong> salles est<br />
largement souligné. Il existe une grande réflexion autour<br />
du soutien à l'action associative qui est extrêmement<br />
importante surtout lorsque nous parlons de professionnalisation.<br />
En effet, si 90 % de l'activité est associative, il y a<br />
tout un arsenal de textes à “relifter", voire à proposer par<br />
exemple sur le cadre fiscal.<br />
Le troisième groupe, lui, s'occupe de la gestion de<br />
c a r r i è re. C’est-à-dire le moment où l’artiste a le pied à<br />
l'étrier et qu’il re n t re dans ce maudit secteur marc h a n d .<br />
Ce groupe de travail a une réflexion globale sur le statut<br />
<strong>des</strong> professions liées au disque, comme le problème de la<br />
c o n c e n t ration producteur-éditeur-diffuseur dont on<br />
parle beaucoup en ce moment. Il travaille également<br />
autour <strong>des</strong> problématiques de la distribution. Nous réfléchissons<br />
aussi à la structuration de l'ensemble de la fil ière :<br />
doit-on unifier tous les guichets pour faire un guichet<br />
unique ? On parle même de CNC de la musique... De<br />
même, nous travaillons sur la situation liée aux médias<br />
en ce qui concerne la pauvreté de la presse spécialisée<br />
dans le domaine <strong>des</strong> musiques actuelles, la volonté de<br />
demander un “reliftage" de la loi sur les quotas, l'absence<br />
de respect du cahier <strong>des</strong> charges du service public<br />
en ce qui concerne la diffusion de nos musiques, à la<br />
télévision notamment...<br />
Le quatrième groupe travaille sur les publics. Mais<br />
ce groupe a choisi le terme de populations, au pluriel, plutôt<br />
que celui de publics.<br />
Il y est question <strong>des</strong> préconisations<br />
qui iraient<br />
dans le sens de la<br />
garantie de la diversité<br />
esthétique, de l'élargissement de la demande et d'une<br />
politique <strong>des</strong> prix qui soit en cohérence avec une meilleure<br />
diffusion de nos musiques. Ce groupe-là, comme<br />
d'ailleurs l'ensemble <strong>des</strong> membres de la Commission,<br />
constate un gros manque d'état <strong>des</strong> lieux critique sur<br />
notre secteur. Quelles sont les actions menées en faveur<br />
On constate un gros manque<br />
d'état <strong>des</strong> lieux critique<br />
sur notre secteur<br />
<strong>des</strong> publics au niveau <strong>des</strong> collectivités territoriales et en<br />
quoi les autres ministères peuvent-ils être concernés ? <strong>Les</strong><br />
événements de ces dernières semaines sur le douloureux<br />
problème de la techno nous poussent à penser que nous<br />
avons un gros travail d'information à faire auprès <strong>des</strong><br />
ministères et non pas seulement celui de la Culture.<br />
En termes de premières impressions, je ne parle là<br />
qu'en mon nom car je ne suis en aucun cas le porte-paro le<br />
<strong>des</strong> différents participants qui ont tous <strong>des</strong> avis différents,<br />
je pense que cela sera un rapport ouvert avec une mise en<br />
lumière de nos désaccords sur certains aspects. Je crois<br />
que c'est extrêmement important parce qu'à un moment<br />
donné, c’est aux pouvoirs publics de trancher.<br />
Enfin, dès les premières réunions, il y a eu une forte<br />
volonté pour exprimer l'impérieuse nécessité de mettre à<br />
plat les questions de fondation politique, au sens le plus<br />
noble du terme, en ce qui concerne les musiques actuelles<br />
(expression qui a d’ailleurs fait débat). Cela veut dire que<br />
si le nerf de la guerre demeure l'argent, ce n'est pas par un<br />
doublement, un triplement, etc, <strong>des</strong> budgets alloués à la<br />
politique <strong>des</strong> musiques actuelles que nous arriverons à<br />
mettre en place une vraie politique culturelle cohérente<br />
dans ce domaine. Quand nous parlons du cadre législatif<br />
réglementaire à relifter, il y a peut-être <strong>des</strong> circulaires<br />
d'application qui demandent juste à sortir <strong>des</strong> tiroirs,<br />
peut-être <strong>des</strong> rapports à remettre en lumière.<br />
Lors d'une rencontre avec Madame la Ministre, nous<br />
lui avons remis un texte qui s'appelle “Préambule pour<br />
une politique ambitieuse <strong>des</strong> pouvoirs publics en faveur<br />
<strong>des</strong> musiques actuelles". Nous souhaitons que ce texte<br />
soit suffisamment fondateur pour provoquer la même<br />
réflexion que celui sur la charte du service public a pu provoquer<br />
dans les différentes instances auxquelles il a été<br />
distribué. L’idée forte, c’est celle de la garantie du pluralisme<br />
artistique, ce qui nous paraît important et qui passe<br />
par le pluralisme économique qui le met en œuvre. C'est<br />
un gros travail, un gros chantier et la conclusion personnelle<br />
que je pourrais donner tient en trois mots : pluralisme,<br />
proximité, rééquilibrage.<br />
Gilles Castagnac : Pour avoir participé à ces débats, je<br />
confirme que l’angle de politique culturelle qui nous préoccupe<br />
aujourd’hui en est clairement le fondement.<br />
Valérie Thomas, animatrice MJC Pichon - Nancy : Je suis<br />
chargée de la programmation culturelle et, jusqu'à présent,<br />
nous programmions du jazz, de la chanson française,<br />
<strong>des</strong> musiques du monde et de la musique classique. Nous<br />
nous posons aujourd’hui la question de savoir si nous ne<br />
pourrions pas pro grammer <strong>des</strong> musiques actuelles, sachant<br />
que les groupes qui se proposent à nous sont, pour l'instant,<br />
<strong>des</strong> groupes débutants et vraiment très locaux, donc
avec une qualité moindre, etc. Sachant que nous<br />
n'avons pas encore à Nancy de lieux ou d'écoles qui prép<br />
a rent aux musiques actuelles, je souhaiterais donc<br />
savoir comment une MJC peut participer au développement<br />
<strong>des</strong> musiques actuelles ?<br />
Gaël Robert, chargé de mission musiques actuelles<br />
ASSECARM Lorraine : Sur cette question très directe, je<br />
prends la parole pour dire que sur Nancy, il y a<br />
beaucoup de choses sur les musiques actuelles. Ce<br />
n'est pas nouveau. Ce que vous illustrez peut-être ,<br />
c'est la non circulation entre les différents secteurs .<br />
acteurs de terrain se trouvent exposés, soit à l'arbitraire,<br />
soit à l'incompétence, <strong>des</strong> techniciens, voire <strong>des</strong> politiques.<br />
Je voudrais donc savoir si dans le cadre de la Commission<br />
nationale <strong>des</strong> musiques actuelles, et au-delà, dans les couloirs<br />
<strong>des</strong> ministères, il avait été envisagé de remonter jusqu'à<br />
ce cadre de la décentralisation qui me semble avoir fondamentalement<br />
changé la donne <strong>des</strong> politiques culturelles.<br />
Cela permettrait de redéfinir d'en haut, dans un<br />
Je constate qu’aujourd'hui les acteurs de terrain<br />
se trouvent exposés, soit à l'arbitra i re, soit à<br />
l'incompétence, <strong>des</strong> techniciens, voire <strong>des</strong> politiques<br />
Vincent Rulot, directeur-adjoint chargé du secteur<br />
culturel de la CLEF (St-Germain-en-Laye) : Po u rq u o i ,<br />
jusqu’à maintenant, la MJC Pichon n'a pas fait de prog<br />
rammation de musiques dites actuelles et pourq u o i<br />
tout d'un coup, vous vous posez la question ? Est-ce que<br />
c'est parce que le public vous le demande ? Est-ce que<br />
c'est parce que vous identifiez <strong>des</strong> musiciens ? Sur quels<br />
c r i t è res, en fait, basez-vous votre pro g rammation ? Estce<br />
que l'exigence artistique est le seul critère ? Vo u l e z -<br />
vous montrer une palette musicale un peu plus large ?<br />
C'est peut-être les pre m i è res questions qu'il faut se<br />
p o s e r.<br />
Cela m'étonne toujours, et ce n'est pas du tout<br />
une critique par rapport à vous qui travaillez à Nancy,<br />
que <strong>des</strong> gens, en 1998, sachent faire une pro g ra m m a t i o n<br />
aussi ouverte mais s'arrêtent aux musiques actuelles.<br />
Pour finir là-<strong>des</strong>sus d'ailleurs, je constate qu'il y a <strong>des</strong><br />
termes qui apparaissent puis disparaissent. Tout à l'heure,<br />
il a été dit que le terme d'éducation populaire avait été<br />
un petit peu discrédité et qu'il fallait se le “réapproprier".<br />
Je vois un autre terme qui apparaît souvent<br />
a u j o u rd'hui, c'est le terme “émergent". Quand on parle<br />
d ' é m e rgence, il faudrait peut-être savoir de quoi nous<br />
parlons. Si c'est l'émergence de nouvelles formes artistiques,<br />
c'est sûr qu’en permanence il y a de nouvelles<br />
formes artistiques. En revanche, sur le secteur de ces<br />
musiques - que je ne sais pas nommer ou que je préfère<br />
ne pas nommer - ce n'est pas un secteur émergent car il<br />
y a 15 ou 20 ans qu'il y a <strong>des</strong> tonnes de gens qui ont une<br />
action dans ce domaine, que ce soit en termes de prog<br />
rammation, de diffusion, d'accompagnement, de formation<br />
et, bien évidemment, de pra t i q u e .<br />
Philippe Michaud, animateur MJC - Café Provisoire de<br />
Manosque : Vous avez évoqué la loi de 1982 et suivantes<br />
sur la décentralisation qui, effectivement, n'ont pas fixé de<br />
cadre général ni de critères d'élaboration <strong>des</strong> politiques<br />
publiques en matière culturelle, à aucune <strong>des</strong> collectivités<br />
locales et territoriales. Je constate qu’aujourd'hui les<br />
pays de tradition jacobine, ce cadre d'action et de développement<br />
qui me semble pouvoir être de nature à concilier<br />
la conscience <strong>des</strong> personnes qui travaillent sur le terrain<br />
avec les constats qui sont faits d'en haut, donc de<br />
faire le lien entre Paris et les “provinces”.<br />
Robert Weil, universitaire responsable du D.E.S.S. développement<br />
culturel - UFR de Rouen : J'ai une question qui<br />
est vraiment naïve et qui concerne le problème économique<br />
et l'émergence d'une collaboration interministérielle,<br />
“inter-institutionnelle", pour soutenir ces pra tiques.<br />
Est-ce qu'il y a, quelque part, quelque chose qui re présente<br />
une grande menace et qui fait que cette collabora tion<br />
est “très très” urgente ? Est-ce qu'il s’agit de menaces<br />
comme celles qui pèsent sur le cinéma avec les multiplex ?<br />
Sylvain Braud, administrateur MJC de Rezé : Nous parlions<br />
de formation tout à l'heure et plusieurs fois a été<br />
évoquée la notion de précarité, je souhaitais savoir quelle<br />
était la cohésion entre les différents Ministères au niveau<br />
de la formation ?<br />
Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />
la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : C'est vrai que, dans le cadre<br />
<strong>des</strong> lois de décentralisation, nous constatons que la culture<br />
n'a pas fait l'objet d'autant d'attention que d'autres<br />
secteurs, que ce soit l'action sociale, les transports ou bien<br />
encore l'équipement. Il est vrai que nous arrivons à de<br />
réelles disparités. Tout à l'heure, certains ont donné le bon<br />
exemple de la Région Nord-Pas-de-Calais, en particulier<br />
pour sa coopération avec la DRAC. D'autres collectivités<br />
territoriales, comme certains conseils généraux, n'ont pas<br />
le même souci et nous nous apercevons qu'il y a de véritables<br />
écarts. Certaines collectivités locales ont même pris<br />
<strong>des</strong> positions qui sont très inquiétantes vis-à-vis de la<br />
pérennité de l'action culturelle.<br />
Je crois qu'il y a deux moyens pour traiter les<br />
choses. Soit nous décidons, maintenant, de nous attaquer<br />
à nouveau aux lois de décentralisation et de dire que tout<br />
4 3
4 4<br />
ce qui a été oublié doit être remis en chantier, mais cela<br />
p re n d rait tellement de temps et serait tellement compliqué<br />
qu'il y a peu de chances que nous aboutissions.<br />
Soit nous pensons qu'il y a un autre moyen, beaucoup<br />
plus simple, qui est la négociation dans le cadre <strong>des</strong><br />
c o n t rats de plan État-Régions ; et là nous pouvons travailler<br />
beaucoup plus facilement avec les collectivités<br />
territoriales et en particulier avec les régions sur un<br />
certain nombre de domaines qui ont été, ou pas, touchés<br />
par la décentralisation. Je pense en particulier à la politique<br />
culturelle mais aussi à la politique “jeunesse et<br />
sports". Un certain nombre de régions vont être à nouveau<br />
sensibilisées sur ces questions et il est important<br />
que vous les interpelliez dès maintenant, au début <strong>des</strong><br />
négociations de ces contrats de plan.<br />
En tout cas, le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong><br />
Sports a demandé un état <strong>des</strong> lieux, région par région,<br />
de l'ensemble <strong>des</strong> espaces jeunesse, au sens large du<br />
terme : espaces d'information, actions culturelles… Une<br />
c a r t o g raphie que nous avons désormais pour le sport<br />
mais que nous n'avons pas pour la jeunesse, alors que<br />
nous savons qu'il y a <strong>des</strong> investissements fort importants<br />
dans certaines collectivités, alors que dans<br />
d ' a u t res ces investissements sont en re t rait. Nous avons<br />
Il est du rôle de l'État d'intervenir partout, mais ce<br />
n'est pas forcément son rôle d'intervenir par à-coups<br />
souhaité intro d u i re cette possibilité de négociation avec<br />
les régions et je crois que ce serait important que de<br />
v o t re côté, vous interpelliez la Région sur ces équipements,<br />
sur les politiques qu'elles vont mener, sur la<br />
répartition, sur les clefs de la répartition <strong>des</strong> différents<br />
c r é d i t s …<br />
Il est possible de “réparer". C'est ce qu'ont fait Catherine<br />
Trautmann et Marie-George Buffet pour <strong>des</strong> villes touchées<br />
de plein fouet comme Vitrolles, en mobilisant<br />
pour un temps court <strong>des</strong> crédits rapi<strong>des</strong>, mais qui ne<br />
peuvent pas s'inscrire dans la durée en se substituant<br />
totalement à ce que faisait la commune précédente.<br />
Je pense qu'il est du rôle de l'État d'intervenir<br />
partout, mais ce n'est pas forcément son rôle d'intervenir<br />
par à-coups sur ce genre de collectivité.<br />
Trouvons <strong>des</strong> moyens de pérenniser nos actions sur<br />
certaines villes, je pense en particulier à celles qui ont<br />
une “gestion Front National". Il existe <strong>des</strong> accord s<br />
avec le Conseil Général <strong>des</strong> Bouches-du-Rhône, avec<br />
le Conseil Régional PACA (c'était le cas avec le précédent<br />
et je pense que ce sera le cas avec la nouvelle<br />
d i rection), et avec l'État. Mais, la collectivité locale<br />
peut, comme vous l'avez dit, se désengager et c'est<br />
a l o rs à nous de trouver les moyens pour qu'on ne soit<br />
pas soumis à ce diktat.<br />
Huguette Bonomi, directrice MJC Corderie - Marseille :<br />
La convention Ministère de la Culture-Région et la<br />
convention Ministère de la Culture-Ville de Marseille, deux<br />
conventions parallèles, ont été signées à grands frais il y a<br />
quinze jours et il n'y a rien dans ce domaine-là, si ce n'est<br />
les interventions de vos ministres respectifs qui ont pu<br />
faire quelque chose pour Vitrolles ; et ils le feront peutêtre<br />
pour Marseille si vraiment il y a le feu dans quelque<br />
temps sur un certain nombre de choses. On a loupé le<br />
coche, on nous a fait louper le coche ! Nous ne savions pas<br />
qu'il y avait une convention qui se discutait depuis deux<br />
ans avec la précédente équipe. Malheureusement, nous<br />
sommes encore mal partis en PACA...<br />
Loïc Taniou, directeur du Sous-Marin - Vitrolles : C'est<br />
très bien pour Le Sous-Marin que la Région, le Conseil<br />
Général et les Ministères se substituent à la ville et acceptent<br />
de nous aider, et renforcent notre action. On ne peut<br />
pas laisser la population de Vitrolles comme laissée-pourcompte.<br />
Néanmoins, j'aimerais savoir pourquoi lorsqu'un<br />
lieu, “labellisé" par l'État, travaillant avec le Conseil<br />
Général et le Conseil Régional, et que celui-ci est attaqué<br />
par une ville qui ne respecte aucun label, donc tout le travail<br />
mis en place en collaboration avec l'État, ce<br />
même État, ce même Conseil Régional et ce<br />
même Conseil Général continuent à travailler<br />
avec cette municipalité. Je ne vois pas pourquoi<br />
l'État et la Région continueraient à aménager les routes, à<br />
faire les ronds-points, et qu'au niveau de la culture on<br />
trouve normal qu'il y ait <strong>des</strong> sanctions, <strong>des</strong> représailles<br />
faites par la ville !<br />
À Orange, on permet à la ville de faire <strong>des</strong> économies<br />
puisque c'est finalement l'État qui paie. N'importe quelle<br />
ville de France pourrait demander les mêmes budgets qui<br />
sont donnés par l’Etat sur <strong>des</strong> villes FN. Heureusement, elles<br />
ne le font pas parce qu'il y a un devoir de solidarité, mais<br />
il me semble qu'il y a une réflexion à mener par rapport à<br />
ces villes : Toulon, Vitrolles, Orange ou Marignane. Vitro lles,<br />
c'est un peu le désert à l'heure actuelle. Il n'y a plus de<br />
théâtre municipal, les Maisons de Quartier, les MJC et la<br />
Maison pour Tous vivotent parce qu'ils ont licencié les<br />
directeurs... Donc les jeunes n'ont plus rien.<br />
Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />
la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : L'État a un devoir de vigilance.<br />
Il y a <strong>des</strong> choses qui existaient auparavant et qui ont<br />
continué à exister avec la nouvelle municipalité. Je prends<br />
l'exemple du préfet du Var par rapport à la ville de Toulon.<br />
Je l'ai rencontré personnellement, je peux vous assurer que<br />
si un certain nombre de choses - en particulier dans la<br />
gestion du Service Jeunesse de la ville de Toulon - ont
émergé dans la presse et si <strong>des</strong> plaintes ont été portées<br />
devant la justice, c'est grâce au pouvoir de contrôle de<br />
l'État. Il y avait une gestion de fait entre l'association<br />
fictive qu'avait créée Madame Le Chevallier et la mairie<br />
de Toulon. Donc, l'État ne peut pas dire que la jeunesse<br />
de Toulon n'a plus le droit, par exemple, à ce que les<br />
c e n t res de loisirs fonctionnent… Nous pouvons toucher<br />
la gestion de la ville de Toulon, mais nous ne pouvons<br />
pas empêcher la jeunesse de Toulon d'accéder à un certain<br />
nombre de droits auxquels a droit l'ensemble de la<br />
population de notre pays.<br />
En revanche, les préfets ont eu <strong>des</strong> instructions très<br />
nettes. La plupart <strong>des</strong> affaires qui sont sorties en<br />
justice très récemment l'ont été grâce à une surveillance<br />
particulière de l'État dans la gestion de<br />
ces communes. Je peux vous assurer que l'ensemble<br />
<strong>des</strong> contrats et <strong>des</strong> appels d'offres qui sont passés<br />
sont nettement épluchés par la préfecture. Des instructions<br />
ont été données aux administrations du Ministère de<br />
la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, je m'en fais véritablement le<br />
garant. S’il y a <strong>des</strong> manquements, il faut le faire savoir.<br />
Nous ne couperons pas l'ensemble <strong>des</strong> liens avec cette<br />
population parce que cette population n'est pas toujours<br />
derrière l'élu local et qu'on n'a pas à faire de ségrégation<br />
de ce genre. De plus, il y a une population qui souffre sur<br />
place et si l'État se désengageait, la souffrance serait peutêtre<br />
encore pire. À nous de faire <strong>des</strong> choses, mais aussi de<br />
faire contrôler les choses que font les collectivités locales.<br />
Vincent Rulot, directeur-adjoint chargé du secteur culturel<br />
de la Clef (St-Germain-en-Laye) : Lorsque nous<br />
commençons à discuter <strong>des</strong> problèmes qui sont très spécifiques<br />
au Front National, nous nous apercevons que, dans<br />
notre secteur, c’est l'arbre qui cache la forêt. Je ne suis pas<br />
certain que le Sous-Marin était dans une situation particulièrement<br />
brillante avant que le Front National arrive.<br />
Plus généralement, la question fondamentale est celle de<br />
la reconnaissance de ces pratiques, de ces musiques, de ces<br />
lieux. La seule reconnaissance, c'est celle de l'industrie qui<br />
a très bien compris où étaient les intérêts économiques.<br />
Mais, sur le fond, nous voyons très bien que les problèmes<br />
qui peuvent se poser aux lieux traversent complètement<br />
toutes les questions d'étiquettes politiques. Parfois, l'entrée<br />
que choisit le politique local n'est peut-être pas la<br />
bonne, ce n'est peut-être pas une entrée culturelle, cela<br />
peut être une espèce d'outil de sauvetage social. Je pense<br />
que le rôle de l'État est d'affirmer qu'on doit reconnaître<br />
ces pratiques et ce secteur à part entière… À partir de là,<br />
les choses avanceront sûrement un peu plus vite. L'État<br />
doit avoir un rôle de levier et d'incitateur, et pas seulement<br />
de financeur.<br />
Aujourd'hui, je suis sur un lieu “labellisé" SMAC<br />
même s’il n'y a rien de formalisé en dehors du financement.<br />
La commune où je suis n'est pas au courant, en<br />
dehors du fait que je leur ai dit que nous sommes reconnus<br />
par le Ministère de la Culture, avec un financement,<br />
une convention d'objectifs, <strong>des</strong> contenus reconnaissant<br />
nos compétences et nos missions, les publics auxquels nous<br />
nous adressons… Je suis très heureux d'entendre un représentant<br />
d'une DRAC qui tient un discours et qui témoigne<br />
d’une connaissance du terrain un peu plus profonde que<br />
ce que l'on peut constater généralement. Côté Jeunesse et<br />
Sports, je n'ai pas la sensation qu'il y ait une reconnaissance<br />
de ce secteur. Peut-être est-ce dû à l’intitulé - d'un<br />
L'État doit avoir un rôle de levier et d'incitateur,<br />
et pas seulement de financeur<br />
côté jeunesse, c'est une catégorie, et sport, c'est une pratique<br />
- mais j’ai l’impression qu’on ne sait pas trop où placer<br />
la culture. Aussi bien en termes de financement, qu'en<br />
termes de discours.<br />
Je fais partie du groupe pratiques amateurs de la<br />
Commission nationale <strong>des</strong> musiques actuelles. Nous y<br />
avons auditionné <strong>des</strong> personnes du Ministère de la<br />
Jeunesse et <strong>des</strong> Sports. Ce n'est peut-être pas de leur fait,<br />
mais il y a un déficit très important de connaissance de ce<br />
secteur.<br />
Par rapport aux questions de formation, comme les<br />
idées de diplômes pour encadrants ou pour intervenants<br />
de musiques actuelles, j'ai l'impression que l'État a beaucoup<br />
de difficultés à prendre en compte quelque chose de<br />
particulier, de sortir <strong>des</strong> schémas actuels ou <strong>des</strong> dispositifs<br />
qu'il a mis en place. Peut-être faudrait-il se poser la question<br />
aujourd'hui et prendre en compte les particularités de<br />
ce secteur, <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d'appropriation de cette musique,<br />
de ses mo<strong>des</strong> de production, <strong>des</strong> faits technologiques. Cela<br />
demandera peut-être d’autres réponses.<br />
Sur le terrain, nous souffrons toujours de cette<br />
question de reconnaissance, ce manque de reconnaissance<br />
<strong>des</strong> particularités. De la même façon qu'au niveau du<br />
sport, on est intervenu différemment sur le rugby, sur le<br />
football, sur la natation… qui sont <strong>des</strong> pratiques différentes.<br />
Peut-être que la musique classique, le jazz, les<br />
musiques émergentes doivent voir un traitement particulier,<br />
une intervention particulière, d’autres dispositifs. Il y<br />
a probablement une troisième voie à trouver entre l'existant<br />
et le désert, mais c’est quelque chose à créer et cela<br />
demandera certainement beaucoup plus de temps que de<br />
rendre un rapport.<br />
André Cayot, inspecteur à la DMD du Ministère de<br />
la Culture : Au sujet de l'émergence d'une interministérialité,<br />
nous avons, à tous les échelons du<br />
4 5
4 6<br />
RED SNAPPER
M i n i s t è re de la Culture, pris en compte la nécessité tiques reconnues en tant que telles.<br />
d'un ra p p ro c h ement politique qui vise à l'exigence de Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 - Grasse :<br />
la qualité artistique, de la qualité de la médiation, et J'entends bien qu'il faut que notre Ministère de tutelle ait<br />
enfin de la qualité globale de cette politique… C'est un plus de moyens. Cela me paraît évident. Mais une fois que<br />
vœu pieux mais, malgré tout, nous voyons <strong>des</strong> signes l'on a dit cela, que fait-on, ce Ministère et nous, pour<br />
qui montrent clairement que ces ra p p rochements existent<br />
et vont se développer. Il a suffisamment été fait n'ai pas de solution. Il me semble que de le dire ne suffit<br />
qu'effectivement il y ait plus de moyens ? J'avoue que je<br />
allusion aux questions liées au Front National pour que pas. Peut-être faut-il que nous y réfléchissions ensemble<br />
je n'y revienne pas, mais il y a nécessité d'avancer en et que nous proposions <strong>des</strong> actions pour que les choses<br />
rangs serrés sur une politique commune.<br />
changent.<br />
Nous sommes sur un secteur illégitime. <strong>Les</strong> MJC J'entends que l'État ne doit pas se substituer aux<br />
n'ont pas été légitimes mais ont investi ce secteur défaillances <strong>des</strong> collectivités locales. En revanche, même si<br />
dans les années 70 en prenant en main la diffusion. Je je ne suis pas tout à fait d'accord avec le collègue de<br />
pense que cela s’est fait dans beaucoup de maisons en Vitrolles, car je ne pense pas que les populations doivent<br />
conflit permanent avec les conseils d’administra t i o n , être otages de leurs conseillers municipaux, je pense qu'il<br />
avec les élus, avec le public… pour faire pre n d re en est nécessaire qu'on puisse avoir un soutien moral plus<br />
compte <strong>des</strong> pratiques qui étaient dérangeantes. Ceci important. Vitrolles n'est évidemment pas un épiphénomène,<br />
il y a d'autres endroits où c'est difficile. Je vous par-<br />
n'a pas forcément fondamentalement changé et<br />
l o rsque nous sommes à l'intérieur du Ministère, qu’il lerais volontiers de Nice où j'étais directeur il y a quelques<br />
faut légitimer ce champ artistique, il me semble important<br />
d'entrer par toutes les voies. La Commission natio-<br />
mettre à mal les Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture. Nous<br />
années et où le maire, Jacques Médecin, avait décidé de<br />
nale <strong>des</strong> musiques actuelles a pour mission pre m i è re de avions rencontré le Directeur départemental de la<br />
nous aider à cette reconnaissance pour que nous puissions<br />
davantage faire en sorte que ce secteur d'activité un soutien financier mais un soutien moral - et celui-ci<br />
Jeunesse et <strong>des</strong> Sports pour lui demander un soutien - pas<br />
i n t è g re les dispositifs qui, jusqu'à présent, ont été mis nous avait fait comprendre qu'il ne pouvait pas nous aider<br />
en place. Intégre r, cela ne veut pas dire faire<br />
re n t rer dans <strong>des</strong> cadres stricts et donc contra i-<br />
gnants par rapport à notre problématique, mais<br />
V i t rolles n'est évidemment pas un épiphénomène<br />
f a i re évoluer ces cadres. Nous sommes tous dans <strong>des</strong> parce qu'il avait besoin de la ville de Nice sur d'autres secteurs<br />
: par exemple les bus pour transporter les sportifs.<br />
c a d res légaux qui sont ce qu’ils sont. Lorsque nous évoquons<br />
la question <strong>des</strong> formations diplômantes, de l'enseignement<br />
de la musique, il est évident que cela passe et Sports” parce que ce Ministère est otage <strong>des</strong> villes qui<br />
J'ai donc envie de dire “trouvons <strong>des</strong> moyens pour Jeunesse<br />
par la question de la fonction publique territoriale. lui font faire ce qu'elles veulent en leur payant <strong>des</strong> bus<br />
Ceux qui se sont attaqués à ces questions savent très pour transporter les sportifs !<br />
bien qu'il faut re n t rer dans ces cadre s - l à .<br />
La légitimation serait aussi cela. Mais ce sera i t Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />
aussi se dire : “comment être en dedans et en dehors ?". la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : J'ai un exemple récent : un<br />
C'est une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> questions que la Commission festival de cinéma important dans une ville de province a<br />
s'est également posée. C'est un secteur résolument à la eu l'idée qu'à côté de ce festival, qui était un petit peu<br />
m a rge par ce qu'il véhicule de la colère, et qui, résolument,<br />
doit être dedans. C'est-à-dire qu'à un moment Pierre Thorn et un concert avec 25 groupes de hip-hop de<br />
institutionnalisé, il y ait une projection d'un film de Jeandonné,<br />
il doit forcément utiliser les mêmes moyens, les la région concernée. Notre responsable départemental<br />
mêmes outils, sinon nous allons continuer à marcher à prend peur : 25 groupes hip-hop, public qu'il ne connaît<br />
deux vitesses. D’une part, un secteur qui est légitime et pas, musique qu'il ne connaît pas… Résultat, il interd i t .<br />
qui bénéficie donc de l'ensemble <strong>des</strong> moyens de la Je ne comprends pas que l'on puisse avoir ce genre d'attitude<br />
de crainte, de méfiance.<br />
révolution ; d’autre part, un secteur qui va être contra i n t ,<br />
p a rce qu'il n'a pas les moyens de l'État, à travailler uniquement<br />
avec le secteur économique. Ce qui contra i n t loirs <strong>des</strong> ministères que l'on a à convaincre. L'origine et la<br />
Comment l'expliquer ? Il n'y a pas que dans les cou-<br />
évidemment l'expression artistique à ce qu'elle a de culture même de certains directeurs régionaux <strong>des</strong> affaires<br />
plus marchand. Notre rôle est, sans doute, de réglementer<br />
l'aspect économique du secteur et de favoriser sur certaines pratiques. <strong>Les</strong> directeurs départementaux ou<br />
culturelles les portent parfois à un regard plus spécifique<br />
l'accès au plus grand nombre à ces pratiques artis-<br />
régionaux de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports ont une sensibilité<br />
4 7
4 8<br />
et une pratique. Historiquement, le poids <strong>des</strong> sports dans<br />
ce Ministère fait que lorsqu’il doit se positionner sur la<br />
jeunesse et en particulier sur les pratiques culturelles de la<br />
jeunesse, nous devons aussi nous battre par rapport à<br />
cette légitimité à l'intérieur même de notre maison. Ce<br />
n'est pas pour rien que lorsque nous dialoguons avec les<br />
gens qui sont sur le terrain, les Conseillers d'Éducation<br />
Populaire et de la Jeunesse, nous nous apercevons que ce<br />
sont les parents pauvres !<br />
Ce n'est pas seulement une question de moyens,<br />
c'est aussi une question de personnels. Comment voulezvous<br />
que dans un Ministère, qui a le plus souffert depuis<br />
dix ans de pertes d'emplois en pourcentage - 1000 emplois<br />
sur 7000 - et qui se retrouve sur le terrain avec une administration<br />
“quasi-osseuse", on puisse répondre à <strong>des</strong> besoins<br />
et <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui sont heureusement de plus en plus<br />
diversifiées ? Alors comment nous aider ? Nous avons chacun<br />
notre rôle... <strong>Les</strong> Ministères Culture et Jeunesse et<br />
Sports sont de petites administrations. Pour la Culture,<br />
l'argent repart immédiatement dans un certain nombre<br />
d'actions en liaison avec les collectivités, dans les associations,<br />
avec les professionnels... Pour Jeunesse et Sports,<br />
cela repart aux associations et aux mouvements sportifs<br />
pour une part énorme. Il est donc vrai qu'il y a <strong>des</strong> problèmes<br />
de répartition de crédits très nets à l'intérieur de<br />
notre enveloppe actuelle.<br />
Vincent Rulot : C'est un peu dommage de se dire que si le<br />
Une fois que nous avons programmé le concert de hip-hop,<br />
notre mission consiste à aller au bout<br />
C.E.P.J. chargé de la circonscription sur laquelle on travaille<br />
est orienté “sports”, on sait d’avance que les projets<br />
musiques ont peu de chance d’aboutir... La précarité, nous<br />
la vivons aussi. Comme le manque de personnel, le<br />
manque de moyens… Sauf qu'une fois que nous avons<br />
programmé le concert de hip-hop, notre mission consiste<br />
à aller au bout. Même si on a peur, même si on n'a pas<br />
d'argent, même si on risque d'avoir <strong>des</strong> problèmes… Sur le<br />
terrain, nous considérons qu'il est important et légitime de<br />
continuer à faire ce travail. Pour nous, <strong>des</strong> concerts de hiphop,<br />
de jazz, de hard-core, de punk ou de techno, ont tous<br />
à trouver leur place à un moment donné. Je crois que cette<br />
“révolution culturelle" au niveau, notamment, du Ministère<br />
de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, n'est pas du tout faite.<br />
Gilles Garnier : Je ne vais pas vous dire le contraire, j'en<br />
suis intimement persuadé… Je trouve lamentable que<br />
quelqu'un puisse avoir l'idée d'interdire quelque chose<br />
parce qu'il a simplement peur. Mais, dans le même temps,<br />
il y a <strong>des</strong> gens à l'intérieur de nos directions départementales<br />
qui, localement, font un travail fantastique parce que<br />
cela les intéresse. Il est très important que l'on réaffirme à<br />
chaque fois le rôle et la place de l'État. Je suis pour la<br />
contractualisation. Je suis pour travailler ensemble, mais je<br />
suis pour que chacun garde son autonomie et son autorité.<br />
Avec les collectivités locales, les choses doivent être<br />
claires, comme elles doivent l'être avec les conseils généraux.<br />
C'est aussi l'histoire qui fait que dans un certain<br />
nombre de départements, la DDJS est “l'instructeur” d'un<br />
certain nombre de dossiers du Conseil Général. C'est une<br />
survivance, les choses tendent à s'arrêter, du moins je l'espère,<br />
parce que le Conseil Général a sa propre politique. Il<br />
peut contracter avec l'État - et tant mieux s'il le fait - mais<br />
il ne doit pas y avoir de porosités malsaines comme elles<br />
peuvent exister parfois.<br />
Thierry Duval, responsable du Centre de Ressources<br />
Yvelinois pour la musique : Partant du constat que les<br />
personnels <strong>des</strong> administrations ont, à tous leurs niveaux, la<br />
même difficulté d'accès à la culture que les publics au sens<br />
très large, j'ai une proposition de programme interministériel.<br />
Cela consisterait à mettre en place un programme<br />
d'éducation artistique à <strong>des</strong>tination de l'ensemble <strong>des</strong> personnels<br />
<strong>des</strong> administrations, au moins entre l'Éducation<br />
nationale, la Jeunesse et les Sports et la Culture.<br />
Sylvain Braud, administrateur MJC - Rezé : Tout à<br />
l'heure, j'ai été frustré par la réponse au sujet de la base<br />
de la pyramide car je me situe à la base de celleci.<br />
Pour l'action, je crois que nous n'attendons<br />
pas les ministères ou leurs administra tions<br />
déconcentrées. A la MJC de Rezé, que je connais<br />
depuis pas mal de temps, je crois que nous n’avons jamais<br />
vu quelqu’un de Jeunesse et Sports et pourtant une invitation<br />
est systématiquement envoyée pour chaque conseil<br />
d’administration. Malgré tous ces dysfonctionnements, le<br />
travail de terrain par la base est fait, souvent dans la précarité...<br />
Sylvie Gueye, animatrice MJC Agora Nice Est : Je suis<br />
très contente d'avoir enfin entendu parler de l’Éducation<br />
nationale. C'est un Ministère qui n'est pas présent aujourd'hui<br />
et je le déplore fortement. Il se trouve que je suis<br />
formatrice au départ et que je travaille beaucoup avec<br />
l ' Éducation nationale dans la MJC. C'est aussi une <strong>des</strong> missions<br />
de l'Education nationale que de donner à la jeunesse<br />
accès aux formes de la culture. Evidemment, il y a <strong>des</strong> projets,<br />
<strong>des</strong> essais sur le réaménagement du temps scolaire<br />
mais ce ne sont que <strong>des</strong> essais et j'ai le sentiment qu’audelà<br />
<strong>des</strong> classes de maternelle et <strong>des</strong> activités d'éveil, il<br />
n'y a rien, ou quasiment, au niveau de la musique. En<br />
Allemagne ou en Belgique, l'accès à la musique, et à l'ins-
trument en particulier, est très démocratique. Quelqu'un<br />
qui dispose de très peu de moyens, quel que soit son âge,<br />
a accès à la musique et cela devient une pratique familiale<br />
permettant de travailler en réseau et d'avoir un tissu<br />
cohérent. Par ailleurs, dans les actions scolaires ou parascolaires<br />
que les associations sont en train de traiter, nos<br />
projets sont à 85 % réussis avec <strong>des</strong> budgets qui représentent<br />
le quart voire le 10 ème de ce que cela aurait coûté à<br />
l'Education nationale. Et cela avec un personnel qui n'est<br />
pas formé sur le plan pédagogique. Cela peut poser un<br />
problème de précarité. C'est très important, et cela rejoint<br />
la question <strong>des</strong> “emplois-jeunes” qui nous concerne, nous<br />
MJC, très directement et où nous devons absolument nous<br />
positionner.<br />
Il y a toujours à travailler pour que l'accès à la culture<br />
se fasse pour tous<br />
André Cayot : Ma réponse sera forcément partielle parce<br />
que, encore une fois, il y a <strong>des</strong> expérimentations qui existent<br />
mais qui sont peut-être microscopiques à l'échelle de<br />
ce qu'il faudrait faire. Il existe <strong>des</strong> Centres de Formation de<br />
Musiciens Intervenants - C.F.M.I. - qui forment en deux<br />
ans <strong>des</strong> diplômés qui interviennent, notamment au niveau<br />
de l'Éducation nationale, pour l'éveil musical <strong>des</strong> enfants<br />
dans les écoles primaires et les écoles maternelles. Pour<br />
nous, c'est une <strong>des</strong> plus belles réussites de ces dix dernières<br />
années du Ministère de la Culture avec le Ministère de<br />
l ' Éducation nationale puisque ce diplôme universitaire de<br />
musicien intervenant est un diplôme reconnu par les deux<br />
Ministères. Ce type d'initiative nous amène maintenant à<br />
700 ou 800 intervenants au plan national, qui tous ont du<br />
travail dans leur secteur. Cela démontre, à un degré qui est<br />
sans doute trop faible, la nécessité de ce type d'interventions<br />
et qu'il y a toujours à travailler pour que l'accès à la<br />
culture se fasse pour tous. Personnellement, je souhaiterais<br />
que nous puissions, pour la suite de nos travaux, profiter<br />
du fait que le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports<br />
soit ici représenté pour que l'on puisse avancer ensemble.<br />
Pour voir comment nous sommes cohérents sur l'aménagement<br />
<strong>des</strong> rythmes de l'enfant et pour que la prise en<br />
compte de la globalité de son développement culturel soit<br />
à l'ordre du jour.<br />
Didier Varrod, rapporteur général de la Commission<br />
nationale <strong>des</strong> musiques actuelles : Au sujet de l’interministérialité,<br />
le groupe n° 1 de la Commission a entendu<br />
aussi bien <strong>des</strong> représentants du Ministère de la<br />
Jeunesse et <strong>des</strong> Sports que de l'Éducation nationale.<br />
Pour ce dernier, nous avons auditionné quelqu'un de la<br />
D i rection <strong>des</strong> Pro g rammes, si je ne me trompe pas, qui<br />
nous a dressé un tableau très inquiétant sur la prise en<br />
compte <strong>des</strong> musiques actuelles au sein de l'Éducation<br />
nationale et la façon dont les inspecteurs généra u x<br />
envoient leurs consignes dans les établissements. Je<br />
pense qu'il commence à se passer <strong>des</strong> choses en primaire,<br />
mais dès que l'on arrive aux collèges et aux lycées,<br />
c'est très compliqué. C'est une machine très lente à<br />
m e t t re en ro u t e .<br />
Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil<br />
Général de Seine-St-Denis : En Seine-St-Denis, nous<br />
avons une expérience riche, intéressante et ancienne<br />
dans ce domaine puisque cela fait huit ans que nous<br />
menons une opération qui s'appelle “Zebrock au<br />
bahut". Cette opération nous fait aller dans les collèges<br />
et développe un travail éducatif qui dure plusieurs mois.<br />
Elle associe <strong>des</strong> équipes enseignantes, <strong>des</strong> groupes de<br />
haut niveau - nous avons travaillé avec Little Bob,<br />
<strong>Les</strong> Innocents, <strong>Les</strong> Wampas… - et nous avons fait<br />
un travail de fond dans les classes où nous<br />
demandons aux élèves qui participent de fournir<br />
un écrit sur “connaissance et plaisir de la musique”.<br />
Cette expérience existe et prouve que <strong>des</strong> choses peuvent<br />
se faire. Nous sommes sur un dispositif éducatif mis<br />
en place par le Conseil Général qui, par ailleurs, a<br />
d ' a u t res dispositifs éducatifs sur la citoyenneté, sur les<br />
sciences et technologies… et qui touche 10.000 jeunes<br />
du département. “Zebrock au bahut" en touche enviro n<br />
d i rectement 600 et, par éclat, un petit millier dans, suivant<br />
l'année, 15 à 25 établissements.<br />
Reste que nous avons vraiment re n c o n t r é<br />
l'Inspection Académique la semaine dernière seulement !<br />
Nous pouvons faire l'état <strong>des</strong> lieux de toutes les nonre<br />
n c o n t res, de tous les dysfonctionnements… Il faut le<br />
f a i re, être critique, sans pitié, mais je pense qu'il est<br />
u rgent aussi que nous passions à une autre attitude. Des<br />
choses peuvent se faire, <strong>des</strong> moyens existent, <strong>des</strong> volontés<br />
sont affirmées. Nous avons un gouvernement dont<br />
les partis pris sont neufs. Il faut que nous le prenions au<br />
mot à tous les niveaux : national, gouvernemental, mais<br />
aussi de ceux qui sont chargés de faire vivre <strong>des</strong> orientations<br />
sur le terrain. Quand on parle de pro g rammes de<br />
formation pour les personnels, ce n'est pas nécessairement<br />
aberrant parce qu'il y a <strong>des</strong> galaxies qui ne se sont<br />
jamais rencontrées ! Nous avons besoin de les faire se<br />
re n c o n t re r.<br />
Philippe Moreau, responsable du secteur culturel MJC<br />
d'Halluin : Figurez-vous que ma chère maman m’a récemment<br />
posé une question qui lui trotte dans la tête depuis<br />
pas mal de temps : “Mais c’est quoi exactement ton<br />
métier ? Qu’est-ce que tu fais dans cette MJC ?”.<br />
4 9
5 0<br />
J’espère qu’elle ne m’en voudra pas, mais j’ai décidé de<br />
vous faire part de la lettre que je viens de lui envoyer à ce<br />
propos :<br />
“Chère Maman,<br />
Comme tu le sais, je suis embauché depuis 4 ans<br />
dans une Maison <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture, à Halluin,<br />
dans une petite ville à la frontière Belge. On m’appelle : le<br />
chargé de préfiguration du pôle musical ! C’est un métier<br />
formidable, mais cela demande quelques explications.<br />
J’suis d’abord allé rencontrer les musiciens qui répètent<br />
dans une école désaffectée au milieu <strong>des</strong> champignons. Ils<br />
m’ont dit : “Nous, on veut un local de 60 m 2 , où on peut<br />
venir quand on veut, où on trouve du matériel sur<br />
place, où on paye pas cher, où on peut aussi stocker du<br />
matériel. On veut prendre <strong>des</strong> cours, pas chers, on veut<br />
faire de la scène, faire un album dans un studio professionnel,<br />
boire un coup à la pause, et surtout devenir<br />
célèbre !”.<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans l’dossier !<br />
Ensuite j’suis allé voir le Maire. Il m’a dit : “Moi, le<br />
rock, c’est pas trop mon truc. Mais les jeunes, c’est<br />
important. Enfin pas tout d’suite car y’a l’harmonie<br />
municipale qui cherche un local. En plus, on a pas<br />
d’sous. Il faut en trouver ailleurs. Et puis dites-moi, vos<br />
musiciens, ils sont pas tous de la commune. on peut<br />
pas non plus tout l’temps financer à la place <strong>des</strong><br />
autres!”.<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans l’dossier !<br />
J ’suis donc allé voir les communes enviro n n a n t e s .<br />
Ils m’ont dit : “l’avenir, c’est l’inter-communalité !<br />
Quoiqu’on avait monté une association intercommunale<br />
de développement culturel, mais on nous a d’mandé<br />
d’financer <strong>des</strong> trucs qui s’passaient pas chez nous. Faut<br />
pas charrier !”.<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans l’dossier !<br />
J’ai pris mon p’tit dossier et j’suis parti en tournée,<br />
j’suis allé voir : La Direction Régionale et Départementale<br />
Jeunesse et Sports, la Direction Régionale <strong>des</strong> Affaires<br />
Culturelles, le Conseil Général, le Conseil Régional, le<br />
Fonds d’Action Sociale, la Commission Européenne, la<br />
Caisse <strong>des</strong> Dépôts et Consignations, la Fondation de<br />
F rance, le Ministère de l’Environnement, la Caisse<br />
d’Allocations Familiales, la Délégation Interministérielle à<br />
la Ville, la Communauté Urbaine... (j’en ai sans doute<br />
oublié mais j’suis pas encore Directeur de MJC, il faut que<br />
j’me forme !). Ils m’ont dit : “intéressant votre projet !<br />
Mais il faudrait préciser les objectifs : Quelle est la<br />
volonté politique de la Ville ? Est-ce que l’intercommunalité<br />
fonctionne ? Vous avez pensé à intégrer l’école de<br />
musique ? Vous auriez intérêt à provoquer <strong>des</strong> <strong>rencontres</strong><br />
entre amateurs et professionnels. Vous devez<br />
être complémentaire avec les autres structures. Vous<br />
devez réfléchir en termes d’aménagement du territoire.<br />
Il faut faire de la diffusion si vous voulez être une<br />
SMAC ! Ce s’rait dommage de ne pas travailler avec la<br />
Belgique pour une ville frontière ! Quel statut auront les<br />
profs de musique ? Comment intégrez-vous les populations<br />
issues de l’immigration ? Qu’y a-t-il de prévu<br />
avec les collèges et les lycées ? Vous avez pensé à la<br />
formation <strong>des</strong> animateurs ? Et les problèmes de santé<br />
publique ? Vous avez pensé à la professionnalisation ?<br />
Vous savez qu’la musique est un bon moyen de prévention<br />
de la toxicomanie ? Vous savez qu’vous pouvez<br />
avoir <strong>des</strong> financements internationaux ? Mais vous<br />
ciblez quel quartier ? Vous avez pensé au lien avec<br />
l’économique ? Ce s’rait quand même pas mal d’intégrer<br />
les autres pratiques artistiques dans un projet global<br />
et transversal ! Vous savez qu’vous devez dès maintenant<br />
intégrer les nouvelles technologies ! Mais c’est<br />
un projet jeunesse ou culture ?”.<br />
J’ai tout compris ! j’ai répondu : “pas d’problème”,<br />
et j’ai tout mis dans l’dossier !<br />
J’suis allé voir le Conseil d’A dministration de la MJC.<br />
Ils m’ont dit : “c’est vraiment un beau projet ! Mais<br />
n’oublie pas que notre première mission, c’est de former<br />
<strong>des</strong> citoyens ! T’as pensé à l’implication <strong>des</strong> bénévoles<br />
?”<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans l’dossier !<br />
J’suis allé voir le réseau rock de la Région. On m’a dit :<br />
“C’est important les MJC ! Vous, vous devez repérer et<br />
sensibiliser l’public ! Ensuite, on s’en occupe ! On f’ra<br />
<strong>des</strong> bus pour que vos p’tits jeunes viennent à nos<br />
concerts ! On f’ra même un journal d’infos tous<br />
ensemble !”<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans l’dossier !<br />
J’suis allé voir les habitants d’la ville. Ils m’ont dit :<br />
“Nous, on n’a rien contre les rapeurs et les rockers.<br />
Mais j’veux pas retrouver d’canettes devant ma porte !<br />
Faudrait pas qu’ça soit la Java tous les soirs ! J’ai une<br />
idée, y’a une vieille friche industrielle à la périphérie<br />
d’la ville. D’mandez à la Mairie. Vous verrez, vous s’rez<br />
tranquilles là-bas”.<br />
J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />
dans le dossier !<br />
Tu vois Maman, aujourd’hui j’ai tout compris !<br />
J’rencontre plein d’monde, j’apprends !<br />
H i e r, j’ai rendu mon dossier en Mairie, il fait 200<br />
pages. On m’a répondu : “Vous êtes un visionnaire !<br />
Mais on a d’abord voté une subvention pour mettre
<strong>des</strong> tentures dans le vieux hangar de l’abattoir, pour<br />
l’insonoriser ! C’est d’abord pour l’Harmonie Municipale<br />
! Pour le reste, vous comprendrez bien qu’on va<br />
phaser l’projet ! Continuez à travailler !”<br />
Tu vois Maman, j’ai encore du pain sur la planche.<br />
Tu sais tout sur mon métier. Tu comprends pourq u o i<br />
j’t’appelle pas souvent au téléphone. T’inquiète pas, on y<br />
a r r i v e ra !”<br />
<strong>Les</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture peuvent<br />
ê t re <strong>des</strong> lieux de délibéra t i o n<br />
(Tonnerre d’applaudissements dans la salle !!!)<br />
Bref, ce que je voulais vous dire, c’est qu’à partir du<br />
moment où nous travaillons sur ce type de projet, nous<br />
nous retrouvons à faire une sorte de compromis bancal<br />
entre <strong>des</strong> tonnes de comman<strong>des</strong>, et je rejoindrai là mon<br />
collègue Franck Lepage qui parlait hier de délibération,<br />
d'arbitrage. Je pense que les Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />
Culture peuvent être <strong>des</strong> lieux de délibération où l'ensemble<br />
<strong>des</strong> acteurs que j'ai cités tout à l'heure se rencontrent<br />
et délibèrent.<br />
Il existe une exigence artistique dans les Maisons <strong>des</strong><br />
Jeunes et de la Culture, mais en même temps, qu'est-ce que<br />
cela veut dire de travailler sur la citoyenneté ? Cela ne veut<br />
pas forcément dire que je fais de la musique pour former<br />
<strong>des</strong> citoyens, cela veut dire : je développe la pratique musicale<br />
dans un objectif de travail de qualité mais je m’efforc e,<br />
en même temps, de faire en sorte qu’un musicien qui<br />
m'interpelle sur le métier d'intermittent du spectacle s'interroge<br />
aussi sur ce qui s'est passé au Sous-Marin…<br />
Éric Doisnel, président du Centre Régional du Rock et<br />
<strong>des</strong> Musiques Actuelles et responsable du Service<br />
Culturel d'Elbeuf : Le C2R, Centre Régional du Rock se<br />
situe comme un levier pour informer et accompagner les<br />
communes sur les questions <strong>des</strong> musiques actuelles. On se<br />
rend compte très souvent que <strong>des</strong> élus sont soucieux. Il y<br />
a <strong>des</strong> pétitions, à Elbeuf 500 jeunes ont demandé un local<br />
de répétition. Il y a <strong>des</strong> initiatives spontanées, mais les élus<br />
ne savent pas comment y répondre. Quelquefois naissent<br />
<strong>des</strong> actions ponctuelles, plaquées. Tout d'un coup un<br />
festival émerge ; il dure trois jours mais il n'y en a plus<br />
pendant 5 ans. Ou encore un local de répétition est mis à<br />
disposition dans une friche : il s'agit d'un garage sans<br />
équipement qui ne correspond pas aux attentes et aux<br />
exigences de qualité...<br />
Le souci de notre association est d'être auprès <strong>des</strong><br />
g roupes, d'être auprès <strong>des</strong> publics, auprès <strong>des</strong> salles et<br />
puis <strong>des</strong> élus. <strong>Les</strong> ai<strong>des</strong> passent par <strong>des</strong> subventions, <strong>des</strong><br />
actions que nous mettons en place. Sans re n t rer dans le<br />
détail <strong>des</strong> chiffres et <strong>des</strong> modalités, disons simplement<br />
OUR LADY PEACE
5 2<br />
qu'il y a plusieurs axes.<br />
Nous proposons une aide à la diffusion : soutien aux<br />
festivals, aux lieux de diffusion, et aide à la création <strong>des</strong><br />
lieux. Ensuite, aide à la création : aide au management,<br />
ai<strong>des</strong> auprès <strong>des</strong> groupes pour réaliser <strong>des</strong> maquettes, <strong>des</strong><br />
affiches, la duplication de cassettes, <strong>des</strong> tournées. En fait<br />
il s'agit, pour <strong>des</strong> groupes qui ont trouvé plusieurs dates en<br />
France ou à l'étranger, de leur permettre de pouvoir circuler.<br />
Mais doit-on aider un groupe professionnel qui tourne<br />
depuis 15 ans mais qui n'a jamais émergé ? Ne risquonsnous<br />
pas de tomber sur <strong>des</strong> groupes qui seraient aidés<br />
chaque année comme <strong>des</strong> “groupes fonctionnaires" ?<br />
Nous voulons nous situer sur la découverte <strong>des</strong> groupes et<br />
permettre, lorsqu'il manque le petit peu d'argent, une<br />
signature avec un label.<br />
Autre aspect important, la formation. Mais pour<br />
<strong>des</strong> groupes de rock ou de musiques actuelles, c'est quoi<br />
la formation ? Va-t-on, comme pour la musique classique<br />
ou le jazz dans d'autres régions, créer une école de ro ck<br />
et de musiques actuelles ? Créer une école, d'accord, mais<br />
où ? À Évreux, à Rouen, au Havre ? Qui viendrait ? Est-ce<br />
que ce serait <strong>des</strong> ro ckers de 50 ans ? De jeunes ra peurs ?<br />
Ou ceux qui pratiquent la techno ou d'autres musiques<br />
actuelles ? En fait, nous avons cherché un axe plus souple<br />
en créant le camion-musiques qui est un local itinérant<br />
de formation. Il nous permet aussi bien<br />
d'être dans les gran<strong>des</strong> villes que dans les quartiers .<br />
Il s'agit d'aller là où sont les jeunes, où sont les pratiques.<br />
Mais aussi d'aller là où c'est souvent le désert, en<br />
milieu rural, dans les villages. Ce camion va aussi dans les<br />
collèges, dans les lycées. À titre d'exemple, au sujet de la<br />
place de l'Éducation nationale dans les formations sur les<br />
musiques amplifiées, nous avons reçu une réponse favorable<br />
du re ctorat qui a fait tourner une proposition pour<br />
que le camion-musiques puisse circuler dans les lycées et<br />
les collèges. À notre surprise, il y a eu 60 réponses.<br />
En termes de financement, l'État, par l'intermédiaire<br />
de la DRAC, verse 350 000 francs à notre association,<br />
la région 900 000. En plus, il y a eu cette année un gro s<br />
investissement pour le camion-musiques. Ce n'est pas un<br />
studio (nous ne sommes pas en concurrence avec les studios<br />
d'enre gistrement), c’est un lieu de formation itinérant.<br />
C'est un endroit où l'on peut bien sûr répéter avec<br />
environ une dizaine de formateurs et qui permet à <strong>des</strong><br />
groupes de s'initier à la M.A.O., aux techniques informatiques,<br />
d'avoir aussi cette possibilité de sortir avec une<br />
cassette ou un D.A.T. qui permet une “photographie” du<br />
groupe. Pa rallèlement, cela permet un gros travail d'information<br />
sur les nuisances sonore s.<br />
Joël Le Crosnier, directeur C.A.C. Georges Brassens de<br />
Mantes-la-Jolie : Je sais que la République est un peu<br />
une vieille dame et j'ai plutôt tendance à inciter à l'amour<br />
et la révolution. La révolution sur son système délégataire ,<br />
puisqu'aujourd'hui travailler pour le peuple, c'est magnifique<br />
! Nous n’avons pas vraiment de compte à lui re ndre !<br />
Tout à l'heure, nous parlions du Front National, nous<br />
étions là sur un système de replâtrage mais pas sur un système<br />
où nous pouvons prendre un petit peu d'avance par<br />
rapport aux événements. Lorsque le représentant du<br />
Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports nous dit que c'est le<br />
ministère qui a quand même le plus souffert de la suppression<br />
d'emplois et de moyens sur la jeunesse et l'éducation<br />
populaire, c'est dans la même période que les<br />
gran<strong>des</strong> fédérations d’éducation populaire ont vu leurs<br />
moyens complètement diminuer. L'État, cette vieille<br />
République, s'est retrouvé sans relais et, aujourd'hui, avec<br />
ce qui nous a été présenté, j'ai quand même l'impression<br />
que l'on revient dans le même système. L'État cherche ses<br />
propres moyens, ne se pose pas le vrai problème du contrat<br />
social, puisque le contrat social, ce sont les associations de<br />
terrain et surtout les associations qui fédèrent ces associations<br />
de terrain qui le remplissent.<br />
Par exemple, au niveau départemental, ce sont <strong>des</strong><br />
associations comme le CRY, les fédérations d'éducation<br />
populaire, au niveau régional et national, mais aussi t outes<br />
Savoir si nous voulons une démocratie avec ou<br />
sans le peuple<br />
les associations qui réussissent à un moment donné, de<br />
manière transversale, à dépasser les intentions politiciennes<br />
locales pour avoir un vrai objet de travail de<br />
recherche en termes de sociologie, de conseil, de collectage<br />
de patrimoine. Lorsque nous parlons de musiques<br />
actuelles, il faut bien que nous posions le problème du<br />
collectage, du patrimoine et de sa conservation. Pour pouvoir<br />
se poser ces questions-là, il faut qu'il y ait <strong>des</strong> gens<br />
qui, d'une manière très volontaire, y réfléchissent.<br />
L’Etat ne va pas assez loin. J'ai entendu ce qu'ont dit<br />
nos deux collègues qui sont dans la Commission nationale<br />
<strong>des</strong> musiques actuelles et je pense que cela ne va pas<br />
assez loin. Il faut un débat franc et massif avec les gens<br />
qui fédèrent, les fédérations nationales et les associations<br />
régionales, avec un système délégataire clair, puisque<br />
l'État a toujours les moyens du contrôle. En fait, la question<br />
qui est posée, c'est une collaboration intelligente et le<br />
moyen de son contrôle par l'État, pour écrire une ligne<br />
politique de l'État. Il s'agit pour nous de savoir si nous<br />
voulons une démocratie avec ou sans le peuple.<br />
Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />
la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Moins on a de moyens en personnel,<br />
moins on a de moyens en fonctionnement, donc
La République, c’est nous tous<br />
moins on a de subventions. <strong>Les</strong> choses sont intimement<br />
liées. C'est tellement plus simple de dire que l'on a moins<br />
besoin de fonctionnaires pour distribuer moins d'argent,<br />
puisque finalement on vous en donne moins, et que donc<br />
on a moins d'actions avec les réseaux d'éducation populaire.<br />
C'est le serpent qui se mord la queue. Cela produit un<br />
assèchement d’un pan entier du Ministère qui s'occupe de<br />
la jeunesse et de l'éducation<br />
populaire. La<br />
chose publique, c'est<br />
vous et nous. Il n'y a pas de dichotomie. Il n'y a pas d'un<br />
côté ceux qui regardent le peuple d'en haut et puis vous<br />
qui seriez au balcon en train de dire : “Que fait la<br />
République pour nous ?". La République, c'est nous tous.<br />
Mais je comprends qu’après les années d'errance, en particulier<br />
de notre ministère, vous ayez <strong>des</strong> doutes. Je ne<br />
peux pas tous les effacer en dix minutes.<br />
La volonté de nous rapprocher de la culture - qui a<br />
longtemps été émise comme un vœu pieux - est rentrée<br />
dans les faits. Nous avons une volonté de rééquilibrer ce<br />
ministère, comme je vous l'ai dit, entre “jeunesse" et<br />
“sports". Nous avons la volonté de vous donner plus de<br />
moyens en personnels et en crédits. Nous avons la volonté<br />
de développer un peu plus de projets qu'auparavant et<br />
de ne pas avoir les frilosités que vous avez notées sur le<br />
terrain. Vous constaterez dans quelques mois si ce que je<br />
dis ici a irrigué jusqu'aux doigts de pieds de la dernière<br />
DDJS et du dernier CEPJ. Tout en sachant qu’il y a <strong>des</strong> gens<br />
sur le terrain qui, heureusement, eux non plus, n'ont pas<br />
attendu les autorisations du Ministère pour continuer à<br />
faire <strong>des</strong> choses contre <strong>des</strong> directives données à l'époque.<br />
Mais je crois que vous avez raison d'être impatient. Nous<br />
écoutons votre impatience, et c'est votre impatience qui<br />
nous permet d'aller plus loin.<br />
Un participant : Qu'est-ce qui a décidé les départements<br />
à intervenir dans le cadre du camion-musiques ? Est-ce<br />
que cela contribue à modifier la politique culturelle ? Estce<br />
que leur politique est complémentaire de celle de la<br />
région ? Est-ce que c'est la région qui a initié, et les départements<br />
qui ont suivi ?<br />
Éric Doisnel, Président du Centre Régional du Rock et<br />
<strong>des</strong> Musiques Actuelles : L'initiative revient à la DRAC et<br />
à la région qui nous ont confié cette mission qui consistait<br />
à savoir comment on pouvait répondre en termes de formation,<br />
aussi bien dans les quartiers, dans les banlieues<br />
mais aussi au niveau rural. Ils ont porté tout le projet d'investissement,<br />
de création, toute l'étude qui a permis la<br />
création du camion-musiques. Ensuite, nous avons sollicité<br />
les deux départements qui agissent, eux, en termes de<br />
formation. <strong>Les</strong> deux départements, et surtout celui de<br />
l'Eure, qui est essentiellement rural, sont très intéressés<br />
par ce camion parce qu'il peut répondre à <strong>des</strong> deman<strong>des</strong><br />
de formation ou même, c'est l'autre aspect du camionmusiques,<br />
il peut presque servir de préfiguration dans les<br />
petites villes pour savoir s’il faut créer un local de répétition.<br />
La tendance serait actuellement de vouloir créer <strong>des</strong><br />
locaux de répétition un peu partout. Mais est-ce la bonne<br />
solution ? Ne faut-il pas, pour certains villages, se regrouper,<br />
pour se donner plus de moyens ? D’ailleurs, les<br />
groupes, eux, n'ont pas d'appartenance à une ville. Ils sont<br />
de toutes les villes, il n'y a pas de frontières entre elles.<br />
Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil Général<br />
de Seine-St-Denis : <strong>Les</strong> “professionnels de la profession”<br />
que nous sommes avons intérêt à ne pas baisser la<br />
garde sur le niveau <strong>des</strong> exigences, et même à les monter<br />
haut, comme le regard qu'on porte <strong>des</strong>sus. Je pense que<br />
nous sommes à la croisée <strong>des</strong> chemins pour les musiques<br />
amplifiées et même sur la question du “culturel".<br />
Tout à l'heure, s’est posée la question de savoir s’il<br />
y a <strong>des</strong> dangers. Oui, il y en a. La banalisation de la culture,<br />
un certain poujadisme qui rampe, une certaine<br />
conception utilitariste de la culture, voire même une tendance<br />
à vouloir éliminer la création parce que ça gêne, ça<br />
coûte cher… Tous ces lieux communs qu'on entend un<br />
peu partout sont <strong>des</strong> dangers. Il y a ceux qui sont extrêmement<br />
saillants, nous savons qu’il y a le Front National,<br />
mais il y a d’autres choses qui se baladent dans la société.<br />
Par rapport à cela, il faut que nous ayons <strong>des</strong> positionnements<br />
fermes sur le fond, pas seulement “c orpo". Il faut<br />
que nous ayons les exigences pro pres de la pro fession,<br />
c'est évident, mais je<br />
pense que pour en<br />
s o r t i r, il faut que<br />
nous ayons envers<br />
les politiques, et en<br />
premier lieu le gouvernement,<br />
une exigence<br />
pas seulement partagée par quelques techniciens,<br />
mais par beaucoup de monde.<br />
Je vais vous donner un exemple sur la question <strong>des</strong><br />
moyens. Vous avez tous entendu parler de la Seine-St-<br />
Denis, <strong>des</strong> mouvements à l'école ces dernières semaines ?<br />
Le Ministère reconnaît qu'il faut 3 000 postes sur 3 ans !<br />
Vous imaginez, 3 000 postes ce que cela signifie ? En gros,<br />
180 000 francs de salaire par enseignant, charges comprises,<br />
multipliez par 3 000 ! C'est lunaire cette histoire.<br />
C'est pas le petit truc en plus qui pourrait être obtenu là,<br />
en déplaçant ou en faisant un jeu de dominos ! Le gouvernement<br />
reconnaît qu'à population égale, il y a deux<br />
fois moins d'enseignants qu'à Paris. Non pas que la<br />
chose soit récente. Elle est ancienne, cela se disait, mais<br />
Il y a <strong>des</strong> dangers :<br />
la banalisation de la culture,<br />
un certain poujadisme qui<br />
rampe, une certaine conception<br />
utilitariste de la culture<br />
5 3
là c'est reconnu et <strong>des</strong> mesures sont prises. Sauf qu'au<br />
début, le ministre se pointe avec je ne sais combien de<br />
postes et c'est le brouhaha qui fait qu'on passe en gro s<br />
d'une centaine à 3 000 sur quelques années, dont 800<br />
la pre m i è re année. Je donne ces chiffres parce que je<br />
pense qu'ils donnent la mesure <strong>des</strong> enjeux devant lesquels<br />
nous sommes. Où se prend le financement <strong>des</strong><br />
postes ? Dans le Val-de-Marne ? Dans les Hauts-de-<br />
Seine ? À Paris ? Non ! Cela pose forcément la question<br />
du réaménagement du budget de l'Éducation nationale.<br />
Je dis cela pour l'Éducation nationale parce que<br />
je pense que cela vaut aussi pour les questions qui<br />
nous préoccupent et, je l'ai dit tout à l'heure, je pense<br />
qu'on ne peut pas ne faire qu'observer la façon dont<br />
vont s'organiser les grands choix budgétaires en 1999,<br />
en 2000… Au bout du compte, c'est cela qui va struc-<br />
DOLLY
t u rer l'espace dans lequel nous souhaitons tra v a i l l e r. Et<br />
si nous commençons à dire qu'il faudrait un plan<br />
national d'équipement <strong>des</strong> lieux… cela représente <strong>des</strong><br />
sommes extrêmement importantes. Où se tro u v e n t - e l l e s<br />
ces sommes ? Quels sont les choix qui vont présider ?<br />
Je crois que ce sont les questions qui pourraient mériter<br />
<strong>des</strong> colloques parce que sinon, on risque d'être touj<br />
o u rs sur l'écume de la question de Rencontres.<br />
Dominique Cnockaert, directeur MJC - Bolbec :<br />
Bolbec est une petite ville de 12.500 habitants, semir<br />
u rale, semi-urbaine, et après chaque échéance municipale<br />
électorale, nous attendons fébrilement le nom<br />
de ceux qui vont occuper les postes d'adjoints, dont<br />
celui d'adjoint à la culture. Bien souvent on se dit :<br />
“Ah, c'est lui ! C'est incompréhensible…". Aussi, je<br />
Nous venons de vivre une phase de décentralisation sans<br />
aucune obligation de formation <strong>des</strong> élus politiques !<br />
pose un autre débat de réflexion qui est la formation<br />
<strong>des</strong> élus politiques. Nous venons de vivre une phase de<br />
d é c e n t ralisation sans aucune obligation de formation<br />
<strong>des</strong> élus politiques ! C'est grave ! C'est-à-dire que nous,<br />
p rofessionnels, qui ne prenons pas la décision politique,<br />
on nous demande de monter un projet d'activité<br />
dont les élus essaient de tirer une essence politique.<br />
Il y a quand même quelque chose qui ne fonctionne<br />
pas et nous ne sommes pas dans le même rapport de<br />
construction d'un projet d'une politique culture l l e .<br />
Gilles Castagnac : Mon rôle de modérateur comportait<br />
l ’ e x e rcice - bien évidemment impossible - de la synthèse<br />
à chaud. Je pointerai juste que, parmi les choses<br />
qui sont revenues, je crois qu'il y a <strong>des</strong> constats communs,<br />
du genre : éviter ou sortir de l'instrumentalisation<br />
; affirmer la pluralité <strong>des</strong> acteurs publics mais<br />
aussi <strong>des</strong> acteurs culturels ; nécessité d'assumer ce que<br />
j ’ a p p e l l e rai un continuum respectueux <strong>des</strong> divers i t é s ...<br />
Au niveau <strong>des</strong> pouvoirs publics, nous avons plus<br />
i e u rs fois entendu parlé “d'interministérialité". C’est<br />
un écho encourageant pour cette volonté de dépasser<br />
le clivage entre les pratiques amateurs d’une part, et<br />
les alliés du méchant showbiz d’autre part. La nécessité<br />
de la re n c o n t re est une obligation. C'est la nature<br />
même de l’activité et de ce continuum qui l'amène.<br />
Cela veut dire que la construction se fait par les<br />
a c t e u rs eux-mêmes, notamment ceux qui ont <strong>des</strong> exigences<br />
et ne veulent pas, ne peuvent pas, attendre que<br />
<strong>des</strong> décisions “extérieures” se prennent, qu’elles vienn e n t<br />
de politiques décalées <strong>des</strong> réalités ou du “marché”<br />
l u i - m ê m e .<br />
J'ai également relevé une contradiction par ra p-<br />
port à ce qui a été dit lors de la table ronde précédente.<br />
À savoir une demande de plus de textes, plus de<br />
réglementations, <strong>des</strong> cahier <strong>des</strong> charges plus précis...<br />
et, en même temps, un effarouchement sur les conséquences<br />
de la mise en place de textes pas forc é m e n t<br />
adaptés, comme l’application au champ culturel de la<br />
délégation de service public.<br />
Mais à vous écouter, je re t i e n d rai surtout l'affirmation<br />
- qu’on re t rouve parallèlement dans la composition<br />
même de la Commission Nationale - de la prégnance,<br />
dans ces musiques-là, du phénomène associatif<br />
dans toute sa diversité. C'est à tra v e rs le phénomène<br />
associatif qu'effectivement, nombre de composantes<br />
se re t rouvent, même si, derrière, on peut avoir<br />
<strong>des</strong> différences de statut, <strong>des</strong> différences de terrain de<br />
t ravail. Je pense qu’il existe une communauté<br />
de prise en main pour la construction de<br />
cet espace de liberté que sont les musiques<br />
a c t u e l l e s .<br />
Pe u t - ê t re que ce ne sont pas tout à fait <strong>des</strong> re n-<br />
c o n t res, peut-être que ce n'est pas tout à fait un<br />
débat... Mais si ce sont déjà, dans un premier temps, la<br />
c o n f rontation de deux, voire trois univers, ce sont à<br />
mon avis les prémices d'une construction. C’est ce que<br />
nous nous étions fixé comme enjeu lorsque nous avons<br />
commencé à travailler sur ces Rencontres… Si effectivement,<br />
aujourd'hui, les gens se sont intéressés les uns<br />
et les autres, se sont étonnés de trouver un langage<br />
commun alors qu’ils sont censés appartenir à <strong>des</strong> univ<br />
e rs différents, c'est déjà une pre m i è re parce que c'est<br />
ra rement affirmé comme tel. ❙<br />
5 5
2<br />
PERRY BLAKE
De nouveaux métiers ?<br />
Gaby Bizien, responsable Musiques actuelles de<br />
Domaine Musiques, Nord-Pas-de-Calais : To u t<br />
d ’ a b o rd, il me paraît fondamental de dire qu’il<br />
n'existe pas de nouveaux métiers sans de nouvelles<br />
formations. Nous sommes confrontés à <strong>des</strong> porteurs<br />
de projets qui ont <strong>des</strong> initiatives mais qui n'arrivent pas<br />
à qualifier suffisamment leur projet pour être <strong>des</strong> interl<br />
o c u t e u rs au niveau <strong>des</strong> pouvoirs publics. En effet,<br />
quand on parle de “formation", on pense souvent à <strong>des</strong><br />
formations techniques comme la formation <strong>des</strong> musiciens<br />
pour l'encadrement de locaux de répétition, de<br />
techniciens du spectacle... mais il faut aussi penser à la<br />
formation <strong>des</strong> porteurs de projets qui peut leur permettre<br />
de devenir <strong>des</strong> interlocuteurs pour obtenir <strong>des</strong> soutiens<br />
publics. Mon parc o u rs a tra v e rsé le milieu musical<br />
puisque j'ai été musicien professionnel pendant quinze<br />
ans et ensuite, j'ai été à l'origine de la création d'un<br />
c e n t re de formation aux musiques actuelles sous forme<br />
associative (ARA, Roubaix). Aujourd’hui, je suis re s p o n-<br />
sable du pôle régional <strong>des</strong> musiques actuelles en Nord -<br />
Pas-de-Calais, qui est un département de l'association<br />
régionale, donc à l'intérieur d'une institution. Mon point<br />
de vue vient donc du croisement de ces différe n t e s<br />
e x p é r i e n c e s .<br />
La précarité <strong>des</strong> structures a tra v e rsé les débats<br />
<strong>des</strong> tables ron<strong>des</strong> précédentes. <strong>Les</strong> structures de diffusion<br />
de proximité, d'accompagnement <strong>des</strong> pratiques, de<br />
développement local, vivent depuis plus de dix ans grâce<br />
au militantisme de passionnés. Ce militantisme, sur les<br />
actions de proximité, interpelle la fil i è re culturelle telle<br />
qu'on la connaît. Cette fil i è re est souvent sclérosée par<br />
<strong>des</strong> cadres trop rigi<strong>des</strong> qui ne permettent pas de liberté<br />
d'initiative favorisant la mise en œuvre d'une réelle<br />
d é m o c ratie culturelle. D'un autre côté, nous connaissons<br />
le re v e rs de la médaille : précarité <strong>des</strong> emplois, très bas<br />
s a l a i res, C.E.S., objecteurs de conscience, C.E.C... Bref, le<br />
lot quotidien <strong>des</strong> “c afés-musique", <strong>des</strong> structure s<br />
a s s ociatives de formation, <strong>des</strong> collectifs d'artistes qui se<br />
montent pour aider à la création et à la diffusion de leur<br />
p roduction.<br />
En introduction, je voudrais faire un bref ra p p e l<br />
historique <strong>des</strong> rapports entre le secteur <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles et l'intervention publique, parce que ce ra p-<br />
port est révélateur de l'apparition de nouvelles activités.<br />
Nouvelles activités en matière de médiation culture l l e ,<br />
nouvelle manière d'envisager la médiation culture l l e ,<br />
nouvelles activités en matière d'accompagnement<br />
<strong>des</strong> pratiques et<br />
nouvelles activités<br />
par la spé-<br />
sans de nouvelles formations<br />
Il n'existe pas de nouveaux métiers<br />
cificité même<br />
de ces musiques. Ce secteur est représentatif d'une<br />
mutation de la réflexion en matière de politique culturelle.<br />
Je crois même que le secteur <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles a largement contribué, par ses pratiques, par la<br />
mise en œuvre de ses projets, de sa réflexion, à la mutation<br />
de cette réflexion sur les politiques culturelles.<br />
À l'évidence, les liens qu'entretiennent ces<br />
musiques - aussi bien avec l'industrie musicale<br />
qu’avec ce qu'on a appelé à une époque Gaby Bizien,<br />
MODÉRATEUR :<br />
la recomposition du lien social - ont souvent<br />
empêché une vision claire du secteur,<br />
RESPONSABLE MUSIQUES<br />
ACTUELLES DE DOMAINE<br />
MUSIQUES NORD-PAS-DE-CALAIS.<br />
notamment chez les élus et même chez certains<br />
techniciens au sein <strong>des</strong> institutions INTERVENANTS :<br />
c u l t u relles. La réalité artistique de ces Laure Chailloux,<br />
p ratiques a souvent été masquée derrière A.R.A. - ROUBAIX,<br />
l'opacité <strong>des</strong> débats entre secteur privé, Thierry Duval,<br />
s e cteur public, showbiz et pratiques artist<br />
i q u e s .<br />
COORDINATEUR DU C.R.Y.<br />
POUR LA MUSIQUE,<br />
La prise en compte <strong>des</strong> musiques Philippe Audubert,<br />
RESPONSABLE DU SECTEUR<br />
actuelles dans le cadre <strong>des</strong> politiques<br />
FORMATION DE TREMPOLINO<br />
publiques est assez récente puisqu’elle commence<br />
dans les années 80. Ces années-là Bruno Ponge,<br />
NANTES,<br />
privilégient surtout la diffusion et le développement<br />
<strong>des</strong> artistes dans le cadre de l'in-<br />
Christian Roux,<br />
GÉRANT DE T.R.I.P.S.,<br />
dustrie musicale. En parallèle aux ai<strong>des</strong> pour<br />
DIRECTEUR DU CENTRE DE<br />
CRÉATION MUSICALE - BREST,<br />
les salles de spectacle identifiées “musiques<br />
actuelles" et apparues à cette époque, il y a<br />
Jean-Louis<br />
Sautreau,<br />
57<br />
la loi de 1985 qui induit un certain nombre (EX-AGENCE DES LIEUX<br />
d'ai<strong>des</strong> au secteur professionnel à partir de MUSICAUX, AINTÉGRÉ DEPUIS<br />
LA D.M.D.T.S. DU MINISTÈRE<br />
la reconnaissance de nouveaux droits pour<br />
DE LA CULTURE),<br />
les interprètes, pour les pro d u c t e u rs. Ces<br />
Jean-Claude<br />
ai<strong>des</strong> sont gérées par les nouvelles sociétés Pe rrot,<br />
civiles et par la création d'organismes tels DIRECTEUR MCL DE METZ.
5 8<br />
que le Fonds de Création Musicale ou le Fonds de<br />
Soutien. Nous nous apercevons maintenant que les subventions<br />
accordées aux lieux de diffusion n'ont pas<br />
atténué le prix <strong>des</strong> places. On vérifie ainsi, et ce n'est pas<br />
nouveau, que les volontés de démocratisation culturelle,<br />
d'accès aux œuvres, profitent surtout aux publics qui ont<br />
déjà une démarche culturelle, une démarche de consommation<br />
culturelle. <strong>Les</strong> ai<strong>des</strong> au développement de carrière<br />
d'artistes ont souvent également été critiquées dans la<br />
m e s u re où elles sont accordées à un producteur pour<br />
qu'il développe l'artiste avec toutes les réserves d'usage<br />
sur le formatage d'artistes par l'industrie.<br />
Nous ne pouvons pas dire que de nouveaux métiers<br />
soient apparus dans les années 80. Il y a <strong>des</strong> luttes syndicales<br />
pour la reconnaissance de certaines pro f e s s i o n s<br />
comme les interprètes et les pro d u c t e u rs qui ont, par la<br />
loi de 1985, obtenu le bénéfice de droits spécifiq u e s ,<br />
mais pas vraiment de nouveaux métiers. En re v a n c h e ,<br />
une deuxième génération de porteurs de projets appara î t<br />
dans les années 1990 avec la montée en puissance d'une<br />
a u t re conception du service public en direction <strong>des</strong><br />
musiques actuelles, notamment face à la demande re p é-<br />
rée <strong>des</strong> populations dites “en diffic ulté”. C'est le célèbre<br />
couple culture et lien social qui fait son apparition. La<br />
c u l t u re en général et les musiques actuelles, en particulier<br />
le rap et les musiques qui y sont associées, sont appelées<br />
sur le front du social. On espère que la culture va<br />
<strong>Les</strong> volontés de démocratisation culturelle pro fit e n t<br />
surtout aux publics qui ont déjà une démarche culture l l e<br />
repousser les limites qui n'arrivent pas à être comblées<br />
par l'école et par l'ensemble <strong>des</strong> stages d'insertion que<br />
l'on met en place et qui sont balayés par la folie économique.<br />
Au niveau du service public, il n'existe aucun<br />
c a d rage institutionnel. <strong>Les</strong> pro f e s s e u rs de l'enseignement<br />
spécialisé, du réseau <strong>des</strong> conservatoires et <strong>des</strong> écoles de<br />
musique, sont complètement démunis face à ces<br />
musiques qui, d’une part, privilégient la pratique collective,<br />
utilisent <strong>des</strong> instruments amplifiés, font appel aux<br />
technologies de l'enre g i s t rement, de l'informatique, et,<br />
d ' a u t re part, à <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui arrivent souvent, non<br />
pas en formation initiale, mais après une pratique autodidacte.<br />
Souvent, ces musiciens vont répéter dans leur<br />
local, vont jouer sur scène et même enre gistrer, éventuellement<br />
dans un studio, une maquette “démo", et<br />
ensuite se retournent vers <strong>des</strong> opéra t e u rs spécialisés en<br />
formation pour combler certaines lacunes qu'ils re s s e n-<br />
tent, ou pour acquérir de nouveaux savoirs. Au cours <strong>des</strong><br />
années 80, il y a un certain nombre de centres de formations<br />
qui se sont créés. Ce sont <strong>des</strong> formations spécifiques<br />
souvent orientées vers le jazz et qui se sont créées<br />
sous forme associative. Ces centres de formation sont<br />
financés à la marge par la culture et surtout par la<br />
formation professionnelle avec <strong>des</strong> sociétés civiles<br />
d'artistes.<br />
D ' a u t res centres de formation sont mis en place<br />
à la fin <strong>des</strong> années 80. Ceux-ci ont été plus orientés sur<br />
le rock, avec comme objectif de pouvoir accueillir la<br />
p ratique amateur et de lui offrir un éventail de formations<br />
<strong>des</strong>tinées à qualifier ces pratiques. Dans le même<br />
temps, il y a <strong>des</strong> lieux de diffusion qui développent <strong>des</strong><br />
locaux de répétition pour accueillir les groupes et mettent<br />
en place également <strong>des</strong> actions de formation. Ce<br />
sont <strong>des</strong> initiatives qui sont, comme les “cafésmusique"<br />
et d'autres structures, portées à bout de bra s<br />
par <strong>des</strong> convaincus de cette idée de démocratie culturelle.<br />
C'est en tout cas de l'expérience de ces acteurs que<br />
naissent les réflexions et les services offerts aux pra t i-<br />
quants pour l'accompagnement et la qualification aux<br />
musiciens amateurs. Cela s'adresse à <strong>des</strong> musiciens<br />
a m a t e u rs mais aussi à <strong>des</strong> musiciens en voie de pro f e s-<br />
sionnalisation parce que la fro n t i è re est assez souvent<br />
f ranchie, d'un côté comme de l'autre d'ailleurs.<br />
E n fin, arrêtons-nous quelques instants sur les<br />
termes “a mateur", “professionnel", “en développement",<br />
“en voie de professionnalisation", qui sont <strong>des</strong><br />
termes utilisés régulièrement dans notre secteur. Pa r m i<br />
la grande majorité <strong>des</strong> “musiciens actuels" - j'utilise ce<br />
terme bien qu'il ne me satisfasse pas non plus<br />
- on tro u v e ra ra rement de véritables amateurs<br />
et de véritables professionnels et c'est ce qui<br />
fait que nous naviguons entre les deux<br />
mon<strong>des</strong>. Juridiquement, l'amateur est défini par le<br />
d é c ret de 1953 : c'est quelqu'un qui ne tire pas de bénéfice<br />
de son art et qui a d'autres moyens de subsistance.<br />
C'est donc assez clair. Pour le professionnel, c'est plus<br />
d i f ficile. Est-ce que c'est celui qui a fait 45 cachets<br />
déclarés sur 12 mois et qui à ce titre peut obtenir les<br />
r é m u n é rations ASSEDIC d'intermittent du spectacle ?<br />
Est-ce que c'est celui qui a fait 24 cachets et qui peut<br />
b é n é ficier de la formation professionnelle AFDAS ? Estce<br />
que c'est celui qui consacre tout son temps à la<br />
musique, mais qui n'arrive pas à avoir de cachets déclarés<br />
et qui vit au RMI avec <strong>des</strong> contrats au “black" à côté ?<br />
Est-ce que c'est celui qui a signé dans une maison de<br />
disques, sachant que la signature dans une maison de<br />
disques n'est pas forcément la garantie de moyens de<br />
subsistance et encore moins d'une pérennisation de<br />
l’emploi ? Une chose est certaine : le passage au niveau<br />
p rofessionnel, c'est un choix personnel, c'est un choix de<br />
vie de la part du musicien et sur lequel nous n'avons pas<br />
f o rcément à re v e n i r. Il faut savoir que ce musicien vit<br />
souvent du cumul de cachets, de droits, de ro y a l t i e s
éventuellement, de revenus de l'enseignement, de re v e-<br />
nus sociaux, ASSEDIC ou autres, éventuellement de<br />
d é m o n s t rations d'instruments de musique dans les<br />
s u p e r m a rchés lorsque c'est la période de vaches maigre s .<br />
En tout cas, c'est quelqu'un qui a fait le choix de s'investir<br />
complètement dans la musique.<br />
<strong>Les</strong> “musiciens actuels", même amateurs, désirent<br />
toujours se pro d u i re sur scène, ce qui pose d'autre s<br />
problèmes. L’ordonnance de 1945 et la loi de 1969 disent<br />
qu'à partir du moment où un musicien est sur scène, il y<br />
a un lien de subordination qui s'exerce entre l'emp<br />
l o y e u r, l'organisateur et le musicien et qu'à partir du<br />
moment où un musicien est sur scène, il doit être salarié<br />
et il doit être déclaré. Nous pouvons re m a rquer que<br />
cette volonté de re n c o n t re <strong>des</strong> musiciens avec l'espace<br />
public, ce désir d'insertion à la cité, cette dimension<br />
e n t re p reneuriale du groupe de rock, du groupe de ra p ,<br />
du DJ, est un cara c t è re fondamental, à mon avis, et qui<br />
les différencie de la musique classique. C'est vrai qu'on<br />
voit ra rement <strong>des</strong> élèves d'écoles de musique aller spontanément<br />
jouer dans les cafés. À mon sens, c'est dans<br />
cette perspective qu'il faut voir la dimension citoyenne<br />
de ces pratiques, car ce cara c t è re entre p reneurial est lié<br />
à une prise de responsabilités de la fonction sociale de<br />
la musique. <strong>Les</strong> musiciens se confrontent à l'espace<br />
social, dans <strong>des</strong> lieux de convivialité (souvent <strong>des</strong> cafés),<br />
dans <strong>des</strong> endroits où leur pratique fait complètement<br />
partie d'une re n c o n t re sociale et donc d'une re n c o n t re<br />
citoyenne entre <strong>des</strong> “citoyens musiciens" et <strong>des</strong><br />
“citoyens publics". Il est vrai que la dimension économique<br />
peut exister, il ne faut pas la nier. Je pense<br />
que cette dimension est importante, notamment<br />
en ce moment, parce que l'état du marché du<br />
t ravail fait que chez beaucoup de jeunes musiciens,<br />
il n'est pas plus irrationnel d'essayer de<br />
v i v re de la musique que d'essayer de trouver un emploi<br />
a i l l e u rs. C'est peut-être plus intéressant, plus motivant<br />
et plus valorisant que de naviguer de CES en stages d'insertion.<br />
Je pense que le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles a<br />
une chance extra o rd i n a i re de se situer au carrefour du<br />
c u l t u rel, de l'économique et du social. C'est-à-dire au<br />
c roisement du sens donné par la pratique artistique, de<br />
la production liée à l'économique, et de la re d i s t r i b u t i o n<br />
liée au social.<br />
L'enjeu est donc de qualifier ce secteur tout en lui<br />
conservant ses spécificités, cette originalité, cet enthousiasme,<br />
cet esprit d'entreprise et cette passion qui le placent,<br />
à mon avis, du point de vue de la citoyenneté, en<br />
avance sur d'autres champs culturels. Sans toutefois nier<br />
que les musiques actuelles sont liées à l'industrie musicale,<br />
ce qui est essentiel pour assurer les conditions de<br />
sa production et de sa diffusion. Mais sans non plus<br />
r é d u i re la vision <strong>des</strong> musiques actuelles à la lutte contre<br />
la fra c t u re sociale. Cela veut dire plaider en faveur d'une<br />
aide à cette fonction structurante de la musique aux<br />
c o n fluents <strong>des</strong> secteurs publics et privés, à tra v e rs la<br />
création d'outils qui permettent la créativité de nouveaux<br />
talents qui vont, eux, pouvoir aller à la re n c o n t re<br />
de nouveaux publics. La structuration du secteur nécessite<br />
à l'évidence, dans le cadre de ces nouvelles formes<br />
d'action culturelle, de nouvelles fonctions, de nouveaux<br />
m é t i e rs liés à la formation, à la médiation, en rapport à<br />
la technologie, aux industries musicales, à l'information.<br />
L ' i n s u f fisance de reconnaissance de ces métiers vient<br />
souvent du manque de connaissance de ce secteur. Il<br />
faut donc le faire connaître. Le manque de connaissance<br />
de la réalité artistique, de l'amalgame trop fréquent<br />
que l'on fait de ce secteur avec une certaine économie<br />
du spectacle. Je dis bien une certaine économie du spectacle<br />
parce qu'il y a énormément d'entreprises sous<br />
forme de sociétés qui agissent pour le développement<br />
de ce secteur. L'absence de cadre d'emplois et de formations<br />
est évidemment au cœur du problème puisqu'il se<br />
t rouve que, même en ayant les meilleures intentions du<br />
monde pour développer ce secteur, s’il n’y a pas <strong>des</strong> gens<br />
formés, nous allons nous re t rouver en face d'un mur.<br />
Nous manquerons d'opéra t e u rs face à une demande<br />
énorme. Il y a un champ en friche autour de la formation,<br />
de la pratique amateur, du développement de nouveaux<br />
talents.<br />
Au sein de la Commission nationale <strong>des</strong><br />
musiques actuelles, nous sommes un certain nombre à<br />
Le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles a une chance<br />
e x t ra o rd i n a i re de se situer au carrefour du culturel,<br />
de l’économique et du social<br />
ê t re fortement intéressés par la mise en place de<br />
c o n t rats territoriaux avec une forte incitation de l'État<br />
v e rs les collectivités territoriales pour que se mettent<br />
en place <strong>des</strong> partenariats entre structures sur <strong>des</strong> terr<br />
i t o i res déterminés. C'est-à-dire ne pas se subord o n-<br />
ner à une logique institutionnelle qui voudrait que si<br />
l'on prend en compte les musiques actuelles, on va les<br />
m e t t re dans les structures existantes, c'est-à-dire, au<br />
niveau de la formation : les conservatoires ou les<br />
écoles de musique ; et au niveau de la diffusion : sur<br />
les scènes nationales. Dans chaque région, depuis<br />
maintenant 15 ou 20 ans que <strong>des</strong> acteurs développent<br />
de nouvelles formes d'actions culturelles sur ce sect<br />
e u r, il y a <strong>des</strong> initiatives qui se sont qualifiées. Il y a<br />
une parole du secteur à présent qu'il est bon de<br />
p re n d re en compte de façon tout à fait démocra t i q u e<br />
et, évidemment, il faut travailler en partenariat<br />
5 9
6 0<br />
avec la filière culturelle existante, si dans les établiss e-<br />
ments de cette fil i è re culturelle existent également de<br />
réelles volontés d'ouverture .<br />
<strong>Les</strong> gens sont en<br />
demande d'appre n d re<br />
Laure Chailloux, Autour <strong>des</strong> Rythmes Actuels -<br />
Roubaix : L'A.R.A. est une association qui s'est créée en<br />
1988. Nous ne nous situons pas seulement sur l'idée<br />
d ' é t e i n d re <strong>des</strong> feux sociaux mais bien sur une philosophie<br />
servant à développer tant la démocratie culture l l e<br />
que la démocratisation. Cela a démarré comme une<br />
école de rock : une petite association<br />
avec 17 élèves encadrés par<br />
<strong>des</strong> musiciens de la région qui<br />
avaient envie de tra n s m e t t re leurs<br />
p ro p res acquis à ceux qui veulent appre n d re la musique<br />
a u j o u rd'hui, en gagnant du temps. Résultat : au bout de<br />
deux ans, ce sont 400 personnes en liste d'attente. <strong>Les</strong><br />
gens sont en demande d'appre n d re, ont envie d'avoir<br />
accès à une formation, à un apprentissage dans ce<br />
domaine. L'A.R.A. a donc travaillé sur une pédagogie<br />
adaptée à ces musiques-là. Il ne s'agissait pas uniquement<br />
de proposer <strong>des</strong> cours de guitare et de batterie<br />
pour faire que ce soit nouveau, il fallait aussi savoir<br />
s'adapter et donc, se dissocier de la notion d'enseignement<br />
pur. Il s’agissait bien de partir du savoir-faire <strong>des</strong><br />
gens, de leur pratique, et de leur apporter les outils dont<br />
ils ont besoin. Nous sommes donc sur cette notion de<br />
p e rsonnalisation d’un accompagnement de la pra t i q u e ,<br />
tout en prenant aussi en compte le rythme de chacun. Il<br />
n'y a pas de chemin directeur qui dit qu'à tel âge, on<br />
doit savoir telle chose.<br />
A u j o u rd’hui, nous arrivons à nos dix ans d’existence.<br />
Dix ans de réflexion pour aboutir à l’idée d’une formation<br />
professionnelle, une idée de “lieux-ressources",<br />
de développement de la pratique avec une idée de développement<br />
régional, d'agents du territoire. Nous avons<br />
développé les salles de répétition, les centres d'information,<br />
tout un espace de cours aussi, de formations que<br />
l'on prend à la carte, <strong>des</strong> modules outils, <strong>des</strong> modules<br />
instrumentaux, <strong>des</strong> stages, <strong>des</strong> masters class... Une école<br />
de rock doit rester ouverte sur l'extérieur et tra v a i l l e r<br />
avec différents partenaires. Très vite, l'A.R.A. a été sollicitée<br />
pour faire <strong>des</strong> ateliers musicaux à l'extérieur de<br />
son lieu habituel et ce sont d'ailleurs les MJC et les<br />
c e n t res sociaux qui ont été les pre m i e rs à réagir en<br />
disant qu'ils avaient <strong>des</strong> deman<strong>des</strong>. Le problème étant<br />
l'investissement pour le matériel, les salles et l'encadrement.<br />
Un animateur peut être branché musique, mais<br />
nous savons aussi que les animateurs tournent, qu’ils<br />
peuvent aussi ne pas avoir assez de connaissances artistiques<br />
pour aller plus loin… D'où la création en 1992 du<br />
“bus-rock". Il s’agit en fait de l'ancêtre du “camionmusiques",<br />
entièrement réaménagé et qui a circulé très<br />
rapidement dans toute la région pour toucher <strong>des</strong><br />
publics différents que sont les collèges, les centres de<br />
formation, les centres sociaux et les MJC. Au fur et à<br />
m e s u re, nous avons constaté une évolution : les villes s'y<br />
sont intéressées ainsi que <strong>des</strong> institutions culturelles du<br />
type scènes nationales, conservatoires… Nous savons<br />
que toute une population n'accède pas de façon spontanée<br />
ou facile à ce type d'institutions. Depuis 1992, <strong>des</strong><br />
investissements ont été faits sur de nombreux lieux dans<br />
du matériel et parfois dans une salle, donc nous<br />
envoyons simplement un intervenant.<br />
Nous nous posons aujourd’hui la question de la<br />
suite logique du travail de l'A.R.A. : pouvons-nous imaginer<br />
un pro fil d'encadrant qui soit spécifique ? Nous<br />
l'avons appelé “musicien-encadrant" et nous en avons<br />
fait une formation professionnelle à partir de 1995. La<br />
première étape a consisté à se demander si le pro j e t<br />
était viable. Nous avons fait une étude auprès <strong>des</strong> élus<br />
pour savoir s’il y avait <strong>des</strong> potentialités d'emplois.<br />
L'étude étant positive, nous avons lancé cette formation<br />
p rofessionnelle en 1995 avec l'idée qu'un “musicienencadrant"<br />
devait être amené à gérer un lieu de pratiques.<br />
Cela peut être une salle de répétition, un secteur<br />
d'une MJC, pas obligatoirement un nouvel équipement.<br />
Mais le local de répétition n'a pas vocation à<br />
devenir une école où, du coup, quand on vient répéter,<br />
il faut être encadré pour répéter. On a le droit de répéter<br />
comme on veut. Sauf qu'à un moment donné, quand<br />
on demande une formation spécifique - par exemple<br />
l ' a r rangement, la mise en place, l’enre g i s t rement d’une<br />
cassette démo - il faut savoir à qui s’adre s s e r. Le “musicien-encadrant"<br />
peut apporter une aide qui est de<br />
l ' o rd re de la “personne-ressource". Quelqu'un qui a le<br />
D . E . F.A. peut très bien animer un nouveau lieu, mais<br />
nous nous sommes dit que si ces lieux voulaient être<br />
v raiment une re s s o u rce pour une pratique amateur, il<br />
fallait aussi qu'il puisse y avoir re s s o u rce de conseil<br />
musical.<br />
D e r r i è re l’idée de “musicien-encadrant" se <strong>des</strong>sinent<br />
deux pro fils. Il y a celui qui encadre un lieu de pratique,<br />
avec tout l’aspect gestionnaire, pro g ra m m a t i o n<br />
de stages, de re n c o n t res avec l'école de musique… Donc<br />
il s’agit d’un porteur de projets à dimensions pédagogiques.<br />
Et puis, il y a le musicien - on ne dit pas “musicien-intervenant"<br />
car cela existe déjà dans le cadre <strong>des</strong><br />
C e n t res de Formation <strong>des</strong> Musiciens Intervenants - qui<br />
est “encadrant d'ateliers musicaux". Celui-ci peut travailler<br />
sur plusieurs structures, l'intercommunalité pouvant<br />
d’ailleurs jouer son rôle. On parle beaucoup de<br />
nouveaux métiers mais je pense que, dans ces musiques-là,<br />
cela existe depuis longtemps. Cela fait très longtemps
que le gra n d - f r è re ou le copain apprend à jouer de la<br />
g u i t a re à celui qui est plus jeune. Donc, il s’agit plus<br />
d’une re c h e rche de légitimité d'un pro fil que de création<br />
de nouveaux métiers. Sauf que pour le légitimer, il faut<br />
p re n d re en compte ce qui existe actuellement, les<br />
diplômes qui existent, les dispositifs de financement qui<br />
existent. Si bien qu'à un moment donné, il faut vra i m e n t<br />
clarifier les pro fils, les compétences, la grille de salaire s…<br />
Nous portons cette expérience à bout de bras et<br />
nous n'avons pas le droit à l’erre u r. Il nous faut être efficaces<br />
tout de suite. Cette expérience régionale nous<br />
permet de mettre les responsables institutionnels assez<br />
rapidement autour de la table et les villes ont été aussi<br />
sensibilisées par <strong>des</strong> structures, telles que Culture<br />
Commune. Si cela existe au niveau régional, est-ce que<br />
l'on peut se décliner au plan national ? Nous ouvrons au<br />
niveau national la troisième formation d’encadrants et<br />
t ravaillons en partenariat avec d'autres structures (le<br />
C . R . Y. <strong>des</strong> Yvelines, Trempolino à Nantes et le Florida à<br />
Agen) sur une mise en réseau <strong>des</strong> formations afin de<br />
développer un dispositif, une formation, un diplôme.<br />
Beaucoup nous disent que le “musicien-encadrant",<br />
c'est le mouton à cinq pattes car il faut en même temps<br />
qu'il connaisse bien le milieu musical, qu'il ait baro u d é<br />
dans les groupes, qu'il soit pédagogue, qu'il soit porteur<br />
de projets, qu'il sache accueillir <strong>des</strong> groupes, créer <strong>des</strong><br />
partenariats avec différentes structures... Ce sont les<br />
p e rsonnes qui ont un important parc o u rs personnel qui<br />
vont le mieux répondre à ce pro fil de mouton à cinq<br />
pattes et non pas <strong>des</strong> gens diplômés de la formation<br />
u n i v e rs i t a i re… Le Ministère de la Culture mène actuellement<br />
une réflexion sur la meilleure façon de faire<br />
avancer la formation au niveau <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles en faisant de “l'entrisme" jusque dans<br />
les conservatoires. Arriverons-nous à faire avancer<br />
les choses quand il faudra que de nouveaux<br />
profils entrent dans les tiro i rs de l'ancien dispositif ? Il<br />
n'en reste pas moins la difficulté de financer les postes.<br />
Effectivement, <strong>des</strong> “emplois-jeunes" arrivent mais<br />
quelqu'un qui a un parc o u rs assez important derrière lui<br />
a bien souvent dépassé l'âge de “l'emploi-jeune". De<br />
plus, il ne faudrait pas non plus que <strong>des</strong> gens soient<br />
payés pour donner <strong>des</strong> cours au S.M.I.C. alors qu'un<br />
musicien, enseignant, est payé deux heures pour une<br />
h e u re d'enseignement. Il ne faudrait pas que cela pervertisse<br />
la compétence <strong>des</strong> deux. Cela veut dire aussi<br />
que lorsque nous réfléchissons à de nouvelles formations,<br />
de nouveaux métiers, etc, nous sommes obligés de<br />
penser à la mise à l'emploi. Il va donc falloir interpeller<br />
la DRAC, le Conseil Régional, etc, mais aussi ceux qui<br />
t ravaillent au niveau de l'insertion, de dispositifs<br />
sociaux, économiques…<br />
Développer chez les musiciens un esprit critique<br />
par rapport à cette culture de la professionnalisation<br />
à tous crins<br />
Thierry Duval, coordinateur du C.R.Y. pour la<br />
musique : Le Centre de Ressources Yvelinois est une<br />
association qui fédère 25 structures <strong>des</strong> Yvelines qui<br />
ont une activité de répétition et/ou de diffusion. Ce<br />
réseau, existant depuis bientôt une dizaine d'années,<br />
s'est constitué à la fin <strong>des</strong> années 80 à l'initiative<br />
d'une douzaine de dire c t e u rs MJC qui, sur la question<br />
de savoir comment ils allaient pouvoir travailler ou<br />
r é p o n d re aux pratiques musicales <strong>des</strong> jeunes, ont décidé<br />
de s'associer en conjuguant leurs moyens pour<br />
essayer d'apporter <strong>des</strong> réponses collectives. Au fil <strong>des</strong><br />
années, ce réseau s'est étoffé pour créer en 1995 le<br />
secteur “centre de ressources". Concrètement, cela<br />
veut dire mener une mission d'information, être<br />
capable de pouvoir informer et renseigner l'ensemble<br />
<strong>des</strong> acteurs du champ de ce que l'on appelle les<br />
musiques actuelles amplifiées, sur le département <strong>des</strong><br />
Yvelines. Cela va <strong>des</strong> informations basiques de mise en<br />
relation entre musiciens <strong>des</strong> groupes, jusqu’à tenir <strong>des</strong><br />
listings mis à jour <strong>des</strong> groupes existants, <strong>des</strong> lieux de<br />
répétition, <strong>des</strong> lieux de diffusion, d'enre g i s t rement. Il<br />
s’agit également d’être capable d'apporter <strong>des</strong> conseils<br />
aux différents acteurs, aussi bien <strong>des</strong> musiciens que<br />
<strong>des</strong> porteurs de projets, <strong>des</strong> acteurs que <strong>des</strong> élus, sur<br />
<strong>des</strong> projets d'équipement notamment, et de dre s s e r<br />
r é g u l i è rement un état <strong>des</strong> lieux sur le département <strong>des</strong><br />
politiques locales menées autour <strong>des</strong> musiques<br />
a c t u e l l e s .<br />
Quant à la philosophie de cette mission d'information,<br />
nous essayons au maximum d'aider, surtout en<br />
ce qui concerne les musiciens “amateurs”, à s'autoévaluer<br />
dans leur niveau de pratique. Comme l'a décrit<br />
Gaby en introduction, nous sommes dans un milieu<br />
idéalement fantasmatique, il y a donc vraiment besoin<br />
de réintro d u i re l’objectivité par rapport à ce que produisent<br />
réellement les groupes et/ou les individus et ce<br />
à quoi ils peuvent prétendre, à court terme en tout<br />
cas, en termes de développement de carrière. Nous<br />
essayons de développer aussi chez les musiciens un<br />
esprit critique par rapport à cette culture de la professionnalisation<br />
à tous crins. Notre devise en<br />
quelque sorte, c'est de les aider à vivre au mieux leur<br />
p ratique musicale.<br />
Dès le départ, le C.R.Y. a fixé la notion de formation<br />
comme un axe central de toutes ses actions.<br />
Depuis 9 ans, le C.R.Y. propose aux groupes un accompagnement<br />
sur leur temps de répétition par <strong>des</strong> musiciens<br />
6 1
6 2<br />
YOUNG GODS
p rofessionnels, pour leur permettre de travailler sur<br />
l e u rs métho<strong>des</strong> de répétition, de création, et de<br />
construction de leur pro p re répertoire. Nous leur donnons<br />
<strong>des</strong> savoirs sur tout ce qui est de l'ord re de la gestion<br />
sonore, de l'arrangement, de la structuration, de la<br />
mise en place <strong>des</strong> morceaux, de l'interprétation… Si les<br />
musiciens ne sont pas spontanément demandeurs de<br />
formation, ils répondent néanmoins très favora b l e m e n t<br />
à l’offre. Un deuxième niveau de formation a été mis en<br />
place depuis trois ans qui s'adresse à <strong>des</strong> groupes, une<br />
douzaine par an, dont certains <strong>des</strong> membres ont <strong>des</strong> velléités<br />
d'insertion professionnelle. Dans ce cas, ce sont<br />
<strong>des</strong> formations plus spécifiques de perfectionnement.<br />
Cela nous a amenés bien entendu à avoir une réfle x i o n<br />
sur la formation <strong>des</strong> formateurs. Nous nous sommes<br />
rendu compte que nous avions <strong>des</strong> gens compétents sur<br />
le terrain, <strong>des</strong> musiciens chevronnés qui avaient une<br />
d é m a rche pédagogique mais qu'il fallait les accompagner<br />
dans leur réflexion sur cette situation pédagogique<br />
qui consiste à s ' a d resser à <strong>des</strong> groupes constitués. En ce<br />
qui concerne les lieux de répétition, nous avons mené<br />
tout un travail de sensibilisation <strong>des</strong> élus locaux sur la<br />
nécessité d'avoir <strong>des</strong> lieux adaptés pour pratiquer les<br />
musiques amplifiées.<br />
Nous avons fait également une étude en termes<br />
de personnels. <strong>Les</strong> 30 existant sur le département<br />
accueillent 70 000 heures de répétition par saison pour<br />
e n v i ron 760 groupes. Nous constatons qu'il n'y a que<br />
25 personnes qui sont directement affectées sur la<br />
répétition. Parmi ces 25 personnes, il y a seulement<br />
12 p e rsonnes qui ont <strong>des</strong> C.D.I., dont 3 qui bénéfic i e n t<br />
du dispositif “emplois-jeunes”. Il y a 7 vacataires, donc<br />
à temps partiel, 4 C.E.S. ou C.E.C. et 2 objecteurs de<br />
conscience. Cela montre vraiment le paradoxe entre<br />
une activité en plein développement, où il y a effectivement<br />
beaucoup de pratique amateur et, finalement,<br />
la faiblesse <strong>des</strong> moyens humains qui sont mis en place<br />
pour gérer ce type d'activités. C'est pour cela que nous<br />
avons rejoint la formation d'encadrants proposée par<br />
l'A.R.A. qui est, au niveau national, la seule offre qui<br />
existe en termes de formation qualifiante sur ces<br />
postes-là. Nous constatons le besoin de former et de<br />
qualifier <strong>des</strong> gens pour gérer <strong>des</strong> lieux de répétition et<br />
d ’ a u t res gens qui se trouvent dans la position d'intervenir<br />
d'un point de vue pédagogique auprès <strong>des</strong><br />
g roupes constitués.<br />
Fernand Estèves, FFMJC : Il y a <strong>des</strong> “emplois-jeunes"<br />
présents dans la salle. Avez-vous l'impression d'être sur<br />
de nouveaux métiers ? Est-ce simplement un dispositif<br />
permettant d’accéder à <strong>des</strong> financements ou est-ce<br />
une réalité incontournable ?<br />
Nicolas Beneteau, MJC Bois d'Arcy : C'est à la fois<br />
déguisé et à la fois réel. C'est déguisé dans le sens où,<br />
effectivement, c'est une manière de pouvoir embaucher<br />
p a rce qu'on n'a pas les moyens de le faire. Et c’est réel<br />
p a rce que je pense que par exemple un “régisseur de<br />
studios de répétition", c'est un nouveau métier.<br />
Gaby Bizien, responsable musiques actuelles de<br />
Domaine Musiques Nord-Pas-de-Calais : “Emploijeune",<br />
ce n'est pas un métier ! “Emploi-jeune", c'est<br />
un dispositif d'emplois aidés. Je pense qu'il y a deux<br />
niveaux. Il y a le niveau de l'action d'accompagnement<br />
<strong>des</strong> pratiques, le suivi <strong>des</strong> locaux de répétition, le<br />
développement<br />
<strong>des</strong><br />
a r t i s t e s …<br />
“Emploi-jeune", ce n'est pas un métier !<br />
Demandons-nous si le dispositif <strong>des</strong> emplois-jeunes peut<br />
ou ne peut pas répondre à l'absence de cadre d'emplois ?<br />
Laure Chailloux, A.R.A. - Roubaix : Il ne faut pas tout<br />
m é l a n g e r. Je pense que le métier <strong>des</strong> personnes qui vont<br />
g é rer une activité de répétition peut très bien être aidé,<br />
donc re n t rer dans le cadre <strong>des</strong> emplois-jeunes. Il y a très<br />
peu d'antécédents sur de grosses structures privées. En<br />
revanche, pour les intervenants spécialisés, qui sont <strong>des</strong><br />
m é t i e rs qui font appel à <strong>des</strong> maîtrises et <strong>des</strong> compétences<br />
artistiques fortes, je ne pense pas qu’ils re ntrent<br />
dans le cadre <strong>des</strong> “e mplois-jeunes”. Le statut <strong>des</strong> musiciens<br />
professionnels ne se prête pas du tout à ce dispositif.<br />
Sur de nouveaux métiers que nous avons un peu<br />
i d e n t i fiés et que nous essayons de développer, il y en a<br />
un qui peut re n t rer dans ce dispositif. J'imagine qu'il y<br />
en aura de plus en plus, mais sur l'aspect pédagogique,<br />
cela ne cadre pas avec le dispositif.<br />
Franck Lepage, directeur chargé du développement<br />
culturel de la FFMJC : Nous pouvons lire les “e mploisjeunes"<br />
comme la bouteille à moitié vide ou à moitié<br />
pleine, il s’agit d’une mesure complètement ambiguë. En<br />
g ros, c'est à la fois une mesure fasciste, le summum de<br />
la démagogie et en même temps, c'est une mesure absolument<br />
géniale et une ouverture sans précédent pour la<br />
gauche prolétarienne révolutionnaire. Tout va dépendre<br />
de la façon dont nous, les acteurs, allons nous servir de<br />
ce dispositif. C'est-à-dire que la balle est curieusement<br />
dans notre camp.<br />
L’ O.C.D.E. promeut la notion de service de pro x i-<br />
mité depuis maintenant une dizaine d'années, à la lisière<br />
d'une économie qui devient fascisante et qui consiste<br />
à occuper <strong>des</strong> gens privés d'emploi. Et occuper <strong>des</strong><br />
gens privés d'emploi, c'est la modalité du fascisme.<br />
L'emploi <strong>des</strong> plus de 45 ans est bien plus préoccupant et<br />
6 3
6 4<br />
concerne beaucoup plus de monde que celui <strong>des</strong> jeunes,<br />
mais lorsque l'on dit que l'on crée 350 000 emplois pour<br />
les jeunes, c'est politiquement magique pour un gouvernement.<br />
Nous avons rencontré <strong>des</strong> dire c t e u rs de l'emploi,<br />
de la formation et nous avons réfléchi sur cette<br />
question <strong>des</strong> services publics de proximité.<br />
Il est probable que l'avenir de la démocratie se<br />
joue aujourd'hui dans les fonctions publiques locales.<br />
C'est-à-dire que dans cette interface entre un trav a i l l e u r<br />
d'une fonction collective locale et l'usager, c'est là que<br />
se joue pour demain la démocratie. C'est-à-dire que, soit<br />
tout va se “marchandiser" - l'école va devenir privée,<br />
les transports… - soit nous arrivons à poser la question<br />
du “vivre ensemble" dans une société qui fabrique 7<br />
millions et quelques de précaires et qui est le quatrième<br />
pays le plus riche du monde. Ce qu'on appelle les<br />
emplois de proximité, c'est cela. Le gag de Martine<br />
Aubry finalement, c'est de dire que les dégâts du libéralisme<br />
dans la fonction publique sont tels que l'on va<br />
remettre un petit truc dans la machine en créant 350 000<br />
emplois. Ce dispositif-là offre une carte blanche totale,<br />
je dis bien totale, en termes d'imagination qui est laissée<br />
aux acteurs de terra i n .<br />
Philippe Audubert, responsable du secteur formation<br />
de Trempolino - Nantes : Nous pouvons envisager la<br />
question <strong>des</strong> nouveaux métiers sous différentes formes<br />
et sous différents angles. Nous pouvons nous demander<br />
s’il existe de nouveaux métiers en termes de défin i t i o n<br />
de postes, de pro fils de postes. J'élarg i rai le propos en ne<br />
parlant pas uniquement <strong>des</strong> nouveaux métiers artistiques<br />
dans le domaine <strong>des</strong> musiques dites actuelles,<br />
mais également <strong>des</strong> nouveaux métiers possibles dans les<br />
s e c t e u rs techniques et administratifs. Je suis re s p o n-<br />
sable du secteur formation à Trempolino et, à ce titre ,<br />
j'interviens sur la mise en place de formations, d'actions<br />
de formation sur les trois secteurs suivants : technique,<br />
artistique et administratif. Cela concerne <strong>des</strong> activités<br />
dites amateurs, semi-professionnelles et pro f e s s i o n-<br />
nelles. Nous verrons que la fro n t i è re entre ces tro i s<br />
g roupes est relativement floue puisqu'on peut passer de<br />
l'un à l'autre, dans les deux sens, assez fréquemment.<br />
Sur la création de nouveaux métiers, nous n’allons pas<br />
nous amuser à faire une liste exhaustive <strong>des</strong> nouveaux<br />
m é t i e rs qui peuvent exister dans le domaine <strong>des</strong><br />
musiques actuelles, mais il est évident qu'il en existe un<br />
certain nombre qui apparaissent au fil <strong>des</strong> ans.<br />
Ces nouveaux métiers apparaissent en fonction<br />
<strong>des</strong> nouvelles technologies qui sont pourvoyeuses de<br />
nouveaux pro fils de postes, comme dans le domaine<br />
artistique où <strong>des</strong> musiques dites technologiques nécessitent<br />
qu'il y ait un certain nombre de gens qui soient<br />
q u a l i fiés pour encadre r, pour former et pour exécuter et<br />
p ratiquer ces différents courants musicaux et styles<br />
musicaux. Dans le secteur administratif dans lequel j'englobe<br />
le juridique, la communication, la promotion d'actions,<br />
l'organisation de manifestations, etc, il existe de<br />
nouveaux pro fils de postes et de nouveaux métiers qui<br />
sont créés au fur et à mesure <strong>des</strong> besoins <strong>des</strong> structure s ,<br />
<strong>des</strong> besoins qui émanent <strong>des</strong> collectivités locales. Forc e<br />
est de constater que les collectivités locales sont aussi à<br />
l'origine de nouveaux débouchés, de nouveaux pro fils.<br />
Des pratiques auparavant non déclarées sont<br />
maintenant <strong>des</strong> activités qui voient le jour, qui ont le<br />
d roit de cité, qui sont reconnues et pour lesquelles, il y<br />
a maintenant une offre de débouchés. Si nous lisons les<br />
comptes rendus par la commission emploi-formation, on<br />
voit qu'il y a eu, entre 1985 et 1993, une augmentation<br />
d'effectifs de 73 % dans ces métiers. Il y a donc de nouveaux<br />
métiers, de nouveaux pro fils mais également de<br />
nouveaux débouchés qui sont créés, de fait, par la dynamique<br />
de structures qui, en impulsant <strong>des</strong> activités, sont à<br />
l'origine de créations de postes. Par exemple, Trempolino<br />
est une structure qui a été créée au début <strong>des</strong> années 90,<br />
avec deux personnes : le directeur et une personne qui<br />
s'occupait du Centre Info-Rock. Pour prendre un raccourci,<br />
nous sommes aujourd'hui 14 personnes. Est-ce que ces<br />
nouveaux emplois sont <strong>des</strong> nouveaux métiers ? Pour la<br />
p l upart, oui. Pour la plupart, ce sont <strong>des</strong> métiers qui existent<br />
dans d'autres secteurs d'activité mais qui demandent<br />
<strong>des</strong> compétences particulières et une connaissance particulière<br />
du secteur <strong>des</strong> musiques actuelles.<br />
Sur la structure Trempolino, il y a <strong>des</strong> locaux de<br />
répétition et nous hébergeons également <strong>des</strong> secrétariats<br />
artistiques, c'est-à-dire <strong>des</strong> structures de manag<br />
ement, un<br />
label discog<br />
ra p h i q u e ,<br />
et le réseau<br />
F é d u ro k …<br />
L'ensemble de ce lieu fait actuellement vivre plus de 60<br />
p e rsonnes. Ces personnes étaient peut-être, il y a 10 ans,<br />
d i s p e rsées dans d'autres lieux et travaillaient ailleurs .<br />
Nous savons que la plupart de ces personnes n'étaient ni<br />
artistes, ni professionnels - en admettant le critère de<br />
p rofessionnalisation relatif à l'intermittence du spectacle<br />
- et d'autres étaient carrément hors du marc h é<br />
du travail dans <strong>des</strong> dispositifs d'ai<strong>des</strong> type R.M.I.<br />
Maintenant, ce sont <strong>des</strong> personnes qui tra v a i l l e n t .<br />
Il existe de plus en plus de dispositifs de formation,<br />
que ce soit dans le secteur associatif, comme dans<br />
le secteur univers i t a i re, dans les écoles, publiques et privées,<br />
qui forment à présent <strong>des</strong> gens à <strong>des</strong> emplois<br />
essentiellement administratifs. Cela veut dire qu'il y a<br />
Il y a une offre en matière de<br />
qualification d'emplois qui se développe<br />
c o n s i d é ra b l e m e n t
une offre en matière de qualification d'emplois qui se<br />
développe considérablement. En face, est-ce qu'il existe<br />
une demande de formation ? Oui, il y a une demande de<br />
plus en plus importante de gens pour se former dans ce<br />
s e c t e u r. Nous constatons qu'il y a une sorte d'adéquation<br />
entre l'offre et la demande. Et nous créons <strong>des</strong> profils<br />
de postes tout à fait nouveaux.<br />
Sur la question <strong>des</strong> “emplois jeunes”, je pre n d s<br />
l'exemple de Trempolino qui va embaucher deux personnes<br />
sur ce statut pour un nouveau pro fil de poste qui<br />
concerne le secteur de la production, de la fabrication et<br />
la distribution “d'autoproduits". Nous sommes sur un<br />
secteur neuf qui n'est pas couvert par le secteur marchand.<br />
Nous avons besoin de gens qui aient une<br />
connaissance <strong>des</strong> systèmes de production discographique<br />
à l'échelon de “l'autoproduit", connaissance <strong>des</strong><br />
réseaux locaux, <strong>des</strong> réseaux d'agglomération de diffusion<br />
<strong>des</strong> musiques, etc, et qui aient également <strong>des</strong> compétences<br />
en matière juridique, administrative… en ra p-<br />
port à ce réseau-là. A priori, cela peut tout à fait être<br />
couvert par <strong>des</strong> emplois-jeunes. Après, nous pouvons<br />
t o u j o u rs élargir le débat sur l'opportunité d'embaucher<br />
<strong>des</strong> gens en “e mploi-jeune" ou en “contrat aidé". Sur<br />
les personnes qui travaillent en ce moment sur le site<br />
Trempolino, nous avons absolument toute la palette <strong>des</strong><br />
“emplois aidés". Mais, ce qui est intéressant, c'est que<br />
ces “emplois aidés" le sont tempora i rement par les dispositifs<br />
et que nous arrivons à faire en sorte de créer<br />
l'économie et la dynamique pour les conserver par la<br />
suite, même si ce n'est pas toujours simple. Pour ces<br />
postes, ce sont essentiellement <strong>des</strong> personnes qui<br />
avaient <strong>des</strong> pratiques amateurs au sens large du terme,<br />
c ' e s t - à - d i re qu'ils étaient à l'origine de projets, qu'ils<br />
impulsaient <strong>des</strong> projets et se créaient leur pro p re curs u s<br />
de formation. Le problème auquel nous sommes tous<br />
c o n f rontés est d'ord re économique. Quand est-ce que<br />
l'on va pouvoir décemment, dans le domaine <strong>des</strong><br />
musiques actuelles, avoir une économie qui permette<br />
justement de financer le développement <strong>des</strong> différe n t s<br />
p rojets, et d’aider les porteurs de projets à avancer dans<br />
leur initiative ?<br />
Bruno Ponge, gérant de T. R.I.P.S. : Nous venons du<br />
tissu associatif. À la base, nous ne connaissions rien au<br />
monde de la musique. Je suis le seul dans notre structure<br />
qui ait bénéficié d'un stage d'une semaine à l'I.R.M.A.<br />
sur le management. Nous n'avons pas poursuivi dans les<br />
stages justement parce que nous trouvons que, dès que<br />
nous sommes confrontés aux problèmes du terrain, cela<br />
s'effrite assez rapidement et il nous faut trouver <strong>des</strong><br />
solutions qui ne sont pas dans le manuel. Par ailleurs, je<br />
c rois que ce sont surtout d’anciens métiers qui existaient<br />
déjà et que l'on recycle en fonction <strong>des</strong> nouvelles<br />
technologies, de l'apparition de nouvelles musiques et<br />
de nouvelles formes de tentatives d'organisation de soirées<br />
ou de concerts. De plus, notre postulat de base est<br />
que le management est un métier qui n'est pas re c o n n u<br />
en France. Normalement, pour tenir ce rôle de manager,<br />
il faut avoir une licence d'agent artistique. C’est quelque<br />
chose que nous n'acceptons pas parce que nous ne nous<br />
c o n s i d é rons pas comme <strong>des</strong> simples maquereaux qui<br />
p rennent 10 % au passage.<br />
Nous sommes très impliqués au niveau de la vie<br />
sociale parce que notre démarche est politique. À savoir,<br />
qu’il est vrai que nous pro fitons de certaines ai<strong>des</strong> et<br />
d'un certain nombre de choses, mais d'une façon générale,<br />
nous avons essayé de nous en sortir nous-mêmes et<br />
par le biais de l'économie de marché. C'est-à-dire vendre<br />
<strong>des</strong> concerts en ne perdant pas d'argent, en faisant en<br />
sorte que nous puissions même faire <strong>des</strong> économies qui<br />
permettent de pro d u i re. Nous en arrivons à une<br />
r é flexion qui est la suivante : mieux on contrôle les<br />
choses du début à la fin - à savoir production, fabrication,<br />
distribution,<br />
management,<br />
tournée -<br />
mieux cela nous<br />
permet d'arriver à une sorte d’autarcie. Autarcie sponsorisée<br />
par l'État parce que nous en sommes même arrivés à<br />
employer <strong>des</strong> musiciens en début de carrière comme C.E.S.<br />
pour qu'ils puissent avoir <strong>des</strong> revenus. J'imagine que vous<br />
connaissez tous les cachets <strong>des</strong> groupes débutants et, bien<br />
entendu, cela ne permet pas de payer <strong>des</strong> salaires avec <strong>des</strong><br />
charges. Cela fait partie de la règle du jeu, puisque ce sont<br />
<strong>des</strong> groupes qui n'amènent pas de public. Je pense qu'il y<br />
a beaucoup de déperdition au niveau <strong>des</strong> subventions.<br />
Nous ne sommes pas du tout d’accord avec le système<br />
d'attribution d'un certain nombre de subventions<br />
“ai<strong>des</strong> au développement de carrière", etc, dont on sait<br />
que ce sont <strong>des</strong> personnes peu respectables qui distribuent<br />
l'argent, qui se le mettent dans les poches. En fait, ce sont<br />
<strong>des</strong> sommes très importantes qui vont à <strong>des</strong> groupes qui<br />
ne nécessitent absolument pas un développement,<br />
puisque ce sont <strong>des</strong> groupes qui ont déjà <strong>des</strong> maisons de<br />
disques, qui ont <strong>des</strong> éditeurs. Cela veut tout simplement<br />
dire que l'argent va à ceux qui l'ont déjà !<br />
Ce qui est sûr, d'une façon générale, c'est qu'il<br />
faut s'org a n i s e r. Nous sommes obligés de fonctionner<br />
avec <strong>des</strong> associations pour les C.E.S., et avec une S.A.R.L.<br />
pour un certain nombre d'activités économiques que<br />
nous sommes obligés de développer pour gagner de l’argent<br />
et qui nous permettent ainsi une certaine indépendance.<br />
Je pense, par exemple, au merchandising pour<br />
lequel nous essayons à l'intérieur de notre structure de<br />
Il y a beaucoup de déperdition<br />
au niveau <strong>des</strong> subventions<br />
6 5
6 6<br />
prendre <strong>des</strong> gens qui sortent <strong>des</strong> écoles de communication.<br />
Bien entendu, ces personnes sont rémunérées<br />
comme C.E.S. au départ, voire comme technicien fic t i f<br />
sur <strong>des</strong> concerts, et elles font de la “promo" sur les fanzines<br />
et les radios locales.<br />
Pour la formation, il est vrai que nous avons peu<br />
de moyens mais une <strong>des</strong> bases de notre métier, tel qu'on<br />
le conçoit en tout cas, outre l'engagement politique,<br />
c'est le fait de “s'autoformer" les uns les autres. Nous le<br />
faisons vraiment bénévolement. En général, l'artiste ne<br />
connaît rien au niveau <strong>des</strong> maisons d’édition et <strong>des</strong><br />
c o n t rats <strong>des</strong> maisons de disques. Tout cela, ce sont <strong>des</strong><br />
renseignements que nous donnons gratuitement. Nous<br />
m o n t rons les contrats que nous avons signés pour nos<br />
g roupes. Il n'y a pas de honte à cela, on fait toujours <strong>des</strong><br />
erreurs, on n'a jamais les meilleurs contrats tant qu'on<br />
ne tape pas du poing sur la table en disant “je signe que<br />
si tu me donnes de l’argent". Nous avons <strong>des</strong> gro u p e s<br />
qui ont été signés par <strong>des</strong> “major company” p a rce que<br />
nous leur proposions une manière de tra v a i l l e r. Nous<br />
faisons aussi de “l'auto-promo" en publiant <strong>des</strong> fanzines<br />
financés en grande partie par nos partenaire s<br />
m a j o rs sans qu'ils aient un mot à dire sur le contenu.<br />
Nous avons affaire à <strong>des</strong> interlocuteurs qui ont une étincelle<br />
d'intelligence de temps à autre et qui ont compris<br />
que c'était bénéfique pour leurs artistes.<br />
Christian Roux, directeur du Centre de Création<br />
Musicale - Brest : Le C.C.M. est une association qui a 9<br />
ans et qui gère deux équipements depuis 3 ans. Le nouvel<br />
équipement est un équipement culturel décentra l i s é<br />
et implanté dans un quartier défavorisé. Un schéma<br />
assez classique que l'on re n c o n t re dans les gro s s e s<br />
a g g l o m é rations. Nous sommes 3 temps pleins sur les 6<br />
C.D.I., mais 15 personnes travaillent sur ces deux équipements.<br />
Je vous laisse faire la différence entre 6 et 15<br />
pour compre n d re ce que cela peut donner en termes de<br />
p é rennisation <strong>des</strong> actions avec une telle précarité <strong>des</strong><br />
emplois.<br />
Il y a une différence majeure entre les “e mploisville”<br />
et les “e mplois-jeunes” qui est que pour le dispositif<br />
“e mploi-jeune", le jeune peut ne pas être issu du<br />
milieu. Nous avons embauché un jeune sur un contra t<br />
ville. Il s’agissait du premier dans le département, le préfet<br />
s'est donc déplacé, il devait y avoir cinq ou six chefs<br />
<strong>Les</strong> “emplois-jeunes" apparaissent comme une superbe<br />
opportunité en termes de besoins non satisfaits<br />
de service de l'État. Nous avons joué le jeu. Le jeune<br />
recruté a reçu <strong>des</strong> formations en interne, en son et en<br />
nouvelles technologies. C'était quelqu'un qui était assez<br />
musicien mais de manière basique. Un an et demi après,<br />
il a déménagé, il n'habite plus<br />
dans son quartier et il tra v a i l l e<br />
maintenant dans le privé au<br />
sein d’une entreprise de son.<br />
L'intermittence et les possibilités<br />
que cela apporte sont <strong>des</strong><br />
choses qu'il a découvertes il y a<br />
peu de temps. Aussi préfère - t - i l<br />
t ravailler comme intermittent<br />
dans une boîte de son que de<br />
continuer à être “e mploi-ville"<br />
dans le quartier où il a longtemps<br />
vécu. Nous allons donc<br />
recommencer à zéro avec une<br />
a u t re pers o n n e .<br />
Au vu <strong>des</strong> problèmes de<br />
précarité auxquels nous sommes<br />
donc tous confrontés, les “e m-<br />
plois- jeunes" a p p a ra i s s e n t<br />
comme une superbe opportunité.<br />
Je raisonne en termes de besoins<br />
non satisfaits. Notre démarche a<br />
été de réfléchir sur le secteur <strong>des</strong><br />
musiques actuelles avec une<br />
a p p roche départementale, en<br />
nous posant <strong>des</strong> questions sur<br />
nos besoins. Nous avons constaté<br />
que, sur la région Bretagne, il était<br />
possible de créer 60 “e mploisjeunes".<br />
Nous avons proposé à la<br />
c h a rgée de mission de la préfect<br />
u re de médiatiser l'affaire<br />
puisque nous avions vu qu'un préfet<br />
était capable de se déplacer<br />
uniquement pour signer un<br />
c o n t rat “emploi-ville". Nous nous<br />
sommes aperçus qu'il y avait <strong>des</strong><br />
budgets pour réaliser <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />
de faisabilité de mise en place de<br />
tel ou tel nouveau service, de<br />
r é p o n d re à tel ou tel besoin qu'on<br />
avait pu identifie r. Malheure usement,<br />
il est clair qu’il existe <strong>des</strong> manques<br />
évidents de formation basique dans<br />
d'autres ministères qu'au Ministère de<br />
la Culture, concernant l'industrie<br />
musicale et les pratiques <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles. <strong>Les</strong> personnes <strong>des</strong> Ministère s<br />
Jeunesse et Sports et Emploi et Solidarité ont besoin<br />
d ' i nformations, sinon c’est la noyade complète.<br />
Nous avons donc fait une demande pour une étude<br />
de faisabilité sur ce gisement d'emplois, ces nouveaux
ALABAMA 3<br />
emplois qui pouvaient être créés dans ce secteur, et cela a<br />
été refusé parce que, peut-être, cela leur faisait peur.<br />
J’ai envie de parler de championnat du monde ou de<br />
coupe du monde de l'hypocrisie. L’hypocrite dans l'histoire,<br />
est-ce le préfet qui active tout, avec <strong>des</strong> quotas à<br />
re m p l i r, et qui répond au maire d'une commune,<br />
l o rsque celui-ci lui dit qu'il trouve le dispositif<br />
“emploi-jeune" très bien parce qu'il va pouvoir<br />
employer un autre bibliothécaire alors qu'il en manquait<br />
un depuis longtemps : “Monsieur le Maire,<br />
vous n'y pensez pas ! En aucune manière ce dispositif<br />
ne pourrait permettre de créer <strong>des</strong> postes qui<br />
6 7
6 8<br />
correspondent à <strong>des</strong> emplois de la fonction<br />
publique et <strong>des</strong> emplois déjà existants". Stupeur du<br />
m a i re devant l'assemblée de notables locaux et de<br />
qui s’investissaient dans ces pratiques. Nous sommes<br />
un certain nombre à penser qu'une bonne hypothèse<br />
de travail autour de la citoyenneté avec les jeunes<br />
f o n c t i o n n a i res ! Finalement, le préfet a dit : dans ce pays passe, entre autres, par un travail autour<br />
“Monsieur le Maire, vous avez besoin d'un médiateur<br />
du livre…". C'est classique. Je connais une<br />
bibliothèque de quartier où quelqu’un en C.D.D. a vu<br />
son contrat non renouvelé, il y a un “emploi-jeune"<br />
qui est sur le poste depuis pas longtemps. Donc nous<br />
voyons bien la frilosité de la direction du travail. Mais<br />
l’hypocrisie peut être à notre niveau par rapport aux<br />
difficultés de travailler réellement en réseaux.<br />
De nouveaux emplois pourraient être créés sur le<br />
secteur du disque. En référence à l’expérience de<br />
Trempolino, en France il pourrait y avoir 200 emplois<br />
créés pour répondre correctement à <strong>des</strong> besoins qui<br />
<strong>des</strong> musiques amplifiées.<br />
<strong>Les</strong> élus <strong>des</strong> conseils d'administration <strong>des</strong> MJC,<br />
les élus <strong>des</strong> conseils d'administration <strong>des</strong> Fédéra t i o n s<br />
Régionales, les élus du conseil d'administration de la<br />
FFMJC, ont eu beaucoup de mal à aller sur l'examen<br />
de ces questions-là. Pour plusieurs raisons. Au niveau<br />
local, il appara î t rait que l'administrateur moyen de<br />
MJC a plus de 45 ans, et que sur cette question <strong>des</strong><br />
musiques amplifiées, il manque d'information ou de<br />
formation. Dans les échelons qui sont chargés de<br />
mener <strong>des</strong> politiques collectives <strong>des</strong> MJC, que ce soit<br />
à l'échelon régional ou national, nous ne sommes pas<br />
sont réels au niveau <strong>des</strong> jeunes artistes et<br />
même <strong>des</strong> amateurs. Quant aux pro f e s s e u rs de<br />
rap, je ne sais pas si le Ministère de la Culture<br />
Nous sommes un produit social comme un autre<br />
continue à nous concocter un Diplôme d'État, mais en ce moment dans <strong>des</strong> préoccupations concrètes de<br />
c'est vrai que, pour l’instant, il est impossible de tro u- ce type-là. Nous avons une histoire et un système de<br />
ver un enseignant diplômé d’État qui puisse venir gestion et de réflexion sur la partie bénévole de la<br />
enseigner le rap dans le quartier. Nous pourrions FFMJC qui sont marqués, qui sont datés. Nous sommes<br />
mutualiser nos moyens afin de constituer une sorte un produit social comme un autre, rien de plus. Notre<br />
d'antenne qui rayonne sur le département ou sur le p roblème en interne va être de leur dire que l’on comp<br />
rend bien que les élus du conseil d'administra t i o n<br />
n o rd du d é p a r t e m e n t .<br />
national ne soient pas disponibles pour passer tro i s<br />
Nicolas Louillet, animateur MJC d'Halluin : En plus j o u rs à Évreux mais que, lorsqu’il y a une petite centaine<br />
de personnes qui bougent sur ces questions en<br />
d ' ê t re “emploi-jeune", je suis médiateur culturel. J'ai<br />
connu la MJC d'Halluin à une époque où j'y répétais ce moment, c'est une grande victoire. Il faut maintenant<br />
transformer l'essai, c'est-à-dire que cela doit<br />
en tant que musicien. La personne qui s'occupait de<br />
g é rer les locaux de répétition était à l'époque, me interpeller au plan politique parce que les vrais politiques<br />
de la FFMJC, ce sont les administra t e u rs .<br />
semble-t-il, en C.E.S. J'y reviens 5 ans après, elle est<br />
en C.E.C. à 3/4 temps ! J'ai signé un contrat pour 60<br />
mois mais j’aimerais savoir si, dans 5 ans, je dois Bruno Ponge, gérant de T. R.I.P.S. : Compte tenu du<br />
c h e rcher un autre boulot, ou si on va pérenniser les fait qu’un certain nombre de MJC organisent <strong>des</strong><br />
postes créés ? Quand j'ai été embauché, on m'a dit concerts et donc effectuent <strong>des</strong> <strong>actes</strong> de nature comm<br />
e rciale, est-il possible de diversifier leur activité et<br />
qu'on allait faire en sorte que l'emploi soit pére n n i-<br />
sé. N’est-il pas du rôle d’une fédération d'aller taper d ' i n t ro d u i re <strong>des</strong> activités commerciales à l'intérieur<br />
sur la table et de dire que nous travaillons sur les <strong>des</strong> structures ? Par exemple, les MJC pourra i e n t -<br />
questions <strong>des</strong> musiques amplifiées, que nous embauchons<br />
<strong>des</strong> personnes avec <strong>des</strong> contrats précaires, et disques comme cela ce fait dans l'ensemble <strong>des</strong><br />
elles mettre en place <strong>des</strong> sortes de magasins de<br />
qu’il serait maintenant temps de re c o n n a î t re un peu squatts d'Europe ? Cela développerait financière m e n t<br />
tout cela ?<br />
un marché qui en a besoin puisque tous les “autoproduits"<br />
ont vraiment du mal à trouver leur place<br />
Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière - dans les circuits de distribution traditionnels et même<br />
Saint-Herblain : L o rsque j’étais chargé de mission <strong>des</strong> artistes produits par <strong>des</strong> indépendants, voire <strong>des</strong><br />
auprès de la Fédération Régionale du Nord - Pa s - d e - m a j o rs, mais qui n'ont pas les moyens nécessaires à<br />
Calais, nous avons été quelques-uns à nous embarq u e r leur pro m o t i o n .<br />
dans une aventure de travail autour <strong>des</strong> musiques<br />
amplifiées. J'ai constaté, en arrivant dans le Nord - Joël Le Crosnier, directeur Centre d’Action Culturelle<br />
Pas-de-Calais, qu'il y avait un certain nombre de MJC Georges Brassens - Mantes-la-Jolie : Il y a <strong>des</strong> MJC qui
ont <strong>des</strong> secteurs commerciaux. Au C.A.C. Georg e s<br />
B rassens, nous avons <strong>des</strong> studios de répétition, un bar<br />
avec une licence II. Nous organisons <strong>des</strong> spectacles, nous<br />
louons <strong>des</strong> salles... Ce sont <strong>des</strong> activités commerc i a l e s .<br />
Par ailleurs, nous avons <strong>des</strong> activités classiques MJC.<br />
Concernant la production, nous produisons <strong>des</strong> C.D. que<br />
nous ne vendons pas. Nous les donnons, nous les distribuons<br />
puisque notre objectif n'est pas directement comm<br />
e rcial. Mais l'instrumentation est en place. Nous éditons<br />
<strong>des</strong> livres que nous ne vendons pas non plus. Po u r<br />
qu’il y ait un réseau national ou pour que l'on tra v a i l l e<br />
sur un système plus alternatif, il faudrait justement que<br />
l'on soit plus alternatif, y compris dans nos pra t i q u e s .<br />
Sommes-nous prêts à aller sur l'alternatif et à nous<br />
engager collectivement sur le soutien <strong>des</strong> groupes ?<br />
Dans tous les coins de la France, il y a <strong>des</strong> musiciens qui<br />
ont <strong>des</strong> choses à dire, qui sortent un peu du seul cri du<br />
quartier et qui essaient d'aller un peu plus loin. Pe u t -<br />
ê t re que nous aurions intérêt à les aider à tourner au<br />
niveau national. A Mantes-La-Jolie, nous avons 150 formations<br />
qui sont inscrites chez nous, dont 40 en permanence.<br />
Nous tournons dans les MJC assez régulière m e n t .<br />
Pour celles qui n'ont pas d'argent, nous y allons avec <strong>des</strong><br />
sonos, nous amenons <strong>des</strong> plateaux complets. Bref, nous<br />
essayons de faire ce que nous pouvons avec les moyens<br />
que nous avons.<br />
En contrepoint, nous avons embauché 5<br />
“e mplois-jeunes". En tant que gestionnaire, je pro v i-<br />
sionne pour le licenciement puisqu’aujourd'hui pers o n-<br />
ne n'est capable de me<br />
r é p o n d re sur les questions<br />
de pérennité. J'ai<br />
posé la question au<br />
m a i re qui m'a répondu : “Pourquoi est-ce que vous<br />
faites une provision pour les licenciements ?". Je lui<br />
ai demandé de me signer un papier sur une prise en<br />
c h a rge <strong>des</strong> emplois après la fin <strong>des</strong> contrats : il n'a pas<br />
voulu. Idem pour la préfecture. Si nous ne pro v i s i o n-<br />
nons pas le licenciement aujourd'hui, nous sommes <strong>des</strong><br />
m e n t e u rs parce que l'on sait très bien que notre production<br />
ne permet pas de faire vivre ces “emploisjeunes"<br />
après coup. Au bar, nous vendons la bière à 8<br />
f rancs, ce n'est pas du business. Le bar n'est que le<br />
prétexte du lieu de rendez-vous. Nous ne pro d u i s o n s<br />
donc pas d'argent.<br />
Actuellement, chaque dire c t e u r, avec chaque<br />
conseil d'administration, prend ses responsabilités dans<br />
son coin. Chaque directeur joue avec la loi, c'est-à-dire<br />
en cherchant les limites. Le jour où les impôts nous<br />
tombent <strong>des</strong>sus et nous disent que ce que nous faisons<br />
est majoritairement commercial, tout le secteur, y<br />
compris le secteur socio-culturel ou le secteur préven-<br />
Nous sommes toujours à la<br />
limite de la loi<br />
tif, devient commercial et à partir de là, nous plongeons<br />
dans le commerce. Nous sommes toujours à la<br />
limite de la loi. Au niveau de la production, le fait que<br />
nous ne vendions pas de disques n'empêche pas que<br />
nous sommes <strong>des</strong> pro d u c t e u rs. Et le fait d'être <strong>des</strong> prod<br />
u c t e u rs nous soumet aux règles <strong>des</strong> pro d u c t e u rs .<br />
Pa reil pour l'édition. Nous avons le droit à 10 ouvra g e s<br />
sur une période donnée. Le choix que nous avons fait<br />
est de travailler sur le fil du ra s o i r. Si un jour, nous<br />
avons un contrôle poussé de l'U.R.S.S.A.F, <strong>des</strong> impôts,<br />
etc., il y aura débat politique parce que c'est une question<br />
qu'il faut poser politiquement. Ce n'est pas à nous<br />
de la poser parce que je ne suis pas sûr que nous en<br />
ayons la force volontaire et militante. C'est l'incident<br />
qui va créer le débat puisqu'en France, on agit toujours<br />
après incident et jamais avant.<br />
Jean-Louis Sautreau (ex-Agence <strong>des</strong> Lieux Musicaux,<br />
a intégré depuis peu la D.M.D.T.S. du Ministère de la<br />
Culture) : Je vais essayer de faire une synthèse assez<br />
rapide d'un rapport effectué par l’Agence sur plusieurs<br />
équipements de musiques actuelles “labellisés" “c afémusique"<br />
ou intégrés au dispositif S.M.A.C. Nous avons<br />
pu constater que l'utilisation <strong>des</strong> techniques contemp<br />
o raines de communication - expression que je préfère<br />
à “nouvelles technologies" - dans ces équipements<br />
se décline sur plusieurs axes. La formation et la consultation<br />
accessibles au public sur <strong>des</strong> plates-formes<br />
informatiques, et la création de sites Web qui concernent<br />
l'aspect communication <strong>des</strong> équipements. On y re trouve<br />
la pro g rammation <strong>des</strong> lieux, les renseignements sur les<br />
activités pratiquées, <strong>des</strong> fiches techniques sur <strong>des</strong> lieux,<br />
etc. Autre axe : la formation <strong>des</strong> publics au multimédia<br />
dans le cadre d'ateliers. Il existe là <strong>des</strong> formations sur<br />
les techniques qui sont <strong>des</strong> langages de <strong>des</strong>cription de<br />
pages We b, <strong>des</strong> langages de pro g rammation ou de la<br />
formation sur logiciels d'images de synthèse. Dernier<br />
axe : la diffusion artistique. En fait, les lieux re t ra n s-<br />
mettent <strong>des</strong> extraits de concerts via le net. Donc, on<br />
peut considérer que l'espace de diffusion s'agra n d i t<br />
dans le cadre d'une arc h i t e c t u re immatérielle qu'est<br />
l'Internet. Nous constatons deux choses : un concert<br />
peut être vu et entendu par <strong>des</strong> gens dans différe n t s<br />
lieux et à <strong>des</strong> hora i res différents et, pour le moment,<br />
on se contente d'une re t ransmission de type TV, mais<br />
il est possible d'imaginer d'autres mo<strong>des</strong> de diffusion<br />
plus interactifs, par exemple le m u l t i - f e n ê t rage de<br />
l ' o rd i n a t e u r. À tra v e rs ces exemples, nous voyons bien<br />
que de nouveaux métiers vont se développer dans les<br />
équipements de diffusion, tous liés aux techniques de<br />
numérisation de documentation ou de type adm<br />
i n i s t rateur de bases de données ou de réseaux.<br />
6 9
Par ailleurs, nous avons pu<br />
constater que <strong>des</strong> partenariats<br />
avec le secteur privé se mettent<br />
en place. Cela va de la mise à<br />
disposition de matériel informatique<br />
jusqu'à <strong>des</strong> partenariats<br />
avec <strong>des</strong> “câblopérateurs". <strong>Les</strong><br />
mo<strong>des</strong> d'organisation <strong>des</strong> struct<br />
u res culturelles sont appelés à<br />
évoluer par la mise en place de<br />
systèmes d'organisation tra n s-<br />
v e rsaux où l'information n'est<br />
plus un enjeu de pouvoir. <strong>Les</strong><br />
économies d'échelle sont dans<br />
les réseaux qui font baisser les<br />
<strong>Les</strong> mo<strong>des</strong> d'organisation <strong>des</strong> structures culturelles sont<br />
appelés à évoluer par la mise en place de systèmes<br />
d'organisation transversaux où l'information n'est plus<br />
un enjeu de pouvoir<br />
f rais généraux. Nous passons<br />
d'une logique de distribution de<br />
t ravail à celle de réseaux de partage<br />
de compétences, donc de<br />
diminution <strong>des</strong> coûts fixes au<br />
bénéfice <strong>des</strong> coûts variables.<br />
Nous entrons dans un contexte<br />
d ' e n t reprises éclatées.<br />
J ' a i m e rais également<br />
souligner un aspect sur lequel<br />
nous devons nous interroger :<br />
c'est celui de la fusion de l'artiste<br />
et du technicien en une<br />
seule entité. On le voit précisément<br />
dans le rap et la techno<br />
où le musicien doit être également<br />
technicien pour manipuler<br />
l'environnement informatique<br />
ainsi que le mixage <strong>des</strong><br />
sons. Dans le multimédia, on<br />
parle de travaux collectifs ou<br />
d ' œ u v res collectives puisqu'il<br />
n'est pas ra re de re t rouver <strong>des</strong><br />
contributions artistiques de<br />
g raphistes, de musiciens, de<br />
PERRY BLAKE scénaristes, d'informaticiens,<br />
<strong>des</strong> cherc h e u rs univers i t a i re s ,<br />
etc. Nous y re t rouvons donc les notions de pluridisciplinarité<br />
ou d'inter-pluridisciplinarité.<br />
Jean-Claude Perrot, directeur MCL de Metz : J ' a v a i s<br />
envie, avec l'autorisation de mon collègue d'Halluin,<br />
d’ajouter un post-scriptum à la lettre qu'il a écrite à<br />
sa mère. Celui-ci aurait été le suivant :<br />
P.-S. : “Si tu <strong>rencontres</strong> mon maire, dis-lui<br />
surtout que les MJC sont souvent <strong>des</strong> lieux posés à<br />
l'articulation <strong>des</strong> contenus, animation, formation,<br />
diffusion, création et que ce sont aussi <strong>des</strong> lieux,<br />
naturellement, de médiation de ces contenus avec<br />
<strong>des</strong> acteurs, en l'occurrence ici, musiciens, animateurs<br />
professionnels ou amateurs, avec la population,<br />
avec <strong>des</strong> publics - dans mon esprit, public et<br />
population, ce n'est pas la même chose - avec <strong>des</strong><br />
institutionnels et <strong>des</strong> pouvoirs publics. Si jamais il<br />
veut que je réalise son projet, il faudra qu'il me<br />
laisse du temps pour me former à l'acquisition d es<br />
connaissances <strong>des</strong> multiples champs, artistique,<br />
économique, technique, politique et<br />
social qui constituent mon domaine d'action<br />
spécifique."<br />
J'ai ajouté ce post-scriptum, parce que<br />
je me sens interrogé par la question <strong>des</strong> formations<br />
à mettre en œuvre pour faire face à la complexité<br />
grandissante <strong>des</strong> métiers actuels. Des confusions<br />
me semblent entretenues entre <strong>des</strong> nouveaux<br />
m é t i e rs et <strong>des</strong> nouveaux emplois. C'est-à-dire entre la<br />
capacité effectivement laissée à l'imagination individuelle<br />
et collective de combattre la crise du sens politique<br />
et du social et <strong>des</strong> mesures d'accompagnement<br />
qui sont certes nécessaires et qui, encore aujourd ' h u i ,<br />
n ’ a p p a raissent que comme <strong>des</strong> pansements. D’où la<br />
confusion entretenue lorsqu’on parle de nouveaux<br />
m é t i e rs autour d'une nouvelle terminologie pour qualifier<br />
autrement d'anciens métiers pour lesquels<br />
toutes les formations et tous les champs d'actions<br />
n'ont ni été exploités, ni été reconnus. Je pense, par<br />
exemple que la médiation, ce n'est pas un métier.<br />
C'est une compétence complémentaire à un métier<br />
existant et en aucun cas ce n'est un métier.<br />
Pour répondre plus précisément à la question <strong>des</strong><br />
nouveaux métiers en matière de multimédia, je pense<br />
qu’effectivement le champ technologique évolue<br />
chaque jour et fait appara î t re ce que l'on pourrait appeler<br />
de nouveaux métiers, mais avec là aussi <strong>des</strong> contra dictions.<br />
Nous avons par exemple à la Maison de la Culture<br />
de Metz un centre multimédia à partir duquel nous<br />
développons un secteur formation, un secteur de production,<br />
c'est-à-dire que nous produisons <strong>des</strong> CD-ROM.<br />
Nous avons aussi un secteur qui est en fait une sorte<br />
d'atelier où l’on accueille <strong>des</strong> artistes avec la seule<br />
volonté de leur poser la question de l'intégration de ces<br />
technologies nouvelles dans leur geste artistique, ce<br />
que cela représente, l’intérêt que cela peut pro c u re r.<br />
71
72<br />
La médiation, ce n’est pas un métier<br />
Par exemple, si vous connaissez le site internet de<br />
Charlélie Couture, il a été réalisé chez nous.<br />
Ces nouveaux métiers nous posent de sérieuses<br />
questions, dont celle qui consiste à ne pas confondre<br />
la compétence technique et le geste artistique. On<br />
assiste trop souvent à <strong>des</strong> re vendications d ' o rd re technique<br />
qui se prétendent <strong>des</strong> revendications artistiques.<br />
Je<br />
pense que si<br />
nous avons<br />
un certain nombre de choses à défendre dans ces nouveaux<br />
métiers, c'est bien de ne pas entretenir cette<br />
confusion et de laisser aux artistes la possibilité de<br />
leur expression artistique, accompagnée <strong>des</strong> techniciens<br />
nécessaires pour le faire. Je pense aussi que la<br />
question de la diffusion - non pas de l'information car<br />
celle-là est entendue - du produit culturel interro g e .<br />
Pour être très schématique, est-ce qu’en ayant vu La<br />
Joconde sur le réseau internet, on aura vu La Joconde ?<br />
Je pense que dans le rapport pédagogique que nous<br />
avons avec les populations, nous pouvons nous poser<br />
la question. Est-ce qu'en ayant vu sur internet le<br />
concert de tel ou tel groupe, on aura vraiment vu le<br />
concert de tel ou tel groupe ? Je crois que cela pose la<br />
question de la relation au spectacle vivant. À terme, le<br />
secteur marchand étant tellement prégnant dans ces<br />
questions-là, ce sont vraiment <strong>des</strong> questions à se<br />
p o s e r. Derrière tout cela, il y a la question du droit <strong>des</strong><br />
artistes, la question de la protection <strong>des</strong> œuvres, la<br />
question de la confrontation réelle <strong>des</strong> populations<br />
aux productions <strong>des</strong> œuvres contemporaines. Po u r<br />
cela, il me semble que <strong>des</strong> lieux comme les nôtres sont<br />
e n c o re <strong>des</strong> lieux de résistance pour organiser la<br />
défense du droit, qu’il s’agisse <strong>des</strong> artistes quant à<br />
leur travail de création ou du public quant à l’égalité<br />
possible d’accession à la culture. Pe u t - ê t re est-ce là<br />
que de nouveaux métiers peuvent appara î t re ?<br />
Renaud Vischi, chercheur en science politique :<br />
Jean-Claude Pe r rot sépare compétences techniques et<br />
compétences artistiques en ce qui concerne les nouvelles<br />
technologies. Donc, pour ce qui est de la<br />
conception sonore hip-hop ou la conception techno,<br />
sur la base de quel critère de jugement sépare z - v o u s<br />
compétences techniques et compétences artistiques ?<br />
Y a-t-il opposition entre Jean-Louis Sautreau qui parle<br />
de fusion entre technicien et musicien et Jean-Claude<br />
Pe r rot qui différencie complètement compétence<br />
technique et compétence artistique ?<br />
Jean-Claude Perrot : Pour être très précis, j'ai fait<br />
cette séparation en matière de multimédia et <strong>des</strong> compétences<br />
technologiques au niveau de la connaissance<br />
et de la manipulation <strong>des</strong> logiciels, ce qui est nécessaire<br />
à la réalisation <strong>des</strong> pro d u i t s .<br />
Jean-Louis Sautreau : Sur le mode de production du<br />
rap et de la techno particulièrement, il faut être musicien<br />
et technicien en même temps. C'est pour cela que<br />
je dis qu'il y a une fusion entre ces deux aspects. Je<br />
c rois que Jean-Claude Pe r rot parle effectivement plus<br />
d ' œ u v res collectives multimédia qui peuvent être sous<br />
forme de CD-ROM où, là, de nouveaux métiers apparaissent.<br />
Il peut y avoir un graphiste, un musicien, un<br />
r é a l i s a t e u r.<br />
Jean-Claude Perrot : J'ai parlé tout à l'heure d'un site<br />
internet que nous avons réalisé avec Charlélie<br />
C o u t u re. Nous avons d'abord travaillé avec lui dura n t<br />
six mois pour lui donner <strong>des</strong> compétences et au bout<br />
de ce temps donné, c'est lui qui a tout dirigé. Donc il<br />
n'y a pas d'incompatibilité entre compétence technique<br />
et geste artistique. En revanche, il y a deux ans<br />
nous avons organisé un colloque sur le multimédia<br />
t raitant du geste artistique en matière de multimédia<br />
qui nous a amenés à constater une confusion entre la<br />
maîtrise technologique et le geste artistique. Nos<br />
re c h e rches nous ont menés à ce constat. Le discours ,<br />
pour certains intervenants, était de dire que si on<br />
maîtrise la technologie, on est un artiste.<br />
Jean-Louis Sautreau : Nous sommes sur deux esthétismes<br />
différents. Le colloque que tu avais organisé à<br />
Metz s'était fait en grande partie avec <strong>des</strong> plasticiens<br />
qui sont <strong>des</strong> gens qui sont connectés sur les nouvelles<br />
technologies depuis pas si longtemps que cela. La<br />
musique a un avantage énorme qui est que l'informatique<br />
musicale existe depuis 20 ans. C'est pour cela<br />
que cette fusion va s'opére r. Elle s'opére ra plus tard<br />
sur l'image parce que la musique a vraiment pris ce<br />
temps d'avance.<br />
Philippe Michaud, Café Provisoire - MJC Manosque :<br />
Une question adressée à Laure Chailloux par ra p p o r t<br />
aux emplois, aux profils, aux processus de formations,<br />
tant dans le contenu que dans le temps : qu’êtes-vous<br />
arrivés à modéliser et à construire, arrivez-vous à<br />
négocier véritablement dans le cadre <strong>des</strong> “emploisjeunes"<br />
? En prolongement de ce que disait Fra n c k<br />
Lepage sur le champ de l'innovation possible dans le<br />
c a d re <strong>des</strong> “emplois-jeunes", je crois qu'il y a un<br />
champ de négociation très important. Nous savons<br />
que la limite fixée dans le cadre du plan Aubry, 26<br />
ans, est tout à fait négociable. Le statut de
demandeur d'emploi ou le type de contrat antérieur<br />
de la personne qui postulerait sont autant d'éléments<br />
qui me semblent très négociables. De manière sousj<br />
a c e n t e , nous sentons tous que se pose la question de<br />
la négociation réelle, <strong>des</strong> conditions, de la tra d u c t i o n<br />
de l'intention qui est celle de “l'emploi-jeune" d a n s<br />
le cadre de base et de son adaptation aux réalités du<br />
m a rché de l'emploi dans le cadre <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles. Il ne faudrait pas renoncer à cette négociation.<br />
Laure Chailloux, A.R.A. - Roubaix : En termes de<br />
négociation, cela va complètement dépendre <strong>des</strong> gens<br />
et <strong>des</strong> postes. Il y a <strong>des</strong> difficultés. L'âge de la pers o n-<br />
ne, au vu du parc o u rs nécessaire pour entrer dans ce<br />
type de métiers précis, ne permet pas l’insertion dans<br />
les dispositifs. À un moment donné, si un musicien doit<br />
ê t re un musicien intervenant auprès de groupes, etc,<br />
et qu’il est employé comme un “emploi-jeune" d e<br />
Ce n'est pas parce que <strong>des</strong> cadres “emplois-jeunes" ont<br />
été fixés que l'innovation va se mettre à fonctionner !<br />
base au S.M.I.C. et qu'il doit faire 39 heures d'interventions,<br />
etc : nous ne pouvons pas laisser faire cela,<br />
donc il faut aménager.<br />
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu’a<br />
dit Franck Lepage. Je pense que nous sommes dans la<br />
confusion. Dans le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles,<br />
nous avons réussi à créer de nouvelles activités qui<br />
sont spécifiques aux besoins de ce secteur, qui se sont<br />
créées avant que les “emplois-jeunes" n’existent. Ce<br />
n'est pas parce que <strong>des</strong> cadres “emplois-jeunes" o n t<br />
été fixés de façon législative avec l’expression “inventer<br />
de nouveaux métiers" que l'innovation va se<br />
m e t t re à fonctionner ! L'imagination ne fonctionne<br />
pas parce qu'une loi a été votée. L'imagination fonctionne<br />
parce qu'il y a <strong>des</strong> gens qui, à un moment<br />
donné, ont de nouvelles idées.<br />
Gaby Bizien, responsable musiques actuelles de<br />
Domaine Musiques Nord-Pas-de-Calais : Il se tro u v e<br />
que la formation <strong>des</strong> encadrants a été mise en place<br />
pour répondre à <strong>des</strong> besoins qui ont été évalués par une<br />
“pré-enquête" par laquelle nous avions rencontré <strong>des</strong><br />
municipalités où il n'y avait pas d'offres. Nous re n c o n-<br />
trions <strong>des</strong> services jeunesse, <strong>des</strong> services culture ou <strong>des</strong><br />
services animation dans les villes qui nous disaient qu'ils<br />
avaient effectivement dans leurs tiro i rs <strong>des</strong> dossiers de<br />
dizaines de groupes de rock qui voulaient répéter mais<br />
n'avaient pas de locaux, qu’ils voulaient <strong>des</strong> formations,<br />
etc. La demande que l'on présupposait était donc validée<br />
par cette enquête en amont. Ensuite, une formation<br />
s'est mise en place par rapport aux besoins estimés que<br />
nous avions évalués. Il s'est trouvé qu'à la mise à l'emploi<br />
de ces professionnels formés lors de la pre m i è re cession<br />
de formation, les deman<strong>des</strong> ont été complètement<br />
d i f f é rentes et correspondaient à la réalité de chaque<br />
t e r r i t o i re et à la réalité de chaque structure.<br />
Donc, petit à petit, il y a eu un travail pour affin e r<br />
ces pro fils de postes qui a abouti à la définition de deux<br />
p ro fils. L'un étant le musicien qui encadre un local de<br />
répétition, qui peut donner <strong>des</strong> cours d'instrument ou<br />
<strong>des</strong> conseils aux groupes en répétition sur leur répertoire.<br />
L'autre étant un pro fil de “développeur" de projet, et<br />
c'est souvent ce que les villes ont demandé. C'est-à-dire<br />
quelqu'un qui pourrait définir une politique de la ville<br />
en matière de musiques actuelles mais passant aussi<br />
bien par la mise en place de locaux de répétition, la gestion<br />
d'une diffusion de proximité ou, au moins, une mise<br />
en cohérence <strong>des</strong> initiatives existantes, ou bien encore la<br />
gestion de la fête de la musique. La deuxième<br />
session s'est orientée vers <strong>des</strong> choses beaucoup<br />
plus spécifiques. Comme le dit Laure Chailloux :<br />
les pro fils s'affinent petit à petit. Ce n'est pas<br />
facile de faire re n t rer ces professionnels-là dans les<br />
“e mplois-jeunes" p a rce qu'il y a la limite de l'âge et<br />
nous constatons que les musiciens qui commencent à<br />
avoir la fib re pédagogique sont <strong>des</strong> musiciens qui ont<br />
tourné pendant un certain temps.<br />
Philippe Moreau, responsable du secteur culturel<br />
MJC d'Halluin : Le financement <strong>des</strong> postes dans le secteur<br />
associatif me paraît la question centrale. Ta n t<br />
qu'on ne sortira pas de là, on aura beau critiquer les<br />
dispositifs ou essayer de faire en sorte que l'on reste à<br />
peu près cohérent, le vrai problème c'est le financement<br />
<strong>des</strong> postes. Pas seulement dans les MJC mais<br />
dans toutes les associations. La pre m i è re question à se<br />
poser est de savoir si l'accompagnement <strong>des</strong> pra t i q u e s<br />
musicales dans les musiques amplifiées est une mission<br />
de service public et où s'arrête la mission de service<br />
public. À partir du moment où l’on revendique qu'il<br />
s'agit d'une mission de service public, il faut également<br />
que l'État et les collectivités territoriales puissent<br />
financer ou participer au financement de ces postes. Je<br />
pense que c’est une juste revendication sur le terra i n<br />
du politique.<br />
Le problème est bien de voir comment est-ce que<br />
l'on va pouvoir financer les nouveaux postes créés.<br />
On demande systématiquement aux collectivités territoriales,<br />
et notamment aux mairies, de pre n d re en charg e<br />
l ' i n t é g ralité <strong>des</strong> postes. Si ce n'est pas une mission de<br />
service public, cela veut dire que l'on devient complètement<br />
marchand. Aujourd’hui, un élève va aller dans une<br />
73
école de musique municipale, c'est gra t u i t<br />
et un instrument est prêté pendant deux<br />
ans, alors que <strong>des</strong> cours de guitare, de<br />
p e rcussions, dans une MJC, cela coûte 500<br />
f rancs l'année et sans instrument.<br />
Gaby Bizien, responsable musiques<br />
actuelles de Domaine Musiques<br />
Nord-Pas-de-Calais : Nous attendons<br />
b e a ucoup <strong>des</strong> préconisations de la<br />
Commission nationale <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles, en particulier sur le secteur de<br />
la formation. À tra v e rs ces contrats de<br />
développement locaux et régionaux, nous<br />
pouvons imaginer une contra c t u a l i s a t i o n<br />
avec une ville qui souhaiterait embaucher<br />
un ou plusieurs professionnels pour encad<br />
rer les locaux de répétition ou pour dispenser<br />
<strong>des</strong> formations. De la même façon<br />
qu'une ville embauche <strong>des</strong> pro f e s s e u rs<br />
pour son école de musique. C'est une<br />
question de choix politique.<br />
Par ailleurs, il existe effectivement<br />
la fil i è re <strong>des</strong> écoles de musique pour la<br />
mise à l'emploi, mais même un Diplôme<br />
d’État n'est pas du tout une garantie de<br />
mise à l'emploi puisque les diplômés doivent<br />
passer le concours de la fonction<br />
publique territoriale et qu’il y a un problème<br />
de postes. Pour ce qui est <strong>des</strong><br />
musiques actuelles, re n t rer dans ce type<br />
de diplôme, type D.E., ne va pas forc é m e n t<br />
ê t re une garantie de mise à l'emploi et on<br />
ne sait pas du tout non plus si le cadre de<br />
la fonction publique territoriale est vra i-<br />
ment ce qu'il faut pour ce genre de poste.<br />
74<br />
Thierry Duval, coordinateur du C.R.Y.<br />
pour la musique : <strong>Les</strong> pre m i e rs à<br />
c o n v a i n c re, ce sont les élus locaux<br />
puisque ces pratiques-là sont illégitimes. Le réfle x e<br />
n a t u rel de l'élu local moyen, quand on lui parle de<br />
besoins en termes de musique ou de local, c'est l'école de<br />
musique. Pour l'instant, le grand danger, c'est que le<br />
M i n i s t è re de la Culture entretient le mythe selon lequel<br />
il suffirait de faire une petite formation de remise à<br />
niveau pour l'ensemble <strong>des</strong> enseignants <strong>des</strong> écoles de<br />
musique pour qu'ils soient compétents sur le champ <strong>des</strong><br />
musiques actuelles. C'est un grand danger, car lors q u e<br />
nous re n t rons dans le détail de ces musiques-là, nous<br />
sommes vraiment sur quelque chose qui n'a rien à voir !<br />
Ce sont deux sports complètement différents. C'est un<br />
g rand danger à la fois politiquement et philosophiquement<br />
parce qu’une fois qu'ils sont convaincus de l'intérêt<br />
social d'avoir <strong>des</strong> lieux d'accueil, les élus sont prêts à<br />
financer <strong>des</strong> postes.<br />
C'est un travail de<br />
pédagogie qui est long<br />
et qui tient vra i m e n t<br />
du cas par cas. De mon<br />
point de vue, bénéficier <strong>des</strong> “emplois-jeunes" o u<br />
d ' a u t res systèmes, c'est la pire <strong>des</strong> solutions. Ce n’est pas<br />
p a rce qu'on n'a pas réussi à convaincre l'élu local que ce<br />
n’est pas un poste indispensable sur une ville.<br />
B é n é ficier <strong>des</strong> “e m p l o i s - j e u n e s "<br />
ou d'autres systèmes, c'est la<br />
p i re <strong>des</strong> solutions
Éric Paris, chargé de mission à l'A.D.I.A.M. 95 : <strong>Les</strong><br />
Associations Départementales d’Information et d’Action<br />
Musicale sont <strong>des</strong> associations départementales, organismes<br />
associés aux Conseils Généraux, mais ce sont avant<br />
tout <strong>des</strong> associations. Certains Conseils Généraux, pas tous<br />
puisque cela dépend de la politique menée sur le département,<br />
aident les écoles de musique. En ce qui concerne le<br />
Val-d'Oise, cette aide est calculée en fonction de la masse<br />
salariale sur la base de quelques propositions que je fais au<br />
niveau <strong>des</strong> musiques amplifiées. J’essaie de proposer que<br />
les lieux de répétition soient par exemple soutenus en<br />
fonction <strong>des</strong> personnes encadrantes qui sont là pour<br />
accompagner les musiciens. Cela incite également à ce<br />
que ces lieux existent avec cet encadrement parce qu’il<br />
peut exister <strong>des</strong> lieux autogérés et qui finalement perpétuent<br />
une espèce de précarité. Cela peut être une <strong>des</strong><br />
pistes d'accompagnement, au niveau d'une collectivité<br />
territoriale comme un département, calculée sur la base<br />
salariale d'un équipement. ❙<br />
75
2<br />
DICKY BIRD
L’artiste dans la cité<br />
Fernand Estèves, chargé de mission culture<br />
FFMJC : Bien souvent, les re ncontres de ce type castrent<br />
la parole <strong>des</strong> artistes, or nous pensons qu'il y a<br />
<strong>des</strong> artistes qui ont <strong>des</strong> choses à dire, hors scène, hors<br />
coulisses. Nous re mercions les artistes ci-présents qui<br />
ont accepté de venir en ce premier vendredi du mois de<br />
juin, donc en période de démarrage <strong>des</strong> festivals.<br />
Si nous avions proposé, il y a encore cinq ans, le titre<br />
“Musiques et Citoyenneté dans tous leurs États", cela<br />
aurait paru un peu farfelu, si ce n'est ringard, pour bien<br />
<strong>des</strong> personnes et pour bien <strong>des</strong> institutions. Aujourd'hui,<br />
pas une semaine se passe sans que la citoyenneté soit<br />
interpellée. D ’ailleurs,<br />
dans le petit monde<br />
<strong>des</strong> musiques actuelles,<br />
c'est vrai que les opérations<br />
de soutien récemment menées en faveur du<br />
Sous-Marin ont eu d’importantes répercussions dans la<br />
p resse. Une certaine forme d’information citoyenne a<br />
très bien été relayée. Mais cette idée de la citoyenneté<br />
n’est-elle pas galvaudée ? De nombreux artistes pro n o n-<br />
cent de plus en plus fréquemment ce mot, le défendent,<br />
le revendiquent. Est-ce révélateur d'une situation, d'une<br />
époque ? <strong>Les</strong> associations d'éducation populaire n'ont<br />
quant à elles jamais mis entre parenthèses la dimension<br />
citoyenne de leur démarche. Pe u t - ê t re que la forme, à<br />
une époque, a prévalu sur le fond. A-t-on manqué de<br />
vigilance ? De courage ? <strong>Les</strong> MJC ont-elles manqué<br />
d'ambition ou de véhémence ?<br />
En préambule à nos échanges, j’aimerais que nous<br />
nous arrêtions quelques instants sur la dimension entrepreneuriale<br />
du secteur culturel <strong>des</strong> années 80. Attention, je<br />
n’oppose pas le privé et l'associatif. Il y a même <strong>des</strong> gens,<br />
comme Bruno Ponge, qui travaillent au sein de S.A.R.L. qui<br />
ont un discours militant qui pourrait impressionner pal mas<br />
de personnes du secteur associatif. Même si cela pourra it<br />
être intéressant de déconstruire certains fantasmes, il ne<br />
s’agit donc pas ici d’opposer le secteur marchand et le secteur<br />
associatif, ce n'est pas là notre propos. En fait, dans les<br />
années 80, avec le support <strong>des</strong> institutions, nous entendions<br />
tout un propos qui se résumait par “vous allez devenir<br />
un patron d’entreprise culturelle”. Et, pour faire très<br />
Cette idée de la citoyenneté<br />
n’est-elle pas galvaudée ?<br />
court donc très caricatural, la plupart <strong>des</strong> MODÉRATEUR :<br />
personnes (activistes militants de la première Fernand Estèves,<br />
heure) qui ont accepté de jouer ce jeu reviennent<br />
finalement aujourd'hui à l’éducatif, au<br />
politique. Mais qu’en est-il <strong>des</strong> artistes ? Se INTERVENANTS :<br />
sentent-ils concernés par ces questions ?<br />
Paul Blanc,<br />
Sentent-ils qu’un réel discours politique DIRECTEUR MJC CROIX<br />
revient en force ou est-ce un leurre ?<br />
DES OISEAUX - AVIGNON,<br />
Enfin, nous pouvons constater que de Alain Leprest,<br />
CHANTEUR,<br />
nombreuses municipalités, de droite comme<br />
de gauche, se sont autorisées à montrer Little Bob,<br />
CHANTEUR,<br />
Vitrolles du doigt. N’est-ce pas l'arbre qui<br />
cache la forêt ? Que font tous ces élus outrés Jean Djemad,<br />
CHORÉGRAPHE FONDATEUR<br />
chez eux ? Au-delà de l'éphémère de ce type<br />
CIE BLACK BLANC BEUR,<br />
de Rencontres, essayons de nous inscrire dans<br />
Michel Frédéric,<br />
le long terme en dérangeant durablement MUSICIEN ET ANIMATEUR<br />
ceux qui n'ont pas envie d'être dérangés. MJC EVREUX,<br />
Avant de donner la parole aux artistes, David Leyondre,<br />
et puisque nous avons terminé les interventions<br />
<strong>des</strong> tables ron<strong>des</strong> précédentes par une parole d'un<br />
ULTIM POWER, CHANTEUR.<br />
directeur MJC, nous allons commencer par la donner tout<br />
de suite à Paul Blanc. Si nous acceptons de définir la<br />
citoyenneté comme un processus de construction du sujet<br />
politique, penses-tu que par l'ambition artistique, que<br />
toi-même tu défends, les MJC peuvent pro d u i re du dro i t<br />
dans l'espace public ?<br />
Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />
Si j'ai une fonction, c'est plutôt celle de faire partie du<br />
“triangle" infernal qui est en gros, l'artiste, le territoire peuplé<br />
et quelque<br />
chose qui pourrait<br />
être un outil.<br />
A c t u e l l e m e n t ,<br />
nous nous posons la question de la citoyenneté à partir<br />
de l'idée qu'est citoyen celui qui fait du droit. Dans le<br />
domaine de la musique, quel droit fait-on ? Nous avons<br />
essayé de faire du droit, nous n'avons pas réussi, le dro i t<br />
étant de permettre <strong>des</strong> confrontations entre <strong>des</strong> décid<br />
e u rs et <strong>des</strong> créateurs. Pas tellement pour que soit prise<br />
en compte la question de la diffusion mais plutôt la<br />
dimension de la création. C'est un peu difficile p a rce que<br />
CHARGÉ DE MISSION CULTURE<br />
FFMJC.<br />
Dans le domaine de la musique,<br />
quel droit fait-on ?<br />
77
78<br />
cela revient sensiblement à dire à <strong>des</strong> partenaires fin a n- Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />
c i e rs de nous donner de l'argent pour qu'on leur re n t re Nous avons travaillé avec différents artistes ou groupes.<br />
dedans. Par exemple, nous venons de terminer un staff Cela s'est toujours fait sous forme de résidences relativement<br />
longues. La plus courte a duré neuf mois. Il s'agissait<br />
d'accompagnement de musiciens qui touchaient tous le<br />
"Revenu Minimum d'Isolement", comme ils disent de danseurs, de plasticiens, de musiciens et nous nous<br />
e u x -mêmes... Il est bien évident que tout le travail que sommes bien gardés d'avoir un projet. Nous avons toujours<br />
annoncé cela comme un trajet et nous nous sommes<br />
ces musiciens ont fait avec d'autres musiciens n'a pas<br />
été un travail d'insertion, bien au contra i re, cela a été vite aperçus que l'artiste avait une sorte de capacité à<br />
un travail de subversion puisqu'ils ont réfléchi à leur faire une “auto-commande" et à alimenter sa création<br />
p ro p re situation à tra v e rs leur pro p re musique et à d'un environnement, d'un territoire peuplé… Par exemple<br />
t rav e rs une re n c o n t re avec <strong>des</strong> musiques un peu différentes.<br />
Il n'en reste pas moins que cette aventure, qui a choses qui prouvent que tout est possible. C'est vrai que<br />
sous forme d’ateliers avec les jeunes qui ont abouti à <strong>des</strong><br />
duré à peu près un an, ne s'est pas conclue par la mise bon nombre d’artistes ont redéfini la proposition artistique<br />
qu'ils nous faisaient tout au long du parcours.<br />
en place de lieux corrects de travail pour ces mêmes<br />
musiciens puisque bon nombre de ces musiciens se C'est-à-dire qu'avec un peu de prétention - je voudrais<br />
re t rouvaient dans une situation un peu difficile. A un avoir l'avis <strong>des</strong> artistes - il y a toujours confrontation. Il y<br />
moment donné de leur vie musicale, ils avaient souhaité<br />
chercher un peu plus. Certains en avaient assez de faire de “l'harmonie sociale", il y a les structures, MJC ou<br />
a ceux qui financent, qui souvent nous demandent de<br />
jouer dans les bars, ils souhaitaient peut-être aller un autres, qui sont là entre les deux et qui ne savent pas très<br />
peu plus loin et, donc, la plupart avaient dit - les artistes bien jusqu'où elles peuvent aller trop loin mais qui ont la<br />
Alimenter les artistes et les confronter à leur enviro n n e m e n t<br />
capacité d'aller loin dans la<br />
confrontation. Nous pouvons penser<br />
que ces confrontations, ces<br />
parleront mieux que moi de tout cela - “aujourd'hui, je c h eminements-là, sont peut-être un élément du processus<br />
cherche autre chose”. Et puis un mois passait, deux de création. C'est-à-dire que si un artiste vient avec ses<br />
mois, trois mois et plus personne ne les appelait. Il propositions, il devrait être à peu près souhaitable qu'à<br />
a p p araissait une certaine difficulté fin a n c i è re qu'ils l'issue de son travail, les propositions initiales soient complètement<br />
différentes de celles qui ont conclu l'affaire.<br />
avaient de la peine à régler.<br />
Je travaille sur la région P.A.C.A où il y a, à peu Nous rencontrons beaucoup de difficultés, notamment<br />
à travers les musiques assistées par ordinateur, à<br />
près, 5 000 artistes qui touchent le R.M.I. Disons que les<br />
tentatives de citoyenneté, pour nous en tout cas, c'est entrer dans la dimension de la diffusion. Pour la musique,<br />
d'essayer de mettre à la disposition <strong>des</strong> artistes <strong>des</strong> lieux plus particulièrement pour les musiques urbaines, on dirait<br />
de travail et pas uniquement <strong>des</strong> lieux de diffusion. Bon que les artistes sont condamnés à rentrer dans la logique<br />
n o m b re de lieux de diffusion existent mais est-ce que économique, commerciale. Nous avons accueilli <strong>des</strong> musiciens<br />
qui jouaient de la musique contemporaine, et la<br />
l'on continue à mettre en place <strong>des</strong> lieux de diffusion<br />
qui s'inscriraient dans une espèce de marginalité par question ne s'est pas posée. Peut-être que nous-mêmes,<br />
rapport à une musique qui est un peu anormale ? Ou nous ne considérons pas encore suffisamment ces<br />
est-ce que l'on fait de “l'entrisme" dans <strong>des</strong> lieux musiques-là comme <strong>des</strong> musiques d'expression artistique.<br />
comme les scènes nationales et autres, et qui eux existent<br />
et devraient accepter ces formes d'expression ? groupes, et cela a été la fin de la plupart <strong>des</strong> groupes. Cela<br />
Enfin, nous avons tout de même sorti un compact de 18<br />
Voilà une <strong>des</strong> questions. Quant à la citoyenneté de la a été catastrophique ! On se dit que nous ne sommes pas<br />
population, puisque nous parlons ra rement de public… performants, que nous ne sommes pas capables d'accompagner<br />
au-delà de la production, nous sommes <strong>des</strong> crimi-<br />
oui, il y a certainement une citoyenneté parce que l'envie<br />
d'entrer dans <strong>des</strong> pratiques artistiques est motivée nels… Finalement, j'ai envie de dire que si nous sommes<br />
par l'envie de dire quelque chose à quelqu'un et à partir condamnés à accompagner <strong>des</strong> gens qui font ce que tout<br />
du moment où l’on a envie de dire quelque chose à le monde fait, il ne faut pas s'étonner que nous ne soyons<br />
quelqu'un, on s'exprime et, à partir de ce moment-là, pas performants pour les vendre.<br />
p e u t - ê t re qu'on a un début…<br />
Nous avons la prétention de dire que lorsque nous<br />
accueillons un artiste, que ce soit un ro c k e r, un ra p e u r,<br />
Fernand Estèves : Que veux-tu dire quand tu parles un musicien contemporain ou un “inclassable", nous<br />
d'alimenter les artistes et de les confronter à leur environnement<br />
?<br />
une musique parce qu'il va se heurter à un<br />
mettons tout à sa disposition. Nous voulons qu'il invente<br />
environnement,
à <strong>des</strong> images, à la vie, parce que nous allons le mettre<br />
dans <strong>des</strong> situations difficiles. Avignon, c'est une verrue<br />
entourée de remparts qui fait 10 000 habitants, c'est<br />
une bouillie en forme de banlieues, riches ou pauvre s ,<br />
qui en fait 80 000, avec une géographie culturelle extrao<br />
rd i n a i re. Dans le centre de la ville, vous avez l'Opéra et<br />
le Conservatoire, vous vous éloignez un peu du centre ,<br />
vous avez le jazz, vous passez la pre m i è re barrière du<br />
b o u l e v a rd extérieur <strong>des</strong> remparts, vous avez le rock et<br />
vous continuez un peu plus loin et vous avez le rap… Et<br />
de temps en temps, les institutions concèdent, le re g a rd<br />
humide, aux ro c k e rs et aux ra p e u rs un passage à l'Opéra<br />
ou à la Place de L'Horloge. Le combat qu'il faudra i t<br />
mener avec les artistes est celui qui permet de leur dire<br />
qu'ils ne sont pas automatiquement condamnés à re n-<br />
t rer dans <strong>des</strong> circuits commerciaux. C'est très prétentieux<br />
mais je m'interroge là-<strong>des</strong>sus. En tout cas, le jour<br />
où on pourra dire à <strong>des</strong> ro c k e rs : “vous venez passer un<br />
an, vous êtes payés à travailler sans obligation de<br />
réaliser un produit traditionnel”, ce sera déjà pas mal.<br />
De plus, le jour où cette production hors norme pourra<br />
se balader, c'est-à-dire être accueillie ailleurs, ce sera<br />
e n c o re mieux.<br />
Little Bob, chanteur : Je veux parler <strong>des</strong> choses telles<br />
qu'elles sont. C'est vrai que ce serait intéressant d'avoir<br />
une résidence dans un lieu et de pouvoir créer autre<br />
chose, je ne sais pas encore ce que cela serait. En ce qui<br />
concerne l'insuccès <strong>des</strong> gens que vous avez enregistrés à<br />
la MJC d’Avignon, et du fait que les groupes se sont<br />
Je continue à m'occuper de ce qui se passe dans ma<br />
ville parce que c'est là où je vis<br />
séparés, je voudrais dire que, de toute façon, il y a un<br />
c i rcuit professionnel business pour sortir les disques et<br />
pour les vendre. C'est sûr que c'est pas parce que tu vas<br />
f a i re une “compil’” de 18 groupes de rap ou de ro c k<br />
chez toi, que ces groupes-là vont arriver à se vendre. Le<br />
c i rcuit commercial, tout le monde le connaît, je me<br />
heurte un peu à cela. J'ai côtoyé très souvent le show<br />
business puisque, depuis 22 ans, je sors <strong>des</strong> disques<br />
dans <strong>des</strong> maisons de disques. C'est ce qui me permet<br />
d ' ê t re toujours là aujourd'hui, et de continuer à suivre<br />
ma route sur une évolution musicale mais sans re n t re r<br />
v raiment dans les méandres du showbiz. Je me bagarre<br />
comme un malade quand le seul moyen de survivre, de<br />
diffuser la musique que l'on fait et qu'on joue avec<br />
mes musiciens, c'est de jouer dans <strong>des</strong> endroits comme<br />
<strong>des</strong> MJC.<br />
D ’ a i l l e u rs, je re n t re d’une tournée et de 45<br />
concerts et je n'ai pas pu m'occuper vraiment de tout ce<br />
qui se passe. J’apprends que la MJC du Havre va fermer.<br />
Au Havre, sans vouloir être le leader de quoi que ce soit,<br />
j'essaie d'être actif quand, par exemple, il y a <strong>des</strong><br />
“manifs" c o n t re le Front National. Sans vouloir être le<br />
p a t r i a rche <strong>des</strong> musiciens de rock havrais, j'essaie de<br />
bouger les musiciens quand ils s'endorment. Je sais que<br />
la MJC du Havre va être rayée de la carte parce que nous<br />
avons un maire qui se moque éperdument de la MJC,<br />
comme de la culture en général. Le Havre est une ville<br />
sinistrée. Je ne suis pas là pour vous parler de la sinist<br />
rose du Havre mais il n'y a pas une seule salle de<br />
concert à part Le Volcan qui fait surtout de la danse, du<br />
t h é â t re, ce qui est très bien mais au niveau <strong>des</strong> concerts<br />
de rap, de rock, il n'y a rien. La MJC était encore un <strong>des</strong><br />
seuls endroits où il y avait <strong>des</strong> concerts de jazz, de blues,<br />
un petit peu de rock ou autre chose. J'ai moi-même participé<br />
au concert pour soutenir les femmes algériennes.<br />
La MJC était pleine, elle faisait son boulot, elle participait<br />
à la vie <strong>des</strong> citoyens. Je redoute la passivité <strong>des</strong><br />
citoyens.<br />
Je ne veux pas que la musique que je défends<br />
tombe dans l’oubli. Sur la route, les gens me disent de<br />
continuer parce que je suis le seul à faire cette musique-là.<br />
Mais en même temps, je continue à m'occuper de ce qui<br />
se passe dans ma ville parce que c'est là où je vis. Je<br />
n’oublie pas qu’en 1976, la MJC du Havre m'a prêté <strong>des</strong><br />
locaux avant d'aller en studio enre g i s t rer mon pre m i e r<br />
album. Dans la salle d’à côté, il y avait du bridge et il<br />
fallait attendre qu'ils aient fini de jouer aux cartes pour<br />
commencer à répéter… Cette MJC du Havre, je l'ai là,<br />
dans le cœur. Dans la ville, il y a <strong>des</strong> lieux qui donnent<br />
<strong>des</strong> cours de rap pour pouvoir enre g i s t rer les<br />
g roupes à la fin. Je sais que tout cela, c'est juste<br />
pour calmer un peu les gens, cela ne va pas<br />
déboucher sur le succès. C'est vrai que les ra p e u rs, ce<br />
qu'ils voient, ce sont les grands groupes qui arrivent à<br />
s'en sortir et ils veulent arriver à faire pareil. C'est<br />
humain ! Qu'est-ce qu'ils ont comme autre pers p e c t i v e<br />
pour s'en sortir ces gens-là ?<br />
Alain Leprest, chanteur : Je suis un peu ému parce qu’ici<br />
c'est un peu ma zone. Je suis normand et Bob était un<br />
peu notre idole. J'étais rouennais, il était havrais et c'est<br />
v rai qu'il faisait <strong>des</strong> expériences formidables. Je fais dans<br />
la chanson française, ce qui ne m'a jamais empêché en<br />
aucune manière d'apprécier la bonne musique d'où<br />
qu'elle vienne. C'est pour cela que je suis un peu le<br />
“c oco" de service. Quand on me demande si je suis un<br />
chanteur communiste, je dis que je suis communiste mais<br />
que je suis chanteur aussi. À savoir que je ne chante pas<br />
<strong>des</strong> chansons communistes, je ne suis pas sur une estrade,<br />
je ne fais pas de discours, je chante <strong>des</strong> chansons qui<br />
79
8 0<br />
plaisent ou non. Ce sont <strong>des</strong> chansons qui traduisent <strong>des</strong> partagées par d'autres dans la salle. C'est très évident ce<br />
f ê l u res, qui traduisent mon origine à moi, mes amitiés. que je dis mais j'essaie de partir de ce principe-là. Mais<br />
Quand je suis dans la rue, je suis comme Bob, je suis un est-ce que je produis du droit en étant sur scène ? Non !<br />
citoyen. Et pourquoi je suis “c oco" aussi ? Je suis “c oco"<br />
p a rce que se battre pour les sans papiers, se battre contre Little Bob : Je tiens à dire qu’il n'y a pas que les ra p e u rs<br />
les charters, c'est se battre aussi au niveau de la musique qui ont un engagement militant ! Tous les soirs sur<br />
p a rce que vous avez <strong>des</strong> tas de musiciens, de renom ou scène, je chante en anglais donc c'est un peu plus difficile<br />
pour les gens de compre n d re. Mais je leur explique<br />
pas de renom, qui sont venus, ici, gra t t e r, bosser <strong>des</strong><br />
notes fabuleuses, bosser dans <strong>des</strong> studios dans <strong>des</strong> conditions<br />
incroyables par pure amitié ou, parfois, en étant le discours de Martin Luther King et que j'explique sur<br />
ce que je dis. J'ai une chanson qui m'a été inspirée par<br />
payés et qui se font jeter aujourd'hui. C'est une <strong>des</strong> scène aux gens. Je parle aussi <strong>des</strong> sans abris, je défends<br />
m a n i è res de répondre aussi à la citoyenneté.<br />
les sans papiers et, cela, je le dis en français pour que les<br />
Citoyenneté, c'est aussi dire mon appartenance, en gens comprennent. Je ne voudrais surtout pas que l'on<br />
tant que citoyen. A Toulouse, au Havre, à Rouen, à Paris, dise que les ro c k e rs sont là, pépères. Nous disons les<br />
quand on chante avec nos mains, nos poings, nos gestes, choses simplement, nous sommes un peu moins médiatisés,<br />
c'est tout !<br />
nos voix, c'est, à la fois, l'expression de tout notre vécu et,<br />
derrière, il y a aussi une main tendue. Il y a une main<br />
tendue vers les autres, c'est évident. Je viens d'une Jean Djemad, fondateur de la Cie Black Blanc Beur :<br />
époque où les chanteurs étaient classés dans <strong>des</strong> tiro i rs . Je pourrais parler d'expériences que j'ai entre t e n u e s<br />
Là aussi, c'était une forme de racisme. On disait qu'untel<br />
était rock, untel fado, etc. Aujourd'hui, il y a une déterminantes dans ce qu'est aujourd'hui la compa-<br />
avec les MJC, très nombreuses et qui sont absolument<br />
espèce de mouvement de re g a rd les uns vers les autre s gnie Black Blanc Beur. Pendant toute l'époque où nous<br />
qui fait que la musique reste la musique. Il y a une avons mis en œuvre la compagnie de danse et le jour<br />
r é s u rgence de cette espèce de métissage dont je voulais où elle a existé de fait par son premier spectacle, nous<br />
parler et <strong>des</strong> luttes qu'ils faut savoir bien mener. Il ne n'avons jamais cessé de faire un travail “d'accès au<br />
s u f fit pas d'être planté sur une scène devant un micro . droit" pour ceux qui étaient dedans. Nous n’avions pas<br />
<strong>Les</strong> slogans qui se chantent aujourd'hui, ou comme besoin de montrer que les danseurs étaient déjà en<br />
a i l l e u rs, pour une vie meilleure, cela reste <strong>des</strong> chansons t rain d'appre n d re <strong>des</strong> règles de vie en communauté, de<br />
et la musique importe peu.<br />
ne plus confondre le travail et l'emploi. Il s’agissait de<br />
situer un certain nombre de motivations et c'est pour<br />
Philippe Moreau, responsable du secteur culturel MJC cela que j'aurais tendance à ne pas écraser complètement<br />
l’expérience de la compil d’Avignon. Cette<br />
d'Halluin : Il y a deux ou trois mois, j'ai demandé à<br />
q u e lqu'un qui est à la fois comédien et musicien d’intervenir<br />
dans l’encadrement <strong>des</strong> groupes et de les aider p e r m e t t re à <strong>des</strong> gens de s'accomplir, de s'identifier une<br />
d e rn i è re aura eu sans doute au moins l'avantage de<br />
un peu, parce que lui, il avait un re g a rd un peu plus professionnel.<br />
Il m'a dit : “Oui, c'est intéressant mais moi, acte, que cela se sache ou non, c'est une manière<br />
fois par un propos, par un acte. Le fait de poser un<br />
la première chose que je fais, quel que soit le groupe, d'accéder au dro i t .<br />
quelle que soit la personne qui ait envie de monter De nombreuses associations, notamment les<br />
sur scène, c'est de lui demander pourquoi elle est sur MJC, ont agi en termes de tampon social pour que les<br />
cette scène, de se poser la question…". Cela fait à peu villes ne pètent pas. Mais il n'est jamais trop tard pour<br />
près huit ans que je fais de la musique et je ne m'étais se poser la question <strong>des</strong> chaînons manquants, entre le<br />
jamais vraiment posé la question. Je n'avais jamais vra i- fait d'exister, de poser une production, une entité dans<br />
Est-ce que je produis du droit en étant sur scène ?<br />
cette production et puis ensuite de pouvoir l'exp<br />
o r t e r. D’emblée, nous ne nous sommes pas inscrits<br />
dans le misérabilisme et évidemment pas du<br />
ment essayé de réfléchir sur ce sujet. La plupart du tout dans l'exotisme. Cette notion d'accès au droit me<br />
temps, cela part d'une expérience de groupe. Il s’agit p a raît importante et je voudrais la développer en<br />
d ' a b o rd d’un groupe de copains qui décident un beau disant que finalement - on ne résume pas 20 ans de<br />
jour de monter sur scène. Petit à petit, on commence à p ratiques - ce qui est très important, c'est de poser un<br />
essayer d'écrire et forcément, quand on commence à acte et de développer une expérimentation. Si on pose<br />
écrire <strong>des</strong> textes, on a envie de raconter <strong>des</strong> choses. Le un acte et si on développe une expérimentation, à ce<br />
challenge est que ces choses qui sont personnelles soient moment-là, on a accès au droit et sans doute à la citoyen-
neté c'est-à-dire à cette capacité reconnue, mutuelle, de<br />
faire partie du groupe, d'en jouir et de veiller aussi à exercer<br />
sa propre responsabilité au sein de ce groupe.<br />
Black Blanc Beur, c'est l'expérience d'une compagnie<br />
de danse qui est née du mouvement hip-hop et qui<br />
a la particularité de n'avoir pas fait que <strong>des</strong> spectacles<br />
pur sucre hip-hop. Nous avons par exemple tra v a i l l é<br />
Si on pose un acte et si on développe une<br />
expérimentation, à ce moment-là, on a accès au droit<br />
et sans doute à la citoyenneté<br />
avec <strong>des</strong> musiciens qui font de la musique électroa<br />
c o u stique. Il est évident pour tout le monde que le<br />
terme que l'on met à l'expression importe seulement<br />
pour la défin i r. Je pense que notre génération vit cette<br />
c u l t u re imprégnée d’Afrique différemment <strong>des</strong> générations<br />
précédentes mais il est probable que ces étapes<br />
étaient nécessaires. Nous ne la vivons plus comme victime<br />
de l'histoire mais comme ayant le sentiment de pouvoir<br />
apporter quelque chose à la boucle d'une sorte de<br />
colonialisme, une sorte de façon d'être, en France ou en<br />
E u rope, qui a quand même duré un certain temps et<br />
dont on vit encore pas mal de conséquences. Une fois<br />
que cet acte d'existence est posé, fondamental pour<br />
moi, nous avons ensuite besoin de survivre. On ne sait<br />
même pas pourquoi on est obligé de faire ce truc-là et<br />
c'est vrai que c'est de la nature de notre survie. Sans<br />
évacuer notre plaisir.<br />
L o rsque nous nous sommes adressés à 600 jeunes<br />
de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, à<br />
t ra v e rs notamment le réseau <strong>des</strong> MJC, pour faire une<br />
v raie formation professionnelle, un vrai moment de vie<br />
en commun qui devait déboucher sur un vrai spectacle<br />
qui devait vraiment être montré : ce fut extrêmement<br />
motivant. Lorsque nous avons écho de ce qui se passe<br />
dans les lieux tampons de la société, comme les missions<br />
locales, comme tous ces lieux où il y a <strong>des</strong> gens<br />
qui stagnent avec <strong>des</strong> sigles qui changent régulièrement.<br />
Quand on repasse les reportages sur 68 ou même<br />
sur 36, on se rend compte qu'il y a une espèce de récurrence<br />
incroyable : les gens ne veulent pas faire <strong>des</strong><br />
trucs d’idiots, ils ne veulent pas faire n'importe quoi, ils<br />
ne veulent pas être <strong>des</strong> robots, ils veulent avoir la sensation<br />
d'exister, avoir une entité qui soit probante dans<br />
tous les rapports qu'ils entretiennent avec les autres. Je<br />
pense qu'il est en train de se préparer quelque chose de<br />
nouveau et que cette chose, c'est “do it !”, c'est-à-dire<br />
que ce n'est pas l'État qui va nous le filer. Est-ce que l'on<br />
doit pousser pour obtenir une subvention pour faire de<br />
la subversion… Par nature, évidemment, non. L'État et<br />
les collectivités, ce n'est pas dans leur nature, ce ne<br />
s e ra jamais possible ! Il n'y aura jamais du fric pour que<br />
l'on fasse de la subversion. Je crois donc qu'il y a là une<br />
malice citoyenne qui est de se re n d re compte que ce ne<br />
sont pas les États qui sont les mieux placés pour faire<br />
l ' E u rope ni pour faire une relation entre l'Europe et la<br />
M é d i t e r ranée mais c'est nous. Nous les gens. Et le plus<br />
dingue c'est que l'histoire le prouve à chaque fois : une<br />
fois qu'on l'aura fait, et bien l'État suivra, les<br />
institutions se modifiero n t .<br />
Alain Leprest : E t re révolutionnaire aujourd ' h u i ,<br />
ce n'est pas de se battre pour institutionnaliser<br />
les artistes et les faire re n t rer dans le moule… On leur<br />
re n t re dedans mais on reste toujours au dehors …<br />
Jean Djemad : Et puis nous, on le fait, c'est tout !<br />
Parfois, on ne sait même pas pourquoi ! On sait qu'on<br />
est obligé de le faire, on ne sait pas si c'est bien, on ne<br />
sait pas si cela va plaire mais on le fait. À partir du<br />
moment où nous sommes constitués, qu'une parole circule<br />
entre nous, que nous arrivons à poser trois ou<br />
q u a t re <strong>actes</strong> avec quelques mouvements, à se sentir<br />
h e u reux de l'avoir bien fait, il y a une deuxième période<br />
qui est celle où l'on va donner à voir, à sentir, etc.<br />
Le danseur de hip-hop n'a pas envie de se faire valoir<br />
a i l l e u rs que dans son cercle pour la seule valeur de son<br />
identité au sein de ce cercle. Ce n'est pas du tout la<br />
même démarche que d'aller sur une scène. Quand cette<br />
conscience du monde extérieur social commence à être<br />
v raiment efficace, il y a un engagement politique au<br />
sens du travail dans la cité qui, lui, est de plus en plus<br />
conscient chez l'artiste. Celui-ci sent qu'il fait partie<br />
d'un tout qui transforme <strong>des</strong> choses. Est-ce que c'est<br />
important pour lui de savoir ce qu'il transforme, comment<br />
il le transforme ? Je ne pense pas mais je pense<br />
que c'est intéressant pour lui en tant que citoyen de se<br />
poser la question à ce titre, mais quand il est là en tant<br />
qu'artiste, je pense que ce n'est pas la question.<br />
Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 de<br />
Grasse : Je suis à peu près d'accord avec l'essentiel de<br />
ce que dit Jean Djemad sauf sur un point qui me fait<br />
violemment réagir. Quand tu dis que ce n'est pas<br />
l'État qui va financer la subversion, je ne peux pas être<br />
d ' a c c o rd avec cela.<br />
Alain Leprest : Druon disait : “On ne peut pas avoir le<br />
cocktail Molotov dans le dos et puis tendre la sébile".<br />
Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 de<br />
Grasse : Si nous sommes tous d'accord, y compris les<br />
artistes, sur le fait que si le pouvoir politique - quel qu'il<br />
8 1
8 2<br />
soit : politique, national, régional, départemental,<br />
municipal - peut confisquer le pouvoir totalement,<br />
c'est comme cela que nous arrivons à parler de la<br />
f e r m e t u re de la MJC du Havre. Si l'État, le pouvoir de<br />
m a n i è re générale,<br />
ne peut<br />
pas accepter<br />
l'idée d'une<br />
e x p ression, du<br />
f i n a n c e m e n t<br />
d'une expression différente, y compris subversive, il<br />
n'y a plus rien de possible.<br />
Si l'État ne peut pas accepter l'idée<br />
d'une expression différente,<br />
y compris subversive, il n'y a plus<br />
rien de possible<br />
Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière -<br />
St Herblain : J’ai été directeur de la MJC du Havre pendant<br />
11 ans. Quand on a passé du temps dans cette ville,<br />
on sait qu'on y a été et on sait pourquoi. En 1995, je me<br />
suis fait dire que j'avais peut-être fait un pas de trop en<br />
disant publiquement qu’au Havre, la culture, c'était la<br />
gauche et pas la droite. Il y a eu un concert sur la place<br />
de l'Hôtel de Ville avec Bob pour fêter ses 20 ans de carr<br />
i è re. Comme d'habitude, Bob est monté sur scène et<br />
puis il a dit : “Bonjour Le Havre !". Je l'avais déjà<br />
entendu dire cela plusieurs fois mais cette fois-là j'ai difficilement<br />
avalé ma salive. Bob, tu le savais, c'était le dernier<br />
bonjour qui te faisait plaisir… Bob dit aujourd’hui : “la<br />
MJC se rend”. Je pense effectivement qu'elle se rend. J'en<br />
suis même sûr parce qu’au mois de mai 1996, j'ai décidé<br />
de partir. Donc, pour commencer, je me suis rendu moi. Je<br />
ne voulais pas devenir fou.<br />
Comment fait maintenant la MJC du Havre pour<br />
faire “Do it !" ? Elle ne peut pas le faire parce qu'il y a un<br />
chantage qui fonctionne et qui est le suivant : “Vous êtes<br />
<strong>des</strong> ringards, vous êtes dans une situation financière<br />
lamentable mes pauvres chéris !". C'est ce que dit la collectivité<br />
locale qui en deux ans a enlevé 500 000 francs de<br />
subventions. Le président de la MJC qui, par ailleurs est<br />
quelqu'un de définitivement respectable, dit : “Il y a une<br />
équipe, il y a <strong>des</strong> gens qui travaillent, je ne veux pas<br />
les laisser dans la mouise…" Ce à quoi la ville répond :<br />
“Mais bien sûr ! On va recycler tout ce joli monde…".<br />
Tout le joli monde va donc être recyclé. Comment est-ce<br />
que l'on continue de travailler le paradoxe sur l'argent<br />
public pour que la société civile avec les artistes disent à<br />
l'État et à la République : “Vous ne croyez pas que vous<br />
faites n’importe quoi ?…"<br />
Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />
Il n'y a pas de raison pour que <strong>des</strong> financements soient<br />
attribués à l'Opéra et pas pour les autres musiques. Quant<br />
à la rentabilité sociale qui nous colle à la peau par rapport<br />
à ces actions dites à caractère artistique, il faud rait affirmer<br />
que ces actions risq u e n t<br />
d'avoir <strong>des</strong> conséquences s o c i a l e s .<br />
Elles risquent de permettre aux<br />
gens, éventuellement, de se poser<br />
<strong>des</strong> questions par eux-mêmes sans<br />
qu'il y ait quelqu'un qui aille leur<br />
poser. Cela paraît tellement évident.<br />
Donc je crois qu'il nous faut<br />
pratiquer la délinquance institutionnelle.<br />
Reste à savoir comment<br />
on se débrouille de cela. Depuis 15<br />
ans, nous disons que nous sommes<br />
petits, que nous ne cherc h o n s<br />
aucune légitimité, aucune reconnaissance<br />
! Finalement, nous arrivons<br />
à avoir de l’argent sur <strong>des</strong><br />
actions. Mais nous sommes un peu<br />
seuls. Ce que j'attends de <strong>rencontres</strong><br />
comme celles-ci, c'est que<br />
nous puissions sortir d'un isolement<br />
mais pas en recommençant<br />
un autre isolement un peu plus<br />
large. Comment est-ce que tous<br />
les gens, dans le domaine de la<br />
musique ou autre, qui essaient de<br />
mener <strong>des</strong> aventures, peuvent se<br />
re n c o n t rer ? Pas automatiquement<br />
dans <strong>des</strong> <strong>rencontres</strong> institutionnelles.<br />
La FFMJC organise ce<br />
genre de débats mais il y a tellement<br />
d'autres structures, qui ne<br />
sont pas MJC, qui font <strong>des</strong> tas de<br />
choses et qui pourraient ressembler<br />
un peu à ce que beaucoup<br />
d ' e n t re nous font. Je suis un peu<br />
dans la militance, dans l'engagement<br />
poético-politique, donc<br />
professionnellement j'ai le sentiment<br />
que la proposition artistique<br />
est très politique et qu'elle est<br />
automatiquement subvers i v e .<br />
Automatiquement, par définition.<br />
Notre fonction, en tant qu’outil,<br />
c'est de construire non pas la subversion<br />
mais les outils de la subversion<br />
et dans le cas présent, les<br />
outils de la subversion pour<br />
d é f e n d re les expressions artistiques<br />
qui n'ont pas leur place.<br />
Jean Djemad : L'État a un rôle<br />
d'anticipation, d'accompagne-<br />
BURNING HEADS
8 3
8 4<br />
ment de l'ensemble <strong>des</strong> pratiques qui ont la capacité à<br />
t ransformer l'espace social et les individus. Mais il est<br />
nécessaire de ne pas avoir une vision de l'État qui soit<br />
l'État assistant, l'État à tout faire, l'État qui va pro d u i-<br />
re. L’État l'a joué parfois de manière “vitrine", pour ne<br />
pas dire propagandiste. <strong>Les</strong> effets ne sont pas là, les<br />
s u i v i s n'existent pas, on se rend bien compte que tout<br />
cela, c'est de l'esbroufe. <strong>Les</strong> re t a rds de financement, la<br />
valeur et les symboles qui sont mis derrière le fin a n c e-<br />
ment, c'est autant de subtils contrôles d'un pouvoir en<br />
place sur ceux qui n'ont pas ce pouvoir et qui pourtant<br />
ont la sensation d'avoir voté pour qu'on les re p r é s e n t e .<br />
Je me dis que placés là où nous sommes, il arrive un<br />
moment où il est fort utile de ne pas se placer vis-à-vis<br />
de l'État comme vis-à-vis d’une vache à lait. En tant<br />
qu'artiste représentant d'une compagnie, je n’ai pas un<br />
d i s c o u rs misérabiliste vis-à-vis <strong>des</strong> institutions. L'État<br />
n'a pas de parole ! <strong>Les</strong> collectivités n'ont pas de parole !<br />
N o t re représentation politique n'est pas en mesure<br />
d'avoir une parole aujourd'hui. Un individu, un politique,<br />
un élu, pris séparément en tant qu'individu<br />
- d'ailleurs la majorité d'entre eux, républicains, sont <strong>des</strong><br />
gens plutôt biens - est plutôt de parole mais en tant que<br />
représentant, non. Ils ne peuvent pas avoir de parole. Je<br />
p a rs du constat que l'État, tel qu'il se conçoit - capté par<br />
un certain nombre de gran<strong>des</strong> administrations qui re l è-<br />
vent d'une sorte de féodalité contemporaine faisant<br />
é c ran aux citoyens - n'a pas du tout le souci d'org a n i s e r<br />
ce qui va le re m e t t re en cause. Donc il ne faut pas focaliser<br />
notre discours sur l'État.<br />
Alain Leprest : Dans ma rue, les jeunes me lancent :<br />
“Salut chanteur !”. Je dis “Arrête ! Je ne suis pas chanteur,<br />
moi, je suis citoyen”. Un point c'est tout. On peut<br />
parfois aussi sortir, aérer les centres culturels, je ne nie pas<br />
leur nécessité mais je dis aussi qu'il faut que les chanteurs<br />
ne restent pas que dans les centres culturels mais qu'ils<br />
<strong>des</strong>cendent aussi sur le trottoir et qu'ils se mêlent à la<br />
foule et qu'elle se mêle à eux et que les artistes se mêlent<br />
aux gens et participent à la vie de la cité.<br />
Michel Frédéric, musicien et animateur MJC<br />
d ' Évreux : Je suis à la fois dans un monde artistique, je<br />
suis musicien d'un groupe qui tourne et qui enre g i s t re ,<br />
et, depuis 25 ans, je suis dans le monde associatif, je suis<br />
dans le monde <strong>des</strong> MJC ou <strong>des</strong> associations d'éducation<br />
p o p u l a i re. Je n'ai jamais vraiment voulu séparer les deux<br />
et la mission que j'ai au sein de la MJC d'Évreux est une<br />
mission de transmission d'enseignement, de pédagogie. Il<br />
existe plusieurs outils pour travailler sur la citoyenneté<br />
que les artistes, que tous les êtres humains, peuvent avoir<br />
en eux pour favoriser la liberté, la citoyenneté, le dro i t<br />
de parole. Ma situation d'artiste doit être sans cesse<br />
transmise. Je suis d'une culture musicale qui est issue de<br />
la musique traditionnelle, on l'appellera musique folklorique,<br />
et l'essence même de ces musiques de tradition, ces<br />
musiques populaires, était de tra nsmettre, d'échanger. Au<br />
fond, il n'y avait sans doute pas d'âme dans ce que pouvait<br />
réaliser le musicien s’il n'était pas question de tra nsmission<br />
et d'échange permanent. Au même titre qu'un<br />
enseignant dans une cité en difficulté va pre ndre du<br />
temps et s'arracher les cheveux pour arriver à appre ndre<br />
à lire à un enfant en ayant conscience que lui permettre<br />
de lire et d'écrire, c'est le re ndre libre ; en enseignant mon<br />
instrument auprès <strong>des</strong> jeunes enfants, je peux peut-être<br />
concourir à les re ndre libres, à les re ndre citoyens du<br />
monde. Ils vont peut-être s'emparer de merveilleux outils<br />
de communication que sont le chant ou l'instrument ou<br />
la musique en général et vont peut-être tra nsmettre à<br />
leur tour.<br />
L'idée est surtout de dire qu’une façon de faire que<br />
les hommes soient libres, c'est de leur redonner la capacité<br />
de se réaliser et de revendiquer sans cesse. Au fond, l'État<br />
c'est un peu nous, même si parfois le truchement <strong>des</strong><br />
élections dans les conseils régionaux font qu'on élit un<br />
socialiste et qu’on a un président du Front National.<br />
Puisque l'État donne de l'argent à <strong>des</strong> ministères pour<br />
qu'il y ait un enseignement de la lecture, c'est quelque<br />
part re c o n n a î t re que l'on peut donner de l'argent pour<br />
devenir <strong>des</strong> revendicatifs, <strong>des</strong> révolutionnaires puisqu'on<br />
a p p re n d ra à lire. L'État ne peut pas éviter de donner<br />
de l'argent aux gens pour qu’ils s'interrogent, et ensuite<br />
interrogent<br />
ceux qui<br />
ont donné l’argent.<br />
Cela fait<br />
partie d'une politique<br />
intelligente et globale. Je suis très fier d'appartenir<br />
aux MJC, je suis très fier de pouvoir continuer ma<br />
musique sur scène et d'enseigner dans les MJC et je suis<br />
d'autant plus fier aujourd'hui que les MJC, et d'autre s<br />
associations sûrement aussi, sont vigilantes pour se<br />
re n d re compte qu'il y a danger sur la liberté et la<br />
citoyenneté. Je me souviens, il y a quelques années, de<br />
musiciens qui pour se moquer disaient : “Ah ! U ntel<br />
fait encore sa énième tournée mondiale <strong>des</strong> MJC !". J e<br />
souhaite aujourd'hui qu'il y ait <strong>des</strong> artistes qui fra p p e n t<br />
aux portes pour dire : “Vivement que je fasse une tournée<br />
dans ces maisons-là !".<br />
L'État ne peut pas éviter de<br />
donner de l'argent aux gens pour<br />
qu’ils s'interro g e n t<br />
David Leyondre - Ultim Power : Nous sommes nés en<br />
1990, nous sommes une bande de copains d'une cité de<br />
Nantes et nous avons fait <strong>des</strong> petits concerts dans les<br />
Maisons de Quartiers, dans les MJC et ensuite, en 1993,
nous avons créé notre pro p re association. Mais, nous<br />
nous sommes un peu plantés parce que nous n'avions<br />
pas de suivi et nous étions un peu jeunes. Pour nous, une<br />
association, c'était le moyen de pouvoir faire une facture.<br />
Ce qui est important, c'est d'être accompagné, qu'il y<br />
ait <strong>des</strong> gens qui sachent ce qu'ils doivent faire et que<br />
l'artiste, en lui même, prenne conscience de tout cela.<br />
Nous sommes allés enre g i s t rer une cassette démo à la<br />
MJC de Rezé parce que comme tout groupe, pour tro u-<br />
ver <strong>des</strong> scènes, il faut un petit produit, faire parler de<br />
soi. Puis le Printemps de Bourges en 96 par la FFMJC,<br />
La citoyenneté ce n'est pas seulement aller voter,<br />
c'est aussi garder un œil critique sur la société<br />
cela a vraiment été <strong>des</strong> conditions professionnelles pour<br />
m e t t re en œuvre d'autres concerts.<br />
En termes de pédagogie, nous avons utilisé le<br />
support rap comme support pédagogique, pour perm<br />
e t t re aux jeunes de se “réapproprier" l'écrit. Le hiphop<br />
est tellement large qu'on ne peut plus le ra t t a c h e r<br />
aux milieux urbains, aux cités, à la “racaille”. Il y a <strong>des</strong><br />
jeunes de cité qui s'organisent et nous c'est un peu le<br />
message que l'on fait passer à tra v e rs nos stages. Nous<br />
faisons <strong>des</strong> ateliers d’écriture, <strong>des</strong> ateliers M.A.O., ce qui<br />
est vraiment valorisant pour nous. Nous n'avons pas<br />
l ' i m p ression de faire du vent parce que les jeunes re p a r-<br />
tent avec une composition, repartent avec un texte et<br />
repartent avec <strong>des</strong> idées. Nous transmettons notre<br />
conception du hip-hop. Comme le relate la vidéo sur<br />
Mantes-la-Jolie, le hip-hop est né sous le signe du re s-<br />
pect. Pour moi, la citoyenneté ce n'est pas seulement<br />
aller voter, c'est aussi garder un œil critique sur la<br />
s o c i é t é .<br />
Alain Leprest : C'est voter !<br />
David Leyondre - Ultim Power : C'est voter, c'est clair<br />
mais c'est aussi pouvoir garder un œil critique. A tra v e rs<br />
ces stages que nous organisons, les échanges m'ont<br />
beaucoup apporté. En fait, les jeunes nous apportent<br />
deux fois plus ! En gros, nous avons commencé en 1996<br />
par une année un peu confidentielle pour nous former<br />
par rapport à la pédagogie, tra n s m e t t re notre savoir. Et<br />
en 1997, nous avons touché une centaine de jeunes. Le<br />
hip-hop peut devenir un support pédagogique pour<br />
“réapproprier". C'est même parfois à la limite du thérapeutique.<br />
Au départ, notre champ d'intervention était<br />
dans les Maisons de Quartier, dans les MJC, et maintenant,<br />
cela s'est élargi et nous travaillons aujourd'hui sur<br />
<strong>des</strong> projets liés à la santé, la toxicomanie, les maisons<br />
d'arrêt... Nous ressentons la satisfaction personnelle de<br />
nous épanouir dans notre passion. La musique reste une<br />
passion. Nous ne disons pas aux jeunes qu’ils vont devenir<br />
<strong>des</strong> stars parce que, comme disait Little Bob, attention<br />
nous sommes 100 % underg round ! C'est-à-dire que<br />
nous gardons le côté hip-hop d'origine. Enfin, ce que<br />
nous appelons l'underg round, c'est en fait être autonomes.<br />
Je re g rette que dans le hip-hop, nous ne bénéficions<br />
presque uniquement que de financements sociaux.<br />
N o t re association “RAPAC ITÉ" a plusieurs objectifs.<br />
Il y a les stages, l'artistique, et le collectif. Nous<br />
re g roupons <strong>des</strong> danseurs - par exemple la compagnie<br />
HB2 - <strong>des</strong> gra f e u rs et <strong>des</strong> musiciens. En fait, nous<br />
utilisons tout le support hip-hop qui réunit ces<br />
t rois disciplines pour aller vers les jeunes mais surtout<br />
pas pour leur dire qu'ils vont être <strong>des</strong> stars .<br />
Au départ, c'est pour leur donner un moment de plaisir.<br />
Ensuite, c'est à eux de voir s’ils doivent s'accro c h e r.<br />
N o t re but est que les jeunes s'organisent. Donc, à<br />
chaque fois que nous voyons <strong>des</strong> jeunes, nous leur<br />
disons la façon dont nous avons évolué depuis 1990.<br />
Cela leur remet un peu les pieds sur terre, loin de tout<br />
ce star système. Il ne faut pas se leurrer : il y a en Fra n c e<br />
7 groupes de rap qui s'en sortent et pourtant il y a une<br />
panoplie de groupes de rap. Ce qui est important, c'est<br />
que les jeunes ensuite puissent échanger. Demain à<br />
Nantes, nous organisons toute une journée hip-hop et<br />
ce sont tous nos stagiaires de France qui se réunissent et<br />
qui jouent. Imaginez la richesse de cette journée ! Enfin ,<br />
le plus valorisant pour moi, dans ce travail, c'est d'arriver<br />
à quelque chose de concret et d'arrêter de pro p o s e r<br />
du vent parce que les jeunes, ils en ont marre du vent.<br />
Là, on leur donne le support pour travailler et après c'est<br />
à eux de s'org a n i s e r, c'est à eux de faire <strong>des</strong> budgets.<br />
Bien sûr, c'est aussi aux animateurs de les accompagner,<br />
mais les jeunes doivent arrêter de tout attendre .<br />
Alain Leprest : C'est formidable ce que tu viens de dire !<br />
Pour ma part, ce sont <strong>des</strong> ateliers d'écriture tout à fait d’un<br />
autre genre, ludiques ou parfois payés ou payants. Ce que<br />
j'ai retenu, c'est que j'avais le sentiment de recevoir plus<br />
que l'on donne ! Nous sommes <strong>des</strong> pilleurs, <strong>des</strong> voleurs !<br />
Jean Djemad : Absolument, c'est vrai que cela nous<br />
apporte plus que ce que nous leur apportons. Et par<br />
extension de cela, ayant observé durant toutes ces<br />
années l'ensemble du circuit culturel français et européen,<br />
je me suis rendu compte d'une chose, c'est que<br />
partout - et c'est là sans doute l'intérêt de son rôle -<br />
l’artiste est capable d'être cette personne qui fait<br />
l'échange humain. Dans ce sens, il existe les réseaux<br />
d'échange par le savoir, ce sont <strong>des</strong> endroits où véritablement<br />
il se construit quelque chose. Il est intére s s a n t<br />
8 5
de voir par exemple de quelle manière l'école est re m i s e<br />
en cause. Dans les années 80, on a vu arriver dans le<br />
mouvement hip-hop <strong>des</strong> gens qui étaient en échec scol<br />
a i re, <strong>des</strong> gens doués en général, qui auraient aussi pu<br />
l ' ê t re à l'école, c'est évident. Mais ils n'y sont pas allés<br />
pour <strong>des</strong> tas de raisons. On peut effectivement re pérer<br />
<strong>des</strong> handicaps qui sont <strong>des</strong> manques de re p è res sociaux,<br />
b ref <strong>des</strong> choses qui ne sont pas <strong>des</strong> choses idiotes à<br />
c o n s t a t e r.<br />
Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux -<br />
Avignon : À quoi l’artiste peut-il être utile dans ce dont<br />
nous parlons ? Tout simplement, il a un savoir-faire mais<br />
on ne peut pas dire qu'il sent plus, qu'il sent moins que le<br />
jeune qui tient les murs. Lui, il sait faire. C'est ce savoirfaire-là<br />
qui devrait nous intére sser. C'est comme cela que<br />
nous avons essayé de fonctionner. Nous n’avons pas à<br />
demander à l’artiste d'être l'animateur. Nous sommes de<br />
plus en plus gênés avec le concept de l'animation parc e<br />
que cela me semble une attitude assez résignée. Alors, la<br />
création, pour qui, pour quoi ? Est-ce que l'on peut dire à<br />
tout moment que tel groupe est prêt à se présenter<br />
devant n'importe qui ? Il me semble bien que tout le<br />
monde n'est pas artiste, mais qu'il y a <strong>des</strong> artistes qui ont<br />
du savoir-faire. Dans certains pays, les musiciens n'existent<br />
pas. Dans le sud-est asiatique, ce sont <strong>des</strong> faiseurs de<br />
musique. Nous pouvons revendiquer <strong>des</strong> intervenants<br />
artistiques qui aient du savoir-faire mais qui ne soient<br />
plus dans “l'exceptionnalité". C'est un combat qui me<br />
semble maintenant indispensable et sans chercher une<br />
autre légitimité que la nôtre. <strong>Les</strong> quartiers sont <strong>des</strong> labora<br />
toires pour le futur. Enfin, nous sommes quelques-uns à<br />
Dans certains pays, les musiciens n'existent pas. Dans le<br />
sud-est asiatique, ce sont <strong>des</strong> faiseurs de musique<br />
le penser. C'est là où - et je m'adresse aux artistes - que<br />
se pose la vraie fonction sociale de l'art. C'est là qu'il y a<br />
les obstacles. L'artiste va s'en pre ndre plein la gueule et<br />
s’il ne tient pas : qu'il crève !<br />
Jean Djemad : A la question du pourquoi pas de fin ancement<br />
culturel, je voudrais apporter, à la lueur de ma<br />
propre expérience, deux réponses. La pre mière, c'est que<br />
cela tient d'abord aux hommes, il suffit qu'un D.R.A.C. soit<br />
fondu de ce que tu fais pour que cela se débloque. C'est<br />
arrivé pour nous, mais cela ne veut pas pour autant dire<br />
que son ministère et tous les gens qui bossent avec lui<br />
vont suivre, mais cela compte. C'est pareil pour le contact<br />
que l'on peut avoir avec un animateur dans une MJC ou<br />
avec un instituteur dans une école, il est prépondéra nt.<br />
Cela passe par le contact entre deux individus. J'ai re marqué<br />
une chose, c'est souvent leur réponse. Leurs budgets<br />
ne sont pas extensibles et, en fait, ils se re trouvent souvent<br />
dans <strong>des</strong> logiques de chaises musicales. C'est-à-dire<br />
qu'ils financent depuis <strong>des</strong> années un certain nombre<br />
d'artistes qu'il est tout à fait légitime de financer et<br />
lorsque d'autres artistes arrivent, il n'y a plus d’argent. Si<br />
on donne aux nouveaux, on prend aux anciens et la plupart<br />
<strong>des</strong> gens de ce milieu, qui souvent sont très honnêtes,<br />
nous expliquent les limites de ce que l'État leur offre<br />
comme possibilité de développer <strong>des</strong> actions. Il faut donc<br />
poser la question à tra vers notre vote, à tra vers notre<br />
engagement, à <strong>des</strong> gens qui ont peut-être mis plus sur la<br />
culture, plus un terme de propagande, de loisir qu'un<br />
terme de développement de la personne humaine.<br />
Alain Leboucher, coordinateur MJC de Mouy (60) :<br />
Je suis un formateur et un diffuseur. Aujourd’hui, une<br />
g rosse erreur sur l'avenir est en train d’être commise par<br />
de nombreux partenaires institutionnels. Il existe une<br />
politique dont l'objectif est uniquement la formation. Je<br />
ne suis absolument pas d'accord parce que l'artiste aura<br />
t o u j o u rs le droit de s'exprimer. Ve rser l'argent uniquement<br />
dans les formations, je trouve cela très grave parc e<br />
que cela ne permettra certainement pas à beaucoup<br />
d'artistes de pouvoir s'exprimer, de pouvoir vivre un<br />
minimum de ce qu'ils sont capables de présenter. Nous<br />
devons nous poser la question de savoir si nous sommes<br />
là uniquement pour former <strong>des</strong> gens au même titre que<br />
pour d'autres métiers, point. On nous coupe les ro b i n e t s<br />
de la diffusion dans l’Oise et c'est quelque chose de très<br />
g rave. Hier, nous avons appris la mort de cinq associations<br />
depuis le début de l'année, qui vont arrêter la diffusion<br />
parce qu'il n'y a plus aucune subvention<br />
qui est versée. La formation et la diffusion doivent<br />
exister ensemble. Si cela continue, il y aura<br />
cinq groupes de rap au niveau national, autant<br />
dans le rock et dans le jazz… et que fait-on avec le reste ?<br />
Bien entendu, on pourra toujours s'exprimer dans les<br />
MJC parce qu'il faut quand même re c o n n a î t re qu'elles<br />
ont toujours permis à tout le monde de s'exprimer.<br />
8 6<br />
Alain Leprest : Comme tous les artistes que nous<br />
sommes, nous ne sommes pas heureux de venir sur un<br />
plateau quand il y a 20 personnes dans la salle. Nous ne<br />
sommes pas contents parce que le professionnel, le lieu,<br />
la mairie, le service de communication n'ont pas fait<br />
leur travail non plus ou peut-être que nous n'avons pas<br />
un nom suffisamment alléchant et dans ce cas, c'est<br />
aussi de notre faute. D'un autre côté, il est tout à fait<br />
possible pour un artiste de constater qu'un lieu est<br />
accueillant. Pour telle association, tel lieu, je pra t i q u e<br />
un prix, comme Bob pratique aussi un prix parce que
nous savons que l’organisateur fait bien son boulot. Je<br />
ne vais pas au cachet pour le cachet.<br />
Je fais partie de ceux qui se sont déplacés dans<br />
<strong>des</strong> petits lieux avec <strong>des</strong> personnes du Ministère de la<br />
Culture sur les recommandations de Madame Trautmann.<br />
Nous nous sommes aperçus qu'il n'y a aucune solution.<br />
C ' e s t - à - d i re que lorsque vous êtes artiste à Paris et que<br />
vous allez chanter dans une salle de 300 personnes à<br />
Avignon par exemple, avec 4 ou 5 musiciens : tout est<br />
bouffé ! <strong>Les</strong> solutions que nous pouvons apporter sont<br />
de faire un “billet-train" comme on fait un “billetrest<br />
aurant" pour tous les musiciens, et puis ainsi de<br />
suite. Essayer<br />
de réglementer<br />
à seule fin que<br />
l'on puisse présenter<br />
un contrat de spectacle, sinon les chanteurs de<br />
Paris ne peuvent plus aller en province et les chanteurs<br />
de province ne peuvent plus aller à Paris. Je pense que<br />
les artistes et professionnels du spectacle que vous êtes<br />
doivent penser à toutes ces choses-là.<br />
C'est extra o rd i n a i re à quel point notre métier<br />
n'est pas structuré. Lorsque nous avons eu l'autorisation<br />
de cette pre m i è re re n c o n t re avec Catherine Tra u t m a n n ,<br />
avec <strong>des</strong> petits lieux qui n'étaient pas structurés entre<br />
eux, d'abord parce qu'ils ne fonctionnent pas tous sur<br />
les même mo<strong>des</strong>. Nous avons vu l'un <strong>des</strong> attachés de<br />
cabinet, spécialisé dans la chanson française. Au bout<br />
d'une heure il nous a dit que ce que nous lui ra c o n t i o n s<br />
était très intéressant mais qu’il se demandait d'où nous<br />
parlions et qui nous étions. Il est très difficile de se présenter<br />
dans un Ministère sans représenter rien du tout !<br />
Nous n'étions, en définitive, que <strong>des</strong> personnes individuelles<br />
et c'est l'attaché du Ministère qui nous dit - la<br />
honte de ma vie pour moi qui suis fils de syndiqué ! -<br />
que le Ministère ne reçoit que <strong>des</strong> syndicats, que <strong>des</strong><br />
gens organisés. Maintenant, nous nous organisons, nous<br />
allons essayer de fédére r, cela s'appelle la Fédération <strong>des</strong><br />
Petits Lieux. Évidemment, cela représente <strong>des</strong> ai<strong>des</strong><br />
importantes puisqu'il y a les Maisons de la Culture et<br />
tous ces réseaux et il y a aussi les petits lieux qui fonctionnent<br />
et qui boitent.<br />
Il faut créer un immense mouvement pour faire<br />
plier certaines règles fin a n c i è res qui pèsent sur vos lieux<br />
à vous et qui pèsent sur nous. Quand je viens pour un<br />
concert avec sept musiciens, je paie <strong>des</strong> charges. C'est<br />
très cher et cela veut dire que si je viens chanter ici, en<br />
comptant les places comme tout à l'heure, je dis que si<br />
cela ne passe pas à cent francs la place - et vous ne la<br />
f e rez pas à cent francs parce que j'ai horreur <strong>des</strong> places<br />
à ce prix - donc je suis dans le bouillon. Il faut que l'on<br />
se démène tous ensemble. Il y a bien les pilotes d'avion<br />
C'est extra o rd i n a i re à quel point<br />
n o t re métier n'est pas structuré<br />
qui font la grève, faites la grève aussi ! La grève du son,<br />
vous verrez ! Grève du son à la radio, grève du son dans<br />
l ' a s c e n s e u r, grève du son au carre f o u r, pas un son, pas<br />
un bruit, même pas Little Bob ! Une journée sans<br />
musique, une vraie grève !<br />
Little Bob : Je sors d'une tournée où nous avons joué sur<br />
<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> et <strong>des</strong> petites scènes. Si nous avons pu le faire<br />
c'est parce que nous pratiquons <strong>des</strong> prix adaptés. Comme<br />
nous avons fait 45 concerts dans toute la France, nous<br />
avons fait <strong>des</strong> prix en conséquence. Nous, musiciens, avons<br />
besoin <strong>des</strong> petits lieux et <strong>des</strong> MJC. Vous êtes les seuls à<br />
pouvoir faire passer <strong>des</strong> artistes comme nous et <strong>des</strong> gens<br />
qui ne passent pas forcément tous les jours en télé ! Donc,<br />
je pense que c'est aussi votre devoir de faire re ncontrer les<br />
publics de votre quartier, de là où vous êtes, <strong>des</strong> gens qui ne<br />
passent pas forcément en télé ou en radio. Ce que nous<br />
donnons est différent, a une certaine pureté, une certaine<br />
qualité. S’ils veulent voir <strong>des</strong> artistes qui passent sur les<br />
on<strong>des</strong> et sur les chaînes, ils iront les voir dans la salle de<br />
spectacle de la ville mais c'est à vous, c'est votre devoir de<br />
faire passer <strong>des</strong> musiciens, <strong>des</strong> danseurs, <strong>des</strong> chanteurs, du<br />
théâtre, du café-théâtre, et de faire que vos lieux soient<br />
aussi <strong>des</strong> lieux de diffusion. Ne l'oubliez pas, car si c'est très<br />
bien d'animer et d'appre ndre, il faut aussi faire de la diffusion<br />
pour que <strong>des</strong> gens comme nous puissent se pro duire<br />
sur scène et montrer ce que nous savons faire. Ce que nous<br />
proposons est, en général, largement aussi bien fait, sinon<br />
mieux, que les gens qui sont très poussés par les médias.<br />
Jean Djemad : Quand par exemple on utilise le mot<br />
éducation, cela sonne comme une espèce de centre<br />
unique d'un savoir “c athédralesque", vertical, pyra m i d a l<br />
v e rs quelque chose qui est autre chose d'inconsidéré, de<br />
même pas re p é rable dans un ministère. Par ailleurs, je<br />
pense que l’individuel compte autant que le collectif. Je<br />
p r é f è re parler “d'inter-individuel", c'est-à-dire cette<br />
capacité que l'on a, à la fois, d'être dans le respect d'un<br />
individu à l'autre tout en ayant, en même temps, cette<br />
capacité développée vers un maximum de gens. La sensation<br />
que l'on a lorsque l'on se sent bien parmi les<br />
a u t res, de mieux en mieux parmi de plus en plus<br />
d ' a u t res. Cette sensation, elle ne se fait que de pro c h e<br />
en proche finalement. La sensation d'avoir affaire à une<br />
masse, pour moi, c'est quelque chose qui me paraît ne<br />
rien avoir résolu. Si on dit que le rapeur prend le micro<br />
p a rce qu'il a un droit d'expression, c'est faux ! Le ra p e u r<br />
p rend un micro, il prend son droit d'expression et, tôt ou<br />
t a rd, il va se re n d re compte qu'il a un dro i t .<br />
J'ai la sensation d'offrir de la connaissance, de<br />
l'accès à la connaissance d'une manière qui me para î t<br />
bien plus efficace que l’école. Je ne dis évidemment pas<br />
8 7
8 8<br />
qu'il ne faut pas qu'il y ait accès à la connaissance. Et<br />
pour moi, il n'y a pas de confusion entre le terme “éducation"<br />
et le terme “connaissance". Je suis pers u a d é<br />
qu'il faut qu'on ait accès à la connaissance, je suis même<br />
Le métier artistique est un métier qui s'apprend, qui a<br />
une pédagogie et une discipline<br />
complètement persuadé qu'il n'y a pas qu'à l'école que<br />
c'est possible. Ce qui n'est pas une manière de m'asseoir<br />
sur les profs à qui je dois tout ! Mais je préfère que l'on<br />
dise “a pprendre". Il faudrait tenter de se mettre dans<br />
<strong>des</strong> processus où le professeur est un peu moins sacré,<br />
un peu plus humain et l'individu qui est en face de lui,<br />
il est moins à éduquer et capable aussi d'éduquer l'autre .<br />
Fernand Estèves : Educateur est un terme qui est en<br />
réflexion à l'heure actuelle au sein même de notre fédération.<br />
Est-ce encore d'actualité dans une fédération d'éducation<br />
populaire défendant l’idée d’éducation permanente ?<br />
Est-ce encore d'actualité dans l’ensemble <strong>des</strong> associations<br />
d’éducation populaire ? Je le pense, je défends ce concept,<br />
au moins d’un point de vue sémantique. Je crois que<br />
lorsque <strong>des</strong> personnes effectuent un travail éducatif, il<br />
faut savoir le nommer en tant que tel. Je trouve d’ailleurs<br />
qu'on a un petit peu trop tendance à mettre à la trappe un<br />
processus qui a été validé par nombre de théories et de<br />
pratiques. L'éducation, cela signifie quelque chose et si<br />
nous sommes <strong>des</strong> associations d'éducation populaire, c'est<br />
que “éducation" et “populaire", cela veut dire quelque<br />
chose, qui plus est quand on les associe.<br />
Jean Djemad : L'éducation populaire, c'est un terme qui<br />
est attaché à l'histoire. C’est quelque chose qui a sa validité,<br />
y compris très profondément dans la tradition mais<br />
ce n'est pas forcément négatif qu'elle sache se délester<br />
d'un certain nombre de termes qui peuvent être lourds et<br />
d i f ficiles à employer !<br />
Alain Leprest : Le métier artistique est un métier qui<br />
s ' a p p rend, qui a une pédagogie et une discipline. Et tu le<br />
sais très bien !<br />
Jean Djemad : Je ne dis pas le contra i re ! Je ne mets<br />
qu'un terme en cause et je ne parle pas de cette manière<br />
là avec <strong>des</strong> jeunes. Pour une raison simple : lorsque je<br />
suis avec <strong>des</strong> jeunes, je passe plus de temps à faire <strong>des</strong><br />
trucs qu'à en parler.<br />
Michel Frédéric, musicien et animateur MJC d'Évreux :<br />
Quelle grande prouesse <strong>des</strong> hommes, pensons à Jules<br />
F e r r y, d’avoir mis l'école à la portée de tout le monde. Le<br />
l i v re, la lecture et l'écriture offrent la liberté, le re s p e c t<br />
et la revendication. La question est de savoir si, dans le<br />
terme “éducation", il y a une part de révolution possible<br />
dans celui qui reçoit une information. Est-ce que l'éducation<br />
est seulement didactique ? Bob à côté de<br />
moi, me disait : “Mais bon dieu ! Si moi j'avais<br />
pu aller dans toutes ces écoles, peut-être que je<br />
chanterais en français aujourd'hui…". On se<br />
demande toujours comment faire en sorte que nous<br />
puissions être <strong>des</strong> citoyens libre s .<br />
Sylvie Gueye, animatrice MJC Agora - Nice : La gra n-<br />
de question que je me pose par rapport à l'éducation en<br />
tant que telle, c'est que “éduquer", c'est “former" d a n s<br />
le sens de donner une forme à quelqu'un. Cette forme<br />
débouche sur une sélection et je crois que c'est à ce<br />
niveau-là qu'est véritablement le débat. J'ai entendu une<br />
inspectrice de l'Éducation nationale de Z.E.P. dire :<br />
“Notre travail n'est pas d'éduquer, c'est de sélectionner."<br />
Cela veut bien dire ce que cela veut dire, et je cro i s<br />
que c'est à ce niveau-là que le terme peut heurter mais<br />
je crois que “former", en soit, ce n'est pas mauvais. Il<br />
faut faire très attention aux formes que l'on impose et<br />
ensuite à ce sur quoi cela peut déboucher au niveau de<br />
la sélection.<br />
Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière -<br />
St Herblain : Je réagis sur “former" p a rce que je fais<br />
partie de ceux qui ont participé à <strong>des</strong> séminaires avec le<br />
philosophe Luc Carton. Avec lui, nous avons tenté de<br />
v é r i fier que l'école avait une histoire et que la formation<br />
était peut-être le dernier moment de l'histoire de l'école.<br />
Ce que je crois, c'est que l'école dont rêve Alain Lepre s t ,<br />
c'est celle qui m'a formé, c'est celle de l'instruction, c'est<br />
celle de la science. Je crois que nous ne pouvons pas tenir<br />
le même discours à propos <strong>des</strong> musiques et à propos de<br />
l ' a s t rophysique par exemple.<br />
Alain Leprest : Nous chantons avec les pieds plantés sur<br />
scène, avec les mains en avant, pour dire <strong>des</strong> choses aux<br />
gens sans en avoir la certitude. Mais nous voulons les<br />
re transmettre. Il n'y a pas d'émotion sans mots, il n'y a<br />
pas d'émotion sans notes. Où les trouve-t-on ces émotions<br />
? Dans l'apprentissage. Une chanson, ce n'est pas<br />
g rand-chose, elle ne re n t re ra jamais à l'Académie<br />
F rançaise, ra s s u rez-vous ! Ils ne nous auront pas mais<br />
cela ne nous empêchera pas de leur faire lever les poils.<br />
Par ailleurs, la musique est une industrie monstrueuse.<br />
Avec tout l’argent prélevé en droits télé, en<br />
d roits radio… on devrait se mobiliser, faire une exposition<br />
de l'ensemble <strong>des</strong> métiers que génère l'industrie phonog<br />
raphique, même si on n'emploie plus ce terme aujour-
d'hui. Il y a beaucoup de métiers, beaucoup de gens qui<br />
t ravaillent de leurs mains pour que nos maigres voix nous<br />
permettent de vivre de ce métier.<br />
Michel Allenbach, chargé de missions nationales FFMJC<br />
Étu<strong>des</strong> - Recherche - Formation Institutionnelle : J ' a v a i s<br />
convenu de vous faire une proposition. C'est-à-dire à la<br />
fois de projeter avec vous une grille de lecture et peutê<br />
t re une modélisation théorique, à mon avis, assez<br />
poussée en ce qui concerne un type d'intervention dans<br />
l'ensemble <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture, donc<br />
les 650 mais peut-être aussi plus largement sur <strong>des</strong><br />
centaines de milliers d'associations en France. La question<br />
de la formation couvre l'ensemble <strong>des</strong> chantiers ,<br />
<strong>des</strong> contenus paradigmatiques d'un grand projet national<br />
d'éducation populaire. Nous travaillons aujourd ' h u i<br />
sur la “problématisation" de la relation entre savoir,<br />
s a v o i r - f a i re, savoir être, de ce qui est une politique, une<br />
p roblématique de transmission, d'enseignement, de formation,<br />
d'éducation. Ces problématiques sont donc inscrites<br />
dans les schèmes généraux sur lesquels je<br />
t ravaille. Nous<br />
avons mis en<br />
place un plan<br />
national de<br />
formation qui<br />
re p rend en<br />
quelque sorte <strong>des</strong> perspectives arrêtées dans leur production<br />
d'historicité pour parler de la FFMJC depuis 50<br />
ans. Aborder le statut de la culture, de sa production, de<br />
son énonciation et <strong>des</strong> capacités à travailler sur <strong>des</strong><br />
c h a n t i e rs populaires à l'aube du XXI e siècle conduit<br />
effectivement à ce que notre approche ne concerne pas<br />
que les dire c t e u rs. Elle concerne bien les 8 000 salariés<br />
<strong>des</strong> associations, soit en animateurs spécialisés, techniciens,<br />
enseignants, artistes, pro f e s s e u rs, pers o n n e l s<br />
a d m i n i s t ratifs et l'ensemble <strong>des</strong> bénévoles, administrat<br />
e u rs élus et aussi personnels politiques <strong>des</strong> collectivités<br />
publiques, collectivités territoriales au niveau local,<br />
au niveau départemental et régional.<br />
<strong>Les</strong> problématiques de formation mettent dans<br />
une perspective nouvelle, c'est-à-dire sur <strong>des</strong> pro jections<br />
à plusieurs années, un <strong>des</strong>sein national public autant<br />
que privé concernant l'avenir du statut de notre action<br />
collective, de notre projet et de la place de notre institution<br />
et du rôle <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />
C u l t u re. Le rôle institué aux Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />
C u l t u re doit être profondément remanié, pro f o n d é m e n t<br />
t ransformé. Donc, pour aborder <strong>des</strong> chantiers diffic i l e s<br />
où se travaille une dialectique qui renvoie très précisément<br />
à la difficulté de l'époque et <strong>des</strong> comportements,<br />
nous avons un travail de théorisation autant que de<br />
Aborder le statut de la culture,<br />
de sa production, de son énonciation<br />
et <strong>des</strong> capacités à travailler sur <strong>des</strong><br />
chantiers populaires<br />
mise en pratique en quelque sorte <strong>des</strong> chantiers d'expérimentations<br />
et de re c h e rches qui sont importants sur<br />
ces domaines. Nous faisons <strong>des</strong> propositions qui<br />
d e v raient associer l'ensemble <strong>des</strong> partenaires puisque la<br />
question d'un projet collectif de transformation sociale<br />
et d'émancipation de la personne sur la question complexe<br />
du statut de sa production culturelle et civique<br />
conduit à ce que nous travaillions désormais sur <strong>des</strong><br />
modèles nouveaux de collaboration. Nous étions très<br />
attachés, et nous le sommes encore, à un modèle de<br />
cogestion publique et interne. Cette cogestion doit être<br />
aussi remaniée dans son développement et dans ses pratiques.<br />
Nous sommes, effectivement, très attachés à<br />
re c h e rcher de nouveaux modèles d'interactions privées<br />
ou publiques entre les acteurs qui ont du pouvoir, entre<br />
les populations qui en ont moins, entre les jeunes qui<br />
t ravaillent à la question de leur identité et de leur statut<br />
et de leur positionnement global. ❙<br />
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9 0<br />
Si la musique peut être un moyen d’aller<br />
vers le politique ou, au contraire, de s’en extraire,<br />
le seul argument d’une hyper-musicalisation<br />
de la société ne suffit pas à expliquer une<br />
demande légitime de reconnaissance et de<br />
moyens accrus. Sans exclure la dimension de<br />
plaisir, proposer aux citoyens de comprendre le<br />
réel pour mieux le transformer suppose un minimum<br />
de pensée politique.<br />
L’État ne peut pas éviter de donner de l’argent<br />
pour que les citoyens s’interrogent. Au-delà de<br />
cadres étroits et normatifs, et d’une nécessaire<br />
concertation avec les collectivités territoriales,<br />
l’État doit remplir son rôle d’anticipation, d’incitation,<br />
de levier et de vigilance.<br />
Le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles semble<br />
représentatif d’une mutation de la réflexion en<br />
matière de politique éducative et culturelle. Mais<br />
de programmes trop spécifiques en dispositifs<br />
stigmatisants, les engagements <strong>des</strong> pouvoirs<br />
publics restent trop ponctuels. De nombreuses<br />
équipes - bénévoles et/ou professionnelles -<br />
continuent de défendre dans la précarité leurs<br />
lieux et leurs actions comme <strong>des</strong> espaces de<br />
liberté, de résistance, de contradiction et de<br />
délibération contre une certaine forme de poujadisme<br />
et contre l’idée d’une pacification<br />
sociale à bon compte.
Pour éviter que toute politique ne devienne<br />
qu’un catalogue de bonnes intentions, entendons<br />
que la culture n’est pas socialisante par nature et<br />
que consommer <strong>des</strong> produits culturels intelligents<br />
ne libère pas le citoyen. La culture divise par<br />
essence ; l’accompagnement <strong>des</strong> pratiques musicales<br />
peut permettre d’explorer ces divisions pour<br />
que se construisent les identités. Vouloir nier ces<br />
identités, ou du moins les processus d’identification,<br />
ne ferait qu’alimenter les oppositions<br />
entre populations subissant les mêmes réalités.<br />
C’est pourquoi il paraît aujourd’hui essentiel,<br />
tant pour les “artistes” que pour les “médiateurs”,<br />
de s’investir ou de se réinvestir sans exclusive avec<br />
ceux qui n’imaginent même plus que leur rapport<br />
au monde a encore une importance pour qui que<br />
ce soit. C’est bien dans la confrontation <strong>des</strong> intuitions<br />
et <strong>des</strong> analyses, entre citoyens d’une même<br />
République, que l’expression artistique peut encore<br />
vivre et se renouveler.<br />
L’actuelle rédaction de la Charte d’objectifs<br />
Ministère de la Culture / Conseil national d’éducation<br />
populaire (Conseil composé de huit fédérations et<br />
mouvements nationaux) nous offre <strong>des</strong> perspectives<br />
novatrices pour l’avenir. Espérons que les<br />
qualités dépasseront les préjugés.<br />
Enfin, puisque le Ministère de la Jeunesse et<br />
<strong>des</strong> Sports continue d’afficher sa volonté de<br />
mobiliser les intelligences <strong>des</strong> citoyens pour expliquer<br />
et influer sur les mutations de notre société,<br />
avançons que la musique peut permettre à chacun<br />
de se construire une autre représentation du<br />
monde à condition que les cadres de réflexion, de<br />
confrontation et d’expérimentation impliquent<br />
tous les acteurs.<br />
Mai 1999<br />
Fernand Estèves<br />
chargé de mission culture FFMJC<br />
Depuis les Rencontres d’Évreux, le rapport<br />
de la Commission nationale <strong>des</strong> musiques<br />
actuelles a été rendu public. <strong>Les</strong> réponses du<br />
Ministère de la Culture sont globalement cohérentes<br />
mais insuffisamment ambitieuses malgré<br />
une pression accrue par d’oppotunes Rencontres<br />
de la Fédurok à Nantes.<br />
Partout nous entendons que le temps de la<br />
verticalité <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’intervention et de la défense<br />
<strong>des</strong> pré-carrés est bel et bien révolu. Or la transversalité<br />
ne se décrète pas. En termes de médiation<br />
culturelle, la reconnaissance de la spécificité associative<br />
d’éducation populaire n’est toujours pas<br />
gagnée. Il nous faut donc continuer de saisir et de<br />
faire vivre ce que, par exemple, le Ministère de la<br />
Culture propose dans sa Charte <strong>des</strong> missions de service<br />
public pour le spectacle vivant : “...un large<br />
réseau de partenaires et de relais inscrits dans la vie<br />
professionnelle et associative, comprenant notam -<br />
ment le secteur socio-éducatif, doit être recherché,<br />
voire suscité”.<br />
Remerciements à tous les intervenants et participants,<br />
à Claude Le Berre et Philippe Bordier,<br />
à Jean-Marie Martin, Jean-Christophe Aplincourt,<br />
et à toute l’équipe de la MJC l’Abordage d’Évreux<br />
et du festival Rock dans tous ses États,<br />
à Michel Sagne, Antoine Bire, Dany Guillemot, Nicolas Lefort,<br />
et Jean-Dominique Scheer pour ses magnifiques photos<br />
du festival (contact : 06 60 23 50 68).