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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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75<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

En elle, tout est composé et complexe, les êtres vivants ne sont que des sommes intégratives<br />

de molécules organiques et des centres à partir desquels se tissent une multitude de rapports.<br />

Ce qui nous est donné, ce sont ces rapports que les êtres ont avec nous et avec les autres êtres.<br />

Or plus ils tissent de rapports, plus ils sont complexes. Cette complexité n’est telle que pour<br />

nous, qui avons à démêler et classer ces multiples rapports. Pour la nature, la production de<br />

ces rapports et des êtres vivants qui en sont les centres ne lui coûte rien, tant elle répète ses<br />

opérations 1 .<br />

De ce que l’homme est méthodologiquement au centre de la nature, le pas n’est pas<br />

bien grand à faire pour qu’il s’y considère également comme le centre réel. En effet, il doit la<br />

possibilité de la connaissance non seulement aux sensations, mais à ce que ces sensations<br />

s’accompagnent de pensées. La présence de la pensée en l’homme marque sa perfection au<br />

sein de la nature 2 . C’est pourquoi l’ordre dans lequel Buffon nous convie à étudier la nature<br />

n’est pas seulement un ordre qui repose sur le familier, mais aussi un ordre « ontologique »<br />

qui classe les êtres dans un ordre décroissant de dignité et de perfection si l’on part de<br />

l’homme 3 .<br />

L’insuffisance des classifications et de l’image de l’échelle des êtres<br />

Voilà donc le problème : comment construire une philosophie véritable de la nature,<br />

c’est-à-dire une philosophie qui met au jour l’ordre de la nature à partir et malgré cet<br />

1 Sur le simple pour et dans la nature, cf. supra, p. 47.<br />

2 « Tout marque dans l’homme, même à l’extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants ; il se soutient droit et<br />

élevé, son attitude est celle du commandement, sa tête regarde le ciel et présente une face auguste sur laquelle est<br />

imprimé le caractère de sa dignité ; l’image de l’âme y est peinte par la physionomie, l’excellence de sa nature<br />

perce à travers les organes matériels et anime d’un feu divin les traits de son visage ; son port majestueux, sa<br />

démarche ferme et hardie annoncent sa noblesse et son rang », HN, De l’âge viril. Description de l’homme, p.<br />

237.<br />

3 Sur ce point cependant, la pensée de Buffon est sujette à interprétation. J. Roger souligne cet ordre ontologique<br />

en écrivant que : « L’homme doit être mis au centre de la nature et au centre de la science, dont la dignité est de<br />

le servir. La nature n’est digne de l’attention humaine que dans la mesure où elle est utile à l’homme. Dans cette<br />

perspective, l’ordre “naturel” que Buffon a décidé de suivre dans la présentation des quadrupèdes, n’est pas aussi<br />

spontané ni si ingénu qu’il le donne à entendre : c’est pour ainsi dire un ordre de dignité décroissante » (Les<br />

sciences de la vie, op. cit., p. 531). T. Hoquet, en revanche, le minimise fortement : « Commencer par l’homme<br />

et par le cheval ne recouvre qu’apparemment un ordre de perfection par lequel il ne faut pas se laisser abuser. Si<br />

l’Histoire naturelle commence par eux, c’est qu’ils sont les animaux non les plus nobles mais les plus connus,<br />

ceux que les anatomistes ont le plus étudiés et qui serviront de référence pour une science qui vise non à classer,<br />

mais à comparer » (Buffon : histoire naturelle et philosophie, op. cit., p. 256). Il n’y a pas lieu de choisir entre les<br />

deux interprétations, car il se trouve que le plus familier est aussi le plus noble et le plus parfait. Il ne nous<br />

semble toutefois pas que l’ordre de perfection ne soit qu’apparent pour Buffon, car il ne manque pas une<br />

occasion de rappeler le caractère supérieur de l’homme tout au long de l’Histoire naturelle, par exemple, dans le<br />

Premier discours : De la manière, p. 35 : « se mettant à la tête de tous les êtres créés, [l’homme] verra avec<br />

étonnement qu’on peut descendre par des degrés presque insensibles, de la créature la plus parfaite jusqu’à la<br />

matière la plus informe, de l’animal le mieux organisé jusqu’au minéral le plus brut… ». Maintenant, si l’on se<br />

reporte aux derniers volumes de l’Histoire naturelle, on constatera que cette idée est bien maintenue : « l’homme<br />

placé pour seconder la Nature, préside à tous les êtres (…) La Nature est le trône extérieur de la magnificence<br />

divine ; l’homme qui la contemple, qui l’étudie, s’élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance ; fait<br />

pour adorer le Créateur, il commande à toutes les créatures », HN, De la Nature. Première vue, p. 990, ou encore<br />

« De toutes ces unités [il est question des espèces], l’espèce humaine est la première ; les autres, de l’éléphant<br />

jusqu’à la mite, du cèdre jusqu’à l’hysope, sont en seconde et en troisième ligne », HN, De la Nature. Seconde<br />

vue, p. 994.

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