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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

dissoutes au profit d’une variation et différentiation continues ; le monstre saisirait donc la<br />

vie, non dans son résultat, non dans son produit, mais dans son procès, dans son passage, dans<br />

sa puissance, en un mot dans son dynamisme. L’idée de corps sans organes nous permet ainsi<br />

de faire l’epochè de toute notion de type commun ou de forme archétypal, que les Geoffroy<br />

Saint-Hilaire continuent à maintenir. Dès lors, le corps monstrueux est un corps qui ne vit pas<br />

de la vie organique, car il ne hiérarchise pas les rapports organiques et présente pour ainsi dire<br />

une vie « pure », un flux vital, un courant vital – pour reprendre une image bergsonienne –<br />

non encore ralenti dans un corps organisé. S’il est un corps sans organes, si la forme se défait,<br />

si les fonctions peuvent paraître fragiles et mal assurées, c’est parce qu’il est le lieu où se<br />

composent, non des formes, non des organes spécialisés, mais d’abord des forces et des<br />

intensités.<br />

Une troisième conséquence se dessine alors : l’errance vitale relève d’une multiplicité<br />

de vitesses, d’une pluralité simultanée d’intensités qui se tiennent dans la différentiation<br />

virtuelle. Les monstres conservent précisément ce qui ne peut pas être de l’ordre de la<br />

conservation en se livrant au mouvement actualisant de la différenciation : ils conservent ce<br />

mélange des vitesses, des devenirs, qui les rendent non adhérents à un milieu quelconque. Le<br />

corps du monstre apparaît opaque, parce qu’il apparaît dans la strate où les corps sont<br />

organisés ; il apparaît comme de moindre vie parce qu’il est un corps plus intensif, parce qu’il<br />

laisse transparaître, dans le corps organisé, une vitalité d’outre corps. Il n’a alors plus rien qui<br />

le rattache à une quelconque puissance du négatif : il ne fait que souligner le fait<br />

métaphysique positif selon lequel la vie instaure un différentiel de vitesses, ou, dit autrement,<br />

est un potentiel de vitesses différentiées. Dans ce contexte, l’errance vitale ne vient que<br />

souligner le mouvement continuel de la vie à parcourir cette multiplicité de vitesses, à n’être<br />

que cette multiplicité-là. Le désavantage de l’image d’un élan vital est d’impliquer que la<br />

vitesse du mouvement est imprimée au départ, ce qui ne laisse plus que l’alternative suivante :<br />

soit le mouvement se poursuit à la même vitesse, soit il se dégrade en ralentissant. On<br />

pourrait, dans ce contexte, reprocher à Bergson de se donner la mauvaise image pour<br />

approcher l’idée de la vie comme création. Car celle de l’élan vital induit, au mieux une<br />

conservation, au pire une dégradation, mais en aucun cas une création. De fait, la majorité<br />

des vivants ne sont pas à la hauteur de l’élan vital qui les dépose, puisqu’ils représentent<br />

autant de points de ralentissement, de friction et de fixation. Dès lors que nous avons affaire à<br />

une errance vitale, il ne faut plus penser les organismes et les vivants spécifiés comme une<br />

trahison faite à la vie, ou tout du moins comme une limitation. Tous les vivants sont fidèles à<br />

l’errance vitale, mais la porte à un plus ou moins haut degré d’intensité, c’est-à-dire<br />

l’actualisent avec un coefficient de différenciation plus ou moins haut. La vie est donc tout en<br />

variation de vitesse et changement de rythme – l’évolution et la sélection naturelle seraient à<br />

cet égard des coefficients de vitesse. Les monstres seraient, parmi les vivants, ceux où la vie<br />

serait la plus fulgurante, en ne cessant pas de renouveler ses vitesses, en se déprenant des<br />

effets de lenteur. Mais, du coup, à ce degré d’intensité, la vie est paradoxalement ce qui ne

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