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Mariane Dubertret 1996 03 14 La vie Jean-Marie Lustiger Je suis ...

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L'H 0 MME DE<br />

Marianne <strong>Dubertret</strong> a lu pour vous « <strong>Lustiger</strong>, cardinal, juif et fils<br />

<strong><strong>Je</strong>an</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Lustiger</strong>: «<strong>Je</strong> <strong>suis</strong><br />

C'estunjournoird'une<br />

année noire, le jeudi<br />

saint de 1940. Aaron,<br />

un lycéen juif dont les<br />

parents ont fui Paris,<br />

pénètre seul dans la cathédrale<br />

d'Orléans. L'adolescent remonte<br />

la nef et s'arrête au transept sud.<br />

TI reste là un long moment, immobile,<br />

puis s'en va. TI re<strong>vie</strong>nt le lendemain.<br />

Dix-neuf siècles plus tôt,<br />

Jésus de Nazareth expirait sur la<br />

croix. Aaron n'a pas conscience de<br />

cet anniversaire. Vendredi saint?<br />

Il ignore peut-être jusqu'au nom<br />

que donnent les chrétiens à ce jour.<br />

<strong>La</strong> cathédrale est vide. Où sont les<br />

hommes? Où est Dieu? A cet instant,<br />

Aaron subit ce qu'il appellera,<br />

bien plus tard, une fois parvenu<br />

à l'âge d'homme, «l'épreuve<br />

du vide». Et, en ce même instant,<br />

il pense: «<strong>Je</strong> veux être baptisé. »<br />

Aaron a quatorze ans.<br />

<strong>1996</strong> : DEUX MÉTÈQUES<br />

SOUS LA COUPOLE ...<br />

<strong>14</strong> mars <strong>1996</strong> : Aaron <strong><strong>Je</strong>an</strong>-<br />

<strong>Marie</strong> <strong>Lustiger</strong>, cardinal-archevêque<br />

de Paris, est reçu à l'Académie<br />

française par ses frères<br />

Immortels. Quelques mois plus tôt,<br />

alors qu'il venait d'être élu à l'unanimité<br />

moins deux voix, le cardinal<br />

recevait un court billet de l'historienne<br />

Hélène Carrère d'Encausse.<br />

«Maintenant, nous sommes deux<br />

métèques sous la Coupole», écrivait<br />

madame Carrère d'Encausse,<br />

née Zourabichvili. Les siens sont<br />

de Géorgie, les <strong>Lustiger</strong>, de Pologne.<br />

«<strong>Je</strong> <strong>suis</strong> un cardinal, juif,<br />

fils d'immigré», se définit luimême<br />

<strong><strong>Je</strong>an</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Lustiger</strong>. A<br />

soixante-dix ans, il trône sur le<br />

siège archiépiscopal le plus prestigieux<br />

de France.<br />

Créé cardinal en 1983,il est l'un<br />

des plus proches conseillers de<br />

<strong><strong>Je</strong>an</strong>-Paul II. Le hasard a voulu<br />

qu'il naisse juif, de parents<br />

agnostiques. Il est devenu<br />

prince de l'Eglise. Cet<br />

homme que tout éloignait<br />

du catholicisme s'est forgé<br />

un destin d'archevêque. <strong>La</strong><br />

<strong>vie</strong> l'appelait à droite, il est<br />

parti à gauche, sur les pas d'un<br />

Messie dont il s'est reconnu le fils<br />

alors qu'il n'avait pas quinze ans.<br />

Ni la colère de son père de chair,<br />

ni la Shoah, ni les doutes, ne l'ont<br />

dérouté. <strong>La</strong> ténacité, la détermination<br />

sont la marque du personnage.<br />

Elles ont leur revers: une<br />

certaine dureté. "Mgr Bulldozer",<br />

comme le surnomment ses collaborateurs,<br />

n'est pas un ange. On<br />

se plaint, dans son entourage, de<br />

son caractère épouvantable, de<br />

son autoritarisme. Il exaspère les<br />

uns, épuise les autres, quand il ne<br />

les fait pas souffrir. Mais il fascine<br />

tous ceux qui le côtoient. Ses adversaires<br />

ne peuvent que s'incliner<br />

avec les autres devant la force<br />

de sa volonté. D'où <strong>vie</strong>nt-elle? De<br />

l'enfance, sans aucun doute. Une<br />

enfance passée à l'ombre de la<br />

mort. <strong><strong>Je</strong>an</strong>-<strong>Marie</strong> <strong>Lustiger</strong> aurait<br />

pu, comme sa mère, comme des<br />

millions d'autres, finir Ses jours à<br />

Auschwitz. Sa force d'âme, sa rudesse,<br />

et cette meurtrissure<br />

l'on devine en lui, sont celles<br />

d'un survivant.<br />

Aaron <strong>Lustiger</strong> naît à<br />

Paris, en 1926. Son père,<br />

Charles, a quitté neuf ans plus<br />

tôt la petite ville de Bendzin,<br />

en Pologne, où il exerçait son<br />

métier de boulanger. Après<br />

un détour par l'Allemagne,<br />

Il rachète un commerce de<br />

que<br />

bonneterie dans le XIVearrondissement<br />

de Paris. De son<br />

union avec l'élégante Gisèle,<br />

fille d'un rabbin de Bendzin,<br />

naissent deux enfants : Aaron,<br />

donc, puis une fille, Arlette.<br />

Dix ans après sa naissance,<br />

Aaron entre au lycée Montaigne.<br />

Les bruits de bottes se rapprochent.<br />

Hitler, solidement<br />

installé au pouvoir,<br />

réarme l'Allemagne et avance ses<br />

pions. Le massacre des juifs est<br />

déjà programmé. Aaron subit en<br />

pleine rue, à deux pas du lycée,<br />

l'insulte rituelle - «sale juif» -,<br />

et les coups qui l'accompagnent.<br />

Ces années d'avant-guerre sont<br />

aussi celles où l'enfant découvre<br />

la Bible, dans une version protestante.<br />

TI l'ouvre, au départ) comme<br />

tant d'autres livres, de Zola, de<br />

Gide ou de Stendhal, poussé par<br />

un amour passionné de la lecture.<br />

Il la lit de la Genèse à l'Apocalypse,<br />

sans marquer d'arrêt entre<br />

les deux Testaments. «Pour moi,<br />

il s'agissait du même sujet spirituel,<br />

de la même bénédiction<br />

et du même enjeu », se sou<strong>vie</strong>ntil.<br />

Dans son esprit d'enfant - fort<br />

éveillé -, le Messie crucifié et 1sraël<br />

persécuté se confondent.<br />

A la veille de la solution finale,<br />

l'Allemagne nazie se<br />

-- déchaîne contre les juifs.<br />

..• Août 1939. Les <strong>Lustiger</strong><br />

fuient la capitale et se réfugient<br />

à Orléans, théâtre<br />

de la conversion du futur<br />

cardinal. Aaron, mais<br />

aussi sa petite sœur, Arlette,<br />

sont baptisés l'été<br />

1940,par l'évêque en personne,<br />

Mgr Jules-<strong>Marie</strong><br />

Courroux, un oratorien de<br />

grande culture qui leur a<br />

lui-même enseigné le catéchisme.<br />

Aaron choisit le<br />

prénom de <strong><strong>Je</strong>an</strong>-<strong>Marie</strong>.<br />

«Quitter lejudaïsme, c'est,<br />

pour une famille juive, la<br />

pire des ruptures, comme<br />

si le converti était un renégat<br />

un traître. », insiste<br />

Arlette Lusti-<br />

16 LA VIE W 2637 - <strong>14</strong> MARS

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