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Les<br />
ultimes plaquettes des grands poètes s’inscrivent dans un genre<br />
littéraire particulier. On en attend un couronnement spécifique<br />
de l’œuvre de ces écrivains remarquables, une réminiscence du<br />
style qu’on leur connaît ou un rappel de leurs thèmes majeurs. La critique en<br />
espère surtout une complétude, une synthèse, des éclaircissements, diverses<br />
tentatives de bilan, de pardon ou d’adieux propres à la nature d’un tel<br />
recueil. La publication posthume de Wisława Szymborska, intitulée Il suffit,<br />
correspond-elle à cela ?<br />
Il me semble qu’elle va au-delà. C’est un ouvrage remarquable, même s’il<br />
reste dans l’inachèvement, mais j’y reviendrai. Néanmoins, les poèmes qui<br />
étaient prêts à être publiés en composent la majeure partie et, définitivement,<br />
ils sont tous quasiment parfaits. Ils s’enchaînent dans l’ordre chronologique,<br />
c’est-à-dire, pour citer Ryszard Krynicki dans sa postface : « Selon l’ordre dans<br />
lequel Wisława Szymborska remettait ses tapuscrits corrigés à son secrétaire<br />
pour qu’il les saisisse en ordinateur. » Pareil agencement n’était pas dans les<br />
habitudes de la poète, elle veillait à la composition de ses plaquettes avec<br />
un soin jaloux, mais, là, nécessité fit loi. Se confirme ainsi la thèse, souvent<br />
énoncée à propos de Szymborska, qu’elle est une lauréate de prix Nobel qui<br />
doit être abordée d’abord comme l’auteure d’un seul poème à la fois et non<br />
pas de volumes poétiques, par ailleurs remarquablement élaborés.<br />
Le volume Il suffit salue en maints endroits le caractère unique de chaque être<br />
humain, mais il est également une apologie de l’humanité. N’est-ce pas dans<br />
« Les confidences d’une machine à lire » qu’interviennent les déclarations d’un<br />
robot linguiste qui connaît toutes les langues de l’histoire de l’humanité ; il<br />
sait extraire le moindre signe des sédiments de catastrophes pour le restituer<br />
dans sa forme première, il peut aller jusqu’à décrypter la lave ou lire dans les<br />
cendres, corriger les fautes d’orthographe dans les lettres des particuliers, mais<br />
il ne comprend pas des notions aussi propre à l’humanité que « sentiments »,<br />
« âme » ou des termes comme « je suis » qui définissent au plus haut point<br />
la conscience que l’homme a de lui-même car « je suis » a l’apparence d’une<br />
« activité banale /pratiquée par tous, mais jamais collectivement » ! Il convient<br />
de souligner que ce qui est spécifiquement humain, atteint sa plénitude là où la<br />
perfection est absente car n’est-ce pas ainsi qu’il convient de lire le poème « Il<br />
y en a qui... » en se référant à une axiologie négative ?<br />
Personne ne serait en mesure d’imaginer la structure de tout le volume<br />
sans l’excellente décision de compléter la publication par les facsimilés et la<br />
description des manuscrits de poèmes inachevés ainsi que par les explications<br />
fines, consciencieuses et pourtant pétillantes de l’éditeur, Ryszard Krynicki.<br />
Ce dernier dévoile et commente pour nous le tour de Szymborska, ses suites de<br />
ratures, d’ajouts et de corrections ; il nous révèle le processus à l’épiphanie des<br />
vers, il prend le risque de nous suggérer les mots qui manquent, d’indiquer les<br />
parentés, les voisinages ou les contrepoints des ouvrages. Ainsi devenons-nous<br />
les confidents du mystère de l’atelier poétique, frayons-nous avec les fragments<br />
sauvés de l’inexistence et les parties presque intégrales sorties du néant tels les<br />
étants du poète Leśmian qui veulent exister. Or, de ces instances qui aspirent<br />
à être, il n’y en a jamais assez.<br />
Piotr Łuszczykiewicz<br />
Traduit par Maryla Laurent<br />
WYDAWNICTWO A5, CRACOVIE 2012<br />
148 × 210, 56 PAGES<br />
ISBN : 978-83-61298-35-9<br />
DROITS DE TRADUCTION : FONDATION WISLAWA SZYMBORSKA<br />
DROITS VENDUS EN ESTONIE (HENDRIK LINDEPUU),<br />
EN ITALIE (ADELPHI), AU MEXIQUE (BURÓ BLANCO),<br />
AUX PAYS-BAS (DE GEUS), EN SUÈDE (ELLERSTROMS)