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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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lorsqu’est évoquée, à propos de la question de la possibilité du mélange des espèces,<br />

l’éventualité de « chèvre-pieds » 1 qui puissent servir de domestiques, le témoin d’un futur<br />

dont la réalisation dans le présent n’est pas si hypothétique ni si incongru que cela. Passé,<br />

présent et futur sont contemporains – la succession temporelle ne vaut que dans l’ordre du<br />

monde, non dans la nature naturante. C’est pourquoi à strictement parler il n’y a pas<br />

d’anachronisme au sein de la vie en elle-même, mais seulement dans l’ordre du monde. Le<br />

monstre est là pour rappeler le devenir monstrueux de chaque être. Il n’est pas un être hors<br />

nature ou contre nature, mais le dévoilement de l’acte par lequel la nature s’institue comme<br />

ordre naturel et qui renvoie au plan de la vie.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Devenir-monstre<br />

Le gain de cette réflexion diderotienne est de nous faire entrevoir la solution assez<br />

paradoxale à notre problème qui, rappelons-le, est de savoir comment faire en sorte que le<br />

sens d’être de la vie dégagé à partir d’un vivant si particulier, le monstre, soit aussi celui<br />

affirmé par l’ensemble des vivants. La solution est en effet paradoxale, car c’est la mise en<br />

évidence de la catégorie du singulier dans le monstre qui permet de saisir en quoi les vivants<br />

sont justement vivants. Evénement, le monstre l’est bel et bien puisqu’il met au jour ce que<br />

tous les vivants répètent : la singularité – mais qu’ils répètent tous sur un mode différent –, de<br />

sorte que la vie, dans chaque vivant, est proprement non répétable, de sorte qu’elle entre, pour<br />

reprendre un terme à Simondon, dans la plus grande disparation. Aussi faut-il comprendre que<br />

la singularité renvoie à un devenir, à un devenir-monstre : nous pourrions interpréter ce<br />

dernier sur le mode du devenir-femme tel que Deleuze le dégage. Il n’est évidemment pas<br />

question pour un vivant quelconque d’imiter ni de prendre la forme d’un vivant monstrueux,<br />

de même qu’il ne s’agit pas d’imiter une forme féminine. Devenir, en règle générale, ne<br />

revient jamais à imiter ou se conformer à un modèle 2 . Deleuze cherche à montrer qu’un<br />

devenir-femme doit toucher tout le monde, hommes et femmes, car il s’agit de se défaire des<br />

identités pour poursuivre une ligne de fuite qui rend attentif aux intensités, aux vitesses, aux<br />

altérités qui parcourent les corps, mais qui, souvent, sont enfouies sous les habitudes, les<br />

rengaines, les répétitions, les impératifs adaptatifs. Devenir-femme, c’est, en ce sens,<br />

recomposer le corps comme corps sans organes, et Deleuze prend comme exemple d’un tel<br />

corps la jeune fille : elle est la production d’un devenir-femme. En effet, « la jeune fille ne se<br />

définit certes pas par la virginité, mais par un rapport de mouvement et de repos, de vitesse et<br />

(…) [M]ais l’ordre n’est pas si parfait, continua Saunderson, qu’il ne paraisse encore de temps en temps des<br />

productions monstrueuses », Lettre sur les aveugles, p. 168.<br />

1 Le rêve de d’Alembert, p. 675.<br />

2 « Devenir, ce n’est jamais imiter, ni faire comme, ni se conformer à un modèle, fût-il de justice ou de vérité. Il<br />

n’y a pas un terme dont on part, ni un auquel on arrive ou auquel on doit arriver. Pas non plus deux termes qui<br />

s’échangent. La question « qu’est-ce que tu deviens ? » est particulièrement stupide. Car à mesure que quelqu’un<br />

devient, ce qu’il devient change autant que lui-même. Les devenirs ne sont pas des phénomènes d’imitation, ni<br />

d’assimilation, mais de double capture, d’évolution non parallèle, de noces entre deux règnes. Les noces sont<br />

toujours contre nature. Les noces, c’est le contraire d’un couple », Dialogues, op. cit., p. 8.

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