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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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405<br />

tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

arrive de l’extérieur et fait dérouter, dérailler la vie. En effet, le monstre déplie dans un corps<br />

organisé une vie qui se donne d’abord, dans un corps non organisé, non explicité, non<br />

extensif, non successif, comme entièrement pliée. Errer pour la vie ne signifie pas s’étaler,<br />

mais à l’inverse tenir la multiplicité dans un point sans profondeur. Aussi ne convient-il pas<br />

de qualifier le monstre d’accidentel : sa survenue, comme surgissement d’un point sans<br />

profondeur et d’un devenir sans succession – un emboîtement de vitesses et d’intensités – doit<br />

l’asseoir comme un événement. Nous développerons dans quelques instants ce point, qui est<br />

crucial.<br />

La seconde conséquence est que si le monstre fait étalage d’un état du corps avant<br />

toute différenciation organique, et s’il appartient bien à la vie, alors force est d’admettre une<br />

vie anorganique. Et dans une inspiration toute bergsonienne, Deleuze notera que<br />

« l’organisme est plutôt ce que la vie s’oppose pour se limiter, et il y a une vie d’autant plus<br />

intense, d’autant plus puissante, qu’elle est inorganique » 1 . Il est vrai que cette idée de vie<br />

anorganique se dégage chez lui au cours d’une discussion serrée des thèses du théoricien de<br />

l’art, Worringer, qui met en avant le principe d’une ligne abstraite. Cette ligne est vivante,<br />

ramasse les forces de la vie, « libère une puissance de vie » 2 , alors même qu’elle s’échappe<br />

hors de toute logique organique et symétrique. On peut se demander dans quelle mesure l’idée<br />

d’une vie anorganique n’est pas une simple métaphore, qui ne fonctionne que dans le domaine<br />

esthétique pour caractériser le style d’une ligne particulière étrangère à la géométrie, au<br />

rectiligne aussi bien qu’à la symétrie, au contour et au dehors / dedans de l’organique, mais<br />

qui est inapplicable, pour ne pas dire sans sens, dès le moment où nous la référons à la vie<br />

biologique. Outre le fait que Deleuze se méfie grandement des métaphores 3 , la vie<br />

anorganique renvoie à « une intense vie germinale inorganique, une puissante vie sans<br />

organes, un Corps vivant d’autant plus qu’il est sans organes, tout ce qui passe entre les<br />

organismes » 4 , c’est-à-dire à un concept très précis : le corps sans organes.<br />

Evitons d’emblée tout contresens : « Le CsO [corps sans organes] s’oppose, non pas<br />

aux organes, mais à cette organisation des organes qu’on appelle organisme » 5 . Autrement dit,<br />

« l’ennemi, c’est l’organisme » 6 . Il n’est donc pas question de parler d’une vie sans organes, il<br />

n’est pas plus question de parler d’un corps vivant vidé de tous ses organes : la vie<br />

disparaîtrait bien évidemment. Il s’agit de se demander si le corps vivant peut échapper à<br />

l’organisation organique de ses organes, bref il s’agit de distinguer le corps de l’organisme.<br />

On pourrait faire remarquer que le corps sans organes est encore une importation de l’art, ici<br />

de la littérature et plus particulièrement d’Artaud. Mais, l’expérience littéraire d’Artaud est<br />

encore et pleinement une expérience vitale, de sorte qu’il n’y a pas à condamner a priori ce<br />

1 Mille plateaux, op. cit., p. 628.<br />

2 Ibid., p. 623.<br />

3 « Toutes les métaphores sont des mots sales, ou en font », Dialogues, écrit avec Claire Parnet, Paris,<br />

Flammarion, Champs essais, 1996, p. 9.<br />

4 Mille plateaux, op. cit., p. 623.<br />

5 Ibid., p. 196.<br />

6 Ibid., p. 196.

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