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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Mais voilà que pointe la seconde modalité sous laquelle le problème peut se préciser<br />

qui concerne cette fois-ci bien l’image de l’échelle des êtres. La classification, aux yeux de<br />

Buffon, propose un ordre qui est celui de la raison, et non celui de la nature. Or, pour montrer<br />

la facticité de cet ordre, il rappelle précisément les exceptions, les irrégularités, les étrangetés<br />

à cet ordre que la nature ne manque pas de proposer, et que ne manque pas aussi d’introduire<br />

l’activité humaine 1 . Si la visée d’une histoire naturelle générale est de dévoiler l’ordre de la<br />

nature elle-même, elle a comme effet paradoxal d’en souligner d’abord le désordre aux yeux<br />

de la raison, par exemple dans le cas des monstruosités ou des espèces échappant à toute<br />

classification. Si l’image de l’échelle des êtres permet de souligner l’artificialité des<br />

classifications, il n’est pas certain qu’elle propose, pour son propre compte, une meilleure<br />

approche de l’ordre réel de la nature. C’est pourquoi, si Buffon veut assumer à la fois l’idée<br />

que la connaissance de la nature est nécessairement située et celle de n’être cependant pas<br />

condamné au seul point de vue de l’homme, il lui faut montrer en quoi l’image de l’échelle<br />

des êtres est beaucoup trop simpliste. Cette critique ne sera alors pas sans conséquence sur le<br />

statut même des monstres, qui auront alors un rôle à jouer décisif dans le dépassement de<br />

l’anthropocentrisme en partant pourtant de son postulat.<br />

L’image du réseau<br />

L’échelle des êtres est un réquisit méthodologique, dans la mesure où la comparaison<br />

exige de rassembler ce qui se ressemble et de séparer ce qui est différent 2 tout en restant<br />

sensible aux rapports que les êtres entretiennent entre eux. Mais précisément, la prise en<br />

compte de la nature relationnelle des êtres naturels ne permet plus de maintenir l’image d’une<br />

échelle des êtres qui progresserait sur une seule ligne. Car les rapports à prendre en compte<br />

sont multiples : rapports entre organes, rapports entre fonctions, rapports avec les<br />

circonstances extérieures et avec les autres êtres organisés, qui font intervenir l’instinct 3 . La<br />

discontinuité, du point de vue de l’âme, entre l’homme et le reste de la nature. Les réponses que Buffon apporte<br />

sont passablement embrouillées ; Jeff Loveland propose une solution plutôt élégante dans Rhetoric and natural<br />

history. Buffon in polemical and literary context, Oxford, Voltaire Fondation, 2001, notamment p. 82: “Buffon’s<br />

approach to continuity also varied according to distance from pratical specifics. In theorical contexts he regularly<br />

and forcefully evoked the inevitability of intermediaries and natural plenitude (...) In pratical contexts he<br />

admitted discontinuities.”<br />

1 « Dans les animaux domestiques, et dans l’homme, nous n’avons vu la Nature que contrainte, rarement<br />

perfectionnée, souvent altérée, défigurée, et toujours environnée d’entraves ou chargée d’ornements étrangers »,<br />

HN, Les animaux sauvages, p. 703. La dénaturation que l’homme provoque est bien souvent une dégénération du<br />

point de vue de la nature, même si elle peut passer, aux yeux des hommes, pour une amélioration, soit esthétique,<br />

soit utile. L’exemple le plus frappant est ainsi le chameau, dont les bosses sont les stigmates de sa dégénération<br />

dans les mains de l’homme : « Ainsi les callosités et les bosses seront également regardées comme des<br />

difformités produites par la continuité du travail et de la contrainte du corps ; et ces difformités qui d’abord n’ont<br />

été qu’accidentelles et individuelles, sont devenues générales et permanentes dans l’espèce entière », IR, XI, art.<br />

Le Chameau, p. 231.<br />

2 Sur ce point, cf. T. Hoquet, Buffon : histoire naturelle et philosophie, op. cit., p. 194.<br />

3 « Plus on observe la nature des animaux, plus on voit que l’indice le plus sûr pour en juger, c’est l’instinct.<br />

L’examen le plus attentif des parties intérieures ne nous découvre que les grosses différences ; le cheval et l’âne,<br />

qui se ressemblent parfaitement par la conformation des parties intérieures, sont cependant des animaux d’une<br />

nature différente ; le taureau, le bélier et le bouc, qui ne diffèrent en rien les uns des autres pour la conformation

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