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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

puisque la vie y est pure indétermination. C’est pourquoi, au final, le concept de monstre est<br />

un concept problématique en ce qu’il indique un fondement du sens hors du sens d’une part,<br />

et renvoie l’activité de la pensée rationnelle à une spontanéité d’abord étrangère à toute<br />

rationalisation d’autre part. D’où la question : l’errance de la raison ne revient-elle pas à être<br />

une errance du concept lui-même ?<br />

Nous avons cherché, tout au long de ce travail, à donner des gages contre cette<br />

tendance possible. D’abord en ne cherchant pas à disqualifier d’emblée la pratique<br />

« coutumière » de la rationalité quant à la saisie du monstre. La raison « classique » ne rend<br />

pas les armes devant le monstre et fourbit des stratégies lui permettant de ne pas laisser à<br />

l’extérieur de la rationalité ce fait d’abord étrange et scandaleux de la nature. Il nous a semblé<br />

que les tentatives de Buffon et Geoffroy Saint-Hilaire étaient, de ce point de vue, exemplaires.<br />

Buffon usa d’une façon habile de l’idée de mélange pour retourner sa charge critique<br />

d’irrationalité : les monstres sont des êtres vivants qui nous paraissent mélanger des caractères<br />

inter-spécifiques parce qu’ils sont justement des êtres intermédiaires dans le réseau que tisse<br />

l’ensemble des êtres vivants dans la nature. Double gain : d’une part, Buffon peut rendre<br />

compte du vocable de « monstre » par le nécessaire point de départ anthropocentrique de toute<br />

étude de la nature, d’autre part il lui permet d’asseoir la systématicité de sa vue générale de la<br />

nature. Que le monstre représente une épreuve pour la raison, c’est encore ainsi que<br />

l’abordent les Geoffroy Saint-Hilaire. Mais entre Buffon et Geoffroy Saint-Hilaire s’intercale<br />

la constitution de la biologie comme science, de sorte que le monstre désormais met à<br />

l’épreuve la raison dans sa prétention à constituer une théorie scientifique du monstre. Nous<br />

avons ainsi cru bon devoir étudier dans le détail la constitution et les prétentions de la science<br />

des monstres. Il est clair qu’aux yeux des Geoffroy Saint-Hilaire deux critères entrent en ligne<br />

de compte pour que les monstres intègrent le paysage serein de la science biologique de<br />

l’époque : d’abord que leur forme puisse être expliquée par les lois de la nature – qui sont les<br />

véritables objets de recherche d’E. Geoffroy Saint-Hilaire, ce qu’il nomme les principes de la<br />

nature –, ensuite que les formes monstrueuses puissent faire l’objet d’une classification<br />

naturelle, tout à la fois signe de leur naturalité et preuve que la tératologie est une véritable<br />

science. Mais Buffon comme Geoffroy Saint-Hilaire ont aussi cela de particulier qu’ils<br />

permettent de mettre au jour au moins deux problèmes inhérents à toute tentative de penser le<br />

monstre. Le premier est celui de savoir si le monstre a une réalité objective, s’il est un fait de<br />

la nature, ou bien s’il n’est qu’une réalité de discours, propre à un point de vue. Il est<br />

remarquable que Buffon parte précisément d’un anthropocentrisme assumé : s’il est bien des<br />

espèces intermédiaires, leur désignation par le vocable « monstre » n’est rien d’autre qu’un<br />

fait de l’anthropocentrisme. Serait-ce donc que la qualification de « monstre » est relative ?<br />

L’avantage d’en passer par les Geoffroy Saint-Hilaire est qu’ils ambitionnent de trouver un<br />

fondement naturel aux monstres, au sens où ils veulent en saisir des caractéristiques<br />

objectives. La notion de monstruosité est une notion descriptive, subsumant sous elle un<br />

certain nombre d’individus partageant des traits communs. Mais le problème est que jamais

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