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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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permettant de mettre au jour le fond sur lequel la nature travaille ; s’ils ne sont intelligibles<br />

pour la raison que parce qu’elle cherche ailleurs qu’en eux leur processus de production ; s’ils<br />

n’éclairent donc en rien l’intelligibilité du processus de la génération et s’ils reçoivent au<br />

contraire d’elle leur propre intelligibilité, quel est donc leur emploi stratégique par la raison ?<br />

Autrement dit, qu’éclairent-ils aux yeux de la raison ?<br />

La théorie buffonienne de la génération<br />

Il convient donc de brosser à grands traits à quelle théorie de la génération Buffon<br />

parvient en partant des faits les plus communs et les plus généraux avant de voir quel rôle les<br />

monstres jouent dans l’affaire. Il faut faire remarquer d’emblée que cette théorie est constituée<br />

à partir de faits, comme il se doit, mais également d’une hypothèse 1 et d’une critique.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

a) La critique du préformationnisme<br />

La critique est celle du préformationnisme, aussi bien dans sa forme oviste<br />

qu’animalculiste 2 . Buffon ne cache pas ici sa dette envers Maupertuis 3 . Contre le<br />

préformationnisme en général, quatre objections sont avancées. La première est la plus<br />

radicale, car elle remet en cause la valeur explicative du préformationnisme. En un mot, il rate<br />

son coup. En effet, il ambitionne de résoudre le problème de la reproduction des êtres ; mais il<br />

affirme pour cela que chaque être est contenu en germe dans le précédent, et que donc le<br />

1 L’hypothèse, si elle est bien une construction de l’esprit et un saut par-delà les leçons de l’expérience, n’est en<br />

rien arbitraire et abstraite. Elle est motivée par les faits et les observations ; mais comme il se trouve que nous ne<br />

pouvons tout embrasser d’un seul coup d’œil, des faits ou des effets restent particuliers sans que l’on puisse les<br />

intégrer dans les rapports que tisse la nature, c’est-à-dire sans que l’on puisse les rattacher à des effets généraux.<br />

De ce point de vue, l’hypothèse ne conduit pas à sortir hors de la nature, comme peuvent le faire aux yeux de<br />

Buffon les systèmes pythagoriciens ou platoniciens qui, partant de principes abstraits, échouent à saisir le réel<br />

(sur la critique du pythagorisme et du platonisme, cf. IR, II, Histoire des animaux, chap. 5 : Exposition des<br />

systèmes sur la génération, pp. 74-77) ; elle représente un moyen légitime de connaissance dès le moment où<br />

l’on se propose de mettre au jour « le moyen caché que la Nature peut employer » (HN, Histoire des animaux,<br />

chap. 2 : De la reproduction en général, p. 152, nous soulignons) : elle est cette aventure de la raison qui pallie<br />

son impuissance par l’audace calculée et contrôlée de devancer les preuves que la nature peut offrir, mais qui<br />

n’ont pas encore été découvertes ou qui, si elles ont été découvertes, n’ont pas encore fait l’objet d’interprétation<br />

pertinente. Cette audace est mise en œuvre de façon exemplaire dans Des époques de la Nature, où il s’agit pour<br />

Buffon de reconstituer l’évolution de la Terre jusqu’à son état actuel. « Combien de changements et de différents<br />

états ont dû se succéder depuis ces temps antiques (qui cependant n’étaient pas les premiers) jusqu’aux âges de<br />

l’Histoire ! Que de choses ensevelies ! Combien d’événements entièrement oubliés ! Que de révolutions<br />

antérieures à la mémoire des hommes ! Il a fallu une très longue suite d’observations ; il a fallu trente siècles de<br />

culture à l’esprit humain, seulement pour reconnaître l’état présent des choses. La Terre n’est pas encore<br />

entièrement découverte ; ce n’est que depuis peu qu’on a déterminé sa figure ; ce n’est que de nos jours qu’on<br />

s’est élevé à la théorie de sa forme intérieure, et qu’on a démontré l’ordre et la disposition des matières dont elle<br />

est composée : ce n’est donc que de cet instant où l’on peut commencer à comparer la Nature avec elle-même, et<br />

remonter de son état actuel et connu à quelques époques d’un état plus ancien » (HN, Des époques de la nature,<br />

p. 1195).<br />

2 L’oviste considère que le germe préformé est dans l’œuf de la femelle, tandis que l’animalculiste considère<br />

qu’il est porté par les vers spermatiques (les spermatozoïdes découverts par Leeuwenhoek à la fin du XVII ème<br />

siècle).<br />

3 « Les difficultés générales et communes aux deux systèmes ont été senties par un homme d’esprit, qui me<br />

paraît avoir mieux raisonné que tous ceux qui ont écrit avant lui sur cette matière, je veux parler de l’auteur de la<br />

Vénus physique, imprimée en 1745 », IR, II, Histoire des animaux, chap. 5 : Exposition des systèmes sur la<br />

génération, p. 164.

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