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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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64<br />

permet, d’une part, de vérifier la validité de nos constructions rationnelles, d’autre part, de<br />

n’être pas séduit par leur cohérence logique, qui n’est peut-être pas celle de la nature :<br />

D’ailleurs, quoique j’eusse trouvé des moyens pour échapper aux arguments qu’on m’aurait<br />

faits au sujet des mulâtres, des métis et des mulets que je croyais devoir regarder, les uns<br />

comme des variétés superficielles, et les autres comme des monstruosités, je ne pouvais<br />

m’empêcher de sentir que toute explication où l’on ne peut rendre raison de ces phénomènes,<br />

ne pouvait être satisfaisante. 1<br />

Nous demandions à quoi servent les monstres dans la constitution d’une théorie<br />

générale de la reproduction, en quoi ils seraient stratégiques pour l’exercice de la raison ellemême<br />

2 . Nous avons là une réponse possible : c’est la prise en compte du phénomène<br />

monstrueux qui assure, sinon définitivement, du moins de la façon la plus convaincante, le<br />

passage de l’hypothèse à la réalité. Autrement dit, si le monstre n’est pas le fait heuristique<br />

nous permettant de construire la théorie de la reproduction, il est le fait de la nature permettant<br />

à la raison de s’assurer qu’elle ne délire pas.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

a) La théorie de l’imagination<br />

L’explication des monstres n’est cependant pas une terra incognita pour la raison.<br />

Deux théories se prétendant rationnelles ont été proposées : le rôle de l’imagination et l’idée<br />

que le monstre est une erreur de la nature. Buffon rappelle ces deux théories, plutôt que le<br />

débat récent qui opposa, à l’Académie des sciences, Winslow et Lémery, où le premier<br />

soutenait que les monstres provenaient de germes en soi monstrueux et où le second préférait<br />

y voir des effets accidentels sur des germes en soi bien conformés. Mais si Buffon ne<br />

s’attache pas à faire l’écho de ce débat, c’est que les deux protagonistes principaux acceptent<br />

le préformationnisme, alors que Buffon le rejette catégoriquement 3 .<br />

La théorie de l’imagination est une vieille théorie, que Malebranche a défendue dans<br />

un contexte mécaniste, pensant lui donner ainsi un tour scientifique 4 . Elle stipule la chose<br />

suivante :<br />

1 HN, Histoire des animaux, chap. IV : De la génération des animaux, p. 175.<br />

2 Cf. supra p. 48.<br />

3 Nous réservons au chapitre III, infra pp. 149 sq. l’examen de ce débat, qui eut une importance majeure dans la<br />

constitution de la tératologie.<br />

4 Saint Augustin rapporte l’histoire édifiante et certainement imaginaire de cette femme ayant mis au monde un<br />

enfant à ce point différent de son mari qu’on l’accusa d’adultère, et qu’Hippocrate disculpa : « Mais il est<br />

reconnu que cela arrive également aux femmes ; on le retrouve écrit dans les livres du très ancien et très<br />

renseigné médecin Hippocrate : alors qu’une femme soupçonnée d’adultère allait devoir être punie, elle avait en<br />

effet mis au monde un très bel enfant différent du père et mari, le célèbre médecin résolut le problème ; il<br />

chercha à faire se souvenir si par hasard, il n’y avait pas quelque part dans la chambre, une peinture semblable ;<br />

cette peinture une fois découverte, la femme fut libérée de tout soupçon », Recherches dans l’Heptateuque, I, 93,<br />

cité et traduit par Olivier Roux dans Monstres. Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours,<br />

Paris, CNRS Editions, 2008, p. 218. Malebranche narre, parmi d’autres exemples, une histoire similaire : « Il n’y<br />

a pas un an qu’une femme ayant considéré avec trop d’application le tableau de s. Pie, dont on célébrait la fête de<br />

la canonisation, accoucha d’un enfant qui ressemblait parfaitement à la représentation de ce saint. Il avait le<br />

visage d’un vieillard, autant qu’en est capable un enfant qui n’a point de barbe. Ses bras étaient croisés sur sa<br />

poitrine, ses yeux tournés vers le ciel, et il avait très peu de front, parce que l’image de ce saint étant élevée vers<br />

la voûte de l’église en regardant le ciel, n’avait aussi presque point de front. Il avait une espèce de mitre<br />

renversée sur ses épaules, avec plusieurs marques rondes aux endroits où les mitres sont couvertes de pierreries.

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