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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

lointain avenir, c’est assez pour ma satisfaction. Je ne vois que cette fin ; je m’y dévoue tout<br />

entier ; —————— UTILITATI. 1<br />

Sans vouloir chercher à déterminer quelle part de fausse modestie entre en ligne de<br />

compte dans ces phrases finales, qui ne mettent en avant que l’idée de rendre service à la<br />

science en général, alors qu’il est manifeste, comme nous le verrons, qu’un des enjeux de cet<br />

ouvrage est de mettre à l’épreuve les théories les plus fondamentales d’E. Geoffroy Saint-<br />

Hilaire sur l’organisation des vivants, sans non plus s’appesantir sur l’image du savant seul et<br />

quelque peu incompris, donc héroïque, qui poursuit ses recherches vaille que vaille, que notre<br />

auteur semble vouloir se donner, il est intéressant de relever que l’utilité mise en avant de la<br />

tératologie est plutôt négative comme le suggère l’anecdote à propos de l’amiral Nelson,<br />

puisqu’il s’agit principalement, par elle, de mettre au jour les écueils de la science que sont les<br />

fausses idées, les idées toutes faites, les dogmatismes de toute sorte, les hypothèses fausses,<br />

les voies impossibles et les illusions. Dans son Traité de tératologie, I. Geoffroy Saint-Hilaire<br />

ne fait qu’approfondir cette voie de légitimation de la science tératologique, un peu<br />

pompeusement soulignée ici, en montrant, de façon beaucoup plus systématique, son utilité à<br />

la fois théorique et pratique pour les autres sciences. Il ajoute cependant une histoire de<br />

l’étude des monstres. En cherchant à fonder cette nouvelle science dans le temps long de<br />

l’histoire afin d’en souligner les attaches et les nouveautés, il vise à l’inclure dans le tableau<br />

général des sciences du vivant autrement que par sa seule utilité, mais par une nécessité<br />

historique interne à la science elle-même.<br />

En effet, cette enquête sur les manières dont les monstruosités ont pu être<br />

appréhendées n’est pas seulement un recueil où seraient passées en revue toutes les manières<br />

possibles, mais est surtout le repérage d’une progression à travers le temps du degré de<br />

scientificité avec lequel le monstre est perçu. Aussi n’y va-t-il pas seulement d’une enquête où<br />

serait collectionné l’ensemble des anomalies, mais bien d’une histoire du regard porté sur<br />

elles – histoire qui raconte l’évolution de la connaissance tératologique pour aboutir à la<br />

science tératologique. Si le monstre n’a pas jusqu’à présent été un objet de science, ce n’est<br />

pas tant parce qu’il offrait de par sa nature des obstacles à son appréhension objective, que<br />

parce que le regard posé sur lui l’excluait de toute objectivité possible, c’est-à-dire en premier<br />

lieu de toute observation possible. Regarder le monstre n’est pas l’observer. Car le regard<br />

posé sur lui est d’emblée un regard engagé, un regard fasciné. De cette histoire-là, de cette<br />

histoire du regard qui se dégage peu à peu de la fascination pour poser devant lui un objet,<br />

Geoffroy Saint-Hilaire distingue trois périodes inégales en durée.<br />

D’abord une période fabuleuse où sont mélangées les observations exactes avec des<br />

préjugés absurdes, des superstitions et des fables sans que les auteurs discernent ces différents<br />

niveaux de discours et les hiérarchisent.<br />

1 Op. cit., pp. 540-541, c’est l’auteur qui souligne.

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