36 WISŁAWA SZYMBORSKA WISŁAWA SZYMBORSKA (1923-2012) POÈTE ET ESSAYISTE, PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE 1996. MONDIALEMENT CONNUE POUR AVOIR ÉTÉ TRADUITE EN ANGLAIS, FRANÇAIS, ALLEMAND, NÉERLANDAIS, ESPAGNOL TCHÈQUE, SLOVAQUE, SUÉDOIS, BULGARE, ALBANAIS ET CHINOIS. SZYMBORSKA FUT UN MYSTÈRE ; MODESTE ET INTROVERTIE, DISCRÈTE ET RÉSERVÉE, ELLE FASCINAIT SES LECTEURS. IL SUFFIT EST SON DERNIER RECUEIL DE POÉSIES. Photo : Institut polonais du Livre
37 Les ultimes plaquettes des grands poètes s’inscrivent dans un genre littéraire particulier. On en attend un couronnement spécifique de l’œuvre de ces écrivains remarquables, une réminiscence du style qu’on leur connaît ou un rappel de leurs thèmes majeurs. La critique en espère surtout une complétude, une synthèse, des éclaircissements, diverses tentatives de bilan, de pardon ou d’adieux propres à la nature d’un tel recueil. La publication posthume de Wisława Szymborska, intitulée Il suffit, correspond-elle à cela ? Il me semble qu’elle va au-delà. C’est un ouvrage remarquable, même s’il reste dans l’inachèvement, mais j’y reviendrai. Néanmoins, les poèmes qui étaient prêts à être publiés en composent la majeure partie et, définitivement, ils sont tous quasiment parfaits. Ils s’enchaînent dans l’ordre chronologique, c’est-à-dire, pour citer Ryszard Krynicki dans sa postface : « Selon l’ordre dans lequel Wisława Szymborska remettait ses tapuscrits corrigés à son secrétaire pour qu’il les saisisse en ordinateur. » Pareil agencement n’était pas dans les habitudes de la poète, elle veillait à la composition de ses plaquettes avec un soin jaloux, mais, là, nécessité fit loi. Se confirme ainsi la thèse, souvent énoncée à propos de Szymborska, qu’elle est une lauréate de prix Nobel qui doit être abordée d’abord comme l’auteure d’un seul poème à la fois et non pas de volumes poétiques, par ailleurs remarquablement élaborés. Le volume Il suffit salue en maints endroits le caractère unique de chaque être humain, mais il est également une apologie de l’humanité. N’est-ce pas dans « Les confidences d’une machine à lire » qu’interviennent les déclarations d’un robot linguiste qui connaît toutes les langues de l’histoire de l’humanité ; il sait extraire le moindre signe des sédiments de catastrophes pour le restituer dans sa forme première, il peut aller jusqu’à décrypter la lave ou lire dans les cendres, corriger les fautes d’orthographe dans les lettres des particuliers, mais il ne comprend pas des notions aussi propre à l’humanité que « sentiments », « âme » ou des termes comme « je suis » qui définissent au plus haut point la conscience que l’homme a de lui-même car « je suis » a l’apparence d’une « activité banale /pratiquée par tous, mais jamais collectivement » ! Il convient de souligner que ce qui est spécifiquement humain, atteint sa plénitude là où la perfection est absente car n’est-ce pas ainsi qu’il convient de lire le poème « Il y en a qui... » en se référant à une axiologie négative ? Personne ne serait en mesure d’imaginer la structure de tout le volume sans l’excellente décision de compléter la publication par les facsimilés et la description des manuscrits de poèmes inachevés ainsi que par les explications fines, consciencieuses et pourtant pétillantes de l’éditeur, Ryszard Krynicki. Ce dernier dévoile et commente pour nous le tour de Szymborska, ses suites de ratures, d’ajouts et de corrections ; il nous révèle le processus à l’épiphanie des vers, il prend le risque de nous suggérer les mots qui manquent, d’indiquer les parentés, les voisinages ou les contrepoints des ouvrages. Ainsi devenons-nous les confidents du mystère de l’atelier poétique, frayons-nous avec les fragments sauvés de l’inexistence et les parties presque intégrales sorties du néant tels les étants du poète Leśmian qui veulent exister. Or, de ces instances qui aspirent à être, il n’y en a jamais assez. Piotr Łuszczykiewicz Traduit par Maryla Laurent WYDAWNICTWO A5, CRACOVIE 2012 148 × 210, 56 PAGES ISBN : 978-83-61298-35-9 DROITS DE TRADUCTION : FONDATION WISLAWA SZYMBORSKA DROITS VENDUS EN ESTONIE (HENDRIK LINDEPUU), EN ITALIE (ADELPHI), AU MEXIQUE (BURÓ BLANCO), AUX PAYS-BAS (DE GEUS), EN SUÈDE (ELLERSTROMS)