03.03.2014 Views

Mariane Dubertret 1996 03 14 La vie Jean-Marie Lustiger Je suis ...

Mariane Dubertret 1996 03 14 La vie Jean-Marie Lustiger Je suis ...

Mariane Dubertret 1996 03 14 La vie Jean-Marie Lustiger Je suis ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LA SEM AIN E<br />

«Ecoute, Israel. l'Eternel, ton<br />

Dieu, est le seul Eternel. Tu aimeras<br />

t'Eternel; ton Dieu, de tout<br />

ton cœur, de toute ton âme et de<br />

toutes tes forces. »<br />

Le père <strong>Lustiger</strong> ne souhaitait<br />

pas, après son ordination, quitter<br />

la Sorbonne. illui voue depuis l'enfance,<br />

selon ses propres termes,<br />

« un respect sans bornes ». Le temple<br />

du Quartier latin, son perpétuel<br />

bouillonnement d'idées, est<br />

son élément. Depuis sa découverte<br />

précoce de la littérature française,<br />

il est, fondamentalement, un intellectuel.<br />

Si bien que sa nomination<br />

comme aumônier du Centre<br />

Richelieu l'enchante. TI en prendra<br />

la direction cinq ans plus tard. Pendant<br />

quinze ans, il restera donc au<br />

contact de la <strong>vie</strong> étudiante, au<br />

cœur des joutes d'idées et des passions<br />

de l'époque. «Avec lui, nous<br />

étions toujours cinq minutes<br />

avant lafin du monde, témoigne<br />

une ancienne étudiante. On ne<br />

sortait pas indemne d'une<br />

conoersotion avec lui .. On avait<br />

soudain le sentiment d'exister. »<br />

Surpris par Mai 68, le jeune prêtre<br />

n'épouse pas la cause de la jeunesse<br />

révoltée. Il témoigne d'une<br />

aversion naturelle pour les pulsions<br />

de la rue -l'enfance, toujours,<br />

et l'ombre des pogroms qui<br />

le hante. «On vous aurait fa if<br />

crier "Mort auxjuifs", vous auriez<br />

crié "Mort auxjuifs"», lancet-il<br />

à une assemblée d'étudiants<br />

qui reprenaient en cœur le célèbre<br />

slogan: «Nous sommes tous des<br />

Juifs allemands. »<br />

Les événements retardent de<br />

quelques mois, pour sa plus grande<br />

joie, son départ pour sa première<br />

paroisse, Sainte-<strong><strong>Je</strong>an</strong>ne-de-Chantal,<br />

à la Porte de Saint-Cloud. Les<br />

étudiants s'étaient habitués à le<br />

voir filer de rendez-vous en rendezvous,<br />

juché sur son éternel Solex.<br />

A peine ordonné prêtre, il était<br />

devenu l'homme surchargé de travail,<br />

qu'il restera toujours. C'est un<br />

anxieux, un ambitieux, au meilleur<br />

sens du terme: tout ce qu'il<br />

est humainement possible de faire<br />

pour remplir sa mission est une<br />

obligation absolue.<br />

«Il est hanté par une question,<br />

assure le père de Mesmay, qui fut<br />

l'un de ses secrétaires: qu'est-ce<br />

qui est le meilleur-pour l'Eglise?»<br />

Un sens du devoir implacable,<br />

sans doute forgé pendant la guerre,<br />

quand il assurait seul la sécurité de<br />

son père et de sa sœur, le contraint<br />

à soutenir un rythme de travail qui<br />

éreinte parfois ses collaborateurs.<br />

A Sainte-<strong><strong>Je</strong>an</strong>ne-de-Chantal,<br />

comme à son habitude, il voit les<br />

choses en grand: catéchèse, formation<br />

des laïcs, liturgie, musique<br />

sacrée ... il révolutionne la <strong>vie</strong> tranquille<br />

de la paroisse. Il renvoie la<br />

moitié de ses vicaires, mène son<br />

équipe à la baguette et se fait, en<br />

chemin, bon nombre d'opposants.<br />

DANS L'ACTION,<br />

IL EST FÉROCE<br />

Sa réputation de «despote» -<br />

l'épithète figure dans le livre de<br />

Robert Serrou - ne le quittera plus.<br />

L'un de ses anciens curés va jusqu'à<br />

fustiger « son côté esclavagiste<br />

». «ll fout supporter ce qu'il<br />

est, tempère un autre collaborateur,<br />

sa rapidité de pensée et de<br />

travail, sa volonté injle.xible.Il n'a<br />

pas le temps d'expliquer. Ilfaut<br />

deviner et suivre. » Délègue-t-il ?<br />

Oui, à condition d'être certain que<br />

les exécutants agiront conformément<br />

à son projet. Compose-t-il ?<br />

Non. Il est l'inverse d'un homme<br />

de consensus. «Dans îoctum; il<br />

estféroce, estime l'un de ses frères ~<br />

évêques. Il est même parfois ~,<br />

odieux, sectaire. Et pourtant, ce ~<br />

qu'il dit est t01ljoU1'Sintelliqeni: ~<br />

Cette ambivalence est sa richesse. »<br />

«<strong>Je</strong> unuinus a,gir autrement que<br />

comme un PDG, un administrateur,<br />

un homme de bureau, plaide<br />

l'intéressé. Mais il y a une question<br />

de temps. »<br />

1969-1979 : le père <strong>Lustiger</strong> officie<br />

pendant dix ans à Sainte-<br />

<strong><strong>Je</strong>an</strong>ne-de-Chantal. Au moins aurat-il<br />

dynamisé cette paroisse quelque<br />

peu assoupie. Un matin de novembre,<br />

il apprend sa nomination<br />

comme évêque d'Orléans.<br />

« Pouvez-vous répéter? », demande-t-il<br />

une fois, deux fois,<br />

et encore, au chargé d'affaires de<br />

la Nonciature qui l'a convoqué<br />

pour lui annoncer la nouvelle.<br />

«Le Pape ... m'a nommé ... C'est<br />

fait?» C'est fait. Mgr <strong>Lustiger</strong><br />

éclate de rire.<br />

Orléans. Le lieu même de sa<br />

conversion. TI s'installe dans le bureau<br />

de Mgr Courcoux, à l'endroit<br />

où l'ancien évêque lui avait appris<br />

le catéchisme. TI reçoit l'ordination<br />

épiscopale dans la cathédrale où<br />

la foi lui a été donnée, et célèbre la<br />

messe dans la chapelle où il a été<br />

baptisé. Il n'aura pas, pourtant, le<br />

temps d'imprimer sa marque sur<br />

ce diocèse où le destin semblait<br />

l'attendre de pied ferme. Tout se<br />

passe comme si, dans sa trajectoire,<br />

Orléans n'avait été qu'un<br />

symbole, un retour à la source<br />

avant la grande cascade. Quinze<br />

mois seulement après son installation,<br />

en février 1981, il est<br />

nommé archevêque de Paris.<br />

«Elle porte le nom de la haine.<br />

EUe porte le nom du refus de<br />

Dieu. Elle peut aussi s'appeler Hiroshima.<br />

<strong>La</strong> mort a mille noms.<br />

dans un langage prosaique, l'un de<br />

ses proches. Les curés de paroisse<br />

n'ont qu'à bien se tenir. Ceux qui<br />

n'ont pas l'oreille de l'archevêque<br />

sont ouvertement poussés vers la<br />

porte. L'un d'eux, qui n'a rien oublié,<br />

estime que Mgr <strong>Lustiger</strong> «s'est<br />

entouré de dévots». Toujours cet<br />

autoritarisme, toujours cette dureté<br />

dont le personnage ne peut se<br />

défaire. Il est ainsi. Depuis l'enfance.<br />

TI a grandi et survécu ainsi.<br />

Sans doute, autrement, n'y seraitil<br />

pas parvenu. Toujours, aussi, le<br />

revers lumineux de cette face<br />

d'ombre: l'énergie, la combativité,<br />

.<br />

En 1985, avec <strong><strong>Je</strong>an</strong>-Paul 1/. 1/ est l'un des plus proches conseillers du Pape.<br />

Elle jaillit du cœur de l'homme<br />

quand l'homme n'ose pas aimer<br />

la <strong>vie</strong>. » <strong>La</strong> première homélie -<br />

très attendue - de l'archevêque de<br />

Paris résonne dans la nef arc hicomble<br />

de la cathédrale Notre-<br />

Dame. Personnalités politiques et<br />

religieuses se pressent au premier<br />

rang. Des journalistes venus des<br />

quatre coins de la planète tendent<br />

leurs micros. Le monde découvre<br />

le ton particulier, tragique, prophétique,<br />

d'un homme auquel, la<br />

veille encore, les médias n'avaient<br />

jamais prêté la moindre attention.<br />

On est très loin du style bonhomme<br />

et pétri d'humanisme du<br />

prédécesseur, le cardinal Marty,<br />

grand artisan du Concile, dont<br />

Mgr <strong>Lustiger</strong> ne prononce pas une<br />

fois le nom, ce jour-là, à Notre-<br />

Dame. Il tourne la page d'emblée,<br />

sans ménagement. Cette brutalité<br />

n'est pas du goût de tous. «Dès son<br />

arrivée, ça grippe, et ilfait tout<br />

pour que ça grippe », rapporte,<br />

l'exigence, l'efficacité. A Paris, l'un<br />

des diocèses les plus prestigieux<br />

du monde, Mgr <strong>Lustiger</strong> peut donner<br />

sa mesure.<br />

L'action pastorale du nouvel archevêque<br />

obéit à une ligne directrice<br />

clairement définie: il s'agit de<br />

reconstituer, dans une capitale où<br />

règne l'indifférence religieuse, un<br />

solide tissu chrétien. Pas d'Eglise<br />

sans prêtres. Mgr <strong>Lustiger</strong> entreprend<br />

donc de réformer en profondeur<br />

les séminaires de son diocèse.<br />

Il institue, notamment, une<br />

première année de discernement,<br />

une sorte de noviciat, qui se déroule<br />

dans la Maison Saint-Augustin,<br />

rue de la Santé. L'archevêque<br />

tient, par ailleurs, à bâtir de nouvelles<br />

paroisses. A ce jour, quinze<br />

nouvelles églises sont déjà sorties<br />

de terre. Autre création: l'Ecole<br />

cathédrale, qui organise des cours<br />

accessibles aux laïcs soucieux<br />

d'approfondir leur foi.<br />

Mgr <strong>Lustiger</strong> n'émerge des af- ><br />

LA VIE N" 2637 - <strong>14</strong> MARS <strong>1996</strong> 19

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!