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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

évidence par la voie de la comparaison. Soyons plus précis : il met au défi de répondre à la<br />

question du « comment » et interroge la possibilité que la vue sur la nature corresponde à<br />

l’ordre de la nature. Comment les monstres surviennent-ils et en quoi nous dévoilent-ils des<br />

effets généraux de la nature premièrement ; dans quelle mesure l’ordre systématique auquel<br />

conduit une vue générale sur la nature est-il bien l’ordre de la nature ellemême<br />

deuxièmement ; voilà les deux problèmes fondamentaux que soulève le fait du monstre<br />

– ils sont fondamentaux en ce qu’ils engagent la possibilité même pour la raison de connaître<br />

la nature. Nous allons nous attacher à établir que l’enjeu du monstre pour la réflexion<br />

buffonienne semble être celui d’un puissant moyen de systématisation. Le paradoxe et le pari<br />

de Buffon est de s’appuyer sur ce qui semble être le plus réfractaire et contraire à toute<br />

systématisation pour offrir une vue générale, cohérente et unifiée de la nature. Il y a un usage<br />

stratégique du monstre par la raison : loin d’en faire un objet sur quoi porte la réflexion, il est<br />

intégré à la rationalité comme un instrument. Il s’agit moins de connaître ce qu’est le monstre<br />

que de connaître par son moyen ; la voie de la généralisation et d’une vue systématique de la<br />

nature passent par une « stratégie du monstrueux ».<br />

2. Le monstre et le problème de la génération des êtres vivants<br />

Nous avons vu que le phénomène du monstre ne pouvait pas être mis en doute : il y a<br />

bel et bien des monstres au sein de la nature pour la simple raison qu’ils sont de l’ordre du<br />

possible pour elle. Car, d’après un principe maintes fois répété par Buffon, tout ce qui peut<br />

être est. Poser la question « comment », c’est poser la question du passage du possible à<br />

l’existence, autrement dit du processus de production à l’œuvre dans la nature – bref c’est<br />

poser la question : « quel est le moyen caché que la Nature peut employer pour la<br />

reproduction des êtres ? » 1 Mais parce que nous sommes bien ici au niveau de ce que Buffon<br />

nomme les causes, à savoir au niveau des effets généraux, il importe que ce processus de<br />

production puisse rendre compte et de la reproduction des êtres normaux et de la production<br />

des êtres monstrueux. Or ces derniers sont des effets particuliers, qui tendent à la singularité,<br />

tandis que le processus de production met en jeu des effets généraux, puisqu’il n’y a rien qui<br />

ne se répète plus dans la nature que des êtres qui donnent naissance à d’autres êtres<br />

semblables. Dans ces conditions, il devient très problématique de faire des monstres des faits<br />

heuristiques permettant de découvrir des effets généraux. Du reste, Buffon met en garde, dans<br />

la recherche des effets généraux, contre l’idée de prendre pour base empirique des faits non<br />

suffisamment généraux. Le reproche qu’il adresse à ses prédécesseurs est de s’être contentés,<br />

pour construire leur système sur la génération, de cas particuliers, souvent de la seule<br />

génération de l’homme et des animaux, en passant sous silence celle des plantes, ou en ne<br />

1 HN, Histoire des animaux, chap. 2 : De la reproduction en général, p. 153.

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