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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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irrégulières, les êtres anomaux cesseront dès lors de nous étonner, et se trouveront aussi<br />

nécessairement que les autres, dans l’ordre infini des choses ; ils remplissent les intervalles de<br />

la chaîne, ils en forment les nœuds, les point intermédiaires, ils en marquent aussi les<br />

extrémités : ces êtres sont pour l’esprit humain des exemplaires précieux, uniques, où la<br />

Nature paraissant moins conforme à elle-même, se montre plus à découvert ; où nous pouvons<br />

reconnaître des caractères singuliers, et des traits fugitifs qui nous indiquent que ses fins sont<br />

bien plus générales que nos vues, et que si elle ne fait rien en vain, elle ne fait rien non plus<br />

dans les desseins que nous lui supposons. 1<br />

La présence des monstres met à nu la puissance de la nature qui peut multiplier à<br />

l’infini les formes. Néanmoins, malgré des cas de monstruosité qui survivent, ils sont en<br />

général non viables. Ils montrent la nature au travail et l’ordre se faisant. Si la reproduction<br />

est le plus simple pour la nature, elle ne va jamais de soi : dans la répétition peuvent se glisser<br />

des erreurs. Mais ces erreurs étant naturellement produites et naturellement éliminées, on peut<br />

à juste titre se demander s’il subsiste du monstrueux dans la nature. En effet, tout ce qui<br />

subsiste dans la nature est le résultat de productions qui font souche, à savoir des espèces. Le<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

monstre à proprement parler, étant un être qui se tient dans la solitude de sa singularité, est<br />

condamné à l’élimination et ne peut se maintenir dans la nature. Il représente une de ses<br />

potentialités, mais, dès lors qu’elle met en œuvre un processus de reproduction, la forme<br />

monstrueuse porte en elle sa propre impossibilité à la perpétuation. Autrement dit, s’il y a<br />

bien des formes monstrueuses, comme l’expérience nous le confirme, il n’y a sans doute pas<br />

d’espèces monstrueuses. Mais ne peut-on pas envisager des espèces monstrueuses dès lors<br />

que l’on se tourne vers la dénaturation que provoquent les variations du climat, de la<br />

nourriture et des conditions d’existence ? L’affaiblissement et le rapetissement d’une race ou<br />

d’une espèce offrent-elles davantage de conditions optimales pour voir surgir des monstres ?<br />

N’est-ce pas pour ces raisons-là précisément « qu’il se trouve plus de monstres dans les<br />

animaux domestiques que dans les animaux sauvages » 2 ? Mais si ces formes dites<br />

monstrueuses fondent de nouvelles variétés ou races, en quoi seraient-elles monstrueuses ?<br />

N’ouvrent-elles pas une nouvelle lignée, chose impossible pour le monstre ? Aussi la Nature<br />

ne connaît-elle pas des espèces monstrueuses, ce qu’elle connaît, ce sont des dégénérations.<br />

Parler d’espèce monstrueuse est en toute rigueur une contradiction dans les termes.<br />

Des espèces monstrueuses ?<br />

Pourtant, Buffon use de cette expression, notamment quand il parle de « monstruosité<br />

d’espèce », ou de « presque monstrueuses espèces » 3 en évoquant le toucan ou les grands<br />

cétacés. En outre, il n’hésite pas à employer tout le champ lexical du monstre dans ses<br />

1 HN, art. Le Cochon, le Cochon de Siam et le Sanglier, p. 622, nous soulignons.<br />

2 HN, art. Le Buffle, le Bonasus, l’Aurochs, le Bison et le Zébu, p. 958.<br />

3 HN, Histoire naturelle des oiseaux, art. Le Toucan, p. 1167 et HN, Des époques de la Nature, p. 1299.

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