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Les actes des rencontres d'Evreux.pdf - Irma

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<strong>Les</strong> acTes<br />

Tables ron<strong>des</strong><br />

Enjeux et responsabilités<br />

du secteur associatif<br />

Franck Lepage<br />

Enjeux d’une politique culturelle<br />

Gilles Castagnac<br />

De nouveaux métiers ?<br />

Gaby Bizien<br />

L’artiste dans la cité<br />

Fernand Estèves


S o m m a i r e<br />

4<br />

Introduction<br />

MJC l’Abordage - Évreux<br />

8<br />

Introduction<br />

13<br />

3 3<br />

5 7<br />

77<br />

Tables ron<strong>des</strong><br />

Enjeux et responsabilités<br />

du secteur associatif Franck Lepage<br />

<strong>Les</strong> enjeux d’une politique culturelle<br />

Gilles Castagnac<br />

De nouveaux métiers ?<br />

Gaby Bizien<br />

L’artiste dans la cité<br />

Fernand Estèves<br />

3, 4<br />

et 5 juin 1998<br />

9 0<br />

Conclusion<br />

Conclusion et remerciements<br />

3


La MJC d’Évreux entame dans les années 80 un travail pionnier en matière de musiques<br />

actuelles. Elle épouse à l’époque un vent de jeunesse qui souffle sur l’hexagone sous le nom de ro ck<br />

alternatif. L’idée ne s’est pas enfantée elle-même. <strong>Les</strong> années 60/70 sont derrière : le rythm’n blues,<br />

le rock’n roll et le punk représentent un contexte dense.<br />

Le rock alternatif, plus qu’une direction esthétique précise, traduit un processus d’autonomisation<br />

(économique : autoproduction, distribution indépendante ; politique : revendication de<br />

lieux, de crédits publics, pro cédures de délégation ; esthétique : francophonie assumée). La Fra nce<br />

voit naître <strong>des</strong> labels, <strong>des</strong> lieux, <strong>des</strong> artistes, dans la proximité et la débro u i l l a rdise. La mouvance<br />

t rouve à Évreux comme dans d’autres villes (Po i t i e rs, Rennes, Toulouse) quelques oreilles ouvertes<br />

sur le futur.<br />

Le Bop Pub, café-concert de la MJC, après avoir accueilli 120 concerts en 4 ans se tra n s-<br />

forme en l’A b o rdage, à la faveur de la mission d’équipement <strong>des</strong> petits lieux. La Ville d’Évreux et<br />

le Ministère de la Culture financent son équipement et son aménagement au sous-sol de la salle<br />

omnisports en 1989. L’installation comporte en outre deux locaux de répétition. Pa ra l l è l e m e n t ,<br />

le Rock dans tous ses Etats marque l’année musicale hexagonale de sa présence pertinente et<br />

militante. <strong>Les</strong> festivals, au même titre que les salles, sont ra res.<br />

Comment se fait-il que l’initiative ait perduré ?<br />

Trois éléments locaux y contribuent :<br />

- le parti pris <strong>des</strong> musiques actuelles est assumé sur le long terme par le Conseil d’A d m i n i s t ra t i o n<br />

et la Direction de la MJC,<br />

- la volonté politique de maintenir le projet existe,<br />

- les recettes pro pres, comparées aux coûts de production minimisés, sont importantes.<br />

4<br />

L’A bordage s’installe dans ses murs au moment où la scène se recompose. <strong>Les</strong> Majors ont fin i<br />

par intégrer les nouvelles tendances et rationalisent le marché en le réétageant. De nouveaux courants<br />

comme la techno et le rap élargissent le spectre cependant que la production rock et pop<br />

nationale soutient mal la comparaison avec l’international.<br />

Le re flux est assez inévitable à l’échelle d’une ville moyenne. Si le rap et la techno<br />

s ’ i l l u s t rent dans les médias et focalisent de nouvelles revendications, le circuit n’est<br />

pas opérationnel et la mobilisation <strong>des</strong> publics reste très relative.<br />

La réinternationalisation de la scène est un problème. La France malgré l’étendue<br />

de son territoire est moins bien traitée que l’Europe du Nord par les agents internationaux.<br />

La concurrence devient favorable à quelques capitales régionales (Paris, Lille,<br />

Lyon, Marseille, Stra s b o u rg, Toulouse). De nouvelles collectivités s’intéressent aux<br />

musiques actuelles et dépassent la satisfaction d’une revendication pour donner lieu à<br />

une commande publique. Toutes ne re n c o n t rent pas la compétence nécessaire. Des modèles<br />

peu viables comme les cafés-musique voient parfois le jour. Mais dans plusieurs cas, il s’agit d’investissements<br />

très volontaires en équipement et fonctionnement qui re ncontrent un succès réel et<br />

ont valeur d’exemple.<br />

É v reux, mais aussi la Normandie tout entière font figure de parents pauvres dans ce New<br />

Deal. <strong>Les</strong> pratiques artistiques suivent à peu de choses près le même mouvement : période pro l i-<br />

fique et succès national de quelques leaders (Dogs, City Kids, Black Maria, Roadrunners, Little Bob)<br />

puis repli sur soi.<br />

Au milieu <strong>des</strong> années 1990, une config u ration plus favorable se présente. Le Ministère de la<br />

Culture intègre l’A bordage au sein du pro gramme SMAC (Scènes de Musiques Actuelles). La Région,<br />

par l’intermédiaire du C2R (Centre Régional du Rock et <strong>des</strong> Musiques Actuelles) amplifie son sou-


tien, le département de l’Eure intervient sur de nouveaux projets. Le renouveau de la chanson<br />

(Dominique A, Miossec, <strong>Les</strong> Têtes Rai<strong>des</strong>, Louise Attaque…) revitalise la scène française tandis que<br />

d ’ a u t res artistes et tendances continuent leur développement. A tel point que cette deuxième<br />

vague pourrait parfois assumer, sur le champ esthétique, la confrontation internationale. L’ éclatement<br />

du spectre musical, plutôt que l’unicité, laisse une place aux outsiders. Nouveaux artistes,<br />

nouveaux agents, réseau de diffusion plus dense, sont autant d’éléments favorables au ra ttrapage<br />

du “retard musical français”.<br />

[AU TWENTY TWO BAR] Dominique A.<br />

C'est dans ce cadre rénové que l’A bordage et le Rock dans tous ses États vivent une nouvelle<br />

jeunesse. Le nombre de concerts de la saison est multiplié par deux, voire trois. La fréquentation de<br />

la salle est en hausse. Elle passe de 2460 en 95-96 à 7488 en 97-98, soit une augmentation spectaculaire<br />

de 304 %. La fréquentation du festival passe de 3500 à 8000 spectateurs. Il s’installe en 97<br />

sur le site de l’Hippodrome de Navarre. <strong>Les</strong> genres abordés se divers i fient, comme les publics. Po p ,<br />

blues, chanson, rap, reggae, metal, techno, jungle, expérimentation industrielle, trip hop, funk,<br />

musiques traditionnelles et du monde, raï, country folk, punk et rock coexistent. <strong>Les</strong> lieux sont<br />

“habités”. <strong>Les</strong> niveaux de notoriété sont mixtes : amateurs locaux et régionaux, fig ures de l’underground,<br />

valeurs sûres de la scène nationale et internationale.<br />

<strong>Les</strong> publics sont éclectiques et se re n c o n t rent : les âges se répartissent entre 15 et 45 ans<br />

e n v i ron. <strong>Les</strong> spectateurs majoritaires sont les hommes (environ 60 %), bien que cette dominante<br />

tende à s’affaiblir. Le niveau d’étude comme les CSP restent mixtes. La provenance géogra p h i q u e<br />

manifeste à la fois un enracinement local et régional mais aussi un rayonnement fort (spécialement<br />

pour le festival). <strong>Les</strong> “c o n n a i s s e u rs” sont par définition <strong>des</strong> spectateurs plus fréquents à<br />

condition que l’offre ne se limite pas uniquement aux succès du jour. C’est le cas. Pour autant, il n’y<br />

a pas confiscation du lieu par une élite autoproclamée. Comme aux autos<br />

tamponneuses, il y a une place pour l’idiot du village. Un travail soutenu<br />

est produit en direction <strong>des</strong> collectivités constituées, ainsi qu’une<br />

politique d’abonnement.<br />

La tendance généra le<br />

est donc à la re connaissance<br />

du projet par les collectivités,<br />

les publics et les<br />

p rofessionnels. La diffusion<br />

s’accompagne de dispositifs<br />

connexes.<br />

L’A b o rdage hors les murs en<br />

est un exemple. Cette action, soutenue<br />

par le Ministère de la Culture, le<br />

département de l’Eure et par les villes de Bernay<br />

et Louviers, permet d’aller au devant <strong>des</strong> publics mais aussi de favoriser un développement local<br />

pluridimensionnel (divers ification de l’offre de spectacles, reconnaissance <strong>des</strong> pratiques amateurs ,<br />

articulation <strong>des</strong> interventions publiques...).<br />

Au même titre, la MJC est impliquée dans le suivi du projet Central Lab’ de l'ALM. Elle joue<br />

à l’égard de ce lieu dédié au hip hop un rôle de suivi en matière de contenu artistique et de re n-<br />

forcement de l’environnement professionnel de l’action.<br />

<strong>Les</strong> pratiques amateurs sont toujours d’actualité. <strong>Les</strong> locaux de répétition fonctionnent<br />

de longue date. Ils disposent d’un matériel de base et d’un traitement acoustique corre c t .<br />

Leur accès est possible six jours sur sept. Un collectif de management voit le jour et devra i t<br />

augmenter le potentiel de développement <strong>des</strong> groupes d’Évreux. <strong>Les</strong> musiciens locaux sont<br />

impliqués bénévolement dans le cadre de la saison et du festival. Le terrain est donc favorable<br />

en termes de filières de développement, de connections avec l’au-delà du local. Il re s t e<br />

5


à vérifier l’idée selon laquelle une diffusion de qualité suscite <strong>des</strong> vocations, enrichit et<br />

actualise le répertoire <strong>des</strong> amateurs en devenir ; ce qui ne devrait pas tard e r.<br />

Le festival doit faire l’objet d’un traitement à part. Deux éditions, re m a rquables autant du<br />

point de vue artistique que par leur fréquentation inédite en région, en ont fait un événement<br />

emblématique. Moment-re p è re dans l’année pour toute une génération, lieu d’authentification<br />

<strong>des</strong> carrières ascendantes en région, son avenir est pro m e t t e u r. Au même titre que Reading en<br />

A n g l e t e r re, il bénéficie de la proximité de la capitale, et donc d’une zone de chalandise importante.<br />

Son parti pris artistique volontairement actuel, la cohérence re c h e rchée de ses soirées<br />

constituent les bases d’une identité qui devrait s’affirmer davantage.<br />

[LONGUE ROUTE] The Young Gods<br />

6<br />

Il faut, pour anticiper notre histoire, revenir à ses fondements. L’idée de démocra t i e<br />

c u l t u relle a présidé à cette entreprise. La démocratie est ici entendue comme utopie et non<br />

comme réalité déduite. Il s’agit de l’expression contra d i c t o i re de positions construites. Cette<br />

utopie est née de l’insatisfaction, du refus d’une vision rigide de l’art et de la culture, et de la<br />

reconnaissance de la culture populaire. La lame de fond, qui porte aujourd’hui les musiques<br />

actuelles au centre <strong>des</strong> débats, y puise ses origines. Et la manière dont a été assumé ce<br />

c o u ra n tporte ses fruits. L’authenticité de la scène a été restaurée au détriment <strong>des</strong> carrière s<br />

uniquement médiatiques. <strong>Les</strong> critères d’appréciation <strong>des</strong> artistes ont évolué dans le sens de<br />

la reconnaissance du statut d’auteur, dans la nécessaire unicité de l’auteur-compositeurinterprète.<br />

Le statut d’amateur, méprisé pendant presque vingt ans, re s s u rgit comme vivier<br />

n é c e s s a i re, lieu d’un dialogue fécond. La re n c o n t re <strong>des</strong> publics entre eux, la constitution de<br />

nouveaux publics, l’augmentation de la pratique musicale qu’elle soit active ou réceptive,<br />

l’enrichissement esthétique <strong>des</strong> répertoires sont autant d’éléments vivants qui rénovent la<br />

pensée de la culture .<br />

Au nom de cette richesse, on peut considérer que les musiques actuelles participent de<br />

l’intérêt général au même titre que le théâtre, la littéra t u re, l’art lyrique et d’autres disciplines<br />

reconnues de longue date par les collectivités.<br />

Nous avons besoin pour assumer l’avenir d’une base de travail sereine. Cela passe par<br />

p l u s i e u rs priorités :<br />

- un fonctionnement plus équilibré qui permette de stabiliser un personnel trop précaire ,<br />

- une capacité de travail sur l’innovation sans obligation de retour sur investissement immédiat,<br />

- la disposition autonome d’un lieu dont l’accès pluriel pourrait être envisagé.<br />

Dans cette configuration, l’ambition est possible. On peut imaginer les nouveaux contours<br />

de ce pôle d’action : Pluriel, tra v e rsé par les bruissements de la planète, ouvert à l’expression et<br />

la re n c o n t re <strong>des</strong> publics, porteur de développement au cœur d’une région, capable de susciter<br />

<strong>des</strong> croisements entre différentes disciplines, d’accueillir <strong>des</strong> projets en résidence, de génére r<br />

<strong>des</strong> pratiques amateurs en prise directe sur l’actualité.<br />

L’A b o rdage doit demeurer le lieu de référence. Le départ <strong>des</strong> cinémas du centre - v i l l e<br />

d ’ Év reux, en raison de la construction d’un multiplex, est à prévoir dans un avenir très pro c h e .<br />

Ces locaux, difficiles à re c o n v e r t i r, sont soumis à <strong>des</strong> normes arc h i t e c t u rales strictes en cas de<br />

reconstruction. Il est probable, comme dans d’autres villes, qu’ils ne tro u v e ront pas de re p re n e u r<br />

avant longtemps. Étant donné qu’il est possible pour <strong>des</strong> frais limités d’adapter le REX à l’usage de<br />

salle de concerts, nous proposons l’acquisition par la ville de ce bâtiment et le co-fin a n c e m e n t d e<br />

son aménagement et de son équipement.<br />

Ce nouveau lieu dédié aux musiques actuelles aurait une fonction de diffusion proche<br />

de l’A b o rdage actuel, avec pour objectif la production d'une quarantaine de concerts par an<br />

dans <strong>des</strong> re g i s t res variés. La convivialité serait re c h e rchée au moyen d'un club ouvert avant et<br />

après les concerts, voire d’autres jours sur le mode <strong>des</strong> youth clubs anglais. <strong>Les</strong> pra t i q u e s<br />

a m a t e u rs y occuperaient une place importante dans un souci de continuité avec la diffusion.<br />

<strong>Les</strong> résidences y contribueraient. Différentes initiatives connexes pourraient voir le jour :


- l’accès au multimédia,<br />

- la diffusion de vidéos de création,<br />

- l ’ o rganisation de débats publics,<br />

- l’accueil tempora i re de projets culturels et économiques convergents : labels, management,<br />

d i s t r i b u t i o n ...<br />

Le festival pers é v é re rait dans son rôle d’événement porteur en assumant sa part de re n o u v e l l e-<br />

ment <strong>des</strong> références. Le parti pris de mettre à jour les écritures, de manifester la démarc h e<br />

d’auteur est déjà présent dans les choix actuels et constitue l’une <strong>des</strong> spécificités de l’opéra t i o n .<br />

Celui-ci pourrait être encouragé à mesure que la notoriété de l’initiative pro g re s s e .<br />

<strong>Les</strong> actions d’accompagnement territoriales telles l’A b o rdage hors les murs auraient pour<br />

vocation de densifier le réseau d’acteurs. Il est clair qu’une position insulaire n'est pas souhaitable.<br />

Au contra ire, la proximité, les relations entre les porteurs de projets, garantissent le progrès généra l<br />

plus qu’une concurrence négative. A cet égard, la Bretagne est un exemple très significatif.<br />

Dans le contexte de doute, d’entre-deux-époques qui nous caractérise, il y a lieu de ne pas<br />

penser l’art ou la culture comme <strong>des</strong> objets, <strong>des</strong> choses distantes, mais plutôt comme une re l a-<br />

tion, un terrain d’aventures sociales et esthétiques. Le rock et les musiques actuelles font partie<br />

i n t é g rante de notre paysage mental. Leur reconnaissance par les collectivités publiques a un sens<br />

p rofond. Sans nier le passé de l’action culturelle en France, cette reconnaissance marque le<br />

retour du sujet et une re - c o n s i d é ration de la culture populaire. Il ne s’agit plus d’une vision verticale,<br />

d’une division mais d’une recomposition attentive de la culture selon plusieurs sourc e s<br />

savantes et populaires sans que l’une <strong>des</strong> expressions n’exclue l’autre. ❙<br />

7<br />

EKOVA


8<br />

Fernand Estèves, chargé de mission culture FFMJC : Ces Rencontres se veulent entre acteurs d’un<br />

même secteur, celui de l’accompagnement <strong>des</strong> pratiques liées aux musiques actuelles, acteurs en<br />

quête d’une réflexion collective. Rencontres aussi entre tous ceux qui aiment tra nsgresser les séparations<br />

traditionnelles entre l’économique, le social et le culturel. Rencontres pour questionner une<br />

c u l t u re de tous. Rencontres e n t re analyses et partis pris diverg e n t s<br />

dans une volonté de confrontation constructive. Ces Rencontres doivent<br />

aussi se situer au-delà <strong>des</strong> statuts et <strong>des</strong> conventions, et je note<br />

avec plaisir, pour les MJC qui ont fait le déplacement, la présence<br />

d’administrateurs qui côtoient <strong>des</strong> dire cteurs et <strong>des</strong> animateurs. Ces<br />

derniers étant d’ailleurs très demandeurs de ce type de re ncontres au<br />

cours <strong>des</strong>quelles ils puisent de nombreuses informations nécessaire s,<br />

d’après eux, à leur formation. J’ai particulièrement ressenti cette<br />

demande lors d’un travail effectué en Nord -Pas-de-Calais par Michel<br />

Sagne, à l’époque chargé de mission sur cette région.<br />

Si nous sommes ici aujourd’hui, cela s’explique également par<br />

toutes les opérations qui se sont déroulées depuis quelque temps et<br />

où, systématiquement, il y avait une dimension réflexive ; les tables<br />

ron<strong>des</strong> à Bourges, et à Mantes-la-Jolie, au cours <strong>des</strong>quelles les animateurs<br />

et les dire cteurs ont manifesté leur envie de voir s’org aniser<br />

<strong>des</strong> <strong>rencontres</strong> permettant <strong>des</strong> échanges de points de vue.<br />

En collaboration avec l’IRMA, dont je re m e rcie le dire c t e u r,<br />

Gilles Castagnac, pour son écoute et sa mobilisation, la FFMJC souhaite<br />

donc participer à l’élaboration d’une politique culturelle intégrant<br />

les musiques actuelles dans le champ de l’intervention publique.<br />

Tout en sachant que si les MJC furent les pionnières de la pra t i q u e<br />

collective <strong>des</strong> musiques électro -amplifiées, la question qui nous anime<br />

aujourd’hui est de savoir où nous en sommes actuellement dans<br />

le cadre général d’échec de la démocratisation culturelle.<br />

Tout au long de ces quatre tables ron<strong>des</strong>, dont vous avez pu<br />

découvrir le pro g ramme, nous vous proposons, avec le soutien du<br />

M i n i s t è re de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports et du Ministère de la Culture<br />

et de la Communication, de discuter tant <strong>des</strong> enjeux <strong>des</strong> re sponsabilités<br />

du secteur associatif<br />

que de la nécessité d’un rapp<br />

rochement du culture l<br />

avec le socio-culturel ; <strong>des</strong><br />

possibles nouveaux métiers,<br />

à l’heure où un dispositif qui paraît opportun mais qui est peut-être<br />

fort périlleux, se met en place ; et de la construction du sujet politique où l’ambition artistique ne<br />

peut nier les principes fondamentaux qui nous animent tous ici.<br />

R e n c o n t res entre analyses et partis<br />

pris divergents dans une volonté de<br />

c o n f rontation constructive<br />

Claude Le Berre, président de la Fédération Régionale <strong>des</strong> MJC Caen-Rouen : Je suis h e u reux de<br />

participer à l’ouverture de ces Rencontres Musiques et Citoyenneté dans tous leurs États. Je<br />

v o ud rais également re m e rc i e r, au nom de ceux que je représente, c’est-à-dire une force bénévole,<br />

l’ensemble <strong>des</strong> participants, ceux qui sont venus de très loin particulièrement, les élus associatifs,<br />

les professionnels et les amateurs et, sans oublier, les représentants de l’administration qui sont<br />

parmi nous, ainsi que les élus républicains.


Je voudrais surtout souligner l’implication du Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports et du<br />

Ministère de la Culture et de la Communication dans ces Rencontres mises en œuvre par la FFMJC.<br />

Je trouve qu’ils témoignent ainsi de la volonté émise et souhaitée par Madame Trautmann et<br />

Madame Buffet de ra p p rochement de ces deux ministères, et cette volonté de participer à la<br />

r é flexion sur l’éducation populaire. C’est pour moi aussi l’occasion d’affirmer l’existence de notre<br />

F é d é ration Régionale comme un réseau d’associations d’éducation populaire et, par là même, de<br />

p romotion <strong>des</strong> pratiques culturelles. Ces Rencontres a p p a raissent à notre Fédération Régionale,<br />

comme un moment privilégié de réflexions, d’échanges, de débats permettant de questionner nos<br />

actions, d’en faire avancer le sens.<br />

Je voudrais aussi, puisque l’occasion m’en est donnée, saluer le travail de ceux que l’on<br />

remercie très peu dans notre Fédération, à savoir les professionnels qui ont mis tout le soin nécessaire<br />

à la préparation de ces Rencontres.<br />

Jean-Marie Martin, Directeur de la MJC d’Évreux : La MJC d’Évreux est une vieille maison qui a<br />

q u a rante ans et qui a essayé de coller à l’évolution de la vie et de la société, notamment d’une<br />

population plutôt jeune, ce qui constitue un pari. Ce pari a donc été tenté par cette maison et son<br />

conseil d’administration il y a une quinzaine d’années avec en particulier un animateur qui est présent<br />

dans la salle : Christian Roux. Il a participé à toutes ces réflexions et a compté pour beaucoup<br />

dans la mise en place de cette manifestation “Rock dans tout ses États” et dans la création de la<br />

salle de spectacle, L’A bordage. Je tenais à le re mercier devant vous. Ces différentes réflexions nous<br />

ont permis de miser sur la musique comme vecteur intéressant pour viser toute une population que<br />

l’on ne touchait pas puisque c’était l’époque où l’on se demandait où étaient les jeunes dans les<br />

MJC et quelles étaient leurs préoccupations. C’est à peu près à la même période que le Ministère de<br />

la Culture a sorti une étude sur les pratiques artistiques <strong>des</strong> Français qui a mis en valeur une dominante<br />

vraiment importante que l’on appelle, aujourd’hui, les musiques actuelles.<br />

Lorsque je suis arrivé, nous avons mis en place toute une action autour <strong>des</strong> musiques amplifiées,<br />

de ce qu'on appelait le rock et, petit à petit, le phénomène s’est accentué jusqu’à ce que nous<br />

en arrivions là où nous en sommes maintenant : une petite salle de spectacle de 60 places et une de<br />

500, un festival et une pro grammation régulière d'une trentaine de concerts par an. Si je suis assez<br />

satisfait d’en être arrivé là, je pense qu’il est important de pouvoir pre n d re le temps de réfléchir à<br />

ce que nous faisons les uns et les autres.<br />

Jean-Christophe Aplincourt, programmateur MJC Évreux : Nous avons beaucoup travaillé récemment<br />

pour que le festival ait de la tenue malgré <strong>des</strong> difficultés, puisque l’on a eu <strong>des</strong> changements<br />

d’affiche notoire cette année. C’est là que l’on saisit que la musique n’est pas seulement une esthétique<br />

et un mouvement social, mais que c’est également un marché. Pour autant, il est vrai que le<br />

surmenage ne doit pas nous priver du sens de notre travail, car le sens symbolique d’un festival<br />

c’est aussi de constater une assemblée positive. Ce qui veut dire que toutes les assemblées ne sont<br />

pas négatives contra i rement à ce que laisserait cro i re une sorte de pensée qui réduit les foules à<br />

<strong>des</strong> monstres en furie ! Non, il y a <strong>des</strong> foules qui sont positives. Il est intéressant, à mon avis, de<br />

révéler cela, tout comme il me paraît important de révéler le mouvement de génération, le mouvement<br />

qui tra verse les clivages sociaux ; d’associer à la fois <strong>des</strong> courants esthétiques qui s’affir ment<br />

de plus en plus, qui se séparent, qui font <strong>des</strong> hybridations. Nous sommes, bien entendu, sensibles à<br />

ces mouvements, nous sommes réceptifs et nous sommes contents d’afficher une esthétique musicale<br />

qui est belle pour nous, même si cette e sthétique-là<br />

ne s’est pas détachée, malgré le temps,<br />

d’une résonance sociale forte. Cela veut dire que<br />

les spectateurs ne font pas abstraction d’euxmêmes,<br />

ils ne sont pas dans un rapport clinique à<br />

la musique ; ils sont dans un rapport où l’on participe<br />

et donc cela reste un moment plutôt de fête qu’un moment d’observation. Ces instants festifs<br />

constituent une partie importante de la culture et soulignent le fait qu’il est difficile de dissocier<br />

Toutes les assemblées ne sont pas<br />

négatives contrairement à ce que laisserait<br />

croire une sorte de pensée qui réduit les<br />

foules à <strong>des</strong> monstres en furie!<br />

9


c u lt ure et plaisir. Passé l’événement du festival, lequel est la partie la plus émergée de notre activité<br />

au re g a rd de gens qui viennent de plus loin, ce à quoi nous croyons absolument, c’est finalement<br />

“l’ordinaire de l’extraordinaire”. C’est-à-dire que quand cela se passe régulièrement, lorsqu’il y a<br />

une pratique régulière de fréquentation du concert, quand cela re n t re dans nos habitu<strong>des</strong> d’aller<br />

voir <strong>des</strong> artistes et quand nous commençons à crédibiliser une salle au point de dire que ce qui s’y<br />

passe, en général, c’est plutôt bien, alors nous atteignons l’objectif visé. C'est donc ce à quoi nous<br />

nous attachons et je pense que c’est quelque chose qui fonctionne même si cela mérite d’être encore<br />

affiné. Le festival et la saison sont <strong>des</strong> choses vraiment importantes au même titre. Je vous souhaite<br />

la bienvenue à Évreux et la bienvenue au festival.<br />

Didier Borde-Pa gès, Directeur Départemental de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Je tiens à souligner<br />

l’intérêt, à mes yeux, du thème que vous avez retenu et dont le sens rejoint les préoccupations<br />

actuelles de notre Ministère et de Madame Buffet. Je veux dire aussi l’intérêt <strong>des</strong> débats que vous<br />

avez prévus puisqu’à tra v e rs les quatre tables ron<strong>des</strong> qui figurent dans votre pro g ramme se<br />

m a rque - et les débats vont, je pense, le confirmer - la pertinence <strong>des</strong> thèmes que vous avez sélectionnés<br />

grâce à la qualité <strong>des</strong> intervenants que vous avez choisis. Je veux dire aussi, c’est un point<br />

qui a été indiqué également tout à l'heure, que votre réflexion va s’articuler avec le festival qui lui<br />

fait suite et qui va donner une forme d’expression à la musique vivante. Ces éléments me para i s-<br />

sent, pour ce qui me concerne en tout cas, positifs. Je retiendrai, en guise de très courte conclusion,<br />

le terme de “Rencontres” que vous avez choisi, pour en souligner à la fois la mo<strong>des</strong>tie et également<br />

la signification de réciprocité. Je crois que cela fait aussi partie <strong>des</strong> gages de la réussite et je vous<br />

souhaite bon vent pour ces Rencontres.<br />

10<br />

Jean-François Marguerin, Directeur Régional <strong>des</strong> Affaires Culturelles de Haute-Normandie : Je<br />

v o u d rais en premier lieu saluer l’initiative de la FFMJC, pour la mise en œuvre de ces Rencontres<br />

qui constituent le prélude, ainsi que cela vient d’être rappelé, de la quinzième édition du festival<br />

“Le Rock dans tous ses États”. C’est moi qui précise qu’il s’agit de la quinzième, mais cela mérite<br />

tout de même d’être souligné tant l’action de cette maison est continue et de qualité.<br />

Ces Rencontres viennent nous rappeler que l’action culturelle, que toute action dans le<br />

domaine de la culture, ne peut pas ne pas être fondée sans un minimum de pensée politique. L’ efficacité<br />

de l’une dépend, en effet, de la cohérence et de la justesse de l’autre. Gardons-nous cependant<br />

de cro i re qu’une pensée n’existe que pour pro d u i re <strong>des</strong> idées convaincantes et <strong>des</strong> réponses<br />

définitives. Vous avez soulevé tout à l'heure<br />

l ’ i mmense question de la démocratisation de<br />

l’accès à l'art et la démocratie culturelle. Je ne<br />

suis pas convaincu que ces termes soient assimilables,<br />

mais qu’ils procèdent de deux démarches fondamentalement antagoniques.<br />

La pre mière consiste à dire qu’il y a <strong>des</strong> œuvres, que ces œuvres doivent être partagées par le<br />

plus grand nombre, que le plus grand nombre doit y avoir accès et poser d’emblée un corpus esthétique,<br />

un corpus artistique à donner en partage à un public. L’ autre, procédant d’une autre démarc he,<br />

consiste à dire qu’il n'y a pas que la production artistique <strong>des</strong> professionnels, qu’il y a une dimension<br />

très anthropologique et très contemporaine de la culture qui passe par quantité de formes et de<br />

ramifications, qui est de l’ord re d’une reconnaissance d’une pluralité culturelle. Je vous rappelle que<br />

constamment dans le champ artistique, on parle de l’universalité <strong>des</strong> formes : par exemple, y a-t-il<br />

une universalité <strong>des</strong> formes ou est-ce qu’elle est “c ontrebattue” par la pluralité d’expressions culturelles<br />

qui, au fond, n’appartiennent qu’à un seul corps social tout en appartenant à diverses composantes<br />

d'un même corps social ? Je ne fais pas la synthèse entre les deux termes qui seraient, d’un<br />

côté, démocratisation de l’accès à l’art et, de l’autre, démocratie culturelle qui s’appellerait démocratisation<br />

culturelle. Je crois que la réflexion et la pensée supposent qu’effectivement on n’évacue<br />

pas les contradictions et, notamment, les contradictions que peut porter une politique publique.<br />

J ’ a i m e rais précisément partager quelque peu avec vous, non pas telle ou telle profession de foi<br />

sur la politique culturelle, mais la question qui sous-tend, il me semble, ce que nous essayons<br />

Toute action dans le domaine de la culture ne peut pas<br />

ne pas être fondée sans un minimum de pensée politique


tous ici de construire : en quoi l’art, et, en ce qui nous concerne ici, les musiques actuelles<br />

j u stifient-elles une prise en compte par les collectivités publiques ? Après tout, voilà bien une<br />

particularité française qui est de porter au premier rang <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> apportées à l’art l’intervention<br />

publique. A un tel point d’ailleurs que la question que je viens de formuler pourrait para î t re<br />

p rovocatrice, voire inutile. Au nom de la tradition de ce pays, de son histoire, au nom de l’aide<br />

que l’État apporte de longue date pour la préservation de son patrimoine artistique, au nom de<br />

son souci d’offrir aux générations de demain un patrimoine sans cesse enrichi <strong>des</strong> apports de la<br />

création artistique ; il est devenu normal, incontournable même, de tenir ensemble les questions<br />

de l’art, <strong>des</strong> moyens publics et de la politique culturelle sans confondre les termes entre<br />

eux. Or, la question a tout son sens car si nous ne nous<br />

la posons pas, nous qui sentons bien, même par habitude,<br />

le bien-fondé du soutien public à l’art, nous risquons<br />

que d’autres se la posent avec l’arrière - p e n s é e<br />

d’intervenir tout autrement dans le champ de la culture<br />

que ne l’autorisent nos règles démocratiques. Je crois savoir qu’il y a ici un représentant du<br />

Sous-Marin de Vitrolles qui aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet.<br />

Revenons à la musique, aux musiques actuelles comme exemple concret <strong>des</strong>tiné à illustre r<br />

ma question et quelques-unes de ses difficultés. Peut-on aider à l’infini, je veux dire sans poser<br />

<strong>des</strong> re p è res techniques, esthétiques, éthiques peut-être, toutes les formes de créations musicales.<br />

<strong>Les</strong> moyens financiers, eux, ne sont pas infinis et cette limite-là nous oblige aujourd’hui, beaucoup<br />

plus qu’au début <strong>des</strong> années 80, à choisir et à savoir comment choisir. Par principe, l’arg e n t<br />

public ne peut supporter l’arbitra ire et son opposé, voire son coro llaire : le gaspillage. Il nous faut<br />

donc savoir, et dans le même temps nous montrer résolument disponibles, à la grande liberté d’invention,<br />

de renouvellement, de subversion inhérentes à la création. Voilà une pre m i è re diffic u l t é .<br />

Il est bien clair que si nous négligeons, ne serait-ce que d’y penser, notre politique culture l l e<br />

risque de ne plus être qu’un catalogue de bonnes intentions que les réalités viendront violemment<br />

c o n t re d i re. Depuis <strong>des</strong> années, on parle beaucoup de cette autre justification <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> publiques<br />

et notamment de celle de l’État qu’est l’éducation artistique de tous. Mais, si je considère l’histoire<br />

<strong>des</strong> musiques actuelles, j’observe une vraie constante historique de toutes ces musiques (depuis<br />

les débuts du jazz jusqu’au rap et à la techno, en passant bien sûr par toutes les formes de ro c k )<br />

qui veut que jamais la transmission, l’émergence <strong>des</strong> nouveaux styles, ne soit passée par une quelconque<br />

question d’éducation artistique publique. <strong>Les</strong> musiques actuelles, c’est un fait récurre n t ,<br />

naissent généralement contre les pouvoirs, contre la cohésion sociale et culturelle, contre les<br />

intentions politiques, fussent-elles les plus démocratiques qui soient. Alors, donner <strong>des</strong> moyens<br />

publics pour que ces musiques participent à l’effort éducatif, certes indispensable à la nation,<br />

c’est encore un vrai sujet de réflexion qui appelle au minimum un peu de discernement.<br />

Je pourrais vous décliner une autre facette de la même question, celle de la médiation culturelle<br />

comme une <strong>des</strong> réponses que nous sommes évidemment tentés d’apporter à tout ce qui s’offre<br />

de complexe, de contra dictoire, d’inabordable, parfois, dans le vis-à-vis frontal de l’art, <strong>des</strong> artistes<br />

et de la chose publique. Je ne ferai qu’ouvrir cette question, qui est du reste une <strong>des</strong> plus diffic iles<br />

et dont vous parlerez certainement au cours de ces Rencontres.<br />

Mon intention est tout simplement d’intro duire votre thématique “Musiques et Citoyenneté<br />

dans tous leurs États” par une invitation pressante à penser et repenser ce pourquoi nous<br />

a g i s s o n s ,“missionnés” les uns et les autres à titres divers par la collectivité tout entière. Nous<br />

avons à gérer un peu de ce bien commun aux citoyens de ce pays, un bien dont la nécessité n’a<br />

rien d’évident, comparé à la santé, aux voies de communication ou à l’enseignement du fra n ç a i s<br />

ou <strong>des</strong> mathématiques aux enfants par exemple, mais qui touche pourtant à quelque chose d’extrêmement<br />

important. Chaque aide que nous apportons à un créateur, quel que soit son mode<br />

Par principe, l’argent public ne peut<br />

supporter l’arbitra i re et son opposé,<br />

v o i re son coro l l a i re : le gaspillage<br />

d ’ e x p ression et son style, pour qu’il crée et pour qu'il transmette aux autres ce qu’il crée, est un<br />

rappel vivant du prix de la liberté, de l'imaginaire et du plaisir. ❙<br />

11


2<br />

DRUGSTORE


Enjeux et responsabilités<br />

du secteur associatif<br />

Franck Lepage, directeur MJC, chargé du développement<br />

culturel de la FFMJC : De quel secteur<br />

p a r l e -t-on ? De cette nébuleuse que l'on appelle “les<br />

associations" (cette forme facile à travers laquelle<br />

trois quidams vont déposer les statuts à la préfecture,<br />

et se prennent ipso facto pour <strong>des</strong> démocrates ou <strong>des</strong><br />

citoyens) et dont on nous rabâche qu'elles sont 800 000 ?<br />

Ou bien parle-t-on d'un secteur de l'action publique délégué<br />

par l'État, ou conquis par la société civile depuis 50<br />

ans, légitimé, reconnu et co-responsable d'une mission<br />

d'intérêt général, qui peut prétendre émarger sur l'argent<br />

public, redistribution de l'impôt prélevé sur la population<br />

et qui doit retourner à la population ?<br />

Je pose la question <strong>des</strong> associations contre le “secteur<br />

associatif" et du choix, mené depuis l'arrivée au pouvoir<br />

<strong>des</strong> Socialistes, de jouer la carte de micro-associations<br />

non regroupées et non fédérées, totalement isolées, contre<br />

Au tournant <strong>des</strong> années 80, la culture devient<br />

quelque chose de rapidement utile électora l e m e n t<br />

de grands regroupements du type fédération nationale<br />

d'éducation populaire, viscéralement insupportables à un<br />

pouvoir obsédé de modernisation – c'est-à-dire de libéralisation,<br />

de dérégulation, d'éclatement, d'individualisation<br />

<strong>des</strong> problèmes…<br />

Cette “bonne-mauvaise" idée de vouloir changer<br />

un peu le style de l'intervention publique, le style de l'action<br />

publique en essayant de “rapprocher le citoyen du<br />

pouvoir". Traduisez : de supprimer les intermédiaires,<br />

congédier les associations organisées en rapport de force<br />

ou en rapport de pouvoir, au motif qu'elles feraient finalement<br />

écran entre les habitants et le pouvoir public. On a<br />

vu naître, en effet, avec le style socialiste, après trente<br />

années de “droite" républicaine et gaulliste, puis pompidolienne<br />

et giscardienne, un style d'intervention publique<br />

que certains ont appelé “l'État-animateur". L'État s'est<br />

mis en tête d'agir plus efficacement en intervenant directement<br />

auprès <strong>des</strong> gens et de la population, en mettant en<br />

place un certain nombre de dispositifs. Dans le champ culturel,<br />

c'est ce que j'appelle l'effet “Jack Lang" : le passage<br />

très brutal <strong>des</strong> années du “tout politique”, en gros les<br />

années 70, au “tout culturel” <strong>des</strong> années 80, dans lequel<br />

on peut considérer que le politique a commencé à se porter<br />

plutôt mal. De nombreux ouvrages ont analysé ce phénomène,<br />

y compris celui de Marc Fumaroli<br />

MO D É R AT E U R :<br />

“L'État Culturel". Ce passage du “tout politique"<br />

au “tout culturel" dans les années 80 Franck Lepage,<br />

DIRECTEUR MJC, CHARGÉ<br />

me semble être au centre <strong>des</strong> questions que<br />

DU DÉVELOPPEMENT<br />

nous essayons de nous poser dans le cadre de CULTUREL DE LA FFMJC.<br />

cette table ronde.<br />

INTERVENANTS :<br />

Au tournant <strong>des</strong> années 80, la culture<br />

devient quelque chose de rapidement utile<br />

Bruno Colin,<br />

DIRECTEUR D’OPALE<br />

é l e c t o ralement. La plupart <strong>des</strong> pouvoirs , (ORGANISATION POUR LES<br />

nationaux, locaux ou régionaux, se rendent PROJETS ALTERNATIFS<br />

D’ENTREPRISES),<br />

très vite compte qu'il s'agit là d'une idéologie<br />

capable de glorifier le dynamisme factice Philippe Berthelot,<br />

ADMINISTRATEUR DE LA<br />

d'une nation dans une période de crise<br />

FEDUROK ET DIRECTEUR<br />

économique, dans une période durant DU FLORIDA - AGEN,<br />

laquelle il devient difficile de prétendre<br />

créer <strong>des</strong> entreprises dans tous DIRECTEUR DU SOUS-MARIN<br />

Loïc Taniou,<br />

VITROLLES,<br />

les coins alors qu'en revanche, la création<br />

d'entreprises culturelles semble assez facile. Huguette Bonomi,<br />

DIRECTRICE MJC CORDERIE<br />

Cette valorisation du dynamisme français<br />

MARSEILLE,<br />

dans une période où le capitalisme entre<br />

Jacques Subileau,<br />

dans une transformation radicale me semble<br />

PRÉSIDENT DE GÉNÉRATIONS<br />

jouer un rôle important en termes de communication<br />

du pouvoir. Je dirais de “communi-<br />

Renaud Vischi,<br />

SONORES - ST-DENIS,<br />

cation électorale" pour ne pas dire de “communication<br />

politique" parce que je trouve<br />

CHERCHEUR EN SCIENCE<br />

POLITIQUE.<br />

cela très peu politique. Au plan international, c'est “l'effet<br />

Découflé" : une nation qui est capable d'autant d’humour,<br />

de deuxième degré, d'ironie ludique et de “richissime<br />

créativité" dans une cérémonie aussi pompeuse et fasciste<br />

que l'ouverture de jeux olympiques, est forcément une<br />

13<br />

société en avance sur les autres et qui affiche, avec une<br />

désinvolture de gagnants, qu'elle n'a pas trop de soucis.<br />

La mort du “politique" (“ceci vaut mieux que<br />

cela”) et sa substitution par le “culturel" (“tout se vaut")<br />

c'est “l'effet Goude" (celui du défilé du bicentenaire de la


14<br />

Révolution), à savoir que si la France de 1789 entendait<br />

exporter la démocratie, celle de 1989 n'a plus de leçon à<br />

donner au reste <strong>des</strong> peuples de l'univers. On organise un<br />

défilé qu'on appelle “les tribus planétaires" dans lequel<br />

chaque population du globe est caractérisée par son cliché.<br />

<strong>Les</strong> Anglais sont arrosés par <strong>des</strong> trombes d'eau, les<br />

Noirs tapent évidemment sur <strong>des</strong> tam-tams, etc. Chacun<br />

chez soi dans sa référence culturelle, la main invisible<br />

du marché fera le reste. En 1793, la France<br />

annonce “tranquillement" qu'elle ira se porter au<br />

secours <strong>des</strong> peuples qui en feront la demande,<br />

qu'elle ira libérer <strong>des</strong> tyrans et <strong>des</strong> oppresseurs tous<br />

ceux qui le désirent et qu'elle entend imposer un modèle<br />

d'organisation politique et de démocratie... Deux cents ans<br />

après, la politique est devenue quelque chose de très dangereux<br />

qui aboutit forcément au stalinisme... Cette relecture<br />

de la Révolution se fait sous les auspices d'une célébration<br />

follement gaie en présence <strong>des</strong> chefs d'États de la<br />

planète.<br />

Depuis 1982, avec la décentralisation, la France, où<br />

depuis deux siècles l'État est garant de la démocratie et de<br />

la liberté contre les poujadismes et les clientélismes <strong>des</strong><br />

maires, donne brutalement un pouvoir extrêmement<br />

important aux collectivités locales. On voit donc apparaître<br />

<strong>des</strong> “maires-animateurs", se multiplier le nombre<br />

d'adjoints à la culture (alors qu'en 1972, ils sont 20 en<br />

France, c'est dire si l'enjeu culturel est inexistant dans les<br />

communes, aujourd'hui, il est presque impossible d'aller<br />

dans le moindre village de France sans qu'il y ait un<br />

adjoint à la culture). <strong>Les</strong> années 80 sont les années durant<br />

lesquelles les municipalités tournent le dos aux équipements<br />

polyvalents, type MJC, centres socio-culturels supposés<br />

porter les revendications et les attentes <strong>des</strong> populations.<br />

<strong>Les</strong> municipalités se lancent à fond dans <strong>des</strong> Centres<br />

d’Action Culturelle, supposés convaincre les administrés de<br />

l'excellence de l'équipe municipale. À cette époque, le<br />

rock, activité prolétaire, délinquante et sans aucun intérêt<br />

électoral, se porte plutôt mal dans les municipalités qui<br />

s'entichent plutôt de saisons théâtrales. Ce sont incidemment<br />

les années où le hip-hop commence à se structurer<br />

dans l'ombre et en secret.<br />

À partir de 1989, et “l'effet Vaulx-en-Velin", les<br />

choses vont prendre un virage. Pour la première fois<br />

depuis très longtemps dans ce pays, on assiste à <strong>des</strong><br />

émeutes urbaines, <strong>des</strong> vraies, comme aux Etats-Unis, qui<br />

se multiplient et finissent par affoler le pouvoir. Nombre<br />

d'élus et de maires se sont alors exprimés à la télévision en<br />

affirmant ne pas comprendre ces émeutes (“on leur avait<br />

construit un gymnase, c'était pour eux, ils l'ont brûlé,<br />

on ne comprend pas…"). En revanche, ce que vont très<br />

vite comprendre les élus, c'est que le rock, rebaptisé<br />

“musiques urbaines" par la technocratie, pourrait devenir<br />

utile pour calmer le jeu. On voit alors un certain<br />

nombre d'élus, à la suite d'émeutes, <strong>des</strong>cendre dans les<br />

quartiers et signer <strong>des</strong> chèques à <strong>des</strong> jeunes pour qu'ils<br />

achètent, ici un sampler ou là <strong>des</strong> guitares, etc. Cet affolement<br />

du politique est légitime. A la fin <strong>des</strong> années 80,<br />

après quinze ans de libéralisme de gauche, la contradiction<br />

entre le niveau de richesse qui ne cesse d'augmenter<br />

<strong>Les</strong> années 90 vont être les années durant lesquelles<br />

la pacification sociale à court terme va devenir l'urgence<br />

absolue <strong>des</strong> pouvoirs politiques<br />

dans ce pays, et l'accroissement du nombre de pauvres et<br />

de gens en situation difficile devient tout simplement<br />

insupportable et incompréhensible en l'absence de cadres<br />

de réflexions et d'analyses politiques. Or, plus personne<br />

- et surtout pas la gauche - ne parle de capitalisme, on<br />

n'entend plus d'analyses de classes et personne ne remet<br />

en cause la société de consommation comme avaient pu le<br />

faire nos aînés de 68. <strong>Les</strong> symptômes dans les quartiers<br />

sont eux de plus en plus lisibles : violence, crise complète<br />

de l'école qui, jusque là, était l'institution sur laquelle tout<br />

le monde pouvait compter, mais qui est à revisiter complètement<br />

et n'a toujours pas les moyens de sa propre<br />

relecture. <strong>Les</strong> élus sont donc légitimement inquiets et les<br />

années 90 vont être les années durant lesquelles la pacification<br />

sociale à court terme va devenir l'urgence absolue<br />

<strong>des</strong> pouvoirs politiques. Il faut absolument calmer le jeu et<br />

après tout, si la guitare, le rap, etc, peuvent contribuer à<br />

cela, alors dans ce cas-là, pourquoi pas ? On voit alors<br />

apparaître <strong>des</strong> discours sur la substitution de l'emploi et<br />

du travail par <strong>des</strong> pratiques culturelles. Par exemple à<br />

Annecy, lorsque l'on met en place un centre municipal <strong>des</strong><br />

musiques amplifiées, le discours est que “de toute façon,<br />

les jeunes n'auront plus de travail, ils n'ont absolument<br />

aucune chance d'avoir accès, un jour dans leur vie, à<br />

un processus de production ; mais que s'ils font de la<br />

musique, ils font une production, ils sont dans un processus<br />

de production".<br />

Sachant que la seule façon connue de contribuer à<br />

la production de la société est d'être intégré dans un rapport<br />

salarial à un emploi, un métier, peut-on produire ou<br />

contribuer à produire la société avec de la musique ?<br />

Existe-t-il un “travail" musical par défaut d'emploi ? Que<br />

signifie cette apparition de notion d'entreprise musicale ?<br />

Quelle est cette fascination de l'appareil d'Etat pour “l'esprit<br />

d'entreprise", et qui aura donné naissance à la catast<br />

rophe démagogique <strong>des</strong> cafés-musique, entre p r i s e s<br />

“gérées-par-<strong>des</strong>-jeunes-pour-<strong>des</strong>-jeunes-avec-<strong>des</strong>jeunes",<br />

MJC relookées grunge et graf pour l'alibi artistique,<br />

fantasme d'une société qui voit s'effondrer - par<br />

manque de vigilance - ses acquis et qui veut se rassurer.


Cette division de l'action publique en dispositifs de<br />

traitement séparé <strong>des</strong> populations sonne le glas de pratiques<br />

démocratiques encombrantes. On ne peut pas<br />

reconstruire politiquement le problème du “qui on est ?"<br />

et du “pourquoi on en est là ?" dans cette société, si<br />

immédiatement on nous met dans un secteur, sous une<br />

étiquette et qu'on nous propose de faire de la musique et<br />

rien d'autre. Comment permettre à <strong>des</strong> jeunes de se<br />

construire comme sujets politiques quand on les traite<br />

comme <strong>des</strong> objets sociaux ? Qu'est-ce que la citoyenneté,<br />

si ce n'est la confrontation politique avec <strong>des</strong> gens qui ne<br />

partagent pas la même vision que soi ? Confiner les jeunes<br />

avec les jeunes pour se livrer à <strong>des</strong> pratiques de jeunes est<br />

le fantasme vichyste-pétainiste par excellence. Le citoyen<br />

n'est plus celui dont la volonté produit du droit, mais celui<br />

dont la soumission lui ramène un sampler. Si la musique<br />

peut aider à amener <strong>des</strong> jeunes vers le politique, c'est<br />

effectivement parce que le secteur associatif se sera posé<br />

la question du politique dans sa façon de proposer de la<br />

musique. Sinon, autant se passer de la musique et aller<br />

directement au politique !<br />

Dans un cas, l'objectif est de calmer <strong>des</strong> “objets<br />

sociaux" en les séparant <strong>des</strong> adultes, et en agglomérant les<br />

jeunes sur <strong>des</strong> sujets qui les rassemblent, ce qui les amène à<br />

être considérés, de plus en plus souvent, comme <strong>des</strong> clients.<br />

Dans l'autre cas, il s'agit d'aider à la construction de sujets<br />

politiques en organisant la re ncontre contra dictoire avec<br />

<strong>des</strong> adultes sur <strong>des</strong> sujets qui les divisent. La démocratie ne<br />

se résume pas à la liberté d'expression qui n'est que le premier<br />

temps d'un processus démocratique. Une société est<br />

démocratique quand elle se reconnaît divisée et qu'elle se<br />

Comment permettre à <strong>des</strong> jeunes de se construire<br />

comme sujets politiques quand on les traite comme<br />

<strong>des</strong> objets sociaux ? Qu'est-ce que la citoyenneté, si ce<br />

n'est la confrontation politique avec <strong>des</strong> gens qui ne<br />

partagent pas la même vision que soi ?<br />

fixe comme objectif d'associer toutes ses composantes à<br />

part égale dans l'expression de ses divisions, dans leur mise<br />

en délibération pour arriver à un arbitrage. <strong>Les</strong> ra peurs s'expriment,<br />

mais dans une société qui permet massivement la<br />

liberté d'expression, cela n'a strictement aucun intérêt si<br />

cela n'est pas suivi d'effet, d'une confrontation avec le politique.<br />

On peut conchier les institutions dès lors que cellesci<br />

l'autorisent. Le rock et les musiques émergentes sont-ils<br />

un moyen d'aller vers le politique ou de s'en extra ire ? Il me<br />

semble que la responsabilité du secteur associatif est plutôt<br />

proche de la pre mière alternative…<br />

Bruno Colin, directeur d’Opale (Organisation pour les<br />

Projets Alternatifs d’Entreprises) : L'association Opale<br />

s'est beaucoup occupée <strong>des</strong> “cafés-musique”, dont on<br />

vient de parler, en publiant notamment un guide et une<br />

évaluation de fonctionnement ainsi qu’un essai de mise en<br />

réseaux de porteurs de projets et de gens qui développaient<br />

<strong>des</strong> activités. Depuis un an maintenant, nous<br />

éditons une revue, “Culture et Proximité”, qui essaie de<br />

proposer la philosophie de notre travail. A savoir que nous<br />

n'avons rien de spécial à dire si ce n'est de nous présenter<br />

comme un outil de restitution, aussi fidèle que possible,<br />

de la parole <strong>des</strong> gens qui essaient, aujourd'hui, d'inventer<br />

de nouvelles réponses aux besoins divers. Recherche de<br />

sens, de vision du futur, d'organisation de la vie en communauté<br />

dans l'espace local.<br />

On m'a demandé d'intervenir sur la notion d'économie<br />

solidaire parce que nous y avons fait et y faisons<br />

encore référence dans un certain nombre de cas. Nous<br />

avons <strong>des</strong> relations privilégiées avec <strong>des</strong> chercheurs qui<br />

évangélisent dans les colloques sur ces notions-là et nous<br />

essayons d'organiser <strong>des</strong> re ncontres inter-réseaux de<br />

“l'économie solidaire", bien que cette notion soit floue et<br />

qu'elle ait <strong>des</strong> acceptions différentes. Certains réseaux se<br />

réunissent pour essayer d'organiser <strong>des</strong> échanges d'idées<br />

et d'expériences pour faire en sorte que, sur un territoire,<br />

<strong>des</strong> forces qui théoriquement vont dans <strong>des</strong> directions différentes<br />

aient de plus en plus envie de se croiser, de se<br />

confronter pour imaginer <strong>des</strong> choses ensemble. J'essaierai<br />

donc de vous dire, avec mes mots à moi, ce que l'on<br />

entend par là.<br />

“Économie solidaire”, c'est pour moi, en fait, associer<br />

une sorte de principe de la réalité à une utopie. C'est,<br />

en tout cas, essayer de refuser la séparation qui est habituelle<br />

entre l'économie libérale, enfin l'économie<br />

de Marché - avec un “m” majuscule dans les textes<br />

maintenant - et d'un autre côté, la Solidarité, que<br />

l'on écrit également avec un “s” majuscule. On<br />

aurait donc, d'un côté, une organisation tout à<br />

fait libre et sans contrainte de l'échange dans la<br />

communauté humaine et, de l'autre côté, une<br />

réparation <strong>des</strong> dégâts et la re distribution.<br />

Il s'agit de s'intéresser à l'organisation d'activités<br />

qui ne soient pas complètement dépendantes de la re d i s-<br />

tribution et de voir le lien avec les usagers auxquels elles<br />

s ' a d ressent. Pour une part, ceux qui organisent ces activités<br />

sont dans le principe de réalité de l'économie, dans<br />

une certaine forme de marché en tout cas, où <strong>des</strong> pre s-<br />

tations se vendent en fonction <strong>des</strong> re s s o u rces <strong>des</strong> personnes<br />

auxquelles elles s'adressent. Tout cela avec une<br />

part de redistribution et une valorisation <strong>des</strong> apports<br />

v o l o n t a i res qui sont réalisés dans ces secteurs associatifs.<br />

On rejoint là, avec d'autres mots, ce que disait Fra n c k<br />

Lepage tout à l'heure en parlant de secteurs délégataire s ,<br />

de mission de service public.<br />

15


16<br />

Pour ma part, derrière ce terme-là, je ne mets pas de<br />

mot d'ordre, de philosophie. C'est pour moi une manière<br />

de prendre les choses selon différents points de vue qui me<br />

semblent souvent importants pour sortir <strong>des</strong> consensus,<br />

<strong>des</strong> valeurs exaspérantes, puisqu'en réalité, dans les discours<br />

<strong>des</strong> gens de tous bords, on se rejoint sur les valeurs,<br />

mais sur les comportements cela ne fonctionne pas et rien<br />

n'avance. Ensuite, nous pouvons partir d’un principe<br />

d'égalité qui va être de se dire, par exemple, si on étudie<br />

en valeur d'économie, pourquoi une association, qui est<br />

dans un réseau alternatif, peut acheter un spectacle cinq<br />

fois moins cher (l'échelle peut varier de 1 à 10) qu'une collectivité<br />

locale ou parfois une MJC. J'ai pu entendre une<br />

MJC, dont je tairai le nom, qui a demandé une étude de<br />

faisabilité, sur le principe de “l'économie solidaire" justement,<br />

pour la mise en place de studios de répétitions, et<br />

qui n'envisageait même pas au début de cette étude de<br />

mettre en discussion le prix de l'heure de répétition (il<br />

était à peu près de 5 francs) qui correspondait à peine à la<br />

consommation électrique !<br />

Dans l'analyse économique que nous avons essayé<br />

de faire à partir <strong>des</strong> réseaux <strong>des</strong> “cafés-musique”, nous<br />

avons tenté de travailler en essais de valorisation à partir<br />

<strong>des</strong> données dont nous disposions : mises à disposition de<br />

locaux, d'énergies, de personnels qui pouvaient être<br />

apportés à <strong>des</strong> associations ou à <strong>des</strong> structures dites “c afésmusique".<br />

Ou d'un autre côté, à <strong>des</strong> apports de bénévolat<br />

forcé en fait, réalisé par <strong>des</strong> gens qui souhaitaient constituer<br />

leur propre outil de travail en espérant qu'une certaine<br />

économie allait se dégager pour favoriser la création de<br />

leur poste de travail, plutôt qu'un bénévolat comme on a<br />

l'habitude d'en parler, une sorte d'envie de participer à<br />

une action collective et d'y trouver sens et de le faire dans<br />

le cadre de son temps de loisir. En essayant de valoriser<br />

cela, nous nous sommes aperçus de disparités absolument<br />

incroyables dans un réseau comme celui-là, même s'il était<br />

un peu arbitra i re de par l'existence d'un pro g ra m m e<br />

d'État. Malgré tout, nous avions, à partir d'une même philosophie<br />

du service adressé à une communauté<br />

humaine dans un espace local, le même style<br />

d'activités qui, d'un endroit à un autre, pre n a i t<br />

<strong>des</strong> config u rations d'organisations économiques<br />

radicalement différentes. Ceci faisait que si ces<br />

p e rsonnes-là étaient autour d'une table, chacun allait<br />

sortir <strong>des</strong> chiffres, notamment sur l'autofinancement, si<br />

bien que l'on n'y comprenait plus rien. Nous n’avons<br />

jamais pu qu'en témoigner, ce qui fait que les solutions<br />

ne sont pas faciles à proposer et imaginer.<br />

Dans l'espace d'une communauté urbaine, <strong>des</strong> gens<br />

cherchent à améliorer leurs conditions de vie en relation<br />

directe avec les usagers. Nous sortons peut-être là de la<br />

notion d'éducation, mais en entrant dans une sorte d'essai<br />

de rencontre entre une offre et une demande pour<br />

construire collectivement quelque chose. Même s’il y a <strong>des</strong><br />

“professionnalités” qui proposent <strong>des</strong> services à <strong>des</strong> gens<br />

qui en sont “consommateurs", et <strong>des</strong> principes de réalité<br />

économique qui permettent de comparer d'un endroit à<br />

un autre la part <strong>des</strong> finances publiques.<br />

Il faut que nous trouvions un moyen de faire exister les<br />

individus par leur pratique elle-même et pas seulement par<br />

une viabilité, qu'elle soit économique, sociale ou politique<br />

Philippe Berthelot, administrateur de la FEDUROK et<br />

directeur du Florida - Agen : Sur ces musiques, un premier<br />

constat : dans l'exercice de la citoyenneté, nous nous<br />

apercevons que n'étant pas qualifiées correctement, donc<br />

pas identifiées par la société et notamment par le politique,<br />

il y a un déficit de reconnaissance et que, effectivement,<br />

elles ont pu s'exprimer mais uniquement dans la<br />

marginalité. Cela veut dire qu’un processus de marginalisation<br />

s’est mis en place, tout à fait institutionnel, qui, à<br />

défaut de qualification et d'identification, plaçait <strong>des</strong><br />

populations et par conséquent <strong>des</strong> citoyens - que je trouve<br />

de moins en moins jeunes - dans une sorte de non<br />

reconnaissance citoyenne alors qu'ils avaient les mêmes<br />

droits. Il s'agit, à mon avis, de la problématique <strong>des</strong><br />

musiques dites actuelles, amplifiées… du fond du problème.<br />

De là, il est beaucoup plus simple d'imaginer un tiers<br />

secteur à partir du moment où on ne veut pas s'en occuper.<br />

Après, on peut également se positionner sur la difficulté<br />

qu'ont ces musiques à vivre, s'exprimer, à <strong>des</strong><br />

musiques qui se retrouvent sur plusieurs champs parce<br />

qu'elles n'ont pas trouvé d'autres moyens d'exister et<br />

notamment un champ économique. Certains parleront de<br />

loisir mais il y a une revendication politique et donc un<br />

lien social, une reconnaissance. Est-ce que c'est l'idée d'aller<br />

chercher un tiers, ou est-ce que c'est l'idée de faire<br />

cohabiter cet ensemble ?<br />

Ce sur quoi j'essaie de militer consiste en un système<br />

qui ne soit pas fondamentalement institutionnalisé,<br />

qui ne re ntre pas sous les fourches caudines d'un État,<br />

quel qu'il soit et quelle que soit sa forme gouvernementale,<br />

et entretienne une sorte d'espace de subversion p ermanente,<br />

comme devraient l'être la culture et l'art en général.<br />

Mais nous ne pouvons ignorer qu’existe le champ d’un<br />

système économique qui amène, fondamentalement, par<br />

la force <strong>des</strong> choses puisque c'est quand même ce que la<br />

planète a mis en place globalement, à un système de marché<br />

d'économie “libérale". Reste à savoir comment exister<br />

sur ces deux champs, est-ce que c'est cela la notion de<br />

“tiers secteur" ? Pour ma part, il est clair qu'il faut que<br />

nous trouvions un moyen de faire exister les individus par


leur pratique elle-même et pas seulement par une viabilité,<br />

qu'elle soit économique, sociale ou politique. C'est<br />

avant tout le droit à l'expression car, pour moi, le droit à<br />

l'expression est un droit fondamental. Quand je dis<br />

“e xpression”, c'est à la fois faire éventuellement ce que<br />

d'autres ont déjà fait, mais aussi faire ce que l'on a envie<br />

de faire et qui n'a pas été fait. Il s'agit d'une démarc he<br />

fondamentale qui devrait être dans la Constitution, c'està-dire<br />

le droit culturel et pas seulement le droit à la culture.<br />

Je ne crois pas qu’il faille opposer démocra tisation<br />

et démocratie culturelle. Je crois qu’il faut que nous<br />

ayons une vraie réflexion pour sortir d’un schéma fortement<br />

teinté XIX e siècle. Le stade ultime ayant été Malra ux<br />

avec un système qui a un peu raté l'éducation populaire .<br />

Je ne suis pas persuadé que l'on soit dans une opposition<br />

<strong>des</strong> deux, mais que nous sommes, effectivement, dans un<br />

schéma où les deux peuvent se re trouver.<br />

Po u rquoi lorsque nous essayons d'être un peu<br />

plus tra n s v e rsal, on apparaît comme excessivement<br />

d a n g e reux ?<br />

Pour ce qui nous intéresse au quotidien, en tant<br />

qu'équipement, nous sommes toujours en train d'alterner<br />

entre ces différents paradoxes, ces différentes tendances.<br />

Que ce soit avec le politique local, le politique national,<br />

que ce soit avec les différents courants musicaux, les différentes<br />

associations ou bien encore avec l'Éducation<br />

nationale, qui finit par vous interpeller, que ce soit avec les<br />

opérateurs autres que culturels. Nous revenons de plus en<br />

plus au centre. Je pense que les MJC n'y échappent pas et<br />

ont toujours été au centre. Ensuite, nous pouvons nous<br />

demander si le fait de se mettre en réseau, en fédération<br />

- je le conçois d'autant plus facilement qu'on a éprouvé le<br />

besoin de nous mettre nous-mêmes en fédération type<br />

Fédurok il y a à peine quatre ans - peut procéder aussi<br />

d'un cloisonnement supplémentaire. Dans le cadre de la<br />

tournée “Musique et Citoyenneté", un <strong>des</strong> gra n d s<br />

constats que nous avons pu faire est qu’il existe <strong>des</strong> systèmes<br />

qui sont complètement parallèles. Par exemple, il y<br />

a le système <strong>des</strong> MJC avec leur historique et leur territ<br />

o ire, leur chasse gardée, le système para-municipal, etc.<br />

Lorsque vous arrivez au milieu de tout cela, vous essayez<br />

de travailler sur une sorte de “transversalité", ce n'est<br />

plus de “l'économie solidaire", sur une action de fond, de<br />

lutter contre <strong>des</strong> idéologies anti-culturelles, d'exclusion,<br />

qui trouvent leur aboutissement dans l'expression du<br />

Front National, mais que globalement on a retrouvé dans<br />

tous les courants politiques, sur ce terrain <strong>des</strong> musiques<br />

j'entends. Il y a un cloisonnement qui est entretenu, que<br />

l'on retrouve de plus en plus et qui est développé aussi<br />

bien par les médias que par certains politiques dans le<br />

t raitement de ces musiques, en parlant une fois de la<br />

techno, une fois du rap, une fois de jazz. Cela participe<br />

aussi à une sorte d'enfermement, “d'apartheid musical"<br />

et empêche toute politique cohérente de se mettre en<br />

place. C'est peut-être aussi de cela dont nous pourrions<br />

débattre, du pourquoi lorsque nous essayons d'être un peu<br />

plus transversal, un peu plus large, on apparaît comme<br />

excessivement dangereux ?<br />

Je voudrais juste conclure ma première intervention<br />

sur ce point : le Florida, dont je m'occupe à Agen, a beau<br />

essayer d'amener une ouverture maximale sur les<br />

musiques : tous ceux qui veulent sa peau nous dénomment<br />

comme étant un centre islamiste, une école de rap<br />

ou un centre dit “culturel”. La reconnaissance, le droit à<br />

l'expression restent encore <strong>des</strong> débuts, <strong>des</strong> entrées premières<br />

pour parler de citoyenneté. C'est pour cela que je<br />

reviens un instant sur la Déclaration. C'est certainement<br />

insuffisant mais la tournée a permis de dégager une<br />

prise de conscience, de la part <strong>des</strong> différents lieux<br />

qui ont accueilli le débat, sur la problématique du<br />

Sous-Marin dont parlera Loïc. Certains d'entre nous<br />

ont découvert que l'on pouvait être aussi <strong>des</strong> lieux<br />

de débat et donc de confrontation. Certains étaient tellement<br />

fermés dans leur logique de diffusion, leur logique<br />

d'existence, de survie, qu'ils avaient oublié qu'ils pouvaient<br />

être <strong>des</strong> espaces de contradictions, de débats voire<br />

de subversion.<br />

Loïc Taniou, directeur du Sous-Marin - Vitrolles : Le<br />

Sous-Marin à Vitrolles a récemment été muré par la municipalité<br />

Front National. Cela faisait bientôt un an que la<br />

tension montait. Cela a monté depuis le concert de soutien<br />

où il y avait Noir Désir, Miossec, Massilia et d'autres<br />

groupes, et 4500 personnes venues soutenir le Sous-Marin<br />

pour renflouer ses caisses et aussi pour le conforter dans<br />

sa démarche artistique puisque, au mois de juin, le Sous-<br />

Marin avait été frappé du “délit de sale musique". On<br />

nous avait dit que notre programmation développait les<br />

mauvais instincts de la jeunesse et, de fait, ces musiqueslà<br />

- les musiques actuelles, les musiques amplifiées, le rock,<br />

le rap, la techno - ont été taxées de musiques dégénérées<br />

et de musiques tribales développant, encore une fois, les<br />

mauvais instincts de la jeunesse.<br />

Nous nous retrouvons dans le schéma d’une attaque<br />

virulente d'un parti politique, le F.N., sur <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles qui connaissent un succès populaire. Nous nous<br />

retrouvons dans une logique d'art dégénéré comme on<br />

l’entendait en 1940. Quelque part, c'est aussi la jeunesse<br />

qui a été attaquée, tout comme la citoyenneté. Nous nous<br />

sommes posé la question de savoir pourquoi ils avaient<br />

muré, pourquoi ils avaient cassé avec <strong>des</strong> barres de fer les<br />

panneaux de verre du Sous-Marin, pénétré à l'intérieur,<br />

17


18<br />

Un espace de résistance citoyenne avait été élaboré<br />

à partir du Sous-Marin<br />

soudé les portes et monté un mur. En fait, outre la programmation<br />

que nous faisions et l'espace de palabre qui<br />

était ouvert au quotidien et où les gens se rencontraient,<br />

ainsi que les ateliers avec les associations, les coproductions<br />

et l'ensemble <strong>des</strong> concerts que nous organisions, il y<br />

avait un espace de citoyenneté qui s'était développé. Il<br />

faut savoir que les associations de Vitrolles, notamment<br />

coordonnées autour de la C.A.V. qui représente environ 50<br />

associations sur Vitrolles, n'avaient plus vraiment accès à<br />

<strong>des</strong> lieux publics pour tenir leurs réunions. Nous avions<br />

donc mis à disposition notre salle de spectacle pour les<br />

réunions. Evidemment, il y avait un espace de résistance,<br />

et notamment de résistance citoyenne, qui avait été élaboré<br />

à partir du Sous-Marin. Or, le Sous-Marin, lieu<br />

c u l t urel, était ouvert à 50 mètres de la mairie et cela<br />

gênait considérablement.<br />

La liberté d'expression me semble être une question<br />

fondamentale, pour les associations et l’ensemble<br />

<strong>des</strong> citoyens. Dès le départ, lorsque nous<br />

avons monté notre association “café-musique"<br />

- la Lettre d'Opale n° 7 parle beaucoup de ce<br />

droit à l'initiative à partir du mouvement associatif - il a<br />

fallu que l'on montre aux élus notre volonté de monter un<br />

projet ouvert au niveau <strong>des</strong> jeunes dans un centre - v i l l e .<br />

Un projet capable de faire plusieurs choses : de l'économie,<br />

de l'insertion, de la diffusion pour que les gens accèdent<br />

à la culture au quotidien ou à <strong>des</strong> spectacles auxquels<br />

ils n'ont pas accès puisqu'il s'agissait de musiques que la<br />

municipalité ne prenait pas en compte. La municipalité<br />

développait une politique culturelle en direction du


t h é â t re, du jazz et pas en<br />

direction <strong>des</strong> musiques électriques.<br />

Ce sont <strong>des</strong> choses<br />

comme cela qu'il a fallu mont<br />

rer aux élus pour les<br />

convaincre, pour qu'ils prennent<br />

conscience de l'intérêt de<br />

notre existence dans le centreville.<br />

Comme on amène <strong>des</strong><br />

jeunes, donc du bruit qui gêne<br />

la population un peu plus<br />

âgée, et que le politicien calcule<br />

en nombre de voix, il y a<br />

donc eu <strong>des</strong> barrages qu'il<br />

nous a fallu casser avant<br />

d'avoir la reconnaissance et de<br />

pouvoir monter un projet avec<br />

le Ministère de la Culture et la<br />

ville de Vitrolles, et obtenir<br />

l'ouverture d'un lieu décent<br />

pour les jeunes de Vitro lles<br />

dans le centre-ville. Ensuite<br />

nous avons réussi à obtenir un<br />

succès populaire, à montre r<br />

toute l'importance d'un tel<br />

lieu dans une ville de 38000<br />

habitants. Une ville nouvelle<br />

où il n'y a pas beaucoup de<br />

souvenirs dans la population<br />

parce qu’il s’agit d’un urbanisme<br />

qui se construit de jour en<br />

jour et qu’il n'y a pas de lien<br />

PENTHOUSE<br />

fort qui se fait. Il était important<br />

qu'un lieu culturel comme<br />

le Sous-Marin permette aux<br />

jeunes de se rencontrer, de vivre au quotidien cette ville et<br />

d'avoir <strong>des</strong> souvenirs en commun.<br />

Évidemment, comme nous ne travaillons pas du<br />

tout sur les mêmes logiques que le Front National, celuici,<br />

dès son arrivée au pouvoir, nous a murés. A l'heure<br />

actuelle, nous cherchons un nouveau lieu pour retrouver<br />

une liberté d'expression sur la ville, une liberté de rencontrer<br />

les habitants et faire en sorte aussi que les autres<br />

associations de Vitrolles aient accès à un lieu public pour<br />

pouvoir poursuivre leurs activités. Nous en arrivons aux<br />

enjeux qui sont liés à la citoyenneté, en termes de<br />

musiques actuelles, en termes d'acteurs culturels et puis<br />

aussi aux responsabilités que nous nous devons d'assumer.<br />

Même si c’est difficile parce que l'on rentre dans d'autres<br />

logiques où il arrive que l'on soit pris en otage par le politique.<br />

Cette situation est difficile à vivre. Heureusement,<br />

nous avons un soutien très fort de la part de nos partenaires<br />

publics, que ce soit le Ministère de la Culture, le<br />

Conseil Général et le Conseil Régional.<br />

Pour reprendre l’expression “droit à l'initiative”,<br />

nous nous demandons comment les politiques perçoivent<br />

les démarches associatives, quel crédit elles leur donnent ?<br />

Quels moyens donnent-elles à ces associations pour<br />

qu'elles s'expriment et qu'elles aient leur chance de pouvoir<br />

se développer dans la ville ? Lorsque l'on arrive à<br />

asseoir une vraie activité sur la ville, activité que je qualifierais<br />

d'utilité publique, quelle contractualisation va voir<br />

le jour, quelle reconnaissance citoyenne va-t-on obtenir<br />

de la part <strong>des</strong> politiques pour ne pas passer à la trappe<br />

quelques années plus tard ?<br />

Huguette Bonomi, directrice MJC Corderie - Marseille :<br />

Je suis directrice d'une <strong>des</strong> deux MJC de Marseille. Celle-ci<br />

a une longue histoire avec le rock, longue histoire qui s'est<br />

arrêtée il y a deux ans puisque nous avons fait les frais<br />

d'une nouveauté en France qui est la Loi Sapin appliquée<br />

aux associations Loi 1901. Nous avons subi, comme 26<br />

autres équipements de Marseille, un appel d'offres national.<br />

Résultat <strong>des</strong> courses, on nous a dit que l'on nous<br />

rechoisissait, donc nous étions très contents. Mais depuis<br />

deux ans, nous sommes en fait un équipement municipalisé,<br />

tout en ayant gardé nos statuts MJC. La MJC est donc<br />

devenue un équipement municipal avec un conseil d'administration,<br />

<strong>des</strong> statuts de MJC et un cahier <strong>des</strong> charges<br />

très important qui fait à peu près 25 pages et compte 65<br />

articles. Il y a une fois le mot culture dans ce cahier. Il<br />

nous a été concédé parce qu'il se trouve que, depuis trois<br />

ans, nous avions une convention dans le cadre du développement<br />

social urbain où nous étions chargés de tout ce<br />

qui concerne les animations artistiques sur le centre-ville.<br />

Il s'agissait en fait d'une commande de l'Éducation<br />

n a t i onale. Donc, la municipalité a mis dans une ligne <strong>des</strong><br />

25 pages que nous pouvions faire de la culture. Mais<br />

depuis deux ans, comme nous avons une délégation de<br />

service public, nous devons faire du social et occuper les<br />

enfants, les jeunes et les adultes. Nous avons une commande<br />

très précise : on nous commande le nombre de<br />

jours et les horaires d'ouverture ainsi que l'organigramme<br />

minimum du personnel que nous devons avoir. Dans la<br />

commande, nous n'avons plus le droit de faire de la<br />

musique, de la culture. Si nous le faisons, nous nous<br />

débrouillons pour le faire avec de l’argent que nous prenons<br />

sur d'autres choses que nous ne faisons pas mais que<br />

nous devrions faire… Nous sommes assez bons, nous les<br />

directeurs de MJC, pour faire avec <strong>des</strong> sous ce que l'on ne<br />

devrait pas faire...<br />

Bref, nous ne pouvons plus faire de rock, de théâtre,<br />

de danse, en termes de programmation et en termes de<br />

production, puisque les locaux dans lesquels nous sommes<br />

19


2 0<br />

ne sont plus conformes, selon les critères de la commission<br />

de sécurité. Toujours selon ces critères, nous devrions être<br />

fermés depuis quatre ans mais cela ne gêne personne, si ce<br />

n'est le conseil d'administration de la MJC. Depuis deux<br />

ans, on nous a donné une délégation de service public<br />

pour fonctionner dans <strong>des</strong> locaux non conformes ! La<br />

municipalité nous a demandé combien d'enfants et combien<br />

de “vieux" nous touchions. Nous leur avons répondu :<br />

“Mais vous savez, nous avons tant de cours de danse et<br />

tant de gens qui font…” Ils nous ont reposé leur question<br />

à laquelle nous avons rétorqué : “Mais vous savez, nous<br />

faisons du théâtre, <strong>des</strong> arts plastiques…”. Ils ont reposé<br />

leur question ! Nous n'avons donc plus le droit de faire de<br />

la culture et surtout pas de la musique, et encore moins du<br />

rock ! Cela n'intéresse personne parce que la ville de<br />

Marseille a attribué, sur la carte, <strong>des</strong> lieux et <strong>des</strong> secteurs<br />

à <strong>des</strong> activités. Donc, on nous dit : “Vous MJC Corderie,<br />

vous êtes en centre-ville, il n'y a pas besoin que vous<br />

fassiez ni du rock, ni de la danse, ni du théâtre<br />

parce que dans le centre-ville, il y a l'Espace<br />

Julien, eux, ils font du rock et ils ont <strong>des</strong> sous<br />

pour le faire”. Idem pour la danse puisqu'on m'a<br />

répondu que les gens n'avaient qu’à aller faire de<br />

la danse là où il y avait déjà de la danse. La municipalité<br />

nous demande de nous occuper <strong>des</strong> “vieux” et <strong>des</strong><br />

“jeunes”, de ne pas faire de culture mais du social.<br />

Toutes les associations marseillaises, quelles qu'elles<br />

soient, MJC ou Espace Julien, ont été soumises à un appel<br />

d'offres et ont hérité d'une délégation de service public.<br />

Nous sommes 26 Maisons pour Tous sur Marseille et nous<br />

avons tous le même cahier <strong>des</strong> charges au mot près. Tous<br />

les six mois, nous passons un oral et un écrit pour savoir si<br />

c’est bon pour les six mois suivants !<br />

Si dans les années 80, nous avons milité pour avoir<br />

une délégation de service public, nos re v e n d i c a t i o n s<br />

étaient autres que ce que l’on nous impose aujourd ’ h u i .<br />

Exemple : un jour, on m'a annoncé que notre salle de<br />

spectacles n'était plus une salle de spectacles, qu'elle<br />

pouvait servir à tout sauf à montrer <strong>des</strong> spectacles ou<br />

offrir <strong>des</strong> activités. J'ai donc demandé que l'on me tro u-<br />

ve <strong>des</strong> locaux ailleurs pour accueillir le public. On m'a<br />

répondu que, puisque j'avais une délégation de service<br />

public, je devais les trouver seule. Idem pour la re s t a u ration<br />

<strong>des</strong> locaux. À partir du moment où on a signé un<br />

cahier <strong>des</strong> charges, où on a répondu à un marché national,<br />

on a le fameux label “délégation service public"<br />

dont il est question ici, on est mis en situation d'être un<br />

m o rceau du service public. Ce qui veut dire que l'on ne<br />

peut plus rien réclamer en tant qu'association. Nous<br />

sommes devenus l'institution officielle et moi, dire c t r i c e ,<br />

je suis traitée comme un cadre municipal. On me<br />

convoque à <strong>des</strong> réunions, on me donne <strong>des</strong> ord res. J'ai<br />

Si dans les années 80, nous avons milité pour avoir une<br />

délégation de service public, nos revendications étaient<br />

autres que ce que l’on nous impose aujourd’hui<br />

beau leur rappeler l'existence de notre conseil d'administ<br />

ration, rien n’y fait, on me dit “vous êtes la directrice<br />

donc vous devez”…<br />

Pour les juristes qui travaillent sur la question, il<br />

s'agit d'un détournement de la Loi Sapin. Un certain<br />

n o m b re d'élus politiques, de tous bords, n'hésitent pas à<br />

f a i re <strong>des</strong> délégations de service public, ce qui permet de<br />

d i re : “Vous voyez, il y avait un marché, on a fait un<br />

choix, ce n'est pas un choix politique, c'est le choix<br />

au mieux-disant”. À partir du moment où nous nous<br />

re t rouvons en délégation de service public, je vous assure<br />

que nous ne sommes plus nous-mêmes. Nous n'avons<br />

plus le droit d'expression, plus le droit du citoyen de base<br />

a d h é rent à une association. Lorsque les adhérents de la<br />

MJC se sont constitués en délégation pour demander <strong>des</strong><br />

locaux décents pour les enfants, c'est tout juste si les<br />

f o rces de l'ord re ne sont pas intervenues ! Depuis tro i s<br />

mois, tout ce que réclament les citoyens marseillais, résidant<br />

dans le centre-ville, ce sont <strong>des</strong> lieux pour s'exprimer<br />

parce qu'ils estiment qu'il n'y a pas assez d'activités<br />

dans le centre phocéen ! C'est tout ce que demandent les<br />

a d h é rents, rien de plus. Qu'on leur refuse, sous prétexte<br />

de délégation de service public, c'est tout simplement<br />

insupportable ! Il n'y a plus de vie associative et donc,<br />

pour moi, il n'y a plus de citoyenneté.<br />

Franck Lepage : Ce qui est intéressant, c'est que nous<br />

sommes en train d'accumuler quelques belles contradictions<br />

depuis le début de cette assemblée. Dans le cas présent,<br />

la délégation de service public renforce le cloisonnement<br />

<strong>des</strong> agents. Quelqu'un disait tout à l'heure :<br />

“Essayer la transversalité, c'est dangereux sur une<br />

ville”. J'ai noté cette phrase parce que c'est fondamentalement<br />

subversif. En fait, transgresser cette séparation <strong>des</strong><br />

fonctions, alors que chacun a une tâche spécifiée - par<br />

ailleurs dans une organisation de l'action publique tout à<br />

fait légitime au plan local - c'est subversif. Ceci me donne<br />

à penser qu'il y a effectivement une autre manière, un<br />

autre versant du fascisme, qui n'est pas seulement d'interdire<br />

mais aussi de spécifier.<br />

Jacques Subileau, président de Générations Sonores -<br />

St Denis : Je suis président d'une association assez<br />

récente qui essaie de vivre une aventure particulière avec<br />

l'art et principalement les pratiques musicales à Saint-<br />

Denis, entre la Basilique et le Grand Stade. Tout ce qui<br />

vient d'être dit est assez amusant, puisqu'à Saint-Denis,


nous avons un certain nombre de refondateurs, de gens,<br />

que par ailleurs politiquement j'apprécie beaucoup, mais<br />

qui nous ont visités pour la première fois seulement le<br />

week-end dernier. Ces politiques s'étonnaient qu'une sorte<br />

Il y a un autre versant du fascisme, qui n'est pas<br />

seulement d'interd i re mais aussi de spécifier<br />

de petite friche industrielle, là au cœur de Saint-Denis,<br />

puisse avoir d'un seul coup revêtu un caractère sympathique,<br />

convivial, ait une capacité de produire du sens, <strong>des</strong><br />

<strong>rencontres</strong>, de la création.<br />

Saint-Denis et un certain nombre de villes tout<br />

autour sont complètement démunies à la fois d'espaces un<br />

peu qualifiés du point de vue de la répétition et de la création<br />

et pratiquement ou totalement démunies d'espaces<br />

plutôt qualifiés pour la diffusion. Or, je vous jure que c'est<br />

étonnant quand on voit, comme moi qui vis à 200 mètres<br />

du Grand Stade, la transformation et surtout la capacité<br />

qu'ont eu le consortium, Coca-Cola, Gillette et compagnie,<br />

mais aussi le département, la ville... à transformer l'espace<br />

urbain, à préparer la fête dont je me réjouis quand même<br />

par ailleurs puisque je suis un fêtard.<br />

Tout à l'heure, Franck, tu faisais allusion à un certain<br />

nombre de données historiques et j'avais envie de te dire<br />

qu'en 83, j’étais de ceux qui organisaient une <strong>des</strong> plus<br />

gran<strong>des</strong> manifestations rap à Aubervilliers et qui réunissait<br />

6000 personnes. Cela veut dire qu'historiquement tu<br />

revois un certain nombre de choses, sinon, j'ai peur que<br />

nous loupions encore un train… De quels outils disposet-on<br />

pour analyser un certain nombre de choses du point<br />

de vue <strong>des</strong> pratiques culturelles et du point de vue <strong>des</strong><br />

pratiques artistiques. Je n'entends pas bien, y compris tout<br />

à l'heure sur la différenciation de l'artistique, du culturel...<br />

Je ne pense pas que nous ayons les outils corrects, aujourd'hui,<br />

d'approches qui nous permettraient à nous tous de<br />

mieux comprendre.<br />

Renaud Vischi, chercheur en science politique : Je suis ici<br />

en tant que chercheur en sciences sociales et plus précisément<br />

en tant que chercheur ethnographe de la mission<br />

Rave de Médecins du Monde (MDM) qui n'est pas du tout<br />

une association centrée sur le champ musical ou artistique.<br />

Cela peut paraître évident, cependant je le précise<br />

parce que j'écoute ce qui se dit et je m'aperçois que nous,<br />

à Médecins du Monde, nous restons très éloignés de vos<br />

problématiques. Nous intervenons dans les fêtes techno,<br />

sous la forme d’une recherche-action qui s'oriente selon<br />

deux pôles : un pôle “action de terrain" qui intervient<br />

directement sur les fêtes et un pôle “scientifique” qui<br />

tente d’évaluer les contextes festifs en terme de risques.<br />

Sur le terrain, les intervenants MDM assurent une présence<br />

sanitaire, c'est-à-dire qu'ils soignent les petits bobos<br />

(coupures, brûlures, piercing infectés...), organisent un<br />

point d’eau, distribuent <strong>des</strong> préservatifs et du matériel<br />

d’injection stérile. Un médecin est capable d'établir <strong>des</strong><br />

diagnostics pour les malaises ou les accidents plus<br />

graves. <strong>Les</strong> intervenants de terrain proposent aussi<br />

<strong>des</strong> brochures d'informations concernant les effets<br />

et les usages liés aux produits stupéfiants susceptibles<br />

de circuler dans la fête. Ils effectuent également <strong>des</strong><br />

contrôles rapi<strong>des</strong> <strong>des</strong> produits (CRP) sur les dance pills. Ces<br />

tests consistent à révéler chimiquement trois gran<strong>des</strong><br />

familles moléculaires susceptibles de provoquer <strong>des</strong> états<br />

modifiés de conscience : méta-amphétamines, amphétamines<br />

et hallucinogènes. Il n’est pas possible, cependant,<br />

de fournir <strong>des</strong> précisions fiables concernant dosages et<br />

produits de coupe. Le pôle recherche mène une investigation<br />

pluridisciplinaire (ethno/socio/psycho/pharmacologique)<br />

afin de mieux évaluer les besoins dans les fêtes et<br />

améliorer l’information sur les produits. Nous produirons<br />

un rapport fin mars 1999. Pour le moment, nous sommes<br />

en phase de recueil <strong>des</strong> données.<br />

J’ajouterai quelques réflexions sur la façon dont<br />

s'inscrit Médecins du Monde, association humanitaire ,<br />

dans le champ spécifique <strong>des</strong> fêtes techno. Vous vous en<br />

doutez, il existe actuellement un certain nombre d'associations<br />

techno qui ont <strong>des</strong> objectifs assez différents. Il<br />

existe notamment <strong>des</strong> associations qui visent à rétablir la<br />

communication entre ce qu'on appelle les “teufers”,<br />

c'est-à-dire les gens qui se rendent dans les raves et qui<br />

visent à informer ces personnes sur les substances qu'ils<br />

peuvent éventuellement consommer. Par rapport à ces<br />

associations, la mission Rave de Médecins du Monde<br />

revendique plutôt une position de relais. Médecins du<br />

Monde s’inscrit dans une philosophie de réduction <strong>des</strong><br />

risques : l’association constate que les gens consomment,<br />

elle ne pose pas de jugement de valeur là-<strong>des</strong>sus, elle est<br />

relativement pragmatique. Le contrôle rapide <strong>des</strong> produits<br />

plus communément appelé “testing” symbolise cela.<br />

C'est ce qui est qualifié de “bon sens” en Hollande et<br />

“d'incitation” en France. Médecins du Monde est une<br />

grosse association. Il me semble que nous sommes crédibles<br />

au niveau de l'opinion publique, que nous possédons<br />

une image diffuse positive et que nous avons de<br />

bons relais dans certaines institutions. Ces facteurs nous<br />

autorisent, d’une certaine manière, à travailler aux<br />

marges de la légalité. Je rappelle que le testing est illégal<br />

parce qu'en France, il est interdit d'être en possession de<br />

produits stupéfiants. Or, lorsque le “c onseiller” médecin<br />

du monde teste <strong>des</strong> comprimés ou <strong>des</strong> gélules, ceux-ci<br />

circulent forcément entre ses mains.<br />

Ce que Médecins du Monde se permet, les associations<br />

techno ne peuvent pas se le permettre. Ce sont <strong>des</strong><br />

2 1


2 2<br />

associations relativement récentes, qui restent méconnues<br />

du grand public et ne sont pas encore suffisamment crédibles<br />

au niveau institutionnel. La stratégie de la Mission<br />

Rave est donc la suivante : nous ne comptons pas intervenir<br />

sur la techno indéfiniment mais seulement sur une<br />

période temporaire. Il s’agit de populariser ou plutôt crédibiliser<br />

non seulement le contrôle rapide <strong>des</strong> produits<br />

mais l’intervention sanitaire dans les fêtes techno. Nous<br />

souhaitons en démontrer la<br />

pertinence en termes de<br />

réduction <strong>des</strong> risques pour<br />

qu'ensuite, d'autres associations,<br />

en particulier les associations techno, les associations<br />

d'usagers, prennent le relais dans <strong>des</strong> conditions<br />

favorables. Ainsi Médecins du Monde travaille de concert<br />

avec plusieurs associations techno.<br />

Cette incursion tempora ire de Médecins du Monde<br />

dans le secteur artistique me décale <strong>des</strong> pro blématiques<br />

abordées par cette table ronde. Mais je fais aussi de la<br />

science politique, de la sociologie politique, et je tra vaille<br />

sur la techno et le hip-hop depuis un peu plus de quatre<br />

ans maintenant. Et je me posais donc un certain nombre de<br />

questions par rapport à ce que vous disiez. C'est-à-dire que<br />

j'entends parler d'éducation populaire et tout en vous<br />

écoutant je me demande, par rapport au mouvement techno,<br />

qui, finalement, a besoin d'être éduqué ? Est-ce que ce<br />

sont les gens qui participent à ce mouvement ou les MJC<br />

et autres structures d’accompagnement ? C'est une question<br />

que je me pose. Egalement dans tous les discours que<br />

j'ai entendus, il me semble que l’on cherche à intégrer par<br />

la pratique musicale, à transformer les musiciens en<br />

citoyens, on cherche à pro duire de la citoyenneté par la<br />

médiation de l’art. Mais l’expression musicale n’est-elle pas<br />

en elle-même une prise de position citoyenne ? La création<br />

artistique exige un espace de liberté important. <strong>Les</strong> structures<br />

institutionnelles peuvent-elles assurer cet espace dès<br />

lors qu’elles sont soutenues par la sphère publique, encadrées<br />

par un dispositif légal qu’on peut juger étroit et soucieuses<br />

d’inculquer certaines normes (ici celles corre spondant<br />

à ses pro pres représentations de la citoyenneté) ?<br />

Qui, finalement, a besoin<br />

d ' ê t re éduqué ?<br />

Joël Le Crosnier, directeur CAC Georges Brassens -<br />

Mantes-la-Jolie : Je me suis un peu retrouvé dans ce que<br />

disait ma collègue de Marseille lorsqu'elle parlait de délégation<br />

de service public. Je suis un directeur de MJC mis à<br />

la disposition du service culturel de la ville de Mantes-la-<br />

Jolie qui me met à disposition d'une association centre<br />

d’action culturelle. Toutes les chaises, toutes les tables,<br />

tous les stylos bille appartiennent à la ville. Elle intervient<br />

à plus de 50 % du budget global de fonctionnement et<br />

paie les flui<strong>des</strong> et mon salaire. Cette idée de la démocratie,<br />

c'est un peu qui paie et qui commande, quel est son<br />

projet ?… C'est un peu dans ce sens-là qu'est le débat.<br />

C'est-à-dire que la ville de Mantes-la-Jolie paie pour un<br />

projet qu’elle a envie de voir se réaliser. Là-dedans, la place<br />

de la démocratie et de la vie associative et de sa responsabilité<br />

trouvent à mon avis une part de ses limites.<br />

A Mantes-la-Jolie, l'idée de la municipalité, c'était :<br />

“Voilà, nous avons essayé pas mal de formes de médiation<br />

: le sport, les stages, l'emploi… Tout cela ne marche<br />

pas. C'est toujours une poudrière. Il y a toujours trois<br />

quartiers qui sont en opposition : un centre-ville traditionnel,<br />

traditionaliste et traditionnellement de droite,<br />

un quartier, le “Val Fourré", plutôt ancré à gauche et<br />

plutôt ancré sur les gens qui ne votent pas, c'est-à-dire<br />

travailleurs immigrés, et entre les deux, le Front<br />

National”. L'idée du maire de Mantes-la-Jolie, comme<br />

celle du maire de Marseille, est donc de dire qu'il y aura un<br />

lieu pour faire de la musique amplifiée, un lieu pour faire<br />

du théâtre, un lieu pour faire de la danse, etc, et les cartes<br />

sont distribuées de la sorte. Sur tout cela, je n'ai pas eu à<br />

donner mon avis, je suis arrivé après. Nous sommes en<br />

place avec mon équipe depuis un an et demi, donc nous<br />

sommes arrivés pour répondre à une commande.<br />

Je pense qu’il est intéressant de se demander pourquoi<br />

est-ce que l'on prend <strong>des</strong> professionnels de l'éducation<br />

populaire pour mener ce projet alors que nous serions<br />

plutôt pour la défense d'une vraie vie démocratique asso -<br />

ciative et du libre droit de parole, libre gestion, libre mise<br />

en place <strong>des</strong> projets ? Peut-être pour, si l’on reprend ce<br />

qu'a écrit Franck Lepage dans le petit document synthétique<br />

sur la Fédération, avoir <strong>des</strong> “contradicteurs intelligents”.<br />

Cela veut dire qu'ils ont mis au service culturel<br />

quelqu'un qui est issu du ministère Jack Lang, quelqu'un<br />

qui est issu <strong>des</strong> émeutes de Vaulx-en-Velin et ils ont mis à<br />

l’action culturelle quelqu'un qui est issu <strong>des</strong> MJC, donc qui<br />

appartient à une histoire associative. Avec cela, la municipalité<br />

a réussi à rendre fonctionnelles <strong>des</strong> personnes,<br />

pourtant issues de la volonté démocratique associative,<br />

dans un système complètement municipalisant. De mon<br />

point de vue, en ce qui concerne la démocratie, ce n'est<br />

pas là qu'est l'enjeu. Tout cela, c'est l'enjeu gestionnaire de<br />

la démocratie et pour moi, la démocratie, ce n'est pas de<br />

la gestion. La démocratie, c'est la capacité d'ouvrir <strong>des</strong><br />

espaces de liberté, la capacité d'ouvrir <strong>des</strong> espaces de dialogue<br />

et notre capacité à intervenir d'une manière intelligente<br />

sur les différents maux de la société.<br />

Nous avons <strong>des</strong> expériences sur <strong>des</strong> cultures qui<br />

deviennent maintenant <strong>des</strong> cultures cultivées comme le<br />

rap qui, après avoir eu <strong>des</strong> passages plus clan<strong>des</strong>tins ou<br />

plus violents est désormais institutionnalisé à un tel point<br />

que nous accompagnons du “rap variété” et plein de<br />

choses qui existent et qui sortent un petit peu de la marge.<br />

Nous fédérons, au sein de notre centre culturel, 18 asso-


ciations officielles et une trentaine d'associations de musiciens<br />

qui sont “associations" toujours pas en termes de<br />

démocratie mais en termes de gestion. C'est plus simple<br />

pour eux de gérer, cela leur permet de draguer la subvention,<br />

de draguer la municipalité, d'avoir un couvert lorsqu'ils<br />

vont tourner. C'est une relation business et absolument<br />

pas une relation à la démocratie. Cette perversion du<br />

système associatif, de mon point de vue, nous éloigne du<br />

thème que l'on devait aborder.<br />

Nous avons décidé de travailler de manière très<br />

volontariste sur le soutien à l'expression et à la création.<br />

En un an et demi d'existence, nous avons produit deux<br />

compilations, un livre qui a fait suite aux ateliers d'écriture<br />

que nous avons mis en place. Nous avons produit un CD<br />

qui a été une création originale pour accompagner une<br />

pièce de théâtre. Cette année, nous sommes autour de<br />

cinq prévisions de sortie de CD. Nous créons un outil qui<br />

est le CD pour dire aux musiciens : “il est important<br />

maintenant que vous puissiez faire le point et savoir un<br />

petit peu où vous en êtes”. Pour faire le point, il faut faire<br />

le deuil, à un moment donné, de la création, c'est-à-dire<br />

La démocratie, ce n'est pas de la gestion. La démocratie,<br />

c'est la capacité d'ouvrir <strong>des</strong> espaces de liberté<br />

savoir l'arrêter. Un écrivain qui continuerait à écrire son<br />

livre toute sa vie, sans jamais se confronter à l'édition,<br />

parce que cette édition va peut-être permettre d'ouvrir un<br />

deuxième livre, raterait l'essentiel de son travail.<br />

<strong>Les</strong> associations qui développent leur travail autour<br />

<strong>des</strong> musiques amplifiées ne sont pas soutenues, ou bien<br />

alors avec une aumône, parce que les budgets alloués à ce<br />

soutien-là sont tellement étroits qu'il n'y a pas de réalité.<br />

On parle <strong>des</strong> ministères Jeunesse et Sports et Culture, et<br />

nous sommes heureux que les deux ministères puissent<br />

enfin travailler ensemble pour nous soutenir. Mais lorsque<br />

l'on connaît les budgets nationaux de “Jeunesse et <strong>des</strong><br />

Sports” pour soutenir l'éducation populaire, et dans ces<br />

budgets, ceux qui sont alloués au soutien aux expressions<br />

musicales, cela laisse perplexe sur la capacité au soutien.<br />

Finalement, nous mettons en place <strong>des</strong> moyens purement<br />

terre à terre : “tu fais du rap, on va faire du rap, mais<br />

il faut que tu prennes conscience de ton entourage et<br />

que tu sois revendicatif et porteur”. C'est pas moi, technocrate<br />

gestionnaire missionné par le service culturel et<br />

mis à disposition par une grande fédération nationale, qui<br />

dois être porteur du discours du musicien. Il faut que<br />

celui-ci soit porteur de son propre discours. Peut-être alors<br />

que la démocratie en redevenant plus directe, en étant un<br />

peu moins encadrée par nous, par moi en tous les cas, permettra<br />

un véritable discours autour de la démocratie participative<br />

et non de représentation. Tout cela, parce que<br />

j'ai quand même l'impression que lors <strong>des</strong> différentes<br />

interventions que j'ai pu entendre, on parle plus de démocratie<br />

de représentation que de démocratie directe.<br />

Philippe Berthelot : Je voudrais revenir à la notion de<br />

considération <strong>des</strong> musiciens et notamment par le champ<br />

associatif. La notion citoyenne ne vient pas du jour au lendemain<br />

dans la culture locale d'une municipalité en<br />

termes de pédagogie. Elle se découvre, au fur et à mesure,<br />

<strong>des</strong> pistes que l'on veut bien nous laisser. Je pense que,<br />

pour l'instant, ce sont l'éducatif et le pédagogique. <strong>Les</strong><br />

musiciens n'étant pas identifiés dans une ville, n'ayant<br />

donc pas de fonction sociale ou de visibilité sociale, cette<br />

dernière n'existe que de manière économique.<br />

N'y a-t-il pas un rôle de la part <strong>des</strong> associations,<br />

notamment sur le champ <strong>des</strong> pratiques amateurs, à faire<br />

identifier ces pratiques ? Je n'ai pas dit qu'il fallait les<br />

gérer mais, au moins, les faire identifier aux yeux de la<br />

population et du politique. C'est déjà, à mon sens, le B.A.-<br />

Ba parce que, si nous commençons à aller sur d'autres<br />

champs, nous allons nous triturer les méninges en omettant<br />

l'essentiel. Il faudrait peut-être que l'on<br />

procède par ordre. C'est apparemment ce que<br />

tu es en train de faire à Mantes-la-Jolie en<br />

disant : “Voilà, il y a <strong>des</strong> mecs qui existent,<br />

voilà ce qu'ils produisent”… C'est un début. Ensuite,<br />

donner à ces gens-là <strong>des</strong> éléments d'information sur leur<br />

parcours citoyen éventuel, c'est le propre <strong>des</strong> MJC. Ce n'est<br />

quand même pas à moi de vous dire cela, moi qui ne suis<br />

pas dans le système fédératif. Il est clair qu'actuellement<br />

la pédagogie développée par les politiques et notamment<br />

les politiques locaux, avec le jeu de l'électoralisme, c'est la<br />

citoyenneté poujadiste. En gros, le musicien entre dans un<br />

système donnant-donnant. C'est le bazar, c'est le souk et<br />

chacun essaie de négocier sa petite affaire. Je ne pense pas<br />

que ce soit cela qui soit le plus intéressant car nous rentrons<br />

là dans un phénomène de délitement du lien social,<br />

d'affrontement et absolument plus dans la confrontation.<br />

C'est de l'exclusion permanente. Nous avons là une responsabilité<br />

associative fondamentale.<br />

Contrairement au rap, la techno est un <strong>des</strong> mouvements<br />

qui a très vite su, en bénéficiant certainement <strong>des</strong><br />

acquis du rock, entrer dans un phénomène très avancé de<br />

relation institutionnelle. Le mouvement techno a ses<br />

chercheurs, <strong>des</strong> personnes qui formalisent pour eux, et<br />

cela leur permet de rentrer dans un schéma de reconnaissance.<br />

Dommage que cet acquis, cette force qu'a la techno<br />

en ce moment, même si elle est diabolisée d'un côté, ne<br />

serve pas l'ensemble <strong>des</strong> musiques. Il faudrait donc qu'il y<br />

ait un schéma de reconnaissance plus large. Je conclus par<br />

la notion du décloisonnement, pour parler d'un terrain<br />

musical, d'un ensemble musical dans lequel nous pour-<br />

2 3


2 4<br />

rions, à un moment donné, parler <strong>des</strong> mêmes choses et<br />

défendre <strong>des</strong> notions, <strong>des</strong> valeurs qui pourraient nous être<br />

communes avec un travail de fond que nous pourrions<br />

faire ensemble.<br />

Renaud Vischi : On parle de techno qui s'institutionnalise<br />

avec succès et efficacité. C'est vrai, certains pionniers<br />

<strong>des</strong> fêtes techno ont parfaitement su jouer avec les institutions<br />

publiques, mais je crois que cette institutionnalisation<br />

a également son pendant qui consiste en une<br />

radicalisation de toute une frange du mouvement. Cette<br />

réaction s’exprime au tra v e rs <strong>des</strong> fêtes clan<strong>des</strong>tines et<br />

g ratuites (technival free party). Ces événements re groupent<br />

<strong>des</strong> “teufers” qui refusent toute compro m i s s i o n<br />

avec le “Système”. Il faut expliquer qu'au départ, la techno<br />

(il y avait peut-être une ambiguïté) s'est aussi présentée<br />

comme une alternative au “Système”, comme une utopie<br />

tempora i re sur une nuit, une nuit qui n'a pas de fin<br />

et dans un endroit étrange. La rave s’apparentait au<br />

voyage, à l’expérience. À partir du moment où cette utopie<br />

a commencé à se formaliser, parce que pour s'institut<br />

i o n n a l i s e r, <strong>des</strong> concessions ont dû être faites, il a fallu<br />

terminer les party plus tôt, les faire dans <strong>des</strong> lieux, tels<br />

que Bercy, on l'a vu pour le Métropole techno, construire<br />

<strong>des</strong> plateaux alléchants, conclure <strong>des</strong> partenariats<br />

f i n a nc i e rs... Ces éléments et bien d’autres ont tra n s f o r m é<br />

la rave en soirée techno. La fête techno, en s'institutionnalisant,<br />

a perdu la part de rêve qu'elle suscitait chez les<br />

p e rsonnes et, à côté de cette institutionnalisation<br />

p e rceptible à tra v e rs les médias, il y a toute une fra n g e<br />

qui se développe et qui connaît un franc succès : ce sont<br />

les free party, les technival, qui sont plus radicales que ce<br />

qu'était la techno il y a cinq ou six ans.<br />

En ce qui concerne le rap, je trouve que ses acteurs<br />

gèrent beaucoup mieux son institutionnalisation parce<br />

que, le rap, c'est du dialogue permanent. C'est-à-dire que<br />

dans les textes rap, on discute business, on discute du fric<br />

et il n'y a pas d'ambiguïté. Le rapeur revendique le fait de<br />

faire du rap pour gagner de l’argent parce que, comme il<br />

le dit, il n'y a pas d'autres moyens pour lui. Il ne se compromet<br />

pas, il gagne de l'argent mais reste authentique.<br />

C'est une façon de gérer beaucoup plus explicite et, encore<br />

une fois, il n'y a pas d'ambiguïté. Dans le rap, il y a aussi<br />

tout un discours sur les “wack”. <strong>Les</strong> “wack MC”, ce sont<br />

les faux, c'est-à-dire les MC qui font <strong>des</strong> compromissions.<br />

Ils sortent un hit pour se faire de l'argent mais ne savent<br />

pas raper et acceptent de se formater aux normes <strong>des</strong> stations<br />

FM. Je crois que le rap est beaucoup plus clair làd<br />

e ssus même s’il met plus de temps à gagner de l'argent<br />

et à s'organiser. Il est vrai que cela concerne <strong>des</strong> classes<br />

sociales qui ont un parcours scolaire plus limité. Même si<br />

nous n'avons pas de données socio-démographiques sur la<br />

techno, a priori, et vu l'efficacité du système, nous pouvons<br />

dire que le raveur est plus facilement prêt à affronter<br />

la société que le rapeur.<br />

Franck Lepage : Sur cette séparation <strong>des</strong> genres musicaux,<br />

il me semble que l'on va un peu vite en souhaitant<br />

un décloisonnement que ne souhaitent pas forcément les<br />

pratiquants eux-mêmes…<br />

Philippe Berthelot : Cela dépend de quel côté on se place.<br />

Soit on est serviteur et on accompagne ces pratiques, soit<br />

on est pratiquant soi-même. Le pratiquant peut se reconnaître<br />

dans sa pratique. Le problème, c'est qu'à chaque<br />

fois, on essaie d'être tout en même temps. À chacun de<br />

savoir ce qu'il a à faire et où il doit se positionner. Je suis<br />

au service de ces pratiques avec en partie de l'argent<br />

public. Ma question est de savoir si je travaille pour un<br />

g roupe très particulier ou si je travaille pour le plus<br />

g rand nombre, l'intérêt général ?… Il faut arrêter de<br />

f l u ctuer quand cela<br />

nous intéresse. Un<br />

coup on est dans la<br />

d é m a rche de la reconnaissance<br />

esthétique,<br />

on s'enferme dedans et on sert <strong>des</strong> intérêts particuliers,<br />

un coup on est sur un champ plus large... C’est tout<br />

le débat de la spécialisation. A certaines pratiques correspondent<br />

<strong>des</strong> besoins spécifiques. Je suis étonné que l’on en<br />

soit encore à se poser ce style de question à l'heure actuelle.<br />

Il se trouve qu'il y a également <strong>des</strong> dénominateurs<br />

communs à l'ensemble de ces musiques qui vont notamment<br />

porter sur l'amplification. Nous commençons à<br />

savoir comment gérer les équipements et comment pouvoir<br />

les mettre à disposition, que ce soit en centre-ville ou<br />

dans les quartiers. Nous savons que c'est nécessaire parce<br />

que c'est aussi une manière d'identifier ces pratiques dans<br />

la ville. Mais nous n'avons toujours pas travaillé sur le<br />

fond, c'est-à-dire savoir comment on allait leur permettre<br />

de se développer. Je n'ai pas dit comment nous allions les<br />

gérer mais comment nous allions apporter les moyens de<br />

permettre leur développement.<br />

Il ne peut y avoir de politique qui s'adresse simplement<br />

à une esthétique musicale. Sinon on recommence<br />

l'atomisation, le système de “l'apartheid musical”. Si l'on<br />

regarde les étu<strong>des</strong> sociologiques, sur <strong>des</strong> lieux à tendance<br />

généraliste, le rap va constituer 10 ou 15 % selon l'agglomération,<br />

selon qu'il soit en milieu rural ou autre, mais les<br />

médias donnent le ton aux politiques. Nous sommes dans<br />

l'air de la techno et du hip-hop : les politiques se disent,<br />

par exemple, que les hard-rockers n'existent plus. Le problème,<br />

c'est qu'il en reste et en termes de pratique c'est<br />

toujours aussi dominant. La guitare électrique reste encore<br />

A certaines pra t i q u e s<br />

c o r respondent <strong>des</strong> besoins<br />

s p é c i f i q u e s


le premier instrument dans l'usage au quotidien <strong>des</strong> musiciens<br />

dit amplifiés ou actuels. À mon sens, il faut faire très<br />

attention à cette cavalcade permanente dans les clichés et<br />

les caricatures. Il est donc important de se replacer, de<br />

savoir quelles sont les responsabilités que nous avons sur<br />

le champ associatif par rapport à ces musiques. Il faut<br />

qu’il y ait un système d'arbitrage qui puisse permettre à<br />

tout le monde d'exister. Ou bien alors on développe la tribalité,<br />

<strong>des</strong> sociétés qui s’entrechoquent… Il est évident<br />

que selon le territoire où l'on se trouve, il peut y avoir <strong>des</strong><br />

esthétiques qui priment mais c'est variable. Sur un lieu, on<br />

peut s'apercevoir qu'il y a eu une époque où le mouvement<br />

punk était très présent mais, quelle que soit la dominante<br />

du temps présent, elle ne doit pas empêcher les<br />

autres d'exister.<br />

Loïc Taniou : Je suis organisateur et c'est vrai qu'au<br />

départ nous étions branchés très punk, très hard - c o re ,<br />

mais à force d'organiser <strong>des</strong> concerts, de gérer un lieu,<br />

cela devient important de brasser différents publics. Il y<br />

a une esthétique de musique que l'on préfère pro grammer<br />

mais l'intérêt vient aussi du mélange <strong>des</strong> publics, du<br />

métissage qui se crée. D'ailleurs, au niveau musical, on<br />

voit que le rock, le rap et la techno se mélangent de plus<br />

Il est important que l’on retrouve un public-citoyen<br />

et <strong>des</strong> musiciens-citoyens qui puissent s’exprimer<br />

FUNDAMENTAL<br />

en plus. C'est important et, nous, nous nous battons pour<br />

décloisonner le public. C'est-à-dire qu'un public étudiant<br />

qui va aller voir Miossec ou Louise Attaque puisse<br />

aller écouter un groupe bruyant comme les Thugs et que<br />

le public <strong>des</strong> Thugs puisse aller voir un groupe plus<br />

“c hanson-rock”. Je pense que l'on va vers <strong>des</strong> publics de<br />

plus en plus larges et je pense que c'est primord i a l<br />

l o rsque l'on travaille sur le culturel. Cela n'empêche pas<br />

les différentes tribus de continuer à exister. D'autant<br />

plus que nos musiques rejoignent à peu près les mêmes<br />

schémas. Il est important d'avoir un public-acteur, que<br />

l'on re t rouve un public-citoyen et <strong>des</strong> musicienscitoyens<br />

qui puissent s'exprimer. En tant que lieu, nous<br />

allons essayer d'être un lieu d'expression ouvert à tous<br />

pour donner les moyens à ces courants musicaux de s'exprimer<br />

et de re n c o n t rer leur public. Nous touchons ici la<br />

liberté d'expression qui est souvent attaquée. Tant au<br />

niveau hip-hop et rock par exemple, il me semble que ce<br />

sont deux esthétiques de la colère, les textes se re j o i-<br />

gnent. On rejoint les mêmes combats : urbanisme délirant,<br />

accès à la culture, autonomie de l'individu, individu<br />

responsable qui a le droit de se développer dans sa cité.<br />

Certes, chacun n'emploie pas les mêmes mots car chacun<br />

est issu de classes sociales différe n t e s .<br />

2 5


2 6<br />

Jacques Subileau : Le rap est quelque chose qui évolue.<br />

Toute une frange de la population qui adhérait à ce genre<br />

d'expression a une espèce d'avidité pour accéder à un<br />

espace sonore et musical et pas seulement à la parole.<br />

Quand nous avons monté un <strong>des</strong> premiers studios consacrés<br />

au rap, cela déboulait du sud, du nord, de toutes les<br />

banlieues, pour prendre d'assaut les espaces et avoir une<br />

personne-ressource qui les mettrait en relation avec une<br />

technologie nouvelle leur permettant d’accéder à un univers<br />

sonore où ils allaient pouvoir construire leurs instrumentaux.<br />

Aujourd'hui, quand on monte une opération en<br />

direction <strong>des</strong> jeunes, on constate que ce qu’ils veulent<br />

c'est prendre le micro pour chanter <strong>des</strong> textes qu'ils ont<br />

patiemment construits. Ils ont une absence totale d'instrumentaux.<br />

La première chose qu'ils vont demander aux<br />

espaces de création, à <strong>des</strong> ingénieurs du son, à <strong>des</strong> techniciens,<br />

c'est de les aider à construire ces instrumentaux.<br />

Par ailleurs, sur la question du cloisonnement, il est<br />

clair que lorsqu'on se promène et qu'on fait le tour de<br />

France, il est sûr que l'on peut avoir <strong>des</strong> données nationales<br />

mais qui ne sont pas applicables à tel quartier<br />

d'Agen, de Saumur ou de Troyes. <strong>Les</strong> pratiques sont extrêmement<br />

différentes. En revanche, ce que l'on peut constater,<br />

c'est que le cloisonnement existe. Il faudrait peut-être<br />

commencer par (je pense aux intellectuels, aux institutions<br />

mais aussi aux médias…) arrêter de dire un certain<br />

nombre d’idioties. Par exemple, que la musique est universelle,<br />

qu'elle est socialisante par nature, bref, un certain<br />

nombre de trucs complètement aberrants. À mon avis, cela<br />

commence par là. Il faut remettre en question un certain<br />

Il faudrait peut-être commencer par arrêter de dire un<br />

certain nombre d’idioties. Par exemple, que la musique<br />

est universelle, qu'elle est socialisante par nature<br />

nombre de ces choses. Politiquement et philosophiquement<br />

parlant, il y a <strong>des</strong> choses dans ces affrontements,<br />

dans ces chapellisations qui ne se jouent pas à la marge<br />

mais se jouent au centre et au cœur même d'histoires qui<br />

sont bien réelles, d'un point de vue culturel, d'un point de<br />

vue social, économique… Cela me paraît évident.<br />

Renaud Vischi : J'ai travaillé en sociologie politique sur les<br />

attitu<strong>des</strong>, dans une approche comparative entre la techno<br />

et le hip-hop. Que ce soit le hip-hop, la techno (et même,<br />

j'ai réalisé quelques entretiens sur le rock et le jazz) : les<br />

discours ne sont certes pas identiques. Il y a <strong>des</strong> nuances<br />

de taille, c’est un fait. Toutefois, on retrouve toujours une<br />

même problématique qui est la problématique du vrai et<br />

du faux, de l'underground et du commercial, de l'authentique<br />

et du vendu. Et surtout, on remarque qu'entre les<br />

gens qui se revendiquent de l'underground, les discours<br />

ont tendance à converger même très nettement. Je pense,<br />

par exemple, qu'il y a <strong>des</strong> musiciens techno qui sont idéologiquement<br />

plus proches de certains musiciens hip-hop<br />

que de certains de leurs congénères. Sous cet angle de<br />

vision, on ne peut que regretter cette tendance, qui<br />

n’épargne malheureusement pas la recherche, à focaliser<br />

sur tel ou tel courant musical particulier plutôt que sur les<br />

schèmes d’attitu<strong>des</strong> transversaux aux différents courants.<br />

En ce qui concerne les données socio-démographiques, il<br />

est vrai que nous n'en avons pas. Il y a certes eu celles du<br />

Florida qui sont ce qu'elles sont, mais je tiens à signaler<br />

qu'avec Médecins du Monde, nous sommes en train de<br />

mettre en place un questionnaire et que nous allons donc<br />

avoir <strong>des</strong> données sur la techno qui devraient être relativement<br />

représentatives d'ici un an.<br />

Olivier Douard, chercheur : Je suis chargé de recherches<br />

à l'INJEP, l'Institut National de la Jeunesse et de l'Éducation<br />

Populaire, qui est un établissement du Ministère de la<br />

Jeunesse et <strong>des</strong> Sports. Je veux bien confirmer que nous<br />

avons peu de données sur la question, mais je pourrais<br />

vous renvoyer, malgré tout, à un petit ouvrage de Pierre<br />

Mayol, du Département Étu<strong>des</strong> et Prospectives du<br />

Ministère de la Culture, qui s'appelle “<strong>Les</strong> Enfants de la<br />

Liberté”, puisque plus de la moitié de l'ouvrage est consacrée<br />

aux musiques amplifiées.<br />

Venir à vos Rencontres sur la musique, moi, je n'y<br />

connaissais rien et, en soi, cela m'intéressait très peu. La<br />

citoyenneté, il y a tellement d'endroits où on parle de<br />

citoyenneté que cela m'intéressait peu aussi. Alors, qu'estce<br />

qui pouvait bien m'intéresser là-dedans. C'est le<br />

“ET" bien entendu, et c'était le “ET" posé par la<br />

Fédération Française <strong>des</strong> MJC. Je m'explique pour<br />

être un peu plus clair. Il me semble qu'il y a<br />

quelques années les MJC se sont investies dans un<br />

secteur qui est celui <strong>des</strong> musiques amplifiées et presque<br />

d'une manière que je qualifierais de stratégique.<br />

Comme je suis un peu néophyte mais que j’ai<br />

quelques repères par ailleurs, j'avais lu cela comme une<br />

certaine manière, pour faire de la provocation comme<br />

Franck Lepage, de se relégitimer sur un secteur qu'est la<br />

jeunesse. À savoir, pour faire allusion à un certain nombre<br />

de travaux sociologiques concernant les musiques amplifiées,<br />

que la catégorie jeunesse est complètement contestable,<br />

tout le monde le sait, mais qu'il y aurait quelque<br />

chose, quelque part, qui serait à peu près reconnu par l'ensemble<br />

<strong>des</strong> jeunes et qui serait un certain nombre de<br />

p ratiques musicales. Je m'étais dit, à l’époque, que cela<br />

procédait vraisemblablement d'une réflexion très approfondie<br />

mais en même temps, stratégiquement, c'était<br />

quelque chose d'intéressant qui allait relégitimer les MJC<br />

par rapport au secteur de la jeunesse.


Sauf qu’aujourd’hui parler de citoyenneté, c'est<br />

immanquablement se coltiner une problématique qui est<br />

“trans-générationnelle”, qui dépasse complètement la<br />

problématique de la catégorie, la catégorie jeune, et qui<br />

renvoie probablement à quelques racines de la Fédération<br />

Française <strong>des</strong> MJC dans l'éducation populaire. Donc, ce<br />

“ET” m'intéresse bien parce que j'y ai lu l'occasion pour<br />

une grande fédération de se coltiner une problématique<br />

qui n'est pas si facile que cela, du lien que peut faire -<br />

l'inconscient et l'idéologie font nœud comme dira i e n t<br />

c e rtains - la Fédération Française <strong>des</strong> MJC entre ces pratiques,<br />

en termes d'activités, d'interventions publiques, et<br />

Parler de citoyenneté, c'est immanquablement se coltiner<br />

une problématique qui est “trans-générationnelle”<br />

un certain nombre de postulats idéologiques. Postulats qui<br />

restent clairs, peut-être, pour un certain nombre <strong>des</strong><br />

acteurs mais pas forcément très clairs pour tous les gens<br />

qu'elle rencontre, on l'a bien vu avec l'exemple qui a été<br />

donné à Marseille.<br />

C'est donc cette articulation entre musiques et<br />

citoyenneté qui m'intéresse, c'est celle qui me para î t<br />

valoir le coup d'être débattue parce qu'il ne faut pas se<br />

f a i re d'illusions, ce n'est pas en deux jours que l'on va<br />

avancer beaucoup sur cela mais au moins l'amorc e r. Il me<br />

semble que le débat, auquel j'ai assisté pour l'instant,<br />

échappe à ce travail. J'entends plutôt un débat autour<br />

<strong>des</strong> associations et <strong>des</strong> musiques amplifiées, autour <strong>des</strong><br />

MJC et certaines pratiques de la citoyenneté, mais est-ce<br />

q u ' a u j o u rd'hui, tout de suite, ici, vous avez quelque<br />

chose à dire sur la manière dont vous pourriez appréhender<br />

cette articulation originale et complexe qu'il<br />

p o u r rait y avoir entre un type d'activité et la pro b l é m a-<br />

tique particulière de la citoyenneté ? Comme le disait<br />

F ranck Lepage tout à l'heure, la question du politique et<br />

non pas de la politique.<br />

Loïc Taniou : L o rs de la tournée “Musique et<br />

Citoyenneté" du Sous-Marin qui a été faite dans les salles<br />

de la Fédurok, nous partions du cas du Sous-Marin pour<br />

glisser progressivement vers une réappropriation de l'engagement<br />

civique et de l'engagement citoyen de la part<br />

<strong>des</strong> jeunes et <strong>des</strong> moins jeunes. En fait, la musique est une<br />

valeur porteuse au niveau <strong>des</strong> jeunes et il est important<br />

que l'on retrouve une dynamique de combat, de lutte, de<br />

citoyenneté pour défendre <strong>des</strong> choses. La citoyenneté est<br />

une notion liée à la Révolution Française, qui a donné<br />

naissance à la Déclaration <strong>des</strong> droits de l'Homme et a permis<br />

de résister à l'oppression. Lorsque l'on voit, à l'heure<br />

actuelle, que la liberté d'expression est très fortement<br />

attaquée, notamment sur Vitrolles mais partout en France,<br />

on comprend mieux l'intérêt fondamental à travailler à la<br />

réhabilitation de ces notions.<br />

Il est important de parler <strong>des</strong> musiques actuelles<br />

parce qu'il s'agit du moyen de liberté d'expression le plus<br />

attaqué aujourd'hui. C’est le moyen d’expression qui a le<br />

moins de reconnaissance citoyenne de la part <strong>des</strong> politiques.<br />

Mais nous arrivons à impulser un souffle associatif<br />

ou citoyen, ce que n'arrive pas à faire un politique. Nous<br />

parvenons à créer <strong>des</strong> liens entre les différentes franges de<br />

la population. Nous avons constaté qu'en France, la parole<br />

était souvent confisquée, qu'il y avait un manque de<br />

dialogue, d'échange alors que les gens ressentaient, eux,<br />

ce besoin d'échange pour comprendre et participer<br />

à ce qui se passait dans leur ville, leur cité.<br />

Il faut donc trouver <strong>des</strong> pistes pour que <strong>des</strong><br />

gens, <strong>des</strong> habitants, <strong>des</strong> associations, <strong>des</strong><br />

artistes puissent s'exprimer sur la ville. Il ne faut pas<br />

attendre que le politique fasse tout, il faut aussi donner<br />

l'offensive et prendre <strong>des</strong> initiatives. Je voudrais rappeler<br />

que si la culture est attaquée si violemment par le Front<br />

National et d'autres politiques, c'est souvent parce que les<br />

politiques ne connaissent pas les musiques que nous proposons.<br />

<strong>Les</strong> politiques ne sont pas éduqués. Si la culture<br />

est attaquée, c'est parce qu'elle représente un pouvoir<br />

dangereux que l'on ne maîtrise pas forcément et cela gêne<br />

le politique.<br />

Thierry Ménager, directeur MJC Rennes - Cleunay : Je<br />

vais essayer de ne pas employer les mots “citoyen" et<br />

“citoyenneté" parce que je ne sais plus ce que cela veut<br />

dire. Je veux plutôt témoigner du “pourquoi" nous faisons<br />

de la musique dans les MJC. D'abord, indépendamment de<br />

nous, la musique est un média qui a été fortement accaparé<br />

par les jeunes. Parce que c'est un média qui nécessite<br />

moins de pré-requis qu'un certain nombre d'autres<br />

formes d'expressions créatives. Je crois qu'il y a une facilité<br />

d'accès beaucoup plus importante qui a fait que, massivement,<br />

un certain nombre de jeunes pratiquent la<br />

musique. J'aimerais aussi que l'on distingue les pratiques<br />

<strong>des</strong> musiciens et <strong>des</strong> publics. Ce ne sont pas tout à fait les<br />

mêmes problématiques.<br />

Pourquoi fait-on de la musique dans les MJC ? Parce<br />

que nous sommes <strong>des</strong> lieux, quel que soit le média, qui<br />

permettent éventuellement de passer d'un projet individuel<br />

à la construction d'un projet plus collectif. En cela,<br />

c'est faire en sorte que les gens prennent leur place dans<br />

une société, et éventuellement, prennent conscience de<br />

leur pouvoir d'acteur. Il faut noter également un certain<br />

nombre de contradictions sur ce passage d'un projet individuel<br />

à un projet plus collectif pour une part de la jeunesse<br />

qui, globalement, nécessite et demande un certain<br />

nombre de moyens sur le tout, tout de suite.<br />

2 7


2 8<br />

L ' a u t re paradoxe concerne la demande de re c o n-<br />

naissance. Est-ce que cette demande de re c o n n a i s s a n c e<br />

n'est pas la porte d'entrée magnifiquement ouverte à<br />

l'instrumentalisation ou à ce qu'on appelle l'institutionnalisation<br />

ou encore à la marchandisation ? Ceci est<br />

p a radoxal, vu qu’une <strong>des</strong> revendications fortes <strong>des</strong> mouvements<br />

musicaux est la remise en cause de l'ord re établi.<br />

C'est dans ce sens-là que nous sommes <strong>des</strong> lieux<br />

extrêmement importants entre <strong>des</strong> pratiquants et <strong>des</strong><br />

p o u v o i rs publics, pour pouvoir laisser, non pas le droit à<br />

l ' e x p ression - droit qui existe de façon constitutionnelle<br />

- mais <strong>des</strong> lieux d'expression qui permettent que ces<br />

p a radoxes se vivent. En même temps, il est vrai qu'un<br />

certain nombre de pratiquants intègrent de plus en plus<br />

<strong>des</strong> comportements de consommateurs. Il faut avoir les<br />

d e r n i è res marques de ceci, de fringues, d'instruments et,<br />

donc, il existe un débat intéressant entre la remise en<br />

cause de l'ord re établi et le fait de dire que telle marq u e<br />

Est-ce que cette demande de reconnaissance n'est<br />

pas la porte d'entrée magnifiquement ouverte à<br />

l'instrumentalisation ou encore à la marchandisation ?<br />

est celle qu'il faut porter. N o t re travail consiste à mettre<br />

à jour ces tensions par rapport aux individus, au collectif,<br />

sur un environnement géographique, entre ce qui<br />

p o u r rait être <strong>des</strong> lieux culturels de la centralité urbaine<br />

et <strong>des</strong> lieux d'expressions jeunes qui se situeraient aux<br />

f ro n t i è res de la cité, dans les quartiers. Il nous faut donc<br />

e n t retenir une certaine tension entre ces différe n t s<br />

a c t e u rs, groupes sociaux. La question n'est pas de savoir<br />

s’ils ont tous le même discours, mais bien de mettre à<br />

jour ces différentes tensions.<br />

Edgar Garcia, chargé de mission rock auprès du Conseil<br />

Général de la Seine-Saint-Denis : Je ne suis pas sûr que<br />

ce soit seulement la question du pré-acquis qui conduit à<br />

ce que les musiques amplifiées aient une plus grande<br />

notoriété chez les jeunes. J'ai le sentiment que ce sont <strong>des</strong><br />

champs de pratiques qui échappaient, sur les trente dernières<br />

années, à la conception de beaux-arts dominante<br />

dans la vie culturelle du pays. Je ne suis pas sûr que cette<br />

remarque vaille plus pour les musiques amplifiées que<br />

pour la peinture par exemple. En revanche, je pense que<br />

pour les musiques amplifiées, pour le rock, etc, ce qui a pu<br />

jouer, c'est, premièrement, qu'elles échappent à cette<br />

conception normative de la vie culturelle, et deuxièmement,<br />

le fait que les modèles sur lesquels les adolescents<br />

pouvaient se construire étaient <strong>des</strong> modèles qui<br />

avaient en gros leur âge et en gros l'allure qu'eux avaient<br />

envie d'avoir. Cela offrait immédiatement un champ de<br />

réalisation de soi. Encore une fois, la même chose aurait<br />

pu prévaloir pour la peinture. A d'autres époques, d'autres<br />

formes d'expressions artistiques ont joué un peu ce rôle.<br />

En ce qui concerne la citoyenneté, j'ai également<br />

tendance à pre n d re le mot avec <strong>des</strong> pincettes parc e<br />

qu'au bout d'un certain moment, il est chargé de tas de<br />

choses contra d i c t o i res. Y a-t-il de la citoyenneté dans la<br />

musique ? J'ai tendance à me dire que : non. Dans la<br />

musique, on prend un instrument, on joue, on chante, il y<br />

a là, simplement, un moment donné de réalisation, de<br />

plaisir, d'expression de soi, quelque chose de profondément<br />

individuel. Je ne suis pas sûr qu'à ce moment-là, il<br />

faille parler de citoyenneté. Y a-t-il de la citoyenneté dans<br />

la pratique musicale ? Sans doute, mais à faible dose. En<br />

revanche, faut-il regarder les pratiques musicales avec une<br />

conception citoyenne ? Là, oui. J'ai tendance à penser que<br />

ce n'est pas dans le comportement individuel de tel ou tel<br />

pratiquant que la citoyenneté se joue, mais elle se joue<br />

d'une manière transversale. Nous retrouvons les questions<br />

éducatives… et il faudrait bien se garder de considérer<br />

que les pratiques musicales doivent les porter<br />

à elles seules. Sinon, il risque d'y avoir un danger qui<br />

est celui que nous avions dénoncé à plusieurs<br />

reprises, il y a quelques années, qui est en gros :<br />

“Messieurs, mesdames, vous qui vous occupez <strong>des</strong><br />

musiques amplifiées, réglez le problème de la jeunesse…”.<br />

Non, nous avons à peu près gagné sur cette légitimité<br />

de pratiques culturelles (et non plus de pansements<br />

ou de baume sur les plaies de la société), nous avons intérêt<br />

à ne pas en revendiquer une autre. Evitons de mal nous<br />

faire comprendre sur cette idée d'une citoyenneté qui<br />

trouverait particulièrement à s'exprimer dans le champ<br />

<strong>des</strong> musiques amplifiées du point de vue du pratiquant.<br />

En revanche, il y a une vraie question de société<br />

autour de ces pratiques culturelles, un peu comme toutes<br />

d'ailleurs, qui ont besoin d'acquérir une véritable place qui<br />

justement les sorte de ces pré-carrés et de ces précarités<br />

dans lesquelles on les a installées au fil <strong>des</strong> années de différentes<br />

manières, de plan ceci en projet “café-musique",<br />

etc. Peu importe ce qu'ils sont devenus, les uns et les<br />

autres. Par certains acteurs, cela a été vécu comme <strong>des</strong><br />

incitations à porter la soutane du missionnaire dans tel ou<br />

tel quartier, et un renoncement à ce qui fait l'essentiel de<br />

la question, c'est-à-dire les pratiques culturelles. Il en va<br />

de même pour les bibliothèques en certains endroits. C'est<br />

plus difficile à mettre en cause, c'est plus sournois mais il<br />

y a <strong>des</strong> tas d'endroits, aujourd'hui, où on interdit les livres<br />

de façon plus ou moins feutrée…<br />

Ensuite, je crois qu'il faut faire attention à l'opposition<br />

entre les gens et le politique. Je connais <strong>des</strong> politiques<br />

qui ne sont pas uniquement hostiles... La question de<br />

citoyenneté se pose aujourd'hui dans toute la société.<br />

C'est un déficit social extraordinaire ! Il n'y a même pas un


Français sur deux qui vote. Cela en dit long sur le ra pport n o m b reux à nous y référe r. Je pense que cela a conditionné<br />

tout ce qui est arrivé par la suite dans la maniè-<br />

<strong>des</strong> gens à la citoyenneté ! Cela veut dire que dans cette<br />

société, quelque chose aujourd'hui bloque, pour que les re d'approcher la musique qui n'était plus sur l'entrée<br />

gens interviennent de plain-pied sur ce qui fait leur vie classique individuelle par le biais <strong>des</strong> parents ou d'une<br />

quotidienne et leur vie à venir. Je pense que tout ce qui catégorie socioprofessionnelle. C'est une manière complètement<br />

radicale de voir les choses, sur un pro c e s s u s<br />

contribue à accro ître le fossé entre la politique, pas au sens<br />

politicien de l’acception politicienne, mais dans le sens de pédagogique qui n'est plus le même. <strong>Les</strong> structures classiques,<br />

type institutions spécifiques, qui sont amenées<br />

la vie de la cité, est dangereux. Cela produit les effets que<br />

l'on connaît, y compris la prise de rang de la démagogie qui actuellement sur le champ <strong>des</strong> musiques, ne doivent pas<br />

par la suite peut pre ndre <strong>des</strong> villes comme Vitro lles. évacuer les musiques actuelles et les musiques amplifiées.<br />

Elles doivent revoir leur positionnement pédago-<br />

Placer la citoyenneté au bon endroit, c'est poser la<br />

question à la société <strong>des</strong> moyens qu'elle accorde, du lieu gique et peut-être re n t rer dans une véritable pédagogie,<br />

où elle place les pratiques culturelles et de la re c o n n a i s- et ne pas s’occuper uniquement de la transmission d'un<br />

sance qu'elle leur donne en termes de moyens et de savoir musical indépendant de tout un contexte social,<br />

compétences, professionnelles pour les individus, collectives<br />

pour les structures qui les portent. Tout à l'heure , gement les notions de pré-requis.<br />

historique, culturel. Donc le problème dépasse très lar-<br />

Philippe Berthelot disait qu'on se tient “au service Po u rquoi la tournée “Musique et citoyenneté”<br />

de…", je crois absolument à cela, mais en même temps, a -t-elle été mise en place par la Fédurok ? Pour simplement<br />

déclencher la prise de conscience aussi bien pour aller au bout de cette logique, nous avons égale-<br />

au<br />

Faire attention à l’opposition entre les gens et la politique<br />

niveau <strong>des</strong> équipements, <strong>des</strong> associations,<br />

mais aussi <strong>des</strong> gens. Pour dire aux musiciens<br />

qui étaient, pour certains, <strong>des</strong> consomma-<br />

ment besoin de pouvoir dire en toute sérénité que nous t e u rs, pour d'autres <strong>des</strong> usagers : “ces lieux sont là<br />

sommes porteurs de partis pris, esthétiques ou de toute pour que vous soyez <strong>des</strong> citoyens parce que vous êtes<br />

a u t re nature. Le faire re c o n n a î t re, c'est faire accepter le <strong>des</strong> citoyens”. Nous avons découvert d'autres pro b l è m e s<br />

fait qu'il y a <strong>des</strong> professionnels et que, finalement, l'intervention<br />

publique, qui est nécessaire dans ce domaine, beaucoup n'étaient pas habitués au débat, à pre n d re la<br />

p a rce qu'en une trentaine de dates nous avons vu que<br />

ne peut pas être entière si elle ne comprend pas la p a role. Nous le voyons dans les quartiers où l'on fait <strong>des</strong><br />

nécessité impérieuse d'accepter la prise de risque que a r b res à palabres. Nous sommes obligés de fixer une<br />

s i g n i fie de mettre de l'argent public dans un domaine règle du jeu parce qu'ils sont tous coincés. Il y a là un<br />

pour risquer quelque chose. Pour risquer, il faut avoir t ravail que vous, les MJC en pre m i è re ligne, avez<br />

<strong>des</strong> professionnels avérés et cela pose la question d'une a u j o u rd'hui à mener.<br />

fil i è re qui ne peut pas fonctionner, comme je le disais Je défends le fait que mon lieu n'est pas neutre !<br />

tout à l'heure, comme fonctionnent les pompiers qui L'espace, le projet, les compétences ne sont pas neutre s .<br />

vont éteindre un feu ici ou là.<br />

Ils sont fortement impliqués sur le plan politique. Je ne<br />

m'en cache pas et j'espère que tout le monde est dans ce<br />

Philippe Berthelot : La notion <strong>des</strong> pré-requis est un cas-là, surtout à l'heure actuelle, où tout le monde<br />

débat de fond qui, là encore, repose sur une absence de semble endormi et où les responsabilités citoyennes<br />

connaissance socio-démographique. Nous avons aussi semblent délaissées. Nous ne pouvons plus nous dire que<br />

un problème de connaissance dans le domaine de la nous sommes <strong>des</strong> professionnels, que nous tra v a i l l o n s<br />

musicologie. D’ailleurs, si nous nous référons aux bouquins,<br />

nous nous apercevons qu'il n'y a pra t i q u e m e n t faut arrêter ce cloisonnement ! Nous avons tous <strong>des</strong> re s-<br />

sur la musique et que le reste, nous nous en moquons. Il<br />

pas d'étu<strong>des</strong>. Cela a souvent été abordé par l'angle social ponsabilités partagées. La pre m i è re chose à faire, du<br />

et absolument pas de la construction musicale. La moins celle qui nous paraît évidente, c'est de tra v a i l l e r<br />

notion de pré-requis est aussi une idéologie dominante, sur l'aspect éducatif et pédagogique. Il y a un déficit de<br />

un peu comme si dans le domaine du langage on disait connaissance, de compréhension et, en gros, c'est sur ce<br />

à un enfant de s'essayer à la parole avant d'avoir maîtrisé<br />

la syntaxe et l'orthographe. Je pense que ces sur <strong>des</strong> tournées avec <strong>des</strong> relations aux populations<br />

t e r rain-là que nous allons avancer, c'est-à-dire re v e n i r<br />

musiques proposent une entrée directe de faire et qu'il beaucoup plus pédagogiques. Là aussi, les lieux se sont<br />

y a <strong>des</strong> mouvements dont on n'a pas mesuré l'importance<br />

comme par exemple le mouvement punk qui, pour sique, dans leur vérité pre m i è re. Nous avons à faire<br />

enfermés, comme dans l'autre champ culturel plus clas-<br />

moi, a été déterminant dans l'approche. Nous sommes p reuve d'humilité.<br />

2 9


3 0<br />

Il nous faut revenir à l'occupation du terrain, que<br />

ce soit en milieu rural ou dans les quartiers et les<br />

c e n t res-villes parce que c'est déterminant, ne sera i t - c e<br />

que pour que nous ne nous enfermions pas dans nos<br />

lieux. Nos équipements sont certes <strong>des</strong> outils mais nous<br />

avons vraiment intérêt à être à l'extérieur. Il faut que<br />

nous allions chez les personnes parce que d'autres y<br />

sont. Je suis peut-être paranoïaque, mais je vois comment<br />

le FN infil t re les milieux associatifs. Là-<strong>des</strong>sus, il<br />

faut arrêter de se cacher derrière <strong>des</strong> discours très bien<br />

façonnés qui n'intéressent que nous-mêmes et qui ne<br />

font pas avancer le problème. Pour l'instant, nous avons<br />

l'obligation d'être opéra t i o n n e l s .<br />

Franck Lepage : Toutes les interventions qui ont eu lieu<br />

depuis tout à l'heure sont <strong>des</strong> interventions qui dépassent<br />

largement la simple question esthétique, la simple<br />

question de la musique. Ce sont <strong>des</strong> interventions politiques.<br />

Je vérifie que chacun a une intuition politique. Il<br />

est vrai que la citoyenneté est devenue un <strong>des</strong> mots<br />

valises. Cela ne nous empêche pas, nous, de les<br />

utiliser dans le bon sens. Avec Fernand, lors q u e<br />

nous avons gambergé sur le titre, nous nous<br />

sommes immédiatement posé ce genre de problème.<br />

La question n'est pas simple mais cela<br />

n'empêche pas que l'on soit conscient de la question, et<br />

de la question du “ET" en particulier. Il me semblait<br />

avoir été assez clair dans la conclusion de mon introduction<br />

en disant que la pratique musicale peut être un<br />

moyen de s'extra i re du politique ou bien un moyen de<br />

l ' i n t é g rer selon la manière dont on le travaille.<br />

Dans nos métiers, nous sommes en contact avec<br />

<strong>des</strong> gens par rapport à un problème qui est un pro b l è m e<br />

de lecture de la société qui laisse penser à certains que<br />

l'on va dans le mur et que l'avenir n'est pas joyeux ou<br />

que le présent est de plus en plus grave et, qu’effectivement,<br />

il n'y a rien qui marche !<br />

La société est organisée, et notamment l'action<br />

publique, dans le cadre d'un certain nombre de stra t é-<br />

gies qui sont pensées bien loin de nous - et avec<br />

l ' E u rope, cela ne va pas s'arranger - de manière totalement<br />

séparée, pour qu'il soit impossible de soulever les<br />

p roblèmes globalement. Je ne parle pas seulement de la<br />

musique. Cette façon de traiter les gens en fonction <strong>des</strong><br />

catégories de symptômes, les jeunes ou les pra t i q u a n t s ,<br />

rend difficile la construction <strong>des</strong> problèmes politiques, à<br />

une époque où personne ne veut plus faire de politique,<br />

le politique étant gravement délégitimé.<br />

Cependant, nous avons quelques intuitions.<br />

Philippe Berthelot et Loïc Taniou nous ont proposé leur<br />

vision sur cette idée du décloisonnement ou du tra n s-<br />

v e rsal. Je crois que c'est une façon de tra v a i l l e r. Cela<br />

suppose, effectivement, dans notre façon de mettre en<br />

œ u v re les musiques amplifiées, de le faire avec l'école,<br />

avec l'entreprise, l'hôpital, bref, de sortir de la simple<br />

p roblématique répétitions, concerts... pour aider ceux<br />

qui veulent construire une autre vision du monde qui<br />

n'est pas une vision du monde philosophique mais une<br />

vision socio-économique du monde. Est-ce qu'il y a <strong>des</strong><br />

gens qui sont prêts à essayer de se construire une autre<br />

représentation que celle qu'on veut nous faire bouffer<br />

actuellement, qui est : “on a une crise économique, il<br />

n'y a pas de place pour tout le monde et on y peut<br />

rien !” ? Cela s'appelle la pensée unique, le mondialisme,<br />

le libéralisme, vous mettez là-<strong>des</strong>sus les termes qui vous<br />

plaisent mais cela fait de nous, secteur associatif, <strong>des</strong><br />

agents dont le métier consiste à faire avaler cette<br />

c royance selon laquelle il n'y a pas de place pour tout le<br />

monde. Est-ce que nous ne pouvons pas réfléchir politiquement,<br />

entre nous, à cette question et à la façon de<br />

le faire fonctionner. Nous disposons de beaucoup d'analyses<br />

sociologiques, ne serait-ce que parce qu'il y a de<br />

Sortir de la simple problématique répétitions,<br />

concerts... pour aider ceux qui veulent construire<br />

une autre vision du monde<br />

n o m b reux labora t o i res sur le travail au CNRS, sur les<br />

gens qui sont intégrés dans cette société, c'est-à-dire<br />

qui bénéficient d'un salaire dans le cadre d'un contrat à<br />

durée indéterminée, qui ont une perspective de pro g re s-<br />

sion sociale parce qu'ils sont sûrs de leur fait. Ce sont<br />

m a j o r i t a i rement <strong>des</strong> hommes, ils ont plus de 30 ans, ils<br />

sont français de souche et ils sont globalement bien<br />

q u a l i fiés. Ceux-là sont donc au travail, sont intégrés.<br />

Tous les autres, les jeunes, ce qui veut dire moins<br />

de trente ans aujourd'hui, les femmes qui sont massivement<br />

exclues du monde du travail - je ne parle pas de<br />

l'emploi mais du travail - les plus de cinquante ans que<br />

l'on met en FNE et les gens issus de l'immigration, tous<br />

ceux-là, sont, dans la terminologie officielle de l'INSEE,<br />

<strong>des</strong> catégories à risques. Cela correspond à la moitié de<br />

la population. Pour ces gens-là, il y a <strong>des</strong> dispositifs, <strong>des</strong><br />

politiques nationales, régionales, locales et <strong>des</strong> trav<br />

a i l l e u rs sociaux. On monte donc <strong>des</strong> projets avec les<br />

femmes ou les gens issus de l'immigration. On peut aussi<br />

poser la question du rock, <strong>des</strong> musiques émergentes. En<br />

quoi notre façon d'être avec <strong>des</strong> gens sur ces questions<br />

<strong>des</strong> musiques émergentes va les aider à se construire<br />

une autre représentation du monde ? Aider <strong>des</strong> gens à se<br />

demander si on ne se moque pas de nous lorsqu'on nous<br />

dit qu'il y a une crise économique ? Et si cette crise n'est<br />

pas plutôt une crise culturelle, c'est-à-dire une crise du<br />

mode d'organisation, <strong>des</strong> capacités d'interroger l'école,


ADDICT<br />

le travail, les dispositifs d'insertion et d'interroger l'idée<br />

qu'il n'y a pas de place pour nous ? Cela pose une question,<br />

celle que posait Philippe Berthelot, celle de la<br />

reconnaissance. Je crois qu'il a fait quinze fois le tour du<br />

p a radoxe. À la fois, il nous dit qu'il faut qu'il y ait une<br />

reconnaissance préalable à un travail citoyen alors qu'en<br />

même temps, trop de reconnaissance est une prise en<br />

otage. Oui, cela étant, c'est bien dans cette contra d i c-<br />

tion que nous travaillons.<br />

En introduction à ces Rencontres, le DRAC,<br />

Monsieur Marguerin, nous a dit qu'une action culture l-<br />

le suppose un minimum de pensée politique, je suis d'acc<br />

o rd. Philippe Berthelot nous a dit que la citoyenneté se<br />

d é c o u v re au fur et à mesure <strong>des</strong> pistes que l'on veut<br />

bien nous laisser, pourquoi pas. Cela suppose d’identifie r<br />

<strong>des</strong> pratiques, de refuser le poujadisme et pour cela il<br />

faut brasser <strong>des</strong> publics - je re p rends volontiers une<br />

e x p ression de Loïc Taniou sur les esthétiques de la colère<br />

- donc cela suppose que l'on brasse <strong>des</strong> esthétiques de<br />

la colère. Pas d'une colère dans le vide mais d'une colère<br />

sur <strong>des</strong> objets précis, sur une représentation socioé<br />

c onomique du monde qu'on nous impose et sur la<br />

place qu'on n'a pas dedans lorsqu'on s'appelle Ka r i m ,<br />

Fatima, etc. Et brasser ces esthétiques de la colère, cela<br />

suppose de départager le vrai du faux, c'est-à-dire l'authentique<br />

du commercial. Je considère que le travail du<br />

c u l t u rel est de questionner le mode de fonctionnement<br />

économique, c'est-à-dire de questionner le capitalisme<br />

tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Et curiosité républicaine,<br />

il y a de l'argent pour cela. ❙<br />

3 1


2<br />

CORNU


<strong>Les</strong> enjeux d’une politique<br />

culturelle<br />

MODÉRATEUR :<br />

Gilles Castagnac,<br />

DIRECTEUR DU CENTRE<br />

D'INFORMATION ET DE<br />

RESSOURCES POUR LES MUSIQUES<br />

ACTUELLES (IRMA).<br />

Gilles Castagnac, directeur du centre d'Information<br />

et de Ressources pour les Musiques Actuelles<br />

(IRMA) : La table ronde de ce matin est intitulée “<strong>Les</strong><br />

enjeux d'une politique culturelle" mais sur le document<br />

d'origine, elle s'intitulait “une politique insuffisamment<br />

cohérente". En fait, ces deux angles cadrent<br />

ce que l'on souhaite aborder aujourd'hui, sachant que la<br />

notion d’enjeux permet peut-être plus de prospective. Ces<br />

Rencontres témoignent d’une volonté de rapprochement<br />

entre l'action culturelle et l'éducation populaire. Il s’agit<br />

donc autant d’examiner les connexions qui ne se sont pas<br />

établies, que de nourrir un approfondissement du dialogue<br />

et <strong>des</strong> collaborations.<br />

En introduction, je voudrais faire un lien avec ce qui<br />

a pu se dire lors de la table ronde précédente, du moins, ce<br />

que j'ai pu retenir d’un certain nombres de pistes qui ont<br />

été ouvertes. Ce sera ma contribution personnelle à la<br />

question posée : la musique produit-elle de la citoyenneté ?<br />

Une réponse semble évidente : c'est non. Maintenant, estce<br />

que, pour les musiques actuelles spécifiquement, la<br />

réponse ne pourrait pas être oui ? Pourquoi ? Parce que<br />

lorsque nous parlons de musiques actuelles, de musiques<br />

amplifiées… etc, nous parlons de musiques populaires et<br />

que peut s'y exprimer un paroxysme <strong>des</strong> cultures populaires,<br />

un ensemble de choses qui convergent vers <strong>des</strong> possibilités<br />

d'exercice de la citoyenneté.<br />

Nous avons parlé hier du mouvement punk ; n’oublions<br />

pas le slogan “do it yourself”. C’est un principe<br />

d’auto-production et donc d'une certaine forme de prise<br />

de pouvoir. Je crois que si nous parlons d’enjeux de<br />

Ces Rencontres témoignent d’une volonté de ra pprochement<br />

entre l'action culturelle et l'éducation populaire<br />

citoyenneté, les musiques populaires doivent être reconnues<br />

comme <strong>des</strong> espaces de prise de pouvoirs.<br />

C'est plus ou moins visible, plus ou moins fort, et il<br />

faut bien entendre le terme pouvoirs avec tous les “s" nécessaires.<br />

Mais on peut y définir un certain nombre d’espaces<br />

de conquête pour la citoyenneté. Espaces de construction<br />

INTERVENANTS :<br />

André Cayot,<br />

pour <strong>des</strong> aventures individuelles et artistiques<br />

bien sûr, mais également pour <strong>des</strong> entreprises<br />

collectives et culturelles, notamment autour<br />

Gilles Garnier,<br />

de la notion d'auto-entreprise, voire de “phénomènes<br />

de société”.<br />

CHEF-ADJOINT DU CABINET<br />

Ceci a été largement évoqué dans les<br />

débats de la Commission nationale <strong>des</strong> Marc Le Bourhis,<br />

musiques actuelles ; il s'agit d'un secteur où<br />

les acteurs manifestent une volonté réelle de<br />

Edgar Garcia,<br />

se prendre en charge et agissent sur l’ensemble<br />

de leur environnement social et cul-<br />

AU CONSEIL GÉNÉRAL<br />

CHARGÉ DE MISSION ROCK<br />

DE<br />

turel. On y dépasse vite la simple notion de<br />

SEINE-ST-DENIS,<br />

loisir. Prendre le pouvoir sur sa création, sur Didier Varrod,<br />

RAPPORTEUR GÉNÉRAL<br />

son environnement, sur sa vie, etc, ce sont<br />

bien <strong>des</strong> facteurs qui s’inscrivent dans les<br />

enjeux de la citoyenneté.<br />

Vincent Rulot,<br />

La table ronde précédente a permis de<br />

dire qu'il fallait favoriser l'émergence, interpeller<br />

l'économique. C'est ce qui a été un peu<br />

Philippe Moreau,<br />

évoqué autour <strong>des</strong> questions sur l'économie<br />

solidaire et, bien évidemment, Franck Lepage<br />

ne pouvait s'empêcher d’interpeller le politique.<br />

Ce qui n'a pas pu être développé aupa-<br />

PRÉSIDENT DU CENTRE<br />

Éric Doisnel,<br />

ravant converge vers ce qui pourra être abordé<br />

ce matin, l'interpellation du politique et<br />

les réponses qui peuvent être apportées concrètement : la<br />

construction <strong>des</strong> politiques publiques et culturelles en<br />

cours, l'analyse de ce qui a pu être fait et comment ce qui<br />

se construit peut se décliner dans l'action.<br />

Sur ces questions, je commencerai par donner la<br />

parole à André Cayot, inspecteur à la<br />

Direction de la Musique et de la Danse du<br />

Ministère de la Culture, pour qu'il nous<br />

éclaire sur les enjeux de cette politique<br />

culturelle en direction <strong>des</strong> musiques actuelles. Nous avons<br />

déjà eu une première approche donnée par Jean-François<br />

Marguerin, directeur régional <strong>des</strong> affaires culturelles de<br />

Haute-Normandie, dans son introduction évoquant la<br />

dichotomie entre la démocratisation de la culture - avec<br />

l'idée que les œuvres préexistent - versus la démocratie<br />

INSPECTEUR À LA DIRECTION<br />

DE LA MUSIQUE ET DE LA DANSE<br />

MINISTÈRE DE LA CULTURE,<br />

DU MINISTÈRE DE LA JEUNESSE<br />

ET DES SPORTS,<br />

CONSEILLER MUSIQUE E T DANSE À<br />

LA DRAC NORD-PAS-DE-CALAIS,<br />

DE LA COMMISSION NATIONALE<br />

DES MUSIQUES ACTUELLES,<br />

DIRECTEUR-ADJOINT CHARGÉ DU<br />

SECTEUR CULTUREL DE LA CLEF<br />

(ST-GERMAIN-EN-LAYE),<br />

RESPONSABLE DU SECTEUR<br />

CULTUREL MJC D'HALLUIN,<br />

RÉGIONAL DU ROCK<br />

ET DES MUSIQUES ACTUELLES.<br />

33


3 4<br />

culturelle qui part plus du principe que toute personne est,<br />

a priori, productrice de culture. La question restant de<br />

savoir comment accompagner cet investissement <strong>des</strong> personnes,<br />

extrêmement fort dans le domaine <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles.<br />

En guise de deuxième orientation pour les enjeux<br />

de cette politique, je me référe rai à la Lettre de la FFMJC<br />

qui introduit ces Rencontres. Dans l’interview de<br />

Vincent Rulot, on peut lire : “...mais l'erreur fondamentale<br />

a été de baser l'essentiel de la réflexion de<br />

l'État sur “la profession” (par exemple la fil ière<br />

disque et la professionnalisation <strong>des</strong> artistes, la création<br />

du Fonds de soutien), on a “oublié” la question<br />

<strong>des</strong> publics, la pratique amateur et l'aide au fonctionnement<br />

<strong>des</strong> lieux. Ces derniers, malgré les ai<strong>des</strong> à<br />

l’équipement, ne se sont pas sentis concernés par ce<br />

qui se passait ”. André Cayot peut-il répondre à cela ?<br />

André Cayot, inspecteur à la DMD du Ministère de la<br />

Culture : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à la<br />

q u e stion telle qu'elle vient d'être posée. Je ne pense pas<br />

que l'on puisse caricaturer aussi facilement et dire que la<br />

politique du Ministère de la Culture a oublié tout un pan<br />

d'activités et s'est uniquement centrée sur la professionnalisation.<br />

Il est bien évident que l'enjeu <strong>des</strong> pratiques<br />

artistiques et amateurs reste entier et complètement<br />

d'actualité. C'est un sujet dans lequel il faut<br />

re ntrer de plain-pied, mais je voudrais dire deux ou<br />

trois petites choses en préambule.<br />

D ’ a b o rd, je signale que les deux points de<br />

vue de l'État peuvent être un peu différents. En<br />

tout cas, ils ne viennent pas du même endroit. Le point<br />

de vue de Monsieur Garnier, du cabinet de Madame<br />

Buffet, et le mien - je ne suis qu'un mo<strong>des</strong>te technicien<br />

de la Direction de la Musique et de la Danse, du Théâtre<br />

et <strong>des</strong> Spectacles - sont évidemment différents. De plus,<br />

je viens de l'éducation populaire et je suis donc un peu<br />

atypique dans ce giron de l'Inspection et de la Création<br />

<strong>des</strong> Enseignements Artistiques. Là aussi, mon point de<br />

vue est certainement différent de celui d'un certain<br />

n o m b re de mes collègues qui sont pour la plupart issus<br />

d'un milieu musical plutôt classique.<br />

Ceci dit, la Commission <strong>des</strong> musiques actuelles travaille<br />

et va re ndre son rapport. Nous sommes dans une<br />

phase "entre parenthèses", de réflexion intense. D'autre<br />

part, la Direction de la Musique et de la Danse est en pleine<br />

re structuration. Tout ceci amène évidemment beaucoup<br />

de flou autour de ce que nous pouvons dire aujourd'hui.<br />

Mais pour répondre à la question posée en introduction<br />

sur la relation aux publics parfois difficile à établir,<br />

je signale que la sous-direction <strong>des</strong> enseignements et<br />

<strong>des</strong> pratiques artistiques disposera, comme le souhaitait<br />

Le développement <strong>des</strong> musiques actuelles doit être<br />

le résultat d’une politique concertée <strong>des</strong> collectivités<br />

territoriales et de l’État<br />

Dominique Wallon, d’un observatoire <strong>des</strong> publics.<br />

Pour ma part, depuis le temps que je travaille dans<br />

cette direction, j'ai constaté que le rôle de l'État était surtout<br />

de mettre au point <strong>des</strong> dispositifs. Des dispositifs qui<br />

ont été essentiellement nationaux et d'aide à la professionnalisation.<br />

La réflexion peut s'articuler autour de<br />

cette idée, car la décentralisation et la déconcentra t i o n<br />

nous ont déjà amené à considérer ces dispositifs au plan<br />

r é g i o n a l .<br />

Pour l'instant, force est de constater qu’ils n'ont pas<br />

encore trouvé leurs déclinaisons. Nous en sommes au<br />

niveau de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire que le<br />

développement <strong>des</strong> musiques actuelles doit être le résultat<br />

d'une politique concertée <strong>des</strong> collectivités territoriales<br />

et de l'État. À partir de là, nous devons constater qu'il y a<br />

eu une coupure entre la mise au point <strong>des</strong> dispositifs<br />

nationaux et leurs déclinaisons dans chacune <strong>des</strong> régions.<br />

On peut considérer que l'échelon régional, l'échelon <strong>des</strong><br />

collectivités territoriales, l'échelon que vous représentez<br />

ici et celui de l'émergence, sont la base de la pyramide. On<br />

peut aussi penser que l'État a mis en place <strong>des</strong> dispositifs<br />

au sommet de la pyramide et qu'il ne s'est pas soucié de<br />

répondre aux préoccupations de la base. J'en veux pour<br />

preuve les questions liées à l'enseignement.<br />

L'enseignement est une mission fondamentale de<br />

l'État, pour lequel (notamment dans le secteur de l'enseignement<br />

spécialisé) l'État n'a pas jusqu'alors proposé de<br />

dispositifs qui permettent au secteur <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles d'être clairement inscrit dans le champ de l'enseignement<br />

spécialisé. Il s'agit d'une réflexion qui n'est pas<br />

nouvelle et que vous abord erez sans doute lors de la table<br />

ronde intitulée “de nouveaux métiers ?”. Il s’agit donc<br />

d’accompagner les dynamiques d'aménagement du territ<br />

o i re que sont la mise au point, de studios de<br />

répétition, de scènes de musiques actuelles, d'un dispositif<br />

permettant l'expression artistique, que ce soit dans le cadre<br />

<strong>des</strong> pratiques amateurs ou de la pro fessionnalisation.<br />

L'État, pour l'instant, est encore dans une phase de<br />

réflexion sur la manière de prendre en compte cette dynamique<br />

dans le cadre de l'enseignement spécialisé. Je<br />

constate cette lourdeur, je la vis au quotidien. J'y travaille<br />

avec mes collègues de telle sorte que nous puissions avancer<br />

sur ce terrain-là, y compris à l'intérieur de notre<br />

d i re ction qui est censée mettre au point les examens, les<br />

diplômes… Donc, d’une part, nous travaillons à certifier<br />

<strong>des</strong> intervenants, <strong>des</strong> encadrants ou <strong>des</strong> professeurs de<br />

musique et, d'autre part, nous réfléchissons avec le


Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports sur la manière dont<br />

nous pourrions travailler sur la jonction de nos formations<br />

diplômantes.<br />

Nous pouvons imaginer qu'à un moment donné, par<br />

croisement, nous pourrons travailler ensemble à ce que les<br />

compétences musicales du réseau <strong>des</strong> professeurs d'enseignements<br />

spécialisés puissent être éventuellement mises<br />

au service d'un réseau d'intervenants du secteur socioculturel.<br />

Intervenants qui n'ont pas nécessairement toutes<br />

les formations ou toute la compétence artistique requise<br />

mais qui ont, en revanche, beaucoup de choses à nous<br />

apprendre au point de vue de la médiation culturelle. Tout<br />

cela reste encore à concrétiser et je pense que la jonction<br />

entre le secteur de l'action culturelle et le secteur socioculturel<br />

se marquera aussi par <strong>des</strong> actions de ce type-là.<br />

J'espère que nos deux ministères sauront rapidement se<br />

rencontrer pour mettre au point ces dispositifs de rapprochement<br />

à travers lesquels nous avons tous à gagner.<br />

Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />

la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Je suis tout à fait satisfait que<br />

nous nous retrouvions, non seulement au sommet mais<br />

surtout à la base. Il est vrai que nous sommes dans deux<br />

ministères de cultures (au sens large du terme) différentes<br />

et que, parfois, les DRAC et les DRJS ne se connaissent pas<br />

et ne travaillent pas ensemble. Mais, à mon avis, la<br />

démonstration peut être faite par vous-mêmes - professionnels<br />

présents dans cette salle - lorsque vous avez<br />

besoin d'un interlocuteur, qu'il soit “jeunesse et sports”<br />

ou “culture”, c'est vous qui agissez parce que vous avez<br />

besoin de tel interlocuteur de la Culture pour telle réponse<br />

ou de tel interlocuteur de Jeunesse et Sports pour telle<br />

autre réponse.<br />

Catherine Trautmann et Marie-George Buffet ont<br />

décidé un certain nombre de chantiers et cette première<br />

réunion de nos deux administrations a été un premier pas.<br />

Comme il vous a été dit tout à l’heure, nous travaillons<br />

ensemble sur les formations, mais aussi sur les métiers et<br />

les pratiques nouvelles.<br />

<strong>Les</strong> ministères doivent contracter avec les associations<br />

ou les collectivités locales, mais cela doit se faire dans<br />

la clarté et dans la volonté de dialoguer<br />

Du côté du Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports,<br />

nous avons cette facilité d'avoir <strong>des</strong> opérateurs de terrain<br />

plus proches du milieu associatif et <strong>des</strong> pratiques socioculturelles.<br />

C'est une véritable chance. Nous avons bénéficié<br />

de cela tout simplement parce que nous avons été en<br />

partie oubliés de certaines gran<strong>des</strong> lois du début <strong>des</strong><br />

années 80 et avons ainsi maintenu cette très forte présence<br />

sur le terrain. Pour nous, les pratiques musicales,<br />

comme toutes les autres pratiques culturelles, sont vraiment<br />

prises dans ce principe générique d'éducation populaire.<br />

Un concept de forte puissance dans le sens où il<br />

révèle la capacité <strong>des</strong> individus à se mobiliser en dehors du<br />

temps scolaire et du temps de travail pour s'organiser,<br />

créer, inventer et interroger le monde... Je crois qu'il faut<br />

cependant éviter deux écueils dans le dialogue du<br />

Ministère avec les associations d'éducation populaire.<br />

Premièrement, c'est la volonté d'instrumentalisation,<br />

de dire que la politique publique ne doit être que le<br />

relais de celle <strong>des</strong> associations. Personnellement, je tiens<br />

beaucoup à l'indépendance <strong>des</strong> réseaux. <strong>Les</strong> ministères<br />

doivent contracter avec les associations ou les collectivités<br />

locales, mais cela doit se faire dans la clarté et avec la<br />

volonté de dialoguer.<br />

Deuxièmement, il faut bien évidemment éviter<br />

l'abandon comme cela a été le cas ces dernières années. La<br />

première chose que nous pouvons faire consiste à obtenir<br />

<strong>des</strong> moyens financiers plus importants. Dans le cadre du<br />

budget 1998, ce sont 10 millions de francs supplémentaires,<br />

c’est certes très peu, mais déjà un premier pas.<br />

Il nous faut également avoir <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> plus importantes<br />

en matière de postes pour les associations ; je<br />

pense aux 350 postes FONJEP qui ont été obtenus cette<br />

année. Et puis, il faut aussi à nouveau occuper un certain<br />

nombre de terrains sur lesquels il y avait abandon,<br />

lâchage… Po u rquoi ? Pa rce que lorsque Madame Buffet<br />

a organisé les Rencontres de la Jeunesse tout l'automne<br />

d e r n i e r, une <strong>des</strong> revendications principales <strong>des</strong> jeunes<br />

présents à ces re n c o n t res a été l'accessibilité à la pratique<br />

culturelle, autant en tant que spectateur qu’en<br />

tant que pratiquant amateur.<br />

Notre ministère n'a pas, loin s'en faut et heureusement,<br />

le monopole de l’accessibilité. D’ailleurs personne ne<br />

le revendique. Dans le dialogue que nous avons mené avec<br />

le ministère de la Culture, <strong>des</strong> mesures précises ont été<br />

proposées par les jeunes et validées par nos deux Ministres<br />

et par le Premier Ministre. Notons le fait que le Ministère<br />

de la Culture a abondé un certain nombre de crédits sur<br />

<strong>des</strong> lieux de pratiques musicales. Je crois donc qu'il<br />

y a un certain nombre de choses sur lesquelles<br />

nous avons pu avancer.<br />

Un autre reproche qui était fait, était de<br />

dire que le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports<br />

était tellement généraliste qu'on pouvait tout lui demander,<br />

mais qu'il ne pouvait rien faire. C'est vrai que lors q u ' o n<br />

lui pose la question de participer à telle ou telle manifestation<br />

culturelle, notre ministère intervient pour une<br />

somme tellement dérisoire que cela paie le quart du car<br />

qui va amener le groupe de jeunes à Bourges ou à La<br />

Rochelle. Même si ce n'est pas cela le problème, nous<br />

avons travaillé avec le Ministère de la Culture pour que<br />

3 5


3 6<br />

l'ensemble de la manifestation soit prise en compte.<br />

C'est-à-dire qu'il y ait une recherche à la fois sur la baisse<br />

du coût de certains spectacles, la baisse <strong>des</strong> transports et<br />

la baisse du coût de l'hébergement.<br />

Nous pouvons mettre le maillage départemental à<br />

la disposition de tout ce qui vient d'émerger. Si la volonté<br />

de travailler avec le Ministère de la Culture est souhaitable<br />

et risque d'être fructueuse, il faudra que les choses avancent<br />

vite. Nous devons mettre un certain nombre de personnels<br />

à la disposition <strong>des</strong> associations, <strong>des</strong> groupes<br />

musicaux émergents... Mais cela ne pourra se faire que<br />

dans un cadre budgétaire qui n'est pas celui qui est le<br />

nôtre aujourd'hui. Le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong><br />

Sports, c'est 2 milliards 700 millions de francs. Pour vous<br />

donner un ordre d'idée, le budget de la Région Ile-de-<br />

France est de 15 milliards de francs, et dans un autre<br />

domaine, celui du CCAS-EDF est de 2 milliards de francs !<br />

Un <strong>des</strong> chantiers ouverts, et l'une de nos fortes présences,<br />

touche l'aménagement <strong>des</strong> rythmes de l'enfant et<br />

du jeune. C'est un espace sur lequel notre Ministère a<br />

toute sa place en coopération avec le Ministère de la Ville<br />

et ceux de la Culture, de la Solidarité et de l'Éducation<br />

nationale. Nous nous apercevons que, sur le terrain, un<br />

bon nombre d'expériences ont été menées et touchent les<br />

pratiques musicales. <strong>Les</strong> groupes ont été sollicités pour<br />

participer à toutes les activités périscolaires mises en place<br />

par les associations et les collectivités locales et coorganisées<br />

par notre Ministère. Il nous faut garder cette<br />

spécificité d'intervention sur les champs de l'école, du tra vail...<br />

En tous cas, pour résumer, le Ministère de la<br />

Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, ce n'est pas que celui <strong>des</strong> sports.<br />

Nous nous réinvestissons totalement dans le dialogue<br />

d'éducation populaire. Pour preuve : au mois d'octobre,<br />

nous allons organiser un grand colloque sur l'éducation<br />

populaire qui ne sera pas le colloque <strong>des</strong> seuls grands<br />

réseaux mais qui permettra de réunir l'ensemble <strong>des</strong><br />

acteurs nouveaux de l'éducation populaire et, en particulier,<br />

<strong>des</strong> gens que j'ai plaisir à nommer comme les “monsieur<br />

Jourdain" de l'Éducation Populaire, qui en font sans<br />

vraiment le savoir. Sur le terrain, dans les villes, dans les<br />

quartiers, dans les maisons de quartier, il y a beaucoup de<br />

choses qui émergent et qui ne sont pas toujours forcément<br />

en dialogue avec notre ministère et avec les pouvoirs<br />

publics et, parfois, non plus avec les grands réseaux d'éducation<br />

populaire. Ce grand colloque permettra de donner<br />

un nouveau souffle à l'éducation populaire et je crois que<br />

la pratique musicale en est un <strong>des</strong> pôles les plus importants.<br />

Gilles Castagnac : Schématiquement, nous entendons,<br />

d'une part, un Ministère de la Culture qui reconnaît que<br />

ses principaux dispositifs ont été mis en place autour <strong>des</strong><br />

questions de la professionnalisation et, d'autre part, un<br />

Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports qui se positionne sur<br />

les pratiques amateurs parce que le cadre de l'éducation<br />

p o p u l a i re est hors du temps de travail, hors du temps<br />

s c o l a i re. Reste que, parmi les choses évoquées lors de la<br />

table ronde précédente, ces pratiques-là se développent<br />

aussi avec, en parallèle, une remise en cause <strong>des</strong> principes<br />

de l'intégration par la voie salariale. C'est-à-dire qu'elles<br />

vont au-delà d'une simple pratique de loisir sans pour<br />

autant trouver de cadre d’accueil. N'est-ce pas justement<br />

sur cet espace qu'il faut travailler ? Espace tout à fait spécifique<br />

mais mal défini parce qu'on utilise encore une<br />

dichotomie simpliste entre les loisirs <strong>des</strong> amateurs et les<br />

professionnels... qu'on renvoie alors simplement au showbusiness.<br />

Pour permettre la rencontre, ne faut-il pas remettre<br />

en cause ces grands clichés ? N’est-ce pas en termes d’ac -<br />

tion et de développement culturel qu’il reste nécessaire de<br />

trouver <strong>des</strong> outils de travail communs ? Sur la question de<br />

la décentralisation, André Cayot a bien évoqué la déclinaison<br />

<strong>des</strong> outils nationaux pour construire l'action culture lle.<br />

Ecoutons maintenant le propos de Marc Le Bourhis, acteur<br />

de cette déconcentration.<br />

Marc Le Bourhis, conseiller Musique et Danse à la DRAC<br />

Nord-Pas-de-Calais : On m'a demandé de parler de ma<br />

perception de la mise place <strong>des</strong> politiques en matière de<br />

musiques d'aujourd'hui, perception vue par un conseiller<br />

Musique et Danse qui travaille dans une DRAC, c'est-à-dire<br />

un service extérieur du Ministère de la Culture.<br />

Je pense qu'il n'est pas utile de revenir ou de développer<br />

les enjeux que l'on perçoit et qui sont réels autour<br />

<strong>des</strong> musiques d'aujourd'hui et <strong>des</strong> lieux développant <strong>des</strong><br />

politiques en matière de musiques d'aujourd'hui. Ils sont<br />

bien sûr multiples. Nous pouvons parler d'enjeux culturels,<br />

d'enjeux artistiques, d'enjeux sociaux et puis aussi d'enjeux<br />

économiques... À chacun de ces grands enjeux de<br />

société, nous allons trouver <strong>des</strong> objectifs tout aussi multiples<br />

et l'ensemble de ces objectifs cerne l'exigence forte<br />

qu'il y a autour <strong>des</strong> lieux “musiques d'aujourd'hui".<br />

Très rapidement, les objectifs sont ceux de la diffusion,<br />

de l'animation, de la formation, de la sensibilisation<br />

et ceux de la création et du développement de carrières,<br />

développement d'artistes. Après maintenant six ans passés<br />

dans ce Ministère comme conseiller, j'ai la perception qu'il<br />

existe un dénominateur commun autour de tous ces lieux<br />

mis en place assez récemment : leur grande fragilité.<br />

Finalement, il existe assez peu de structures, à part ces<br />

lieux, où il y a autant d'exigences et auxquels on assigne<br />

autant d'objectifs, et bien souvent avec <strong>des</strong> moyens comptabilisés<br />

au plus juste. Nous pensons à la somme de toutes<br />

les obligations, le poids grandissant de la législation - il ne<br />

s'agit pas de la re mettre en cause, mais vous savez qu'il y a


une réflexion actuellement sur la TVA - le poids <strong>des</strong> taxes<br />

parafiscales, le respect <strong>des</strong> charges sociales, <strong>des</strong> droits<br />

d'auteur…<br />

Il est nécessaire de professionnaliser les lieux<br />

“musiques d'aujourd'hui" tout en tenant compte de<br />

l'énorme complémentarité <strong>des</strong> financements et donc <strong>des</strong><br />

incertitu<strong>des</strong> qui y sont liées. Je donne un exemple rapide :<br />

les financements qui proviennent de l'État dans toutes ses<br />

dimensions, <strong>des</strong> collectivités, nombreuses ; il y a au moins<br />

trois niveaux de collectivités voire quatre puisque l'on voit<br />

<strong>des</strong> districts se mettre en place. <strong>Les</strong> financements politiques<br />

de la ville sont systématiquement débloqués sur <strong>des</strong><br />

projets spécifiques et, en aucun cas, ils ne viennent soutenir<br />

le lieu pour sa politique globale. Il existe aussi les<br />

financements du Fonds d’Action Sociale et tous les autres<br />

types de guichets qu'on peut imaginer. Nous avons parlé<br />

tout à l'heure <strong>des</strong> postes FONJEP, mais il y a aussi les<br />

emplois jeunes, le fonds interministériel à la ville... Il y a<br />

donc une multitude de financements et de guichets auxquels<br />

les directeurs doivent faire appel parce qu'ils n'ont<br />

pas un budget en propre, contrairement à une scène<br />

nationale qui a 15 millions de francs, 1 million de fra n c s<br />

de recettes pro p res, ce qui donne un énorme confort<br />

pour tra v a i l l e r. Face à cela, est attendue une énorme<br />

polyvalence d'équipes de ces lieux qui sont numériquement<br />

faibles : <strong>des</strong> talents de direction artistique, de<br />

médiation culturelle, <strong>des</strong> talents de directeur d'équipement,<br />

de technicien, de gestionnaire …<br />

Il existe également l'énigme <strong>des</strong> publics. Même si on<br />

est libre de dire que le Ministère de la Culture ne s'est pas<br />

90 % <strong>des</strong> couches jeunes de la population se tournent<br />

vers les musiques d'aujourd 'hui<br />

préoccupé du public, ce n'est pas le sentiment que j'ai.<br />

Cela fait maintenant 15 ans que l'on entend le discours sur<br />

la meilleure façon de faire le public de demain, et on<br />

s'aperçoit que le travail avec la pratique amateur, le travail<br />

avec le public, n'a pas créé plus de public. En gros, seuls<br />

10 % - et même cela a tendance à fléchir - de la population<br />

participent au phénomène culturel. Donc, quand vous<br />

constatez l'ensemble <strong>des</strong> faiblesses, vous avez un cocktail<br />

absolument détonant et il n'y a justement rien d'étonnant<br />

à ce que ces lieux soient régulièrement en danger et<br />

nécessitent <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> d'urgence.<br />

J'ai travaillé dans deux régions différentes, tout<br />

d'abord en Lorraine puis maintenant dans le Nord-Pas-de-<br />

Calais, et j'ai à chaque fois fait le constat de la faiblesse de<br />

l'implication <strong>des</strong> villes et <strong>des</strong> départements. En Nord-Pasde-Calais,<br />

nous avons la chance d'avoir un partenariat très<br />

actif, bien supérieur à celui que l'on peut avoir avec l'État,<br />

avec le Conseil Régional et, globalement, nous avons la<br />

parité sur l'ensemble <strong>des</strong> lieux. C’est assez exceptionnel.<br />

Mais je suis encore étonné de la faiblesse de l'implication<br />

<strong>des</strong> villes alors que 90 % <strong>des</strong> couches jeunes de la population<br />

se tournent vers les musiques d'aujourd'hui. Mais,<br />

pour une ville, mettre 600 000 francs dans un lieu qui doit<br />

travailler sur l'ensemble de la chaîne, de la diffusion, de<br />

l'information, de la création... est-ce bien raisonnable<br />

finalement ?<br />

Peut-être y a-t-il aussi une réticence de la part de<br />

nombre d'élus à investir dans le phénomène privé. C'est<br />

vrai que, jamais très loin, il y a une structure privée qui<br />

programme et finalement qui ne coûte pas un franc d'arg ent<br />

public. <strong>Les</strong> salles qui tournent toutes seules sont vra iment<br />

légion, donc je crois que les directeurs de lieux comme les<br />

vôtres doivent travailler sur l'ensemble de cette chaîne de<br />

“l'animation-diffusion", de la formation, de la sensibilisation<br />

<strong>des</strong> publics et bien entendu, de la création.<br />

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, j'ai<br />

le sentiment que l'on ne peut pas se permettre de tra vailler<br />

uniquement sur l'émergence de lieux. En partenariat<br />

avec le Conseil Régional, nous avons souhaité développer<br />

une politique de niveau régional et, maintenant, il y a en<br />

N o rd - Pas-de-Calais une association qui travaille avec<br />

l'ensemble <strong>des</strong> lieux “musiques d'aujourd'hui". Cette<br />

association vient travailler site par site, sur la base d'une<br />

mise en réseaux, d'une complémentarité <strong>des</strong> actions possibles.<br />

Je cite par exemple <strong>des</strong> opérations spécifiq u e s<br />

comme “La Semaine de la Chanson" mais aussi <strong>des</strong><br />

résidences itinérantes d'artistes et tout un travail sur les<br />

actions de communication globale. Il y a aussi un pôle<br />

régional <strong>des</strong> “musiques d'aujourd'hui". Il est<br />

très actif et réalise un excellent travail. L'intérêt<br />

<strong>des</strong> structures complémentaires, <strong>des</strong> écoles <strong>des</strong><br />

musiques dites d'aujourd'hui, de par leur positionnement<br />

sur la formation de formateurs, est de perm<br />

e t t re d'arriver à une cohérence sur l'ensemble de cette<br />

c h a î n e .<br />

A propos <strong>des</strong> complémentarités entre les réseaux<br />

d'éducation populaire et les structures qui relèvent peutêtre<br />

plus du giron du Ministère de la Culture, je n'ai jamais<br />

eu une lecture séparée. Je n'ai jamais eu d'états d'âme à<br />

travailler avec <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture.<br />

Quand on lit dans La Lettre N° 13 que lorsqu'une MJC veut<br />

créer une SMAC, le conseiller de la DRAC demande souvent<br />

à ce que l'on crée une association complètement indépendante,<br />

je crois que c'est une lecture un peu faussée <strong>des</strong> circulaires.<br />

Même si effectivement on parle de l'autonomie<br />

artistique et de l'autonomie budgétaire <strong>des</strong> équipes, il y a<br />

malgré tout beaucoup d'exemples où il y a un suivi et pas<br />

uniquement dans le domaine <strong>des</strong> musiques d'aujourd'hui.<br />

Je veux parler de la MJC Terre Neuve à Dunkerque ou du<br />

Centre Culturel André Malraux à Va ndœuvre. Il y a un<br />

3 7


3 8<br />

partenariat très actif du Ministère de la Culture avec ces<br />

établissements. Et il y en a d'autres. Je citerai la MJC de<br />

Belleville-sur-Meuse qui a vu naître un festival. Je pense<br />

également à un partenariat autour de la MJC de St-<br />

Saulve, dans la banlieue valenciennoise, où il y a un travail<br />

émergent avec les enfants. Enfin, nous pouvons aussi parler<br />

du dernier lieu créé dans le Nord-Pas-de-Calais - “Le<br />

Grand Mix" - et qui est peut-être une <strong>des</strong> scènes de<br />

musiques actuelles les plus achevées, et qui fait un travail<br />

très intéressant avec les MJC de Tourcoing.<br />

Gilles Castagnac : Je relève qu'en parallèle à la notion de<br />

déclinaison, évoquée par André Cayot, apparaît ici la<br />

notion de développement de politiques régionales basées<br />

sur la mise en réseaux. Ce peut être un principe de remontée<br />

qui facilite la rencontre d’acteurs aussi bien impliqués<br />

dans le domaine culturel proprement dit, que dans le<br />

domaine socio-culturel. Si on leur permet de construire<br />

ensemble une politique - au minimum de participer à sa<br />

construction - cela semble une manière plus réelle de faire<br />

émerger la cohésion, voire, paradoxalement, la<br />

cohérence. La construction <strong>des</strong> politiques culturelles<br />

repose sur l'intervention - qui n'a cessé d e<br />

g randir au cours de ces 15 dernières années -<br />

<strong>des</strong> collectivités territoriales.<br />

Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil général<br />

de Seine-St-Denis : Plus qu'une expérience, c’est<br />

une conception que je voudrais évoquer. En premier lieu,<br />

je voudrais dire que je travaille pour un Conseil Généra l<br />

qui a décidé d'investir un domaine pour lequel il n'a<br />

aucune obligation réglementaire ou légale. Je ne parle<br />

pas là <strong>des</strong> musiques amplifiées en particulier, je parle<br />

du champ culturel de manière générale. J'ouvre une<br />

petite parenthèse rapide mais je me plais toujours à le<br />

souligner : le 93 est le premier département théâtral de<br />

F rance après Paris. C’est un département qui accueille<br />

aussi bien le festival de St-Denis, que “Banlieues<br />

Bleues" ou la plus grande manifestation européenne de<br />

littérature de jeunesse avec le Salon du livre de jeunesse<br />

à Montre u i l .<br />

Des élus ont donc décidé d'investir un champ qui<br />

n'est pas réglementaire et à une hauteur importante,<br />

puisque, si je ne me trompe pas, je crois que nous avons<br />

<strong>des</strong> budgets d'environ 85 millions de francs pour la cult<br />

u re, hors investissements, hors travaux… Je ne veux pas<br />

non plus en dresser un panégyrique et je pense que<br />

beaucoup de choses sont à soumettre au crible d'une<br />

critique parfois ra d i c a l e .<br />

Cette démarche met en jeu une idée très forte qui<br />

est une caractéristique bien française, celle de la responsabilité<br />

publique. Franck Lepage utilisait, hier, une formule<br />

pour dire qu'il y avait <strong>des</strong> exigences de culture dans ce<br />

pays et de l'argent qui y était consacré. De l'argent pour<br />

cultiver, pour réfléchir, pour penser, pour agiter. Je crois<br />

énormément à cette responsabilité publique. Cela me<br />

semble être une chose importante que l'on a pourtant eu<br />

tendance à banaliser ces dernières années. Cette banalisation<br />

vient de ce que la préoccupation culturelle a été<br />

laminée. Quand je dis “culturelle", je le dis au sens large<br />

du terme, y compris dans ce que cela comprend d'éducation<br />

populaire par exemple, puisque sans être un spécialiste<br />

de ce secteur, il convient, à mon sens, de le porter à un<br />

haut niveau.<br />

Lorsque nous prenons cette question et que nous la<br />

regardons sous l'angle <strong>des</strong> musiques amplifiées, cela nous<br />

donne un champ de perspectives et peut-être même un<br />

peu d'oxygène. Le domaine <strong>des</strong> musiques amplifiées qui a<br />

souvent été l'objet de pratiques rétrécissantes, utilitaristes,<br />

instrumentalistes, a servi “à s'occuper <strong>des</strong> jeunes".<br />

Ainsi, entre le “jeunisme" d'un côté et la logique “beauxarts"<br />

de l'autre, ces pratiques culturelles n'avaient pas<br />

Le paradoxe, dans ces musiques, c’est qu'elles sont tout<br />

à la fois sur le segment privé et le segment public<br />

droit de cité jusqu'à présent. Ainsi, nous avons vu naître<br />

<strong>des</strong> projets, <strong>des</strong> dispositifs, <strong>des</strong> actions qui étaient, pour un<br />

certain nombre, marqués du sceau de la faiblesse de<br />

moyens et de conceptions. Ce qui ne permettait pas de<br />

tirer les choses vers le haut.<br />

Il existe une pratique culturelle dans les musiques<br />

amplifiées. Cependant, même si nous en sommes à peu<br />

près tous d’accord, il y a encore beaucoup de personnes à<br />

convaincre. Ces pratiques culturelles ne sont pas uniquement<br />

présentes dans l'usage de l'instrument ou dans l'exégèse<br />

de tel ou tel genre musical, mais aussi parce qu'il y a<br />

du développement individuel. Ce qui doit préoccuper les<br />

élus qui décident une politique et les techniciens qui la<br />

mettent en œuvre, c'est de savoir si l'argent public, mis<br />

dans le champ <strong>des</strong> pratiques culturelles, contribue au<br />

développement de l'individu, à sa capacité à s'enrichir et<br />

donc à prendre davantage pied sur le réel et éventuellement<br />

agir pour sa transformation ou son appropriation. Je<br />

pense que la société doit avoir ce type d'exigence au<br />

regard de la pratique culturelle et reconnaître la part de<br />

risque et la part de création.<br />

Gilles Castagnac posait la question de savoir si le<br />

secteur de l’éducation populaire devait s'autoriser l'excellence<br />

en termes d'exigence artistique. Evidemment, mais<br />

je pense aussi que tout le monde doit se l'autoriser et que<br />

nous devons la revendiquer comme partie intégrante de<br />

notre propos, qu'il soit professionnel ou “amateur spécialisé".<br />

Bien entendu, il y a du loisir, de la détente, du diver-


tissement, mais pourquoi ne pas avoir l'exigence de loisirs<br />

tirés vers le haut, car derrière le loisir, il y a aussi de la pratique<br />

artistique. <strong>Les</strong> pratiques culturelles sont un<br />

ensemble. Mais à l'intérieur de cet ensemble, il y a quelque<br />

chose de radicalement singulier, qui n'appartient qu'à l'individu,<br />

qui porte la singularité même de l'acte créatif, c'est<br />

le champ <strong>des</strong> pratiques artistiques. Je pense que la pire <strong>des</strong><br />

choses pour les musiques actuelles serait de baisser la<br />

garde sur ce point.<br />

D'autant plus qu’il s’agit d’un secteur assez perverti<br />

par la dominante de la marchandisation. Il y a quelque<br />

chose de constitutif aux musiques actuelles. C'est un paradoxe<br />

avec lequel il faut que nous apprenions à vivre<br />

puisque, tout à la fois lieux d'exigences artistiques et culturelles<br />

et lieux de création, elles sont également lieux de<br />

marchandise, lieux d'échange dans une économie qui est<br />

ce qu'elle est. À ce propos d'ailleurs, lorsqu'on évoque la<br />

question <strong>des</strong> moyens dont nous disposons et qui sont largement<br />

insuffisants, je pense qu'il faut que nous nous<br />

autorisions à aller du côté de ce marché. Je suis sûr que<br />

certains d'entre nous contribuons largement à l'émerg ence<br />

d'artistes qui, par la suite, contribuent aux fins de mois<br />

grassement payées <strong>des</strong> titulaires <strong>des</strong> fonds de pension qui<br />

possèdent la moitié de CBS, Sony… Cette économie du<br />

disque, qui fonctionne bien, a l'art de ramasser la mise<br />

sans avoir à être présente dans la mise de fonds.<br />

Le paradoxe, dans ces musiques, c’est qu'elles sont<br />

tout à la fois sur le segment privé et le segment public.<br />

Peut-être qu'il nous faut définitivement arrêter d'avoir<br />

peur et prendre en compte ce qui se passe réellement. Que<br />

les financements soient aussi de source privée ne me<br />

semble pas être nécessairement un problème, à partir du<br />

moment où ils obéissent à un cahier <strong>des</strong> charges. Un<br />

cahier <strong>des</strong> charges qui ne peut relever que de l'affirmation<br />

par la puissance publique de sa prise de responsabilité.<br />

Face aux collectivités, je pense que nous devons<br />

avoir l'exigence, envers les élus, de poser la question dans<br />

ces termes-là : “quelle politique voulez-vous mener ?" et<br />

“quelle politique voulons-nous que vous meniez ?".<br />

Nous devons poser la question dans les deux sens, avec<br />

l'ambition d'avoir <strong>des</strong> étages de responsabilités qui se <strong>des</strong>sinent<br />

et qui se complètent les uns et les autres. Il y a celui<br />

de la Ville, celui du Département, de la Région, celui de l'État.<br />

Je pense que ces quatre paliers peuvent avoir <strong>des</strong><br />

niveaux d'intervention différents et complémentaires : la<br />

région sur la formation, on peut imaginer que les départements<br />

soient davantage en prise sur <strong>des</strong> actions à caractère<br />

éducatif, les villes peuvent être plus en phase avec<br />

l'émergence de lieux de répétition… Tout cela avec <strong>des</strong><br />

financements croisés. Pour le reste, j'attends les conclusions<br />

de la Commission nationale <strong>des</strong> musiques actuelles<br />

pour voir si la responsabilité de l'État va s'engager. Pas<br />

seulement en termes financiers, mais pour qu'il y ait bien<br />

<strong>des</strong> cadres réglementaires qui permettent de structurer<br />

l'espace <strong>des</strong> musiques amplifiées, et que <strong>des</strong> recommandations,<br />

voire même que <strong>des</strong> conditions, soient édictées pour<br />

l'élaboration et la mise en place de lieux de répétition ou<br />

de diffusion.<br />

Enfin, je voudrais parler <strong>des</strong> moyens dont nous disposons.<br />

Je ne vais pas en rajouter sur le fait qu’ils sont<br />

insuffisants. Cependant, on ne peut plus se contenter de le<br />

répéter chaque année. Je pense qu'il y a un travail d'information,<br />

de pression à organiser. Il n'est pas possible que<br />

dans ce pays, alors qu'il y a une nouvelle donne évidente<br />

et que nous sommes quelques-uns à penser que cette<br />

nouvelle donne l'emporte, on puisse continuer à travailler<br />

avec les critères et les règles à calcul qui ont été en<br />

vigueur les années précédentes. On ne peut attendre <strong>des</strong><br />

SMAC qu'elles fassent tout et le reste, avec <strong>des</strong> budgets<br />

qui sont ridicules et <strong>des</strong> personnels qui sont mal payés ou<br />

qui envisagent de se mettre aux Assedic durant quelque<br />

temps pour éviter de gonfler leur déficit. Cette précarité-là<br />

n'est pas possible. Il faut de véritables engagements politiques<br />

sur cette question.<br />

Gilles Castagnac : Pour compléter une <strong>des</strong> pistes évoquées,<br />

je ra p p e l l e rai juste que l'industrie musicale<br />

représente, en Gra n d e - B retagne, le troisième poste de<br />

rentrée de devises. Ici aussi, cette économie est réelle.<br />

Elle repose sur une organisation de la consommation<br />

qui pèse et configure la manière dont les pratiques se<br />

développent. Face aux logiques industrielles, le rôle de<br />

l'État se pose aussi en termes d'équilibrage et de re d i s-<br />

tribution. C’est une question très concrète qui a forc é-<br />

ment été évoquée par la Commission nationale <strong>des</strong><br />

musiques actuelles.<br />

Didier Varrod, rapporteur général de la Commission<br />

nationale <strong>des</strong> musiques actuelles (rapport disponible sur<br />

internet : www.irma.asso.fr) : Soyons clairs, je ne suis pas<br />

là pour vous énoncer le contenu d'un rapport qui n'a pas<br />

encore été rédigé. La mise en place de cette commission a<br />

été annoncée<br />

par madame la<br />

Ministre en décembre<br />

1997 et<br />

les travaux ont commencé en février 1998. Le rapport<br />

devait être rendu à la fin juin mais, devant l'énormité du<br />

chantier et <strong>des</strong> consultations qui ont été entreprises, nous<br />

avons obtenu une prorogation afin de ne pas rendre un<br />

rapport qui ne pourrait pas être assumé par les gens qui<br />

font partie de cette commission.<br />

Pour témoigner de ses travaux, je dirai qu’elle a<br />

d’abord fait un état <strong>des</strong> lieux relativement rapide sur<br />

Un sentiment d'orphelinat d’une<br />

politique culturelle spécifiq ue<br />

3 9


4 0<br />

l'ambiance générale à l'intérieur du secteur. Un sentiment<br />

d'orphelinat a très vite été mis en lumière : les acteurs de<br />

ce secteur, qu'ils soient dans l’associatif ou même dans le<br />

privé, se sentent vraiment orphelins d'une politique culturelle<br />

spécifique. De ce sentiment d'orphelinat, nous<br />

sommes très vite passés à un sentiment de revendication<br />

et pour certains, de colère face à l'absence de reconnaissance<br />

de ces musiques, voire même, on pourrait dire, face<br />

à l'absence de connaissance <strong>des</strong> musiques actuelles.<br />

En fait, la Commission s’est articulée autour de deux<br />

axes. Le premier autour de la mise en lumière de l'artiste<br />

et <strong>des</strong> conditions de sa création. À la demande d’Alex<br />

Dutilh, nous avons donc convenu de réfléchir et de travailler<br />

autour du cheminement de l'artiste, <strong>des</strong> pratiques<br />

amateurs au passage à la professionnalisation pour certains<br />

mais pas pour tous, puisqu’on peut souhaiter rester<br />

dans le domaine amateur et, pour ceux qui passent à la<br />

professionnalisation, jusqu’aux problématiques liées à la<br />

gestion de carrière. Le deuxième axe, tout aussi fondamental<br />

et un peu novateur, c'est évidemment une<br />

réflexion autour <strong>des</strong> publics et de ce qu'on peut appeler<br />

les garanties de démocratisation.<br />

<strong>Les</strong> objectifs de la Commission ont été relativement<br />

simples, même s’il n'est pas toujours facile de travailler<br />

dans une grande collégialité, avec la volonté de garantir<br />

un minimum de démocratie, de respect de la pluralité <strong>des</strong><br />

paroles (et de la pluralité, il y en a dans cette commission !).<br />

B ref, il nous faut donc définir une politique globale,<br />

c o h é rente et, en même temps, spécifique aux musiques<br />

a c t u e l l e s .<br />

Dans un premier temps, il fallait mettre en avant la<br />

concertation, donc l'écoute, et nous nous apercevons,<br />

début juin, que cette concertation n'est pas encore terminée<br />

alors qu’un travail de réflexion s’impose pour arriver à<br />

<strong>des</strong> préconisations ; qu'elles soient réglementaires ou budgétaires.<br />

Le deuxième objectif fixé, je dirais presqu'un peu<br />

de façon minoritaire, était de créer les conditions d'une<br />

solidarité professionnelle. Evidemment, dans la façon dont<br />

est composée la Commission, on comprend qu’il s’agissait<br />

de cesser de raisonner sur chaque question relative à la<br />

formation, au spectacle vivant, au disque, etc, et de replacer<br />

toujours les artistes et leurs publics au centre de notre<br />

réflexion. Mais je me permettrai quand même un constat<br />

personnel : les débats y sont extrêmement agités, quelquefois<br />

grégaires et ne montrent pas t oujours la volonté de<br />

créer les conditions de cette solidarité. Il y a là un véritable<br />

enjeu, une véritable re sponsabilité.<br />

La Commission est composée de quatre groupes de<br />

travail. Le premier se consacre à la problématique <strong>des</strong> pratiques<br />

amateurs avec trois axes : les lieux, donc réflexion<br />

autour <strong>des</strong> locaux de répétition adaptés ou non, les<br />

problèmes d'insonorisation, de rénovation ; une réfle xion


PERRY BLAKE


4 2<br />

autour de la politique d'équipement en gardant toujours<br />

en tête cette équation magique : un lieu, une équipe, un<br />

projet ; et enfin, l'ensemble <strong>des</strong> problèmes liés à la diffusion<br />

amateur et aussi à la problématique du statut : estce<br />

qu'il doit y avoir un statut du musicien amateur ? Si<br />

oui, lequel ?<br />

Un deuxième groupe travaille sur la professionnalisation,<br />

avec une réflexion autour de la formation professionnelle,<br />

qu'elle soit artistique, qu'elle soit celle <strong>des</strong><br />

métiers encadrants ; et aussi <strong>des</strong> réflexions très intéressantes<br />

et évolutives autour du statut du manager qui est<br />

un gros serpent de mer depuis 1981. Doit-il y avoir un statut<br />

de manager ? Si oui, lequel ? Et pour les pratiques<br />

émergentes, doit-il y avoir un statut de DJ ? Dans ce groupe<br />

sur la professionnalisation, le rôle décisif <strong>des</strong> salles est<br />

largement souligné. Il existe une grande réflexion autour<br />

du soutien à l'action associative qui est extrêmement<br />

importante surtout lorsque nous parlons de professionnalisation.<br />

En effet, si 90 % de l'activité est associative, il y a<br />

tout un arsenal de textes à “relifter", voire à proposer par<br />

exemple sur le cadre fiscal.<br />

Le troisième groupe, lui, s'occupe de la gestion de<br />

c a r r i è re. C’est-à-dire le moment où l’artiste a le pied à<br />

l'étrier et qu’il re n t re dans ce maudit secteur marc h a n d .<br />

Ce groupe de travail a une réflexion globale sur le statut<br />

<strong>des</strong> professions liées au disque, comme le problème de la<br />

c o n c e n t ration producteur-éditeur-diffuseur dont on<br />

parle beaucoup en ce moment. Il travaille également<br />

autour <strong>des</strong> problématiques de la distribution. Nous réfléchissons<br />

aussi à la structuration de l'ensemble de la fil ière :<br />

doit-on unifier tous les guichets pour faire un guichet<br />

unique ? On parle même de CNC de la musique... De<br />

même, nous travaillons sur la situation liée aux médias<br />

en ce qui concerne la pauvreté de la presse spécialisée<br />

dans le domaine <strong>des</strong> musiques actuelles, la volonté de<br />

demander un “reliftage" de la loi sur les quotas, l'absence<br />

de respect du cahier <strong>des</strong> charges du service public<br />

en ce qui concerne la diffusion de nos musiques, à la<br />

télévision notamment...<br />

Le quatrième groupe travaille sur les publics. Mais<br />

ce groupe a choisi le terme de populations, au pluriel, plutôt<br />

que celui de publics.<br />

Il y est question <strong>des</strong> préconisations<br />

qui iraient<br />

dans le sens de la<br />

garantie de la diversité<br />

esthétique, de l'élargissement de la demande et d'une<br />

politique <strong>des</strong> prix qui soit en cohérence avec une meilleure<br />

diffusion de nos musiques. Ce groupe-là, comme<br />

d'ailleurs l'ensemble <strong>des</strong> membres de la Commission,<br />

constate un gros manque d'état <strong>des</strong> lieux critique sur<br />

notre secteur. Quelles sont les actions menées en faveur<br />

On constate un gros manque<br />

d'état <strong>des</strong> lieux critique<br />

sur notre secteur<br />

<strong>des</strong> publics au niveau <strong>des</strong> collectivités territoriales et en<br />

quoi les autres ministères peuvent-ils être concernés ? <strong>Les</strong><br />

événements de ces dernières semaines sur le douloureux<br />

problème de la techno nous poussent à penser que nous<br />

avons un gros travail d'information à faire auprès <strong>des</strong><br />

ministères et non pas seulement celui de la Culture.<br />

En termes de premières impressions, je ne parle là<br />

qu'en mon nom car je ne suis en aucun cas le porte-paro le<br />

<strong>des</strong> différents participants qui ont tous <strong>des</strong> avis différents,<br />

je pense que cela sera un rapport ouvert avec une mise en<br />

lumière de nos désaccords sur certains aspects. Je crois<br />

que c'est extrêmement important parce qu'à un moment<br />

donné, c’est aux pouvoirs publics de trancher.<br />

Enfin, dès les premières réunions, il y a eu une forte<br />

volonté pour exprimer l'impérieuse nécessité de mettre à<br />

plat les questions de fondation politique, au sens le plus<br />

noble du terme, en ce qui concerne les musiques actuelles<br />

(expression qui a d’ailleurs fait débat). Cela veut dire que<br />

si le nerf de la guerre demeure l'argent, ce n'est pas par un<br />

doublement, un triplement, etc, <strong>des</strong> budgets alloués à la<br />

politique <strong>des</strong> musiques actuelles que nous arriverons à<br />

mettre en place une vraie politique culturelle cohérente<br />

dans ce domaine. Quand nous parlons du cadre législatif<br />

réglementaire à relifter, il y a peut-être <strong>des</strong> circulaires<br />

d'application qui demandent juste à sortir <strong>des</strong> tiroirs,<br />

peut-être <strong>des</strong> rapports à remettre en lumière.<br />

Lors d'une rencontre avec Madame la Ministre, nous<br />

lui avons remis un texte qui s'appelle “Préambule pour<br />

une politique ambitieuse <strong>des</strong> pouvoirs publics en faveur<br />

<strong>des</strong> musiques actuelles". Nous souhaitons que ce texte<br />

soit suffisamment fondateur pour provoquer la même<br />

réflexion que celui sur la charte du service public a pu provoquer<br />

dans les différentes instances auxquelles il a été<br />

distribué. L’idée forte, c’est celle de la garantie du pluralisme<br />

artistique, ce qui nous paraît important et qui passe<br />

par le pluralisme économique qui le met en œuvre. C'est<br />

un gros travail, un gros chantier et la conclusion personnelle<br />

que je pourrais donner tient en trois mots : pluralisme,<br />

proximité, rééquilibrage.<br />

Gilles Castagnac : Pour avoir participé à ces débats, je<br />

confirme que l’angle de politique culturelle qui nous préoccupe<br />

aujourd’hui en est clairement le fondement.<br />

Valérie Thomas, animatrice MJC Pichon - Nancy : Je suis<br />

chargée de la programmation culturelle et, jusqu'à présent,<br />

nous programmions du jazz, de la chanson française,<br />

<strong>des</strong> musiques du monde et de la musique classique. Nous<br />

nous posons aujourd’hui la question de savoir si nous ne<br />

pourrions pas pro grammer <strong>des</strong> musiques actuelles, sachant<br />

que les groupes qui se proposent à nous sont, pour l'instant,<br />

<strong>des</strong> groupes débutants et vraiment très locaux, donc


avec une qualité moindre, etc. Sachant que nous<br />

n'avons pas encore à Nancy de lieux ou d'écoles qui prép<br />

a rent aux musiques actuelles, je souhaiterais donc<br />

savoir comment une MJC peut participer au développement<br />

<strong>des</strong> musiques actuelles ?<br />

Gaël Robert, chargé de mission musiques actuelles<br />

ASSECARM Lorraine : Sur cette question très directe, je<br />

prends la parole pour dire que sur Nancy, il y a<br />

beaucoup de choses sur les musiques actuelles. Ce<br />

n'est pas nouveau. Ce que vous illustrez peut-être ,<br />

c'est la non circulation entre les différents secteurs .<br />

acteurs de terrain se trouvent exposés, soit à l'arbitraire,<br />

soit à l'incompétence, <strong>des</strong> techniciens, voire <strong>des</strong> politiques.<br />

Je voudrais donc savoir si dans le cadre de la Commission<br />

nationale <strong>des</strong> musiques actuelles, et au-delà, dans les couloirs<br />

<strong>des</strong> ministères, il avait été envisagé de remonter jusqu'à<br />

ce cadre de la décentralisation qui me semble avoir fondamentalement<br />

changé la donne <strong>des</strong> politiques culturelles.<br />

Cela permettrait de redéfinir d'en haut, dans un<br />

Je constate qu’aujourd'hui les acteurs de terrain<br />

se trouvent exposés, soit à l'arbitra i re, soit à<br />

l'incompétence, <strong>des</strong> techniciens, voire <strong>des</strong> politiques<br />

Vincent Rulot, directeur-adjoint chargé du secteur<br />

culturel de la CLEF (St-Germain-en-Laye) : Po u rq u o i ,<br />

jusqu’à maintenant, la MJC Pichon n'a pas fait de prog<br />

rammation de musiques dites actuelles et pourq u o i<br />

tout d'un coup, vous vous posez la question ? Est-ce que<br />

c'est parce que le public vous le demande ? Est-ce que<br />

c'est parce que vous identifiez <strong>des</strong> musiciens ? Sur quels<br />

c r i t è res, en fait, basez-vous votre pro g rammation ? Estce<br />

que l'exigence artistique est le seul critère ? Vo u l e z -<br />

vous montrer une palette musicale un peu plus large ?<br />

C'est peut-être les pre m i è res questions qu'il faut se<br />

p o s e r.<br />

Cela m'étonne toujours, et ce n'est pas du tout<br />

une critique par rapport à vous qui travaillez à Nancy,<br />

que <strong>des</strong> gens, en 1998, sachent faire une pro g ra m m a t i o n<br />

aussi ouverte mais s'arrêtent aux musiques actuelles.<br />

Pour finir là-<strong>des</strong>sus d'ailleurs, je constate qu'il y a <strong>des</strong><br />

termes qui apparaissent puis disparaissent. Tout à l'heure,<br />

il a été dit que le terme d'éducation populaire avait été<br />

un petit peu discrédité et qu'il fallait se le “réapproprier".<br />

Je vois un autre terme qui apparaît souvent<br />

a u j o u rd'hui, c'est le terme “émergent". Quand on parle<br />

d ' é m e rgence, il faudrait peut-être savoir de quoi nous<br />

parlons. Si c'est l'émergence de nouvelles formes artistiques,<br />

c'est sûr qu’en permanence il y a de nouvelles<br />

formes artistiques. En revanche, sur le secteur de ces<br />

musiques - que je ne sais pas nommer ou que je préfère<br />

ne pas nommer - ce n'est pas un secteur émergent car il<br />

y a 15 ou 20 ans qu'il y a <strong>des</strong> tonnes de gens qui ont une<br />

action dans ce domaine, que ce soit en termes de prog<br />

rammation, de diffusion, d'accompagnement, de formation<br />

et, bien évidemment, de pra t i q u e .<br />

Philippe Michaud, animateur MJC - Café Provisoire de<br />

Manosque : Vous avez évoqué la loi de 1982 et suivantes<br />

sur la décentralisation qui, effectivement, n'ont pas fixé de<br />

cadre général ni de critères d'élaboration <strong>des</strong> politiques<br />

publiques en matière culturelle, à aucune <strong>des</strong> collectivités<br />

locales et territoriales. Je constate qu’aujourd'hui les<br />

pays de tradition jacobine, ce cadre d'action et de développement<br />

qui me semble pouvoir être de nature à concilier<br />

la conscience <strong>des</strong> personnes qui travaillent sur le terrain<br />

avec les constats qui sont faits d'en haut, donc de<br />

faire le lien entre Paris et les “provinces”.<br />

Robert Weil, universitaire responsable du D.E.S.S. développement<br />

culturel - UFR de Rouen : J'ai une question qui<br />

est vraiment naïve et qui concerne le problème économique<br />

et l'émergence d'une collaboration interministérielle,<br />

“inter-institutionnelle", pour soutenir ces pra tiques.<br />

Est-ce qu'il y a, quelque part, quelque chose qui re présente<br />

une grande menace et qui fait que cette collabora tion<br />

est “très très” urgente ? Est-ce qu'il s’agit de menaces<br />

comme celles qui pèsent sur le cinéma avec les multiplex ?<br />

Sylvain Braud, administrateur MJC de Rezé : Nous parlions<br />

de formation tout à l'heure et plusieurs fois a été<br />

évoquée la notion de précarité, je souhaitais savoir quelle<br />

était la cohésion entre les différents Ministères au niveau<br />

de la formation ?<br />

Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />

la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : C'est vrai que, dans le cadre<br />

<strong>des</strong> lois de décentralisation, nous constatons que la culture<br />

n'a pas fait l'objet d'autant d'attention que d'autres<br />

secteurs, que ce soit l'action sociale, les transports ou bien<br />

encore l'équipement. Il est vrai que nous arrivons à de<br />

réelles disparités. Tout à l'heure, certains ont donné le bon<br />

exemple de la Région Nord-Pas-de-Calais, en particulier<br />

pour sa coopération avec la DRAC. D'autres collectivités<br />

territoriales, comme certains conseils généraux, n'ont pas<br />

le même souci et nous nous apercevons qu'il y a de véritables<br />

écarts. Certaines collectivités locales ont même pris<br />

<strong>des</strong> positions qui sont très inquiétantes vis-à-vis de la<br />

pérennité de l'action culturelle.<br />

Je crois qu'il y a deux moyens pour traiter les<br />

choses. Soit nous décidons, maintenant, de nous attaquer<br />

à nouveau aux lois de décentralisation et de dire que tout<br />

4 3


4 4<br />

ce qui a été oublié doit être remis en chantier, mais cela<br />

p re n d rait tellement de temps et serait tellement compliqué<br />

qu'il y a peu de chances que nous aboutissions.<br />

Soit nous pensons qu'il y a un autre moyen, beaucoup<br />

plus simple, qui est la négociation dans le cadre <strong>des</strong><br />

c o n t rats de plan État-Régions ; et là nous pouvons travailler<br />

beaucoup plus facilement avec les collectivités<br />

territoriales et en particulier avec les régions sur un<br />

certain nombre de domaines qui ont été, ou pas, touchés<br />

par la décentralisation. Je pense en particulier à la politique<br />

culturelle mais aussi à la politique “jeunesse et<br />

sports". Un certain nombre de régions vont être à nouveau<br />

sensibilisées sur ces questions et il est important<br />

que vous les interpelliez dès maintenant, au début <strong>des</strong><br />

négociations de ces contrats de plan.<br />

En tout cas, le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong><br />

Sports a demandé un état <strong>des</strong> lieux, région par région,<br />

de l'ensemble <strong>des</strong> espaces jeunesse, au sens large du<br />

terme : espaces d'information, actions culturelles… Une<br />

c a r t o g raphie que nous avons désormais pour le sport<br />

mais que nous n'avons pas pour la jeunesse, alors que<br />

nous savons qu'il y a <strong>des</strong> investissements fort importants<br />

dans certaines collectivités, alors que dans<br />

d ' a u t res ces investissements sont en re t rait. Nous avons<br />

Il est du rôle de l'État d'intervenir partout, mais ce<br />

n'est pas forcément son rôle d'intervenir par à-coups<br />

souhaité intro d u i re cette possibilité de négociation avec<br />

les régions et je crois que ce serait important que de<br />

v o t re côté, vous interpelliez la Région sur ces équipements,<br />

sur les politiques qu'elles vont mener, sur la<br />

répartition, sur les clefs de la répartition <strong>des</strong> différents<br />

c r é d i t s …<br />

Il est possible de “réparer". C'est ce qu'ont fait Catherine<br />

Trautmann et Marie-George Buffet pour <strong>des</strong> villes touchées<br />

de plein fouet comme Vitrolles, en mobilisant<br />

pour un temps court <strong>des</strong> crédits rapi<strong>des</strong>, mais qui ne<br />

peuvent pas s'inscrire dans la durée en se substituant<br />

totalement à ce que faisait la commune précédente.<br />

Je pense qu'il est du rôle de l'État d'intervenir<br />

partout, mais ce n'est pas forcément son rôle d'intervenir<br />

par à-coups sur ce genre de collectivité.<br />

Trouvons <strong>des</strong> moyens de pérenniser nos actions sur<br />

certaines villes, je pense en particulier à celles qui ont<br />

une “gestion Front National". Il existe <strong>des</strong> accord s<br />

avec le Conseil Général <strong>des</strong> Bouches-du-Rhône, avec<br />

le Conseil Régional PACA (c'était le cas avec le précédent<br />

et je pense que ce sera le cas avec la nouvelle<br />

d i rection), et avec l'État. Mais, la collectivité locale<br />

peut, comme vous l'avez dit, se désengager et c'est<br />

a l o rs à nous de trouver les moyens pour qu'on ne soit<br />

pas soumis à ce diktat.<br />

Huguette Bonomi, directrice MJC Corderie - Marseille :<br />

La convention Ministère de la Culture-Région et la<br />

convention Ministère de la Culture-Ville de Marseille, deux<br />

conventions parallèles, ont été signées à grands frais il y a<br />

quinze jours et il n'y a rien dans ce domaine-là, si ce n'est<br />

les interventions de vos ministres respectifs qui ont pu<br />

faire quelque chose pour Vitrolles ; et ils le feront peutêtre<br />

pour Marseille si vraiment il y a le feu dans quelque<br />

temps sur un certain nombre de choses. On a loupé le<br />

coche, on nous a fait louper le coche ! Nous ne savions pas<br />

qu'il y avait une convention qui se discutait depuis deux<br />

ans avec la précédente équipe. Malheureusement, nous<br />

sommes encore mal partis en PACA...<br />

Loïc Taniou, directeur du Sous-Marin - Vitrolles : C'est<br />

très bien pour Le Sous-Marin que la Région, le Conseil<br />

Général et les Ministères se substituent à la ville et acceptent<br />

de nous aider, et renforcent notre action. On ne peut<br />

pas laisser la population de Vitrolles comme laissée-pourcompte.<br />

Néanmoins, j'aimerais savoir pourquoi lorsqu'un<br />

lieu, “labellisé" par l'État, travaillant avec le Conseil<br />

Général et le Conseil Régional, et que celui-ci est attaqué<br />

par une ville qui ne respecte aucun label, donc tout le travail<br />

mis en place en collaboration avec l'État, ce<br />

même État, ce même Conseil Régional et ce<br />

même Conseil Général continuent à travailler<br />

avec cette municipalité. Je ne vois pas pourquoi<br />

l'État et la Région continueraient à aménager les routes, à<br />

faire les ronds-points, et qu'au niveau de la culture on<br />

trouve normal qu'il y ait <strong>des</strong> sanctions, <strong>des</strong> représailles<br />

faites par la ville !<br />

À Orange, on permet à la ville de faire <strong>des</strong> économies<br />

puisque c'est finalement l'État qui paie. N'importe quelle<br />

ville de France pourrait demander les mêmes budgets qui<br />

sont donnés par l’Etat sur <strong>des</strong> villes FN. Heureusement, elles<br />

ne le font pas parce qu'il y a un devoir de solidarité, mais<br />

il me semble qu'il y a une réflexion à mener par rapport à<br />

ces villes : Toulon, Vitrolles, Orange ou Marignane. Vitro lles,<br />

c'est un peu le désert à l'heure actuelle. Il n'y a plus de<br />

théâtre municipal, les Maisons de Quartier, les MJC et la<br />

Maison pour Tous vivotent parce qu'ils ont licencié les<br />

directeurs... Donc les jeunes n'ont plus rien.<br />

Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />

la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : L'État a un devoir de vigilance.<br />

Il y a <strong>des</strong> choses qui existaient auparavant et qui ont<br />

continué à exister avec la nouvelle municipalité. Je prends<br />

l'exemple du préfet du Var par rapport à la ville de Toulon.<br />

Je l'ai rencontré personnellement, je peux vous assurer que<br />

si un certain nombre de choses - en particulier dans la<br />

gestion du Service Jeunesse de la ville de Toulon - ont


émergé dans la presse et si <strong>des</strong> plaintes ont été portées<br />

devant la justice, c'est grâce au pouvoir de contrôle de<br />

l'État. Il y avait une gestion de fait entre l'association<br />

fictive qu'avait créée Madame Le Chevallier et la mairie<br />

de Toulon. Donc, l'État ne peut pas dire que la jeunesse<br />

de Toulon n'a plus le droit, par exemple, à ce que les<br />

c e n t res de loisirs fonctionnent… Nous pouvons toucher<br />

la gestion de la ville de Toulon, mais nous ne pouvons<br />

pas empêcher la jeunesse de Toulon d'accéder à un certain<br />

nombre de droits auxquels a droit l'ensemble de la<br />

population de notre pays.<br />

En revanche, les préfets ont eu <strong>des</strong> instructions très<br />

nettes. La plupart <strong>des</strong> affaires qui sont sorties en<br />

justice très récemment l'ont été grâce à une surveillance<br />

particulière de l'État dans la gestion de<br />

ces communes. Je peux vous assurer que l'ensemble<br />

<strong>des</strong> contrats et <strong>des</strong> appels d'offres qui sont passés<br />

sont nettement épluchés par la préfecture. Des instructions<br />

ont été données aux administrations du Ministère de<br />

la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, je m'en fais véritablement le<br />

garant. S’il y a <strong>des</strong> manquements, il faut le faire savoir.<br />

Nous ne couperons pas l'ensemble <strong>des</strong> liens avec cette<br />

population parce que cette population n'est pas toujours<br />

derrière l'élu local et qu'on n'a pas à faire de ségrégation<br />

de ce genre. De plus, il y a une population qui souffre sur<br />

place et si l'État se désengageait, la souffrance serait peutêtre<br />

encore pire. À nous de faire <strong>des</strong> choses, mais aussi de<br />

faire contrôler les choses que font les collectivités locales.<br />

Vincent Rulot, directeur-adjoint chargé du secteur culturel<br />

de la Clef (St-Germain-en-Laye) : Lorsque nous<br />

commençons à discuter <strong>des</strong> problèmes qui sont très spécifiques<br />

au Front National, nous nous apercevons que, dans<br />

notre secteur, c’est l'arbre qui cache la forêt. Je ne suis pas<br />

certain que le Sous-Marin était dans une situation particulièrement<br />

brillante avant que le Front National arrive.<br />

Plus généralement, la question fondamentale est celle de<br />

la reconnaissance de ces pratiques, de ces musiques, de ces<br />

lieux. La seule reconnaissance, c'est celle de l'industrie qui<br />

a très bien compris où étaient les intérêts économiques.<br />

Mais, sur le fond, nous voyons très bien que les problèmes<br />

qui peuvent se poser aux lieux traversent complètement<br />

toutes les questions d'étiquettes politiques. Parfois, l'entrée<br />

que choisit le politique local n'est peut-être pas la<br />

bonne, ce n'est peut-être pas une entrée culturelle, cela<br />

peut être une espèce d'outil de sauvetage social. Je pense<br />

que le rôle de l'État est d'affirmer qu'on doit reconnaître<br />

ces pratiques et ce secteur à part entière… À partir de là,<br />

les choses avanceront sûrement un peu plus vite. L'État<br />

doit avoir un rôle de levier et d'incitateur, et pas seulement<br />

de financeur.<br />

Aujourd'hui, je suis sur un lieu “labellisé" SMAC<br />

même s’il n'y a rien de formalisé en dehors du financement.<br />

La commune où je suis n'est pas au courant, en<br />

dehors du fait que je leur ai dit que nous sommes reconnus<br />

par le Ministère de la Culture, avec un financement,<br />

une convention d'objectifs, <strong>des</strong> contenus reconnaissant<br />

nos compétences et nos missions, les publics auxquels nous<br />

nous adressons… Je suis très heureux d'entendre un représentant<br />

d'une DRAC qui tient un discours et qui témoigne<br />

d’une connaissance du terrain un peu plus profonde que<br />

ce que l'on peut constater généralement. Côté Jeunesse et<br />

Sports, je n'ai pas la sensation qu'il y ait une reconnaissance<br />

de ce secteur. Peut-être est-ce dû à l’intitulé - d'un<br />

L'État doit avoir un rôle de levier et d'incitateur,<br />

et pas seulement de financeur<br />

côté jeunesse, c'est une catégorie, et sport, c'est une pratique<br />

- mais j’ai l’impression qu’on ne sait pas trop où placer<br />

la culture. Aussi bien en termes de financement, qu'en<br />

termes de discours.<br />

Je fais partie du groupe pratiques amateurs de la<br />

Commission nationale <strong>des</strong> musiques actuelles. Nous y<br />

avons auditionné <strong>des</strong> personnes du Ministère de la<br />

Jeunesse et <strong>des</strong> Sports. Ce n'est peut-être pas de leur fait,<br />

mais il y a un déficit très important de connaissance de ce<br />

secteur.<br />

Par rapport aux questions de formation, comme les<br />

idées de diplômes pour encadrants ou pour intervenants<br />

de musiques actuelles, j'ai l'impression que l'État a beaucoup<br />

de difficultés à prendre en compte quelque chose de<br />

particulier, de sortir <strong>des</strong> schémas actuels ou <strong>des</strong> dispositifs<br />

qu'il a mis en place. Peut-être faudrait-il se poser la question<br />

aujourd'hui et prendre en compte les particularités de<br />

ce secteur, <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d'appropriation de cette musique,<br />

de ses mo<strong>des</strong> de production, <strong>des</strong> faits technologiques. Cela<br />

demandera peut-être d’autres réponses.<br />

Sur le terrain, nous souffrons toujours de cette<br />

question de reconnaissance, ce manque de reconnaissance<br />

<strong>des</strong> particularités. De la même façon qu'au niveau du<br />

sport, on est intervenu différemment sur le rugby, sur le<br />

football, sur la natation… qui sont <strong>des</strong> pratiques différentes.<br />

Peut-être que la musique classique, le jazz, les<br />

musiques émergentes doivent voir un traitement particulier,<br />

une intervention particulière, d’autres dispositifs. Il y<br />

a probablement une troisième voie à trouver entre l'existant<br />

et le désert, mais c’est quelque chose à créer et cela<br />

demandera certainement beaucoup plus de temps que de<br />

rendre un rapport.<br />

André Cayot, inspecteur à la DMD du Ministère de<br />

la Culture : Au sujet de l'émergence d'une interministérialité,<br />

nous avons, à tous les échelons du<br />

4 5


4 6<br />

RED SNAPPER


M i n i s t è re de la Culture, pris en compte la nécessité tiques reconnues en tant que telles.<br />

d'un ra p p ro c h ement politique qui vise à l'exigence de Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 - Grasse :<br />

la qualité artistique, de la qualité de la médiation, et J'entends bien qu'il faut que notre Ministère de tutelle ait<br />

enfin de la qualité globale de cette politique… C'est un plus de moyens. Cela me paraît évident. Mais une fois que<br />

vœu pieux mais, malgré tout, nous voyons <strong>des</strong> signes l'on a dit cela, que fait-on, ce Ministère et nous, pour<br />

qui montrent clairement que ces ra p p rochements existent<br />

et vont se développer. Il a suffisamment été fait n'ai pas de solution. Il me semble que de le dire ne suffit<br />

qu'effectivement il y ait plus de moyens ? J'avoue que je<br />

allusion aux questions liées au Front National pour que pas. Peut-être faut-il que nous y réfléchissions ensemble<br />

je n'y revienne pas, mais il y a nécessité d'avancer en et que nous proposions <strong>des</strong> actions pour que les choses<br />

rangs serrés sur une politique commune.<br />

changent.<br />

Nous sommes sur un secteur illégitime. <strong>Les</strong> MJC J'entends que l'État ne doit pas se substituer aux<br />

n'ont pas été légitimes mais ont investi ce secteur défaillances <strong>des</strong> collectivités locales. En revanche, même si<br />

dans les années 70 en prenant en main la diffusion. Je je ne suis pas tout à fait d'accord avec le collègue de<br />

pense que cela s’est fait dans beaucoup de maisons en Vitrolles, car je ne pense pas que les populations doivent<br />

conflit permanent avec les conseils d’administra t i o n , être otages de leurs conseillers municipaux, je pense qu'il<br />

avec les élus, avec le public… pour faire pre n d re en est nécessaire qu'on puisse avoir un soutien moral plus<br />

compte <strong>des</strong> pratiques qui étaient dérangeantes. Ceci important. Vitrolles n'est évidemment pas un épiphénomène,<br />

il y a d'autres endroits où c'est difficile. Je vous par-<br />

n'a pas forcément fondamentalement changé et<br />

l o rsque nous sommes à l'intérieur du Ministère, qu’il lerais volontiers de Nice où j'étais directeur il y a quelques<br />

faut légitimer ce champ artistique, il me semble important<br />

d'entrer par toutes les voies. La Commission natio-<br />

mettre à mal les Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture. Nous<br />

années et où le maire, Jacques Médecin, avait décidé de<br />

nale <strong>des</strong> musiques actuelles a pour mission pre m i è re de avions rencontré le Directeur départemental de la<br />

nous aider à cette reconnaissance pour que nous puissions<br />

davantage faire en sorte que ce secteur d'activité un soutien financier mais un soutien moral - et celui-ci<br />

Jeunesse et <strong>des</strong> Sports pour lui demander un soutien - pas<br />

i n t è g re les dispositifs qui, jusqu'à présent, ont été mis nous avait fait comprendre qu'il ne pouvait pas nous aider<br />

en place. Intégre r, cela ne veut pas dire faire<br />

re n t rer dans <strong>des</strong> cadres stricts et donc contra i-<br />

gnants par rapport à notre problématique, mais<br />

V i t rolles n'est évidemment pas un épiphénomène<br />

f a i re évoluer ces cadres. Nous sommes tous dans <strong>des</strong> parce qu'il avait besoin de la ville de Nice sur d'autres secteurs<br />

: par exemple les bus pour transporter les sportifs.<br />

c a d res légaux qui sont ce qu’ils sont. Lorsque nous évoquons<br />

la question <strong>des</strong> formations diplômantes, de l'enseignement<br />

de la musique, il est évident que cela passe et Sports” parce que ce Ministère est otage <strong>des</strong> villes qui<br />

J'ai donc envie de dire “trouvons <strong>des</strong> moyens pour Jeunesse<br />

par la question de la fonction publique territoriale. lui font faire ce qu'elles veulent en leur payant <strong>des</strong> bus<br />

Ceux qui se sont attaqués à ces questions savent très pour transporter les sportifs !<br />

bien qu'il faut re n t rer dans ces cadre s - l à .<br />

La légitimation serait aussi cela. Mais ce sera i t Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />

aussi se dire : “comment être en dedans et en dehors ?". la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : J'ai un exemple récent : un<br />

C'est une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> questions que la Commission festival de cinéma important dans une ville de province a<br />

s'est également posée. C'est un secteur résolument à la eu l'idée qu'à côté de ce festival, qui était un petit peu<br />

m a rge par ce qu'il véhicule de la colère, et qui, résolument,<br />

doit être dedans. C'est-à-dire qu'à un moment Pierre Thorn et un concert avec 25 groupes de hip-hop de<br />

institutionnalisé, il y ait une projection d'un film de Jeandonné,<br />

il doit forcément utiliser les mêmes moyens, les la région concernée. Notre responsable départemental<br />

mêmes outils, sinon nous allons continuer à marcher à prend peur : 25 groupes hip-hop, public qu'il ne connaît<br />

deux vitesses. D’une part, un secteur qui est légitime et pas, musique qu'il ne connaît pas… Résultat, il interd i t .<br />

qui bénéficie donc de l'ensemble <strong>des</strong> moyens de la Je ne comprends pas que l'on puisse avoir ce genre d'attitude<br />

de crainte, de méfiance.<br />

révolution ; d’autre part, un secteur qui va être contra i n t ,<br />

p a rce qu'il n'a pas les moyens de l'État, à travailler uniquement<br />

avec le secteur économique. Ce qui contra i n t loirs <strong>des</strong> ministères que l'on a à convaincre. L'origine et la<br />

Comment l'expliquer ? Il n'y a pas que dans les cou-<br />

évidemment l'expression artistique à ce qu'elle a de culture même de certains directeurs régionaux <strong>des</strong> affaires<br />

plus marchand. Notre rôle est, sans doute, de réglementer<br />

l'aspect économique du secteur et de favoriser sur certaines pratiques. <strong>Les</strong> directeurs départementaux ou<br />

culturelles les portent parfois à un regard plus spécifique<br />

l'accès au plus grand nombre à ces pratiques artis-<br />

régionaux de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports ont une sensibilité<br />

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4 8<br />

et une pratique. Historiquement, le poids <strong>des</strong> sports dans<br />

ce Ministère fait que lorsqu’il doit se positionner sur la<br />

jeunesse et en particulier sur les pratiques culturelles de la<br />

jeunesse, nous devons aussi nous battre par rapport à<br />

cette légitimité à l'intérieur même de notre maison. Ce<br />

n'est pas pour rien que lorsque nous dialoguons avec les<br />

gens qui sont sur le terrain, les Conseillers d'Éducation<br />

Populaire et de la Jeunesse, nous nous apercevons que ce<br />

sont les parents pauvres !<br />

Ce n'est pas seulement une question de moyens,<br />

c'est aussi une question de personnels. Comment voulezvous<br />

que dans un Ministère, qui a le plus souffert depuis<br />

dix ans de pertes d'emplois en pourcentage - 1000 emplois<br />

sur 7000 - et qui se retrouve sur le terrain avec une administration<br />

“quasi-osseuse", on puisse répondre à <strong>des</strong> besoins<br />

et <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui sont heureusement de plus en plus<br />

diversifiées ? Alors comment nous aider ? Nous avons chacun<br />

notre rôle... <strong>Les</strong> Ministères Culture et Jeunesse et<br />

Sports sont de petites administrations. Pour la Culture,<br />

l'argent repart immédiatement dans un certain nombre<br />

d'actions en liaison avec les collectivités, dans les associations,<br />

avec les professionnels... Pour Jeunesse et Sports,<br />

cela repart aux associations et aux mouvements sportifs<br />

pour une part énorme. Il est donc vrai qu'il y a <strong>des</strong> problèmes<br />

de répartition de crédits très nets à l'intérieur de<br />

notre enveloppe actuelle.<br />

Vincent Rulot : C'est un peu dommage de se dire que si le<br />

Une fois que nous avons programmé le concert de hip-hop,<br />

notre mission consiste à aller au bout<br />

C.E.P.J. chargé de la circonscription sur laquelle on travaille<br />

est orienté “sports”, on sait d’avance que les projets<br />

musiques ont peu de chance d’aboutir... La précarité, nous<br />

la vivons aussi. Comme le manque de personnel, le<br />

manque de moyens… Sauf qu'une fois que nous avons<br />

programmé le concert de hip-hop, notre mission consiste<br />

à aller au bout. Même si on a peur, même si on n'a pas<br />

d'argent, même si on risque d'avoir <strong>des</strong> problèmes… Sur le<br />

terrain, nous considérons qu'il est important et légitime de<br />

continuer à faire ce travail. Pour nous, <strong>des</strong> concerts de hiphop,<br />

de jazz, de hard-core, de punk ou de techno, ont tous<br />

à trouver leur place à un moment donné. Je crois que cette<br />

“révolution culturelle" au niveau, notamment, du Ministère<br />

de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports, n'est pas du tout faite.<br />

Gilles Garnier : Je ne vais pas vous dire le contraire, j'en<br />

suis intimement persuadé… Je trouve lamentable que<br />

quelqu'un puisse avoir l'idée d'interdire quelque chose<br />

parce qu'il a simplement peur. Mais, dans le même temps,<br />

il y a <strong>des</strong> gens à l'intérieur de nos directions départementales<br />

qui, localement, font un travail fantastique parce que<br />

cela les intéresse. Il est très important que l'on réaffirme à<br />

chaque fois le rôle et la place de l'État. Je suis pour la<br />

contractualisation. Je suis pour travailler ensemble, mais je<br />

suis pour que chacun garde son autonomie et son autorité.<br />

Avec les collectivités locales, les choses doivent être<br />

claires, comme elles doivent l'être avec les conseils généraux.<br />

C'est aussi l'histoire qui fait que dans un certain<br />

nombre de départements, la DDJS est “l'instructeur” d'un<br />

certain nombre de dossiers du Conseil Général. C'est une<br />

survivance, les choses tendent à s'arrêter, du moins je l'espère,<br />

parce que le Conseil Général a sa propre politique. Il<br />

peut contracter avec l'État - et tant mieux s'il le fait - mais<br />

il ne doit pas y avoir de porosités malsaines comme elles<br />

peuvent exister parfois.<br />

Thierry Duval, responsable du Centre de Ressources<br />

Yvelinois pour la musique : Partant du constat que les<br />

personnels <strong>des</strong> administrations ont, à tous leurs niveaux, la<br />

même difficulté d'accès à la culture que les publics au sens<br />

très large, j'ai une proposition de programme interministériel.<br />

Cela consisterait à mettre en place un programme<br />

d'éducation artistique à <strong>des</strong>tination de l'ensemble <strong>des</strong> personnels<br />

<strong>des</strong> administrations, au moins entre l'Éducation<br />

nationale, la Jeunesse et les Sports et la Culture.<br />

Sylvain Braud, administrateur MJC - Rezé : Tout à<br />

l'heure, j'ai été frustré par la réponse au sujet de la base<br />

de la pyramide car je me situe à la base de celleci.<br />

Pour l'action, je crois que nous n'attendons<br />

pas les ministères ou leurs administra tions<br />

déconcentrées. A la MJC de Rezé, que je connais<br />

depuis pas mal de temps, je crois que nous n’avons jamais<br />

vu quelqu’un de Jeunesse et Sports et pourtant une invitation<br />

est systématiquement envoyée pour chaque conseil<br />

d’administration. Malgré tous ces dysfonctionnements, le<br />

travail de terrain par la base est fait, souvent dans la précarité...<br />

Sylvie Gueye, animatrice MJC Agora Nice Est : Je suis<br />

très contente d'avoir enfin entendu parler de l’Éducation<br />

nationale. C'est un Ministère qui n'est pas présent aujourd'hui<br />

et je le déplore fortement. Il se trouve que je suis<br />

formatrice au départ et que je travaille beaucoup avec<br />

l ' Éducation nationale dans la MJC. C'est aussi une <strong>des</strong> missions<br />

de l'Education nationale que de donner à la jeunesse<br />

accès aux formes de la culture. Evidemment, il y a <strong>des</strong> projets,<br />

<strong>des</strong> essais sur le réaménagement du temps scolaire<br />

mais ce ne sont que <strong>des</strong> essais et j'ai le sentiment qu’audelà<br />

<strong>des</strong> classes de maternelle et <strong>des</strong> activités d'éveil, il<br />

n'y a rien, ou quasiment, au niveau de la musique. En<br />

Allemagne ou en Belgique, l'accès à la musique, et à l'ins-


trument en particulier, est très démocratique. Quelqu'un<br />

qui dispose de très peu de moyens, quel que soit son âge,<br />

a accès à la musique et cela devient une pratique familiale<br />

permettant de travailler en réseau et d'avoir un tissu<br />

cohérent. Par ailleurs, dans les actions scolaires ou parascolaires<br />

que les associations sont en train de traiter, nos<br />

projets sont à 85 % réussis avec <strong>des</strong> budgets qui représentent<br />

le quart voire le 10 ème de ce que cela aurait coûté à<br />

l'Education nationale. Et cela avec un personnel qui n'est<br />

pas formé sur le plan pédagogique. Cela peut poser un<br />

problème de précarité. C'est très important, et cela rejoint<br />

la question <strong>des</strong> “emplois-jeunes” qui nous concerne, nous<br />

MJC, très directement et où nous devons absolument nous<br />

positionner.<br />

Il y a toujours à travailler pour que l'accès à la culture<br />

se fasse pour tous<br />

André Cayot : Ma réponse sera forcément partielle parce<br />

que, encore une fois, il y a <strong>des</strong> expérimentations qui existent<br />

mais qui sont peut-être microscopiques à l'échelle de<br />

ce qu'il faudrait faire. Il existe <strong>des</strong> Centres de Formation de<br />

Musiciens Intervenants - C.F.M.I. - qui forment en deux<br />

ans <strong>des</strong> diplômés qui interviennent, notamment au niveau<br />

de l'Éducation nationale, pour l'éveil musical <strong>des</strong> enfants<br />

dans les écoles primaires et les écoles maternelles. Pour<br />

nous, c'est une <strong>des</strong> plus belles réussites de ces dix dernières<br />

années du Ministère de la Culture avec le Ministère de<br />

l ' Éducation nationale puisque ce diplôme universitaire de<br />

musicien intervenant est un diplôme reconnu par les deux<br />

Ministères. Ce type d'initiative nous amène maintenant à<br />

700 ou 800 intervenants au plan national, qui tous ont du<br />

travail dans leur secteur. Cela démontre, à un degré qui est<br />

sans doute trop faible, la nécessité de ce type d'interventions<br />

et qu'il y a toujours à travailler pour que l'accès à la<br />

culture se fasse pour tous. Personnellement, je souhaiterais<br />

que nous puissions, pour la suite de nos travaux, profiter<br />

du fait que le Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports<br />

soit ici représenté pour que l'on puisse avancer ensemble.<br />

Pour voir comment nous sommes cohérents sur l'aménagement<br />

<strong>des</strong> rythmes de l'enfant et pour que la prise en<br />

compte de la globalité de son développement culturel soit<br />

à l'ordre du jour.<br />

Didier Varrod, rapporteur général de la Commission<br />

nationale <strong>des</strong> musiques actuelles : Au sujet de l’interministérialité,<br />

le groupe n° 1 de la Commission a entendu<br />

aussi bien <strong>des</strong> représentants du Ministère de la<br />

Jeunesse et <strong>des</strong> Sports que de l'Éducation nationale.<br />

Pour ce dernier, nous avons auditionné quelqu'un de la<br />

D i rection <strong>des</strong> Pro g rammes, si je ne me trompe pas, qui<br />

nous a dressé un tableau très inquiétant sur la prise en<br />

compte <strong>des</strong> musiques actuelles au sein de l'Éducation<br />

nationale et la façon dont les inspecteurs généra u x<br />

envoient leurs consignes dans les établissements. Je<br />

pense qu'il commence à se passer <strong>des</strong> choses en primaire,<br />

mais dès que l'on arrive aux collèges et aux lycées,<br />

c'est très compliqué. C'est une machine très lente à<br />

m e t t re en ro u t e .<br />

Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil<br />

Général de Seine-St-Denis : En Seine-St-Denis, nous<br />

avons une expérience riche, intéressante et ancienne<br />

dans ce domaine puisque cela fait huit ans que nous<br />

menons une opération qui s'appelle “Zebrock au<br />

bahut". Cette opération nous fait aller dans les collèges<br />

et développe un travail éducatif qui dure plusieurs mois.<br />

Elle associe <strong>des</strong> équipes enseignantes, <strong>des</strong> groupes de<br />

haut niveau - nous avons travaillé avec Little Bob,<br />

<strong>Les</strong> Innocents, <strong>Les</strong> Wampas… - et nous avons fait<br />

un travail de fond dans les classes où nous<br />

demandons aux élèves qui participent de fournir<br />

un écrit sur “connaissance et plaisir de la musique”.<br />

Cette expérience existe et prouve que <strong>des</strong> choses peuvent<br />

se faire. Nous sommes sur un dispositif éducatif mis<br />

en place par le Conseil Général qui, par ailleurs, a<br />

d ' a u t res dispositifs éducatifs sur la citoyenneté, sur les<br />

sciences et technologies… et qui touche 10.000 jeunes<br />

du département. “Zebrock au bahut" en touche enviro n<br />

d i rectement 600 et, par éclat, un petit millier dans, suivant<br />

l'année, 15 à 25 établissements.<br />

Reste que nous avons vraiment re n c o n t r é<br />

l'Inspection Académique la semaine dernière seulement !<br />

Nous pouvons faire l'état <strong>des</strong> lieux de toutes les nonre<br />

n c o n t res, de tous les dysfonctionnements… Il faut le<br />

f a i re, être critique, sans pitié, mais je pense qu'il est<br />

u rgent aussi que nous passions à une autre attitude. Des<br />

choses peuvent se faire, <strong>des</strong> moyens existent, <strong>des</strong> volontés<br />

sont affirmées. Nous avons un gouvernement dont<br />

les partis pris sont neufs. Il faut que nous le prenions au<br />

mot à tous les niveaux : national, gouvernemental, mais<br />

aussi de ceux qui sont chargés de faire vivre <strong>des</strong> orientations<br />

sur le terrain. Quand on parle de pro g rammes de<br />

formation pour les personnels, ce n'est pas nécessairement<br />

aberrant parce qu'il y a <strong>des</strong> galaxies qui ne se sont<br />

jamais rencontrées ! Nous avons besoin de les faire se<br />

re n c o n t re r.<br />

Philippe Moreau, responsable du secteur culturel MJC<br />

d'Halluin : Figurez-vous que ma chère maman m’a récemment<br />

posé une question qui lui trotte dans la tête depuis<br />

pas mal de temps : “Mais c’est quoi exactement ton<br />

métier ? Qu’est-ce que tu fais dans cette MJC ?”.<br />

4 9


5 0<br />

J’espère qu’elle ne m’en voudra pas, mais j’ai décidé de<br />

vous faire part de la lettre que je viens de lui envoyer à ce<br />

propos :<br />

“Chère Maman,<br />

Comme tu le sais, je suis embauché depuis 4 ans<br />

dans une Maison <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture, à Halluin,<br />

dans une petite ville à la frontière Belge. On m’appelle : le<br />

chargé de préfiguration du pôle musical ! C’est un métier<br />

formidable, mais cela demande quelques explications.<br />

J’suis d’abord allé rencontrer les musiciens qui répètent<br />

dans une école désaffectée au milieu <strong>des</strong> champignons. Ils<br />

m’ont dit : “Nous, on veut un local de 60 m 2 , où on peut<br />

venir quand on veut, où on trouve du matériel sur<br />

place, où on paye pas cher, où on peut aussi stocker du<br />

matériel. On veut prendre <strong>des</strong> cours, pas chers, on veut<br />

faire de la scène, faire un album dans un studio professionnel,<br />

boire un coup à la pause, et surtout devenir<br />

célèbre !”.<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans l’dossier !<br />

Ensuite j’suis allé voir le Maire. Il m’a dit : “Moi, le<br />

rock, c’est pas trop mon truc. Mais les jeunes, c’est<br />

important. Enfin pas tout d’suite car y’a l’harmonie<br />

municipale qui cherche un local. En plus, on a pas<br />

d’sous. Il faut en trouver ailleurs. Et puis dites-moi, vos<br />

musiciens, ils sont pas tous de la commune. on peut<br />

pas non plus tout l’temps financer à la place <strong>des</strong><br />

autres!”.<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans l’dossier !<br />

J ’suis donc allé voir les communes enviro n n a n t e s .<br />

Ils m’ont dit : “l’avenir, c’est l’inter-communalité !<br />

Quoiqu’on avait monté une association intercommunale<br />

de développement culturel, mais on nous a d’mandé<br />

d’financer <strong>des</strong> trucs qui s’passaient pas chez nous. Faut<br />

pas charrier !”.<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans l’dossier !<br />

J’ai pris mon p’tit dossier et j’suis parti en tournée,<br />

j’suis allé voir : La Direction Régionale et Départementale<br />

Jeunesse et Sports, la Direction Régionale <strong>des</strong> Affaires<br />

Culturelles, le Conseil Général, le Conseil Régional, le<br />

Fonds d’Action Sociale, la Commission Européenne, la<br />

Caisse <strong>des</strong> Dépôts et Consignations, la Fondation de<br />

F rance, le Ministère de l’Environnement, la Caisse<br />

d’Allocations Familiales, la Délégation Interministérielle à<br />

la Ville, la Communauté Urbaine... (j’en ai sans doute<br />

oublié mais j’suis pas encore Directeur de MJC, il faut que<br />

j’me forme !). Ils m’ont dit : “intéressant votre projet !<br />

Mais il faudrait préciser les objectifs : Quelle est la<br />

volonté politique de la Ville ? Est-ce que l’intercommunalité<br />

fonctionne ? Vous avez pensé à intégrer l’école de<br />

musique ? Vous auriez intérêt à provoquer <strong>des</strong> <strong>rencontres</strong><br />

entre amateurs et professionnels. Vous devez<br />

être complémentaire avec les autres structures. Vous<br />

devez réfléchir en termes d’aménagement du territoire.<br />

Il faut faire de la diffusion si vous voulez être une<br />

SMAC ! Ce s’rait dommage de ne pas travailler avec la<br />

Belgique pour une ville frontière ! Quel statut auront les<br />

profs de musique ? Comment intégrez-vous les populations<br />

issues de l’immigration ? Qu’y a-t-il de prévu<br />

avec les collèges et les lycées ? Vous avez pensé à la<br />

formation <strong>des</strong> animateurs ? Et les problèmes de santé<br />

publique ? Vous avez pensé à la professionnalisation ?<br />

Vous savez qu’la musique est un bon moyen de prévention<br />

de la toxicomanie ? Vous savez qu’vous pouvez<br />

avoir <strong>des</strong> financements internationaux ? Mais vous<br />

ciblez quel quartier ? Vous avez pensé au lien avec<br />

l’économique ? Ce s’rait quand même pas mal d’intégrer<br />

les autres pratiques artistiques dans un projet global<br />

et transversal ! Vous savez qu’vous devez dès maintenant<br />

intégrer les nouvelles technologies ! Mais c’est<br />

un projet jeunesse ou culture ?”.<br />

J’ai tout compris ! j’ai répondu : “pas d’problème”,<br />

et j’ai tout mis dans l’dossier !<br />

J’suis allé voir le Conseil d’A dministration de la MJC.<br />

Ils m’ont dit : “c’est vraiment un beau projet ! Mais<br />

n’oublie pas que notre première mission, c’est de former<br />

<strong>des</strong> citoyens ! T’as pensé à l’implication <strong>des</strong> bénévoles<br />

?”<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans l’dossier !<br />

J’suis allé voir le réseau rock de la Région. On m’a dit :<br />

“C’est important les MJC ! Vous, vous devez repérer et<br />

sensibiliser l’public ! Ensuite, on s’en occupe ! On f’ra<br />

<strong>des</strong> bus pour que vos p’tits jeunes viennent à nos<br />

concerts ! On f’ra même un journal d’infos tous<br />

ensemble !”<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans l’dossier !<br />

J’suis allé voir les habitants d’la ville. Ils m’ont dit :<br />

“Nous, on n’a rien contre les rapeurs et les rockers.<br />

Mais j’veux pas retrouver d’canettes devant ma porte !<br />

Faudrait pas qu’ça soit la Java tous les soirs ! J’ai une<br />

idée, y’a une vieille friche industrielle à la périphérie<br />

d’la ville. D’mandez à la Mairie. Vous verrez, vous s’rez<br />

tranquilles là-bas”.<br />

J’ai répondu : “pas d’problème”, et j’ai tout mis<br />

dans le dossier !<br />

Tu vois Maman, aujourd’hui j’ai tout compris !<br />

J’rencontre plein d’monde, j’apprends !<br />

H i e r, j’ai rendu mon dossier en Mairie, il fait 200<br />

pages. On m’a répondu : “Vous êtes un visionnaire !<br />

Mais on a d’abord voté une subvention pour mettre


<strong>des</strong> tentures dans le vieux hangar de l’abattoir, pour<br />

l’insonoriser ! C’est d’abord pour l’Harmonie Municipale<br />

! Pour le reste, vous comprendrez bien qu’on va<br />

phaser l’projet ! Continuez à travailler !”<br />

Tu vois Maman, j’ai encore du pain sur la planche.<br />

Tu sais tout sur mon métier. Tu comprends pourq u o i<br />

j’t’appelle pas souvent au téléphone. T’inquiète pas, on y<br />

a r r i v e ra !”<br />

<strong>Les</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture peuvent<br />

ê t re <strong>des</strong> lieux de délibéra t i o n<br />

(Tonnerre d’applaudissements dans la salle !!!)<br />

Bref, ce que je voulais vous dire, c’est qu’à partir du<br />

moment où nous travaillons sur ce type de projet, nous<br />

nous retrouvons à faire une sorte de compromis bancal<br />

entre <strong>des</strong> tonnes de comman<strong>des</strong>, et je rejoindrai là mon<br />

collègue Franck Lepage qui parlait hier de délibération,<br />

d'arbitrage. Je pense que les Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />

Culture peuvent être <strong>des</strong> lieux de délibération où l'ensemble<br />

<strong>des</strong> acteurs que j'ai cités tout à l'heure se rencontrent<br />

et délibèrent.<br />

Il existe une exigence artistique dans les Maisons <strong>des</strong><br />

Jeunes et de la Culture, mais en même temps, qu'est-ce que<br />

cela veut dire de travailler sur la citoyenneté ? Cela ne veut<br />

pas forcément dire que je fais de la musique pour former<br />

<strong>des</strong> citoyens, cela veut dire : je développe la pratique musicale<br />

dans un objectif de travail de qualité mais je m’efforc e,<br />

en même temps, de faire en sorte qu’un musicien qui<br />

m'interpelle sur le métier d'intermittent du spectacle s'interroge<br />

aussi sur ce qui s'est passé au Sous-Marin…<br />

Éric Doisnel, président du Centre Régional du Rock et<br />

<strong>des</strong> Musiques Actuelles et responsable du Service<br />

Culturel d'Elbeuf : Le C2R, Centre Régional du Rock se<br />

situe comme un levier pour informer et accompagner les<br />

communes sur les questions <strong>des</strong> musiques actuelles. On se<br />

rend compte très souvent que <strong>des</strong> élus sont soucieux. Il y<br />

a <strong>des</strong> pétitions, à Elbeuf 500 jeunes ont demandé un local<br />

de répétition. Il y a <strong>des</strong> initiatives spontanées, mais les élus<br />

ne savent pas comment y répondre. Quelquefois naissent<br />

<strong>des</strong> actions ponctuelles, plaquées. Tout d'un coup un<br />

festival émerge ; il dure trois jours mais il n'y en a plus<br />

pendant 5 ans. Ou encore un local de répétition est mis à<br />

disposition dans une friche : il s'agit d'un garage sans<br />

équipement qui ne correspond pas aux attentes et aux<br />

exigences de qualité...<br />

Le souci de notre association est d'être auprès <strong>des</strong><br />

g roupes, d'être auprès <strong>des</strong> publics, auprès <strong>des</strong> salles et<br />

puis <strong>des</strong> élus. <strong>Les</strong> ai<strong>des</strong> passent par <strong>des</strong> subventions, <strong>des</strong><br />

actions que nous mettons en place. Sans re n t rer dans le<br />

détail <strong>des</strong> chiffres et <strong>des</strong> modalités, disons simplement<br />

OUR LADY PEACE


5 2<br />

qu'il y a plusieurs axes.<br />

Nous proposons une aide à la diffusion : soutien aux<br />

festivals, aux lieux de diffusion, et aide à la création <strong>des</strong><br />

lieux. Ensuite, aide à la création : aide au management,<br />

ai<strong>des</strong> auprès <strong>des</strong> groupes pour réaliser <strong>des</strong> maquettes, <strong>des</strong><br />

affiches, la duplication de cassettes, <strong>des</strong> tournées. En fait<br />

il s'agit, pour <strong>des</strong> groupes qui ont trouvé plusieurs dates en<br />

France ou à l'étranger, de leur permettre de pouvoir circuler.<br />

Mais doit-on aider un groupe professionnel qui tourne<br />

depuis 15 ans mais qui n'a jamais émergé ? Ne risquonsnous<br />

pas de tomber sur <strong>des</strong> groupes qui seraient aidés<br />

chaque année comme <strong>des</strong> “groupes fonctionnaires" ?<br />

Nous voulons nous situer sur la découverte <strong>des</strong> groupes et<br />

permettre, lorsqu'il manque le petit peu d'argent, une<br />

signature avec un label.<br />

Autre aspect important, la formation. Mais pour<br />

<strong>des</strong> groupes de rock ou de musiques actuelles, c'est quoi<br />

la formation ? Va-t-on, comme pour la musique classique<br />

ou le jazz dans d'autres régions, créer une école de ro ck<br />

et de musiques actuelles ? Créer une école, d'accord, mais<br />

où ? À Évreux, à Rouen, au Havre ? Qui viendrait ? Est-ce<br />

que ce serait <strong>des</strong> ro ckers de 50 ans ? De jeunes ra peurs ?<br />

Ou ceux qui pratiquent la techno ou d'autres musiques<br />

actuelles ? En fait, nous avons cherché un axe plus souple<br />

en créant le camion-musiques qui est un local itinérant<br />

de formation. Il nous permet aussi bien<br />

d'être dans les gran<strong>des</strong> villes que dans les quartiers .<br />

Il s'agit d'aller là où sont les jeunes, où sont les pratiques.<br />

Mais aussi d'aller là où c'est souvent le désert, en<br />

milieu rural, dans les villages. Ce camion va aussi dans les<br />

collèges, dans les lycées. À titre d'exemple, au sujet de la<br />

place de l'Éducation nationale dans les formations sur les<br />

musiques amplifiées, nous avons reçu une réponse favorable<br />

du re ctorat qui a fait tourner une proposition pour<br />

que le camion-musiques puisse circuler dans les lycées et<br />

les collèges. À notre surprise, il y a eu 60 réponses.<br />

En termes de financement, l'État, par l'intermédiaire<br />

de la DRAC, verse 350 000 francs à notre association,<br />

la région 900 000. En plus, il y a eu cette année un gro s<br />

investissement pour le camion-musiques. Ce n'est pas un<br />

studio (nous ne sommes pas en concurrence avec les studios<br />

d'enre gistrement), c’est un lieu de formation itinérant.<br />

C'est un endroit où l'on peut bien sûr répéter avec<br />

environ une dizaine de formateurs et qui permet à <strong>des</strong><br />

groupes de s'initier à la M.A.O., aux techniques informatiques,<br />

d'avoir aussi cette possibilité de sortir avec une<br />

cassette ou un D.A.T. qui permet une “photographie” du<br />

groupe. Pa rallèlement, cela permet un gros travail d'information<br />

sur les nuisances sonore s.<br />

Joël Le Crosnier, directeur C.A.C. Georges Brassens de<br />

Mantes-la-Jolie : Je sais que la République est un peu<br />

une vieille dame et j'ai plutôt tendance à inciter à l'amour<br />

et la révolution. La révolution sur son système délégataire ,<br />

puisqu'aujourd'hui travailler pour le peuple, c'est magnifique<br />

! Nous n’avons pas vraiment de compte à lui re ndre !<br />

Tout à l'heure, nous parlions du Front National, nous<br />

étions là sur un système de replâtrage mais pas sur un système<br />

où nous pouvons prendre un petit peu d'avance par<br />

rapport aux événements. Lorsque le représentant du<br />

Ministère de la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports nous dit que c'est le<br />

ministère qui a quand même le plus souffert de la suppression<br />

d'emplois et de moyens sur la jeunesse et l'éducation<br />

populaire, c'est dans la même période que les<br />

gran<strong>des</strong> fédérations d’éducation populaire ont vu leurs<br />

moyens complètement diminuer. L'État, cette vieille<br />

République, s'est retrouvé sans relais et, aujourd'hui, avec<br />

ce qui nous a été présenté, j'ai quand même l'impression<br />

que l'on revient dans le même système. L'État cherche ses<br />

propres moyens, ne se pose pas le vrai problème du contrat<br />

social, puisque le contrat social, ce sont les associations de<br />

terrain et surtout les associations qui fédèrent ces associations<br />

de terrain qui le remplissent.<br />

Par exemple, au niveau départemental, ce sont <strong>des</strong><br />

associations comme le CRY, les fédérations d'éducation<br />

populaire, au niveau régional et national, mais aussi t outes<br />

Savoir si nous voulons une démocratie avec ou<br />

sans le peuple<br />

les associations qui réussissent à un moment donné, de<br />

manière transversale, à dépasser les intentions politiciennes<br />

locales pour avoir un vrai objet de travail de<br />

recherche en termes de sociologie, de conseil, de collectage<br />

de patrimoine. Lorsque nous parlons de musiques<br />

actuelles, il faut bien que nous posions le problème du<br />

collectage, du patrimoine et de sa conservation. Pour pouvoir<br />

se poser ces questions-là, il faut qu'il y ait <strong>des</strong> gens<br />

qui, d'une manière très volontaire, y réfléchissent.<br />

L’Etat ne va pas assez loin. J'ai entendu ce qu'ont dit<br />

nos deux collègues qui sont dans la Commission nationale<br />

<strong>des</strong> musiques actuelles et je pense que cela ne va pas<br />

assez loin. Il faut un débat franc et massif avec les gens<br />

qui fédèrent, les fédérations nationales et les associations<br />

régionales, avec un système délégataire clair, puisque<br />

l'État a toujours les moyens du contrôle. En fait, la question<br />

qui est posée, c'est une collaboration intelligente et le<br />

moyen de son contrôle par l'État, pour écrire une ligne<br />

politique de l'État. Il s'agit pour nous de savoir si nous<br />

voulons une démocratie avec ou sans le peuple.<br />

Gilles Garnier, chef-adjoint du cabinet du Ministère de<br />

la Jeunesse et <strong>des</strong> Sports : Moins on a de moyens en personnel,<br />

moins on a de moyens en fonctionnement, donc


La République, c’est nous tous<br />

moins on a de subventions. <strong>Les</strong> choses sont intimement<br />

liées. C'est tellement plus simple de dire que l'on a moins<br />

besoin de fonctionnaires pour distribuer moins d'argent,<br />

puisque finalement on vous en donne moins, et que donc<br />

on a moins d'actions avec les réseaux d'éducation populaire.<br />

C'est le serpent qui se mord la queue. Cela produit un<br />

assèchement d’un pan entier du Ministère qui s'occupe de<br />

la jeunesse et de l'éducation<br />

populaire. La<br />

chose publique, c'est<br />

vous et nous. Il n'y a pas de dichotomie. Il n'y a pas d'un<br />

côté ceux qui regardent le peuple d'en haut et puis vous<br />

qui seriez au balcon en train de dire : “Que fait la<br />

République pour nous ?". La République, c'est nous tous.<br />

Mais je comprends qu’après les années d'errance, en particulier<br />

de notre ministère, vous ayez <strong>des</strong> doutes. Je ne<br />

peux pas tous les effacer en dix minutes.<br />

La volonté de nous rapprocher de la culture - qui a<br />

longtemps été émise comme un vœu pieux - est rentrée<br />

dans les faits. Nous avons une volonté de rééquilibrer ce<br />

ministère, comme je vous l'ai dit, entre “jeunesse" et<br />

“sports". Nous avons la volonté de vous donner plus de<br />

moyens en personnels et en crédits. Nous avons la volonté<br />

de développer un peu plus de projets qu'auparavant et<br />

de ne pas avoir les frilosités que vous avez notées sur le<br />

terrain. Vous constaterez dans quelques mois si ce que je<br />

dis ici a irrigué jusqu'aux doigts de pieds de la dernière<br />

DDJS et du dernier CEPJ. Tout en sachant qu’il y a <strong>des</strong> gens<br />

sur le terrain qui, heureusement, eux non plus, n'ont pas<br />

attendu les autorisations du Ministère pour continuer à<br />

faire <strong>des</strong> choses contre <strong>des</strong> directives données à l'époque.<br />

Mais je crois que vous avez raison d'être impatient. Nous<br />

écoutons votre impatience, et c'est votre impatience qui<br />

nous permet d'aller plus loin.<br />

Un participant : Qu'est-ce qui a décidé les départements<br />

à intervenir dans le cadre du camion-musiques ? Est-ce<br />

que cela contribue à modifier la politique culturelle ? Estce<br />

que leur politique est complémentaire de celle de la<br />

région ? Est-ce que c'est la région qui a initié, et les départements<br />

qui ont suivi ?<br />

Éric Doisnel, Président du Centre Régional du Rock et<br />

<strong>des</strong> Musiques Actuelles : L'initiative revient à la DRAC et<br />

à la région qui nous ont confié cette mission qui consistait<br />

à savoir comment on pouvait répondre en termes de formation,<br />

aussi bien dans les quartiers, dans les banlieues<br />

mais aussi au niveau rural. Ils ont porté tout le projet d'investissement,<br />

de création, toute l'étude qui a permis la<br />

création du camion-musiques. Ensuite, nous avons sollicité<br />

les deux départements qui agissent, eux, en termes de<br />

formation. <strong>Les</strong> deux départements, et surtout celui de<br />

l'Eure, qui est essentiellement rural, sont très intéressés<br />

par ce camion parce qu'il peut répondre à <strong>des</strong> deman<strong>des</strong><br />

de formation ou même, c'est l'autre aspect du camionmusiques,<br />

il peut presque servir de préfiguration dans les<br />

petites villes pour savoir s’il faut créer un local de répétition.<br />

La tendance serait actuellement de vouloir créer <strong>des</strong><br />

locaux de répétition un peu partout. Mais est-ce la bonne<br />

solution ? Ne faut-il pas, pour certains villages, se regrouper,<br />

pour se donner plus de moyens ? D’ailleurs, les<br />

groupes, eux, n'ont pas d'appartenance à une ville. Ils sont<br />

de toutes les villes, il n'y a pas de frontières entre elles.<br />

Edgar Garcia, chargé de mission rock au Conseil Général<br />

de Seine-St-Denis : <strong>Les</strong> “professionnels de la profession”<br />

que nous sommes avons intérêt à ne pas baisser la<br />

garde sur le niveau <strong>des</strong> exigences, et même à les monter<br />

haut, comme le regard qu'on porte <strong>des</strong>sus. Je pense que<br />

nous sommes à la croisée <strong>des</strong> chemins pour les musiques<br />

amplifiées et même sur la question du “culturel".<br />

Tout à l'heure, s’est posée la question de savoir s’il<br />

y a <strong>des</strong> dangers. Oui, il y en a. La banalisation de la culture,<br />

un certain poujadisme qui rampe, une certaine<br />

conception utilitariste de la culture, voire même une tendance<br />

à vouloir éliminer la création parce que ça gêne, ça<br />

coûte cher… Tous ces lieux communs qu'on entend un<br />

peu partout sont <strong>des</strong> dangers. Il y a ceux qui sont extrêmement<br />

saillants, nous savons qu’il y a le Front National,<br />

mais il y a d’autres choses qui se baladent dans la société.<br />

Par rapport à cela, il faut que nous ayons <strong>des</strong> positionnements<br />

fermes sur le fond, pas seulement “c orpo". Il faut<br />

que nous ayons les exigences pro pres de la pro fession,<br />

c'est évident, mais je<br />

pense que pour en<br />

s o r t i r, il faut que<br />

nous ayons envers<br />

les politiques, et en<br />

premier lieu le gouvernement,<br />

une exigence<br />

pas seulement partagée par quelques techniciens,<br />

mais par beaucoup de monde.<br />

Je vais vous donner un exemple sur la question <strong>des</strong><br />

moyens. Vous avez tous entendu parler de la Seine-St-<br />

Denis, <strong>des</strong> mouvements à l'école ces dernières semaines ?<br />

Le Ministère reconnaît qu'il faut 3 000 postes sur 3 ans !<br />

Vous imaginez, 3 000 postes ce que cela signifie ? En gros,<br />

180 000 francs de salaire par enseignant, charges comprises,<br />

multipliez par 3 000 ! C'est lunaire cette histoire.<br />

C'est pas le petit truc en plus qui pourrait être obtenu là,<br />

en déplaçant ou en faisant un jeu de dominos ! Le gouvernement<br />

reconnaît qu'à population égale, il y a deux<br />

fois moins d'enseignants qu'à Paris. Non pas que la<br />

chose soit récente. Elle est ancienne, cela se disait, mais<br />

Il y a <strong>des</strong> dangers :<br />

la banalisation de la culture,<br />

un certain poujadisme qui<br />

rampe, une certaine conception<br />

utilitariste de la culture<br />

5 3


là c'est reconnu et <strong>des</strong> mesures sont prises. Sauf qu'au<br />

début, le ministre se pointe avec je ne sais combien de<br />

postes et c'est le brouhaha qui fait qu'on passe en gro s<br />

d'une centaine à 3 000 sur quelques années, dont 800<br />

la pre m i è re année. Je donne ces chiffres parce que je<br />

pense qu'ils donnent la mesure <strong>des</strong> enjeux devant lesquels<br />

nous sommes. Où se prend le financement <strong>des</strong><br />

postes ? Dans le Val-de-Marne ? Dans les Hauts-de-<br />

Seine ? À Paris ? Non ! Cela pose forcément la question<br />

du réaménagement du budget de l'Éducation nationale.<br />

Je dis cela pour l'Éducation nationale parce que<br />

je pense que cela vaut aussi pour les questions qui<br />

nous préoccupent et, je l'ai dit tout à l'heure, je pense<br />

qu'on ne peut pas ne faire qu'observer la façon dont<br />

vont s'organiser les grands choix budgétaires en 1999,<br />

en 2000… Au bout du compte, c'est cela qui va struc-<br />

DOLLY


t u rer l'espace dans lequel nous souhaitons tra v a i l l e r. Et<br />

si nous commençons à dire qu'il faudrait un plan<br />

national d'équipement <strong>des</strong> lieux… cela représente <strong>des</strong><br />

sommes extrêmement importantes. Où se tro u v e n t - e l l e s<br />

ces sommes ? Quels sont les choix qui vont présider ?<br />

Je crois que ce sont les questions qui pourraient mériter<br />

<strong>des</strong> colloques parce que sinon, on risque d'être touj<br />

o u rs sur l'écume de la question de Rencontres.<br />

Dominique Cnockaert, directeur MJC - Bolbec :<br />

Bolbec est une petite ville de 12.500 habitants, semir<br />

u rale, semi-urbaine, et après chaque échéance municipale<br />

électorale, nous attendons fébrilement le nom<br />

de ceux qui vont occuper les postes d'adjoints, dont<br />

celui d'adjoint à la culture. Bien souvent on se dit :<br />

“Ah, c'est lui ! C'est incompréhensible…". Aussi, je<br />

Nous venons de vivre une phase de décentralisation sans<br />

aucune obligation de formation <strong>des</strong> élus politiques !<br />

pose un autre débat de réflexion qui est la formation<br />

<strong>des</strong> élus politiques. Nous venons de vivre une phase de<br />

d é c e n t ralisation sans aucune obligation de formation<br />

<strong>des</strong> élus politiques ! C'est grave ! C'est-à-dire que nous,<br />

p rofessionnels, qui ne prenons pas la décision politique,<br />

on nous demande de monter un projet d'activité<br />

dont les élus essaient de tirer une essence politique.<br />

Il y a quand même quelque chose qui ne fonctionne<br />

pas et nous ne sommes pas dans le même rapport de<br />

construction d'un projet d'une politique culture l l e .<br />

Gilles Castagnac : Mon rôle de modérateur comportait<br />

l ’ e x e rcice - bien évidemment impossible - de la synthèse<br />

à chaud. Je pointerai juste que, parmi les choses<br />

qui sont revenues, je crois qu'il y a <strong>des</strong> constats communs,<br />

du genre : éviter ou sortir de l'instrumentalisation<br />

; affirmer la pluralité <strong>des</strong> acteurs publics mais<br />

aussi <strong>des</strong> acteurs culturels ; nécessité d'assumer ce que<br />

j ’ a p p e l l e rai un continuum respectueux <strong>des</strong> divers i t é s ...<br />

Au niveau <strong>des</strong> pouvoirs publics, nous avons plus<br />

i e u rs fois entendu parlé “d'interministérialité". C’est<br />

un écho encourageant pour cette volonté de dépasser<br />

le clivage entre les pratiques amateurs d’une part, et<br />

les alliés du méchant showbiz d’autre part. La nécessité<br />

de la re n c o n t re est une obligation. C'est la nature<br />

même de l’activité et de ce continuum qui l'amène.<br />

Cela veut dire que la construction se fait par les<br />

a c t e u rs eux-mêmes, notamment ceux qui ont <strong>des</strong> exigences<br />

et ne veulent pas, ne peuvent pas, attendre que<br />

<strong>des</strong> décisions “extérieures” se prennent, qu’elles vienn e n t<br />

de politiques décalées <strong>des</strong> réalités ou du “marché”<br />

l u i - m ê m e .<br />

J'ai également relevé une contradiction par ra p-<br />

port à ce qui a été dit lors de la table ronde précédente.<br />

À savoir une demande de plus de textes, plus de<br />

réglementations, <strong>des</strong> cahier <strong>des</strong> charges plus précis...<br />

et, en même temps, un effarouchement sur les conséquences<br />

de la mise en place de textes pas forc é m e n t<br />

adaptés, comme l’application au champ culturel de la<br />

délégation de service public.<br />

Mais à vous écouter, je re t i e n d rai surtout l'affirmation<br />

- qu’on re t rouve parallèlement dans la composition<br />

même de la Commission Nationale - de la prégnance,<br />

dans ces musiques-là, du phénomène associatif<br />

dans toute sa diversité. C'est à tra v e rs le phénomène<br />

associatif qu'effectivement, nombre de composantes<br />

se re t rouvent, même si, derrière, on peut avoir<br />

<strong>des</strong> différences de statut, <strong>des</strong> différences de terrain de<br />

t ravail. Je pense qu’il existe une communauté<br />

de prise en main pour la construction de<br />

cet espace de liberté que sont les musiques<br />

a c t u e l l e s .<br />

Pe u t - ê t re que ce ne sont pas tout à fait <strong>des</strong> re n-<br />

c o n t res, peut-être que ce n'est pas tout à fait un<br />

débat... Mais si ce sont déjà, dans un premier temps, la<br />

c o n f rontation de deux, voire trois univers, ce sont à<br />

mon avis les prémices d'une construction. C’est ce que<br />

nous nous étions fixé comme enjeu lorsque nous avons<br />

commencé à travailler sur ces Rencontres… Si effectivement,<br />

aujourd'hui, les gens se sont intéressés les uns<br />

et les autres, se sont étonnés de trouver un langage<br />

commun alors qu’ils sont censés appartenir à <strong>des</strong> univ<br />

e rs différents, c'est déjà une pre m i è re parce que c'est<br />

ra rement affirmé comme tel. ❙<br />

5 5


2<br />

PERRY BLAKE


De nouveaux métiers ?<br />

Gaby Bizien, responsable Musiques actuelles de<br />

Domaine Musiques, Nord-Pas-de-Calais : To u t<br />

d ’ a b o rd, il me paraît fondamental de dire qu’il<br />

n'existe pas de nouveaux métiers sans de nouvelles<br />

formations. Nous sommes confrontés à <strong>des</strong> porteurs<br />

de projets qui ont <strong>des</strong> initiatives mais qui n'arrivent pas<br />

à qualifier suffisamment leur projet pour être <strong>des</strong> interl<br />

o c u t e u rs au niveau <strong>des</strong> pouvoirs publics. En effet,<br />

quand on parle de “formation", on pense souvent à <strong>des</strong><br />

formations techniques comme la formation <strong>des</strong> musiciens<br />

pour l'encadrement de locaux de répétition, de<br />

techniciens du spectacle... mais il faut aussi penser à la<br />

formation <strong>des</strong> porteurs de projets qui peut leur permettre<br />

de devenir <strong>des</strong> interlocuteurs pour obtenir <strong>des</strong> soutiens<br />

publics. Mon parc o u rs a tra v e rsé le milieu musical<br />

puisque j'ai été musicien professionnel pendant quinze<br />

ans et ensuite, j'ai été à l'origine de la création d'un<br />

c e n t re de formation aux musiques actuelles sous forme<br />

associative (ARA, Roubaix). Aujourd’hui, je suis re s p o n-<br />

sable du pôle régional <strong>des</strong> musiques actuelles en Nord -<br />

Pas-de-Calais, qui est un département de l'association<br />

régionale, donc à l'intérieur d'une institution. Mon point<br />

de vue vient donc du croisement de ces différe n t e s<br />

e x p é r i e n c e s .<br />

La précarité <strong>des</strong> structures a tra v e rsé les débats<br />

<strong>des</strong> tables ron<strong>des</strong> précédentes. <strong>Les</strong> structures de diffusion<br />

de proximité, d'accompagnement <strong>des</strong> pratiques, de<br />

développement local, vivent depuis plus de dix ans grâce<br />

au militantisme de passionnés. Ce militantisme, sur les<br />

actions de proximité, interpelle la fil i è re culturelle telle<br />

qu'on la connaît. Cette fil i è re est souvent sclérosée par<br />

<strong>des</strong> cadres trop rigi<strong>des</strong> qui ne permettent pas de liberté<br />

d'initiative favorisant la mise en œuvre d'une réelle<br />

d é m o c ratie culturelle. D'un autre côté, nous connaissons<br />

le re v e rs de la médaille : précarité <strong>des</strong> emplois, très bas<br />

s a l a i res, C.E.S., objecteurs de conscience, C.E.C... Bref, le<br />

lot quotidien <strong>des</strong> “c afés-musique", <strong>des</strong> structure s<br />

a s s ociatives de formation, <strong>des</strong> collectifs d'artistes qui se<br />

montent pour aider à la création et à la diffusion de leur<br />

p roduction.<br />

En introduction, je voudrais faire un bref ra p p e l<br />

historique <strong>des</strong> rapports entre le secteur <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles et l'intervention publique, parce que ce ra p-<br />

port est révélateur de l'apparition de nouvelles activités.<br />

Nouvelles activités en matière de médiation culture l l e ,<br />

nouvelle manière d'envisager la médiation culture l l e ,<br />

nouvelles activités en matière d'accompagnement<br />

<strong>des</strong> pratiques et<br />

nouvelles activités<br />

par la spé-<br />

sans de nouvelles formations<br />

Il n'existe pas de nouveaux métiers<br />

cificité même<br />

de ces musiques. Ce secteur est représentatif d'une<br />

mutation de la réflexion en matière de politique culturelle.<br />

Je crois même que le secteur <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles a largement contribué, par ses pratiques, par la<br />

mise en œuvre de ses projets, de sa réflexion, à la mutation<br />

de cette réflexion sur les politiques culturelles.<br />

À l'évidence, les liens qu'entretiennent ces<br />

musiques - aussi bien avec l'industrie musicale<br />

qu’avec ce qu'on a appelé à une époque Gaby Bizien,<br />

MODÉRATEUR :<br />

la recomposition du lien social - ont souvent<br />

empêché une vision claire du secteur,<br />

RESPONSABLE MUSIQUES<br />

ACTUELLES DE DOMAINE<br />

MUSIQUES NORD-PAS-DE-CALAIS.<br />

notamment chez les élus et même chez certains<br />

techniciens au sein <strong>des</strong> institutions INTERVENANTS :<br />

c u l t u relles. La réalité artistique de ces Laure Chailloux,<br />

p ratiques a souvent été masquée derrière A.R.A. - ROUBAIX,<br />

l'opacité <strong>des</strong> débats entre secteur privé, Thierry Duval,<br />

s e cteur public, showbiz et pratiques artist<br />

i q u e s .<br />

COORDINATEUR DU C.R.Y.<br />

POUR LA MUSIQUE,<br />

La prise en compte <strong>des</strong> musiques Philippe Audubert,<br />

RESPONSABLE DU SECTEUR<br />

actuelles dans le cadre <strong>des</strong> politiques<br />

FORMATION DE TREMPOLINO<br />

publiques est assez récente puisqu’elle commence<br />

dans les années 80. Ces années-là Bruno Ponge,<br />

NANTES,<br />

privilégient surtout la diffusion et le développement<br />

<strong>des</strong> artistes dans le cadre de l'in-<br />

Christian Roux,<br />

GÉRANT DE T.R.I.P.S.,<br />

dustrie musicale. En parallèle aux ai<strong>des</strong> pour<br />

DIRECTEUR DU CENTRE DE<br />

CRÉATION MUSICALE - BREST,<br />

les salles de spectacle identifiées “musiques<br />

actuelles" et apparues à cette époque, il y a<br />

Jean-Louis<br />

Sautreau,<br />

57<br />

la loi de 1985 qui induit un certain nombre (EX-AGENCE DES LIEUX<br />

d'ai<strong>des</strong> au secteur professionnel à partir de MUSICAUX, AINTÉGRÉ DEPUIS<br />

LA D.M.D.T.S. DU MINISTÈRE<br />

la reconnaissance de nouveaux droits pour<br />

DE LA CULTURE),<br />

les interprètes, pour les pro d u c t e u rs. Ces<br />

Jean-Claude<br />

ai<strong>des</strong> sont gérées par les nouvelles sociétés Pe rrot,<br />

civiles et par la création d'organismes tels DIRECTEUR MCL DE METZ.


5 8<br />

que le Fonds de Création Musicale ou le Fonds de<br />

Soutien. Nous nous apercevons maintenant que les subventions<br />

accordées aux lieux de diffusion n'ont pas<br />

atténué le prix <strong>des</strong> places. On vérifie ainsi, et ce n'est pas<br />

nouveau, que les volontés de démocratisation culturelle,<br />

d'accès aux œuvres, profitent surtout aux publics qui ont<br />

déjà une démarche culturelle, une démarche de consommation<br />

culturelle. <strong>Les</strong> ai<strong>des</strong> au développement de carrière<br />

d'artistes ont souvent également été critiquées dans la<br />

m e s u re où elles sont accordées à un producteur pour<br />

qu'il développe l'artiste avec toutes les réserves d'usage<br />

sur le formatage d'artistes par l'industrie.<br />

Nous ne pouvons pas dire que de nouveaux métiers<br />

soient apparus dans les années 80. Il y a <strong>des</strong> luttes syndicales<br />

pour la reconnaissance de certaines pro f e s s i o n s<br />

comme les interprètes et les pro d u c t e u rs qui ont, par la<br />

loi de 1985, obtenu le bénéfice de droits spécifiq u e s ,<br />

mais pas vraiment de nouveaux métiers. En re v a n c h e ,<br />

une deuxième génération de porteurs de projets appara î t<br />

dans les années 1990 avec la montée en puissance d'une<br />

a u t re conception du service public en direction <strong>des</strong><br />

musiques actuelles, notamment face à la demande re p é-<br />

rée <strong>des</strong> populations dites “en diffic ulté”. C'est le célèbre<br />

couple culture et lien social qui fait son apparition. La<br />

c u l t u re en général et les musiques actuelles, en particulier<br />

le rap et les musiques qui y sont associées, sont appelées<br />

sur le front du social. On espère que la culture va<br />

<strong>Les</strong> volontés de démocratisation culturelle pro fit e n t<br />

surtout aux publics qui ont déjà une démarche culture l l e<br />

repousser les limites qui n'arrivent pas à être comblées<br />

par l'école et par l'ensemble <strong>des</strong> stages d'insertion que<br />

l'on met en place et qui sont balayés par la folie économique.<br />

Au niveau du service public, il n'existe aucun<br />

c a d rage institutionnel. <strong>Les</strong> pro f e s s e u rs de l'enseignement<br />

spécialisé, du réseau <strong>des</strong> conservatoires et <strong>des</strong> écoles de<br />

musique, sont complètement démunis face à ces<br />

musiques qui, d’une part, privilégient la pratique collective,<br />

utilisent <strong>des</strong> instruments amplifiés, font appel aux<br />

technologies de l'enre g i s t rement, de l'informatique, et,<br />

d ' a u t re part, à <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui arrivent souvent, non<br />

pas en formation initiale, mais après une pratique autodidacte.<br />

Souvent, ces musiciens vont répéter dans leur<br />

local, vont jouer sur scène et même enre gistrer, éventuellement<br />

dans un studio, une maquette “démo", et<br />

ensuite se retournent vers <strong>des</strong> opéra t e u rs spécialisés en<br />

formation pour combler certaines lacunes qu'ils re s s e n-<br />

tent, ou pour acquérir de nouveaux savoirs. Au cours <strong>des</strong><br />

années 80, il y a un certain nombre de centres de formations<br />

qui se sont créés. Ce sont <strong>des</strong> formations spécifiques<br />

souvent orientées vers le jazz et qui se sont créées<br />

sous forme associative. Ces centres de formation sont<br />

financés à la marge par la culture et surtout par la<br />

formation professionnelle avec <strong>des</strong> sociétés civiles<br />

d'artistes.<br />

D ' a u t res centres de formation sont mis en place<br />

à la fin <strong>des</strong> années 80. Ceux-ci ont été plus orientés sur<br />

le rock, avec comme objectif de pouvoir accueillir la<br />

p ratique amateur et de lui offrir un éventail de formations<br />

<strong>des</strong>tinées à qualifier ces pratiques. Dans le même<br />

temps, il y a <strong>des</strong> lieux de diffusion qui développent <strong>des</strong><br />

locaux de répétition pour accueillir les groupes et mettent<br />

en place également <strong>des</strong> actions de formation. Ce<br />

sont <strong>des</strong> initiatives qui sont, comme les “cafésmusique"<br />

et d'autres structures, portées à bout de bra s<br />

par <strong>des</strong> convaincus de cette idée de démocratie culturelle.<br />

C'est en tout cas de l'expérience de ces acteurs que<br />

naissent les réflexions et les services offerts aux pra t i-<br />

quants pour l'accompagnement et la qualification aux<br />

musiciens amateurs. Cela s'adresse à <strong>des</strong> musiciens<br />

a m a t e u rs mais aussi à <strong>des</strong> musiciens en voie de pro f e s-<br />

sionnalisation parce que la fro n t i è re est assez souvent<br />

f ranchie, d'un côté comme de l'autre d'ailleurs.<br />

E n fin, arrêtons-nous quelques instants sur les<br />

termes “a mateur", “professionnel", “en développement",<br />

“en voie de professionnalisation", qui sont <strong>des</strong><br />

termes utilisés régulièrement dans notre secteur. Pa r m i<br />

la grande majorité <strong>des</strong> “musiciens actuels" - j'utilise ce<br />

terme bien qu'il ne me satisfasse pas non plus<br />

- on tro u v e ra ra rement de véritables amateurs<br />

et de véritables professionnels et c'est ce qui<br />

fait que nous naviguons entre les deux<br />

mon<strong>des</strong>. Juridiquement, l'amateur est défini par le<br />

d é c ret de 1953 : c'est quelqu'un qui ne tire pas de bénéfice<br />

de son art et qui a d'autres moyens de subsistance.<br />

C'est donc assez clair. Pour le professionnel, c'est plus<br />

d i f ficile. Est-ce que c'est celui qui a fait 45 cachets<br />

déclarés sur 12 mois et qui à ce titre peut obtenir les<br />

r é m u n é rations ASSEDIC d'intermittent du spectacle ?<br />

Est-ce que c'est celui qui a fait 24 cachets et qui peut<br />

b é n é ficier de la formation professionnelle AFDAS ? Estce<br />

que c'est celui qui consacre tout son temps à la<br />

musique, mais qui n'arrive pas à avoir de cachets déclarés<br />

et qui vit au RMI avec <strong>des</strong> contrats au “black" à côté ?<br />

Est-ce que c'est celui qui a signé dans une maison de<br />

disques, sachant que la signature dans une maison de<br />

disques n'est pas forcément la garantie de moyens de<br />

subsistance et encore moins d'une pérennisation de<br />

l’emploi ? Une chose est certaine : le passage au niveau<br />

p rofessionnel, c'est un choix personnel, c'est un choix de<br />

vie de la part du musicien et sur lequel nous n'avons pas<br />

f o rcément à re v e n i r. Il faut savoir que ce musicien vit<br />

souvent du cumul de cachets, de droits, de ro y a l t i e s


éventuellement, de revenus de l'enseignement, de re v e-<br />

nus sociaux, ASSEDIC ou autres, éventuellement de<br />

d é m o n s t rations d'instruments de musique dans les<br />

s u p e r m a rchés lorsque c'est la période de vaches maigre s .<br />

En tout cas, c'est quelqu'un qui a fait le choix de s'investir<br />

complètement dans la musique.<br />

<strong>Les</strong> “musiciens actuels", même amateurs, désirent<br />

toujours se pro d u i re sur scène, ce qui pose d'autre s<br />

problèmes. L’ordonnance de 1945 et la loi de 1969 disent<br />

qu'à partir du moment où un musicien est sur scène, il y<br />

a un lien de subordination qui s'exerce entre l'emp<br />

l o y e u r, l'organisateur et le musicien et qu'à partir du<br />

moment où un musicien est sur scène, il doit être salarié<br />

et il doit être déclaré. Nous pouvons re m a rquer que<br />

cette volonté de re n c o n t re <strong>des</strong> musiciens avec l'espace<br />

public, ce désir d'insertion à la cité, cette dimension<br />

e n t re p reneuriale du groupe de rock, du groupe de ra p ,<br />

du DJ, est un cara c t è re fondamental, à mon avis, et qui<br />

les différencie de la musique classique. C'est vrai qu'on<br />

voit ra rement <strong>des</strong> élèves d'écoles de musique aller spontanément<br />

jouer dans les cafés. À mon sens, c'est dans<br />

cette perspective qu'il faut voir la dimension citoyenne<br />

de ces pratiques, car ce cara c t è re entre p reneurial est lié<br />

à une prise de responsabilités de la fonction sociale de<br />

la musique. <strong>Les</strong> musiciens se confrontent à l'espace<br />

social, dans <strong>des</strong> lieux de convivialité (souvent <strong>des</strong> cafés),<br />

dans <strong>des</strong> endroits où leur pratique fait complètement<br />

partie d'une re n c o n t re sociale et donc d'une re n c o n t re<br />

citoyenne entre <strong>des</strong> “citoyens musiciens" et <strong>des</strong><br />

“citoyens publics". Il est vrai que la dimension économique<br />

peut exister, il ne faut pas la nier. Je pense<br />

que cette dimension est importante, notamment<br />

en ce moment, parce que l'état du marché du<br />

t ravail fait que chez beaucoup de jeunes musiciens,<br />

il n'est pas plus irrationnel d'essayer de<br />

v i v re de la musique que d'essayer de trouver un emploi<br />

a i l l e u rs. C'est peut-être plus intéressant, plus motivant<br />

et plus valorisant que de naviguer de CES en stages d'insertion.<br />

Je pense que le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles a<br />

une chance extra o rd i n a i re de se situer au carrefour du<br />

c u l t u rel, de l'économique et du social. C'est-à-dire au<br />

c roisement du sens donné par la pratique artistique, de<br />

la production liée à l'économique, et de la re d i s t r i b u t i o n<br />

liée au social.<br />

L'enjeu est donc de qualifier ce secteur tout en lui<br />

conservant ses spécificités, cette originalité, cet enthousiasme,<br />

cet esprit d'entreprise et cette passion qui le placent,<br />

à mon avis, du point de vue de la citoyenneté, en<br />

avance sur d'autres champs culturels. Sans toutefois nier<br />

que les musiques actuelles sont liées à l'industrie musicale,<br />

ce qui est essentiel pour assurer les conditions de<br />

sa production et de sa diffusion. Mais sans non plus<br />

r é d u i re la vision <strong>des</strong> musiques actuelles à la lutte contre<br />

la fra c t u re sociale. Cela veut dire plaider en faveur d'une<br />

aide à cette fonction structurante de la musique aux<br />

c o n fluents <strong>des</strong> secteurs publics et privés, à tra v e rs la<br />

création d'outils qui permettent la créativité de nouveaux<br />

talents qui vont, eux, pouvoir aller à la re n c o n t re<br />

de nouveaux publics. La structuration du secteur nécessite<br />

à l'évidence, dans le cadre de ces nouvelles formes<br />

d'action culturelle, de nouvelles fonctions, de nouveaux<br />

m é t i e rs liés à la formation, à la médiation, en rapport à<br />

la technologie, aux industries musicales, à l'information.<br />

L ' i n s u f fisance de reconnaissance de ces métiers vient<br />

souvent du manque de connaissance de ce secteur. Il<br />

faut donc le faire connaître. Le manque de connaissance<br />

de la réalité artistique, de l'amalgame trop fréquent<br />

que l'on fait de ce secteur avec une certaine économie<br />

du spectacle. Je dis bien une certaine économie du spectacle<br />

parce qu'il y a énormément d'entreprises sous<br />

forme de sociétés qui agissent pour le développement<br />

de ce secteur. L'absence de cadre d'emplois et de formations<br />

est évidemment au cœur du problème puisqu'il se<br />

t rouve que, même en ayant les meilleures intentions du<br />

monde pour développer ce secteur, s’il n’y a pas <strong>des</strong> gens<br />

formés, nous allons nous re t rouver en face d'un mur.<br />

Nous manquerons d'opéra t e u rs face à une demande<br />

énorme. Il y a un champ en friche autour de la formation,<br />

de la pratique amateur, du développement de nouveaux<br />

talents.<br />

Au sein de la Commission nationale <strong>des</strong><br />

musiques actuelles, nous sommes un certain nombre à<br />

Le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles a une chance<br />

e x t ra o rd i n a i re de se situer au carrefour du culturel,<br />

de l’économique et du social<br />

ê t re fortement intéressés par la mise en place de<br />

c o n t rats territoriaux avec une forte incitation de l'État<br />

v e rs les collectivités territoriales pour que se mettent<br />

en place <strong>des</strong> partenariats entre structures sur <strong>des</strong> terr<br />

i t o i res déterminés. C'est-à-dire ne pas se subord o n-<br />

ner à une logique institutionnelle qui voudrait que si<br />

l'on prend en compte les musiques actuelles, on va les<br />

m e t t re dans les structures existantes, c'est-à-dire, au<br />

niveau de la formation : les conservatoires ou les<br />

écoles de musique ; et au niveau de la diffusion : sur<br />

les scènes nationales. Dans chaque région, depuis<br />

maintenant 15 ou 20 ans que <strong>des</strong> acteurs développent<br />

de nouvelles formes d'actions culturelles sur ce sect<br />

e u r, il y a <strong>des</strong> initiatives qui se sont qualifiées. Il y a<br />

une parole du secteur à présent qu'il est bon de<br />

p re n d re en compte de façon tout à fait démocra t i q u e<br />

et, évidemment, il faut travailler en partenariat<br />

5 9


6 0<br />

avec la filière culturelle existante, si dans les établiss e-<br />

ments de cette fil i è re culturelle existent également de<br />

réelles volontés d'ouverture .<br />

<strong>Les</strong> gens sont en<br />

demande d'appre n d re<br />

Laure Chailloux, Autour <strong>des</strong> Rythmes Actuels -<br />

Roubaix : L'A.R.A. est une association qui s'est créée en<br />

1988. Nous ne nous situons pas seulement sur l'idée<br />

d ' é t e i n d re <strong>des</strong> feux sociaux mais bien sur une philosophie<br />

servant à développer tant la démocratie culture l l e<br />

que la démocratisation. Cela a démarré comme une<br />

école de rock : une petite association<br />

avec 17 élèves encadrés par<br />

<strong>des</strong> musiciens de la région qui<br />

avaient envie de tra n s m e t t re leurs<br />

p ro p res acquis à ceux qui veulent appre n d re la musique<br />

a u j o u rd'hui, en gagnant du temps. Résultat : au bout de<br />

deux ans, ce sont 400 personnes en liste d'attente. <strong>Les</strong><br />

gens sont en demande d'appre n d re, ont envie d'avoir<br />

accès à une formation, à un apprentissage dans ce<br />

domaine. L'A.R.A. a donc travaillé sur une pédagogie<br />

adaptée à ces musiques-là. Il ne s'agissait pas uniquement<br />

de proposer <strong>des</strong> cours de guitare et de batterie<br />

pour faire que ce soit nouveau, il fallait aussi savoir<br />

s'adapter et donc, se dissocier de la notion d'enseignement<br />

pur. Il s’agissait bien de partir du savoir-faire <strong>des</strong><br />

gens, de leur pratique, et de leur apporter les outils dont<br />

ils ont besoin. Nous sommes donc sur cette notion de<br />

p e rsonnalisation d’un accompagnement de la pra t i q u e ,<br />

tout en prenant aussi en compte le rythme de chacun. Il<br />

n'y a pas de chemin directeur qui dit qu'à tel âge, on<br />

doit savoir telle chose.<br />

A u j o u rd’hui, nous arrivons à nos dix ans d’existence.<br />

Dix ans de réflexion pour aboutir à l’idée d’une formation<br />

professionnelle, une idée de “lieux-ressources",<br />

de développement de la pratique avec une idée de développement<br />

régional, d'agents du territoire. Nous avons<br />

développé les salles de répétition, les centres d'information,<br />

tout un espace de cours aussi, de formations que<br />

l'on prend à la carte, <strong>des</strong> modules outils, <strong>des</strong> modules<br />

instrumentaux, <strong>des</strong> stages, <strong>des</strong> masters class... Une école<br />

de rock doit rester ouverte sur l'extérieur et tra v a i l l e r<br />

avec différents partenaires. Très vite, l'A.R.A. a été sollicitée<br />

pour faire <strong>des</strong> ateliers musicaux à l'extérieur de<br />

son lieu habituel et ce sont d'ailleurs les MJC et les<br />

c e n t res sociaux qui ont été les pre m i e rs à réagir en<br />

disant qu'ils avaient <strong>des</strong> deman<strong>des</strong>. Le problème étant<br />

l'investissement pour le matériel, les salles et l'encadrement.<br />

Un animateur peut être branché musique, mais<br />

nous savons aussi que les animateurs tournent, qu’ils<br />

peuvent aussi ne pas avoir assez de connaissances artistiques<br />

pour aller plus loin… D'où la création en 1992 du<br />

“bus-rock". Il s’agit en fait de l'ancêtre du “camionmusiques",<br />

entièrement réaménagé et qui a circulé très<br />

rapidement dans toute la région pour toucher <strong>des</strong><br />

publics différents que sont les collèges, les centres de<br />

formation, les centres sociaux et les MJC. Au fur et à<br />

m e s u re, nous avons constaté une évolution : les villes s'y<br />

sont intéressées ainsi que <strong>des</strong> institutions culturelles du<br />

type scènes nationales, conservatoires… Nous savons<br />

que toute une population n'accède pas de façon spontanée<br />

ou facile à ce type d'institutions. Depuis 1992, <strong>des</strong><br />

investissements ont été faits sur de nombreux lieux dans<br />

du matériel et parfois dans une salle, donc nous<br />

envoyons simplement un intervenant.<br />

Nous nous posons aujourd’hui la question de la<br />

suite logique du travail de l'A.R.A. : pouvons-nous imaginer<br />

un pro fil d'encadrant qui soit spécifique ? Nous<br />

l'avons appelé “musicien-encadrant" et nous en avons<br />

fait une formation professionnelle à partir de 1995. La<br />

première étape a consisté à se demander si le pro j e t<br />

était viable. Nous avons fait une étude auprès <strong>des</strong> élus<br />

pour savoir s’il y avait <strong>des</strong> potentialités d'emplois.<br />

L'étude étant positive, nous avons lancé cette formation<br />

p rofessionnelle en 1995 avec l'idée qu'un “musicienencadrant"<br />

devait être amené à gérer un lieu de pratiques.<br />

Cela peut être une salle de répétition, un secteur<br />

d'une MJC, pas obligatoirement un nouvel équipement.<br />

Mais le local de répétition n'a pas vocation à<br />

devenir une école où, du coup, quand on vient répéter,<br />

il faut être encadré pour répéter. On a le droit de répéter<br />

comme on veut. Sauf qu'à un moment donné, quand<br />

on demande une formation spécifique - par exemple<br />

l ' a r rangement, la mise en place, l’enre g i s t rement d’une<br />

cassette démo - il faut savoir à qui s’adre s s e r. Le “musicien-encadrant"<br />

peut apporter une aide qui est de<br />

l ' o rd re de la “personne-ressource". Quelqu'un qui a le<br />

D . E . F.A. peut très bien animer un nouveau lieu, mais<br />

nous nous sommes dit que si ces lieux voulaient être<br />

v raiment une re s s o u rce pour une pratique amateur, il<br />

fallait aussi qu'il puisse y avoir re s s o u rce de conseil<br />

musical.<br />

D e r r i è re l’idée de “musicien-encadrant" se <strong>des</strong>sinent<br />

deux pro fils. Il y a celui qui encadre un lieu de pratique,<br />

avec tout l’aspect gestionnaire, pro g ra m m a t i o n<br />

de stages, de re n c o n t res avec l'école de musique… Donc<br />

il s’agit d’un porteur de projets à dimensions pédagogiques.<br />

Et puis, il y a le musicien - on ne dit pas “musicien-intervenant"<br />

car cela existe déjà dans le cadre <strong>des</strong><br />

C e n t res de Formation <strong>des</strong> Musiciens Intervenants - qui<br />

est “encadrant d'ateliers musicaux". Celui-ci peut travailler<br />

sur plusieurs structures, l'intercommunalité pouvant<br />

d’ailleurs jouer son rôle. On parle beaucoup de<br />

nouveaux métiers mais je pense que, dans ces musiques-là,<br />

cela existe depuis longtemps. Cela fait très longtemps


que le gra n d - f r è re ou le copain apprend à jouer de la<br />

g u i t a re à celui qui est plus jeune. Donc, il s’agit plus<br />

d’une re c h e rche de légitimité d'un pro fil que de création<br />

de nouveaux métiers. Sauf que pour le légitimer, il faut<br />

p re n d re en compte ce qui existe actuellement, les<br />

diplômes qui existent, les dispositifs de financement qui<br />

existent. Si bien qu'à un moment donné, il faut vra i m e n t<br />

clarifier les pro fils, les compétences, la grille de salaire s…<br />

Nous portons cette expérience à bout de bras et<br />

nous n'avons pas le droit à l’erre u r. Il nous faut être efficaces<br />

tout de suite. Cette expérience régionale nous<br />

permet de mettre les responsables institutionnels assez<br />

rapidement autour de la table et les villes ont été aussi<br />

sensibilisées par <strong>des</strong> structures, telles que Culture<br />

Commune. Si cela existe au niveau régional, est-ce que<br />

l'on peut se décliner au plan national ? Nous ouvrons au<br />

niveau national la troisième formation d’encadrants et<br />

t ravaillons en partenariat avec d'autres structures (le<br />

C . R . Y. <strong>des</strong> Yvelines, Trempolino à Nantes et le Florida à<br />

Agen) sur une mise en réseau <strong>des</strong> formations afin de<br />

développer un dispositif, une formation, un diplôme.<br />

Beaucoup nous disent que le “musicien-encadrant",<br />

c'est le mouton à cinq pattes car il faut en même temps<br />

qu'il connaisse bien le milieu musical, qu'il ait baro u d é<br />

dans les groupes, qu'il soit pédagogue, qu'il soit porteur<br />

de projets, qu'il sache accueillir <strong>des</strong> groupes, créer <strong>des</strong><br />

partenariats avec différentes structures... Ce sont les<br />

p e rsonnes qui ont un important parc o u rs personnel qui<br />

vont le mieux répondre à ce pro fil de mouton à cinq<br />

pattes et non pas <strong>des</strong> gens diplômés de la formation<br />

u n i v e rs i t a i re… Le Ministère de la Culture mène actuellement<br />

une réflexion sur la meilleure façon de faire<br />

avancer la formation au niveau <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles en faisant de “l'entrisme" jusque dans<br />

les conservatoires. Arriverons-nous à faire avancer<br />

les choses quand il faudra que de nouveaux<br />

profils entrent dans les tiro i rs de l'ancien dispositif ? Il<br />

n'en reste pas moins la difficulté de financer les postes.<br />

Effectivement, <strong>des</strong> “emplois-jeunes" arrivent mais<br />

quelqu'un qui a un parc o u rs assez important derrière lui<br />

a bien souvent dépassé l'âge de “l'emploi-jeune". De<br />

plus, il ne faudrait pas non plus que <strong>des</strong> gens soient<br />

payés pour donner <strong>des</strong> cours au S.M.I.C. alors qu'un<br />

musicien, enseignant, est payé deux heures pour une<br />

h e u re d'enseignement. Il ne faudrait pas que cela pervertisse<br />

la compétence <strong>des</strong> deux. Cela veut dire aussi<br />

que lorsque nous réfléchissons à de nouvelles formations,<br />

de nouveaux métiers, etc, nous sommes obligés de<br />

penser à la mise à l'emploi. Il va donc falloir interpeller<br />

la DRAC, le Conseil Régional, etc, mais aussi ceux qui<br />

t ravaillent au niveau de l'insertion, de dispositifs<br />

sociaux, économiques…<br />

Développer chez les musiciens un esprit critique<br />

par rapport à cette culture de la professionnalisation<br />

à tous crins<br />

Thierry Duval, coordinateur du C.R.Y. pour la<br />

musique : Le Centre de Ressources Yvelinois est une<br />

association qui fédère 25 structures <strong>des</strong> Yvelines qui<br />

ont une activité de répétition et/ou de diffusion. Ce<br />

réseau, existant depuis bientôt une dizaine d'années,<br />

s'est constitué à la fin <strong>des</strong> années 80 à l'initiative<br />

d'une douzaine de dire c t e u rs MJC qui, sur la question<br />

de savoir comment ils allaient pouvoir travailler ou<br />

r é p o n d re aux pratiques musicales <strong>des</strong> jeunes, ont décidé<br />

de s'associer en conjuguant leurs moyens pour<br />

essayer d'apporter <strong>des</strong> réponses collectives. Au fil <strong>des</strong><br />

années, ce réseau s'est étoffé pour créer en 1995 le<br />

secteur “centre de ressources". Concrètement, cela<br />

veut dire mener une mission d'information, être<br />

capable de pouvoir informer et renseigner l'ensemble<br />

<strong>des</strong> acteurs du champ de ce que l'on appelle les<br />

musiques actuelles amplifiées, sur le département <strong>des</strong><br />

Yvelines. Cela va <strong>des</strong> informations basiques de mise en<br />

relation entre musiciens <strong>des</strong> groupes, jusqu’à tenir <strong>des</strong><br />

listings mis à jour <strong>des</strong> groupes existants, <strong>des</strong> lieux de<br />

répétition, <strong>des</strong> lieux de diffusion, d'enre g i s t rement. Il<br />

s’agit également d’être capable d'apporter <strong>des</strong> conseils<br />

aux différents acteurs, aussi bien <strong>des</strong> musiciens que<br />

<strong>des</strong> porteurs de projets, <strong>des</strong> acteurs que <strong>des</strong> élus, sur<br />

<strong>des</strong> projets d'équipement notamment, et de dre s s e r<br />

r é g u l i è rement un état <strong>des</strong> lieux sur le département <strong>des</strong><br />

politiques locales menées autour <strong>des</strong> musiques<br />

a c t u e l l e s .<br />

Quant à la philosophie de cette mission d'information,<br />

nous essayons au maximum d'aider, surtout en<br />

ce qui concerne les musiciens “amateurs”, à s'autoévaluer<br />

dans leur niveau de pratique. Comme l'a décrit<br />

Gaby en introduction, nous sommes dans un milieu<br />

idéalement fantasmatique, il y a donc vraiment besoin<br />

de réintro d u i re l’objectivité par rapport à ce que produisent<br />

réellement les groupes et/ou les individus et ce<br />

à quoi ils peuvent prétendre, à court terme en tout<br />

cas, en termes de développement de carrière. Nous<br />

essayons de développer aussi chez les musiciens un<br />

esprit critique par rapport à cette culture de la professionnalisation<br />

à tous crins. Notre devise en<br />

quelque sorte, c'est de les aider à vivre au mieux leur<br />

p ratique musicale.<br />

Dès le départ, le C.R.Y. a fixé la notion de formation<br />

comme un axe central de toutes ses actions.<br />

Depuis 9 ans, le C.R.Y. propose aux groupes un accompagnement<br />

sur leur temps de répétition par <strong>des</strong> musiciens<br />

6 1


6 2<br />

YOUNG GODS


p rofessionnels, pour leur permettre de travailler sur<br />

l e u rs métho<strong>des</strong> de répétition, de création, et de<br />

construction de leur pro p re répertoire. Nous leur donnons<br />

<strong>des</strong> savoirs sur tout ce qui est de l'ord re de la gestion<br />

sonore, de l'arrangement, de la structuration, de la<br />

mise en place <strong>des</strong> morceaux, de l'interprétation… Si les<br />

musiciens ne sont pas spontanément demandeurs de<br />

formation, ils répondent néanmoins très favora b l e m e n t<br />

à l’offre. Un deuxième niveau de formation a été mis en<br />

place depuis trois ans qui s'adresse à <strong>des</strong> groupes, une<br />

douzaine par an, dont certains <strong>des</strong> membres ont <strong>des</strong> velléités<br />

d'insertion professionnelle. Dans ce cas, ce sont<br />

<strong>des</strong> formations plus spécifiques de perfectionnement.<br />

Cela nous a amenés bien entendu à avoir une réfle x i o n<br />

sur la formation <strong>des</strong> formateurs. Nous nous sommes<br />

rendu compte que nous avions <strong>des</strong> gens compétents sur<br />

le terrain, <strong>des</strong> musiciens chevronnés qui avaient une<br />

d é m a rche pédagogique mais qu'il fallait les accompagner<br />

dans leur réflexion sur cette situation pédagogique<br />

qui consiste à s ' a d resser à <strong>des</strong> groupes constitués. En ce<br />

qui concerne les lieux de répétition, nous avons mené<br />

tout un travail de sensibilisation <strong>des</strong> élus locaux sur la<br />

nécessité d'avoir <strong>des</strong> lieux adaptés pour pratiquer les<br />

musiques amplifiées.<br />

Nous avons fait également une étude en termes<br />

de personnels. <strong>Les</strong> 30 existant sur le département<br />

accueillent 70 000 heures de répétition par saison pour<br />

e n v i ron 760 groupes. Nous constatons qu'il n'y a que<br />

25 personnes qui sont directement affectées sur la<br />

répétition. Parmi ces 25 personnes, il y a seulement<br />

12 p e rsonnes qui ont <strong>des</strong> C.D.I., dont 3 qui bénéfic i e n t<br />

du dispositif “emplois-jeunes”. Il y a 7 vacataires, donc<br />

à temps partiel, 4 C.E.S. ou C.E.C. et 2 objecteurs de<br />

conscience. Cela montre vraiment le paradoxe entre<br />

une activité en plein développement, où il y a effectivement<br />

beaucoup de pratique amateur et, finalement,<br />

la faiblesse <strong>des</strong> moyens humains qui sont mis en place<br />

pour gérer ce type d'activités. C'est pour cela que nous<br />

avons rejoint la formation d'encadrants proposée par<br />

l'A.R.A. qui est, au niveau national, la seule offre qui<br />

existe en termes de formation qualifiante sur ces<br />

postes-là. Nous constatons le besoin de former et de<br />

qualifier <strong>des</strong> gens pour gérer <strong>des</strong> lieux de répétition et<br />

d ’ a u t res gens qui se trouvent dans la position d'intervenir<br />

d'un point de vue pédagogique auprès <strong>des</strong><br />

g roupes constitués.<br />

Fernand Estèves, FFMJC : Il y a <strong>des</strong> “emplois-jeunes"<br />

présents dans la salle. Avez-vous l'impression d'être sur<br />

de nouveaux métiers ? Est-ce simplement un dispositif<br />

permettant d’accéder à <strong>des</strong> financements ou est-ce<br />

une réalité incontournable ?<br />

Nicolas Beneteau, MJC Bois d'Arcy : C'est à la fois<br />

déguisé et à la fois réel. C'est déguisé dans le sens où,<br />

effectivement, c'est une manière de pouvoir embaucher<br />

p a rce qu'on n'a pas les moyens de le faire. Et c’est réel<br />

p a rce que je pense que par exemple un “régisseur de<br />

studios de répétition", c'est un nouveau métier.<br />

Gaby Bizien, responsable musiques actuelles de<br />

Domaine Musiques Nord-Pas-de-Calais : “Emploijeune",<br />

ce n'est pas un métier ! “Emploi-jeune", c'est<br />

un dispositif d'emplois aidés. Je pense qu'il y a deux<br />

niveaux. Il y a le niveau de l'action d'accompagnement<br />

<strong>des</strong> pratiques, le suivi <strong>des</strong> locaux de répétition, le<br />

développement<br />

<strong>des</strong><br />

a r t i s t e s …<br />

“Emploi-jeune", ce n'est pas un métier !<br />

Demandons-nous si le dispositif <strong>des</strong> emplois-jeunes peut<br />

ou ne peut pas répondre à l'absence de cadre d'emplois ?<br />

Laure Chailloux, A.R.A. - Roubaix : Il ne faut pas tout<br />

m é l a n g e r. Je pense que le métier <strong>des</strong> personnes qui vont<br />

g é rer une activité de répétition peut très bien être aidé,<br />

donc re n t rer dans le cadre <strong>des</strong> emplois-jeunes. Il y a très<br />

peu d'antécédents sur de grosses structures privées. En<br />

revanche, pour les intervenants spécialisés, qui sont <strong>des</strong><br />

m é t i e rs qui font appel à <strong>des</strong> maîtrises et <strong>des</strong> compétences<br />

artistiques fortes, je ne pense pas qu’ils re ntrent<br />

dans le cadre <strong>des</strong> “e mplois-jeunes”. Le statut <strong>des</strong> musiciens<br />

professionnels ne se prête pas du tout à ce dispositif.<br />

Sur de nouveaux métiers que nous avons un peu<br />

i d e n t i fiés et que nous essayons de développer, il y en a<br />

un qui peut re n t rer dans ce dispositif. J'imagine qu'il y<br />

en aura de plus en plus, mais sur l'aspect pédagogique,<br />

cela ne cadre pas avec le dispositif.<br />

Franck Lepage, directeur chargé du développement<br />

culturel de la FFMJC : Nous pouvons lire les “e mploisjeunes"<br />

comme la bouteille à moitié vide ou à moitié<br />

pleine, il s’agit d’une mesure complètement ambiguë. En<br />

g ros, c'est à la fois une mesure fasciste, le summum de<br />

la démagogie et en même temps, c'est une mesure absolument<br />

géniale et une ouverture sans précédent pour la<br />

gauche prolétarienne révolutionnaire. Tout va dépendre<br />

de la façon dont nous, les acteurs, allons nous servir de<br />

ce dispositif. C'est-à-dire que la balle est curieusement<br />

dans notre camp.<br />

L’ O.C.D.E. promeut la notion de service de pro x i-<br />

mité depuis maintenant une dizaine d'années, à la lisière<br />

d'une économie qui devient fascisante et qui consiste<br />

à occuper <strong>des</strong> gens privés d'emploi. Et occuper <strong>des</strong><br />

gens privés d'emploi, c'est la modalité du fascisme.<br />

L'emploi <strong>des</strong> plus de 45 ans est bien plus préoccupant et<br />

6 3


6 4<br />

concerne beaucoup plus de monde que celui <strong>des</strong> jeunes,<br />

mais lorsque l'on dit que l'on crée 350 000 emplois pour<br />

les jeunes, c'est politiquement magique pour un gouvernement.<br />

Nous avons rencontré <strong>des</strong> dire c t e u rs de l'emploi,<br />

de la formation et nous avons réfléchi sur cette<br />

question <strong>des</strong> services publics de proximité.<br />

Il est probable que l'avenir de la démocratie se<br />

joue aujourd'hui dans les fonctions publiques locales.<br />

C'est-à-dire que dans cette interface entre un trav a i l l e u r<br />

d'une fonction collective locale et l'usager, c'est là que<br />

se joue pour demain la démocratie. C'est-à-dire que, soit<br />

tout va se “marchandiser" - l'école va devenir privée,<br />

les transports… - soit nous arrivons à poser la question<br />

du “vivre ensemble" dans une société qui fabrique 7<br />

millions et quelques de précaires et qui est le quatrième<br />

pays le plus riche du monde. Ce qu'on appelle les<br />

emplois de proximité, c'est cela. Le gag de Martine<br />

Aubry finalement, c'est de dire que les dégâts du libéralisme<br />

dans la fonction publique sont tels que l'on va<br />

remettre un petit truc dans la machine en créant 350 000<br />

emplois. Ce dispositif-là offre une carte blanche totale,<br />

je dis bien totale, en termes d'imagination qui est laissée<br />

aux acteurs de terra i n .<br />

Philippe Audubert, responsable du secteur formation<br />

de Trempolino - Nantes : Nous pouvons envisager la<br />

question <strong>des</strong> nouveaux métiers sous différentes formes<br />

et sous différents angles. Nous pouvons nous demander<br />

s’il existe de nouveaux métiers en termes de défin i t i o n<br />

de postes, de pro fils de postes. J'élarg i rai le propos en ne<br />

parlant pas uniquement <strong>des</strong> nouveaux métiers artistiques<br />

dans le domaine <strong>des</strong> musiques dites actuelles,<br />

mais également <strong>des</strong> nouveaux métiers possibles dans les<br />

s e c t e u rs techniques et administratifs. Je suis re s p o n-<br />

sable du secteur formation à Trempolino et, à ce titre ,<br />

j'interviens sur la mise en place de formations, d'actions<br />

de formation sur les trois secteurs suivants : technique,<br />

artistique et administratif. Cela concerne <strong>des</strong> activités<br />

dites amateurs, semi-professionnelles et pro f e s s i o n-<br />

nelles. Nous verrons que la fro n t i è re entre ces tro i s<br />

g roupes est relativement floue puisqu'on peut passer de<br />

l'un à l'autre, dans les deux sens, assez fréquemment.<br />

Sur la création de nouveaux métiers, nous n’allons pas<br />

nous amuser à faire une liste exhaustive <strong>des</strong> nouveaux<br />

m é t i e rs qui peuvent exister dans le domaine <strong>des</strong><br />

musiques actuelles, mais il est évident qu'il en existe un<br />

certain nombre qui apparaissent au fil <strong>des</strong> ans.<br />

Ces nouveaux métiers apparaissent en fonction<br />

<strong>des</strong> nouvelles technologies qui sont pourvoyeuses de<br />

nouveaux pro fils de postes, comme dans le domaine<br />

artistique où <strong>des</strong> musiques dites technologiques nécessitent<br />

qu'il y ait un certain nombre de gens qui soient<br />

q u a l i fiés pour encadre r, pour former et pour exécuter et<br />

p ratiquer ces différents courants musicaux et styles<br />

musicaux. Dans le secteur administratif dans lequel j'englobe<br />

le juridique, la communication, la promotion d'actions,<br />

l'organisation de manifestations, etc, il existe de<br />

nouveaux pro fils de postes et de nouveaux métiers qui<br />

sont créés au fur et à mesure <strong>des</strong> besoins <strong>des</strong> structure s ,<br />

<strong>des</strong> besoins qui émanent <strong>des</strong> collectivités locales. Forc e<br />

est de constater que les collectivités locales sont aussi à<br />

l'origine de nouveaux débouchés, de nouveaux pro fils.<br />

Des pratiques auparavant non déclarées sont<br />

maintenant <strong>des</strong> activités qui voient le jour, qui ont le<br />

d roit de cité, qui sont reconnues et pour lesquelles, il y<br />

a maintenant une offre de débouchés. Si nous lisons les<br />

comptes rendus par la commission emploi-formation, on<br />

voit qu'il y a eu, entre 1985 et 1993, une augmentation<br />

d'effectifs de 73 % dans ces métiers. Il y a donc de nouveaux<br />

métiers, de nouveaux pro fils mais également de<br />

nouveaux débouchés qui sont créés, de fait, par la dynamique<br />

de structures qui, en impulsant <strong>des</strong> activités, sont à<br />

l'origine de créations de postes. Par exemple, Trempolino<br />

est une structure qui a été créée au début <strong>des</strong> années 90,<br />

avec deux personnes : le directeur et une personne qui<br />

s'occupait du Centre Info-Rock. Pour prendre un raccourci,<br />

nous sommes aujourd'hui 14 personnes. Est-ce que ces<br />

nouveaux emplois sont <strong>des</strong> nouveaux métiers ? Pour la<br />

p l upart, oui. Pour la plupart, ce sont <strong>des</strong> métiers qui existent<br />

dans d'autres secteurs d'activité mais qui demandent<br />

<strong>des</strong> compétences particulières et une connaissance particulière<br />

du secteur <strong>des</strong> musiques actuelles.<br />

Sur la structure Trempolino, il y a <strong>des</strong> locaux de<br />

répétition et nous hébergeons également <strong>des</strong> secrétariats<br />

artistiques, c'est-à-dire <strong>des</strong> structures de manag<br />

ement, un<br />

label discog<br />

ra p h i q u e ,<br />

et le réseau<br />

F é d u ro k …<br />

L'ensemble de ce lieu fait actuellement vivre plus de 60<br />

p e rsonnes. Ces personnes étaient peut-être, il y a 10 ans,<br />

d i s p e rsées dans d'autres lieux et travaillaient ailleurs .<br />

Nous savons que la plupart de ces personnes n'étaient ni<br />

artistes, ni professionnels - en admettant le critère de<br />

p rofessionnalisation relatif à l'intermittence du spectacle<br />

- et d'autres étaient carrément hors du marc h é<br />

du travail dans <strong>des</strong> dispositifs d'ai<strong>des</strong> type R.M.I.<br />

Maintenant, ce sont <strong>des</strong> personnes qui tra v a i l l e n t .<br />

Il existe de plus en plus de dispositifs de formation,<br />

que ce soit dans le secteur associatif, comme dans<br />

le secteur univers i t a i re, dans les écoles, publiques et privées,<br />

qui forment à présent <strong>des</strong> gens à <strong>des</strong> emplois<br />

essentiellement administratifs. Cela veut dire qu'il y a<br />

Il y a une offre en matière de<br />

qualification d'emplois qui se développe<br />

c o n s i d é ra b l e m e n t


une offre en matière de qualification d'emplois qui se<br />

développe considérablement. En face, est-ce qu'il existe<br />

une demande de formation ? Oui, il y a une demande de<br />

plus en plus importante de gens pour se former dans ce<br />

s e c t e u r. Nous constatons qu'il y a une sorte d'adéquation<br />

entre l'offre et la demande. Et nous créons <strong>des</strong> profils<br />

de postes tout à fait nouveaux.<br />

Sur la question <strong>des</strong> “emplois jeunes”, je pre n d s<br />

l'exemple de Trempolino qui va embaucher deux personnes<br />

sur ce statut pour un nouveau pro fil de poste qui<br />

concerne le secteur de la production, de la fabrication et<br />

la distribution “d'autoproduits". Nous sommes sur un<br />

secteur neuf qui n'est pas couvert par le secteur marchand.<br />

Nous avons besoin de gens qui aient une<br />

connaissance <strong>des</strong> systèmes de production discographique<br />

à l'échelon de “l'autoproduit", connaissance <strong>des</strong><br />

réseaux locaux, <strong>des</strong> réseaux d'agglomération de diffusion<br />

<strong>des</strong> musiques, etc, et qui aient également <strong>des</strong> compétences<br />

en matière juridique, administrative… en ra p-<br />

port à ce réseau-là. A priori, cela peut tout à fait être<br />

couvert par <strong>des</strong> emplois-jeunes. Après, nous pouvons<br />

t o u j o u rs élargir le débat sur l'opportunité d'embaucher<br />

<strong>des</strong> gens en “e mploi-jeune" ou en “contrat aidé". Sur<br />

les personnes qui travaillent en ce moment sur le site<br />

Trempolino, nous avons absolument toute la palette <strong>des</strong><br />

“emplois aidés". Mais, ce qui est intéressant, c'est que<br />

ces “emplois aidés" le sont tempora i rement par les dispositifs<br />

et que nous arrivons à faire en sorte de créer<br />

l'économie et la dynamique pour les conserver par la<br />

suite, même si ce n'est pas toujours simple. Pour ces<br />

postes, ce sont essentiellement <strong>des</strong> personnes qui<br />

avaient <strong>des</strong> pratiques amateurs au sens large du terme,<br />

c ' e s t - à - d i re qu'ils étaient à l'origine de projets, qu'ils<br />

impulsaient <strong>des</strong> projets et se créaient leur pro p re curs u s<br />

de formation. Le problème auquel nous sommes tous<br />

c o n f rontés est d'ord re économique. Quand est-ce que<br />

l'on va pouvoir décemment, dans le domaine <strong>des</strong><br />

musiques actuelles, avoir une économie qui permette<br />

justement de financer le développement <strong>des</strong> différe n t s<br />

p rojets, et d’aider les porteurs de projets à avancer dans<br />

leur initiative ?<br />

Bruno Ponge, gérant de T. R.I.P.S. : Nous venons du<br />

tissu associatif. À la base, nous ne connaissions rien au<br />

monde de la musique. Je suis le seul dans notre structure<br />

qui ait bénéficié d'un stage d'une semaine à l'I.R.M.A.<br />

sur le management. Nous n'avons pas poursuivi dans les<br />

stages justement parce que nous trouvons que, dès que<br />

nous sommes confrontés aux problèmes du terrain, cela<br />

s'effrite assez rapidement et il nous faut trouver <strong>des</strong><br />

solutions qui ne sont pas dans le manuel. Par ailleurs, je<br />

c rois que ce sont surtout d’anciens métiers qui existaient<br />

déjà et que l'on recycle en fonction <strong>des</strong> nouvelles<br />

technologies, de l'apparition de nouvelles musiques et<br />

de nouvelles formes de tentatives d'organisation de soirées<br />

ou de concerts. De plus, notre postulat de base est<br />

que le management est un métier qui n'est pas re c o n n u<br />

en France. Normalement, pour tenir ce rôle de manager,<br />

il faut avoir une licence d'agent artistique. C’est quelque<br />

chose que nous n'acceptons pas parce que nous ne nous<br />

c o n s i d é rons pas comme <strong>des</strong> simples maquereaux qui<br />

p rennent 10 % au passage.<br />

Nous sommes très impliqués au niveau de la vie<br />

sociale parce que notre démarche est politique. À savoir,<br />

qu’il est vrai que nous pro fitons de certaines ai<strong>des</strong> et<br />

d'un certain nombre de choses, mais d'une façon générale,<br />

nous avons essayé de nous en sortir nous-mêmes et<br />

par le biais de l'économie de marché. C'est-à-dire vendre<br />

<strong>des</strong> concerts en ne perdant pas d'argent, en faisant en<br />

sorte que nous puissions même faire <strong>des</strong> économies qui<br />

permettent de pro d u i re. Nous en arrivons à une<br />

r é flexion qui est la suivante : mieux on contrôle les<br />

choses du début à la fin - à savoir production, fabrication,<br />

distribution,<br />

management,<br />

tournée -<br />

mieux cela nous<br />

permet d'arriver à une sorte d’autarcie. Autarcie sponsorisée<br />

par l'État parce que nous en sommes même arrivés à<br />

employer <strong>des</strong> musiciens en début de carrière comme C.E.S.<br />

pour qu'ils puissent avoir <strong>des</strong> revenus. J'imagine que vous<br />

connaissez tous les cachets <strong>des</strong> groupes débutants et, bien<br />

entendu, cela ne permet pas de payer <strong>des</strong> salaires avec <strong>des</strong><br />

charges. Cela fait partie de la règle du jeu, puisque ce sont<br />

<strong>des</strong> groupes qui n'amènent pas de public. Je pense qu'il y<br />

a beaucoup de déperdition au niveau <strong>des</strong> subventions.<br />

Nous ne sommes pas du tout d’accord avec le système<br />

d'attribution d'un certain nombre de subventions<br />

“ai<strong>des</strong> au développement de carrière", etc, dont on sait<br />

que ce sont <strong>des</strong> personnes peu respectables qui distribuent<br />

l'argent, qui se le mettent dans les poches. En fait, ce sont<br />

<strong>des</strong> sommes très importantes qui vont à <strong>des</strong> groupes qui<br />

ne nécessitent absolument pas un développement,<br />

puisque ce sont <strong>des</strong> groupes qui ont déjà <strong>des</strong> maisons de<br />

disques, qui ont <strong>des</strong> éditeurs. Cela veut tout simplement<br />

dire que l'argent va à ceux qui l'ont déjà !<br />

Ce qui est sûr, d'une façon générale, c'est qu'il<br />

faut s'org a n i s e r. Nous sommes obligés de fonctionner<br />

avec <strong>des</strong> associations pour les C.E.S., et avec une S.A.R.L.<br />

pour un certain nombre d'activités économiques que<br />

nous sommes obligés de développer pour gagner de l’argent<br />

et qui nous permettent ainsi une certaine indépendance.<br />

Je pense, par exemple, au merchandising pour<br />

lequel nous essayons à l'intérieur de notre structure de<br />

Il y a beaucoup de déperdition<br />

au niveau <strong>des</strong> subventions<br />

6 5


6 6<br />

prendre <strong>des</strong> gens qui sortent <strong>des</strong> écoles de communication.<br />

Bien entendu, ces personnes sont rémunérées<br />

comme C.E.S. au départ, voire comme technicien fic t i f<br />

sur <strong>des</strong> concerts, et elles font de la “promo" sur les fanzines<br />

et les radios locales.<br />

Pour la formation, il est vrai que nous avons peu<br />

de moyens mais une <strong>des</strong> bases de notre métier, tel qu'on<br />

le conçoit en tout cas, outre l'engagement politique,<br />

c'est le fait de “s'autoformer" les uns les autres. Nous le<br />

faisons vraiment bénévolement. En général, l'artiste ne<br />

connaît rien au niveau <strong>des</strong> maisons d’édition et <strong>des</strong><br />

c o n t rats <strong>des</strong> maisons de disques. Tout cela, ce sont <strong>des</strong><br />

renseignements que nous donnons gratuitement. Nous<br />

m o n t rons les contrats que nous avons signés pour nos<br />

g roupes. Il n'y a pas de honte à cela, on fait toujours <strong>des</strong><br />

erreurs, on n'a jamais les meilleurs contrats tant qu'on<br />

ne tape pas du poing sur la table en disant “je signe que<br />

si tu me donnes de l’argent". Nous avons <strong>des</strong> gro u p e s<br />

qui ont été signés par <strong>des</strong> “major company” p a rce que<br />

nous leur proposions une manière de tra v a i l l e r. Nous<br />

faisons aussi de “l'auto-promo" en publiant <strong>des</strong> fanzines<br />

financés en grande partie par nos partenaire s<br />

m a j o rs sans qu'ils aient un mot à dire sur le contenu.<br />

Nous avons affaire à <strong>des</strong> interlocuteurs qui ont une étincelle<br />

d'intelligence de temps à autre et qui ont compris<br />

que c'était bénéfique pour leurs artistes.<br />

Christian Roux, directeur du Centre de Création<br />

Musicale - Brest : Le C.C.M. est une association qui a 9<br />

ans et qui gère deux équipements depuis 3 ans. Le nouvel<br />

équipement est un équipement culturel décentra l i s é<br />

et implanté dans un quartier défavorisé. Un schéma<br />

assez classique que l'on re n c o n t re dans les gro s s e s<br />

a g g l o m é rations. Nous sommes 3 temps pleins sur les 6<br />

C.D.I., mais 15 personnes travaillent sur ces deux équipements.<br />

Je vous laisse faire la différence entre 6 et 15<br />

pour compre n d re ce que cela peut donner en termes de<br />

p é rennisation <strong>des</strong> actions avec une telle précarité <strong>des</strong><br />

emplois.<br />

Il y a une différence majeure entre les “e mploisville”<br />

et les “e mplois-jeunes” qui est que pour le dispositif<br />

“e mploi-jeune", le jeune peut ne pas être issu du<br />

milieu. Nous avons embauché un jeune sur un contra t<br />

ville. Il s’agissait du premier dans le département, le préfet<br />

s'est donc déplacé, il devait y avoir cinq ou six chefs<br />

<strong>Les</strong> “emplois-jeunes" apparaissent comme une superbe<br />

opportunité en termes de besoins non satisfaits<br />

de service de l'État. Nous avons joué le jeu. Le jeune<br />

recruté a reçu <strong>des</strong> formations en interne, en son et en<br />

nouvelles technologies. C'était quelqu'un qui était assez<br />

musicien mais de manière basique. Un an et demi après,<br />

il a déménagé, il n'habite plus<br />

dans son quartier et il tra v a i l l e<br />

maintenant dans le privé au<br />

sein d’une entreprise de son.<br />

L'intermittence et les possibilités<br />

que cela apporte sont <strong>des</strong><br />

choses qu'il a découvertes il y a<br />

peu de temps. Aussi préfère - t - i l<br />

t ravailler comme intermittent<br />

dans une boîte de son que de<br />

continuer à être “e mploi-ville"<br />

dans le quartier où il a longtemps<br />

vécu. Nous allons donc<br />

recommencer à zéro avec une<br />

a u t re pers o n n e .<br />

Au vu <strong>des</strong> problèmes de<br />

précarité auxquels nous sommes<br />

donc tous confrontés, les “e m-<br />

plois- jeunes" a p p a ra i s s e n t<br />

comme une superbe opportunité.<br />

Je raisonne en termes de besoins<br />

non satisfaits. Notre démarche a<br />

été de réfléchir sur le secteur <strong>des</strong><br />

musiques actuelles avec une<br />

a p p roche départementale, en<br />

nous posant <strong>des</strong> questions sur<br />

nos besoins. Nous avons constaté<br />

que, sur la région Bretagne, il était<br />

possible de créer 60 “e mploisjeunes".<br />

Nous avons proposé à la<br />

c h a rgée de mission de la préfect<br />

u re de médiatiser l'affaire<br />

puisque nous avions vu qu'un préfet<br />

était capable de se déplacer<br />

uniquement pour signer un<br />

c o n t rat “emploi-ville". Nous nous<br />

sommes aperçus qu'il y avait <strong>des</strong><br />

budgets pour réaliser <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />

de faisabilité de mise en place de<br />

tel ou tel nouveau service, de<br />

r é p o n d re à tel ou tel besoin qu'on<br />

avait pu identifie r. Malheure usement,<br />

il est clair qu’il existe <strong>des</strong> manques<br />

évidents de formation basique dans<br />

d'autres ministères qu'au Ministère de<br />

la Culture, concernant l'industrie<br />

musicale et les pratiques <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles. <strong>Les</strong> personnes <strong>des</strong> Ministère s<br />

Jeunesse et Sports et Emploi et Solidarité ont besoin<br />

d ' i nformations, sinon c’est la noyade complète.<br />

Nous avons donc fait une demande pour une étude<br />

de faisabilité sur ce gisement d'emplois, ces nouveaux


ALABAMA 3<br />

emplois qui pouvaient être créés dans ce secteur, et cela a<br />

été refusé parce que, peut-être, cela leur faisait peur.<br />

J’ai envie de parler de championnat du monde ou de<br />

coupe du monde de l'hypocrisie. L’hypocrite dans l'histoire,<br />

est-ce le préfet qui active tout, avec <strong>des</strong> quotas à<br />

re m p l i r, et qui répond au maire d'une commune,<br />

l o rsque celui-ci lui dit qu'il trouve le dispositif<br />

“emploi-jeune" très bien parce qu'il va pouvoir<br />

employer un autre bibliothécaire alors qu'il en manquait<br />

un depuis longtemps : “Monsieur le Maire,<br />

vous n'y pensez pas ! En aucune manière ce dispositif<br />

ne pourrait permettre de créer <strong>des</strong> postes qui<br />

6 7


6 8<br />

correspondent à <strong>des</strong> emplois de la fonction<br />

publique et <strong>des</strong> emplois déjà existants". Stupeur du<br />

m a i re devant l'assemblée de notables locaux et de<br />

qui s’investissaient dans ces pratiques. Nous sommes<br />

un certain nombre à penser qu'une bonne hypothèse<br />

de travail autour de la citoyenneté avec les jeunes<br />

f o n c t i o n n a i res ! Finalement, le préfet a dit : dans ce pays passe, entre autres, par un travail autour<br />

“Monsieur le Maire, vous avez besoin d'un médiateur<br />

du livre…". C'est classique. Je connais une<br />

bibliothèque de quartier où quelqu’un en C.D.D. a vu<br />

son contrat non renouvelé, il y a un “emploi-jeune"<br />

qui est sur le poste depuis pas longtemps. Donc nous<br />

voyons bien la frilosité de la direction du travail. Mais<br />

l’hypocrisie peut être à notre niveau par rapport aux<br />

difficultés de travailler réellement en réseaux.<br />

De nouveaux emplois pourraient être créés sur le<br />

secteur du disque. En référence à l’expérience de<br />

Trempolino, en France il pourrait y avoir 200 emplois<br />

créés pour répondre correctement à <strong>des</strong> besoins qui<br />

<strong>des</strong> musiques amplifiées.<br />

<strong>Les</strong> élus <strong>des</strong> conseils d'administration <strong>des</strong> MJC,<br />

les élus <strong>des</strong> conseils d'administration <strong>des</strong> Fédéra t i o n s<br />

Régionales, les élus du conseil d'administration de la<br />

FFMJC, ont eu beaucoup de mal à aller sur l'examen<br />

de ces questions-là. Pour plusieurs raisons. Au niveau<br />

local, il appara î t rait que l'administrateur moyen de<br />

MJC a plus de 45 ans, et que sur cette question <strong>des</strong><br />

musiques amplifiées, il manque d'information ou de<br />

formation. Dans les échelons qui sont chargés de<br />

mener <strong>des</strong> politiques collectives <strong>des</strong> MJC, que ce soit<br />

à l'échelon régional ou national, nous ne sommes pas<br />

sont réels au niveau <strong>des</strong> jeunes artistes et<br />

même <strong>des</strong> amateurs. Quant aux pro f e s s e u rs de<br />

rap, je ne sais pas si le Ministère de la Culture<br />

Nous sommes un produit social comme un autre<br />

continue à nous concocter un Diplôme d'État, mais en ce moment dans <strong>des</strong> préoccupations concrètes de<br />

c'est vrai que, pour l’instant, il est impossible de tro u- ce type-là. Nous avons une histoire et un système de<br />

ver un enseignant diplômé d’État qui puisse venir gestion et de réflexion sur la partie bénévole de la<br />

enseigner le rap dans le quartier. Nous pourrions FFMJC qui sont marqués, qui sont datés. Nous sommes<br />

mutualiser nos moyens afin de constituer une sorte un produit social comme un autre, rien de plus. Notre<br />

d'antenne qui rayonne sur le département ou sur le p roblème en interne va être de leur dire que l’on comp<br />

rend bien que les élus du conseil d'administra t i o n<br />

n o rd du d é p a r t e m e n t .<br />

national ne soient pas disponibles pour passer tro i s<br />

Nicolas Louillet, animateur MJC d'Halluin : En plus j o u rs à Évreux mais que, lorsqu’il y a une petite centaine<br />

de personnes qui bougent sur ces questions en<br />

d ' ê t re “emploi-jeune", je suis médiateur culturel. J'ai<br />

connu la MJC d'Halluin à une époque où j'y répétais ce moment, c'est une grande victoire. Il faut maintenant<br />

transformer l'essai, c'est-à-dire que cela doit<br />

en tant que musicien. La personne qui s'occupait de<br />

g é rer les locaux de répétition était à l'époque, me interpeller au plan politique parce que les vrais politiques<br />

de la FFMJC, ce sont les administra t e u rs .<br />

semble-t-il, en C.E.S. J'y reviens 5 ans après, elle est<br />

en C.E.C. à 3/4 temps ! J'ai signé un contrat pour 60<br />

mois mais j’aimerais savoir si, dans 5 ans, je dois Bruno Ponge, gérant de T. R.I.P.S. : Compte tenu du<br />

c h e rcher un autre boulot, ou si on va pérenniser les fait qu’un certain nombre de MJC organisent <strong>des</strong><br />

postes créés ? Quand j'ai été embauché, on m'a dit concerts et donc effectuent <strong>des</strong> <strong>actes</strong> de nature comm<br />

e rciale, est-il possible de diversifier leur activité et<br />

qu'on allait faire en sorte que l'emploi soit pére n n i-<br />

sé. N’est-il pas du rôle d’une fédération d'aller taper d ' i n t ro d u i re <strong>des</strong> activités commerciales à l'intérieur<br />

sur la table et de dire que nous travaillons sur les <strong>des</strong> structures ? Par exemple, les MJC pourra i e n t -<br />

questions <strong>des</strong> musiques amplifiées, que nous embauchons<br />

<strong>des</strong> personnes avec <strong>des</strong> contrats précaires, et disques comme cela ce fait dans l'ensemble <strong>des</strong><br />

elles mettre en place <strong>des</strong> sortes de magasins de<br />

qu’il serait maintenant temps de re c o n n a î t re un peu squatts d'Europe ? Cela développerait financière m e n t<br />

tout cela ?<br />

un marché qui en a besoin puisque tous les “autoproduits"<br />

ont vraiment du mal à trouver leur place<br />

Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière - dans les circuits de distribution traditionnels et même<br />

Saint-Herblain : L o rsque j’étais chargé de mission <strong>des</strong> artistes produits par <strong>des</strong> indépendants, voire <strong>des</strong><br />

auprès de la Fédération Régionale du Nord - Pa s - d e - m a j o rs, mais qui n'ont pas les moyens nécessaires à<br />

Calais, nous avons été quelques-uns à nous embarq u e r leur pro m o t i o n .<br />

dans une aventure de travail autour <strong>des</strong> musiques<br />

amplifiées. J'ai constaté, en arrivant dans le Nord - Joël Le Crosnier, directeur Centre d’Action Culturelle<br />

Pas-de-Calais, qu'il y avait un certain nombre de MJC Georges Brassens - Mantes-la-Jolie : Il y a <strong>des</strong> MJC qui


ont <strong>des</strong> secteurs commerciaux. Au C.A.C. Georg e s<br />

B rassens, nous avons <strong>des</strong> studios de répétition, un bar<br />

avec une licence II. Nous organisons <strong>des</strong> spectacles, nous<br />

louons <strong>des</strong> salles... Ce sont <strong>des</strong> activités commerc i a l e s .<br />

Par ailleurs, nous avons <strong>des</strong> activités classiques MJC.<br />

Concernant la production, nous produisons <strong>des</strong> C.D. que<br />

nous ne vendons pas. Nous les donnons, nous les distribuons<br />

puisque notre objectif n'est pas directement comm<br />

e rcial. Mais l'instrumentation est en place. Nous éditons<br />

<strong>des</strong> livres que nous ne vendons pas non plus. Po u r<br />

qu’il y ait un réseau national ou pour que l'on tra v a i l l e<br />

sur un système plus alternatif, il faudrait justement que<br />

l'on soit plus alternatif, y compris dans nos pra t i q u e s .<br />

Sommes-nous prêts à aller sur l'alternatif et à nous<br />

engager collectivement sur le soutien <strong>des</strong> groupes ?<br />

Dans tous les coins de la France, il y a <strong>des</strong> musiciens qui<br />

ont <strong>des</strong> choses à dire, qui sortent un peu du seul cri du<br />

quartier et qui essaient d'aller un peu plus loin. Pe u t -<br />

ê t re que nous aurions intérêt à les aider à tourner au<br />

niveau national. A Mantes-La-Jolie, nous avons 150 formations<br />

qui sont inscrites chez nous, dont 40 en permanence.<br />

Nous tournons dans les MJC assez régulière m e n t .<br />

Pour celles qui n'ont pas d'argent, nous y allons avec <strong>des</strong><br />

sonos, nous amenons <strong>des</strong> plateaux complets. Bref, nous<br />

essayons de faire ce que nous pouvons avec les moyens<br />

que nous avons.<br />

En contrepoint, nous avons embauché 5<br />

“e mplois-jeunes". En tant que gestionnaire, je pro v i-<br />

sionne pour le licenciement puisqu’aujourd'hui pers o n-<br />

ne n'est capable de me<br />

r é p o n d re sur les questions<br />

de pérennité. J'ai<br />

posé la question au<br />

m a i re qui m'a répondu : “Pourquoi est-ce que vous<br />

faites une provision pour les licenciements ?". Je lui<br />

ai demandé de me signer un papier sur une prise en<br />

c h a rge <strong>des</strong> emplois après la fin <strong>des</strong> contrats : il n'a pas<br />

voulu. Idem pour la préfecture. Si nous ne pro v i s i o n-<br />

nons pas le licenciement aujourd'hui, nous sommes <strong>des</strong><br />

m e n t e u rs parce que l'on sait très bien que notre production<br />

ne permet pas de faire vivre ces “emploisjeunes"<br />

après coup. Au bar, nous vendons la bière à 8<br />

f rancs, ce n'est pas du business. Le bar n'est que le<br />

prétexte du lieu de rendez-vous. Nous ne pro d u i s o n s<br />

donc pas d'argent.<br />

Actuellement, chaque dire c t e u r, avec chaque<br />

conseil d'administration, prend ses responsabilités dans<br />

son coin. Chaque directeur joue avec la loi, c'est-à-dire<br />

en cherchant les limites. Le jour où les impôts nous<br />

tombent <strong>des</strong>sus et nous disent que ce que nous faisons<br />

est majoritairement commercial, tout le secteur, y<br />

compris le secteur socio-culturel ou le secteur préven-<br />

Nous sommes toujours à la<br />

limite de la loi<br />

tif, devient commercial et à partir de là, nous plongeons<br />

dans le commerce. Nous sommes toujours à la<br />

limite de la loi. Au niveau de la production, le fait que<br />

nous ne vendions pas de disques n'empêche pas que<br />

nous sommes <strong>des</strong> pro d u c t e u rs. Et le fait d'être <strong>des</strong> prod<br />

u c t e u rs nous soumet aux règles <strong>des</strong> pro d u c t e u rs .<br />

Pa reil pour l'édition. Nous avons le droit à 10 ouvra g e s<br />

sur une période donnée. Le choix que nous avons fait<br />

est de travailler sur le fil du ra s o i r. Si un jour, nous<br />

avons un contrôle poussé de l'U.R.S.S.A.F, <strong>des</strong> impôts,<br />

etc., il y aura débat politique parce que c'est une question<br />

qu'il faut poser politiquement. Ce n'est pas à nous<br />

de la poser parce que je ne suis pas sûr que nous en<br />

ayons la force volontaire et militante. C'est l'incident<br />

qui va créer le débat puisqu'en France, on agit toujours<br />

après incident et jamais avant.<br />

Jean-Louis Sautreau (ex-Agence <strong>des</strong> Lieux Musicaux,<br />

a intégré depuis peu la D.M.D.T.S. du Ministère de la<br />

Culture) : Je vais essayer de faire une synthèse assez<br />

rapide d'un rapport effectué par l’Agence sur plusieurs<br />

équipements de musiques actuelles “labellisés" “c afémusique"<br />

ou intégrés au dispositif S.M.A.C. Nous avons<br />

pu constater que l'utilisation <strong>des</strong> techniques contemp<br />

o raines de communication - expression que je préfère<br />

à “nouvelles technologies" - dans ces équipements<br />

se décline sur plusieurs axes. La formation et la consultation<br />

accessibles au public sur <strong>des</strong> plates-formes<br />

informatiques, et la création de sites Web qui concernent<br />

l'aspect communication <strong>des</strong> équipements. On y re trouve<br />

la pro g rammation <strong>des</strong> lieux, les renseignements sur les<br />

activités pratiquées, <strong>des</strong> fiches techniques sur <strong>des</strong> lieux,<br />

etc. Autre axe : la formation <strong>des</strong> publics au multimédia<br />

dans le cadre d'ateliers. Il existe là <strong>des</strong> formations sur<br />

les techniques qui sont <strong>des</strong> langages de <strong>des</strong>cription de<br />

pages We b, <strong>des</strong> langages de pro g rammation ou de la<br />

formation sur logiciels d'images de synthèse. Dernier<br />

axe : la diffusion artistique. En fait, les lieux re t ra n s-<br />

mettent <strong>des</strong> extraits de concerts via le net. Donc, on<br />

peut considérer que l'espace de diffusion s'agra n d i t<br />

dans le cadre d'une arc h i t e c t u re immatérielle qu'est<br />

l'Internet. Nous constatons deux choses : un concert<br />

peut être vu et entendu par <strong>des</strong> gens dans différe n t s<br />

lieux et à <strong>des</strong> hora i res différents et, pour le moment,<br />

on se contente d'une re t ransmission de type TV, mais<br />

il est possible d'imaginer d'autres mo<strong>des</strong> de diffusion<br />

plus interactifs, par exemple le m u l t i - f e n ê t rage de<br />

l ' o rd i n a t e u r. À tra v e rs ces exemples, nous voyons bien<br />

que de nouveaux métiers vont se développer dans les<br />

équipements de diffusion, tous liés aux techniques de<br />

numérisation de documentation ou de type adm<br />

i n i s t rateur de bases de données ou de réseaux.<br />

6 9


Par ailleurs, nous avons pu<br />

constater que <strong>des</strong> partenariats<br />

avec le secteur privé se mettent<br />

en place. Cela va de la mise à<br />

disposition de matériel informatique<br />

jusqu'à <strong>des</strong> partenariats<br />

avec <strong>des</strong> “câblopérateurs". <strong>Les</strong><br />

mo<strong>des</strong> d'organisation <strong>des</strong> struct<br />

u res culturelles sont appelés à<br />

évoluer par la mise en place de<br />

systèmes d'organisation tra n s-<br />

v e rsaux où l'information n'est<br />

plus un enjeu de pouvoir. <strong>Les</strong><br />

économies d'échelle sont dans<br />

les réseaux qui font baisser les<br />

<strong>Les</strong> mo<strong>des</strong> d'organisation <strong>des</strong> structures culturelles sont<br />

appelés à évoluer par la mise en place de systèmes<br />

d'organisation transversaux où l'information n'est plus<br />

un enjeu de pouvoir<br />

f rais généraux. Nous passons<br />

d'une logique de distribution de<br />

t ravail à celle de réseaux de partage<br />

de compétences, donc de<br />

diminution <strong>des</strong> coûts fixes au<br />

bénéfice <strong>des</strong> coûts variables.<br />

Nous entrons dans un contexte<br />

d ' e n t reprises éclatées.<br />

J ' a i m e rais également<br />

souligner un aspect sur lequel<br />

nous devons nous interroger :<br />

c'est celui de la fusion de l'artiste<br />

et du technicien en une<br />

seule entité. On le voit précisément<br />

dans le rap et la techno<br />

où le musicien doit être également<br />

technicien pour manipuler<br />

l'environnement informatique<br />

ainsi que le mixage <strong>des</strong><br />

sons. Dans le multimédia, on<br />

parle de travaux collectifs ou<br />

d ' œ u v res collectives puisqu'il<br />

n'est pas ra re de re t rouver <strong>des</strong><br />

contributions artistiques de<br />

g raphistes, de musiciens, de<br />

PERRY BLAKE scénaristes, d'informaticiens,<br />

<strong>des</strong> cherc h e u rs univers i t a i re s ,<br />

etc. Nous y re t rouvons donc les notions de pluridisciplinarité<br />

ou d'inter-pluridisciplinarité.<br />

Jean-Claude Perrot, directeur MCL de Metz : J ' a v a i s<br />

envie, avec l'autorisation de mon collègue d'Halluin,<br />

d’ajouter un post-scriptum à la lettre qu'il a écrite à<br />

sa mère. Celui-ci aurait été le suivant :<br />

P.-S. : “Si tu <strong>rencontres</strong> mon maire, dis-lui<br />

surtout que les MJC sont souvent <strong>des</strong> lieux posés à<br />

l'articulation <strong>des</strong> contenus, animation, formation,<br />

diffusion, création et que ce sont aussi <strong>des</strong> lieux,<br />

naturellement, de médiation de ces contenus avec<br />

<strong>des</strong> acteurs, en l'occurrence ici, musiciens, animateurs<br />

professionnels ou amateurs, avec la population,<br />

avec <strong>des</strong> publics - dans mon esprit, public et<br />

population, ce n'est pas la même chose - avec <strong>des</strong><br />

institutionnels et <strong>des</strong> pouvoirs publics. Si jamais il<br />

veut que je réalise son projet, il faudra qu'il me<br />

laisse du temps pour me former à l'acquisition d es<br />

connaissances <strong>des</strong> multiples champs, artistique,<br />

économique, technique, politique et<br />

social qui constituent mon domaine d'action<br />

spécifique."<br />

J'ai ajouté ce post-scriptum, parce que<br />

je me sens interrogé par la question <strong>des</strong> formations<br />

à mettre en œuvre pour faire face à la complexité<br />

grandissante <strong>des</strong> métiers actuels. Des confusions<br />

me semblent entretenues entre <strong>des</strong> nouveaux<br />

m é t i e rs et <strong>des</strong> nouveaux emplois. C'est-à-dire entre la<br />

capacité effectivement laissée à l'imagination individuelle<br />

et collective de combattre la crise du sens politique<br />

et du social et <strong>des</strong> mesures d'accompagnement<br />

qui sont certes nécessaires et qui, encore aujourd ' h u i ,<br />

n ’ a p p a raissent que comme <strong>des</strong> pansements. D’où la<br />

confusion entretenue lorsqu’on parle de nouveaux<br />

m é t i e rs autour d'une nouvelle terminologie pour qualifier<br />

autrement d'anciens métiers pour lesquels<br />

toutes les formations et tous les champs d'actions<br />

n'ont ni été exploités, ni été reconnus. Je pense, par<br />

exemple que la médiation, ce n'est pas un métier.<br />

C'est une compétence complémentaire à un métier<br />

existant et en aucun cas ce n'est un métier.<br />

Pour répondre plus précisément à la question <strong>des</strong><br />

nouveaux métiers en matière de multimédia, je pense<br />

qu’effectivement le champ technologique évolue<br />

chaque jour et fait appara î t re ce que l'on pourrait appeler<br />

de nouveaux métiers, mais avec là aussi <strong>des</strong> contra dictions.<br />

Nous avons par exemple à la Maison de la Culture<br />

de Metz un centre multimédia à partir duquel nous<br />

développons un secteur formation, un secteur de production,<br />

c'est-à-dire que nous produisons <strong>des</strong> CD-ROM.<br />

Nous avons aussi un secteur qui est en fait une sorte<br />

d'atelier où l’on accueille <strong>des</strong> artistes avec la seule<br />

volonté de leur poser la question de l'intégration de ces<br />

technologies nouvelles dans leur geste artistique, ce<br />

que cela représente, l’intérêt que cela peut pro c u re r.<br />

71


72<br />

La médiation, ce n’est pas un métier<br />

Par exemple, si vous connaissez le site internet de<br />

Charlélie Couture, il a été réalisé chez nous.<br />

Ces nouveaux métiers nous posent de sérieuses<br />

questions, dont celle qui consiste à ne pas confondre<br />

la compétence technique et le geste artistique. On<br />

assiste trop souvent à <strong>des</strong> re vendications d ' o rd re technique<br />

qui se prétendent <strong>des</strong> revendications artistiques.<br />

Je<br />

pense que si<br />

nous avons<br />

un certain nombre de choses à défendre dans ces nouveaux<br />

métiers, c'est bien de ne pas entretenir cette<br />

confusion et de laisser aux artistes la possibilité de<br />

leur expression artistique, accompagnée <strong>des</strong> techniciens<br />

nécessaires pour le faire. Je pense aussi que la<br />

question de la diffusion - non pas de l'information car<br />

celle-là est entendue - du produit culturel interro g e .<br />

Pour être très schématique, est-ce qu’en ayant vu La<br />

Joconde sur le réseau internet, on aura vu La Joconde ?<br />

Je pense que dans le rapport pédagogique que nous<br />

avons avec les populations, nous pouvons nous poser<br />

la question. Est-ce qu'en ayant vu sur internet le<br />

concert de tel ou tel groupe, on aura vraiment vu le<br />

concert de tel ou tel groupe ? Je crois que cela pose la<br />

question de la relation au spectacle vivant. À terme, le<br />

secteur marchand étant tellement prégnant dans ces<br />

questions-là, ce sont vraiment <strong>des</strong> questions à se<br />

p o s e r. Derrière tout cela, il y a la question du droit <strong>des</strong><br />

artistes, la question de la protection <strong>des</strong> œuvres, la<br />

question de la confrontation réelle <strong>des</strong> populations<br />

aux productions <strong>des</strong> œuvres contemporaines. Po u r<br />

cela, il me semble que <strong>des</strong> lieux comme les nôtres sont<br />

e n c o re <strong>des</strong> lieux de résistance pour organiser la<br />

défense du droit, qu’il s’agisse <strong>des</strong> artistes quant à<br />

leur travail de création ou du public quant à l’égalité<br />

possible d’accession à la culture. Pe u t - ê t re est-ce là<br />

que de nouveaux métiers peuvent appara î t re ?<br />

Renaud Vischi, chercheur en science politique :<br />

Jean-Claude Pe r rot sépare compétences techniques et<br />

compétences artistiques en ce qui concerne les nouvelles<br />

technologies. Donc, pour ce qui est de la<br />

conception sonore hip-hop ou la conception techno,<br />

sur la base de quel critère de jugement sépare z - v o u s<br />

compétences techniques et compétences artistiques ?<br />

Y a-t-il opposition entre Jean-Louis Sautreau qui parle<br />

de fusion entre technicien et musicien et Jean-Claude<br />

Pe r rot qui différencie complètement compétence<br />

technique et compétence artistique ?<br />

Jean-Claude Perrot : Pour être très précis, j'ai fait<br />

cette séparation en matière de multimédia et <strong>des</strong> compétences<br />

technologiques au niveau de la connaissance<br />

et de la manipulation <strong>des</strong> logiciels, ce qui est nécessaire<br />

à la réalisation <strong>des</strong> pro d u i t s .<br />

Jean-Louis Sautreau : Sur le mode de production du<br />

rap et de la techno particulièrement, il faut être musicien<br />

et technicien en même temps. C'est pour cela que<br />

je dis qu'il y a une fusion entre ces deux aspects. Je<br />

c rois que Jean-Claude Pe r rot parle effectivement plus<br />

d ' œ u v res collectives multimédia qui peuvent être sous<br />

forme de CD-ROM où, là, de nouveaux métiers apparaissent.<br />

Il peut y avoir un graphiste, un musicien, un<br />

r é a l i s a t e u r.<br />

Jean-Claude Perrot : J'ai parlé tout à l'heure d'un site<br />

internet que nous avons réalisé avec Charlélie<br />

C o u t u re. Nous avons d'abord travaillé avec lui dura n t<br />

six mois pour lui donner <strong>des</strong> compétences et au bout<br />

de ce temps donné, c'est lui qui a tout dirigé. Donc il<br />

n'y a pas d'incompatibilité entre compétence technique<br />

et geste artistique. En revanche, il y a deux ans<br />

nous avons organisé un colloque sur le multimédia<br />

t raitant du geste artistique en matière de multimédia<br />

qui nous a amenés à constater une confusion entre la<br />

maîtrise technologique et le geste artistique. Nos<br />

re c h e rches nous ont menés à ce constat. Le discours ,<br />

pour certains intervenants, était de dire que si on<br />

maîtrise la technologie, on est un artiste.<br />

Jean-Louis Sautreau : Nous sommes sur deux esthétismes<br />

différents. Le colloque que tu avais organisé à<br />

Metz s'était fait en grande partie avec <strong>des</strong> plasticiens<br />

qui sont <strong>des</strong> gens qui sont connectés sur les nouvelles<br />

technologies depuis pas si longtemps que cela. La<br />

musique a un avantage énorme qui est que l'informatique<br />

musicale existe depuis 20 ans. C'est pour cela<br />

que cette fusion va s'opére r. Elle s'opére ra plus tard<br />

sur l'image parce que la musique a vraiment pris ce<br />

temps d'avance.<br />

Philippe Michaud, Café Provisoire - MJC Manosque :<br />

Une question adressée à Laure Chailloux par ra p p o r t<br />

aux emplois, aux profils, aux processus de formations,<br />

tant dans le contenu que dans le temps : qu’êtes-vous<br />

arrivés à modéliser et à construire, arrivez-vous à<br />

négocier véritablement dans le cadre <strong>des</strong> “emploisjeunes"<br />

? En prolongement de ce que disait Fra n c k<br />

Lepage sur le champ de l'innovation possible dans le<br />

c a d re <strong>des</strong> “emplois-jeunes", je crois qu'il y a un<br />

champ de négociation très important. Nous savons<br />

que la limite fixée dans le cadre du plan Aubry, 26<br />

ans, est tout à fait négociable. Le statut de


demandeur d'emploi ou le type de contrat antérieur<br />

de la personne qui postulerait sont autant d'éléments<br />

qui me semblent très négociables. De manière sousj<br />

a c e n t e , nous sentons tous que se pose la question de<br />

la négociation réelle, <strong>des</strong> conditions, de la tra d u c t i o n<br />

de l'intention qui est celle de “l'emploi-jeune" d a n s<br />

le cadre de base et de son adaptation aux réalités du<br />

m a rché de l'emploi dans le cadre <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles. Il ne faudrait pas renoncer à cette négociation.<br />

Laure Chailloux, A.R.A. - Roubaix : En termes de<br />

négociation, cela va complètement dépendre <strong>des</strong> gens<br />

et <strong>des</strong> postes. Il y a <strong>des</strong> difficultés. L'âge de la pers o n-<br />

ne, au vu du parc o u rs nécessaire pour entrer dans ce<br />

type de métiers précis, ne permet pas l’insertion dans<br />

les dispositifs. À un moment donné, si un musicien doit<br />

ê t re un musicien intervenant auprès de groupes, etc,<br />

et qu’il est employé comme un “emploi-jeune" d e<br />

Ce n'est pas parce que <strong>des</strong> cadres “emplois-jeunes" ont<br />

été fixés que l'innovation va se mettre à fonctionner !<br />

base au S.M.I.C. et qu'il doit faire 39 heures d'interventions,<br />

etc : nous ne pouvons pas laisser faire cela,<br />

donc il faut aménager.<br />

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu’a<br />

dit Franck Lepage. Je pense que nous sommes dans la<br />

confusion. Dans le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles,<br />

nous avons réussi à créer de nouvelles activités qui<br />

sont spécifiques aux besoins de ce secteur, qui se sont<br />

créées avant que les “emplois-jeunes" n’existent. Ce<br />

n'est pas parce que <strong>des</strong> cadres “emplois-jeunes" o n t<br />

été fixés de façon législative avec l’expression “inventer<br />

de nouveaux métiers" que l'innovation va se<br />

m e t t re à fonctionner ! L'imagination ne fonctionne<br />

pas parce qu'une loi a été votée. L'imagination fonctionne<br />

parce qu'il y a <strong>des</strong> gens qui, à un moment<br />

donné, ont de nouvelles idées.<br />

Gaby Bizien, responsable musiques actuelles de<br />

Domaine Musiques Nord-Pas-de-Calais : Il se tro u v e<br />

que la formation <strong>des</strong> encadrants a été mise en place<br />

pour répondre à <strong>des</strong> besoins qui ont été évalués par une<br />

“pré-enquête" par laquelle nous avions rencontré <strong>des</strong><br />

municipalités où il n'y avait pas d'offres. Nous re n c o n-<br />

trions <strong>des</strong> services jeunesse, <strong>des</strong> services culture ou <strong>des</strong><br />

services animation dans les villes qui nous disaient qu'ils<br />

avaient effectivement dans leurs tiro i rs <strong>des</strong> dossiers de<br />

dizaines de groupes de rock qui voulaient répéter mais<br />

n'avaient pas de locaux, qu’ils voulaient <strong>des</strong> formations,<br />

etc. La demande que l'on présupposait était donc validée<br />

par cette enquête en amont. Ensuite, une formation<br />

s'est mise en place par rapport aux besoins estimés que<br />

nous avions évalués. Il s'est trouvé qu'à la mise à l'emploi<br />

de ces professionnels formés lors de la pre m i è re cession<br />

de formation, les deman<strong>des</strong> ont été complètement<br />

d i f f é rentes et correspondaient à la réalité de chaque<br />

t e r r i t o i re et à la réalité de chaque structure.<br />

Donc, petit à petit, il y a eu un travail pour affin e r<br />

ces pro fils de postes qui a abouti à la définition de deux<br />

p ro fils. L'un étant le musicien qui encadre un local de<br />

répétition, qui peut donner <strong>des</strong> cours d'instrument ou<br />

<strong>des</strong> conseils aux groupes en répétition sur leur répertoire.<br />

L'autre étant un pro fil de “développeur" de projet, et<br />

c'est souvent ce que les villes ont demandé. C'est-à-dire<br />

quelqu'un qui pourrait définir une politique de la ville<br />

en matière de musiques actuelles mais passant aussi<br />

bien par la mise en place de locaux de répétition, la gestion<br />

d'une diffusion de proximité ou, au moins, une mise<br />

en cohérence <strong>des</strong> initiatives existantes, ou bien encore la<br />

gestion de la fête de la musique. La deuxième<br />

session s'est orientée vers <strong>des</strong> choses beaucoup<br />

plus spécifiques. Comme le dit Laure Chailloux :<br />

les pro fils s'affinent petit à petit. Ce n'est pas<br />

facile de faire re n t rer ces professionnels-là dans les<br />

“e mplois-jeunes" p a rce qu'il y a la limite de l'âge et<br />

nous constatons que les musiciens qui commencent à<br />

avoir la fib re pédagogique sont <strong>des</strong> musiciens qui ont<br />

tourné pendant un certain temps.<br />

Philippe Moreau, responsable du secteur culturel<br />

MJC d'Halluin : Le financement <strong>des</strong> postes dans le secteur<br />

associatif me paraît la question centrale. Ta n t<br />

qu'on ne sortira pas de là, on aura beau critiquer les<br />

dispositifs ou essayer de faire en sorte que l'on reste à<br />

peu près cohérent, le vrai problème c'est le financement<br />

<strong>des</strong> postes. Pas seulement dans les MJC mais<br />

dans toutes les associations. La pre m i è re question à se<br />

poser est de savoir si l'accompagnement <strong>des</strong> pra t i q u e s<br />

musicales dans les musiques amplifiées est une mission<br />

de service public et où s'arrête la mission de service<br />

public. À partir du moment où l’on revendique qu'il<br />

s'agit d'une mission de service public, il faut également<br />

que l'État et les collectivités territoriales puissent<br />

financer ou participer au financement de ces postes. Je<br />

pense que c’est une juste revendication sur le terra i n<br />

du politique.<br />

Le problème est bien de voir comment est-ce que<br />

l'on va pouvoir financer les nouveaux postes créés.<br />

On demande systématiquement aux collectivités territoriales,<br />

et notamment aux mairies, de pre n d re en charg e<br />

l ' i n t é g ralité <strong>des</strong> postes. Si ce n'est pas une mission de<br />

service public, cela veut dire que l'on devient complètement<br />

marchand. Aujourd’hui, un élève va aller dans une<br />

73


école de musique municipale, c'est gra t u i t<br />

et un instrument est prêté pendant deux<br />

ans, alors que <strong>des</strong> cours de guitare, de<br />

p e rcussions, dans une MJC, cela coûte 500<br />

f rancs l'année et sans instrument.<br />

Gaby Bizien, responsable musiques<br />

actuelles de Domaine Musiques<br />

Nord-Pas-de-Calais : Nous attendons<br />

b e a ucoup <strong>des</strong> préconisations de la<br />

Commission nationale <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles, en particulier sur le secteur de<br />

la formation. À tra v e rs ces contrats de<br />

développement locaux et régionaux, nous<br />

pouvons imaginer une contra c t u a l i s a t i o n<br />

avec une ville qui souhaiterait embaucher<br />

un ou plusieurs professionnels pour encad<br />

rer les locaux de répétition ou pour dispenser<br />

<strong>des</strong> formations. De la même façon<br />

qu'une ville embauche <strong>des</strong> pro f e s s e u rs<br />

pour son école de musique. C'est une<br />

question de choix politique.<br />

Par ailleurs, il existe effectivement<br />

la fil i è re <strong>des</strong> écoles de musique pour la<br />

mise à l'emploi, mais même un Diplôme<br />

d’État n'est pas du tout une garantie de<br />

mise à l'emploi puisque les diplômés doivent<br />

passer le concours de la fonction<br />

publique territoriale et qu’il y a un problème<br />

de postes. Pour ce qui est <strong>des</strong><br />

musiques actuelles, re n t rer dans ce type<br />

de diplôme, type D.E., ne va pas forc é m e n t<br />

ê t re une garantie de mise à l'emploi et on<br />

ne sait pas du tout non plus si le cadre de<br />

la fonction publique territoriale est vra i-<br />

ment ce qu'il faut pour ce genre de poste.<br />

74<br />

Thierry Duval, coordinateur du C.R.Y.<br />

pour la musique : <strong>Les</strong> pre m i e rs à<br />

c o n v a i n c re, ce sont les élus locaux<br />

puisque ces pratiques-là sont illégitimes. Le réfle x e<br />

n a t u rel de l'élu local moyen, quand on lui parle de<br />

besoins en termes de musique ou de local, c'est l'école de<br />

musique. Pour l'instant, le grand danger, c'est que le<br />

M i n i s t è re de la Culture entretient le mythe selon lequel<br />

il suffirait de faire une petite formation de remise à<br />

niveau pour l'ensemble <strong>des</strong> enseignants <strong>des</strong> écoles de<br />

musique pour qu'ils soient compétents sur le champ <strong>des</strong><br />

musiques actuelles. C'est un grand danger, car lors q u e<br />

nous re n t rons dans le détail de ces musiques-là, nous<br />

sommes vraiment sur quelque chose qui n'a rien à voir !<br />

Ce sont deux sports complètement différents. C'est un<br />

g rand danger à la fois politiquement et philosophiquement<br />

parce qu’une fois qu'ils sont convaincus de l'intérêt<br />

social d'avoir <strong>des</strong> lieux d'accueil, les élus sont prêts à<br />

financer <strong>des</strong> postes.<br />

C'est un travail de<br />

pédagogie qui est long<br />

et qui tient vra i m e n t<br />

du cas par cas. De mon<br />

point de vue, bénéficier <strong>des</strong> “emplois-jeunes" o u<br />

d ' a u t res systèmes, c'est la pire <strong>des</strong> solutions. Ce n’est pas<br />

p a rce qu'on n'a pas réussi à convaincre l'élu local que ce<br />

n’est pas un poste indispensable sur une ville.<br />

B é n é ficier <strong>des</strong> “e m p l o i s - j e u n e s "<br />

ou d'autres systèmes, c'est la<br />

p i re <strong>des</strong> solutions


Éric Paris, chargé de mission à l'A.D.I.A.M. 95 : <strong>Les</strong><br />

Associations Départementales d’Information et d’Action<br />

Musicale sont <strong>des</strong> associations départementales, organismes<br />

associés aux Conseils Généraux, mais ce sont avant<br />

tout <strong>des</strong> associations. Certains Conseils Généraux, pas tous<br />

puisque cela dépend de la politique menée sur le département,<br />

aident les écoles de musique. En ce qui concerne le<br />

Val-d'Oise, cette aide est calculée en fonction de la masse<br />

salariale sur la base de quelques propositions que je fais au<br />

niveau <strong>des</strong> musiques amplifiées. J’essaie de proposer que<br />

les lieux de répétition soient par exemple soutenus en<br />

fonction <strong>des</strong> personnes encadrantes qui sont là pour<br />

accompagner les musiciens. Cela incite également à ce<br />

que ces lieux existent avec cet encadrement parce qu’il<br />

peut exister <strong>des</strong> lieux autogérés et qui finalement perpétuent<br />

une espèce de précarité. Cela peut être une <strong>des</strong><br />

pistes d'accompagnement, au niveau d'une collectivité<br />

territoriale comme un département, calculée sur la base<br />

salariale d'un équipement. ❙<br />

75


2<br />

DICKY BIRD


L’artiste dans la cité<br />

Fernand Estèves, chargé de mission culture<br />

FFMJC : Bien souvent, les re ncontres de ce type castrent<br />

la parole <strong>des</strong> artistes, or nous pensons qu'il y a<br />

<strong>des</strong> artistes qui ont <strong>des</strong> choses à dire, hors scène, hors<br />

coulisses. Nous re mercions les artistes ci-présents qui<br />

ont accepté de venir en ce premier vendredi du mois de<br />

juin, donc en période de démarrage <strong>des</strong> festivals.<br />

Si nous avions proposé, il y a encore cinq ans, le titre<br />

“Musiques et Citoyenneté dans tous leurs États", cela<br />

aurait paru un peu farfelu, si ce n'est ringard, pour bien<br />

<strong>des</strong> personnes et pour bien <strong>des</strong> institutions. Aujourd'hui,<br />

pas une semaine se passe sans que la citoyenneté soit<br />

interpellée. D ’ailleurs,<br />

dans le petit monde<br />

<strong>des</strong> musiques actuelles,<br />

c'est vrai que les opérations<br />

de soutien récemment menées en faveur du<br />

Sous-Marin ont eu d’importantes répercussions dans la<br />

p resse. Une certaine forme d’information citoyenne a<br />

très bien été relayée. Mais cette idée de la citoyenneté<br />

n’est-elle pas galvaudée ? De nombreux artistes pro n o n-<br />

cent de plus en plus fréquemment ce mot, le défendent,<br />

le revendiquent. Est-ce révélateur d'une situation, d'une<br />

époque ? <strong>Les</strong> associations d'éducation populaire n'ont<br />

quant à elles jamais mis entre parenthèses la dimension<br />

citoyenne de leur démarche. Pe u t - ê t re que la forme, à<br />

une époque, a prévalu sur le fond. A-t-on manqué de<br />

vigilance ? De courage ? <strong>Les</strong> MJC ont-elles manqué<br />

d'ambition ou de véhémence ?<br />

En préambule à nos échanges, j’aimerais que nous<br />

nous arrêtions quelques instants sur la dimension entrepreneuriale<br />

du secteur culturel <strong>des</strong> années 80. Attention, je<br />

n’oppose pas le privé et l'associatif. Il y a même <strong>des</strong> gens,<br />

comme Bruno Ponge, qui travaillent au sein de S.A.R.L. qui<br />

ont un discours militant qui pourrait impressionner pal mas<br />

de personnes du secteur associatif. Même si cela pourra it<br />

être intéressant de déconstruire certains fantasmes, il ne<br />

s’agit donc pas ici d’opposer le secteur marchand et le secteur<br />

associatif, ce n'est pas là notre propos. En fait, dans les<br />

années 80, avec le support <strong>des</strong> institutions, nous entendions<br />

tout un propos qui se résumait par “vous allez devenir<br />

un patron d’entreprise culturelle”. Et, pour faire très<br />

Cette idée de la citoyenneté<br />

n’est-elle pas galvaudée ?<br />

court donc très caricatural, la plupart <strong>des</strong> MODÉRATEUR :<br />

personnes (activistes militants de la première Fernand Estèves,<br />

heure) qui ont accepté de jouer ce jeu reviennent<br />

finalement aujourd'hui à l’éducatif, au<br />

politique. Mais qu’en est-il <strong>des</strong> artistes ? Se INTERVENANTS :<br />

sentent-ils concernés par ces questions ?<br />

Paul Blanc,<br />

Sentent-ils qu’un réel discours politique DIRECTEUR MJC CROIX<br />

revient en force ou est-ce un leurre ?<br />

DES OISEAUX - AVIGNON,<br />

Enfin, nous pouvons constater que de Alain Leprest,<br />

CHANTEUR,<br />

nombreuses municipalités, de droite comme<br />

de gauche, se sont autorisées à montrer Little Bob,<br />

CHANTEUR,<br />

Vitrolles du doigt. N’est-ce pas l'arbre qui<br />

cache la forêt ? Que font tous ces élus outrés Jean Djemad,<br />

CHORÉGRAPHE FONDATEUR<br />

chez eux ? Au-delà de l'éphémère de ce type<br />

CIE BLACK BLANC BEUR,<br />

de Rencontres, essayons de nous inscrire dans<br />

Michel Frédéric,<br />

le long terme en dérangeant durablement MUSICIEN ET ANIMATEUR<br />

ceux qui n'ont pas envie d'être dérangés. MJC EVREUX,<br />

Avant de donner la parole aux artistes, David Leyondre,<br />

et puisque nous avons terminé les interventions<br />

<strong>des</strong> tables ron<strong>des</strong> précédentes par une parole d'un<br />

ULTIM POWER, CHANTEUR.<br />

directeur MJC, nous allons commencer par la donner tout<br />

de suite à Paul Blanc. Si nous acceptons de définir la<br />

citoyenneté comme un processus de construction du sujet<br />

politique, penses-tu que par l'ambition artistique, que<br />

toi-même tu défends, les MJC peuvent pro d u i re du dro i t<br />

dans l'espace public ?<br />

Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />

Si j'ai une fonction, c'est plutôt celle de faire partie du<br />

“triangle" infernal qui est en gros, l'artiste, le territoire peuplé<br />

et quelque<br />

chose qui pourrait<br />

être un outil.<br />

A c t u e l l e m e n t ,<br />

nous nous posons la question de la citoyenneté à partir<br />

de l'idée qu'est citoyen celui qui fait du droit. Dans le<br />

domaine de la musique, quel droit fait-on ? Nous avons<br />

essayé de faire du droit, nous n'avons pas réussi, le dro i t<br />

étant de permettre <strong>des</strong> confrontations entre <strong>des</strong> décid<br />

e u rs et <strong>des</strong> créateurs. Pas tellement pour que soit prise<br />

en compte la question de la diffusion mais plutôt la<br />

dimension de la création. C'est un peu difficile p a rce que<br />

CHARGÉ DE MISSION CULTURE<br />

FFMJC.<br />

Dans le domaine de la musique,<br />

quel droit fait-on ?<br />

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78<br />

cela revient sensiblement à dire à <strong>des</strong> partenaires fin a n- Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />

c i e rs de nous donner de l'argent pour qu'on leur re n t re Nous avons travaillé avec différents artistes ou groupes.<br />

dedans. Par exemple, nous venons de terminer un staff Cela s'est toujours fait sous forme de résidences relativement<br />

longues. La plus courte a duré neuf mois. Il s'agissait<br />

d'accompagnement de musiciens qui touchaient tous le<br />

"Revenu Minimum d'Isolement", comme ils disent de danseurs, de plasticiens, de musiciens et nous nous<br />

e u x -mêmes... Il est bien évident que tout le travail que sommes bien gardés d'avoir un projet. Nous avons toujours<br />

annoncé cela comme un trajet et nous nous sommes<br />

ces musiciens ont fait avec d'autres musiciens n'a pas<br />

été un travail d'insertion, bien au contra i re, cela a été vite aperçus que l'artiste avait une sorte de capacité à<br />

un travail de subversion puisqu'ils ont réfléchi à leur faire une “auto-commande" et à alimenter sa création<br />

p ro p re situation à tra v e rs leur pro p re musique et à d'un environnement, d'un territoire peuplé… Par exemple<br />

t rav e rs une re n c o n t re avec <strong>des</strong> musiques un peu différentes.<br />

Il n'en reste pas moins que cette aventure, qui a choses qui prouvent que tout est possible. C'est vrai que<br />

sous forme d’ateliers avec les jeunes qui ont abouti à <strong>des</strong><br />

duré à peu près un an, ne s'est pas conclue par la mise bon nombre d’artistes ont redéfini la proposition artistique<br />

qu'ils nous faisaient tout au long du parcours.<br />

en place de lieux corrects de travail pour ces mêmes<br />

musiciens puisque bon nombre de ces musiciens se C'est-à-dire qu'avec un peu de prétention - je voudrais<br />

re t rouvaient dans une situation un peu difficile. A un avoir l'avis <strong>des</strong> artistes - il y a toujours confrontation. Il y<br />

moment donné de leur vie musicale, ils avaient souhaité<br />

chercher un peu plus. Certains en avaient assez de faire de “l'harmonie sociale", il y a les structures, MJC ou<br />

a ceux qui financent, qui souvent nous demandent de<br />

jouer dans les bars, ils souhaitaient peut-être aller un autres, qui sont là entre les deux et qui ne savent pas très<br />

peu plus loin et, donc, la plupart avaient dit - les artistes bien jusqu'où elles peuvent aller trop loin mais qui ont la<br />

Alimenter les artistes et les confronter à leur enviro n n e m e n t<br />

capacité d'aller loin dans la<br />

confrontation. Nous pouvons penser<br />

que ces confrontations, ces<br />

parleront mieux que moi de tout cela - “aujourd'hui, je c h eminements-là, sont peut-être un élément du processus<br />

cherche autre chose”. Et puis un mois passait, deux de création. C'est-à-dire que si un artiste vient avec ses<br />

mois, trois mois et plus personne ne les appelait. Il propositions, il devrait être à peu près souhaitable qu'à<br />

a p p araissait une certaine difficulté fin a n c i è re qu'ils l'issue de son travail, les propositions initiales soient complètement<br />

différentes de celles qui ont conclu l'affaire.<br />

avaient de la peine à régler.<br />

Je travaille sur la région P.A.C.A où il y a, à peu Nous rencontrons beaucoup de difficultés, notamment<br />

à travers les musiques assistées par ordinateur, à<br />

près, 5 000 artistes qui touchent le R.M.I. Disons que les<br />

tentatives de citoyenneté, pour nous en tout cas, c'est entrer dans la dimension de la diffusion. Pour la musique,<br />

d'essayer de mettre à la disposition <strong>des</strong> artistes <strong>des</strong> lieux plus particulièrement pour les musiques urbaines, on dirait<br />

de travail et pas uniquement <strong>des</strong> lieux de diffusion. Bon que les artistes sont condamnés à rentrer dans la logique<br />

n o m b re de lieux de diffusion existent mais est-ce que économique, commerciale. Nous avons accueilli <strong>des</strong> musiciens<br />

qui jouaient de la musique contemporaine, et la<br />

l'on continue à mettre en place <strong>des</strong> lieux de diffusion<br />

qui s'inscriraient dans une espèce de marginalité par question ne s'est pas posée. Peut-être que nous-mêmes,<br />

rapport à une musique qui est un peu anormale ? Ou nous ne considérons pas encore suffisamment ces<br />

est-ce que l'on fait de “l'entrisme" dans <strong>des</strong> lieux musiques-là comme <strong>des</strong> musiques d'expression artistique.<br />

comme les scènes nationales et autres, et qui eux existent<br />

et devraient accepter ces formes d'expression ? groupes, et cela a été la fin de la plupart <strong>des</strong> groupes. Cela<br />

Enfin, nous avons tout de même sorti un compact de 18<br />

Voilà une <strong>des</strong> questions. Quant à la citoyenneté de la a été catastrophique ! On se dit que nous ne sommes pas<br />

population, puisque nous parlons ra rement de public… performants, que nous ne sommes pas capables d'accompagner<br />

au-delà de la production, nous sommes <strong>des</strong> crimi-<br />

oui, il y a certainement une citoyenneté parce que l'envie<br />

d'entrer dans <strong>des</strong> pratiques artistiques est motivée nels… Finalement, j'ai envie de dire que si nous sommes<br />

par l'envie de dire quelque chose à quelqu'un et à partir condamnés à accompagner <strong>des</strong> gens qui font ce que tout<br />

du moment où l’on a envie de dire quelque chose à le monde fait, il ne faut pas s'étonner que nous ne soyons<br />

quelqu'un, on s'exprime et, à partir de ce moment-là, pas performants pour les vendre.<br />

p e u t - ê t re qu'on a un début…<br />

Nous avons la prétention de dire que lorsque nous<br />

accueillons un artiste, que ce soit un ro c k e r, un ra p e u r,<br />

Fernand Estèves : Que veux-tu dire quand tu parles un musicien contemporain ou un “inclassable", nous<br />

d'alimenter les artistes et de les confronter à leur environnement<br />

?<br />

une musique parce qu'il va se heurter à un<br />

mettons tout à sa disposition. Nous voulons qu'il invente<br />

environnement,


à <strong>des</strong> images, à la vie, parce que nous allons le mettre<br />

dans <strong>des</strong> situations difficiles. Avignon, c'est une verrue<br />

entourée de remparts qui fait 10 000 habitants, c'est<br />

une bouillie en forme de banlieues, riches ou pauvre s ,<br />

qui en fait 80 000, avec une géographie culturelle extrao<br />

rd i n a i re. Dans le centre de la ville, vous avez l'Opéra et<br />

le Conservatoire, vous vous éloignez un peu du centre ,<br />

vous avez le jazz, vous passez la pre m i è re barrière du<br />

b o u l e v a rd extérieur <strong>des</strong> remparts, vous avez le rock et<br />

vous continuez un peu plus loin et vous avez le rap… Et<br />

de temps en temps, les institutions concèdent, le re g a rd<br />

humide, aux ro c k e rs et aux ra p e u rs un passage à l'Opéra<br />

ou à la Place de L'Horloge. Le combat qu'il faudra i t<br />

mener avec les artistes est celui qui permet de leur dire<br />

qu'ils ne sont pas automatiquement condamnés à re n-<br />

t rer dans <strong>des</strong> circuits commerciaux. C'est très prétentieux<br />

mais je m'interroge là-<strong>des</strong>sus. En tout cas, le jour<br />

où on pourra dire à <strong>des</strong> ro c k e rs : “vous venez passer un<br />

an, vous êtes payés à travailler sans obligation de<br />

réaliser un produit traditionnel”, ce sera déjà pas mal.<br />

De plus, le jour où cette production hors norme pourra<br />

se balader, c'est-à-dire être accueillie ailleurs, ce sera<br />

e n c o re mieux.<br />

Little Bob, chanteur : Je veux parler <strong>des</strong> choses telles<br />

qu'elles sont. C'est vrai que ce serait intéressant d'avoir<br />

une résidence dans un lieu et de pouvoir créer autre<br />

chose, je ne sais pas encore ce que cela serait. En ce qui<br />

concerne l'insuccès <strong>des</strong> gens que vous avez enregistrés à<br />

la MJC d’Avignon, et du fait que les groupes se sont<br />

Je continue à m'occuper de ce qui se passe dans ma<br />

ville parce que c'est là où je vis<br />

séparés, je voudrais dire que, de toute façon, il y a un<br />

c i rcuit professionnel business pour sortir les disques et<br />

pour les vendre. C'est sûr que c'est pas parce que tu vas<br />

f a i re une “compil’” de 18 groupes de rap ou de ro c k<br />

chez toi, que ces groupes-là vont arriver à se vendre. Le<br />

c i rcuit commercial, tout le monde le connaît, je me<br />

heurte un peu à cela. J'ai côtoyé très souvent le show<br />

business puisque, depuis 22 ans, je sors <strong>des</strong> disques<br />

dans <strong>des</strong> maisons de disques. C'est ce qui me permet<br />

d ' ê t re toujours là aujourd'hui, et de continuer à suivre<br />

ma route sur une évolution musicale mais sans re n t re r<br />

v raiment dans les méandres du showbiz. Je me bagarre<br />

comme un malade quand le seul moyen de survivre, de<br />

diffuser la musique que l'on fait et qu'on joue avec<br />

mes musiciens, c'est de jouer dans <strong>des</strong> endroits comme<br />

<strong>des</strong> MJC.<br />

D ’ a i l l e u rs, je re n t re d’une tournée et de 45<br />

concerts et je n'ai pas pu m'occuper vraiment de tout ce<br />

qui se passe. J’apprends que la MJC du Havre va fermer.<br />

Au Havre, sans vouloir être le leader de quoi que ce soit,<br />

j'essaie d'être actif quand, par exemple, il y a <strong>des</strong><br />

“manifs" c o n t re le Front National. Sans vouloir être le<br />

p a t r i a rche <strong>des</strong> musiciens de rock havrais, j'essaie de<br />

bouger les musiciens quand ils s'endorment. Je sais que<br />

la MJC du Havre va être rayée de la carte parce que nous<br />

avons un maire qui se moque éperdument de la MJC,<br />

comme de la culture en général. Le Havre est une ville<br />

sinistrée. Je ne suis pas là pour vous parler de la sinist<br />

rose du Havre mais il n'y a pas une seule salle de<br />

concert à part Le Volcan qui fait surtout de la danse, du<br />

t h é â t re, ce qui est très bien mais au niveau <strong>des</strong> concerts<br />

de rap, de rock, il n'y a rien. La MJC était encore un <strong>des</strong><br />

seuls endroits où il y avait <strong>des</strong> concerts de jazz, de blues,<br />

un petit peu de rock ou autre chose. J'ai moi-même participé<br />

au concert pour soutenir les femmes algériennes.<br />

La MJC était pleine, elle faisait son boulot, elle participait<br />

à la vie <strong>des</strong> citoyens. Je redoute la passivité <strong>des</strong><br />

citoyens.<br />

Je ne veux pas que la musique que je défends<br />

tombe dans l’oubli. Sur la route, les gens me disent de<br />

continuer parce que je suis le seul à faire cette musique-là.<br />

Mais en même temps, je continue à m'occuper de ce qui<br />

se passe dans ma ville parce que c'est là où je vis. Je<br />

n’oublie pas qu’en 1976, la MJC du Havre m'a prêté <strong>des</strong><br />

locaux avant d'aller en studio enre g i s t rer mon pre m i e r<br />

album. Dans la salle d’à côté, il y avait du bridge et il<br />

fallait attendre qu'ils aient fini de jouer aux cartes pour<br />

commencer à répéter… Cette MJC du Havre, je l'ai là,<br />

dans le cœur. Dans la ville, il y a <strong>des</strong> lieux qui donnent<br />

<strong>des</strong> cours de rap pour pouvoir enre g i s t rer les<br />

g roupes à la fin. Je sais que tout cela, c'est juste<br />

pour calmer un peu les gens, cela ne va pas<br />

déboucher sur le succès. C'est vrai que les ra p e u rs, ce<br />

qu'ils voient, ce sont les grands groupes qui arrivent à<br />

s'en sortir et ils veulent arriver à faire pareil. C'est<br />

humain ! Qu'est-ce qu'ils ont comme autre pers p e c t i v e<br />

pour s'en sortir ces gens-là ?<br />

Alain Leprest, chanteur : Je suis un peu ému parce qu’ici<br />

c'est un peu ma zone. Je suis normand et Bob était un<br />

peu notre idole. J'étais rouennais, il était havrais et c'est<br />

v rai qu'il faisait <strong>des</strong> expériences formidables. Je fais dans<br />

la chanson française, ce qui ne m'a jamais empêché en<br />

aucune manière d'apprécier la bonne musique d'où<br />

qu'elle vienne. C'est pour cela que je suis un peu le<br />

“c oco" de service. Quand on me demande si je suis un<br />

chanteur communiste, je dis que je suis communiste mais<br />

que je suis chanteur aussi. À savoir que je ne chante pas<br />

<strong>des</strong> chansons communistes, je ne suis pas sur une estrade,<br />

je ne fais pas de discours, je chante <strong>des</strong> chansons qui<br />

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plaisent ou non. Ce sont <strong>des</strong> chansons qui traduisent <strong>des</strong> partagées par d'autres dans la salle. C'est très évident ce<br />

f ê l u res, qui traduisent mon origine à moi, mes amitiés. que je dis mais j'essaie de partir de ce principe-là. Mais<br />

Quand je suis dans la rue, je suis comme Bob, je suis un est-ce que je produis du droit en étant sur scène ? Non !<br />

citoyen. Et pourquoi je suis “c oco" aussi ? Je suis “c oco"<br />

p a rce que se battre pour les sans papiers, se battre contre Little Bob : Je tiens à dire qu’il n'y a pas que les ra p e u rs<br />

les charters, c'est se battre aussi au niveau de la musique qui ont un engagement militant ! Tous les soirs sur<br />

p a rce que vous avez <strong>des</strong> tas de musiciens, de renom ou scène, je chante en anglais donc c'est un peu plus difficile<br />

pour les gens de compre n d re. Mais je leur explique<br />

pas de renom, qui sont venus, ici, gra t t e r, bosser <strong>des</strong><br />

notes fabuleuses, bosser dans <strong>des</strong> studios dans <strong>des</strong> conditions<br />

incroyables par pure amitié ou, parfois, en étant le discours de Martin Luther King et que j'explique sur<br />

ce que je dis. J'ai une chanson qui m'a été inspirée par<br />

payés et qui se font jeter aujourd'hui. C'est une <strong>des</strong> scène aux gens. Je parle aussi <strong>des</strong> sans abris, je défends<br />

m a n i è res de répondre aussi à la citoyenneté.<br />

les sans papiers et, cela, je le dis en français pour que les<br />

Citoyenneté, c'est aussi dire mon appartenance, en gens comprennent. Je ne voudrais surtout pas que l'on<br />

tant que citoyen. A Toulouse, au Havre, à Rouen, à Paris, dise que les ro c k e rs sont là, pépères. Nous disons les<br />

quand on chante avec nos mains, nos poings, nos gestes, choses simplement, nous sommes un peu moins médiatisés,<br />

c'est tout !<br />

nos voix, c'est, à la fois, l'expression de tout notre vécu et,<br />

derrière, il y a aussi une main tendue. Il y a une main<br />

tendue vers les autres, c'est évident. Je viens d'une Jean Djemad, fondateur de la Cie Black Blanc Beur :<br />

époque où les chanteurs étaient classés dans <strong>des</strong> tiro i rs . Je pourrais parler d'expériences que j'ai entre t e n u e s<br />

Là aussi, c'était une forme de racisme. On disait qu'untel<br />

était rock, untel fado, etc. Aujourd'hui, il y a une déterminantes dans ce qu'est aujourd'hui la compa-<br />

avec les MJC, très nombreuses et qui sont absolument<br />

espèce de mouvement de re g a rd les uns vers les autre s gnie Black Blanc Beur. Pendant toute l'époque où nous<br />

qui fait que la musique reste la musique. Il y a une avons mis en œuvre la compagnie de danse et le jour<br />

r é s u rgence de cette espèce de métissage dont je voulais où elle a existé de fait par son premier spectacle, nous<br />

parler et <strong>des</strong> luttes qu'ils faut savoir bien mener. Il ne n'avons jamais cessé de faire un travail “d'accès au<br />

s u f fit pas d'être planté sur une scène devant un micro . droit" pour ceux qui étaient dedans. Nous n’avions pas<br />

<strong>Les</strong> slogans qui se chantent aujourd'hui, ou comme besoin de montrer que les danseurs étaient déjà en<br />

a i l l e u rs, pour une vie meilleure, cela reste <strong>des</strong> chansons t rain d'appre n d re <strong>des</strong> règles de vie en communauté, de<br />

et la musique importe peu.<br />

ne plus confondre le travail et l'emploi. Il s’agissait de<br />

situer un certain nombre de motivations et c'est pour<br />

Philippe Moreau, responsable du secteur culturel MJC cela que j'aurais tendance à ne pas écraser complètement<br />

l’expérience de la compil d’Avignon. Cette<br />

d'Halluin : Il y a deux ou trois mois, j'ai demandé à<br />

q u e lqu'un qui est à la fois comédien et musicien d’intervenir<br />

dans l’encadrement <strong>des</strong> groupes et de les aider p e r m e t t re à <strong>des</strong> gens de s'accomplir, de s'identifier une<br />

d e rn i è re aura eu sans doute au moins l'avantage de<br />

un peu, parce que lui, il avait un re g a rd un peu plus professionnel.<br />

Il m'a dit : “Oui, c'est intéressant mais moi, acte, que cela se sache ou non, c'est une manière<br />

fois par un propos, par un acte. Le fait de poser un<br />

la première chose que je fais, quel que soit le groupe, d'accéder au dro i t .<br />

quelle que soit la personne qui ait envie de monter De nombreuses associations, notamment les<br />

sur scène, c'est de lui demander pourquoi elle est sur MJC, ont agi en termes de tampon social pour que les<br />

cette scène, de se poser la question…". Cela fait à peu villes ne pètent pas. Mais il n'est jamais trop tard pour<br />

près huit ans que je fais de la musique et je ne m'étais se poser la question <strong>des</strong> chaînons manquants, entre le<br />

jamais vraiment posé la question. Je n'avais jamais vra i- fait d'exister, de poser une production, une entité dans<br />

Est-ce que je produis du droit en étant sur scène ?<br />

cette production et puis ensuite de pouvoir l'exp<br />

o r t e r. D’emblée, nous ne nous sommes pas inscrits<br />

dans le misérabilisme et évidemment pas du<br />

ment essayé de réfléchir sur ce sujet. La plupart du tout dans l'exotisme. Cette notion d'accès au droit me<br />

temps, cela part d'une expérience de groupe. Il s’agit p a raît importante et je voudrais la développer en<br />

d ' a b o rd d’un groupe de copains qui décident un beau disant que finalement - on ne résume pas 20 ans de<br />

jour de monter sur scène. Petit à petit, on commence à p ratiques - ce qui est très important, c'est de poser un<br />

essayer d'écrire et forcément, quand on commence à acte et de développer une expérimentation. Si on pose<br />

écrire <strong>des</strong> textes, on a envie de raconter <strong>des</strong> choses. Le un acte et si on développe une expérimentation, à ce<br />

challenge est que ces choses qui sont personnelles soient moment-là, on a accès au droit et sans doute à la citoyen-


neté c'est-à-dire à cette capacité reconnue, mutuelle, de<br />

faire partie du groupe, d'en jouir et de veiller aussi à exercer<br />

sa propre responsabilité au sein de ce groupe.<br />

Black Blanc Beur, c'est l'expérience d'une compagnie<br />

de danse qui est née du mouvement hip-hop et qui<br />

a la particularité de n'avoir pas fait que <strong>des</strong> spectacles<br />

pur sucre hip-hop. Nous avons par exemple tra v a i l l é<br />

Si on pose un acte et si on développe une<br />

expérimentation, à ce moment-là, on a accès au droit<br />

et sans doute à la citoyenneté<br />

avec <strong>des</strong> musiciens qui font de la musique électroa<br />

c o u stique. Il est évident pour tout le monde que le<br />

terme que l'on met à l'expression importe seulement<br />

pour la défin i r. Je pense que notre génération vit cette<br />

c u l t u re imprégnée d’Afrique différemment <strong>des</strong> générations<br />

précédentes mais il est probable que ces étapes<br />

étaient nécessaires. Nous ne la vivons plus comme victime<br />

de l'histoire mais comme ayant le sentiment de pouvoir<br />

apporter quelque chose à la boucle d'une sorte de<br />

colonialisme, une sorte de façon d'être, en France ou en<br />

E u rope, qui a quand même duré un certain temps et<br />

dont on vit encore pas mal de conséquences. Une fois<br />

que cet acte d'existence est posé, fondamental pour<br />

moi, nous avons ensuite besoin de survivre. On ne sait<br />

même pas pourquoi on est obligé de faire ce truc-là et<br />

c'est vrai que c'est de la nature de notre survie. Sans<br />

évacuer notre plaisir.<br />

L o rsque nous nous sommes adressés à 600 jeunes<br />

de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, à<br />

t ra v e rs notamment le réseau <strong>des</strong> MJC, pour faire une<br />

v raie formation professionnelle, un vrai moment de vie<br />

en commun qui devait déboucher sur un vrai spectacle<br />

qui devait vraiment être montré : ce fut extrêmement<br />

motivant. Lorsque nous avons écho de ce qui se passe<br />

dans les lieux tampons de la société, comme les missions<br />

locales, comme tous ces lieux où il y a <strong>des</strong> gens<br />

qui stagnent avec <strong>des</strong> sigles qui changent régulièrement.<br />

Quand on repasse les reportages sur 68 ou même<br />

sur 36, on se rend compte qu'il y a une espèce de récurrence<br />

incroyable : les gens ne veulent pas faire <strong>des</strong><br />

trucs d’idiots, ils ne veulent pas faire n'importe quoi, ils<br />

ne veulent pas être <strong>des</strong> robots, ils veulent avoir la sensation<br />

d'exister, avoir une entité qui soit probante dans<br />

tous les rapports qu'ils entretiennent avec les autres. Je<br />

pense qu'il est en train de se préparer quelque chose de<br />

nouveau et que cette chose, c'est “do it !”, c'est-à-dire<br />

que ce n'est pas l'État qui va nous le filer. Est-ce que l'on<br />

doit pousser pour obtenir une subvention pour faire de<br />

la subversion… Par nature, évidemment, non. L'État et<br />

les collectivités, ce n'est pas dans leur nature, ce ne<br />

s e ra jamais possible ! Il n'y aura jamais du fric pour que<br />

l'on fasse de la subversion. Je crois donc qu'il y a là une<br />

malice citoyenne qui est de se re n d re compte que ce ne<br />

sont pas les États qui sont les mieux placés pour faire<br />

l ' E u rope ni pour faire une relation entre l'Europe et la<br />

M é d i t e r ranée mais c'est nous. Nous les gens. Et le plus<br />

dingue c'est que l'histoire le prouve à chaque fois : une<br />

fois qu'on l'aura fait, et bien l'État suivra, les<br />

institutions se modifiero n t .<br />

Alain Leprest : E t re révolutionnaire aujourd ' h u i ,<br />

ce n'est pas de se battre pour institutionnaliser<br />

les artistes et les faire re n t rer dans le moule… On leur<br />

re n t re dedans mais on reste toujours au dehors …<br />

Jean Djemad : Et puis nous, on le fait, c'est tout !<br />

Parfois, on ne sait même pas pourquoi ! On sait qu'on<br />

est obligé de le faire, on ne sait pas si c'est bien, on ne<br />

sait pas si cela va plaire mais on le fait. À partir du<br />

moment où nous sommes constitués, qu'une parole circule<br />

entre nous, que nous arrivons à poser trois ou<br />

q u a t re <strong>actes</strong> avec quelques mouvements, à se sentir<br />

h e u reux de l'avoir bien fait, il y a une deuxième période<br />

qui est celle où l'on va donner à voir, à sentir, etc.<br />

Le danseur de hip-hop n'a pas envie de se faire valoir<br />

a i l l e u rs que dans son cercle pour la seule valeur de son<br />

identité au sein de ce cercle. Ce n'est pas du tout la<br />

même démarche que d'aller sur une scène. Quand cette<br />

conscience du monde extérieur social commence à être<br />

v raiment efficace, il y a un engagement politique au<br />

sens du travail dans la cité qui, lui, est de plus en plus<br />

conscient chez l'artiste. Celui-ci sent qu'il fait partie<br />

d'un tout qui transforme <strong>des</strong> choses. Est-ce que c'est<br />

important pour lui de savoir ce qu'il transforme, comment<br />

il le transforme ? Je ne pense pas mais je pense<br />

que c'est intéressant pour lui en tant que citoyen de se<br />

poser la question à ce titre, mais quand il est là en tant<br />

qu'artiste, je pense que ce n'est pas la question.<br />

Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 de<br />

Grasse : Je suis à peu près d'accord avec l'essentiel de<br />

ce que dit Jean Djemad sauf sur un point qui me fait<br />

violemment réagir. Quand tu dis que ce n'est pas<br />

l'État qui va financer la subversion, je ne peux pas être<br />

d ' a c c o rd avec cela.<br />

Alain Leprest : Druon disait : “On ne peut pas avoir le<br />

cocktail Molotov dans le dos et puis tendre la sébile".<br />

Jacques Turpin, directeur MJC Altitude 500 de<br />

Grasse : Si nous sommes tous d'accord, y compris les<br />

artistes, sur le fait que si le pouvoir politique - quel qu'il<br />

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soit : politique, national, régional, départemental,<br />

municipal - peut confisquer le pouvoir totalement,<br />

c'est comme cela que nous arrivons à parler de la<br />

f e r m e t u re de la MJC du Havre. Si l'État, le pouvoir de<br />

m a n i è re générale,<br />

ne peut<br />

pas accepter<br />

l'idée d'une<br />

e x p ression, du<br />

f i n a n c e m e n t<br />

d'une expression différente, y compris subversive, il<br />

n'y a plus rien de possible.<br />

Si l'État ne peut pas accepter l'idée<br />

d'une expression différente,<br />

y compris subversive, il n'y a plus<br />

rien de possible<br />

Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière -<br />

St Herblain : J’ai été directeur de la MJC du Havre pendant<br />

11 ans. Quand on a passé du temps dans cette ville,<br />

on sait qu'on y a été et on sait pourquoi. En 1995, je me<br />

suis fait dire que j'avais peut-être fait un pas de trop en<br />

disant publiquement qu’au Havre, la culture, c'était la<br />

gauche et pas la droite. Il y a eu un concert sur la place<br />

de l'Hôtel de Ville avec Bob pour fêter ses 20 ans de carr<br />

i è re. Comme d'habitude, Bob est monté sur scène et<br />

puis il a dit : “Bonjour Le Havre !". Je l'avais déjà<br />

entendu dire cela plusieurs fois mais cette fois-là j'ai difficilement<br />

avalé ma salive. Bob, tu le savais, c'était le dernier<br />

bonjour qui te faisait plaisir… Bob dit aujourd’hui : “la<br />

MJC se rend”. Je pense effectivement qu'elle se rend. J'en<br />

suis même sûr parce qu’au mois de mai 1996, j'ai décidé<br />

de partir. Donc, pour commencer, je me suis rendu moi. Je<br />

ne voulais pas devenir fou.<br />

Comment fait maintenant la MJC du Havre pour<br />

faire “Do it !" ? Elle ne peut pas le faire parce qu'il y a un<br />

chantage qui fonctionne et qui est le suivant : “Vous êtes<br />

<strong>des</strong> ringards, vous êtes dans une situation financière<br />

lamentable mes pauvres chéris !". C'est ce que dit la collectivité<br />

locale qui en deux ans a enlevé 500 000 francs de<br />

subventions. Le président de la MJC qui, par ailleurs est<br />

quelqu'un de définitivement respectable, dit : “Il y a une<br />

équipe, il y a <strong>des</strong> gens qui travaillent, je ne veux pas<br />

les laisser dans la mouise…" Ce à quoi la ville répond :<br />

“Mais bien sûr ! On va recycler tout ce joli monde…".<br />

Tout le joli monde va donc être recyclé. Comment est-ce<br />

que l'on continue de travailler le paradoxe sur l'argent<br />

public pour que la société civile avec les artistes disent à<br />

l'État et à la République : “Vous ne croyez pas que vous<br />

faites n’importe quoi ?…"<br />

Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux - Avignon :<br />

Il n'y a pas de raison pour que <strong>des</strong> financements soient<br />

attribués à l'Opéra et pas pour les autres musiques. Quant<br />

à la rentabilité sociale qui nous colle à la peau par rapport<br />

à ces actions dites à caractère artistique, il faud rait affirmer<br />

que ces actions risq u e n t<br />

d'avoir <strong>des</strong> conséquences s o c i a l e s .<br />

Elles risquent de permettre aux<br />

gens, éventuellement, de se poser<br />

<strong>des</strong> questions par eux-mêmes sans<br />

qu'il y ait quelqu'un qui aille leur<br />

poser. Cela paraît tellement évident.<br />

Donc je crois qu'il nous faut<br />

pratiquer la délinquance institutionnelle.<br />

Reste à savoir comment<br />

on se débrouille de cela. Depuis 15<br />

ans, nous disons que nous sommes<br />

petits, que nous ne cherc h o n s<br />

aucune légitimité, aucune reconnaissance<br />

! Finalement, nous arrivons<br />

à avoir de l’argent sur <strong>des</strong><br />

actions. Mais nous sommes un peu<br />

seuls. Ce que j'attends de <strong>rencontres</strong><br />

comme celles-ci, c'est que<br />

nous puissions sortir d'un isolement<br />

mais pas en recommençant<br />

un autre isolement un peu plus<br />

large. Comment est-ce que tous<br />

les gens, dans le domaine de la<br />

musique ou autre, qui essaient de<br />

mener <strong>des</strong> aventures, peuvent se<br />

re n c o n t rer ? Pas automatiquement<br />

dans <strong>des</strong> <strong>rencontres</strong> institutionnelles.<br />

La FFMJC organise ce<br />

genre de débats mais il y a tellement<br />

d'autres structures, qui ne<br />

sont pas MJC, qui font <strong>des</strong> tas de<br />

choses et qui pourraient ressembler<br />

un peu à ce que beaucoup<br />

d ' e n t re nous font. Je suis un peu<br />

dans la militance, dans l'engagement<br />

poético-politique, donc<br />

professionnellement j'ai le sentiment<br />

que la proposition artistique<br />

est très politique et qu'elle est<br />

automatiquement subvers i v e .<br />

Automatiquement, par définition.<br />

Notre fonction, en tant qu’outil,<br />

c'est de construire non pas la subversion<br />

mais les outils de la subversion<br />

et dans le cas présent, les<br />

outils de la subversion pour<br />

d é f e n d re les expressions artistiques<br />

qui n'ont pas leur place.<br />

Jean Djemad : L'État a un rôle<br />

d'anticipation, d'accompagne-<br />

BURNING HEADS


8 3


8 4<br />

ment de l'ensemble <strong>des</strong> pratiques qui ont la capacité à<br />

t ransformer l'espace social et les individus. Mais il est<br />

nécessaire de ne pas avoir une vision de l'État qui soit<br />

l'État assistant, l'État à tout faire, l'État qui va pro d u i-<br />

re. L’État l'a joué parfois de manière “vitrine", pour ne<br />

pas dire propagandiste. <strong>Les</strong> effets ne sont pas là, les<br />

s u i v i s n'existent pas, on se rend bien compte que tout<br />

cela, c'est de l'esbroufe. <strong>Les</strong> re t a rds de financement, la<br />

valeur et les symboles qui sont mis derrière le fin a n c e-<br />

ment, c'est autant de subtils contrôles d'un pouvoir en<br />

place sur ceux qui n'ont pas ce pouvoir et qui pourtant<br />

ont la sensation d'avoir voté pour qu'on les re p r é s e n t e .<br />

Je me dis que placés là où nous sommes, il arrive un<br />

moment où il est fort utile de ne pas se placer vis-à-vis<br />

de l'État comme vis-à-vis d’une vache à lait. En tant<br />

qu'artiste représentant d'une compagnie, je n’ai pas un<br />

d i s c o u rs misérabiliste vis-à-vis <strong>des</strong> institutions. L'État<br />

n'a pas de parole ! <strong>Les</strong> collectivités n'ont pas de parole !<br />

N o t re représentation politique n'est pas en mesure<br />

d'avoir une parole aujourd'hui. Un individu, un politique,<br />

un élu, pris séparément en tant qu'individu<br />

- d'ailleurs la majorité d'entre eux, républicains, sont <strong>des</strong><br />

gens plutôt biens - est plutôt de parole mais en tant que<br />

représentant, non. Ils ne peuvent pas avoir de parole. Je<br />

p a rs du constat que l'État, tel qu'il se conçoit - capté par<br />

un certain nombre de gran<strong>des</strong> administrations qui re l è-<br />

vent d'une sorte de féodalité contemporaine faisant<br />

é c ran aux citoyens - n'a pas du tout le souci d'org a n i s e r<br />

ce qui va le re m e t t re en cause. Donc il ne faut pas focaliser<br />

notre discours sur l'État.<br />

Alain Leprest : Dans ma rue, les jeunes me lancent :<br />

“Salut chanteur !”. Je dis “Arrête ! Je ne suis pas chanteur,<br />

moi, je suis citoyen”. Un point c'est tout. On peut<br />

parfois aussi sortir, aérer les centres culturels, je ne nie pas<br />

leur nécessité mais je dis aussi qu'il faut que les chanteurs<br />

ne restent pas que dans les centres culturels mais qu'ils<br />

<strong>des</strong>cendent aussi sur le trottoir et qu'ils se mêlent à la<br />

foule et qu'elle se mêle à eux et que les artistes se mêlent<br />

aux gens et participent à la vie de la cité.<br />

Michel Frédéric, musicien et animateur MJC<br />

d ' Évreux : Je suis à la fois dans un monde artistique, je<br />

suis musicien d'un groupe qui tourne et qui enre g i s t re ,<br />

et, depuis 25 ans, je suis dans le monde associatif, je suis<br />

dans le monde <strong>des</strong> MJC ou <strong>des</strong> associations d'éducation<br />

p o p u l a i re. Je n'ai jamais vraiment voulu séparer les deux<br />

et la mission que j'ai au sein de la MJC d'Évreux est une<br />

mission de transmission d'enseignement, de pédagogie. Il<br />

existe plusieurs outils pour travailler sur la citoyenneté<br />

que les artistes, que tous les êtres humains, peuvent avoir<br />

en eux pour favoriser la liberté, la citoyenneté, le dro i t<br />

de parole. Ma situation d'artiste doit être sans cesse<br />

transmise. Je suis d'une culture musicale qui est issue de<br />

la musique traditionnelle, on l'appellera musique folklorique,<br />

et l'essence même de ces musiques de tradition, ces<br />

musiques populaires, était de tra nsmettre, d'échanger. Au<br />

fond, il n'y avait sans doute pas d'âme dans ce que pouvait<br />

réaliser le musicien s’il n'était pas question de tra nsmission<br />

et d'échange permanent. Au même titre qu'un<br />

enseignant dans une cité en difficulté va pre ndre du<br />

temps et s'arracher les cheveux pour arriver à appre ndre<br />

à lire à un enfant en ayant conscience que lui permettre<br />

de lire et d'écrire, c'est le re ndre libre ; en enseignant mon<br />

instrument auprès <strong>des</strong> jeunes enfants, je peux peut-être<br />

concourir à les re ndre libres, à les re ndre citoyens du<br />

monde. Ils vont peut-être s'emparer de merveilleux outils<br />

de communication que sont le chant ou l'instrument ou<br />

la musique en général et vont peut-être tra nsmettre à<br />

leur tour.<br />

L'idée est surtout de dire qu’une façon de faire que<br />

les hommes soient libres, c'est de leur redonner la capacité<br />

de se réaliser et de revendiquer sans cesse. Au fond, l'État<br />

c'est un peu nous, même si parfois le truchement <strong>des</strong><br />

élections dans les conseils régionaux font qu'on élit un<br />

socialiste et qu’on a un président du Front National.<br />

Puisque l'État donne de l'argent à <strong>des</strong> ministères pour<br />

qu'il y ait un enseignement de la lecture, c'est quelque<br />

part re c o n n a î t re que l'on peut donner de l'argent pour<br />

devenir <strong>des</strong> revendicatifs, <strong>des</strong> révolutionnaires puisqu'on<br />

a p p re n d ra à lire. L'État ne peut pas éviter de donner<br />

de l'argent aux gens pour qu’ils s'interrogent, et ensuite<br />

interrogent<br />

ceux qui<br />

ont donné l’argent.<br />

Cela fait<br />

partie d'une politique<br />

intelligente et globale. Je suis très fier d'appartenir<br />

aux MJC, je suis très fier de pouvoir continuer ma<br />

musique sur scène et d'enseigner dans les MJC et je suis<br />

d'autant plus fier aujourd'hui que les MJC, et d'autre s<br />

associations sûrement aussi, sont vigilantes pour se<br />

re n d re compte qu'il y a danger sur la liberté et la<br />

citoyenneté. Je me souviens, il y a quelques années, de<br />

musiciens qui pour se moquer disaient : “Ah ! U ntel<br />

fait encore sa énième tournée mondiale <strong>des</strong> MJC !". J e<br />

souhaite aujourd'hui qu'il y ait <strong>des</strong> artistes qui fra p p e n t<br />

aux portes pour dire : “Vivement que je fasse une tournée<br />

dans ces maisons-là !".<br />

L'État ne peut pas éviter de<br />

donner de l'argent aux gens pour<br />

qu’ils s'interro g e n t<br />

David Leyondre - Ultim Power : Nous sommes nés en<br />

1990, nous sommes une bande de copains d'une cité de<br />

Nantes et nous avons fait <strong>des</strong> petits concerts dans les<br />

Maisons de Quartiers, dans les MJC et ensuite, en 1993,


nous avons créé notre pro p re association. Mais, nous<br />

nous sommes un peu plantés parce que nous n'avions<br />

pas de suivi et nous étions un peu jeunes. Pour nous, une<br />

association, c'était le moyen de pouvoir faire une facture.<br />

Ce qui est important, c'est d'être accompagné, qu'il y<br />

ait <strong>des</strong> gens qui sachent ce qu'ils doivent faire et que<br />

l'artiste, en lui même, prenne conscience de tout cela.<br />

Nous sommes allés enre g i s t rer une cassette démo à la<br />

MJC de Rezé parce que comme tout groupe, pour tro u-<br />

ver <strong>des</strong> scènes, il faut un petit produit, faire parler de<br />

soi. Puis le Printemps de Bourges en 96 par la FFMJC,<br />

La citoyenneté ce n'est pas seulement aller voter,<br />

c'est aussi garder un œil critique sur la société<br />

cela a vraiment été <strong>des</strong> conditions professionnelles pour<br />

m e t t re en œuvre d'autres concerts.<br />

En termes de pédagogie, nous avons utilisé le<br />

support rap comme support pédagogique, pour perm<br />

e t t re aux jeunes de se “réapproprier" l'écrit. Le hiphop<br />

est tellement large qu'on ne peut plus le ra t t a c h e r<br />

aux milieux urbains, aux cités, à la “racaille”. Il y a <strong>des</strong><br />

jeunes de cité qui s'organisent et nous c'est un peu le<br />

message que l'on fait passer à tra v e rs nos stages. Nous<br />

faisons <strong>des</strong> ateliers d’écriture, <strong>des</strong> ateliers M.A.O., ce qui<br />

est vraiment valorisant pour nous. Nous n'avons pas<br />

l ' i m p ression de faire du vent parce que les jeunes re p a r-<br />

tent avec une composition, repartent avec un texte et<br />

repartent avec <strong>des</strong> idées. Nous transmettons notre<br />

conception du hip-hop. Comme le relate la vidéo sur<br />

Mantes-la-Jolie, le hip-hop est né sous le signe du re s-<br />

pect. Pour moi, la citoyenneté ce n'est pas seulement<br />

aller voter, c'est aussi garder un œil critique sur la<br />

s o c i é t é .<br />

Alain Leprest : C'est voter !<br />

David Leyondre - Ultim Power : C'est voter, c'est clair<br />

mais c'est aussi pouvoir garder un œil critique. A tra v e rs<br />

ces stages que nous organisons, les échanges m'ont<br />

beaucoup apporté. En fait, les jeunes nous apportent<br />

deux fois plus ! En gros, nous avons commencé en 1996<br />

par une année un peu confidentielle pour nous former<br />

par rapport à la pédagogie, tra n s m e t t re notre savoir. Et<br />

en 1997, nous avons touché une centaine de jeunes. Le<br />

hip-hop peut devenir un support pédagogique pour<br />

“réapproprier". C'est même parfois à la limite du thérapeutique.<br />

Au départ, notre champ d'intervention était<br />

dans les Maisons de Quartier, dans les MJC, et maintenant,<br />

cela s'est élargi et nous travaillons aujourd'hui sur<br />

<strong>des</strong> projets liés à la santé, la toxicomanie, les maisons<br />

d'arrêt... Nous ressentons la satisfaction personnelle de<br />

nous épanouir dans notre passion. La musique reste une<br />

passion. Nous ne disons pas aux jeunes qu’ils vont devenir<br />

<strong>des</strong> stars parce que, comme disait Little Bob, attention<br />

nous sommes 100 % underg round ! C'est-à-dire que<br />

nous gardons le côté hip-hop d'origine. Enfin, ce que<br />

nous appelons l'underg round, c'est en fait être autonomes.<br />

Je re g rette que dans le hip-hop, nous ne bénéficions<br />

presque uniquement que de financements sociaux.<br />

N o t re association “RAPAC ITÉ" a plusieurs objectifs.<br />

Il y a les stages, l'artistique, et le collectif. Nous<br />

re g roupons <strong>des</strong> danseurs - par exemple la compagnie<br />

HB2 - <strong>des</strong> gra f e u rs et <strong>des</strong> musiciens. En fait, nous<br />

utilisons tout le support hip-hop qui réunit ces<br />

t rois disciplines pour aller vers les jeunes mais surtout<br />

pas pour leur dire qu'ils vont être <strong>des</strong> stars .<br />

Au départ, c'est pour leur donner un moment de plaisir.<br />

Ensuite, c'est à eux de voir s’ils doivent s'accro c h e r.<br />

N o t re but est que les jeunes s'organisent. Donc, à<br />

chaque fois que nous voyons <strong>des</strong> jeunes, nous leur<br />

disons la façon dont nous avons évolué depuis 1990.<br />

Cela leur remet un peu les pieds sur terre, loin de tout<br />

ce star système. Il ne faut pas se leurrer : il y a en Fra n c e<br />

7 groupes de rap qui s'en sortent et pourtant il y a une<br />

panoplie de groupes de rap. Ce qui est important, c'est<br />

que les jeunes ensuite puissent échanger. Demain à<br />

Nantes, nous organisons toute une journée hip-hop et<br />

ce sont tous nos stagiaires de France qui se réunissent et<br />

qui jouent. Imaginez la richesse de cette journée ! Enfin ,<br />

le plus valorisant pour moi, dans ce travail, c'est d'arriver<br />

à quelque chose de concret et d'arrêter de pro p o s e r<br />

du vent parce que les jeunes, ils en ont marre du vent.<br />

Là, on leur donne le support pour travailler et après c'est<br />

à eux de s'org a n i s e r, c'est à eux de faire <strong>des</strong> budgets.<br />

Bien sûr, c'est aussi aux animateurs de les accompagner,<br />

mais les jeunes doivent arrêter de tout attendre .<br />

Alain Leprest : C'est formidable ce que tu viens de dire !<br />

Pour ma part, ce sont <strong>des</strong> ateliers d'écriture tout à fait d’un<br />

autre genre, ludiques ou parfois payés ou payants. Ce que<br />

j'ai retenu, c'est que j'avais le sentiment de recevoir plus<br />

que l'on donne ! Nous sommes <strong>des</strong> pilleurs, <strong>des</strong> voleurs !<br />

Jean Djemad : Absolument, c'est vrai que cela nous<br />

apporte plus que ce que nous leur apportons. Et par<br />

extension de cela, ayant observé durant toutes ces<br />

années l'ensemble du circuit culturel français et européen,<br />

je me suis rendu compte d'une chose, c'est que<br />

partout - et c'est là sans doute l'intérêt de son rôle -<br />

l’artiste est capable d'être cette personne qui fait<br />

l'échange humain. Dans ce sens, il existe les réseaux<br />

d'échange par le savoir, ce sont <strong>des</strong> endroits où véritablement<br />

il se construit quelque chose. Il est intére s s a n t<br />

8 5


de voir par exemple de quelle manière l'école est re m i s e<br />

en cause. Dans les années 80, on a vu arriver dans le<br />

mouvement hip-hop <strong>des</strong> gens qui étaient en échec scol<br />

a i re, <strong>des</strong> gens doués en général, qui auraient aussi pu<br />

l ' ê t re à l'école, c'est évident. Mais ils n'y sont pas allés<br />

pour <strong>des</strong> tas de raisons. On peut effectivement re pérer<br />

<strong>des</strong> handicaps qui sont <strong>des</strong> manques de re p è res sociaux,<br />

b ref <strong>des</strong> choses qui ne sont pas <strong>des</strong> choses idiotes à<br />

c o n s t a t e r.<br />

Paul Blanc, directeur MJC Croix <strong>des</strong> Oiseaux -<br />

Avignon : À quoi l’artiste peut-il être utile dans ce dont<br />

nous parlons ? Tout simplement, il a un savoir-faire mais<br />

on ne peut pas dire qu'il sent plus, qu'il sent moins que le<br />

jeune qui tient les murs. Lui, il sait faire. C'est ce savoirfaire-là<br />

qui devrait nous intére sser. C'est comme cela que<br />

nous avons essayé de fonctionner. Nous n’avons pas à<br />

demander à l’artiste d'être l'animateur. Nous sommes de<br />

plus en plus gênés avec le concept de l'animation parc e<br />

que cela me semble une attitude assez résignée. Alors, la<br />

création, pour qui, pour quoi ? Est-ce que l'on peut dire à<br />

tout moment que tel groupe est prêt à se présenter<br />

devant n'importe qui ? Il me semble bien que tout le<br />

monde n'est pas artiste, mais qu'il y a <strong>des</strong> artistes qui ont<br />

du savoir-faire. Dans certains pays, les musiciens n'existent<br />

pas. Dans le sud-est asiatique, ce sont <strong>des</strong> faiseurs de<br />

musique. Nous pouvons revendiquer <strong>des</strong> intervenants<br />

artistiques qui aient du savoir-faire mais qui ne soient<br />

plus dans “l'exceptionnalité". C'est un combat qui me<br />

semble maintenant indispensable et sans chercher une<br />

autre légitimité que la nôtre. <strong>Les</strong> quartiers sont <strong>des</strong> labora<br />

toires pour le futur. Enfin, nous sommes quelques-uns à<br />

Dans certains pays, les musiciens n'existent pas. Dans le<br />

sud-est asiatique, ce sont <strong>des</strong> faiseurs de musique<br />

le penser. C'est là où - et je m'adresse aux artistes - que<br />

se pose la vraie fonction sociale de l'art. C'est là qu'il y a<br />

les obstacles. L'artiste va s'en pre ndre plein la gueule et<br />

s’il ne tient pas : qu'il crève !<br />

Jean Djemad : A la question du pourquoi pas de fin ancement<br />

culturel, je voudrais apporter, à la lueur de ma<br />

propre expérience, deux réponses. La pre mière, c'est que<br />

cela tient d'abord aux hommes, il suffit qu'un D.R.A.C. soit<br />

fondu de ce que tu fais pour que cela se débloque. C'est<br />

arrivé pour nous, mais cela ne veut pas pour autant dire<br />

que son ministère et tous les gens qui bossent avec lui<br />

vont suivre, mais cela compte. C'est pareil pour le contact<br />

que l'on peut avoir avec un animateur dans une MJC ou<br />

avec un instituteur dans une école, il est prépondéra nt.<br />

Cela passe par le contact entre deux individus. J'ai re marqué<br />

une chose, c'est souvent leur réponse. Leurs budgets<br />

ne sont pas extensibles et, en fait, ils se re trouvent souvent<br />

dans <strong>des</strong> logiques de chaises musicales. C'est-à-dire<br />

qu'ils financent depuis <strong>des</strong> années un certain nombre<br />

d'artistes qu'il est tout à fait légitime de financer et<br />

lorsque d'autres artistes arrivent, il n'y a plus d’argent. Si<br />

on donne aux nouveaux, on prend aux anciens et la plupart<br />

<strong>des</strong> gens de ce milieu, qui souvent sont très honnêtes,<br />

nous expliquent les limites de ce que l'État leur offre<br />

comme possibilité de développer <strong>des</strong> actions. Il faut donc<br />

poser la question à tra vers notre vote, à tra vers notre<br />

engagement, à <strong>des</strong> gens qui ont peut-être mis plus sur la<br />

culture, plus un terme de propagande, de loisir qu'un<br />

terme de développement de la personne humaine.<br />

Alain Leboucher, coordinateur MJC de Mouy (60) :<br />

Je suis un formateur et un diffuseur. Aujourd’hui, une<br />

g rosse erreur sur l'avenir est en train d’être commise par<br />

de nombreux partenaires institutionnels. Il existe une<br />

politique dont l'objectif est uniquement la formation. Je<br />

ne suis absolument pas d'accord parce que l'artiste aura<br />

t o u j o u rs le droit de s'exprimer. Ve rser l'argent uniquement<br />

dans les formations, je trouve cela très grave parc e<br />

que cela ne permettra certainement pas à beaucoup<br />

d'artistes de pouvoir s'exprimer, de pouvoir vivre un<br />

minimum de ce qu'ils sont capables de présenter. Nous<br />

devons nous poser la question de savoir si nous sommes<br />

là uniquement pour former <strong>des</strong> gens au même titre que<br />

pour d'autres métiers, point. On nous coupe les ro b i n e t s<br />

de la diffusion dans l’Oise et c'est quelque chose de très<br />

g rave. Hier, nous avons appris la mort de cinq associations<br />

depuis le début de l'année, qui vont arrêter la diffusion<br />

parce qu'il n'y a plus aucune subvention<br />

qui est versée. La formation et la diffusion doivent<br />

exister ensemble. Si cela continue, il y aura<br />

cinq groupes de rap au niveau national, autant<br />

dans le rock et dans le jazz… et que fait-on avec le reste ?<br />

Bien entendu, on pourra toujours s'exprimer dans les<br />

MJC parce qu'il faut quand même re c o n n a î t re qu'elles<br />

ont toujours permis à tout le monde de s'exprimer.<br />

8 6<br />

Alain Leprest : Comme tous les artistes que nous<br />

sommes, nous ne sommes pas heureux de venir sur un<br />

plateau quand il y a 20 personnes dans la salle. Nous ne<br />

sommes pas contents parce que le professionnel, le lieu,<br />

la mairie, le service de communication n'ont pas fait<br />

leur travail non plus ou peut-être que nous n'avons pas<br />

un nom suffisamment alléchant et dans ce cas, c'est<br />

aussi de notre faute. D'un autre côté, il est tout à fait<br />

possible pour un artiste de constater qu'un lieu est<br />

accueillant. Pour telle association, tel lieu, je pra t i q u e<br />

un prix, comme Bob pratique aussi un prix parce que


nous savons que l’organisateur fait bien son boulot. Je<br />

ne vais pas au cachet pour le cachet.<br />

Je fais partie de ceux qui se sont déplacés dans<br />

<strong>des</strong> petits lieux avec <strong>des</strong> personnes du Ministère de la<br />

Culture sur les recommandations de Madame Trautmann.<br />

Nous nous sommes aperçus qu'il n'y a aucune solution.<br />

C ' e s t - à - d i re que lorsque vous êtes artiste à Paris et que<br />

vous allez chanter dans une salle de 300 personnes à<br />

Avignon par exemple, avec 4 ou 5 musiciens : tout est<br />

bouffé ! <strong>Les</strong> solutions que nous pouvons apporter sont<br />

de faire un “billet-train" comme on fait un “billetrest<br />

aurant" pour tous les musiciens, et puis ainsi de<br />

suite. Essayer<br />

de réglementer<br />

à seule fin que<br />

l'on puisse présenter<br />

un contrat de spectacle, sinon les chanteurs de<br />

Paris ne peuvent plus aller en province et les chanteurs<br />

de province ne peuvent plus aller à Paris. Je pense que<br />

les artistes et professionnels du spectacle que vous êtes<br />

doivent penser à toutes ces choses-là.<br />

C'est extra o rd i n a i re à quel point notre métier<br />

n'est pas structuré. Lorsque nous avons eu l'autorisation<br />

de cette pre m i è re re n c o n t re avec Catherine Tra u t m a n n ,<br />

avec <strong>des</strong> petits lieux qui n'étaient pas structurés entre<br />

eux, d'abord parce qu'ils ne fonctionnent pas tous sur<br />

les même mo<strong>des</strong>. Nous avons vu l'un <strong>des</strong> attachés de<br />

cabinet, spécialisé dans la chanson française. Au bout<br />

d'une heure il nous a dit que ce que nous lui ra c o n t i o n s<br />

était très intéressant mais qu’il se demandait d'où nous<br />

parlions et qui nous étions. Il est très difficile de se présenter<br />

dans un Ministère sans représenter rien du tout !<br />

Nous n'étions, en définitive, que <strong>des</strong> personnes individuelles<br />

et c'est l'attaché du Ministère qui nous dit - la<br />

honte de ma vie pour moi qui suis fils de syndiqué ! -<br />

que le Ministère ne reçoit que <strong>des</strong> syndicats, que <strong>des</strong><br />

gens organisés. Maintenant, nous nous organisons, nous<br />

allons essayer de fédére r, cela s'appelle la Fédération <strong>des</strong><br />

Petits Lieux. Évidemment, cela représente <strong>des</strong> ai<strong>des</strong><br />

importantes puisqu'il y a les Maisons de la Culture et<br />

tous ces réseaux et il y a aussi les petits lieux qui fonctionnent<br />

et qui boitent.<br />

Il faut créer un immense mouvement pour faire<br />

plier certaines règles fin a n c i è res qui pèsent sur vos lieux<br />

à vous et qui pèsent sur nous. Quand je viens pour un<br />

concert avec sept musiciens, je paie <strong>des</strong> charges. C'est<br />

très cher et cela veut dire que si je viens chanter ici, en<br />

comptant les places comme tout à l'heure, je dis que si<br />

cela ne passe pas à cent francs la place - et vous ne la<br />

f e rez pas à cent francs parce que j'ai horreur <strong>des</strong> places<br />

à ce prix - donc je suis dans le bouillon. Il faut que l'on<br />

se démène tous ensemble. Il y a bien les pilotes d'avion<br />

C'est extra o rd i n a i re à quel point<br />

n o t re métier n'est pas structuré<br />

qui font la grève, faites la grève aussi ! La grève du son,<br />

vous verrez ! Grève du son à la radio, grève du son dans<br />

l ' a s c e n s e u r, grève du son au carre f o u r, pas un son, pas<br />

un bruit, même pas Little Bob ! Une journée sans<br />

musique, une vraie grève !<br />

Little Bob : Je sors d'une tournée où nous avons joué sur<br />

<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> et <strong>des</strong> petites scènes. Si nous avons pu le faire<br />

c'est parce que nous pratiquons <strong>des</strong> prix adaptés. Comme<br />

nous avons fait 45 concerts dans toute la France, nous<br />

avons fait <strong>des</strong> prix en conséquence. Nous, musiciens, avons<br />

besoin <strong>des</strong> petits lieux et <strong>des</strong> MJC. Vous êtes les seuls à<br />

pouvoir faire passer <strong>des</strong> artistes comme nous et <strong>des</strong> gens<br />

qui ne passent pas forcément tous les jours en télé ! Donc,<br />

je pense que c'est aussi votre devoir de faire re ncontrer les<br />

publics de votre quartier, de là où vous êtes, <strong>des</strong> gens qui ne<br />

passent pas forcément en télé ou en radio. Ce que nous<br />

donnons est différent, a une certaine pureté, une certaine<br />

qualité. S’ils veulent voir <strong>des</strong> artistes qui passent sur les<br />

on<strong>des</strong> et sur les chaînes, ils iront les voir dans la salle de<br />

spectacle de la ville mais c'est à vous, c'est votre devoir de<br />

faire passer <strong>des</strong> musiciens, <strong>des</strong> danseurs, <strong>des</strong> chanteurs, du<br />

théâtre, du café-théâtre, et de faire que vos lieux soient<br />

aussi <strong>des</strong> lieux de diffusion. Ne l'oubliez pas, car si c'est très<br />

bien d'animer et d'appre ndre, il faut aussi faire de la diffusion<br />

pour que <strong>des</strong> gens comme nous puissent se pro duire<br />

sur scène et montrer ce que nous savons faire. Ce que nous<br />

proposons est, en général, largement aussi bien fait, sinon<br />

mieux, que les gens qui sont très poussés par les médias.<br />

Jean Djemad : Quand par exemple on utilise le mot<br />

éducation, cela sonne comme une espèce de centre<br />

unique d'un savoir “c athédralesque", vertical, pyra m i d a l<br />

v e rs quelque chose qui est autre chose d'inconsidéré, de<br />

même pas re p é rable dans un ministère. Par ailleurs, je<br />

pense que l’individuel compte autant que le collectif. Je<br />

p r é f è re parler “d'inter-individuel", c'est-à-dire cette<br />

capacité que l'on a, à la fois, d'être dans le respect d'un<br />

individu à l'autre tout en ayant, en même temps, cette<br />

capacité développée vers un maximum de gens. La sensation<br />

que l'on a lorsque l'on se sent bien parmi les<br />

a u t res, de mieux en mieux parmi de plus en plus<br />

d ' a u t res. Cette sensation, elle ne se fait que de pro c h e<br />

en proche finalement. La sensation d'avoir affaire à une<br />

masse, pour moi, c'est quelque chose qui me paraît ne<br />

rien avoir résolu. Si on dit que le rapeur prend le micro<br />

p a rce qu'il a un droit d'expression, c'est faux ! Le ra p e u r<br />

p rend un micro, il prend son droit d'expression et, tôt ou<br />

t a rd, il va se re n d re compte qu'il a un dro i t .<br />

J'ai la sensation d'offrir de la connaissance, de<br />

l'accès à la connaissance d'une manière qui me para î t<br />

bien plus efficace que l’école. Je ne dis évidemment pas<br />

8 7


8 8<br />

qu'il ne faut pas qu'il y ait accès à la connaissance. Et<br />

pour moi, il n'y a pas de confusion entre le terme “éducation"<br />

et le terme “connaissance". Je suis pers u a d é<br />

qu'il faut qu'on ait accès à la connaissance, je suis même<br />

Le métier artistique est un métier qui s'apprend, qui a<br />

une pédagogie et une discipline<br />

complètement persuadé qu'il n'y a pas qu'à l'école que<br />

c'est possible. Ce qui n'est pas une manière de m'asseoir<br />

sur les profs à qui je dois tout ! Mais je préfère que l'on<br />

dise “a pprendre". Il faudrait tenter de se mettre dans<br />

<strong>des</strong> processus où le professeur est un peu moins sacré,<br />

un peu plus humain et l'individu qui est en face de lui,<br />

il est moins à éduquer et capable aussi d'éduquer l'autre .<br />

Fernand Estèves : Educateur est un terme qui est en<br />

réflexion à l'heure actuelle au sein même de notre fédération.<br />

Est-ce encore d'actualité dans une fédération d'éducation<br />

populaire défendant l’idée d’éducation permanente ?<br />

Est-ce encore d'actualité dans l’ensemble <strong>des</strong> associations<br />

d’éducation populaire ? Je le pense, je défends ce concept,<br />

au moins d’un point de vue sémantique. Je crois que<br />

lorsque <strong>des</strong> personnes effectuent un travail éducatif, il<br />

faut savoir le nommer en tant que tel. Je trouve d’ailleurs<br />

qu'on a un petit peu trop tendance à mettre à la trappe un<br />

processus qui a été validé par nombre de théories et de<br />

pratiques. L'éducation, cela signifie quelque chose et si<br />

nous sommes <strong>des</strong> associations d'éducation populaire, c'est<br />

que “éducation" et “populaire", cela veut dire quelque<br />

chose, qui plus est quand on les associe.<br />

Jean Djemad : L'éducation populaire, c'est un terme qui<br />

est attaché à l'histoire. C’est quelque chose qui a sa validité,<br />

y compris très profondément dans la tradition mais<br />

ce n'est pas forcément négatif qu'elle sache se délester<br />

d'un certain nombre de termes qui peuvent être lourds et<br />

d i f ficiles à employer !<br />

Alain Leprest : Le métier artistique est un métier qui<br />

s ' a p p rend, qui a une pédagogie et une discipline. Et tu le<br />

sais très bien !<br />

Jean Djemad : Je ne dis pas le contra i re ! Je ne mets<br />

qu'un terme en cause et je ne parle pas de cette manière<br />

là avec <strong>des</strong> jeunes. Pour une raison simple : lorsque je<br />

suis avec <strong>des</strong> jeunes, je passe plus de temps à faire <strong>des</strong><br />

trucs qu'à en parler.<br />

Michel Frédéric, musicien et animateur MJC d'Évreux :<br />

Quelle grande prouesse <strong>des</strong> hommes, pensons à Jules<br />

F e r r y, d’avoir mis l'école à la portée de tout le monde. Le<br />

l i v re, la lecture et l'écriture offrent la liberté, le re s p e c t<br />

et la revendication. La question est de savoir si, dans le<br />

terme “éducation", il y a une part de révolution possible<br />

dans celui qui reçoit une information. Est-ce que l'éducation<br />

est seulement didactique ? Bob à côté de<br />

moi, me disait : “Mais bon dieu ! Si moi j'avais<br />

pu aller dans toutes ces écoles, peut-être que je<br />

chanterais en français aujourd'hui…". On se<br />

demande toujours comment faire en sorte que nous<br />

puissions être <strong>des</strong> citoyens libre s .<br />

Sylvie Gueye, animatrice MJC Agora - Nice : La gra n-<br />

de question que je me pose par rapport à l'éducation en<br />

tant que telle, c'est que “éduquer", c'est “former" d a n s<br />

le sens de donner une forme à quelqu'un. Cette forme<br />

débouche sur une sélection et je crois que c'est à ce<br />

niveau-là qu'est véritablement le débat. J'ai entendu une<br />

inspectrice de l'Éducation nationale de Z.E.P. dire :<br />

“Notre travail n'est pas d'éduquer, c'est de sélectionner."<br />

Cela veut bien dire ce que cela veut dire, et je cro i s<br />

que c'est à ce niveau-là que le terme peut heurter mais<br />

je crois que “former", en soit, ce n'est pas mauvais. Il<br />

faut faire très attention aux formes que l'on impose et<br />

ensuite à ce sur quoi cela peut déboucher au niveau de<br />

la sélection.<br />

Michel Sagne, directeur MJC La Bouvardière -<br />

St Herblain : Je réagis sur “former" p a rce que je fais<br />

partie de ceux qui ont participé à <strong>des</strong> séminaires avec le<br />

philosophe Luc Carton. Avec lui, nous avons tenté de<br />

v é r i fier que l'école avait une histoire et que la formation<br />

était peut-être le dernier moment de l'histoire de l'école.<br />

Ce que je crois, c'est que l'école dont rêve Alain Lepre s t ,<br />

c'est celle qui m'a formé, c'est celle de l'instruction, c'est<br />

celle de la science. Je crois que nous ne pouvons pas tenir<br />

le même discours à propos <strong>des</strong> musiques et à propos de<br />

l ' a s t rophysique par exemple.<br />

Alain Leprest : Nous chantons avec les pieds plantés sur<br />

scène, avec les mains en avant, pour dire <strong>des</strong> choses aux<br />

gens sans en avoir la certitude. Mais nous voulons les<br />

re transmettre. Il n'y a pas d'émotion sans mots, il n'y a<br />

pas d'émotion sans notes. Où les trouve-t-on ces émotions<br />

? Dans l'apprentissage. Une chanson, ce n'est pas<br />

g rand-chose, elle ne re n t re ra jamais à l'Académie<br />

F rançaise, ra s s u rez-vous ! Ils ne nous auront pas mais<br />

cela ne nous empêchera pas de leur faire lever les poils.<br />

Par ailleurs, la musique est une industrie monstrueuse.<br />

Avec tout l’argent prélevé en droits télé, en<br />

d roits radio… on devrait se mobiliser, faire une exposition<br />

de l'ensemble <strong>des</strong> métiers que génère l'industrie phonog<br />

raphique, même si on n'emploie plus ce terme aujour-


d'hui. Il y a beaucoup de métiers, beaucoup de gens qui<br />

t ravaillent de leurs mains pour que nos maigres voix nous<br />

permettent de vivre de ce métier.<br />

Michel Allenbach, chargé de missions nationales FFMJC<br />

Étu<strong>des</strong> - Recherche - Formation Institutionnelle : J ' a v a i s<br />

convenu de vous faire une proposition. C'est-à-dire à la<br />

fois de projeter avec vous une grille de lecture et peutê<br />

t re une modélisation théorique, à mon avis, assez<br />

poussée en ce qui concerne un type d'intervention dans<br />

l'ensemble <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la Culture, donc<br />

les 650 mais peut-être aussi plus largement sur <strong>des</strong><br />

centaines de milliers d'associations en France. La question<br />

de la formation couvre l'ensemble <strong>des</strong> chantiers ,<br />

<strong>des</strong> contenus paradigmatiques d'un grand projet national<br />

d'éducation populaire. Nous travaillons aujourd ' h u i<br />

sur la “problématisation" de la relation entre savoir,<br />

s a v o i r - f a i re, savoir être, de ce qui est une politique, une<br />

p roblématique de transmission, d'enseignement, de formation,<br />

d'éducation. Ces problématiques sont donc inscrites<br />

dans les schèmes généraux sur lesquels je<br />

t ravaille. Nous<br />

avons mis en<br />

place un plan<br />

national de<br />

formation qui<br />

re p rend en<br />

quelque sorte <strong>des</strong> perspectives arrêtées dans leur production<br />

d'historicité pour parler de la FFMJC depuis 50<br />

ans. Aborder le statut de la culture, de sa production, de<br />

son énonciation et <strong>des</strong> capacités à travailler sur <strong>des</strong><br />

c h a n t i e rs populaires à l'aube du XXI e siècle conduit<br />

effectivement à ce que notre approche ne concerne pas<br />

que les dire c t e u rs. Elle concerne bien les 8 000 salariés<br />

<strong>des</strong> associations, soit en animateurs spécialisés, techniciens,<br />

enseignants, artistes, pro f e s s e u rs, pers o n n e l s<br />

a d m i n i s t ratifs et l'ensemble <strong>des</strong> bénévoles, administrat<br />

e u rs élus et aussi personnels politiques <strong>des</strong> collectivités<br />

publiques, collectivités territoriales au niveau local,<br />

au niveau départemental et régional.<br />

<strong>Les</strong> problématiques de formation mettent dans<br />

une perspective nouvelle, c'est-à-dire sur <strong>des</strong> pro jections<br />

à plusieurs années, un <strong>des</strong>sein national public autant<br />

que privé concernant l'avenir du statut de notre action<br />

collective, de notre projet et de la place de notre institution<br />

et du rôle <strong>des</strong> Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />

C u l t u re. Le rôle institué aux Maisons <strong>des</strong> Jeunes et de la<br />

C u l t u re doit être profondément remanié, pro f o n d é m e n t<br />

t ransformé. Donc, pour aborder <strong>des</strong> chantiers diffic i l e s<br />

où se travaille une dialectique qui renvoie très précisément<br />

à la difficulté de l'époque et <strong>des</strong> comportements,<br />

nous avons un travail de théorisation autant que de<br />

Aborder le statut de la culture,<br />

de sa production, de son énonciation<br />

et <strong>des</strong> capacités à travailler sur <strong>des</strong><br />

chantiers populaires<br />

mise en pratique en quelque sorte <strong>des</strong> chantiers d'expérimentations<br />

et de re c h e rches qui sont importants sur<br />

ces domaines. Nous faisons <strong>des</strong> propositions qui<br />

d e v raient associer l'ensemble <strong>des</strong> partenaires puisque la<br />

question d'un projet collectif de transformation sociale<br />

et d'émancipation de la personne sur la question complexe<br />

du statut de sa production culturelle et civique<br />

conduit à ce que nous travaillions désormais sur <strong>des</strong><br />

modèles nouveaux de collaboration. Nous étions très<br />

attachés, et nous le sommes encore, à un modèle de<br />

cogestion publique et interne. Cette cogestion doit être<br />

aussi remaniée dans son développement et dans ses pratiques.<br />

Nous sommes, effectivement, très attachés à<br />

re c h e rcher de nouveaux modèles d'interactions privées<br />

ou publiques entre les acteurs qui ont du pouvoir, entre<br />

les populations qui en ont moins, entre les jeunes qui<br />

t ravaillent à la question de leur identité et de leur statut<br />

et de leur positionnement global. ❙<br />

8 9


9 0<br />

Si la musique peut être un moyen d’aller<br />

vers le politique ou, au contraire, de s’en extraire,<br />

le seul argument d’une hyper-musicalisation<br />

de la société ne suffit pas à expliquer une<br />

demande légitime de reconnaissance et de<br />

moyens accrus. Sans exclure la dimension de<br />

plaisir, proposer aux citoyens de comprendre le<br />

réel pour mieux le transformer suppose un minimum<br />

de pensée politique.<br />

L’État ne peut pas éviter de donner de l’argent<br />

pour que les citoyens s’interrogent. Au-delà de<br />

cadres étroits et normatifs, et d’une nécessaire<br />

concertation avec les collectivités territoriales,<br />

l’État doit remplir son rôle d’anticipation, d’incitation,<br />

de levier et de vigilance.<br />

Le secteur <strong>des</strong> musiques actuelles semble<br />

représentatif d’une mutation de la réflexion en<br />

matière de politique éducative et culturelle. Mais<br />

de programmes trop spécifiques en dispositifs<br />

stigmatisants, les engagements <strong>des</strong> pouvoirs<br />

publics restent trop ponctuels. De nombreuses<br />

équipes - bénévoles et/ou professionnelles -<br />

continuent de défendre dans la précarité leurs<br />

lieux et leurs actions comme <strong>des</strong> espaces de<br />

liberté, de résistance, de contradiction et de<br />

délibération contre une certaine forme de poujadisme<br />

et contre l’idée d’une pacification<br />

sociale à bon compte.


Pour éviter que toute politique ne devienne<br />

qu’un catalogue de bonnes intentions, entendons<br />

que la culture n’est pas socialisante par nature et<br />

que consommer <strong>des</strong> produits culturels intelligents<br />

ne libère pas le citoyen. La culture divise par<br />

essence ; l’accompagnement <strong>des</strong> pratiques musicales<br />

peut permettre d’explorer ces divisions pour<br />

que se construisent les identités. Vouloir nier ces<br />

identités, ou du moins les processus d’identification,<br />

ne ferait qu’alimenter les oppositions<br />

entre populations subissant les mêmes réalités.<br />

C’est pourquoi il paraît aujourd’hui essentiel,<br />

tant pour les “artistes” que pour les “médiateurs”,<br />

de s’investir ou de se réinvestir sans exclusive avec<br />

ceux qui n’imaginent même plus que leur rapport<br />

au monde a encore une importance pour qui que<br />

ce soit. C’est bien dans la confrontation <strong>des</strong> intuitions<br />

et <strong>des</strong> analyses, entre citoyens d’une même<br />

République, que l’expression artistique peut encore<br />

vivre et se renouveler.<br />

L’actuelle rédaction de la Charte d’objectifs<br />

Ministère de la Culture / Conseil national d’éducation<br />

populaire (Conseil composé de huit fédérations et<br />

mouvements nationaux) nous offre <strong>des</strong> perspectives<br />

novatrices pour l’avenir. Espérons que les<br />

qualités dépasseront les préjugés.<br />

Enfin, puisque le Ministère de la Jeunesse et<br />

<strong>des</strong> Sports continue d’afficher sa volonté de<br />

mobiliser les intelligences <strong>des</strong> citoyens pour expliquer<br />

et influer sur les mutations de notre société,<br />

avançons que la musique peut permettre à chacun<br />

de se construire une autre représentation du<br />

monde à condition que les cadres de réflexion, de<br />

confrontation et d’expérimentation impliquent<br />

tous les acteurs.<br />

Mai 1999<br />

Fernand Estèves<br />

chargé de mission culture FFMJC<br />

Depuis les Rencontres d’Évreux, le rapport<br />

de la Commission nationale <strong>des</strong> musiques<br />

actuelles a été rendu public. <strong>Les</strong> réponses du<br />

Ministère de la Culture sont globalement cohérentes<br />

mais insuffisamment ambitieuses malgré<br />

une pression accrue par d’oppotunes Rencontres<br />

de la Fédurok à Nantes.<br />

Partout nous entendons que le temps de la<br />

verticalité <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’intervention et de la défense<br />

<strong>des</strong> pré-carrés est bel et bien révolu. Or la transversalité<br />

ne se décrète pas. En termes de médiation<br />

culturelle, la reconnaissance de la spécificité associative<br />

d’éducation populaire n’est toujours pas<br />

gagnée. Il nous faut donc continuer de saisir et de<br />

faire vivre ce que, par exemple, le Ministère de la<br />

Culture propose dans sa Charte <strong>des</strong> missions de service<br />

public pour le spectacle vivant : “...un large<br />

réseau de partenaires et de relais inscrits dans la vie<br />

professionnelle et associative, comprenant notam -<br />

ment le secteur socio-éducatif, doit être recherché,<br />

voire suscité”.<br />

Remerciements à tous les intervenants et participants,<br />

à Claude Le Berre et Philippe Bordier,<br />

à Jean-Marie Martin, Jean-Christophe Aplincourt,<br />

et à toute l’équipe de la MJC l’Abordage d’Évreux<br />

et du festival Rock dans tous ses États,<br />

à Michel Sagne, Antoine Bire, Dany Guillemot, Nicolas Lefort,<br />

et Jean-Dominique Scheer pour ses magnifiques photos<br />

du festival (contact : 06 60 23 50 68).

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