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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

eux-mêmes les effets de causes que nous ne connaissons point, ils ne peuvent nous donner des<br />

idées que des effets, et jamais des causes » 1 . Nous n’avons donc accès qu’aux effets sur notre<br />

propre corps et aux variations de ces effets lorsque nous modifions nos rapports avec la<br />

nature. De ce point de vue, les monstres ne sont pas monstres en soi ; ils sont tels parce qu’ils<br />

causent certaines sensations en nous, parce qu’ils ont de certains effets sur notre corps et nos<br />

sens – notamment l’effet d’être des singularités rompant avec l’ordre de la génération et, bien<br />

sûr, un effet affectif de répulsion et de fascination.<br />

Ainsi tout « part de l’homme » 2 . Il est en rapport, par les sensations, par son corps,<br />

avec des êtres extérieurs à lui. La nature qu’il découvre est celle avec laquelle il est d’abord<br />

en relation, et qu’il va ordonner en fonction des relations qu’il tisse avec elle. Ecoutons la<br />

fable de l’homme neuf qui s’éveille pour la première fois à la nature :<br />

Imaginons un homme qui a en effet tout oublié ou qui s’éveille tout neuf pour les objets qui<br />

l’environnent, plaçons cet homme dans une campagne où les animaux, les oiseaux, les<br />

poissons, les plantes, les pierres se présentent successivement à ses yeux. Dans les premiers<br />

instants cet homme ne distinguera rien et confondra tout ; mais laissons ses idées s’affermir<br />

peu à peu par des sensations réitérées des mêmes objets ; bientôt il se formera une idée<br />

générale de la matière animée, il la distinguera aisément de la matière inanimée, et peu de<br />

temps après il distinguera très bien la matière animée de la matière végétative, et<br />

naturellement il arrivera à cette première grande division, Animal, Végétal et Minéral ; et<br />

comme il aura pris en même temps une idée nette de ces grands objets si différents, la Terre,<br />

l’Air et l’Eau, il viendra en peu de temps à se former une idée particulière des animaux qui<br />

habitent la terre, de ceux qui demeurent dans l’eau, et de ceux qui s’élèvent dans l’air, et par<br />

conséquent il se fera aisément à lui-même cette seconde division, Animaux quadrupèdes,<br />

Oiseaux, Poissons ; il en est de même dans le règne végétal, des arbres et des plantes, il les<br />

distinguera très bien, soit par leur grandeur, soit par leur substance, soit par leur figure. 3<br />

L’ordre dans la nature que l’homme dégage est l’ordre par lequel les choses se<br />

découvrent à lui. L’anthropocentrisme méthodologique revient à révéler que l’ordre de la<br />

nature n’est que l’ordre dans lequel l’homme acquiert les idées 4 .<br />

Or ce qui se découvre à lui est d’abord le familier, à savoir les êtres avec lesquels il a<br />

le plus de rapports et le plus d’utilité. La nature ordonnée est une nature humanisée :<br />

Ensuite mettons-nous à la place de cet homme [l’homme neuf qui s’éveille à la Nature dont<br />

il a été question plus haut], ou supposons qu’il ait acquis autant de connaissances, et qu’il ait<br />

autant d’expérience que nous en avons, il viendra à juger les objets de l’Histoire naturelle par<br />

les rapports qu’ils auront avec lui ; ceux qui lui seront les plus nécessaires, les plus utiles,<br />

tiendront le premier rang, par exemple il donnera la préférence dans l’ordre des animaux au<br />

cheval, au chien, au bœuf, etc. et il connaîtra toujours mieux ceux qui lui seront les plus<br />

familiers ; ensuite il s’occupera de ceux qui, sans être familiers, ne laissent pas que d’habiter<br />

les mêmes lieux, les mêmes climats, comme les cerfs, les lièvres et tous les animaux sauvages,<br />

et ce ne sera qu’après toutes ces connaissances acquises que sa curiosité le portera à<br />

rechercher ce que peuvent être les animaux des climats étrangers, comme les éléphants, les<br />

dromadaires, etc. Il en sera de même pour les poissons, pour les oiseaux, pour les insectes,<br />

pour les coquillages, pour les plantes, pour les minéraux, et pour toutes les autres productions<br />

de la Nature ; il les étudiera à proportion de l’utilité qu’il en pourra tirer, il les considèrera à<br />

1 HN, Premier discours : De la manière, pp. 62-63.<br />

2 Jacques Roger, Les sciences de la vie, op. cit., p. 541.<br />

3 HN, Premier Discours : De la manière, p. 47.<br />

4 Sur ce sujet, Cf. T. Hoquet, Buffon : histoire naturelle et philosophie, op. cit., p. 254.

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