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JML 1995 04 27 - 07 27 PND Série L'Eglise et l'Evangile

JML 1995 04 27 - 07 27 PND Série L'Eglise et l'Evangile

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L'ÉVANGILE,<br />

ACTE LITURGIQUE<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU <strong>27</strong> MARS <strong>1995</strong><br />

DE L'ÉGLISE<br />

L<br />

'Évangile<br />

(la proclamation du texte)<br />

<strong>et</strong> l'action de l'Église (la liturgie)<br />

s'imbriquent, sont commandés<br />

l'un par l'autre, ne font plus qu'un<br />

avec ce que Jésus accomplit.<br />

On le découvre de façon exemplaire dans la<br />

célébration des Jours saints.<br />

Des Rameaux à Pâques,<br />

<strong>l'Evangile</strong> en acte<br />

Le dimanche des Rameaux, l'Église fait<br />

"presque" un jeu scénique. En eff<strong>et</strong>, les fidèles<br />

se rassemblent à l'extérieur ou dans le fond de<br />

l'église, <strong>et</strong>, après l'avoir entendu dans la<br />

lecture solennelle de <strong>l'Evangile</strong>, nous faisons<br />

comme Jésus <strong>et</strong> la foule de Jérusalem. Avec<br />

des palmes ou des rameaux de buis à la main,<br />

nous chantons: "Hosanna au Fils de David»,<br />

puis nous entrons en procession dans l'église<br />

pour la célébration eucharistique. C<strong>et</strong>te<br />

tradition liturgique remonte aux premiers<br />

siècles chrétiens.<br />

Le Jeudi saint, l'Eglise célèbre la Cène, la<br />

première Eucharistie. Nous entendons dans le<br />

livre de l'Exode le récit de la Pâque; telle<br />

qu'elle a été vécue pour la première fois par le<br />

peuple d'Israël à sa sortie d'Égypte, <strong>et</strong> telle<br />

qu'elle n'a cessé d'être fêtée par les Juifs<br />

dispersés dans le monde entier qui, selon la<br />

volonté de Dieu, font mémoire de c<strong>et</strong> acte de<br />

délivrance.<br />

Jésus lui-même l'a célébrée chaque année. Et,<br />

la dernière fois, comme le note l'évangéliste<br />

saint Luc (22, 15), il a dit à ses apôtres: "J'ai<br />

désiré d'un grand désir manger c<strong>et</strong>te Pâque<br />

avec vous». Mais, en accomplissant les gestes<br />

rituels fixés par la tradition, Jésus prononce<br />

des paroles singulières qui plongent ses<br />

disciples dans l'étonnement. Après avoir béni<br />

<strong>et</strong> rompu le pain azyme, il leur dit: "Prenez <strong>et</strong><br />

mangez-en tous, ceci est mon Corps livré pour<br />

vous ... » Et, avant de leur présenter la dernière<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'574 - <strong>27</strong> AVRIL <strong>1995</strong><br />

coupe du repas: "Prenez <strong>et</strong> buvez-en tous, ceci<br />

est mon Sang versé pour vous <strong>et</strong> pour la<br />

multitude pour la rémission des péchés».<br />

La liturgie exprime fortement la fidélité à<br />

l'Évangile transmis ici par l'apôtre saint Jean<br />

(13,4-17). Ainsi, l'évêque ou le responsable de<br />

la communauté - en accomplissant le lavement<br />

des pieds - se m<strong>et</strong> à la suite de Jésus qui se<br />

fait l'esclave de ses apôtres, par ce geste de<br />

serviteur, lui qui est le Seigneur <strong>et</strong> le Maître.<br />

Le Vendredi saint, la tradition liturgique des<br />

pays d'Occident a recueilli deux manières de<br />

célébrer la Passion du Christ:<br />

- le chemin de croix épouse littéralement le<br />

récit des évangiles pour que nous le méditions<br />

en marchant avec Jésus qui porte sa croix;<br />

- l'office est centré sur la Passion selon saint<br />

Jean. La longue prière universelle, la vénération<br />

de la Croix <strong>et</strong> la communion ne font<br />

qu'accompagner c<strong>et</strong>te lecture de l'Évangile.<br />

Le Samedi saint nous garde dans l'attitude<br />

de ceux qui veillent dans la foi <strong>et</strong> l'espérance,<br />

mais aussi dans l'épreuve <strong>et</strong> l'obscurité,<br />

attendant l'accomplissement de la parole de<br />

Dieu: la résurrection du Christ.<br />

La nuit de Pâques, la liturgie se déploie à<br />

partir du sacrement de baptême. Au cours de<br />

c<strong>et</strong>te nuit sainte, le baptême est donné aux<br />

catéchumènes qui, dans nos Églises<br />

de vieille chrétienté, demandent à recevoir<br />

le don de la foi. Mais aussi, parfois,<br />

à des p<strong>et</strong>its enfants.<br />

Etre baptisé, c'est être plongé dans la mort du<br />

Christ <strong>et</strong> donc mourir au péché pour ressusciter<br />

avec Jésus, Fils éternel du Père, qui s'est fait<br />

l'un d'entre nous pour que nous devenions<br />

semblables à lui <strong>et</strong> participions à la vie des<br />

enfants de Dieu dans l'Esprit.<br />

La liturgie s'achève par l'Eucharistie que<br />

reçoivent les nouveaux baptisés.<br />

Qu'est-ce que <strong>l'Evangile</strong>?<br />

Et l'Eglise ?<br />

Ces derniers temps particulièrement, beaucoup<br />

opposent Église <strong>et</strong> Évangile. Car, pour eux,<br />

l'Évangile, c'est un livre <strong>et</strong> l'Église, un<br />

bâtiment.<br />

L'Évangile, c'est un livre. La Bible, le livre le<br />

plus vendu du monde, traduit dans toutes les<br />

langues, le livre que chaque famille chrétienne<br />

se doit de posséder <strong>et</strong> de lire. Un livre, <strong>et</strong>, en<br />

même temps, le message qu'il contient, le plus<br />

beau des messages, plein d'espérance <strong>et</strong><br />

d'amour. Il parle de Jésus; il rapporte ses<br />

paroles étonnantes, toujours neuves, <strong>et</strong> les<br />

questions de ses amis, celles de ses<br />

contemporains qui l'ont combattu ou mal<br />

compris. L'Evangile nous fait connaître ce que<br />

Jésus a fait <strong>et</strong> commandé à ses disciples.<br />

C'est un livre comme il en est peu dans<br />

l'histoire de l'humanité, mais c'est un livre <strong>et</strong><br />

Jésus n'est pas là !<br />

Quant à l'Église, pour la plupart, c'est un<br />

édifice au milieu du village ou du quartier. Aux<br />

yeux des plus familiers avec la religion<br />

chrétienne, c'est une institution, une<br />

organisation; pour l'Eglise catholique, c'est le<br />

Pape, les évêques, les curés. Il faut déjà être<br />

plus averti pour dire que l'Église, c'est les<br />

chrétiens; <strong>et</strong> se demander quel rapport existe<br />

entre les chrétiens <strong>et</strong> l'Église, entre les<br />

chrétiens <strong>et</strong> les prêtres, les évêques,<br />

le pape, <strong>et</strong>c. Et combien plus quel rapport il y a<br />

entre l'Église dans sa diversité de sens <strong>et</strong><br />

l'Évangile.<br />

L'Évangile, n'importe qui peut l'ach<strong>et</strong>er <strong>et</strong> le<br />

lire. Mais, l'église, on n'y entre pas comme<br />

dans un libre service. Certains n'osent pas en<br />

franchir le seuil, parce qu'ils ne sont pas "de la<br />

maison" <strong>et</strong> ne savent pas ce qu'il faut faire ...<br />

Bref, Évangile/Église, quel rapport ?<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER


,<br />

JESUS,<br />

PAROLE VIVANTE DE DIEU<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 3 AVRIL <strong>1995</strong><br />

La liturgie de la Semaine sainte nous a<br />

bien montré le lien constitutif qui unit<br />

<strong>l'Evangile</strong> <strong>et</strong> l'action de l'Eglise.<br />

Pourtant, beaucoup de nos<br />

contemporains, voire de catholiques disent:<br />

<strong>l'Evangile</strong>, oui; l'Eglise, non.<br />

L'Evangile parle du Christ; nous disons:<br />

"Evangile de Jésus-Christ selon Saint<br />

Matthieu ... » Ce texte n'est-il qu'un texte? En<br />

l'écoutant, c'est Jésus mort il ya deux<br />

millénaires, ressuscité, qui nous parle<br />

<strong>et</strong> que nous écoutons, lui qui nous a dit qu'il<br />

"serait avec nous tous les jours jusqu'à la fin<br />

des temps» (Mt 28, 20). Sinon, que veut dire<br />

"Jésus est vivant», comme les chrétiens le<br />

chantent?<br />

Certains diront alors: Jésus, oui; l'Eglise, non.<br />

Quel rapport a donc l'Eglise avec Jésus? C'est<br />

lui qui l'a fondée? Mais cela a été mis en<br />

doute. Et, en adm<strong>et</strong>tant que Jésus l'ait fondée,<br />

est-elle conforme à ce qu'il a voulu? Enfin,<br />

quel rapport entre la manière dont vivent les<br />

chrétiens, les prêtres, les évêques avec la<br />

manière dont Jésus vivait? Et ainsi de suite ...<br />

Voilà ce que l'on entend dire par ceux qui<br />

voient Jésus, <strong>l'Evangile</strong>, l'Eglise de l'extérieur.<br />

Dans la foi en Jésus-Christ<br />

Essayons de comprendre l'Eglise <strong>et</strong> <strong>l'Evangile</strong><br />

de l'intérieur, c'est-à-dire avec la foi en<br />

Jésus-Christ.<br />

Tout d'abord, le mot "foi" est ambigu. Dans<br />

notre langue, il est venu à signifier la<br />

conviction, l'opinion assurée, une<br />

représentation du monde en opposition à ce<br />

qui relève de la certitude rationnelle ou<br />

scientifique. Par un abus de langage, nous<br />

parlerons de "foi bouddhique" ou de "foi<br />

hindouiste", <strong>et</strong>c. pour désigner des religions,<br />

quoi qu'il en soit de l'attitude intérieure de<br />

ceux qui y appartiennent.<br />

En eff<strong>et</strong>, on r<strong>et</strong>rouve le mot "foi" dans toute la<br />

Bible jusqu'à l'Apocalypse. Il s'agit de la<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

~~0576 - 11 MAI <strong>1995</strong><br />

relation du peuple avec Dieu l'Unique, tel qu'il<br />

se révèle, Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob,<br />

Dieu de Jésus-Christ. Séparé de Celui en qui<br />

nous croyons, le mot "foi" perd sa signification<br />

propre.<br />

La foi dans laquelle la Révélation <strong>et</strong> <strong>l'Evangile</strong><br />

nous invitent à entrer, n'est pas simplement<br />

une conviction, mais l'adhésion à Dieu notre<br />

Créateur <strong>et</strong> notre Père, <strong>et</strong> au Christ Messie,<br />

Verbe éternel de Dieu, Parole de Dieu faite<br />

chair, venu pour sauver les hommes, ses<br />

frères. "Vous croyez en Dieu, croyez aussi en<br />

moi» dit Jésus aux apôtres (Jn 14, 1).<br />

Le Christ <strong>et</strong> <strong>l'Evangile</strong><br />

Lorsque, dès le début de sa prédication, Jésus<br />

dit: "Convertissez-vous <strong>et</strong> croyez en <strong>l'Evangile</strong><br />

-la Bonne Nouvelle», de quoi parle-t-il ? Du<br />

livre qui n'est pas encore écrit? Des<br />

événements qui ne se sont pas encore produits?<br />

Non. L'Evangile, c'est d'abord la parole que<br />

Jésus adresse à ses contemporains pour les<br />

amener à changer d'attitude, à r<strong>et</strong>ourner leur<br />

existence <strong>et</strong> à le suivre. Les hommes qui sont<br />

l'obj<strong>et</strong> de la promesse, sont bouleversés<br />

par ce que Jésus annonce comme accompli<br />

<strong>et</strong> présent parmi eux: "Le Règne de Dieu<br />

est arrivé».<br />

Car il faut aller plus loin. L'Evangile, la Bonne<br />

Nouvelle prophétisée par Isaïe, c'est Jésus<br />

lui-même; <strong>l'Evangile</strong> à l'œuvre, en acte, c'est<br />

Jésus vivant. En Jésus le Règne de Dieu s'est<br />

approché de ceux qui l'écoutent.<br />

Parole vivante par l'Eglise<br />

Quelques dizaines d'années après la mort, la<br />

résurrection <strong>et</strong> l'ascension du Christ, la mise<br />

par écrit du témoignage commun des apôtres<br />

sur Jésus -la substance de <strong>l'Evangile</strong> - est<br />

portée par l'Eglise, sous l'inspiration de l'Esprit<br />

répandu à la Pentecôte.<br />

L'Evangile n'a pas, alors, été réduit à ne plus<br />

être qu'un livre; c'est Jésus qui, par la bouche<br />

de ses disciples, continue de proclamer: "Le<br />

Règne de Dieu est là». Il donne la preuve de ce<br />

qu'il annonce puisque, «mort pour nos péchés,<br />

ressuscité pour notre vie» (Rm 4, 25), par<br />

l'Esprit saint il nous unit à lui <strong>et</strong> ne cesse<br />

d'agir par les membres de son corps, nous les<br />

baptisés.<br />

Le texte que nous tenons dans nos mains <strong>et</strong><br />

lisons dans la liturgie, qui inspire notre prière<br />

<strong>et</strong> bouleverse notre vie, tire sa force de la<br />

présence même de Jésus <strong>et</strong> de son Esprit qui<br />

agit en nous. Tous les autres livres, aussi<br />

beaux soient-ils, ne prennent vie que par leurs<br />

lecteurs.<br />

Dans l'expérience chrétienne, l'Ecriture reçoit<br />

sa force de la Parole de Dieu qui ne cesse<br />

d'habiter l'histoire des hommes. C'est Dieu qui<br />

parle. Son esprit donne vie <strong>et</strong> puissance à la<br />

l<strong>et</strong>tre de l'Ecriture tout comme au témoignage<br />

<strong>et</strong> à l'action de son Eglise. Oui, le Christ parle<br />

par le ministère de ses apôtres. Il les a<br />

institués pour que, bien mieux qu'une<br />

signature sur un livre authentique, ils soient le<br />

sceau vivant de sa présence, la garantie<br />

vivante de la Parole vivante, Verbe qui<br />

s'est fait chair pour que tout homme<br />

devienne enfant de Dieu.<br />

Nous ne comprenons pas la parole écrite, le<br />

livre-évangile, même avec notes <strong>et</strong><br />

commentaires, si le Christ lui-même ne nous<br />

"parle" pas <strong>et</strong> si l'Esprit saint ne change pas<br />

notre cœur. Sinon, ce serait un livre mort,<br />

scellé, un souvenir qu'on essaierait en vain de<br />

rendre vivant par des reconstitutions, un jeu<br />

scénique en faisant des églises des salles de<br />

cinéma <strong>et</strong> des prêtres des m<strong>et</strong>teurs en scène<br />

ou des acteurs!<br />

Seul le Christ, toujours à l'œuvre, nous perm<strong>et</strong><br />

de l'entendre: Parole vivante, Evangile de Dieu<br />

(Mc 1, 4).<br />

t Jean·Marie cardinal LUSTIGER


JÉSUS,<br />

INSÉPARABLE DE SON ÉGLISE<br />

DIFFUSE SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 24 AVRIL <strong>1995</strong><br />

Si nous avons du mal à comprendre<br />

l'Eglise, c'est que nous plaquons sur<br />

elle l'idée trop simpliste d'une<br />

fondation purement humaine <strong>et</strong> de<br />

son développement dans le temps après la<br />

disparition de son fondateur. Par exemple, le<br />

portrait de M. Ford dans le bureau des<br />

directeurs successifs ou Lénine en son<br />

mausolée servant à établir le culte de Staline ...<br />

Et voilà au Panthéon les créateurs de la science<br />

atomique, M. <strong>et</strong> Mme Curie.<br />

Le propre des fondateurs est d'être vénérés,<br />

parfois oubliés. Et ne subsiste qu'un rapport de<br />

légitimité, au mieux une inspiration.<br />

Jésus a voulu <strong>et</strong> veut l'Eglise<br />

Jésus n'est pas, en ce sens-là, fondateur de<br />

l'Eglise puisque, non seulement ill'a voulue,<br />

mais il la veut. Au cours des années de sa vie<br />

mortelle, il "accomplit" l'Eglise, Temple vivant<br />

de son corps dont il prophétise la résurrection<br />

en trois jours (Jn 2, 19) ; Temple spirituel,<br />

comme il le dira à son apôtre Simon:<br />

"Tu es Pierre <strong>et</strong> sur c<strong>et</strong>te pierre, je bâtirai<br />

mon Église» (Mt 16, 18). Temple spirituel,<br />

demeure de l'Esprit Saint répandu<br />

à 1a Pentecôte.<br />

Jésus ne veut pas c<strong>et</strong>te Eglise comme un<br />

fondateur d'empire rêve de sa succession. Car<br />

l'Eglise est un "mystère" : un don de grâce par<br />

lequel Jésus poursuit la mission qu'il a reçue<br />

de son Père. En eff<strong>et</strong>, Jésus, Fils de Dieu fait<br />

homme, vient arracher à la mort la multitude<br />

des hommes pour en faire ses frères <strong>et</strong> ses<br />

sœurs. Il vient transfigurer leur existence <strong>et</strong> les<br />

rassembler tous. A condition qu'ils se laissent<br />

saisir par l'amour de Dieu <strong>et</strong> accue .ent l'Esprit<br />

qui les crée de nouveau, enfants de Dieu, <strong>et</strong><br />

les rassemble dans une communion,<br />

membres d'un corps où chacun dans sa<br />

singularité a sa place <strong>et</strong> est, cependant,<br />

solidaire de tous.<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'577 - 18 MAI <strong>1995</strong><br />

Dans l'Eglise, tous sont ordonnés à l'amour de<br />

chacun parce que, en Jésus Christ, tous<br />

ensemble sont enfants du Père, notre Créateur<br />

<strong>et</strong> notre Rédempteur, habités par l'Esprit Saint.<br />

Voilà l'Église.<br />

La puissance<br />

de vie du Ressuscité<br />

Jésus sans son Église, que serait-il venu faire?<br />

Au mieux, il serait un mystique, un personnage<br />

étonnant qui aurait laissé des paroles<br />

énigmatiques. Jésus n'est pas le fondateur<br />

d'une religion qui, ensuite, suivrait son cours<br />

dans l'histoire au gré de l'évolution des<br />

cultures <strong>et</strong> des pensées des hommes. Jésus<br />

n'est pas seulement un grand homme,<br />

peut-être le plus grand.<br />

Car, du côté transpercé de Jésus jaillit<br />

du sang <strong>et</strong> de l'eau (Jn 19, 37), figure des<br />

sacrements de l'Eglise, l'Épouse qui enfante<br />

ce corps.<br />

Jésus nous "veut" parce qu'il nous donne part<br />

à son Esprit; en nous <strong>et</strong> par nous, il accomplit<br />

la volonté du Père jusqu'à la consommation<br />

des temps. C'est pourquoi il invite ses<br />

disciples à célébrer sa Pâque en mémoire de<br />

lui; <strong>et</strong> il leur rappelle que le disciple n'est pas<br />

au-dessus de son maître: "Comme le Père m'a<br />

aimé, je vous ai aimés; comme le Père m'a<br />

envoyé, je vous envoie». C'est-à-dire: vous<br />

participez au même amour <strong>et</strong> à la même<br />

mission.<br />

Non seulement nous croyons, mais nous<br />

"vérifions" que Jésus est ressuscité des morts,<br />

parce que nous vivons de sa vie. Comme saint<br />

Paul l'écrit aux chrétiens de Corinthe: "Si nous<br />

avons mis notre espérance en Christ pour c<strong>et</strong>te<br />

vie seulement, si le Christ n'est pas ressuscité<br />

des morts, nous sommes les plus malheureux<br />

des hommes» (1 Co 15, 18-20). Et Jésus,<br />

"caché dans la Gloire, assis à la droite du<br />

Père» (Col 3, 3) déploie dans son Eglise sa<br />

puissance de vie en appelant toujours de<br />

nouveaux frères.<br />

L'Église <strong>et</strong> "l'heure" du Christ<br />

Voilà donc l'œuvre du Christ, présent au temps<br />

de l'histoire. L'Église n'est pas séparable de<br />

Jésus; elle fait partie de "son heure". Il est<br />

venu pour cela.<br />

Mais si, pour vous, l'Eglise est une institution<br />

folklorique, monopolisée par quelques<br />

hommes, le bouc émissaire à caricaturer <strong>et</strong> au<br />

besoin matraquer au tournant selon les envies<br />

du moment, si l'Eglise fait partie des alluvions<br />

de l'histoire, si vous la jugez selon les<br />

fluctuations des opinions, si donc vous la<br />

regardez de c<strong>et</strong>te façon, vous ne comprenez<br />

sans doute pas mes propos.<br />

Si, au contraire, vous acceptez de penser<br />

l'Eglise comme Jésus la conçoit, alors vous<br />

découvrirez que tout homme ainsi appelé à<br />

partager la mission du Christ est voulu par<br />

Dieu. Lorsque Jésus parle de nous - vous,<br />

moi, les baptisés -, il dit que nous lui avons<br />

"été donnés par son Père» (Jn 17, 9). Il prie<br />

"pour nous", tous ceux qui croient grâce à la<br />

parole des Apôtres.<br />

Jésus nous porte tous: en nous donnant sa<br />

vie, son Corps <strong>et</strong> son Sang, avec la grâce<br />

d'être plongés en sa mort <strong>et</strong> sa résurrection,<br />

avec le don de l'Esprit qu'il a lui-même reçu au<br />

baptême <strong>et</strong> qu'il a répandu sur l'Eglise à la<br />

Pentecôte.<br />

L'œuvre du salut du monde, c<strong>et</strong>te "heure" que<br />

Jésus a désirée d'un si grand désir lorsqu'il a<br />

célébré sa dernière Pâque avec ses apôtres,<br />

c<strong>et</strong>te heure-là se poursuit jusqu'à la fin des<br />

temps par le mystère de son Corps, Temple de<br />

l'Esprit, Peuple que le Père rassemble pour<br />

être les enfants de Dieu appelés à travailler au<br />

salut du monde, l'Église du Seigneur.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER


4. ÉGLISE D'HOMMES PÉCHEURS :<br />

SIGNE DU PARDON DE DIEU<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 1ER MAI <strong>1995</strong><br />

vous ne pouvez comprendre l'Eglise si<br />

vous oubliez que c'est le Christ qui<br />

lui donne vie, car elle est son Corps.<br />

Jésus la nomme aussi son Epouse<br />

puisqu'il se présente lui-même comme l'Epoux:<br />

il nomme ses disciples "les amis de l'Epoux"<br />

(Mt 9, 15 ; Jn 3, 29). C<strong>et</strong>te unité indissoluble<br />

entre le Christ <strong>et</strong> l'Eglise est difficile à adm<strong>et</strong>tre<br />

par beaucoup. Ils s'étonnent des péchés <strong>et</strong><br />

des faiblesses des chrétiens. S'ils affirment<br />

être prêts à dire oui au Christ, ils disent non à<br />

l'Eglise.<br />

Que pouvaient penser les témoins de la<br />

Passion de Jésus? Un homme de bonne foi<br />

n'aurait-il pas déclaré, comme le Centurion:<br />

Jésus, oui, je vois comment il s'est comporté, il<br />

ne répond pas aux coups, il se tait ou parle<br />

avec autorité, il prie pour ses ennemis. Mais où<br />

est l'Eglise? Où est Simon-Pierre, lui qui<br />

protestait: "Seigneur, avec toi, je suis prêt à<br />

aller même en prison, même à la mort"<br />

(Lc 22, 33) ? A peine le moment de l'épreuve<br />

est-il venu, le voilà qui renie Jésus à trois<br />

reprises: "Je ne connais pas c<strong>et</strong> homme".<br />

Les autres apôtres s'enfuient; Judas livre son<br />

Maître.<br />

Ce n'est pas à eux que se manifestera en<br />

premier Jésus ressuscité, mais aux femmes.<br />

Pierre <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te bande de lâches (hormis le<br />

disciple que Jésus aimait) sont-ils assez fiables<br />

pour devenir le fondement de l'Eglise? Une<br />

Eglise marquée à son origine d'une telle<br />

faiblesse, non!<br />

Celui qui séparerait de la sorte Jésus de son<br />

Eglise n'irait pas en vérité jusqu'au bout de son<br />

oui au Christ.<br />

Jésus sait ...<br />

Comment Jésus, lui, voit-il Pierre <strong>et</strong> les apôtres?<br />

D'un regard tout autre que le nôtre! Il avait<br />

prévenu Pierre: "Simon, Simon, Satan vous a<br />

réclamés pour vous secouer dans un crible ...<br />

Le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié<br />

trois fois. Mais j'ai prié pour toi afin que ta foi<br />

ne défaille pas. Toi, quand tu seras converti,<br />

affermis tes frères" (Lc 22, 31-34). Et il avait<br />

annoncé aux apôtres leur trahison: "Tous,<br />

vous allez tomber. Car il est écrit: "Je frapperai<br />

le berger <strong>et</strong> les brebis seront dispersées".<br />

Mais, une fois ressuscité, je vous précéderai<br />

en Galilée" (Mc 14, 26).<br />

Effectivement, Jésus, vainqueur de la mort, est<br />

allé les chercher, eux qui étaient morts: morts<br />

de peur, de honte, d'absence de foi, morts<br />

spirituellement, s'abrutissant au travail:<br />

"Je vais à la pêche" crie Pierre à ses<br />

compagnons (Jn 21, 1 sq). Mais, sur la rive du<br />

lac, le Seigneur les attend, les appelle <strong>et</strong> les<br />

réveille pour leur donner part à sa vie <strong>et</strong> à sa<br />

mission.<br />

Jésus sait que son Eglise est faite de disciples<br />

qui ont touché le fond de l'abîme <strong>et</strong> le<br />

mesurent, à cause de lui. "Si je n'étais pas<br />

venu, dit Jésus à propos de certains de ses<br />

auditeurs, si je ne leur avais pas adressé la<br />

parole, ils n'auraient pas de péché" (Jn 15,<br />

22). Car seule la grandeur de l'amour révèle les<br />

profondeurs du péché. On ne peut découvrir ce<br />

qu'est la trahison que dans l'expérience d'un<br />

amour authentique, l'esclavage que dans celle<br />

de la liberté, le mensonge que dans celle de la<br />

vérité.<br />

... <strong>et</strong> les a faits "Douze"<br />

Jésus connaît bien le cœur des hommes qu'il a<br />

établis apôtres pour qu'ils enfantent son<br />

Eglise. "II en a fait douze" précise St Marc (3,<br />

16), pères des douze tribus à naître: foule<br />

innombrable (Ap 7,9), peuple tiré de toutes les<br />

nations qui, à la fin des temps, se rassemblera<br />

dans la gloire divine.<br />

C<strong>et</strong>te naissance d'En Haut s'opère par un<br />

enfantement spirituel. Lorsque les apôtres<br />

annoncent <strong>l'Evangile</strong>, c'est Jésus qui parle par<br />

leur bouche. Lorsqu'ils agissent sur l'ordre de<br />

Jésus, c'est l'Esprit de Jésus qui agit <strong>et</strong> touche<br />

le cœur des hommes. Ceux-ci, "r<strong>et</strong>ournés",<br />

ouverts à Dieu - à sa parole de vérité <strong>et</strong> à son<br />

amour - implorent le pardon de leurs péchés<br />

qu'ils découvrent dans c<strong>et</strong>te lumière. Les apôtres,<br />

en les baptisant, leur communiquent la grâce de<br />

mourir dans le Christ pour renaître avec lui.<br />

Dans l'acte du pardon de Jésus<br />

Ce peuple de pécheurs, Jésus le voit dans<br />

l'acte de délivrance qu'il accomplit en faveur de<br />

tous ses frères. Ainsi, à travers l'histoire du<br />

monde, ces pécheurs grâciés, ces morts<br />

revenus à la vie, ces estropiés capables enfin<br />

de marcher droit, ces cœurs de pierre changés<br />

en cœurs de chair, ces êtres enfermés dans le<br />

mensonge que "la vérité rend libres",<br />

ces hommes sans amour <strong>et</strong> sans foi qui se<br />

m<strong>et</strong>tent à aimer <strong>et</strong> à croire en la bonté infinie<br />

du Père des cieux, ce peuple donc, en<br />

consentant à la grâce qui lui est faite, devient<br />

témoin de l'action du Christ Sauveur en la<br />

poursuivant.<br />

Dans les membres de son Eglise, - <strong>et</strong> grâce à<br />

eux, à l'égard de tout homme -, Jésus ne<br />

cesse d'accomplir c<strong>et</strong>te œuvre de délivrance.<br />

Pascal prête ces mots au Christ en sa Passion:<br />

"J'ai versé telle goutte de sang pour toi" ; il<br />

faudrait dire: j'ai tout donné pour toi, pour<br />

chacun de vous. C<strong>et</strong> amour de miséricorde qui<br />

purifie le monde continue de se répandre<br />

jusqu'à la fin des temps.<br />

Ainsi, l'Eglise composée de pécheurs<br />

pardonnés devient le signe de l'amour destiné<br />

à tous les hommes, même aux ennemis. Ce ne<br />

sont pas les vertus de l'Eglise qui sont un<br />

exemple, mais la puissance du Christ à l'œuvre<br />

dans les hommes faibles <strong>et</strong> pécheurs. "Si tu<br />

connaissais tes péchés, tu perdrais cœur, dit<br />

encore le Christ à Pascal. Moi par qui tu les<br />

apprends, t'en peux guérir". Voilà le message<br />

d'espérance de l'Eglise.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'578 - 25 MAI <strong>1995</strong>


L'ÉGLISE:<br />

DIVERSITÉ ET COMMUNION<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMA/NE DU 8 MA/<strong>1995</strong><br />

A<br />

Notre-Dame de Paris, le dimanche 7<br />

mai:<br />

• Le matin, messe anniversaire du<br />

cinquantième anniversaire de la fin<br />

de la deuxième guerre mondiale: chant du Te<br />

Deum comme le 9 mai 45. Un pont lancé<br />

par-dessus l'histoire, cinquante ans de paix <strong>et</strong><br />

de douleur, enfantement d'un monde au visage<br />

nouveau.<br />

• L'après-midi, messe rassemblant tous les<br />

Africains d'ile-de-France. La cathédrale est<br />

remplie des très beaux chants de leurs<br />

chorales.<br />

Le rapprochement de ces deux célébrations<br />

illustre la diversité qui fait la beauté de l'Eglise.<br />

Nous sommes des peuples divers, de langues<br />

diverses; comment nous respecter <strong>et</strong> coexister<br />

pacifiquement? Les économistes, les<br />

politiques <strong>et</strong> tous ceux qui travaillent à<br />

c<strong>et</strong>te tâche, n'y réussissent guère, voire<br />

s'affrontent.<br />

Mais, dans l'Eglise, la question ne<br />

demeure-t-elle pas entière? L'expérience<br />

séculaire nous montre que les différences de<br />

langue, de culture, de race, parfois d'écriture,<br />

ont scindé inexorablement des peuples qui ont<br />

pourtant reçu le même baptême!<br />

Les brebis du Père des cieux ...<br />

Dans <strong>l'Evangile</strong> du Bon Pasteur (Jn 10, <strong>27</strong>-30)<br />

lu ce même dimanche, Jésus nous révèle qu'il<br />

est le vrai berger <strong>et</strong> que ses brebis lui sont<br />

données par son Père. Autrement dit, les<br />

membres de l'Eglise appartiennent au Christ<br />

parce que le Père - son Père <strong>et</strong> notre Père -<br />

les lui a confiés.<br />

Si chacun des baptisés de par le monde, si<br />

chaque organisation dans l'Eglise<br />

(communauté paroissiale, mouvement,<br />

congrégation religieuse, institution, œuvre,<br />

diocèse, conférence épiscopale ... ) revendique<br />

son droit à exister exclusivement, on se<br />

r<strong>et</strong>rouve vite en train d'épouser les frontières<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'579 - 1ER JUIN <strong>1995</strong><br />

des conflits <strong>et</strong> des contradictions qui traversent<br />

la vie politique, sociale, culturelle! Je l'ai<br />

vérifié au cours de rencontres ecclésiales<br />

internationales. Certes, elles ne ressemblent<br />

pas aux réunions de l'ONU où les oppositions<br />

sont beaucoup plus violentes <strong>et</strong> durables. Joue<br />

un principe de communion. Mais les<br />

commentateurs qui interprètent de l'extérieur<br />

ces événements d'Eglise, ne manquent pas de<br />

souligner que les Italiens réagissent d'une<br />

façon, les Allemands d'une autre, les Africains<br />

encore d'une autre, <strong>et</strong>c.<br />

Chaque membre de l'Eglise, chaque cellule<br />

ecclésiale doit prendre conscience de ceci. Ce<br />

qui nous constitue comme Eglise <strong>et</strong> fait<br />

l'identité, l'appartenance chrétienne, ce n'est<br />

ni un acte par lequel je souscris à une<br />

citoyenn<strong>et</strong>é spirituelle particulière, ni la volonté<br />

commune résultant de la somme des volontés<br />

individuelles. C'est le Christ qui nous appelle,<br />

nous connaît <strong>et</strong> nous tient dans sa main parce<br />

que le Père nous donne à lui. Et "personne ne<br />

peut rien arracher de la main du Père".<br />

Toutes unies<br />

dans la main du Christ<br />

Qui est ainsi dans la main du Christ? Des<br />

Blancs <strong>et</strong> des Noirs, des hommes <strong>et</strong> des<br />

femmes, des faibles <strong>et</strong> des forts, des<br />

analphabètes <strong>et</strong> des savants, des gens de<br />

"toutes nations, races, peuples <strong>et</strong> langues,<br />

foule innombrable" (Ap 7) venue de tous les<br />

horizons de la terre.<br />

Ces chrétiens demeurent eux-mêmes, mais ont<br />

c<strong>et</strong>te caractéristique qui fait d'eux l'Eglise du<br />

Christ: le Père les a pris dans sa main pour les<br />

m<strong>et</strong>tre dans la main du Christ <strong>et</strong> le Christ les<br />

rassemble parce qu'il est avec nous tous les<br />

jours jusqu'à la fin des temps, il nous aime <strong>et</strong><br />

nous unit.<br />

Voilà le principe de l'unité. Il ne nie pas les<br />

différences. Il n'ouvre pas une négociation<br />

mutuelle pour nous tolérer. Il n'appelle pas à<br />

des compromis qui accommodent les opinions,<br />

les intérêts, les sensibilités. Car la part<br />

- différente - de richesse, d'amour que<br />

chacun a reçue doit être mise au service des<br />

autres, comme le Seigneur nous le commande<br />

(Mt 20, 26 ; Jn 13, 16) <strong>et</strong> comme St Paul nous<br />

le répète (1 Co 12, 4-7 ; Rm 12, 6-8). Alors,<br />

non seulement les différences sont respectées<br />

par chacun <strong>et</strong> par tous, mais elles servent à<br />

chacun <strong>et</strong> à tous.<br />

Sans cesse habitées par l'Esprit<br />

Pour qu'il en soit ainsi, ne nous imaginons<br />

pas qu'il suffirait d'une décision du Pape ou<br />

d'une quelconque assemblée. Dans l'Eglise, il<br />

n'y a pas de nuit du 4 août, mais la nuit du<br />

Samedi saint, nuit bienheureuse où les<br />

hommes sont pris dans leur plus grande perte<br />

par Celui qui les sauve pour les faire naître à la<br />

vie de Dieu.<br />

Il faut que nous obéissions au Christ <strong>et</strong> soyons<br />

disponibles à son Esprit qui nous habite <strong>et</strong><br />

nous fait devenir ce que nous sommes: le<br />

corps du Christ, <strong>et</strong> agir selon ce que Dieu veut<br />

de nous. Le Christ ne cesse de rassembler son<br />

Eglise par un acte créateur qui nous fait vivre <strong>et</strong><br />

un acte rédempteur qui nous réconcilie. Nous<br />

devons sans cesse être ainsi réunis par Celui<br />

qui nous fait exister.<br />

Si nous oublions un instant que l'Eglise, c'est<br />

le corps du Christ <strong>et</strong> le Christ qui agit en elle, à<br />

ce moment nous perdons <strong>et</strong> le Christ <strong>et</strong><br />

l'Eglise. Il n'y a plus d'Eglise du Christ, mais<br />

une organisation humaine qui se réclame<br />

peut-être de Jésus-Christ mais dont<br />

Jésus-Christ est absent. Et si nous prétendons<br />

aimer le Christ sans aimer les frères que luimême<br />

reçoit de la main du Père, nous n'avons<br />

pas encore découvert ce mystère du Christ qui<br />

rassemble les hommes «de toutes races,<br />

nations, peuples <strong>et</strong> langues».<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER


L'ÉGLISE:<br />

RÉCONCILIATION ET PARDON<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 15 MAI <strong>1995</strong><br />

Pour le cinquantième anniversaire<br />

de la fin de la deuxième guerre<br />

mondiale, j'ai fait deux voyages<br />

à Berlin:<br />

• Le 3 mai, à l'invitation de l'archevêque <strong>et</strong> du<br />

sénat de Berlin, j'ai pris la parole ainsi qu'une<br />

personnalité politique d'Allemagne, un<br />

représentant du gouvernement polonais <strong>et</strong> le<br />

doyen du Chapitre de Canterbury.<br />

• Le 8 mai, à l'invitation du président de la<br />

conférence des évêques d'Allemagne, j'ai<br />

participé à un service œcuménique pour la<br />

réconciliation.<br />

En eff<strong>et</strong>, à l'intérieur même de l'Eglise, le<br />

pardon est une question cruciale, lorsque des<br />

peuples, composés d'une majorité de<br />

chrétiens, se trouvent séparés par des drames<br />

aussi abominables que ceux des deux<br />

dernières guerres!<br />

Suicide pour l'humanité,<br />

scandale pour l'Eglise<br />

39-45 : 40 millions 7 60 millions de victimes:<br />

tels sont les deux chiffres extrêmes entre<br />

lesquels hésitent les historiens; un conflit<br />

européen qui a provoqué une telle<br />

conflagration mondiale, c<strong>et</strong>te horrible saignée;<br />

<strong>et</strong> les nouveaux massacres qui continuent<br />

encore auourd'bui : comment ne pas<br />

avoir honte de l'humanité <strong>et</strong> ne pas en<br />

désespérer 7<br />

Déjà, apprenant la déclaration de la première<br />

guerre mondiale, Lyautey avait eu ce cri: "Quel<br />

suicide l». Oui, l'humanité est suicidaire par<br />

pensée, par action, par intelligence mise<br />

diaboliquement au service de la mort <strong>et</strong> de la<br />

haine meurtrière.<br />

Des chrétiens, au nom de leur juste intérêt, de<br />

leur légitime défense, au nom aussi de ce<br />

qu'ils pensent être la vérité, la justice, le bon<br />

droit, utilisent des moyens contraires à ce<br />

qu'ils défendent ou croient. On aboutit aux<br />

situations affreuses qui ont saigné à blanc des<br />

nations entières.<br />

Quel scandale! dira-t-on; pourtant, c'était des<br />

chrétiens; que n'ont-ils réagi, arrêté les<br />

combats, cherché à arbitrer leurs conflits 7<br />

Certains l'ont tenté, parfois jusqu'au martyre.<br />

Cependant ces questions demeurent sans<br />

réponse. Faut-il en conclure que nous n'en<br />

sortirons jamais 7 je ne le pense pas. Mais<br />

s'efforcer de rendre les hommes plus<br />

raisonnables, est-ce une tâche que l'on peut<br />

achever 7<br />

Le pardon : utopie ou réalité ?<br />

L'humanité est toujours en suspens de sa<br />

propre liberté pour le meilleur comme pour le<br />

pire. Même riche de l'expérience du passé, des<br />

vertus les plus exemplaires, chaque peuple,<br />

chaque génération, chaque être humain doit à<br />

tout moment exercer la liberté dont il a la<br />

grâce.<br />

Il faut donc travailler à conforter la liberté pour<br />

que les hommes choisissent le bien <strong>et</strong> aient le<br />

courage d'aller jusqu'au bout de c<strong>et</strong>te logique<br />

d'amour, de paix <strong>et</strong> de pardon. Il faut que la<br />

puissance d'aimer, capable de surmonter les<br />

forces de haine, soit présente en tous ceux qui<br />

répondent à l'appel de Dieu. C<strong>et</strong>te tâche de<br />

l'Eglise ne serait-elle qu'une utopie, un pieux<br />

désir de co-existence pacifique dans la vérité,<br />

une réalité sans cesse contredite par les<br />

événements <strong>et</strong> l'expérience 7<br />

Non, malgré le difficile pardon! Nous ne<br />

savons pas comment pardonner, bien que nous<br />

priions Dieu de pouvoir le faire <strong>et</strong> que le<br />

Seigneur lui-même m<strong>et</strong>te un lien entre le<br />

pardon qu'il nous donne <strong>et</strong> celui que nous<br />

devons donner à nos frères.<br />

Que répondre à qui vous dit: "j'ai toujours<br />

dans le cœur <strong>et</strong> la mémoire c<strong>et</strong>te souffrance,<br />

ce mal. je veux bien me taire; mais pardonner,<br />

je n'y arrive pas" 7 Que répondre à qui vous dit:<br />

"Quand bien même moi je pardonnerais,<br />

comment ces millions de morts le feraient-ils 7<br />

Faut-il penser que, en Dieu, ils pardonnent 7<br />

N'est-ce pas une manière trop facile de se<br />

libérer 7"<br />

Que veut dire pardonner au criminel qui ne se<br />

repent pas 7 Comment pourrait-il être pardonné 7<br />

Dans notre expérience de chrétiens, nous<br />

savons que, pour être pardonnés par Dieu, il<br />

faut reconnaître notre faute, la dire à l'Eglise,<br />

la "confesser", l'avouer publiquement sous le<br />

regard de Dieu ; <strong>et</strong> en avoir le cœur contrit,<br />

réparer autant que faire se peut <strong>et</strong> prendre la<br />

résolution de combattre contre le mal. Il ne<br />

suffit pas de passer devant un prêtre qui vous<br />

fera un signe de croix! "Pardonne-nous nos<br />

offenses comme nous pardonnons ... » est une<br />

prière exigeante!<br />

Le Christ, lui,<br />

pardonne dans l'Eglise<br />

Comment l'Eglise, corps du Christ (<strong>et</strong> nous, ses<br />

membres, qui disons ne pas pouvoir pardonner)<br />

réussit-elle c<strong>et</strong>te œuvre de pardon 7<br />

C'est le Christ, source du pardon, qui réunit les<br />

êtres humains sans pardon. Et nous, nous<br />

pouvons nous appuyer sur le pardon du Christ,<br />

pour que lui, présent en chacun, enveloppe de<br />

sa miséricorde, submerge, par son amour <strong>et</strong><br />

son pardon, les blessures inguérissables, les<br />

souvenirs ineffaçables.<br />

C'est le Christ qui, par son Esprit, rassemble<br />

dans ses mains pleines de bonté ses enfants<br />

qui se sont mutuellement défigurés <strong>et</strong> peut-être<br />

blessés de façon mortelle. C'est le Christ qui,<br />

par sa force de résurrection, peut accomplir,<br />

fût-ce au-delà du pouvoir limité des hommes,<br />

c<strong>et</strong>te œuvre du pardon que chacun reçoit de<br />

Dieu.<br />

Car, pardonné par Dieu, en l'homme qui<br />

demeure sinon l'ennemi, du moins celui à qui<br />

je ne peux tendre la main, je reconnais<br />

mystérieusement le même Créateur <strong>et</strong> Père, le<br />

même Rédempteur qui, avec miséricorde,<br />

s'adresse aussi à lui <strong>et</strong> frappe aussi à son<br />

cœur, aussi dur que le mien peut-être. Dieu qui<br />

voit dans le secr<strong>et</strong> rassemble ses fils ennemis:<br />

Abel assassiné <strong>et</strong> Caïn l'assassin. Dieu seul<br />

peut faire que ces deux enfants d'Ève, au-delà<br />

de l'épreuve aveugle de la mort, se r<strong>et</strong>rouvent<br />

en son pardon, rendus à leur mère, la Mère<br />

des Vivants.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER<br />

8 PARISNOTREDAME<br />

N'580 - 8 JUIN <strong>1995</strong>


L'ÉGLISE:<br />

A<br />

BLAMES ET LOUANGES<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 22 MAI <strong>1995</strong><br />

<strong>et</strong> le monde; ou plutôt<br />

l'Eglise <strong>et</strong> l'opinion publique; ou<br />

plus précisément encore, l'Eglise <strong>et</strong><br />

<strong>L'Eglise</strong><br />

son action à la jauge des media.<br />

Autant de questions lancinantes en<br />

raison de l'actualité, qui trouvent un éclairage<br />

inattendu dans le lectionnaire du temps<br />

pascal (1).<br />

Et d'abord, un exemple d'actualité: un<br />

colloque d'études vient de se tenir à Rome, à<br />

l'initiative de l'Eglise, au suj<strong>et</strong> de l'univers<br />

cybernétique. Les observateurs les plus<br />

sérieux ont décrit la dérive de la civilisation<br />

contemporaine. L'univers cybernétique amplifie<br />

l'imaginaire en simulant le réel. Des générations<br />

entières risquent d'y entrer comme dans une<br />

prison, perdant un peu plus le sens de la<br />

responsabilité. Il a été question du cybersexe,<br />

c'est-à-dire une satisfaction d'ordre érotique ou<br />

sexuel, totalement imaginaire. Le cinéma<br />

pornographique, les minitels roses n'étaient<br />

que de modestes antécédents.<br />

Ainsi, l'incapacité à établir une vraie relation, à<br />

assumer la sexualité comme une dimension<br />

humaine de l'amour <strong>et</strong> de la liberté revient à un<br />

véritable détournement de la responsabilité<br />

des hommes <strong>et</strong> des femmes.<br />

Dérives : attention !<br />

Au cours de ce colloque, des participants,<br />

chrétiens ou non, ont formulé un certain<br />

nombre d'exigences devant ces dérives<br />

possibles de notre civilisation.<br />

Oui, mais voilà. L'éditorialiste d'un grand journal,<br />

évoquant ce colloque, n'a pas rendu compte de<br />

la réflexion des experts que l'Eglise a<br />

rassemblés, ni des raisons de leur mise en<br />

garde: Attention à l'écologie humaine; vous<br />

êtes en train de déstabiliser, de déshumaniser<br />

les nouvelles générations, d'arracher à<br />

eux-mêmes, d'aliéner les hommes <strong>et</strong> les<br />

femmes de notre société. Attention: impasse;<br />

s'engager dans c<strong>et</strong>te voie risque de faire<br />

perdre à notre civilisation beaucoup plus<br />

qu'elle ne pourrait gagner; il vaut la peine d'y<br />

regarder à deux fois avant que des "Tchernobyl<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'581 15 JUIN <strong>1995</strong><br />

moraux" ne ravagent l'humanité.<br />

C<strong>et</strong> article s'attaque à l'Eglise qu'il décrit<br />

obsédée par le sexe; elle serait contre tout<br />

progrès puisqu'elle ne voudrait pas entendre<br />

parler de l'univers cybernétique; elle<br />

chercherait à étendre son pouvoir <strong>et</strong> à imposer<br />

ses normes à l'ensemble de la société. Au lieu<br />

de rendre compte de l'obj<strong>et</strong> du colloque <strong>et</strong> du<br />

problème posé, il se r<strong>et</strong>ourne contre l'Eglise:<br />

"De quoi se mêle-t-elle ?n Au bord d'une<br />

autoroute, après un accident, diriez-vous<br />

d'un homme qui fait de grands signaux<br />

pour attirer votre attention sur le danger:<br />

"De quoi se mêle-t-il ? Il veut faire la loi !",<br />

alors qu'il prévient le risque de collisions en<br />

chaîne!<br />

Mais, à l'inverse, il arrive parfois que des<br />

positions prises par l'Eglise provoquent les<br />

applaudissements de tous. Est-ce une plus<br />

juste situation?<br />

Paul <strong>et</strong> Barnabé<br />

pris pour des dieux !<br />

Quoi que fasse l'Eglise (<strong>et</strong> les chrétiens fidèles<br />

à <strong>l'Evangile</strong>), sa mission n'est jamais simple,<br />

même dans une situation de relatif succès.<br />

Déjà au temps de St Paul, comme le<br />

rapportent les Actes des Apôtres (14, 8-18).<br />

A Lystres, en Lycaonie, Paul <strong>et</strong> Barnabé<br />

annoncent <strong>l'Evangile</strong> dans un univers<br />

qu'ils ne connaissent pas bien;<br />

le dialecte leur est étranger, c'est pourquoi<br />

ils ne réagiront pas imrnédiatement aux<br />

propos tenus.<br />

Un infirme de naissance est suspendu aux<br />

paroles de Paul. L'apôtre perçoit que c<strong>et</strong><br />

homme est avide du salut <strong>et</strong> il lui dit:<br />

"Lève-toi, droit sur tes pieds !'" L'homme<br />

bondit: il marchait. Paul, comme Pierre,<br />

accomplit des signes comparables à ceux de<br />

Jésus: "Ce que vous demanderez au Père en<br />

mon nom, je vous l'accorderai ...<br />

Voyant ce miracle, la foule s'écrie en lycaonien :<br />

"Les dieux se sont rendus semblables à des<br />

hommes <strong>et</strong> ils sont descendus vers nous » <strong>et</strong><br />

d'appeler Barnabé Zeus <strong>et</strong> Paul Hermès (c'est<br />

lui qui parlait). Et le prêtre du sanctuaire dédié<br />

à Zeus-hors-les-murs veut, d'accord avec la<br />

foule, offrir un sacrifice. Paul <strong>et</strong> Barnabé<br />

commencent à comprendre <strong>et</strong> protestent:<br />

"Que faites-vous là ? Nous sommes des<br />

hommes tels que vous! La Bonne Nouvelle<br />

que nous vous annonçons, c'est d'abandonner<br />

ces sottises pour vous tourner vers le Dieu<br />

vivant ...<br />

Malentendu<br />

<strong>et</strong> succès de l'Eglise<br />

Aujourd'hui comme hier, lorsque l'Eglise<br />

remporte un succès apparent, il repose<br />

souvent sur un malentendu. Car il ne suffit pas<br />

de correspondre aux désirs <strong>et</strong> aux idées des<br />

hommes <strong>et</strong> qu'ils applaudissent, pour que le<br />

Royaume de Dieu soit annoncé!<br />

Il faut la conversion du cœur. L'homme qui est<br />

appelé par Dieu doit mourir à lui-même,<br />

accepter d'être arraché à l'égoïsme <strong>et</strong> la<br />

servitude pour naître à une vie nouvelle.<br />

A la fois, il le désire <strong>et</strong> il redoute l'abandon<br />

de ses idées préconçues. "La vérité vous<br />

rendra libres .. prom<strong>et</strong> Jésus à ses disciples<br />

(Jn 8, 32). Nous devons donc être libérés par<br />

la vérité qui vient de Dieu, par c<strong>et</strong> amour qui<br />

nous donne la vie.<br />

Alors, restons réservés devant un succès<br />

apparent pour l'Eglise. Les vrais apôtres<br />

savent que des purifications sont encore<br />

nécessaires, car les succès "selon le monde",<br />

comme nous le lisons dans St Jean, reposent<br />

sur l'ambiguïté, l'équivoque; ce n'est jamais<br />

une pure victoire.<br />

Pourquoi? Parce que le lieu de <strong>l'Evangile</strong> est la<br />

liberté des hommes <strong>et</strong> tant que les hommes<br />

sont libres, le combat de <strong>l'Evangile</strong> continue.<br />

Car tout homme peut pécher, refuser l'amour<br />

de Dieu, mais il peut aussi aimer, pardonner,<br />

demander à l'Eglise la grâce de partager la vie<br />

du Fils de Dieu.<br />

t Jean·Marie cardinal LUSTIGER<br />

(1) cf. lundi de la 5e semaine de Pâques.<br />

/<br />

1<br />

(


8. PERSÉCUTION<br />

ET DÉLIVRANCE<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 29 MAI <strong>1995</strong><br />

«<br />

Heureux êtes-vous, dit Jésus,<br />

lorsqu'on dit faussement<br />

contre vous toutes sortes de<br />

mal à cause de moi". Et, à<br />

l'inverse, précise-t-il dans St Luc (6, 26) :<br />

«Malheureux êtes-vous lorsque les hommes<br />

disent du bien de vous, c'est ainsi qu'ils<br />

traitent les faux-prophètes".<br />

Il n'est pas simple le rapport des disciples de<br />

Jésus avec le "monde" au sens où saint Jean<br />

emploie ce mot. Il ne s'agit pas ici du "Nouveau<br />

Monde", ni de la foule - "du monde" - qui se<br />

presse dans la rue! "Monde" désigne chez saint<br />

Jean l'organisation spirituelle des hommes qui<br />

les rend esclaves de leurs idoles.<br />

Comme un champ magnétique<br />

Comment comprendre c<strong>et</strong>te "organisation<br />

spirituelle" ? Nous ne sommes pas, nous les<br />

hommes, des boules qui roulent en tous sens<br />

sur le tapis d'un billard, à notre gré. Je préfère<br />

une autre comparaison: celle du champ<br />

magnétique. La limaille de fer répandue sur<br />

une feuille de papier est organisée selon les<br />

lignes de force de l'aimant placé dessous. Pour<br />

les disperser, il faut supprimer l'aimant ou<br />

produire un champ magnétique de sens<br />

inverse. De même, l'homme appelé à entrer<br />

dans le Règne de Dieu, doit s'arracher sinon au<br />

refus, du moins à la méconnaissance de Dieu,<br />

ou à l'idolâtrie, c'est-à-dire ce qu'il a mis à la<br />

place de Dieu : les idoles.<br />

Non seulement les idoles en pierre, en bronze<br />

ou en marbre des civilisations païennes, les<br />

"dieux des nations" dont certains ne sont plus<br />

que des œuvres d'art dans nos musées. Mais<br />

aussi les dieux de nos civilisations déjà<br />

évangélisées; ces idoles que Jésus démasque:<br />

l'argent, le pouvoir, le désir de posséder, <strong>et</strong>c.,<br />

créatures qui, lorsqu'elles sont idolâtrées,<br />

deviennent l'instrument de Satan. Cela nous<br />

est clairement dit par <strong>l'Evangile</strong> dans le récit<br />

des tentations du Christ poussé au désert par<br />

l'Esprit Saint après son baptême dans le<br />

Jourdain.<br />

Contre la haine du monde<br />

Le mystère de la Passion nous montre<br />

comment "le champ magnétique" de l'amour<br />

de Dieu, la connaissance du vrai Dieu, est plus<br />

puissant que le champ magnétique du<br />

"monde", l'idolâtrie, le refus de Dieu,<br />

l'obscurité <strong>et</strong> l'esclavage de l'homme. Le Christ<br />

crucifié <strong>et</strong> ressuscité désagrège c<strong>et</strong>te<br />

structuration du monde <strong>et</strong> fait entrer les<br />

hommes dans le champ de l'amour de Dieu <strong>et</strong><br />

de la liberté rendue.<br />

Alors, nous comprenons mieux ces paroles<br />

étonnantes de Jésus: "Je ne prie pas pour le<br />

monde, mais pour ceux qui croiront en moi"<br />

(Jn 17, 9 ; 20). Il avait expliqué à ses disciples:<br />

"Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le<br />

premier. Si vous étiez du monde, le monde<br />

aimerait ce qui lui appartiendrait. Mais vous<br />

n'êtes pas du monde: c'est moi qui vous ai<br />

mis à part du monde, voilà pourquoi le monde<br />

vous hait ... S'ils m'ont persécuté, ils vous<br />

persécuteront vous aussi; s'ils ont épié<br />

ma parole, ils épieront aussi la vôtre" (Jn 15,<br />

18 sq). Continuez de lire ces paroles de<br />

Jésus, même si elles vous troublent:<br />

-Je vous ai dit cela afin que vous ne<br />

succombiez pas à l'épreuve. L'heure vient où<br />

celui qui vous fera périr aura le sentiment<br />

de présenter un sacrifice à Dieu. Ils agiront<br />

ainsi pour n'avoir connu ni le Père ni moi."<br />

(Jn 16, 1 sq).<br />

Et Jésus annonce à ses disciples l'œuvre de<br />

l'Esprit Saint: «ll confondra le monde ... Il vous<br />

fera accéder à la vérité tout entière"<br />

(Jn 16, 8.13).<br />

Un combat jamais perdu<br />

Paranoïa? Délire de persécution? Non, le Christ<br />

n'est pas un paranoïaque <strong>et</strong> il ne nous enferme<br />

pas dans une structure sectaire. <strong>L'Eglise</strong> annonce<br />

ce qu'elle tient de Jésus. Et si elle est fidèle à son<br />

commandement, à son amour, elle rencontrera la<br />

même contradiction que lui. Certes, il ne suffit<br />

pas d'être contredit pour être fidèle à Jésus;<br />

mais, à coup sûr, si l'on est fidèle à Jésus, on<br />

sera contredit. Pourquoi?<br />

Parce que l'annonce de la Parole est un travail<br />

de délivrance de l'obscurité, de l'esclavage<br />

du péché, de la mort. Enfanter des êtres<br />

humains à la liberté <strong>et</strong> au dépassement de<br />

l'amour ne se fait pas tout seul, comme par<br />

enchantement.<br />

Quand vous décidez: je vais aimer mon<br />

prochain, vous savez ce qu'il vous en coûte!<br />

Pour aimer Dieu <strong>et</strong> vos frères comme le Christ<br />

aime, pour être fidèles à la loi de Dieu, vous<br />

savez quel combat intérieur vous devez mener.<br />

Mais ce n'est pas un combat au-dessus de nos<br />

forces, car le Christ nous porte <strong>et</strong> sa grâce nous<br />

perm<strong>et</strong> d'accomplir l'impossible: "Courage, j'ai<br />

vaincu le monde" (Jn 16, 33).<br />

En réalité, l'amour repose sur la liberté. Et<br />

notre liberté est blessée, prisonnière des<br />

obj<strong>et</strong>s de son désir. Elle doit s'ouvrir à la<br />

source de la vie, s'appuyer sur Dieu pour entrer<br />

dans c<strong>et</strong>te vérité qu'il nous propose <strong>et</strong> la vie<br />

qu'il nous donne.<br />

S'il en est ainsi pour nous-mêmes, ainsi en<br />

est-il pour ceux à qui nous nous adressons! Il est<br />

normal qu'ils se défendent contre celui qui, pour<br />

leur donner la vie, vient les déranger, qu'ils<br />

l'attaquent, le persécutent. Tel celui qui se noie <strong>et</strong><br />

se débat contre son sauv<strong>et</strong>eur! Mais notre<br />

Sauveur est le "plus fort" (Lc 11, 22).<br />

t Jean·Marie cardinal LUSTIGER<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'582 22 JUIN <strong>1995</strong>


9. LE PRIX DE LA FIDÉLITÉ<br />

ÀLA VÉRITÉ<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 5 JUIN <strong>1995</strong><br />

Etrange situation de l'Eglise! Fait-on<br />

son éloge, elle doit se méfier d'un<br />

malentendu! Fait-on sa critique, elle<br />

doit être sur ses gardes. Car il y va de<br />

sa mission.<br />

A ce suj<strong>et</strong>, je vous recommande un p<strong>et</strong>it<br />

volume: <strong>L'Eglise</strong> en débat (Bayard Editions/<br />

Centurion) : il comprend "Au souffle de<br />

Pentecôte", le message aux catholiques de<br />

France par Mgr Duval, président de la<br />

Conférence des évêques de France: <strong>et</strong> des<br />

"Notes" du cardinal Coffy, archevêque émérite<br />

de Marseille, sur l'Eglise: je ne citerai que la<br />

première pour vous m<strong>et</strong>tre en appétit. Il<br />

examine ce slogan "<strong>L'Eglise</strong> est morte: vive le<br />

Christ" <strong>et</strong> répond à la question: «Le Christ a-t-il<br />

voulu l'Eglise ?"<br />

Je vous invite aussi à lire les deux dernières<br />

L<strong>et</strong>tres du Pape:<br />

- La lumière de l'Orient. Il s'agit de Byzance<br />

<strong>et</strong> des autres traditions orientales, de l'Eglise<br />

du Christ indivise jusqu'à la fin du premier<br />

millénaire: l'Orient chrétien, "l'autre poumon<br />

de l'Eglise" :<br />

- "Qu'ils soient un" (1), l'encyclique sur<br />

l'engagement œcuménique. Vous découvrirez<br />

avec quel amour <strong>et</strong> quelle perspicacité, avec<br />

quel enthousiasme <strong>et</strong> quelle ténacité, le Pape<br />

poursuit la marche de l'Eglise catholique,<br />

notamment depuis le concile de Vatican Il,<br />

dans le chemin de l'unité visible du Corps du<br />

Christ, de la pleine communion des chrétiens.<br />

En expliquant le rôle joué par le successeur de<br />

Pierre dans la mission confiée par le Christ,<br />

Jean-Paul Il éclaire notre réflexion sur l'Eglise.<br />

Entêtement ou devoir de véracité ?<br />

Lorsque l'Eglise témoigne, fidèle à la vérité reçue<br />

du Christ, sa parole dérange autant qu'elle attire.<br />

Les éducateurs le savent, rares sont ceux qui<br />

accueillent, non seulement sans résister, mais<br />

avec bienveillance, une vérité qui bouscule. La<br />

première réaction est de se défendre: «De quoi<br />

te mêles-tu? De quel droit me fais-tu la leçon?<br />

Qui es-tu pour prétendre avoir raison, me dicter<br />

ma conduite ?" L'agacement peut vite devenir<br />

hostilité ...<br />

Alors, que faire? Ne rien dire? Certes, parfois<br />

il faut se taire par amour. Mais souvent il faut<br />

savoir, par amour, parler quand même, au<br />

risque de se faire déconsidérer. C'est souvent<br />

le sort de l'Eglise!<br />

Cependant, comment ne pas confondre la<br />

fidélité à la vérité que nous servons <strong>et</strong> que<br />

nous devons à nos frères, comment ne pas<br />

confondre ce devoir de véracité avec<br />

l'obstination, le fanatisme, l'étroitesse d'esprit?<br />

On peut se tromper avec un entêtement<br />

superbe <strong>et</strong> dire des sottises avec une<br />

conviction parfaite! Suffit-il d'être obstiné pour<br />

être fidèle à la vérité, quoi qu'il en coûte?<br />

Pierre, le Roc<br />

Le Pape répond indirectement en abordant la<br />

question très débattue de la mission confiée<br />

par Jésus à Simon, le "premier" parmi les<br />

douze apôtres. Simon devenu Pierre,<br />

Simon le Rocher sur lequel Jésus bâtit son<br />

Eglise, Temple spirituel composé des pierres<br />

vivantes.<br />

Pierre est choisi pour recevoir l'Eglise du Christ<br />

- «nous ne construisons pas l'Eglise, elle<br />

nous est donnée" (Card. Coffy) - : il sera le<br />

berger des brebis du Seigneur <strong>et</strong> confirmera ses<br />

frères dans la foi. L'infaillibilité explicite la<br />

primauté. Elle n'est pas le privilège de ne jamais<br />

se tromper en rien, mais elle est la grâce de<br />

pouvoir exprimer, dans une fidélité absolue à<br />

l'Esprit de Dieu, la foi de l'Eglise.<br />

«L'évêque de Rome remplit la mission de<br />

rappeler l'exigence de la pleine communion des<br />

disciples du Christ" (U.U.S. § 4). Obéissant<br />

lui-même pour confirmer la foi des frères à qui<br />

Jésus l'envoie, il assure la cohérence <strong>et</strong> l'unité<br />

du collège des Apôtres.<br />

Vouloir l'unité,<br />

vouloir l'Eglise<br />

«<strong>L'Eglise</strong> catholique a conscience d'avoir<br />

conservé le ministère du successeur de<br />

l'apôtre Pierre, l'évêque de Rome, que Dieu a<br />

institué comme "le principe <strong>et</strong> le fondement<br />

permanents <strong>et</strong> visibles de l'unité" (LG 23)"<br />

(U.U.S. § 88). C<strong>et</strong>te conviction représente<br />

une difficulté pour beaucoup d'Eglises<br />

chrétiennes légitimement reconnues comme<br />

une part vivante de l'Eglise du Christ,<br />

<strong>et</strong> est l'obj<strong>et</strong> d'une contestation radicale pour<br />

certaines communautés issues du<br />

protestantisme.<br />

«Nous savons, écrit le Pape, que dans son<br />

pèlerinage terrestre, l'Eglise a subi <strong>et</strong><br />

continuera à subir des oppositions <strong>et</strong> des<br />

persécutions. Mais l'espérance qui la soutient<br />

est inébranlable ... Le rocher solide <strong>et</strong> éternel sur<br />

lequel elle est fondée, c'est Jésus-Christ son<br />

Seigneur" (U.U.S. § 4). Et Jean-Paul Il<br />

souligne les grâces données pour surmonter ces<br />

causes de division, r<strong>et</strong>rouver le socle de l'unité<br />

sur laquelle l'Eglise est fondée <strong>et</strong> les moyens d'y<br />

parvenir, non par concession ou compromis,<br />

mais par la découverte plus totale <strong>et</strong> plus<br />

humble dé la vérité tout entière qui «nous rendra<br />

libres" comme le prom<strong>et</strong> Jésus.<br />

En eff<strong>et</strong>, «croire au Christ signifie vouloir l'unité:<br />

vouloir l'unité signifie vouloir l'Eglise: vouloir<br />

l'Eglise signifie vouloir la communion de grâce<br />

qui correspond au dessein du Père de toute<br />

éternité. Tel est le sens de la prière du Christ:<br />

"Ut unum sint". (U.U.S. § 9).<br />

+ Jean·Marie cardinal LUSTIGER<br />

(1) "Ut unum sint", cité U.U.S.<br />

8 PARISNOTREDAME<br />

N'583 . 29 JUIN <strong>1995</strong>


10. À LA MANIÈRE<br />

DU SUCCESSEUR DE PIERRE<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 12 JUIN <strong>1995</strong><br />

Eglise doit avec courage <strong>et</strong> fidélité<br />

rendre témoignage à la vérité du<br />

Christ <strong>et</strong> de <strong>l'Evangile</strong>. Le Pape<br />

nous dit comment, pour sa part, il<br />

'<br />

veut remplir c<strong>et</strong>te mission:<br />

"Suivant la belle expression du pape Grégoire<br />

le Grand, mon ministère est celui de servus<br />

servorum Dei (1). C<strong>et</strong>te définition est la<br />

meilleure protection contre le risque de séparer<br />

l'autorité (<strong>et</strong> en particulier la primauté) du<br />

ministère, ce qui serait en contradiction avec le<br />

sens de l'autorité selon <strong>l'Evangile</strong>: "Je suis au<br />

milieu de vous comme celui qui sert" (Lc 22,<br />

<strong>27</strong>) dit Notre Seigneur Jésus-Christ, Chef de<br />

l'Eglise» (U.U.S. (2) § 88).<br />

Ministère de miséricorde<br />

Conscient des difficultés soulevées au cours<br />

des siècles à l'encontre de l'exercice de la<br />

primauté par ses prédécesseurs, Jean-Paul Il<br />

reconnaît les fautes qu'ils ont pu comm<strong>et</strong>tre <strong>et</strong><br />

les limites humaines de leur action. Lui-même<br />

s'en rem<strong>et</strong> à la miséricorde de Dieu "avec,<br />

écrit-il, la conviction profonde d'obéir au<br />

Seigneur <strong>et</strong> dans la pleine conscience de ma<br />

fragilité humaine ... C'est dans la faiblesse<br />

humaine de Pierre que se manifeste<br />

pleinement le fait que, pour accomplir son<br />

ministère spécifique dans l'Eglise, le Pape<br />

dépend totalement de la grâce <strong>et</strong> de la prière<br />

du Seigneur: "J'ai prié pour toi afin que ta foi<br />

ne défaille pas"» (U.U.S. § 4).<br />

Dès lors, ce trésor de l'amour <strong>et</strong> de la<br />

communion qui lui est confié pour l'Eglise <strong>et</strong><br />

dont il devra rendre compte à Dieu, il ne se<br />

perm<strong>et</strong> pas de le changer, il ne se l'approprie pas;<br />

<strong>et</strong> il demeure libre devant les critiques. Car<br />

Jean-Paul Il le sait: "L'autorité de ce ministère<br />

est toute au service du dessein miséricordieux<br />

de Dieu <strong>et</strong> il faut toujours la considérer dans<br />

c<strong>et</strong>te perspective. Son pouvoir s'explique dans<br />

ce sens» (U.U.S. § 92).<br />

Ainsi, non seulement en paroles, mais en actes,<br />

quel bel exemple de fidélité à la vérité nous est<br />

donné par la Tête visible de l'unité ecclésiale,<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'584 - 6 JUILLET <strong>1995</strong><br />

Pierre, signe de la présence de Jésus à son<br />

Eglise! En eff<strong>et</strong>, "ce rôle de Pierre demeure<br />

nécessaire dans l'Eglise afin que, sous un seul<br />

Chef qui est le Christ Jésus, elle soit<br />

visiblement dans le monde la communion de<br />

tous ses disciples» (U.U.S. § 97).<br />

Identifié au Christ en sa Passion<br />

Le fanatique, l'entêté veut convaincre son<br />

contradicteur, le réduire au silence. Dans le<br />

service du Christ, il n'en est pas ainsi.<br />

Comment Jésus montre-t-il qu'il est le Messie<br />

de Dieu, envoyé par le Père pour sauver les<br />

hommes? En clouant le bec à ses<br />

interlocuteurs? Non, en se laissant clouer sur<br />

la croix. Il ne condamne ni Pilate, ni les soldats<br />

romains, ni la foule qui le livre; il veut les<br />

sauver tous; il prie le Père de pardonner à ses<br />

bourreaux. Il ne se défend pas. Et à Pierre qui<br />

veut prendre sa défense, il dit: "Rem<strong>et</strong>s ton<br />

épée au fourreau» (Jn 18, 11). Il ne fait pas<br />

violence à ses adversaires, il accepte de porter<br />

sur lui-même leur violence <strong>et</strong> d'être réduit au<br />

silence de la mort pour que la Parole,<br />

ressuscitée, habite désormais le cœur des<br />

hommes <strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong>te de chanter la gloire<br />

de Dieu.<br />

Le disciple de Jésus, a fortiori l'apôtre, <strong>et</strong><br />

parmi les apôtres, Pierre, le premier, fera<br />

comme Jésus, selon la même démarche<br />

d'amour, d'oubli de soi qui le mènera à être<br />

identifié au Christ en sa Passion. Jean-Paul Ille<br />

sait d'expérience: "La charge non pas<br />

d'exercer un pouvoir sur le peuple - comme le<br />

font les chefs des nations <strong>et</strong> les grands -,<br />

mais de conduire le peuple pour qu'il puisse<br />

avancer vers de paisibles pâturages peut<br />

imposer d'offrir sa propre vie» (U.U.S. § 94).<br />

M'aimes-tu?<br />

Sois le berger de mes brebis<br />

Pierre n'a pas trahi seulement un ami à qui il a<br />

promis fidélité, mais le Sauveur des hommes,<br />

,de Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16, 16)<br />

qui est la révélation de l'Amour <strong>et</strong> a "les<br />

paroles de la vie éternelle» comme Pierre le<br />

confesse: "A qui irions-nous, Seigneur ?... »<br />

(Jn 6, 68). Il a renié trois fois. Et voilà que le<br />

Seigneur ressuscité lui demande trois fois:<br />

"Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?»<br />

(Jn 21, 15 sq). Sur la réponse de l'apôtre:<br />

"Oui, Seigneur, je t'aime», Jésus lui dit: "Sois<br />

le berger de mes brebis».<br />

Jean-Paul Il conclut: "Se fondant sur la triple<br />

profession d'amour de Pierre qui correspond à<br />

son triple reniement, son successeur sait qu'il<br />

doit être signe de miséricorde ... Il faut sans<br />

cesse relire c<strong>et</strong>te leçon de <strong>l'Evangile</strong> afin que<br />

l'exercice du ministère pétrinien (3) ne perde<br />

rien de son authenticité <strong>et</strong> de sa transparence»<br />

(U.U.S. § 93).<br />

Si Pierre aime Jésus, il devra aimer les brebis<br />

de Jésus pour deux raisons: parce que Jésus<br />

les aime <strong>et</strong> donne sa vie pour elles; parce que<br />

Jésus <strong>et</strong> ses brebis, c'est tout un ; avec le<br />

Père <strong>et</strong> l'Esprit il fait sa demeure en ses<br />

disciples. C'est le même <strong>et</strong> unique amour; non<br />

pas que les hommes soient Dieu, mais aimer<br />

Dieu, c'est participer à l'amour de Jésus pour<br />

ses frères, <strong>et</strong> c'est aimer Jésus présent en<br />

eux. Donc, comme l'écrit St Jean, "si quelqu'un<br />

dit "J'aime Dieu" <strong>et</strong> qu'il haïsse son frère, c'est<br />

un menteur» (1 Jn 4, 20).<br />

A Pierre, berger de ses brebis, Jésus dit un<br />

dernier mot: "Suis-moi», écho de son appel de<br />

disciple au bord du lac (Mt 4, 20). "C'est à<br />

Rome, souligne Jean-Paul Il, que Pierre<br />

achèvera (par le martyre) son chemin à la suite<br />

de Jésus <strong>et</strong> qu'il donnera c<strong>et</strong>te plus grande<br />

preuve d'amour <strong>et</strong> de fidélité» (U.U.S. § 90).<br />

Voilà le mystère de l'Eglise. Si nous aimons<br />

Jésus, nous devons aimer l'Eglise comme<br />

Jésus.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER<br />

(1) Serviteur des serviteurs de Dieu<br />

(2) "Ut unum sint"<br />

(3) adjectif formé sur le nom Pierre (P<strong>et</strong>ros)


u,DE L'ARBDRAGE DÉMOCRATIQUE<br />

A L'AMOUR DK5 ENNEMIS<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 19 JUIN <strong>1995</strong><br />

Dans une démocratie, la nature de la<br />

vie politique apparaît plus clairement<br />

en période électorale. Les intérêts <strong>et</strong><br />

les ambitions contraires se<br />

manifestent. Trop souvent leurs conflits se<br />

sont réglés - si l'on peut dire -<br />

par la violence ou la guerre. La politique<br />

y substitue des procédures pacifiques pour<br />

trancher les conflits <strong>et</strong> dépasser les<br />

contradictions.<br />

Par exemple, le vote des citoyens arbitre les<br />

compétitions des personnes, des opinions, des<br />

intérêts, des groupes <strong>et</strong> des partis, selon la loi<br />

électorale établie reconnue de tous.<br />

y contrevenir, c'est réintroduire la violence<br />

ouverte.<br />

Démocratiquement, mais ...<br />

Ainsi donc, les campagnes électorales<br />

représentent en quelque sorte une guerre<br />

"pacifique". Le recours à un vocabulaire plus<br />

guerrier que sportif en témoigne: "victoire" <strong>et</strong><br />

"défaite", "offensive", "conquête" d'un siège<br />

d'élu ou d'une municipalité, "stratégie",<br />

"tactique", <strong>et</strong>c. Les gouvernants désignés se<br />

doivent de gouverner pour le bien de<br />

l'ensernble de la population. rnais, en fait, ils le<br />

font selon l'avis de la rnajorité. Ils font donc<br />

prévaloir leurs points de vue, leurs objectifs. La<br />

minorité se sourn<strong>et</strong> aux lois ainsi établies,<br />

fût-ce en travaillant à les faire rnodifier grâce à<br />

la prochaine échéance électorale.<br />

Sauf les rares cas d'unanimité, la majorité<br />

impose son avis à la minorité. Les règles de<br />

l'arbitrage démocratique perrn<strong>et</strong>tent aux<br />

oppositions de ne pas dégénérer en guerre <strong>et</strong><br />

de miser sur l'alternance. Mais il arrive des<br />

rnésaventures : on a vu des groupes conquérir<br />

dérnocratiquernent le pouvoir, puis y rester par<br />

tous les moyens. Ainsi les plus grandes<br />

dictatures conternporaines ont-elles accédé au<br />

pouvoir ... par des élections. Cela peut parfois<br />

tourner à la tragédie <strong>et</strong> laisser le champ libre à<br />

la plus aborninable violence. Pensez à la<br />

dornination d'une <strong>et</strong>hnie sur une autre, dans<br />

l'Afrique des grands lacs, mais aussi dans des<br />

pays d'Europe, de la Bosnie aux Balkans.<br />

L'anéantissement de l'autre (le "n<strong>et</strong>toyage <strong>et</strong>hnique")<br />

peut même parfois se parer de la légitimité<br />

du bull<strong>et</strong>in de vote.<br />

Le même mécanisme joue au plan économique;<br />

ne parle-t-on pas de "la conquête"<br />

d'un marché, quelles qu'en soient les<br />

conséquences sur la vie de nos pays:<br />

chômage, <strong>et</strong>c. ?<br />

Il en va de même dans le domaine culturel. Le<br />

choix d'une langue exprime un vrai rapport de<br />

forces, comme si les cultures ne pouvaient<br />

coexister qu'en disparaissant au bénéfice de<br />

l'une, au détriment de toutes les autres. Par<br />

exemple, aux Etats Unis, la langue anglaise<br />

absorbe la diversité des cultures d'Europe <strong>et</strong><br />

des autres continents. Qu'elle entre en<br />

compétition avec l'espagnol n'y change rien.<br />

<strong>L'Eglise</strong> <strong>et</strong> le vote<br />

Puisque nous vivons dans une ère<br />

démocratique, l'Eglise ne devrait-elle pas<br />

adopter pour son fonctionnement interne les<br />

mêmes règles démocratiques? D'ailleurs, des<br />

procédures de vote existent déjà: le pape est<br />

élu par le collège des cardinaux; de même que<br />

les supérieurs d'ordres religieux par les<br />

membres de leur chapitre. Et, à différents<br />

niveaux de la vie de l'Eglise (conseil<br />

presbytéral, doyen du chapitre-cathédral,<br />

membres des commissions épiscopales, <strong>et</strong>c),<br />

le droit canon codifie le recours à c<strong>et</strong>te<br />

procédure élective.<br />

Ne devrait-on pas faire prévaloir l'opinion des<br />

chrétiens sur tel ou tel point que l'Eglise<br />

enseigne <strong>et</strong> qui n'est plus "tenable"<br />

aujourd'hui: le divorce l'avortement, les<br />

questions de morale, de discipline ou de<br />

pratique religieuse?<br />

Si, dans l'Eglise, la procédure élective, le<br />

recueil des avis, la consultation sont<br />

importants, ils ne jouent pas le même rôle que<br />

dans les procédures politiques de type<br />

démocratique. Pourquoi?<br />

Le modèle original de l'Eglise<br />

Le modèle selon lequel l'Eglise se bàtit est<br />

différent <strong>et</strong> original, quelles que soient les<br />

formes sociales où elle s'insère, que ce soit<br />

une société tribale telle que nous l'avons<br />

connue en Europe <strong>et</strong> telle qu'elle apparaît<br />

encore dans bien des pays du monde, que ce<br />

soit une monarchie, une démocratie ou tout<br />

autre régime. Certes, l'organisation de l'Eglise<br />

<strong>et</strong> son fonctionnement en ont été marqués.<br />

Mais quels que soient le siècle, le pays, la<br />

culture où l'on observe la vie de l'Eglise, on<br />

peut constater une originalité qui la différencie<br />

de la société politique.<br />

Comment la définir? Selon les paroles mêmes<br />

de Jésus en St Luc (6, <strong>27</strong> sq). Dépassant<br />

l'amour du prochain, il enseigne à ses disciples<br />

l'amour des ennemis: la guerre devient donc<br />

impossible. Pourquoi? Parce que l'ennemi<br />

n'est plus l'homme à détruire ou abattre, mais<br />

le frère à aimer: "Aimez vos ennemis, faites du<br />

bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux<br />

qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous<br />

calomnient». Rappelez-vous aussi le respect<br />

d'autrui: "Quiconque se m<strong>et</strong> en colère contre<br />

son frère en répondra au tribunal; celui qui dit<br />

à son frère "Raka - imbécile" sera justiciable<br />

du Sanhédrin» (Mt 5, 22 sq).<br />

Alors, nous ne pouvons pas nous faire la<br />

guerre. L'arbitrage des conflits dans l'Eglise est<br />

lié à la règle d'or que Jésus nous a laissée:<br />

"Comme vous voulez que les hommes<br />

agissent envers vous, agissez de même envers<br />

eux» (Lc 6, 31). Il a donc fallu que l'Eglise ne<br />

cesse d'inventer une manière d'agir différente<br />

de celle des sociétés dont elle fait partie. Et<br />

cela, pour être fidèle au Christ. Pour rester<br />

elle-même.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER<br />

8 PARIS NOTRE DAME<br />

N'585 13 JUILLET <strong>1995</strong>


12. lA RÈGLE<br />

DU JEU<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 26 JUIN <strong>1995</strong><br />

Pour marcher dans les pas du Christ<br />

jusqu'en sa Passion, ses disciples<br />

sont appelés à ne traiter aucun être<br />

humain comme un ennemi. Ou plutôt,<br />

s'il est leur ennemi, de l'aimer pourtant.<br />

Voilà le principe paradoxal du<br />

"fonctionnement" de l'Eglise. Elle rassemble<br />

des hommes d'une diversité telle qu'elle<br />

risque sans cesse d'éclater. La diversification<br />

des langues, hermétiques les unes pour les<br />

autres, en est le symbole. A la Pentecôte, tous<br />

comprennent en même temps la langue de<br />

l'Esprit qui leur fait découvrir les merveilles de<br />

Dieu. Le Paracl<strong>et</strong> descend sur la tour de<br />

Babel ...<br />

Lancer la lutte pour le pouvoir?<br />

Le Christ, Fils unique de Dieu, lui qui «est tout<br />

en tous» (Col 3, 11). aide chacun à accepter<br />

l'autre au détriment de soi-même. Il ne faudrait<br />

pas comprendre c<strong>et</strong>te manière d'agir comme<br />

une lâche passivité. Les chrétiens qui agissent<br />

ainsi les uns à l'égard des autres cherchent à<br />

obéir ensemble au Christ. «Vous n'avez qu'un<br />

seul maître <strong>et</strong> vous êtes tous frères» dit Jésus<br />

à ses disciples (Mt 23, 8) ; <strong>et</strong> encore: «Vous<br />

m'appelez le Maître <strong>et</strong> le Seigneur <strong>et</strong> vous<br />

dites bien car je le suis. Si je vous ai lavé les<br />

pieds, moi le Seigneur <strong>et</strong> le Maître, vous devez<br />

vous aussi vous laver les pieds les uns aux<br />

autres» (Jn 13, 13 sq).<br />

L'exigence de communion dans l'Eglise ne<br />

peut se contenter ni des faux-semblants qui<br />

créent une paix factice, ni des compromis ou<br />

concessions, ni des calculs ou coalitions<br />

d'intérêts. Elle appelle à renoncer au pouvoir<br />

sur l'autre pour tout rem<strong>et</strong>tre au Christ.<br />

«Ce n'est pas possible, direz-vous peut-être.<br />

C'est une fiction, une duperie. Avec ces belles<br />

paroles vous instaurez une dictature d'autant<br />

plus redoutable qu'elle s'habille d'exigence<br />

spirituelle. Puisque nous voulons la vérité,<br />

m<strong>et</strong>tons le conflit dans l'Eglise, brisons c<strong>et</strong>te<br />

fausse unanimité entre les chrétiens <strong>et</strong><br />

lançons ouvertement la lutte pour le pouvoir».<br />

Quelles conséquences cela peut-il entraîner?<br />

Deux mots hérités du passé douloureux de<br />

l'Eglise les désignent comme le schisme<br />

(séparation qui divise de l'Eglise) <strong>et</strong> l'hérésie<br />

(choix qui refuse la foi commune).<br />

Une autorité de témoin<br />

Jésus m<strong>et</strong> ses disciples en garde contre la<br />

tentation d'introduire dans son Eglise la lutte<br />

pour le pouvoir: «Les rois des nations agissent<br />

avec elles en seigneurs <strong>et</strong> ceux qui dominent<br />

sur elles se font appeler" bienfaiteurs". Pour<br />

vous, rien de tel» (Lc 22, 25-26).<br />

Le fonctionnement de l'Eglise repose sur la<br />

reconnaissance absolue <strong>et</strong> unique du<br />

Christ-Serviteur. A quelles conditions? Que les<br />

fidèles, tous ceux qui participent à la<br />

communion de la foi, obéissent à la même<br />

règle du jeu.<br />

Dans l'Eglise, quelle est-elle? L'adhésion à la<br />

Révélation, au Christ lu-même présent au<br />

milieu de nous par sa Parole <strong>et</strong> les<br />

sacrements, <strong>et</strong> le consentement de chacun à<br />

croire ce que le Christ nous transm<strong>et</strong>, en<br />

respectant les conditions que lui-même a<br />

posées.<br />

Dans une démocratie, comme chez nous, le<br />

Conseil constitutionnel est le gardien de la<br />

règle démocratique (à moins de changer de<br />

constitution !). La règle de l'Eglise est<br />

différente. Le Christ a confié sa Parole à des<br />

hommes, les apôtres <strong>et</strong> leurs successeurs,<br />

pour qu'ils fassent naître <strong>et</strong> vivre son Eglise,<br />

son Corps en qui demeure l'Esprit. Il ne leur a<br />

pas donné une autorité de pouvoir, mais une<br />

autorité de témoin <strong>et</strong> de mission à laquelle<br />

obéissent librement ses disciples.<br />

Les deux conditions<br />

de la communion<br />

• Première condition pour être dans la<br />

communion de l'Eglise: confesser la foi<br />

commune sans laquelle on ne peut se dire<br />

chrétien; la "culture chrétienne" n'y suffit pas.<br />

Le peut-on sans croire que le Christ est le FiIs<br />

de Dieu? Non. Les vérités de la foi,<br />

ramassées en la triple interrogation faite au<br />

baptême <strong>et</strong> qui est l'origine du Credo de<br />

l'Eglise, se tiennent de façon cohérente.<br />

Si c<strong>et</strong>te communion dans la foi vient à<br />

manquer, le "fonctionnement" catholique de<br />

l'Eglise est faussé. Alors s'introduit une sorte<br />

de double jeu: le jeu du monde, celui de<br />

rapports de forces à l'intérieur d'une institution<br />

appelée sans cesse à se purifier de la<br />

tentation du pouvoir. Ce fut le cas, pendant<br />

des siècles, de princes <strong>et</strong> politiques qui ont<br />

essayé de s'emparer de l'autorité de l'Eglise;<br />

mais aussi de certains chrétiens ou hommes<br />

d'Eglise qui ont été tentés de détourner à leur<br />

profit ou celui des causes qu'ils défendaient,<br />

l'autorité - de mission <strong>et</strong> de service - de<br />

l'Eglise du Christ.<br />

• Deuxième condition: que chacun se tienne<br />

loyalement sous le regard de Dieu <strong>et</strong> accepte<br />

de se reconnaître pécheur.<br />

L'Esprit Saint qui habite en nos cœurs est le<br />

gardien de la communion, lui, le véritable lien<br />

organique de l'unité de l'Eglise, puissance<br />

d'amour, de pardon, d'acceptation mutuelle,<br />

de saint<strong>et</strong>é. L'Eucharistie est le modèle du<br />

"fonctionnement" de l'Eglise. Réfléchissez à<br />

c<strong>et</strong>te affirmation qui peut surprendre. Nous y<br />

reviendrons dans l'avenir.<br />

Voilà pourquoi aucun acte de l'Eglise n'est<br />

entrepris sans invoquer l'Esprit Saint. Ce n'est<br />

pas une pieuse habitude, à la limite de la<br />

superstition, mais la reconnaissance de la<br />

règle intérieure: la personne même de l'Esprit<br />

qui nous réunit <strong>et</strong> nous perm<strong>et</strong> de vivre, de<br />

"fonctionner" selon c<strong>et</strong>te logique divine qui<br />

habite nos réalités humaines <strong>et</strong> le mystère de<br />

l'Eglise.<br />

t Jean-Marie cardinal LUSTIGER<br />

6 PARIS NOTRE DAME<br />

N'586· 20 JUILLET <strong>1995</strong>


13 (fin). L'ÉGLISE EN"ACTE<br />

COMME DON DE GRACE<br />

DIFFUSÉ SUR RADIO NOTRE-DAME LA SEMAINE DU 3 JUILLET <strong>1995</strong><br />

A<br />

Notre-Dame, le 24 juin demie~, en I~ fête<br />

de la Nativité de St Jean-Baptiste, J al<br />

ordonné seize prêtres pour le diocèse de<br />

Paris. Fidèles, prêtres, évêques, nous<br />

étions, une nouvelle fois, émerveillés par le<br />

mystère de don qui nous apparaissait: don<br />

que ces hommes, plus ou moins jeunes, faisaient<br />

de leur existence pour Dieu ; don que le<br />

Père fait de ces disciples au Christ pour son<br />

Eglise, pour l'annonce de <strong>l'Evangile</strong>.<br />

Mais des observateurs extérieurs pouvaient<br />

penser: quels risques prennent-ils! quelle<br />

aventure!<br />

Cascade de dons<br />

Par le sacrement de l'Ordre, les seize nouveaux<br />

prêtres ont reçu la certitude d'être appelés par<br />

Dieu lui-même à se donner <strong>et</strong> à tout lui donner;<br />

ils ont reçu en même temps l'assurance de<br />

pouvoir le faire en dépit de leur faiblesse. Car<br />

Dieu a devancé leur propre générosité. Il les a<br />

cherchés <strong>et</strong> comblés de son amour. Ce 24 juin,<br />

ordonnés, ils pouvaient dire comme le prophète<br />

Isaïe <strong>et</strong> St Jean-Baptiste: "J'étais encore dans<br />

le sein de ma mère quand le Seigneur m'a<br />

appelé pour que je sois son serviteur <strong>et</strong> armonce<br />

son salut" (Is 49, 1sq).<br />

Mystère de don: non seulement don d'euxmêmes,<br />

mais aussi don que Dieu faisait en les<br />

appelant. Et ce don avait un nom; l'Eglise<br />

elle-même comme lieu de grâce.<br />

Réunis dans la cathédrale, nous avons entrevu<br />

en c<strong>et</strong>te liturgie un autre mystère: celui de la<br />

solidarité spirituelle dont le prêtre devient le<br />

serviteur. Parents, amis, camarades de travail,<br />

compagnons quittés sept ans auparavant, <strong>et</strong>c;<br />

croyants fervents, bien sûr, mais aussi personnes<br />

de toutes opinions, voire d'autres<br />

religions présentaient une unité, une communion<br />

qui naît du pardon ...<br />

Oui, c'était là l'Eglise en acte comme don de<br />

grâce.<br />

Comme un flacon de parfum<br />

Telle parfum qui, répandu aux pieds du Maître,<br />

embaume toute la maison, le flacon ouvert<br />

- c<strong>et</strong> instant précieux - laisse percevoir ce<br />

qu'il contient, même pour ceux qui ne savaient<br />

ou ne pouvaient s'en rendre compte lorsqu'ils<br />

regardent l'Eglise de l'extérieur. Ce parfum est<br />

ce mystère d'un amour qui vient de Dieu <strong>et</strong> saisit<br />

l'existence humaine dans sa diversité. Le<br />

Christ entraîne l'humanité par son Eglise, dans<br />

son Eglise <strong>et</strong> en fait le sacrement de son<br />

amour.<br />

J'ai été frappé que l'expression "don de Dieu"<br />

reprise par Mgr Duval <strong>et</strong> le Cardinal Coffy pour<br />

désigner l'Eglise ait provoqué l'étonnement de<br />

certains, voire des critiques acerbes; "Si<br />

l'Eglise est le don de Dieu, il n'y a plus rien à<br />

dire ni à faire; c'est Dieu qui fait tout; faut-il<br />

alors lui attribuer l'Inquisition, le péché des<br />

hommes ?". Dans c<strong>et</strong>te logique, je devrais attribuer<br />

à Dieu mes propres péchés, estimait c<strong>et</strong><br />

esprit éminent.<br />

Comment des hommes, familiers des institutions<br />

de l'Eglise, férus de culture chrétienne, en sontils<br />

arrivés à une telle ferm<strong>et</strong>ure de l'intelligence?<br />

Comme si ne leur restait entre les mains qu'une<br />

fiole vide, le parfum évaporé, <strong>et</strong> de conclure: ,,1/<br />

n'y a rien dedans !" Dans leur refus que l'Eglise<br />

soit un mystère de don en la faiblesse des<br />

hommes <strong>et</strong> que ce don de Dieu les sanctifie de<br />

leurs péchés. Et aussi don des hommes parce<br />

que le Christ s'est fait l'un de nous pour nous<br />

apprendre à nous donner en r<strong>et</strong>our.<br />

Jésus nous donne son corps <strong>et</strong> son sang, sa<br />

paix <strong>et</strong> sa joie, sa vie <strong>et</strong> son Esprit. Le Père<br />

nous donne le Fils notre Sauveur (Jn 3, 16-17),<br />

<strong>et</strong> le Père nous donne à Jésus, nous les disciples<br />

: l'Eglise, don de Dieu dans sa main.<br />

Si tu savais le don de Dieu ...<br />

La difficulté de se reconnaître pécheurs peut<br />

obscurcir l'intelligence de ceux qui ont trop<br />

reçu pour se rendre compte du don qui leur a<br />

été fait, <strong>et</strong> donc de leur responsabilité, comme<br />

Jésus l'explique à deux reprises à ses<br />

disciples.<br />

Après son enseignement en paraboles, il leur<br />

dit: "A celui qui a, il sera donné <strong>et</strong> il sera dans<br />

la surabondance. Mais à celui qui n'a pas,<br />

même ce qu'il a lui sera r<strong>et</strong>iré" (Mt 13, 21).<br />

Celui qui a ce don de grâce - accepter de se<br />

reconnaître pécheur -, recevra encore davantage<br />

l'amour de Dieu <strong>et</strong> la capacité de se donner.<br />

Mais qui n'a pas c<strong>et</strong>te reconnaissance,<br />

choqué par exemple, que l'Eglise, Epouse du<br />

Christ, soit ce mystère de grâce donné par<br />

Dieu, même ce qu'il a lui sera enlevé. Et ce<br />

proverbe est repris en conclusion de la parabole<br />

des talents (Mt 25, 29).<br />

Si l'Eglise est réduite à une certaine manière<br />

pour les hommes de se regrouper <strong>et</strong> d'affirmer<br />

leurs convictions ou leur religion, fût-ce en se<br />

réclamant du Christ, elle n'est plus qu'une<br />

dimension de la vie sociale. Et comme telle, elle<br />

est susceptible de tous les aménagements de la<br />

part des hommes qui ont le pouvoir. Car il est<br />

très inconfortable pour la volonté de puissance<br />

qui habite de tels esprits de comprendre <strong>et</strong><br />

d'accepter un "pouvoir" qui se fait crucifier <strong>et</strong> pardonne,<br />

qui m<strong>et</strong> en cause chaque homme pour<br />

qu'il se reconnaisse pêcheur. Tout homme, pourtant,<br />

a une poutre dans son œil, y compris celui<br />

qui désigne la paille que j'ai dans le mien!<br />

Il faut donc revenir à ce mystère de grâce<br />

qu'est l'Eglise. Dieu se sert de nous, de vous,<br />

de vos frères, en dépit de notre faiblesse ou à<br />

cause d'elle, pour manifester son amour, au<br />

moment même où nous recevons sa miséricorde.<br />

Et notre responsabilité demeure totale.<br />

Nous devons l'exercer non pas en nous substituant<br />

à Dieu, mais en reconnaissant le don de<br />

Dieu: "Si tu savais le don de Dieu!" Le Christ<br />

parle aux hommes en son Eglise, lui qui est<br />

"avec nous, chaque jour, jusqu'à la fin des<br />

temps." (Mt 28,20)<br />

t Jean·Marie cardinal LUSTIGER<br />

6 PARIS NOTRE DAME<br />

N'587 - <strong>27</strong> JUILLET <strong>1995</strong>

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