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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

des uns et des autres ayant été créée, les premiers individus ont servi de modèle à tous leurs<br />

descendants » 1 . D’où vient le prototype ? Buffon, prudemment, avance le nom de Dieu, mais<br />

c’est pour mieux délégitimer toute prétention à être un savoir scientifique les théories qui<br />

exposent des raisons morales à cette création. La création n’a pas à être interrogée, juste<br />

constatée :<br />

[La Nature] n’altère rien aux plans qui lui ont été tracés, et dans tous ses ouvrages elle<br />

présente le sceau de l’Eternel : cette empreinte divine, prototype inaltérable des existences, est<br />

le modèle sur lequel elle opère, modèle dont tous les traits sont exprimés en caractère<br />

ineffaçables, et prononcés pour jamais ; modèle toujours neuf, que le nombre des moules ou<br />

des copies, quelque infini qu’il soit, ne fait que renouveler. 2<br />

La notion de prototype ajoute à l’idée d’ordre portée par le moule intérieur celle de<br />

permanence concomitante à la notion d’espèce : permanence de la forme à travers le temps<br />

qui assure la continuité et l’unité de l’espèce, permanence également de l’ordre général de la<br />

nature qui est assis sur l’équilibre entre la puissance de reproduction des individus et leur<br />

destruction. Aussi la permanence dans la nature repose-t-elle sur un mouvement perpétuel de<br />

vie et de mort. Permanence et variation, permanence et changement s’appellent mutuellement<br />

dans un rapport dialectique, chacun étant la condition de l’autre ; il ne faut voir « dans cette<br />

destruction, dans ce renouvellement, dans toutes ces successions que permanence et durée » 3 ;<br />

le tout de la nature est fixe et inaltérable, les parties sont mobiles, parce qu’il appartient à la<br />

nature, sinon de créer et d’annihiler, d’« altérer, [de] changer, [de] détruire, [de] développer,<br />

[de] renouveler, [de] produire » 4 . Aussi, dès l’instant où les prototypes sont jetés dans le sein<br />

de la nature, la tension entre permanence et changement se fait aussi sentir en eux, et il n’est<br />

pas indifférent pour leur forme qu’elle soit destinée à se répéter à travers le temps à chaque<br />

génération. En effet, cette répétition ne va pas manquer d’introduire « des variations<br />

sensibles », « des altérations successives », « des combinaisons nouvelles », « des mutations<br />

de matière et de forme » 5<br />

– cela parce que les individus vivants sont plongés dans les<br />

circonstances naturelles du milieu auxquelles ils doivent répondre. Que ces circonstances se<br />

modifient, que tel animal soit transporté ailleurs que dans « son pays, sa patrie naturelle dans<br />

laquelle [il] est retenu par nécessité physique » 6 , il est alors amené à se modifier, à se<br />

dénaturer – soit dans le sens d’une dégénération, soit dans celui d’un perfectionnement 7 .<br />

1 HN, De la Nature. Seconde vue, p. 998.<br />

2 HN, De la Nature. Première vue, p. 986. Il est donc clair que la question de l’origine du prototype, et donc<br />

concomitamment celle des espèces, ne sont pas des questions scientifiques aux yeux de Buffon.<br />

3 HN, De la Nature. Seconde vue, p. 995.<br />

4 HN, De la Nature. Première vue, p. 986.<br />

5 HN, Des époques de la Nature, p. 1194.<br />

6 HN, art. Le lion, p. 845.<br />

7<br />

« Et lorsque par des révolutions sur le globe ou par la force de l’homme, ils ont été contraints d’abandonner<br />

leur terre natale ; qu’ils ont été chassés ou relégués dans des climats éloignés, leur nature a subi des altérations si<br />

grandes et si profondes, qu’elle n’est pas reconnaissable à première vue, et que pour la juger il faut avoir recours<br />

à l’inspection la plus attentive, et même aux expériences et à l’analogie. Si l’on ajoute à ces causes naturelles<br />

d’altération dans les animaux libres, celle de l’empire de l’homme sur ceux qu’il a réduits en servitude, on sera<br />

surpris de voir jusqu’à quel point la tyrannie peut dégrader, défigurer la Nature (…). La température du climat, la<br />

qualité de la nourriture et les maux de l’esclavage, voilà les trois causes de changement, d’altération et de

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