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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

position à la bordure leur confère la fonction de tracer la ligne que Deleuze qualifie<br />

d’« enveloppante » 1 en fonction de laquelle les vivants peuvent se dire actualiser la vie et, par<br />

conséquent, lui appartenir. Autrement dit, non seulement le monstre est la mesure à partir de<br />

laquelle on peut établir une hiérarchie en fonction de la puissance, mais il est, en outre, la<br />

ligne délimitant un espace dans lequel les vivants doivent prendre position par rapport à cette<br />

ligne 2 , c’est-à-dire la ligne grâce à laquelle il est possible de considérer tous les vivants<br />

comme déployant une seule et même vie. La référence que Deleuze fait à Moby Dick pour<br />

préciser le concept de bordure est éclairante.<br />

C’est ce que le capitaine Achab dit à son second : je n’ai aucune histoire personnelle avec<br />

Moby Dick, aucune vengeance à tirer pas plus qu’un mythe à dévider, mais j’ai un devenir !<br />

Moby Dick n’est ni un individu ni un genre, c’est la bordure, et il faut que je la frappe, pour<br />

atteindre toute la meute, pour atteindre à toute la meute, et passer à travers. Les éléments de la<br />

meute ne sont que des « mannequins » imaginaires, les caractères de la meute ne sont que des<br />

entités symboliques, seule compte la bordure – l’anomal. 3<br />

Le monstre n’est pas à la marge ; la bordure n’est pas la marge, puisqu’en la frappant<br />

j’atteins tous ceux qui sont enveloppés par elle, tous ceux qui forment une bande par elle.<br />

Tout se passe donc comme si le monstre était ce par quoi un sens unitaire et général de la vie<br />

peut être délivré, car il serait au final ce sous quoi les vivants peuvent se regrouper et former<br />

une communauté biologique 4 . En d’autres termes, grâce aux phénomènes monstrueux, grâce à<br />

leur possibilité et leur menace, les vivants peuvent se compter et apprécier ce qui est<br />

cependant sans appréciation : l’errance vitale. Nous avions mis en évidence que le monstre<br />

pouvait être considéré comme le transcendantal de tout pouvoir 5 . Or, derrière le pouvoir, se<br />

tient le plan de la vie, grâce auquel le pouvoir trouve son pouvoir. Il faudrait alors émettre<br />

l’idée que le monstre soit le transcendantal de la vie elle-même et que, dans le vivant le plus<br />

singulier se joue le sens le plus général de la vie. Nous reviendrons ultérieurement sur la<br />

question du transcendantal en la vie, qui est finalement la question la plus fondamentale et<br />

donc la plus ultime. Pour le moment, il nous faut encore davantage justifier en quoi<br />

l’aberration monstrueuse peut constituer une telle bordure de la vie grâce à laquelle elle peut<br />

se ressaisir en elle-même, grâce à laquelle on peut dire que « l’aberration qualifie donc<br />

l’anomalie constitutive du vital » 6 .<br />

Que la vie, dans les monstres, dévoile sa bordure ne revient pas à postuler qu’elle<br />

s’affronterait à un en-dehors, une extériorité qui la borderait. Le monstre n’est pas un vivant<br />

1 Ibid., p. 299.<br />

2 « De toute façon, il y aura bordure de meute, et position anomale, chaque fois que, dans un espace, un animal<br />

se trouvera sur la ligne ou en train de tracer la ligne par rapport à laquelle tous les autres membres de la meute<br />

sont dans une moitié, gauche ou droite : position périphérique, qui fait qu’on ne sait plus si l’anomal est encore<br />

dans la bande, déjà hors de la bande, ou à la frontière mouvante de la bande », ibid., p. 300.<br />

3 Ibid., p. 300, nous soulignons. Cette ligne est bien la ligne de la limite, par quoi il y a ici affirmation et<br />

identification sans que pour autant elles renvoient à une identité figée et fixée, définitive parce que définie.<br />

4 La conséquence implicite de tout ceci est que le monstre ne peut plus être compris comme une négation.<br />

5 Cf. chapitre V supra p.302.<br />

6 A. Sauvagnargues, Deleuze. De l’animal à l’art, dans F. Zourabichvili, A. Sauvagnargues, P. Marrati, La<br />

philosophie de Deleuze, Paris, quadrige / PUF, 2011 (seconde édition), p. 170.

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