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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

En effet, pour les auteurs du dix-septième siècle, comme pour ceux des époques précédentes,<br />

les monstres sont des prodiges destinés à faire éclater la gloire de Dieu, ou des preuves de sa<br />

colère, présageant quelques calamités publiques. 1<br />

Ensuite une période positive : ce qui se dégage est le souci d’une observation plus<br />

minutieuse où il s’agit de se placer sous l’autorité des seuls faits. Mais ce n’est pas l’intérêt<br />

scientifique qui guide ces observations, mais la curiosité grâce à laquelle on enrichit le<br />

catalogue des faits par des faits nouveaux. Il n’est sans doute pas encore question que les<br />

monstres enseignent quoi que ce soit sur le fonctionnement et les secrets de la nature.<br />

« S’étonner à leur vue, ce n’est pas savoir. » 2 Quoique déjà des observateurs s’approchent de<br />

l’esprit scientifique, ils sont encore dans leur grande majorité bloqués par ce véritable obstacle<br />

épistémologique que constitue la théorie du préformationnisme qui leur interdit l’accès à la<br />

question des causes et des lois de formation 3 . La troisième période est dite justement<br />

scientifique et débute par une phase critique des travaux antérieurs qui aboutit à une épuration<br />

de tout ce qui est fabuleux, invraisemblable, légendaire et impossible.<br />

Le service que Haller a rendu à la science consiste donc moins à l’avoir enrichie de faits<br />

remarquables et de théories nouvelles qu’à l’avoir débarrassée des erreurs que lui avaient<br />

léguées les périodes précédentes ; moins à lui avoir imprimé une impulsion rapide qu’à l’avoir<br />

affranchie des entraves qui s’opposaient à son avancement. 4<br />

Cette période scientifique, commencée ironiquement avec Haller qui fut un défenseur<br />

du préformationnisme, mais véritablement assise au XIX ème siècle, se caractérise par trois<br />

points. Premièrement, les faits monstrueux doivent être précisément déterminés et ainsi<br />

expurgés de toute interprétation morale et religieuse, en un mot de toute interprétation<br />

normative. C’est accéder alors à un nouveau statut de la description. Décrire ne consiste plus<br />

principalement à se tenir sous l’autorité du fait visible et à l’enregistrer comme fait, mais à se<br />

livrer à un véritable travail de détermination : décrire un fait est le constituer en tant que fait.<br />

Décrire en pareil cas, c’est se livrer à un travail de détermination, et c’est toujours ce qui<br />

devient nécessaire, quand on se propose de faire connaître une nouvelle façon d’être de<br />

l’organisation : décrire, c’est peindre par la parole, et il est de toute nécessité que l’on<br />

acquière, avec netteté, l’idée de l’image qu’il s’agit de transmettre à d’autres. 5<br />

Alors, et alors seulement, la description peut peindre le fait. Mais peindre n’est pas en<br />

rester au visible de l’image que l’on veut transmettre. Décrire ne revient ainsi pas seulement à<br />

déterminer un fait dans la sphère de l’expérience sensible, c’est tout autant déterminer une<br />

idée. Or qu’est-ce qu’une idée en biologie ? Une idée biologique est le saisissement rationnel<br />

du fonctionnement de la nature des êtres vivants. Aussi décrire un monstre revient-il à viser à<br />

déterminer ses causes et les lois de la nature en jeu. C’est pourquoi, deuxièmement, les<br />

monstres doivent être compris dans leur nature et leurs causes : il ne suffit plus de les décrire,<br />

il faut savoir comment leur forme s’est constituée. Troisièmement, ils ne sont pas des faits<br />

1 Traité de tératologie, I, p. 5.<br />

2 E. Geoffroy Saint-Hilaire, Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op. cit., p. 104.<br />

3 D’où l’importance, aux yeux d’I. Geoffroy Saint-Hilaire, d’un penseur comme Buffon, qui a pris parti contre le<br />

préformationnisme, de même que Maupertuis et Diderot.<br />

4 Traité de tératologie, I, p. 11.<br />

5 E. Geoffroy Saint-Hilaire, Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op. cit., p. 165.

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