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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

sans doute, mais qui donnent un aperçu de l’ensemble. Rares et pâles rayons, mais, en réalité,<br />

de la même nature que le foyer lui-même. 1<br />

Mais comme toute science de la nature par ailleurs, la tératologie est traversée par un<br />

double mouvement : l’observation qui révèle les faits particuliers et le raisonnement qui fait<br />

découvrir les faits généraux. Ceux-ci sont d’une double nature. D’une part, à partir des faits<br />

particuliers tératologiques, le raisonnement cherche à dégager les lois et les règles générales<br />

qui les gouvernent ; d’autre part, en mettant en relation ces lois et règles de la tératologie avec<br />

les « autres branches des sciences zoologiques et des sciences médicales » 2 , il essaie aussi de<br />

montrer qu’elles ne sont rien d’autres que les lois de la nature elle-même.<br />

Il faut bien souligner ce que cette prétention de la tératologie à la généralité a de<br />

paradoxal. En effet, il n’est pas évident, pour celui qui regarde un monstre, de voir en lui le<br />

résultat d’un ordre obéissant à des règles et des lois. Car ce que le regard voit d’abord, c’est le<br />

désordre qui met en danger l’existence même de l’organisme ; derrière tout organisme<br />

monstrueux, il y a potentiellement la menace de la masse informe, légumineuse, de la matière<br />

première et chaotique, désorganisée. Voir dans le monstre le résultat de lois et de règles<br />

réclame une révolution du regard, qui fasse abstraction de la sensibilité spontanée au<br />

monstrueux 3 . Voir une monstruosité est justement ne pas voir un monstre. Comme Etienne<br />

Geoffroy Saint-Hilaire le fait remarquer avec beaucoup de lucidité, « une monstruosité cesse<br />

ainsi d’être un fait particulier, qui se borne à parler aux yeux par ce qu’il offre<br />

d’observable » 4 . Premier paradoxe : il faut que l’observation, nécessaire à la tératologie pour<br />

se constituer en tant que science naturelle, fasse voir ce que l’usage conventionnel des yeux<br />

ne saurait faire voir. Faire œuvre de science, c’est ici se dégager de l’obstacle représenté par<br />

la sensibilité commune qui empêche précisément de voir le monstre comme un phénomène<br />

naturel obéissant, au titre de phénomène naturel, à des lois et des règles. Mais, c’est une chose<br />

de dire que le phénomène monstrueux obéit à des lois, c’en est une autre que d’affirmer que<br />

ces lois sont celles-là même qui régissent l’ensemble des phénomènes du vivant. L’ambition<br />

de la tératologie est de mettre au jour les lois générales de la nature et non pas seulement les<br />

1 Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle générales des règnes organiques, tome premier, Paris,<br />

Librairie de Victor Masson, 1854, pp. 174-175, noté ultérieurement HGRO. Pour une étude plus générale des<br />

rapports des savants avec Buffon et son œuvre durant la période révolutionnaire et le début du XIX ème siècle, cf.<br />

Pietro Corsi, Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme. 1770-1830, op. cit., chapitre premier « Projets de<br />

réforme de l’histoire naturelle », pp. 13-58.<br />

2 Traité de tératologie, I, préface, p. XI.<br />

3 Nous verrons plus loin dans la seconde partie, au chapitre VI, les raisons de cette spontanéité de la sensibilité au<br />

monstre en analysant dans le détail l’affirmation canguilhémienne selon laquelle « c’est seulement parce que,<br />

hommes, nous sommes des vivants qu’un raté morphologique est à nos yeux vivants, un monstre », « La<br />

monstruosité et le monstrueux » dans La Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1998, p. 171.<br />

4 Etienne Geoffroy Saint Hilaire, Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, ouvrage contenant une<br />

classification des monstres ; la description et la comparaison des principaux genres ; une histoire raisonnée des<br />

phénomènes de la monstruosité et des faits primitifs qui la produisent ; des vues nouvelles touchant la nutrition<br />

du fœtus et d’autres circonstances de son développement ; et la détermination des diverses parties de l’organe<br />

sexuel, pour en démontrer l’unité de composition, non-seulement chez les monstres, où l’altération des formes<br />

rend cet organe méconnaissable, mais dans les deux sexes, et, de plus, chez les oiseaux et chez les mammifères,<br />

Paris, 1822, p. 163, noté ultérieurement Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines.

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