28.02.2014 Views

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

412<br />

de rechercher un quelconque principe dans une logique de fondement, il n’est même plus<br />

question d’attribuer quoi que ce soit, mais bien d’étaler une multiplicité qui ne se subordonne<br />

pas à l’Un ni ne se laisse englober par l’Etre conçu comme le paradigme de la profondeur.<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

Le sens et la surface<br />

Cependant, la description d’une monstruosité ne s’abîme nullement dans le non-sens,<br />

quand bien même serait-elle la plus fantastique, la plus grotesque, voire la plus arbitraire qui<br />

soit. En effet, si elle empêche que l’on puisse se référer à un sens déjà là, déjà constitué, si elle<br />

bloque ainsi tout jugement d’attribution, c’est parce qu’elle appelle un sens à constituer. Rien,<br />

sans doute, de moins insensée qu’une description de monstre, car elle est en train de produire<br />

et d’instaurer du sens – un sens du multiple, un sens qui rompt avec le paradigme de la<br />

profondeur. Avec le monstre, le sens n’est pas profond, il n’a pas à l’être du reste puisque le<br />

monstre ne cèle en lui nul secret : il ne dévoile finalement que ce qui n’a peut-être jamais été<br />

voilé, ce qui s’est toujours tenu devant nous, en pleine visibilité : la surface des êtres sur<br />

laquelle le sens peut se tisser. Deleuze peut ainsi écrire :<br />

Le sens n’est jamais principe ou origine, il est produit. Il n’est pas à découvrir, à restaurer ni<br />

à re-employer, il est à produire par de nouvelles machineries. Il n’appartient à aucune hauteur,<br />

il n’est dans aucune profondeur, mais effet de surface, inséparable de la surface comme de sa<br />

dimension propre. 1<br />

On pourrait comprendre pourtant que le corps défaillant du monstre, le corps qui se<br />

défait au fur et à mesure qu’il cherche à se faire, est un corps qui s’effondre et, en<br />

s’effondrant, qui enterre toute possibilité de sens. S’il dévoile la surface, n’est-ce pas parce<br />

qu’il la lacère, parce qu’il la troue, parce qu’il la déchiquette : n’est-ce pas finalement parce<br />

qu’il se signale comme l’absence de toute surface ? On retrouverait alors une profondeur<br />

imprévue, qui se joue ailleurs que dans la notion d’expérience, ainsi que le souligne Deleuze :<br />

« lorsque la surface est déchirée d’explosions et d’accrocs, les corps retombent dans leur<br />

profondeur, tout retombe dans la pulsation anonyme où les mots eux-mêmes ne sont plus que<br />

des affections du corps : l’ordre primaire qui gronde sous l’organisation secondaire du sens » 2 .<br />

Cette profondeur paraît peu compatible avec ce que nous venons de voir plus haut. En effet, le<br />

corps monstrueux serait le corps qui ferait remonter à la surface le fond indifférencié ; la<br />

conséquence de ce mouvement de remontée est l’annulation de la surface, puisque surgit en<br />

son lieu son contraire : le fond indifférencié. Or la vie étant pure indétermination, n’est-ce pas<br />

la vie comme fond indifférenciée que le monstre rend visible, qu’il fait remonter à la surface<br />

pour la déchirer et l’annuler, de sorte que la vie se tiendrait au final toujours dans une<br />

profondeur inassignable? On se tromperait toutefois si on en restait à une vision purement<br />

oppositionnelle du fond et de la surface : il s’agit, non de comprendre la pulsation<br />

indifférenciée de la vie comme ce qui vient déchirer les surfaces des corps, mais, au contraire<br />

de comprendre cette même pulsation comme ce qui vient organiser les surfaces, comme ce qui<br />

1 Logique du sens, Paris, Les Editions de Minuit, 1969, pp. 89-90.<br />

2 Ibid., p. 151.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!