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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Tout annonce leur misère, tout nous rappelle (…) ces ébauches imparfaites mille fois<br />

projetées, exécutées par la Nature, qui ayant à peine la faculté d’exister, n’ont dû subsister<br />

qu’un temps, et ont été depuis effacées de la liste des êtres. 1<br />

Dans la fixité des prototypes originaires, l’ordre de la nature est dynamique, parce<br />

qu’il représente une possibilité parmi d’autres ; la puissance de la nature peut déborder<br />

l’ordre. S’il y a harmonie, elle n’est pas préétablie, elle est le fruit d’une mécanique<br />

compensatoire entre « la fécondité sans bornes donnée à toutes les espèces » et « les obstacles<br />

sans nombre qui réduisent le produit de cette fécondité » 2 . La conséquence revient donc à<br />

donner une positivité à la destruction : celle-ci participe au maintien en ordre de la nature :<br />

Pour que les êtres se succèdent, il est donc nécessaire qu’ils se détruisent entre eux ; pour<br />

que les animaux se nourrissent et subsistent, il faut qu’ils détruisent des végétaux ou d’autres<br />

animaux. 3<br />

Ainsi la mort violente est un usage presque aussi nécessaire que la loi de la mort naturelle ;<br />

ce sont deux moyens de destruction et de renouvellement, dont l’un sert à entretenir la<br />

jeunesse perpétuelle de la Nature, et dont l’autre maintient l’ordre de ses productions et peut<br />

seul limiter le nombre dans les espèces. 4<br />

Dans cette optique qui fait de la destruction un facteur de régénération de la nature, la<br />

destruction du monstre n’est qu’une remise en circulation de la matière vivante. Buffon<br />

déconnecte ainsi le thème du monstre de toute connotation morale. Mais du même coup, il<br />

détache la production naturelle de tout finalisme.<br />

On voit là aussi quel gain stratégique le monstre permet d’accomplir. Il permet à<br />

Buffon de penser ensemble une puissance de la nature infinie, une harmonie et un équilibre<br />

naturels. C’est par une réflexion sur la génération des monstres qu’il assume au sein de<br />

l’histoire naturelle des propositions qui émanent de la théologie naturelle : ordre, harmonie,<br />

équilibre, qui font de la nature « une mère économe » 5 . Ainsi, par l’intermédiaire des faits<br />

monstrueux, il est possible à la raison d’assumer ces propositions sur la nature autrement que<br />

sur le mode de la simple croyance : les monstres les assoient dans l’objectivité de la nature.<br />

3. Le monstre et le problème de l’anthropocentrisme<br />

D’un anthropocentrisme méthodologique à un anthropocentrisme épistémologique<br />

et ontologique<br />

Une objection grave peut cependant être émise, qui touche précisément le statut<br />

d’objectivité de l’idée de nature. Car si Buffon estime avoir percé à jour le mécanisme de<br />

production naturelle, pourquoi certains de ses produits devraient-ils être encore compris<br />

comme des monstres ? Si la nature paraît ordonnée, économe, équilibrée, harmonisée, ne<br />

l’est-elle pas de notre point de vue seulement? La vue de la nature n’est-elle pas au final notre<br />

1 IR, XIII, art. L’Unau et l’Aï, p. 40.<br />

2 HN, art. Le Lièvre, p. 735.<br />

3 HN, art. Le Bœuf, p. 572.<br />

4 HN, Les Animaux carnassiers, p. 747.<br />

5 HN, art. Le Bœuf, p. 572.

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